SDG Impact Finance Initiative : impact pour qui ?

Les deux facettes du secteur privé : transport des biens de première nécessité de Zurich au Venezuela. Dans le sens inverse, les banques suisses permettent aux élites de placer leur argent ici, comme l’ont montré les « Suisse Secrets ».
16.3.2022
Article global
Une nouvelle initiative du SECO vise à mobiliser de capitaux privés pour les pays en développement. Elle soulève de nombreuses questions de gouvernance et d’impact sur le développement.

Le 1er décembre dernier, le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) a annoncé le lancement de la SDG Impact Finance Initiative (SIFI), un nouveau « partenariat public-privé pour un financement innovant du développement », aux côtés de l’UBS Optimus Foundation, de la Credit Suisse Foundation et de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Selon ces fondateurs, cette initiative vise à mobiliser jusqu’à un milliard de francs de capitaux privés afin d’obtenir des « résultats mesurables dans les pays en développement ». Le SECO la soutient à hauteur de 19,5 millions de francs, l’UBS Optimus Foundation à hauteur de 5 millions, les contributions des autres acteurs n’étant pas encore connues.

Blending is trendy
Pour justifier ce nouveau partenariat, le SECO rappelle le financing gap estimé à plus de USD 2,5 billions de dollars par an d’ici 2030 pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD), alléguant que « pour combler ce déficit de financement, il faut augmenter les investissements privés dans les pays en développement ». L’assemblage (blending) de ressources publiques et philanthropiques représenterait un moyen efficace de mobiliser des fonds privés qui, en temps normal, ne seraient pas investis dans les pays en question. La SDG Impact Finance Initiative vise à lever - d’ici 2030 - 100 millions de francs auprès d’acteurs publics et philanthropiques, montants qui devraient - ensuite - permettre de mobiliser « jusqu’à un milliard de francs de capitaux privés pour financer les ODD dans les pays en développement ».

Trois objectifs sont sommairement énoncés : soutenir des « solutions de financements innovants » pour proposer de nouveaux « produits d’investissements à impact », via des subventions et des incitations financières, en rappelant que les placements visent, en plus de leur rendement financier, un impact social et environnemental, mesurable (innovation window); promouvoir l’investissement à impact, en mobilisant des capitaux privés et en soutenant les entreprises dans lesquelles ces fonds sont investis (product window); enfin, contribuer à « améliorer les conditions-cadre de l’investissement à impact en Suisse et la qualité de l’évaluation de l’impact », en collaboration avec Swiss Sustainable Finance, l’association faîtière des banques qui milite en faveur de la finance durable, et le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SIF).

Ouvrons le débat
Le lancement de cette initiative (SIFI) soulève de nombreuses questions, à ce stade, liminaires, d’abord en termes de gouvernance et de pilotage ; une association a été créée, présidée par un avocat d’affaires et dans laquelle siège un représentant de chacune des deux fondations bancaires qui participent à SIFI. Ni le SECO, ni la DDC n’y sont représentés. On a dès lors de la peine à comprendre comment les représentants de la Confédération seront à même de défendre les priorités en termes de développement que la contribution du SECO (et, à l’avenir, vraisemblablement de la DDC) se devra d’assurer.

Une autre question – centrale - se pose en termes de définition de l’impact et de mesurabilité. En effet, à ce jour, aucune définition de l’impact investing n'est appliquée universellement et il y a, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), peu de rigueur dans l'établissement des limites de ce qui devrait être considéré comme un investissement à impact. Selon le directeur du Coopération pour le développement (CAD) de l’OCDE, « toute la difficulté consiste à définir et à mesurer cet impact. Différents pays ainsi que différentes organisations publiques et privées utilisent différents instruments pour mesurer différents éléments. Pour parer au risque d’impact washing, les autorités publiques ont pour responsabilité de définir des normes et de veiller à leur adoption. » Il manque en outre des données et des outils d'évaluation comparables à l'échelle internationale.

Le recours à des fonds de la coopération au développement (actuellement 19,5 millions du SECO) pose la question fondamentale quant au rôle et aux objectifs de la Confédération dans le cadre de cette initiative ; en effet, l’ambition de « lever » des financements privés à hauteur de CHF 1 milliard comme annoncé pour financer les ODD dans les pays en développement, présuppose des interventions visant à réduire les risques (réels ou perçus) pour les investisseurs privés (de-risking). De telles interventions peuvent prendre la forme de garanties, de couverture des pertes éventuelles (first loss), d’assistance technique aux entreprises du portefeuille ou de prise en charge des coûts de préparation des projets. Toutes ces interventions équivalent à des subventions dont le but implicite est de permettre la mise à disposition d’un portefeuille de projets bancables (bancable projets) qui doivent correspondre aux profils de risque/rendement (risk adjusted return) attendus par les investisseurs institutionnels privés. Le rôle des fonds de la CI est-il dès lors de répondre à l’appétit croissant des investisseurs ou, au contraire de répondre à la nécessité de mesurer, surveiller et rendre compte des impacts – en termes de développement – intentionnels et non intentionnels des investissements ?

Se pose en outre la question des critères applicables aux investissements envisagés ; en l’absence, à ce jour, d’un « cadre de durabilité  » défini par les donateurs publics pour les financements privés, le risque est une application à la carte de critères ESG, dont le niveau d’exigence varie grandement selon les investisseurs (SDG washing). De plus, aucun élément de réponse n’est donné concernant les secteurs et les pays auxquels les financements mixtes sont destinés, respectivement à quels ODD ils aspirent à contribuer. Last but not least, ce type de partenariat public-privé pose une série de questions systémiques en lien avec la financiarisation du développement ; en effet, la question cruciale, dès lors qu’une partie des fonds de la CI se détourne de son objectif initial de financement durable des biens et services publics pour servir d’« appât » et d’effet de levier aux investissements privés, est de savoir si cette nouvelle utilisation des fonds publics va bien dans le sens du développement inclusif tel que poursuivi par l’Agenda 2030 (leave no one behind). En d’autres termes, quelle est la capacité de ces fonds publics à - effectivement - orienter les investissements privés vers les objectifs d’un développement durable et inclusif et la lutte contre la pauvreté ? Quel type de développement promeut cette financiarisation ? Dans quelle mesure ces investissements-ils à même de contribuer à la lutte contre les inégalités tant régionales qu’entre groupes sociaux, dans les pays en développement ? La conversation ne fait que commencer.