« Il n’y a pas de crise. Il n’y a absolument pas de crise et la conférence de Nairobi passera à l’histoire comme celle qui a surmonté le clivage Nord – Sud », déclarait vendredi 18 décembre, avec optimisme, Amina Mohamed, la présidente de la dixième conférence ministérielle de l’OMC, en annonçant une prolongation « de quelques heures ». En réalité il en aura fallu plus de 24 à des délégués épuisés pour parvenir à une déclaration ministérielle qui reconnaît explicitement la division des membres sur l’avenir du cycle de Doha et les « nouveaux sujets » chers aux pays industrialisés. Les questions, précisément, où le clivage Nord – Sud est le plus important. Une première.
Bien que ce fût la première ministérielle organisée en Afrique, les pays en développement n'ont pas tiré grand-chose de cette conférence. Ils ont "limité les dégâts", mais ils auraient pu espérer beaucoup plus. La déclaration finale est un compromis. Elle affirme que certains membres reconnaissent le mandat de développement de Doha, et d'autres pas, mais qu’ils vont continuer à discuter des sujets de Doha, en préservant le traitement spécial et différencié. Les Etats-Unis n'auront peut-être pas réussi à enterrer officiellement ce fameux cycle, lancé il y a quatorze ans pour rééquilibrer les règles du commerce international en faveur des pays du Sud - c’était leur intention de départ. Mais ce langage juridique flou ouvre la porte à toutes sortes d’interprétation créatives et les pays en développement et les ONG vont devoir veiller à ce que Doha ne devienne pas de la pure rhétorique. Par contre, le cycle de Doha dans son architecture actuelle, selon laquelle rien n’est acquis tant que tout n’est pas acquis, est sûrement terminé.
Les membres ont déjà commencé à s’entendre sur quelques éléments séparés, à commencer par l’élimination des subventions à l’exportation des produits agricoles. La Suisse a jusqu'à 2020 pour supprimer la loi chocolatière - que le parlement vient d’augmenter à 94,6 millions de CHF - qui permet à Nestlé, Toblerone et autres Kambly de compenser le surcoût du lait et des céréales helvétiques dans les biscuits, le chocolat et les soupes. L’Inde a obtenu un délai à 2023. Les Etats-Unis et l’Union européenne n’utilisent plus ces subventions, mais d’autres mesures similaires pour lesquelles Washington a fait des concessions minimes: les crédits à l’exportation (dont la durée a été limitée à 18 mois), l’aide alimentaire et les entreprises commerciales étatiques. La Suisse aura fait sa part, mais on ne peut pas en dire autant des autres pays industrialisés. Elle n’aura pas réussi à obtenir des Etats-Unis un paquet plus équilibré qui aurait profité aussi aux pays en développement. Or les subventions aux exportations, sous toutes leurs formes, sont l’instrument commercial le plus néfaste car elles créent un effet de dumping sur les marchés des pays pauvres.
Le seul véritable gain pour les pays les moins avancés est la décision de simplifier les règles d’origine. La Suisse a un an pour s’y conformer.
Sur les deux questions cruciales pour l'Inde et la plupart des pays en développement – l’opérationnalisation du mécanisme spécial de sauvegarde (censé leur permettre d’augmenter temporairement les droits de douane sur les produits agricoles sensibles pour se préserver d’importations soudaines) et les réserves publiques pour la sécurité alimentaire – aucune décision définitive n’a été prise et les discussions renvoyées à Genève. Finalement, la déclaration reconnaît que certains membres veulent commencer à discuter d'autres sujets et d'autres membres pas, mais que pour entamer de nouvelles négociations, il faudra le consensus de tous. Bien que non spécifiés, il s’agit des thèmes chers aux pays industrialisés, à commencer par les investissements et le droit de la concurrence. Des mesures destinées à faciliter l’implantation des multinationales, en limitant le droit de régulation des pays hôtes et en donnant aux investisseurs un droit de commentaire sur les projets de lois. Les pays en développement les rejettent depuis la ministérielle de Cancun de 2003. Une fois de plus, ce langage juridique ambigu présage de nouvelles confrontations.