Les évaluations de l’impact sont nécessaires !

Sur la plantation de palmiers à huile Daya Labuhan Indah (DLI) la chimie est utilisée, Labuhanbatu, Nord Sumatra, Indonésie.
10.12.2018
Article global
Le développement durable ne doit pas être en option. Si le Conseil fédéral le prenait au sérieux, l’analyse des impacts qu’il subit devrait aller de soi dans les accords de libre-échange également.

Début novembre, la Suisse a mené à terme les négociations portant sur un accord de libre-échange (ALE) avec l’Indonésie.1 Ce dernier a donné lieu à de vives controverses au Parlement, comme ce fut le cas pour l’accord passé avec la Malaisie. La question a été – et demeure - de savoir quelle approche adopter vis-à-vis de l’huile de palme provenant d’Asie du Sud-Est, souvent produite dans des conditions peu durables. Par ailleurs, des négociations sont en cours sur des ALE avec l’Inde et le Vietnam, ainsi qu’avec la communauté économique sud-américaine Mercosur (Paraguay, Uruguay, Argentine et Brésil), ce qui s’avère discutable pour nombre de raisons (cf. article dans global #71/2018). Comme il est de règle pour des négociations de libre-échange, elles se déroulent à huis clos. Pourtant les risques sont connus dans ces cas également : des secteurs fragiles pourraient ne pas être suffisamment protégés, les petites exploitations agricoles pourraient subir de forts impacts face à un secteur agro-industriel favorisé. Les problèmes écologiques causés par ce secteur pourraient s’amplifier, un nombre important d’emplois industriels est en jeu sur le continent sud-américain.

Si les conditions générales sont appropriées, des accords commerciaux peuvent avoir des effets positifs pour une majorité des concernés. Mais en cas contraire, les pays de l’hémisphère sud surtout ont beaucoup à perdre. Des accords commerciaux ne devraient pas aller à l’encontre d’un développement durable. En plus des dimensions économique et écologique, la dimension sociale est une autre composante d’une véritable durabilité. Document adopté par l’ensemble des membres de l’ONU, l’Agenda 2030 pour le développement durable comprend un large éventail d’objectifs majeurs et secondaires pertinents pour des accords commerciaux. Différents points de l’objectif 8 de l’Agenda 2030 portent par exemple sur les emplois et les conditions de travail. Quant à l’objectif 17.15, il exige le respect de l’espace politique (policy space) par les partenaires contractuels.

Le langage clair de la CdG-N

En juillet 2017, la commission de gestion du Conseil national (CdG-N) a publié un rapport sur les « Effets des accords de libre-échange ». La première recommandation de ce document est un appel à mener des études de l’impact sur le développement durable. Elle est motivée par les principes de développement durable inscrits dans la Constitution fédérale suisse,2 la stratégie pour le développement durable (SDD) et, de manière explicite, par l’Agenda 2030. Le rapport de la CdG établit clairement que la commission considère l’absence d’études de l’impact sur le développement durable comme un cas patent de manque de cohérence politique : le Conseil fédéral souligne certes l’importance du développement durable mais ne passe pas de la parole aux actes. Citation de la CdG :

 « Compte tenu de ces éléments, la CdG-N considère que le rejet, jusqu’ici motivé par des raisons de principe, de toute étude d’impact sur le développement durable préalablement à un ALE n’est pas cohérente avec les objectifs stratégiques de la Confédération. Elle estime que le Conseil fédéral doit disposer de la base de renseignements la plus complète possible avant de décider de conclure ou non un ALE, et que les résultats d’études d’impact sur le développement durable méritent d’y figurer. Le rejet de principe de toute étude d’impact sur le développement durable est contraire à l’accent mis par le Conseil fédéral sur l'importance de la durabilité. »

La CdG mentionne que de telles études ont été à chaque fois rejetées faute de méthodologie appropriée. Pour elle, cela ne constitue toutefois pas un argument et elle rappelle que l’UE et les États-Unis procèdent également à de telles études.

Dans sa réponse au rapport de la CdG, le Conseil fédéral a de nouveau eu du mal à entendre cette recommandation et l’a rejetée en invoquant à nouveau l’absence d’une méthode, les données disponibles et le rapport coûts-efficacité, notamment dans le domaine social. Il s’est toutefois déclaré prêt à mener « cas par cas des études d’impact sur l’environnement au lieu d’études globales sur le développement durable ». De telles études sont toutefois déjà inscrites dans le plan d’action Economie verte de 2013. Elles sont un pas important et positif dans la bonne direction mais sont insuffisantes. La dimension sociale de la durabilité devrait être également prise en considération dans de telles analyses.

Une complexité nullement mise en doute

Les analyses d’impact en termes de développement durable sont depuis longtemps un sujet de préoccupation en lien avec les ALE. En 2009, le conseiller national Carlo Sommaruga avait par exemple déposé une motion qui exigeait une étude d’impact sur le développement durable de l’ALE passé avec la Chine, selon le modèle des « sustainability impact assessments ». Le Conseil fédéral a rejeté l’objet en question en invoquant une grande complexité, les données manquantes et les coûts élevés. Les analyses d’impact en termes de développement durable sur le modèle de l’UE sont effectivement onéreuses et complexes. Mais d’autres modèles sont envisageables. Dans une perspective de développement, le credo de l’Agenda 2030 de l’ONU de « ne laisser personne pour compte » est capital : il est essentiel d’identifier les groupes les plus vulnérables et d’examiner les répercussions du libre-échange sur ces groupes. Ancien rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter a par exemple élaboré des directives pour l’évaluation des répercussions sur les droits humains (Human Rights Impact Assessments, HRIA) tenant compte de ces préoccupations. Elles constitueraient un pas important dans la bonne direction et incluraient, en partie du moins, la dimension sociale.

Cette approche est aussi soutenue par l’Uruguay, un des pays émergents avec lesquels la Suisse est en train de négocier un ALE. Frente Amplio, la coalition des partis de centre-gauche au pouvoir, a élaboré des lignes directrices pour des ALE qui exigent notamment une analyse d’impact ex ante sur le développement durable.

Sans vouloir entrer ici dans les détails méthodologiques et parfois très techniques, on constate qu’un débat a cours sur ces méthodes, un débat dont les acteurs sont parfaitement conscients que le temps et les ressources pour de telles analyses sont limités. C’est pourquoi la discussion tourne aussi autour de la question de savoir comment les priorités peuvent être correctement définies avec un accent placé sur les groupes les plus vulnérables.

Alliance Sud juge discutable que le Conseil fédéral refuse des analyses d’impact en termes de développement durable depuis près d’une décennie, en pointant des difficultés méthodologiques, sans prendre la peine de développer une telle méthode. Car il continue de ne pas en être question dans l’avis du Conseil fédéral sur le rapport de la CdG-N.

Des acteurs multiples mènent des évaluations de l’impact sur le développement durable ou des évaluations des répercussions sur les droits humains et développent sans cesse des méthodes possibles. Au lieu de tourner le dos à cette évolution, le Conseil fédéral devrait contribuer à utiliser des instruments adaptés accordant la place qui leur revient aux trois dimensions du développement durable.

1La Suisse joue le rôle moteur da le cadre des négociations de l’Association européenne de libre-échange (AELE) dont la Suisse fait partie avec la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.

2Article 2, alinéa 1, et article 73 cst.