Si la question de l’huile de palme a focalisé l’attention de l’opinion publique sur l’accord de libre-échange avec l’Indonésie - allant jusqu’au lancement d’un referendum qui a échoué de justesse -, le texte entré en vigueur le 1er novembre 2021 contient d’autres dispositions problématiques du point de vue du développement qui sont passées largement inaperçues : l’une d’entre elle est la requête faite à l’Indonésie d’adhérer à UPOV 91, l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales – même si avec quelques aménagements. Cette convention, méconnue du grand public, oblige les pays membres à adopter des lois strictes pour la protection des semences et des obtentions végétales, ce qui, de fait, revient à les privatiser. Les multinationales de l’agrobusiness détiennent dès lors des droits de monopole qui font perdre aux paysans le libre accès aux semences : ils ne peuvent plus les obtenir, les reproduire, les échanger et les vendre librement, comme ils l’ont toujours fait.
La Suisse elle-même n’a pas adapté sa législation à l’UPOV 91
A ce jour, 78 pays sont membres de l’UPOV et dans les accords de libre-échange qu’elle négocie, dans le cadre de l’AELE (l’Association européenne de libre-échange), la Suisse exige de ceux qui ne le sont pas qu’ils adhèrent à cette convention. Le prochain sur la liste est la Malaisie, avec laquelle elle est en négociation depuis dix ans. L’hypocrisie veut que la Suisse elle-même n’ait pas adapté ses lois nationales à l’UPOV 91, dont elle est pourtant membre. Le 8 décembre, 6oème anniversaire de l’UPOV, la Coalition suisse pour le droit aux semences, dont Alliance Sud est membre, a mené une action devant le siège de l’organisation à Genève pour demander sa dissolution pure et simple, relayant ainsi une semaine de mobilisation qui a réuni près de 300 organisations et réseaux dans le monde entier.
Si la privatisation des semences est clairement dans l’intérêt de la poignée de multinationales qui les contrôlent, dont la suisse Syngenta, elle va à l’encontre du droit à l’alimentation et de la souveraineté alimentaire que la Suisse s’est pourtant engagée à respecter et à promouvoir. Il y a trois ans, elle a signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP) dont le but est de répondre aux multiples formes de discrimination subies par ces personnes, qui sont les premières victimes de la pauvreté et de la faim.
La Suisse s’engage enfin à mener des études d’impact sur les droits humains
« Si l'on tient compte du fait que les principales exportations de l'Équateur proviennent de l'agrobusiness lié à la production de bananes, de crevettes, de fleurs, de cacao et de la pêche industrielle, il est clair que les frontières de ces activités vont s'étendre, et avec elles la contamination et la détérioration des espaces naturels, aggravant les effets sur les communautés de paysans et de pêcheurs artisanaux, notamment en raison de la destruction de leurs sources de revenus », déclarait Cecilia Cerrez, de l’ONG équatorienne Accion Ecologica, à l’occasion de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange avec l’Equateur en novembre 2020, soulignant que la Suisse concentre 90% des exportations de ce pays vers l’AELE.
Or, bien qu’elle y ait été exhortée par de nombreux instances internationales et par un postulat de la Commission de gestion du Conseil national, la Suisse n’a pas réalisé à ce jour d’étude d’impact sur les droits humains, alléguant un manque de méthodologie et de données. Pour lui prouver qu’elles existent, Alliance Sud a fait réaliser une proto-étude d’impact de l’accord de libre-échange avec le Mercosur, qui s’est intéressée notamment à l’impact de cet accord sur les droits des peuples autochtones. Elle montre que la déforestation induite par l’expansion de l’agro-business se fait souvent au détriment des terres des peuples autochtones alors que ceux-ci ne sont même pas consultés.
D’autres problèmes peuvent se poser : en libéralisation les marchés publics, les accords commerciaux risquent de limiter la possibilité des pays en développement de s’approvisionner auprès des paysans à des prix fixes, affaiblissant ainsi leur soutien à la paysannerie locale.
Dans la nouvelle Stratégie de la politique économique extérieure, le Conseil fédéral s’engage enfin à réaliser des études d’impact ex ante et ex post des accords de libre-échange, pour en mesurer les principales conséquences économiques, écologiques et sociales. Alliance Sud salue cette décision et va se pencher sur ces études avec intérêt et avec l’esprit critique nécessaire.
Cette Stratégie affirme vouloir contribuer à la durabilité environnementale et sociale. C’est une bonne chose, mais adhérer à des normes et standards ne l’exonère pas de tenir compte des contradictions intrinsèques résultant de sa politique commerciale. Par ailleurs, ces standards et engagements doivent être mis en œuvre de façon concrète, efficace et mesurable, voire être assortis de sanctions en cas de violation, ce qui n’est pas prévu dans les accords de libre-échange de la Suisse. En effet les Comités mixtes qui supervisent le chapitre sur le développement durable ne peuvent qu’émettre des recommandations.