L’urgence de réinventer des espaces de débat

Dans l'image: Pierre Flatt, responsable de InfoDoc
 
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Alliance Sud fait face à de défis financiers qui l’ont conduit à se focaliser sur le travail de politique de développement. Pour InfoDoc, les centres de documentation d’Alliance Sud à Berne et à Lausanne, l’aventure s’arrête ici.

Le Comité directeur d’Alliance Sud a décidé fin juin de mettre un terme aux activités d’InfoDoc dès fin septembre 2021. Quand et comment est né InfoDoc ?

Pierre Flatt : D’abord en 1971 à Berne sous le nom d’i3w (Informationsdienst Dritte Welt, puis 10 ans plus tard à Lausanne (i3m, Service d’Information Tiers-monde). Il faut relever ici que le concept au centre de ce projet était l’information. Ce n’est qu’au cours des années qui ont suivi que le groupe de lobbying s’est petit à petit développé.

En quoi le travail effectué par InfoDoc complémente-t-il le travail de lobbying ?

Plusieurs différences fondamentales distinguent ces deux activités. Tout d’abord au niveau de la production d’information : le groupe de lobbying produit des analyses, des prises de position et s’adresse en premier lieu au milieu politique et à l’administration fédérale avec l’objectif d’influencer la politique suisse en faveur des pays du Sud. Le travail d’InfoDoc consiste à mettre à disposition de tout public intéressé un outil documentaire mettant en perspective les interdépendances mondiales. En ce sens, la « production » d’InfoDoc est le fruit de sélections, de rapprochements, de mises en relation d’informations existantes. InfoDoc ne communique pas mais met à disposition de son public les moyens de se forger lui-même son opinion. Une deuxième différence importante distingue le travail de ces deux secteurs : la perspective temporelle. Si le travail effectué par nos collègues du groupe politique est rythmé par les élections fédérales tous les 4 ans, celui d’InfoDoc n’a pas de perspective temporelle précise.

InfoDoc a toujours revendiqué son lien avec la production journalistique. Quels sont ces liens ?

InfoDoc a partagé durant plusieurs années ses bureaux avec l’agence de presse InfoSud (qui était à l’origine également partie d’Alliance Sud). L’échange d’information entre l’équipe de journalistes et celle des documentalistes a nourri les activités de ces partenaires durant des années.
Nous documentalistes considérons que notre travail de médiation sur l’actualité se situe entre les producteurs/trices que sont les journalistes et le public. Nous pensons que ce travail contribue au renforcement de la démocratie et que son point de vue est unique. Unique dans le sens où la perspective proposée au lecteur/trice est à la fois ancrée dans le suivi quotidien de l’actualité mondiale et qu’en même temps, par la pluralité de ses sources et de ses points de vue, il apporte une vision dans la durée qui permet précisément de mettre en relation et en perspective la complexité du monde.

Quel regard portes-tu sur l’évolution de la coopération internationale de ton point de vue de documentaliste ? Qu’est-ce qui a changé ?

Au début des années 2000 un accord avec la DDC mandatait InfoDoc à assurer l’accès public à une information documentaire sur les rapports entre la Suisse et le Sud global contre une contribution annuelle aux centres de documentation. Cette contribution a duré 20 ans et s’est éteinte en 2021 devant les difficultés financières d’Alliance Sud. Le ton a bien changé aujourd’hui.

Tu auras consacré 20 ans de ta vie professionnelle à Alliance Sud InfoDoc. Quels impacts l’Internet a-t-il provoqué sur le travail d’information quotidien réalisé par InfoDoc ?

J’ai en effet été engagé en 2001, soit au moment où Internet devenait de plus en plus populaire et aisément accessible. En tant que documentalistes, notre attention se porte à la fois sur le contenu mais également sur le contenant ou sur les « tuyaux » véhiculant l’information. Cette observation est essentielle car les médias conditionnent l’accès à l’information.
Conscients des enjeux que recelait la « révolution Internet », les documentalistes ont fait feu de tout bois pour mettre en valeur leur travail d’information continu : base de données de sites de référence, base de données vidéo, catalogue de bibliothèque en ligne, articles en ligne, etc. Ce mouvement a débouché sur une action construite autour de deux axes : le travail en ligne et la présence locale sous la forme du troisième lieu.

Peux-tu préciser ce que signifie le troisième lieu ?

Nous devons le concept de troisième lieu au sociologue urbain étasunien Ray Oldenburg. Ce dernier utilisait cette expression pour décrire des endroits où les gens peuvent se réunir et échanger. A l’origine, il s’agissait d’étudier l’impact de l’urbanisation sur le comportement humain et les formes de sociabilité. Pour R. Oldenburg, le troisième lieu est le lieu qui vient après le foyer et le travail, un terrain neutre qui permet la rencontre et l’échange sans discrimination.
En 2014, InfoDoc transformait ses locaux à Berne et à Lausanne pour concrétiser sa réflexion et concevait simultanément un cycle d’animation thématique annuel. Ce travail au plus près du public a permis de construire petit à petit un noyau de fidèles. Il a permis également de développer des synergies avec d’autres acteurs locaux comme par exemple des centres d’animation socio-culturels.

En quoi, selon toi, des espaces d’information et des lieux de débat comme InfoDoc sont-ils nécessaires aujourd’hui ?

Dans son édition d’avril dernier, Le Monde diplomatique publiait un article d’Anne-Cécile Robert au titre évocateur « Disparition de l’espace du débat ». En faisant le lien direct entre information et démocratie, elle constatait que « les espaces de discussion disparaissaient au profit d’un bavardage incessant qui demeurait à la surface des choses. » L’omniprésence de l’écran dans quasiment toutes les interactions humaines aujourd’hui, et encore plus depuis le début de la pandémie de coronavirus, plaide pour un retour à l’interaction directe, à la rencontre imprévue et à la découverte. Tout se passe comme si la dématérialisation de l’information allait de pair avec le besoin grandissant de rencontres physiques.