En 2021 qu’entrera en vigueur l'accord sur le climat signé en décembre 2015 à Paris. Dans un souci de justice climatique, le traité oblige les pays industrialisés à dédommager à hauteur de 100 milliards de dollars par an les pays du Sud qui souffrent le plus de la catastrophe climatique toujours plus manifeste, mais qui n'en sont pas la cause. En ratifiant l'accord de Paris, la Suisse s'est également engagée à mettre à disposition un montant « approprié » pour le financement international dans le domaine du climat. Pour le Conseil fédéral, une somme de 450 à 600 millions de francs correspondrait à la responsabilité de notre pays. Mais quiconque, comme Alliance Sud, tient aussi compte de l'empreinte climatique de la Suisse à l'étranger en arrive à 1 milliard de francs par an. C'est la première divergence. Le message sur la stratégie de coopération internationale (CI) 2021-2024 en présente une seconde : l’accord de Paris stipule que des ressources financières « nouvelles et additionnelles » doivent être mobilisées pour le financement climatique international. Or que fait la Suisse ? Elle augmente l'affectation aux « projets climatiques » dans les crédits cadres existants de la coopération au développement, de 300 à 400 millions de francs par an. Des fonds nouveaux et additionnels ? Que nenni !
Ce qui, à première vue, peut paraître comme une astuce comptable visant à ne pas faire peser une charge supplémentaire sur la caisse fédérale – qui, fait notable, a de nouveau eu la chance cette année d’engranger un excédent qui se chiffre en milliards – est bien pire. Le Conseil fédéral entend remplir l'engagement de la Suisse dans le domaine du climat en sapant les tâches de développement menées jusqu’ici : dotés d’aucune ressource supplémentaire, les projets climatiques se feront sur le dos des soins de santé à grande échelle, du développement rural ou de l'égalité entre les sexes, du renforcement de la société civile, de la démocratie et de l'État de droit, ou du soutien de possibilités de formation appropriées. Car le financement dans le domaine du climat a un autre objectif que la lutte contre l'extrême pauvreté et la réduction des inégalités : il vise à maîtriser les risques climatiques futurs et ne cherche pas en soi à améliorer immédiatement les conditions de vie actuelles.
20 % de la CAD pour des projets climatiques
La stratégie de coopération internationale 2021-2024 qui sera discutée pendant la session d’été, n'entre pas dans les détails de l'affectation des différents postes budgétaires. À une exception près : près de 20 % de l’ensemble des fonds de la DDC et du SECO doivent être consacrés à des projets climatiques.
Que le soutien aux pays en développement en matière de protection du climat et d'adaptation au changement climatique soit également délégué à la DDC et au SECO est logique. Qui d'autre disposerait du savoir-faire de longue date et des instruments nécessaires pour prendre des mesures efficaces sur le terrain ? Mais si les dépenses supplémentaires que cela implique doivent être couvertes par les crédits cadres existants de la coopération au développement sans renforcement financier, deux questions fondamentales se posent :
- Des projets de développement peuvent-ils également contribuer à la protection du climat et d'adaptation au sens de l’accord de Paris ?
- Quand l'utilisation de fonds de développement pour des mesures climatiques se justifie-t-elle ?
Mandatés par Alliance Sud, les conseillers de FAKT à Stuttgart ont analysé le financement helvétique du climat depuis 2011 afin de répondre à ces questions. L'auteure Christine Lottje a notamment examiné l'hypothèse implicite du gouvernement suisse selon laquelle la protection du climat et la coopération au développement (CAD) sont équivalentes ; car – comme l'indique la nouvelle stratégie de la CI – les moyens destinés aux projets climatiques seront utilisés « toujours dans le cadre du mandat de la CI de réduire la pauvreté et de favoriser le développement durable ».
Les résultats de l'étude « Der Schweizer Beitrag an die internationale Klimafinanzierung » donnent à réfléchir : les contributions déclarées à l'ONU comme financement climatique ont augmenté de façon disproportionnée par rapport à l’aide publique au développement (APD) depuis 2011. La part du financement climatique utilisée dans les pays où la pauvreté ou la vulnérabilité climatique est particulièrement prononcée ne représente qu'une fraction de celle utilisée dans les pays à revenu intermédiaire ou de manière non spécifique par le biais des programmes dits mondiaux ou régionaux.
Cela se comprend sous l’angle de la protection du climat dans la mesure où une réduction des émissions de CO2 peut être réalisée de manière plus efficace dans les régions où les émissions par habitant sont relativement élevées, à savoir dans les zones urbaines des pays à revenu intermédiaire (PRI). Mais le premier groupe cible de la CAD vit dans les pays les plus pauvres – comme le précise la loi. En d'autres termes, la tâche première de la coopération au développement est ignorée dans la plupart des projets climatiques. Selon leur description, seuls trois projets sur dix sont axés sur des groupes cibles pauvres ou sur la réduction de la pauvreté. L'étude identifie même deux projets du SECO et un projet de la DDC désignés comme financement pour le climat, même en l’absence de lien identifiable avec le changement climatique, ou même s’ils encouragent des pratiques préjudiciables au climat.
Il faut des moyens supplémentaires
L'étude confirme ce qu'Alliance Sud voit depuis des années comme un danger pour la politique suisse de développement : la DDC et le SECO sont de plus en plus mis à contribution pour financer la politique étrangère suisse en matière d'environnement et de climat, et ce sur le dos des plus pauvres dans des pays de l’hémisphère sud. Si des fonds supplémentaires ne sont pas mis à disposition, de moins en moins d'argent sera disponible pour les tâches centrales de la coopération au développement.
La DDC signale qu'il est de plus en plus difficile de mettre en œuvre, dans le cadre de la coopération bilatérale au développement (donc par le biais notamment de programmes de promotion de la santé ou de l'éducation ou de renforcement de la société civile), des mesures ayant également des effets judicieux et efficaces sur le climat.
Les projets d'adaptation qui présentent de réelles synergies avec la coopération au développement proprement dite et pouvant à juste titre être (co)financés par ses fonds restent limités. Citons à cet égard la création de banques de semences, la formation de paysannes et de personnel enseignant à l'adaptation et à la résilience au climat ou encore le renforcement des compétences des autorités locales.
L’aménagement de sources d'énergie renouvelables dans des régions particulièrement pauvres est sans conteste un projet de développement légitime et urgent. Mais comme une telle approche met en valeur de nouvelles zones et ne remplace pas des centrales au charbon existantes, il ne s'agit pas de projets permettant de réduire réellement les gaz à effet de serre au sens de l’accord de Paris sur le climat. Il est donc cynique de parler de financement climatique en pareil cas.
Toutes ces considérations confirment l'urgence de fournir un financement climatique additionnel pour des mesures infrastructurelles et de protection du climat, et ce à la vaste échelle nécessaire. Même si la CAD axée sur la réduction de la pauvreté et une protection climatique efficace et une bonne adaptation au climat ne s'excluent pas a priori, des synergies réelles ne sont possibles que dans une mesure limitée.
Cet article a été publié dans le numéro #75 de global au printemps 2020.