Spéculation : besoin de régulation

L'initiative populaire est déposée en mars 2014.
5.3.2016
Résumé
La spéculation sur les denrées alimentaires entraîne une grande volatilité des prix, avec des conséquences parfois dramatiques pour les populations du Sud.

Une initiative populaire lancée par la Jeunesse socialiste (JS) exigeait d’arrêter la spéculation sur les denrées alimentaires. Alliance Sud a aussi demandé au Conseil fédéral de nouvelles régulations pour limiter la volatilité des prix des denrées alimentaires de base. En 2014, l'économiste et journaliste indépendant Markus Mugglin a rédigé, à la demande d'Alliance Sud, une étude sur les conséquences de la spéculation alimentaire. Depuis le début des années 2000, les prix des denrées alimentaires ont doublé et des pics ont été atteints en 2006/2007 et 2011.

Spéculation néfaste

Cette augmentation des prix entraîne l’insécurité alimentaire, dont souffrent surtout les couches défavorisées de la population dans le Sud. La volatilité des prix met en péril la subsistance des producteurs (en cas de chute rapide et brutale des prix) et des consommateurs (en cas d’augmentation rapide et brutale des prix). Les pays du Nord, notamment la Suisse, ignorent cette réalité. Ils demeurent persuadés de la nécessité d’une spéculation « utile » qui, dans les années 1990, a parfois joué un rôle stabilisateur. Ils refusent cependant d’admettre que certaines pratiques de la spéculation sur les denrées alimentaires ont depuis lors complètement modifié la nature et l’impact de cette dernière. On pense ici notamment au négoce des dérivés par les banques et les plateformes commerciales qui, grâce à l’informatique, peuvent réaliser des milliers de transactions par seconde.

Cinq propositions pour re-réguler

Pour Alliance Sud, la re-régulation de la spéculation sur les denrées alimentaires constitue, dès lors, une mesure vitale pour garantir l’alimentation de tous les êtres humains. Alliance Sud défend cinq propositions :

  1. Le commerce extra-boursier des dérivés doit se faire seulement sous surveillance, pour créer une transparence totale pour tous les acteurs et les autorités de surveillance.

  2. Les spéculateurs doivent être soumis à des limites de position – cela veut dire que leur part du volume du négoce ne doit pas dépasser un certain pourcentage (par exemple 15%). Les limites de position étaient l’instrument de régulation le plus important jusqu’à la fin des années 1990.

  3. Le commerce à haute fréquence devrait être au moins limité, sinon interdit. 

  4. A partir d’un certain niveau de fluctuation des prix, le négoce devrait être interrompu par les plateformes commerciales. De plus, il convient d’examiner l’introduction d’une taxe graduelle sur les transactions, qui pourrait augmenter à partir de certains niveaux de prix. 

  5. Enfin, il serait opportun de séparer institutionnellement les négociants physiques des spéculateurs.

L’objet de l’initiative reste actuel

En Suisse, le Conseil fédéral veut miser sur l’autorégulation. Les États-Unis et l’Union européenne (UE) ont déjà décidé de limiter la spéculation sur les denrées alimentaires et re-réguler tout le commerce des dérivés. Autrement dit, en matière de régulation, la Suisse a choisi la voie de l’Alleingang.

Pour toutes ces raisons, Alliance Sud a soutenu l’objet de l’initiative populaire de la Jeunesse socialiste (JS) contre la spéculation sur les denrées alimentaires, déposée le 24 mars 2014.

L’initiative, soutenue par le Parti socialiste, les Verts et plusieurs œuvres d’entraide (dont Swissaid et Solidar Suisse), voulait interdire aux instituts financiers et aux gestionnaires de fortune d’investir dans des instruments financiers en rapport avec des matières premières agricoles ou alimentaires.

Campagne animée 

Durant la campagne, Alliance Sud a souligné à quel point la Suisse a peu fait pour restreindre la spéculation financière. « Le Conseil fédéral a raté sa chance de prendre les mesures nécessaires par lui-même ; c’est pourquoi l’initiative contre la spéculation sur les denrées alimentaires est la seule alternative politique possible », s’est notamment insurgé Mark Herkenrath, d’Alliance Sud.

Les initiants ont aussi rappelé que l’ONU exige des mesures pour endiguer la volatilité des prix des aliments, incontrôlable pour l’heure et l’une des causes des émeutes de la faim de 2007 et 2011. « Lorsque vous dépensez près de 80% de votre budget en aliments, même la plus petite augmentation des prix vous précipite dans la faim », s’est indignée Catherine Morand, de Swissaid, l’un des co-initiants.

Un signal à prendre au sérieux

L’initiative, dont les opposants prédisaient un échec cinglant, a été soutenue, le 28 février 2016, par plus de 40% des votants. Cela montre que la spéculation alimentaire préoccupe vivement les citoyens suisses et que le Conseil fédéral devra, tôt ou tard, prendre des mesures qui aillent au-delà d’une foi aveugle en l’autorégulation. Il ne faudrait pas beaucoup : le Conseil fédéral pourrait, par ordonnance, activer des limites de position pour les négociants ayant  leur siège en Suisse. Le Conseil fédéral et le Parlement ont créé les bases nécessaires en adoptant les limites de position dans l’article 118 de la Loi sur l’infrastructure du marché financier.