Faire les achats de manière responsables !

Öffentliches Beschaffungswesen
Les sous-vêtements que les soldats de l'armée suisse portent sous leurs tenus de combat proviennent d'Indes, de Bulgarie et de Hongrie. Photo: Caserne d'Isone/TI
9.10.2017
Article global
Chaque année, la Confédération, les cantons et les communes achètent des biens et des services pour près de 40 milliards de francs. La révision totale du droit en question fournit l'opportunité d’utiliser ces montants de manière plus responsable.

Ces quelque 40 milliards de francs correspondent à 6% du produit intérieur brut (PIB)[1] selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), un volume substantiel pour l’économie suisse.

Il va de soi que les entités publiques devraient, comme acheteurs, montrer l’exemple en matière de développement durable. Consommateurs de taille, elles exercent une incidence sur les conditions de production des entreprises et, partant, sur l’environnement et sur les conditions de travail de nombreuses personnes. Le droit des marchés publics précise les critères de consommation des services publics. À l’enseigne de l’objectif d’une consommation et d’une production responsables, l’Agenda 2030 de développement durable de l’ONU signé par la Suisse comprend un sous-objectif explicite (12.8) en matière de marchés publics : « Promouvoir des pratiques durables dans le cadre de la passation des marchés publics, conformément aux politiques et priorités nationales ». Et la Stratégie pour le développement durable de la Suisse précise : « La Confédération prend en considération lors de ses achats publics des biens (produits, services ou ouvrages) qui répondent tout au long de leur durée de vie à des exigences économiques, écologiques et sociales élevées. Elle montre l’exemple par son mode de consommation. »

Effectuer des achats dans un souci d’écologie !

L’hypothèse passablement répandue selon laquelle effectuer des achats écologiques coûte plus cher en soi n’est de loin pas toujours correcte. Une étude mandatée par l’organisation Pusch (Praktischer Umweltschutz) montre que des achats préservant mieux le climat se justifieraient en termes économiques également, par exemple s’agissant des produits alimentaires, de l’éclairage ou des véhicules. [2]

Comme la Directive de l’UE de 2014, la révision totale de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) présentée par le Conseil fédéral en février 2017 permet aussi un mode de penser en cycles de vie ou l’intégration de coûts environnementaux externes. C’est un pas dans la bonne direction que les délibérations parlementaires (au plus tôt lors la session d’hiver 2017) ne doivent tout au moins pas ralentir et qui devrait être compléter par des exigences contraignantes.

Acheter des biens et des services respectant l’équité !

Les huit conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) sont inscrites dans la proposition du Conseil fédéral. Elles étaient déjà intégrées dans la pratique de passation des marchés publics en cours. Elles interdisent notamment le travail des enfants, le travail forcé et la discrimination en matière d’emploi et de profession et exigent le respect de la liberté d’association et le droit de négociation collective.

Mais ces conventions ne suffisent pas à garantir des conditions de travail décentes. Certains pays maintiennent par exemple leur salaire minimum à un bas niveau afin d’attirer des producteurs et des ordres d’achat. Cela conduit à des salaires insuffisants pour vivre.[3]

La coalition d’ONG pour les achats publics (Pain pour le Prochain, Action de Carême, Helvetas, Fondation Max Havelaar Suisse, Public Eye, Solidar Suisse et Swiss Fair Trade) exige la possibilité de prendre en compte le droit à des conditions de travail décentes et sûres, à des horaires de travail réglementés et non abusifs, le droit à une relation de travail formelle et le droit à un salaire couvrant les besoins vitaux.

La loi en vigueur impose aujourd’hui des limites très strictes en matière d’achats socialement responsables aux entités adjudicatrices de la Confédération, des cantons et des communes. La révision totale du droit des marchés publics étant imminente, il faudrait intégrer dans une base légale solide les engagements pris en termes de développement durable.

 

Achats publics : de quoi s’agit-il ?

Par achats publics, on entend tous les marchés passés par des entités publiques. Il peut par exemple s’agir d’achats de biens matériels comme du mobilier de bureau ou de services. En Suisse, les dépenses dans ce domaine se répartissent entre la Confédération (environ 20%), les cantons et les communes (à peu près 40% dans chaque cas). Le volume total des achats publics se chiffre à près de 40 milliards de francs, ce qui équivaut, selon l’OFEV, à environ 6% du PIB de la Suisse.

Cadre juridique délimitant les conditions de travail

L’Accord de l’OMC sur les marchés publics de 1996 (révisé en 2012) délimite le cadre juridique international également applicable à la Suisse. Il laisse une marge de manœuvre pour la prise en compte de critères pas uniquement axés sur le prix, comme par exemple la santé au travail ou des salaires garantissant des conditions d’existence convenables. Dans une Directive de 2014, l’UE a précisé que des critères écologiques et sociaux pouvaient être pris en compte dans la passation de marchés. Cela signifie notamment que le prix ne doit pas être seul déterminant.

La Loi fédérale sur les marchés publics de 1994 est en cours de révision ; la proposition de loi révisée intègre désormais les huit conventions fondamentales de l’OIT, lesquelles étaient déjà incluses dans la pratique actuelle d’adjudication. Tous les adjudicataires doivent les respecter :

Liberté syndicale et droit de négociation collective

•             Liberté syndicale et protection du droit syndical (1948)
•             Droit d’organisation et de négociation collective (1949)

Abolition du travail forcé

•             Travail forcé (1930) et Protocole de 2014 à la Convention sur le travail forcé
•             Abolition du travail forcé (1957)

Interdiction de la discrimination en matière d’emploi et de profession

•             Egalité de rémunération (1951)
•             Discrimination en matière d’emploi et de profession (1958)     

Abolition du travail des enfants

•             Âge minimum d’admission à l’emploi (1973)
•             Interdiction des pires formes de travail des enfants et action immédiate en vue de leur élimination (1999)

Les 4 conventions suivantes de l’OIT notamment ne sont pas comprises dans les normes fondamentales :

•             Droit à des conditions de travail décentes et sûres (Convention 155 de l’OIT)
•             Droit à des temps de travail réglementés non abusifs (Convention 1 de l’OIT)
•             Droit à une relation de travail formelle (Recommandation 198 de l’OIT)
•             Droit à un salaire garantissant des conditions d’existence convenables (Conventions 26 et 131 de l’OIT et article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme)

Ces éléments devraient également être intégrés dans la loi et leur respect contrôlé. Il serait en principe très utile d’y inscrire de façon contraignante une conception forte de la durabilité, dont les aspects sociaux par exemple iraient plus loin que les normes fondamentales de l’OIT. Pour Alliance Sud, il y a lieu d’intégrer au moins dans la loi révisée, outre le prix, ces critères ainsi que d’autres critères de responsabilité sociale et écologique pour la passation de marchés.

 

[1] Cette valeur est encore nettement supérieure en moyenne dans l’OCDE (12.1 % en 2013).

[2] Myriam Steinemann et al., «Potenzial einer ökologischen öffentlichen Beschaffung in der Schweiz», Berne 2016

[3] Un exemple à ce sujet – relaté l’automne dernier dans les médias - concerne l’achat de bottes destinées à l’armée suisse, cousues en Roumanie pour un salaire horaire de 2 francs. Une rétribution qui même dans ce pays ne permet pas une vie décente mais qui correspond au salaire minimal légal prescrit.