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Communiqué
Politique d'austérité sans projet : maintenant aussi au détriment de l'Ukraine
12.12.2024, Coopération internationale
Le Conseil des Etats et le Conseil national ont procédé jeudi à des coupes drastiques dans la coopération internationale. Selon le Conseil national la population ukrainienne victime de la guerre devrait également souffrir de ces mesures d'austérité. Le Parlement a perdu sa boussole humanitaire.

Lors de la visite officielle du président ukrainien Volodymyr Selenskyj à Berne en janvier 2024, les parlementaires avaient encore réaffirmé la solidarité de la Suisse.
© Services du Parlement / Monika Flückiger
Ce matin, deux décisions graves ont été prises : le Conseil des Etats veut économiser 71 millions de francs dans le budget de la coopération internationale (CI) pour l'année prochaine. Dans le même temps, le Conseil national a décidé, dans la procédure d'élimination des divergences sur la stratégie de coopération internationale 2025-2028, d'économiser au total 351 millions de francs dans la CI. Sur ce montant, 151 millions doivent être coupés dans la Direction du développement et de la coopération (DDC) et 200 millions dans l'aide à l'Ukraine. Concrètement, cela touche aussi l'aide humanitaire en Ukraine. Cette décision est d'autant plus choquante que le Conseil national veut exclure de l'exercice d'économie le soutien d'entreprises suisses à l'aide à l'Ukraine.
Pour Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, le Parlement a perdu toute perspective : « Le Conseil national préfère attribuer l'argent destiné à l'Ukraine à des entreprises suisses plutôt qu'accorder protection et aide à la population ukrainienne souffrant du froid ».
Alliance Sud demande au Parlement de revenir sur ces coupes dans la suite de l'élimination des divergences.
Pour plus d'informations :
Andreas Missbach, directeur, Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch
Communiqué
Budget 2025 : Hunger Games au Palais fédéral
04.12.2024, Coopération internationale, Financement du développement
Aujourd’hui, le Conseil national a décidé d'économiser un total de 250 millions de francs dans le budget 2025 sur le dos des plus pauvres. Cette décision grave privera des millions de personnes de leurs bases d’existence. Il ne faut pas qu’elle se répète demain dans le cadre de la stratégie de coopération internationale (CI).

Le discours sur l'austérité éclipse tout : le Conseil national décide des coupes dans la coopération internationale, avec de graves conséquences pour les personnes dans les pays les plus pauvres.
© KEYSTONE / Alessandro della Valle
Le Conseil national débattra jeudi de la stratégie CI 2025-2028. À son conseil, la commission des finances propose des coupes d'un montant total d'un milliard de francs. Et ce, même s’il manque déjà 1,5 milliard de francs pour le Sud global en raison du financement de l'Ukraine.
Une réduction des crédits d'engagement d'un montant d'un milliard de francs, combinée à la réallocation déjà décidée pour l'Ukraine, aurait par exemple pour conséquence1
… de priver plus de 60 000 personnes de formation professionnelle et, de cette manière, d’une perspective de vie autonome.
… de priver plus de 19 000 PME d’un capital de démarrage, ce qui fragiliserait l'économie locale.
Pour le développement humain, cela signifierait
… que plus de 120 000 enfants en situation d'urgence ne recevraient plus d'éducation de base.
… que plus de 670 000 personnes auraient moins accès à un approvisionnement en eau potable à un prix abordable.
… que près de 160 000 accouchements ne pourraient plus être effectués par du personnel de santé qualifié. Il en résulterait une augmentation de la mortalité infantile et maternelle.
… que plus de 910 000 personnes de moins pourraient s'adapter aux conséquences du changement climatique, ce qui entraînerait une augmentation de la pauvreté, de la faim et de la migration.
Pour Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, le Conseil national franchit une ligne rouge par cette décision budgétaire : « Seule la mise en œuvre des propositions du Conseil fédéral au cours de la session d'hiver concernant les crédits d'engagement de la stratégie CI 2025 – 2028 et le budget 2025 permettra d'offrir des perspectives d'avenir aux populations des pays les plus pauvres et de sauver des vies d'enfants, de mères et de malades. »
Pour de plus amples informations :
Andreas Missbach, directeur, Alliance Sud,
tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch
Isolda Agazzi, responsable média pour la Suisse romande, Alliance Sud,
tél. +41 22 901 07 82, isolda.agazzi@alliancesud.ch
1 Ces calculs se fondent sur le tableau des résultats 2020-2022 obtenus grâce à l'aide humanitaire, la coopération au développement et la coopération économique au développement, voir Stratégie CI 2025 - 2028, p. 12.
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Entretien avec Achim Steiner, directeur du PNUD
« Si la Suisse recule, elle affaiblit son influence »
27.09.2024, Coopération internationale
Le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) est un partenaire de coopération efficace et apprécié dans le monde entier, affirme son directeur Achim Steiner. Il s'inquiète pourtant du recul du soutien financier de pays comme la Suisse. Entretien mené par Laura Ebneter, Marco Fähndrich et Andreas Missbach

Achim Steiner, directeur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), lors d'une réunion au siège de l'ONU à New York, 2023. © UNDP / Fouad Juez
Monsieur Steiner, vous avez grandi au Brésil comme fils de parents allemands : comment cette double nationalité vous a-t-elle influencé ?
L'expérience de grandir dans différents pays et cultures est très libératrice. Elle m’a donné un moyen de me sentir chez moi partout et de pouvoir travailler n’importe où sur la planète. J'ai également appris à voir le monde selon d’autres perspectives. Beaucoup de choses qui vont mal dans notre monde actuel sont liées au fait que nous ne nous comprenons pas vraiment les uns les autres. Mais lorsque je visite un Etat insulaire du Pacifique ou un Etat des Caraïbes, je réalise immédiatement à quel point la vie y dépend de la politique climatique du reste du monde.
Avant de travailler pour le PNUD, vous étiez directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Comment ces institutions se complètent-elles ?
Le PNUE lance un pont entre la science et la politique ; il façonne les normes internationales. Avec le Protocole de Montréal, le PNUE a permis l'un des succès majeurs de la politique environnementale internationale visant à réparer la couche d'ozone. Le PNUD se concentre sur un autre aspect et aide plus de 170 pays à trouver leur propre voie de développement, tant sur le plan social, économique qu'environnemental. Je m'occupe depuis très longtemps de questions environnementales, et ma nomination à la tête du PNUD a bouclé la boucle : réunir l'environnement et le développement, car le plus grand défi de notre époque est de savoir comment huit milliards de personnes peuvent vivre ensemble de manière durable et pacifique.
Dans son Rapport sur le développement humain 2024, le PNUD constate que les progrès inégaux en matière de développement laissent les plus pauvres de ce monde pour compte — l'inverse de l'objectif de l'Agenda 2030, « ne laisser personne de côté ». Où voyez-vous les plus grands leviers pour éviter que le fossé ne se creuse davantage ?
Sur la toile de fond de la pandémie et des nombreux conflits et crises, le bilan est à première vue décevant. Nous nous étions fixés de grands objectifs avec l'Agenda 2030. Mais comme souvent, on fait des projets et on essuie des revers. Nous ne devons toutefois pas oublier les énormes avancées réalisées au cours des dernières décennies, qui ne sont malheureusement pas perçues de la même manière par le public. En 1995, 16 millions de personnes dans le monde étaient connectées à l'internet. En 2025, plus de 6 milliards de personnes seront connectées, soit plus que l'ensemble de la population mondiale en 1995. L'accès à l'électricité s'est lui aussi massivement amélioré. La coopération internationale y a largement contribué...
… et pourtant, c'est une maigre consolation face aux multiples crises dans le monde.
C'est également vrai. Nous sommes confrontés à une situation où les pays les plus pauvres ont de la peine à rembourser leurs dettes. Le Sri Lanka en est un exemple. Il y a près de 50 Etats qui consacrent plus de 10 % de leur budget national au seul service de la dette. C'est pourquoi nous assistons à des coupes dans l'éducation et la santé pour payer les intérêts ; cela ne peut pas être propice au développement. Et lorsqu'un pays ne peut plus approvisionner sa population en nourriture et en carburant, les gens descendent dans la rue.
C'est justement maintenant qu'il faudrait plus d'investissements. Et pourtant, les pays donateurs réduisent leurs moyens…
Les pays riches de l'OCDE ne consacrent que 0,37 % de leur revenu national brut à la coopération internationale. Au vu des énormes tâches et possibilités de notre époque, je suis très inquiet de constater que nous ne trouvons pas les moyens nécessaires pour travailler, surtout dans les pays donateurs traditionnels. Et ce, bien que nous ayons montré combien nous pouvions accomplir ensemble.
Que demandez-vous au monde politique ?
Les parlementaires doivent mener une discussion honnête sur la coopération internationale et reconnaître que les intérêts nationaux sont de plus en plus protégés dans le contexte mondial. Les gouvernements agissent par opportunisme politique et se détourner des solutions communes est une attitude irréfléchie et, en fin de compte, irresponsable. Prenons le changement climatique : la question n'est plus de savoir s'il existe, mais comment nous pouvons y remédier dans tous les pays. Le fait que nous ne puissions pas présenter ces liens de manière plus claire, que nous continuions à miser sur les énergies fossiles dans de nombreux pays au lieu de promouvoir les énergies renouvelables, est un échec. Tout en sachant qu'entre-temps, des milliers de personnes meurent prématurément chaque année en Suisse, en Allemagne et dans d'autres pays européens à cause de la chaleur.
Le fait que la Suisse réduise elle aussi son engagement est-il perçu au niveau international ?
Il y a encore cinq ans, la Suisse était un modèle en matière de coopération internationale : elle reconnaissait l'importance du multilatéralisme, surtout pour un petit pays. Malheureusement, elle a peu à peu réduit ses contributions au PNUD, même si elle reste un pays donateur de poids. Sans les Nations Unies, la marge de manœuvre des petits pays dans les régions en crise tend vers zéro. Depuis son adhésion à l'ONU, la Suisse a joué un rôle stratégique. Si elle recule, sa réputation et son influence vont également diminuer.
Quel rôle joue la polarisation croissante dans le monde ?
La polarisation empêche la coopération internationale et mène à une impasse. Ma plus grande inquiétude est que le monde se désunisse de plus en plus au lieu de coopérer. L'année dernière, 2 443 milliards de dollars ont été dépensés pour la défense et l'armée. Ce n'est pas seulement un record historique, c'est aussi le signe que la confrontation s'intensifie. Il y a des raisons concrètes à cela, comme la guerre en Ukraine et les conflits au Myanmar ou au Soudan. Mais les problèmes du monde ne peuvent être résolus que si les différents pays trouvent le moyen d’agir ensemble malgré leurs intérêts divergents, que ce soit pour la prévention de la prochaine pandémie, la cybersécurité ou le changement climatique.
Quelles sont les répercussions de la guerre en Ukraine sur le travail du PNUD ?
Contrairement aux instances politiques de l'ONU, comme le Conseil de sécurité, nous avons l'avantage d'être accueillis comme des partenaires dans toutes les nations du monde. Il est étonnant de voir avec quelle confiance on nous reçoit dans les pays partenaires, d'autant plus que nous ne sommes pas une organisation d'un jour. Nous accompagnons certains pays depuis des décennies et ces échanges montrent que la coopération internationale ne doit pas nécessairement être politisée, mais qu’elle est une offre visant à encadrer son propre développement. Je le vis actuellement avec le Bangladesh, où nous avons collaboré pendant des années avec différents gouvernements. Même dans la situation de crise actuelle avec le gouvernement de transition de Muhammad Yunus, la coopération avec le PNUD n'a pas été remise en question. La promesse de l'ONU selon laquelle les pays peuvent compter sur le PNUD pour mettre en œuvre l'idée de coopération internationale de manière très concrète reste un élément positif.
PNUD : au service du développement durable
Le PNUD a été créé en 1965 et opère dans plus de 170 pays et territoires. Son principal mandat est de contribuer à la réalisation des 17 Objectifs de développement durable (ODD). Le PNUD soutient les pays partenaires dans trois domaines essentiels du changement : la transformation structurelle, « ne laisser personne de côté » et la construction de la résilience. Avec des dépenses de 5 milliards de dollars, le PNUD est le plus grand programme de développement des Nations Unies. L'année dernière, la Suisse a mis 89 millions de dollars à sa disposition.
Et pourtant, le PNUD est lui aussi aux prises avec des soucis financiers.
La recherche de sources de financement échouera systématiquement si nous n'avons pas une confiance profonde dans les institutions internationales. Malheureusement, l'ONU se retrouve régulièrement sous le feu des critiques nationales, par exemple sur la question de Gaza. Nous sommes préoccupés par le fait que de nombreux pays recourent à des arguments douteux pour instaurer des relations bilatérales et se retirer du multilatéralisme. La Grande-Bretagne, par exemple, a réduit drastiquement les fonds qu'elle mettait à disposition pour financer les coûts de l'asile sur son territoire. Cela nous a mis en difficulté, car une organisation comme le PNUD a besoin d'un financement de base solide pour agir de manière transparente, efficace et responsable. En 1990 encore, 50 % des fonds étaient des fonds non affectés, librement disponibles, alors qu'aujourd'hui, ils ne représentent que 11 % des recettes. Une telle situation ne peut durer à long terme pour une organisation. Nous perdons ainsi l'une des plateformes essentielles qui, dans un monde sous tension, permet malgré tout de coopérer.
Pourquoi la coopération internationale (CI) a-t-elle perdu en crédibilité au fil des dernières années ?
La CI n'est pas un laboratoire, mais une tentative de trouver des solutions souvent dans des circonstances très difficiles. 50 % du travail se fait dans des régions en crise : Yémen, Afghanistan, Myanmar sont autant de régions à haut risque où nous tentons de sauver des vies. Le fait que tout ne se déroule pas toujours comme prévu, voire que quelque chose se passe mal, est tout simplement une réalité. Malheureusement, les donateurs sont très peu enclins à supporter les revers.
Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles la coopération au développement est régulièrement confrontée à de fausses déclarations et à des exigences trop élevées ?
Il y a malheureusement une offensive concertée contre la CI, des Etats-Unis aux pays germanophones en passant par la Scandinavie. Il s'agit d'une campagne politique qui tente de délégitimer la coopération internationale dans des contextes nationaux, par exemple les pistes cyclables soutenues par l'Allemagne au Pérou, qui ont été largement médiatisées. Ces exemples brouillent la vision, mais il est aussi de notre devoir de mieux faire connaître notre travail et de le rendre plus compréhensible.
Avez-vous un message positif à transmettre en guise de conclusion ?
Chaque année, les Nations Unies fournissent une aide alimentaire à quelque 115 millions de personnes par le biais de leur Programme alimentaire mondial (PAM). Cet effort n'est possible que grâce au courage, à la solidarité internationale et à l'engagement de notre personnel et de nos partenaires sur le terrain.

Achim Steiner
Né en 1961, Achim Steiner a grandi au Brésil et en Allemagne et a étudié la philosophie, la politique et l'économie à l'Université d'Oxford. Il a obtenu un master en économie et en planification régionale à l'Université de Londres. Il a également effectué des séjours d'études à l'Institut allemand pour la politique de développement (DIE) à Berlin et à la Harvard Business School.
Achim Steiner a été directeur de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et a travaillé pour la société allemande de coopération internationale (GIZ). Entre 2006 et 2016, il a dirigé le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) à Nairobi ainsi que le siège de l'ONU dans cette ville (ONUN). Depuis mai 2017, Achim Steiner est directeur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) à New York. En 2021, il a été confirmé par l'Assemblée générale des Nations Unies pour un deuxième mandat de quatre ans à la tête du PNUD.
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Transition politique au Bangladesh
Imagine : c’est la révolution et personne ne regarde !
03.10.2024, Coopération internationale
C'est précisément ce qui se passe depuis juillet et cela ne concerne pas n'importe quel pays, mais le huitième le plus peuplé du monde. À quelques exceptions près, le succès du soulèvement des jeunes au Bangladesh et l'expulsion de l'autocrate Sheikh Hasina vers l'Inde n'ont pas été relayés par les médias locaux.

Un mois après le changement de pouvoir, des milliers de personnes se rassemblent à nouveau à Dhaka en septembre. © AP Photo/Rajib Dhar
Dans les débats actuels sur la coopération au développement, il vaut pourtant la peine de s’intéresser de plus près à ce pays prioritaire de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Le Bangladesh a connu une croissance économique spectaculaire, surtout depuis le tournant du millénaire. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant a plus que sextuplé et le pays devance désormais l'Inde et le Pakistan. Le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté (2,15$ par jour) est passé d'un tiers en 2000 à 5,8% en 2023.
Et pourtant le Bangladesh était parti du mauvais pied. Dans les premières années qui ont suivi son indépendance en 1971, le pays a souffert des conséquences de la guerre civile et d'une terrible famine. L'ascension du « cas désespéré » (Henry Kissinger) et de l'Etat fragile au « tigre du Bengale » est volontiers présentée comme un exemple parfait des opportunités offertes par l'intégration au marché mondial. Ou pour le mantra « seuls les investissements étrangers apportent croissance et développement », également populaire au Palais fédéral. En effet, les textiles représentent 85 % des exportations du Bangladesh et l'industrie textile emploie quatre millions de personnes, principalement des femmes. Mais les salaires versés ne suffisent pas pour vivre, a fortiori avec l'inflation actuelle. Et les investissements étrangers ne rapportent qu'un dixième des devises que les migrantes et les migrants envoient dans leur pays d'origine.
Les exportations de textile et le marché mondial sont certes essentiels, mais au mieux la moitié de la bataille. Car la réussite du Bangladesh est aussi celle des ONG locales. Plus des trois quarts des agents de santé au niveau communautaire ne sont pas fournis par le gouvernement, mais par des ONG. La plus grande d'entre elles pourvoit des informations et des services de base à 110 millions de personnes. Elle diagnostique la majorité des nouveaux cas de paludisme et de tuberculose à un stade précoce. « Dans aucun autre pays en développement, les organisations de développement locales créées pour aider les pauvres n’ont une telle incidence », affirme l'économiste du développement Stefan Dercon dans son analyse complète « Gambling on development : Why some countries win and others lose ». Et le Bangladesh est aussi une histoire à succès de la coopération au développement, par exemple du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui « est une offre visant à encadrer son propre développement », dixit son directeur Achim Steiner dans la grande interview publiée dans le présent numéro de « global ».
Le temps presse, car les chaînes d'approvisionnement dans l'industrie textile s’effondrent facilement ; dès le début des troubles estudiantins, des commandes ont déjà été transférées au Cambodge et dans d'autres pays. Mais le dynamisme de la société civile et le soutien de la communauté internationale permettent d'espérer que le pays surmontera la crise.
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Communiqué
Les organisations de développement tirent la sonnette d'alarme dans les villes suisses
09.09.2024, Coopération internationale
La classe politique entend réduire massivement les fonds de la coopération au développement. Une large résistance s'organise contre cette décision. Les organisations suisses de développement entament une tournée nationale avec leur « Alarme solidarité ». Après le départ le 5 septembre, la tournée passera par Genève et Lausanne.

Lors des prochaines sessions d'automne et d'hiver, le Parlement débattra de la stratégie de coopération internationale pour les quatre prochaines années et du budget 2025. Face à la menace de coupes massives dans la coopération au développement, les organisations suisses de développement tirent la sonnette d'alarme et envoient un signal sans équivoque à Berne : non aux coupes claires au détriment de notre tradition humanitaire ! Au lieu de cela, des moyens supplémentaires doivent être mis à disposition pour l’aide cruciale à l'Ukraine, sans tailler dans les programmes existants dans les pays les plus pauvres.
Sur le site Internet de la campagne https://www.alarme-solidarite.ch/, on peut actionner le bouton d'alarme virtuel. Avec une série d'événements sur place, l'« Alarme solidarité » fait désormais également une tournée dans les villes suisses. Les passantes et les passants recevront sur place un complément d’information sur la coopération suisse au développement et pourront déclencher une alarme analogique en direction de Berne.
Les crises humanitaires exigent l'engagement de la Suisse
Dans sa Stratégie de coopération internationale 2025-2028, le Conseil fédéral a prévu 1,5 milliard de francs pour l'aide à l'Ukraine. C'est plus d'argent que ce qui est consacré à la coopération au développement dans toute l'Afrique subsaharienne. Et le Parlement risque même de procéder à des coupes supplémentaires en raison des mesures d’austérité et du réarmement de l'armée. Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, s’indigne : « Cette attaque contre la coopération au développement anéantit des projets établis à long terme et extrêmement efficaces et porte atteinte à la réputation de la Suisse. »
D'innombrables acteurs des milieux politiques et scientifiques et de la société civile partagent ce point de vue, car la faim et la pauvreté augmentent à nouveau sur la planète et les crises humanitaires s'aggravent. Ils soulignent notamment qu'une approche purement militaire de la sécurité est une réponse insuffisante à ces défis mondiaux. Notre pays doit au contraire renforcer sa coopération internationale s’il entend promouvoir efficacement la paix et la stabilité.
Dates de la tournée
- 5.9 – 7.9 : Lucerne
- 12.9 / 14.9 : Zurich
- 16.9 – 17.9 : Berne
- 19.9 / 21.9 : Zurich
- 25.9 : Lausanne
- 2.10 – 3.10 : Genève
- 4.10 – 6.10 : Lugano
- Semaine 41 : ouvert
- Semaine 42 : Saint-Gall
- Semaine 43 : Winterthour
- Semaine 44 : Bâle
- Semaine 45 : ouvert
- Semaine 46 : ouvert
- Semaine 47 : ouvert
- 27.11 / 29.11 : Berne
Vous trouverez une liste actualisée de la tournée de l’« Alarme solidarité » sur
https://www.alarme-solidarite.ch/campagne
Pour de plus amples informations :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud
andreas.missbach@alliancesud.ch, 031 390 93 30
L’« Alarme solidarité » est une campagne d’Alliance Sud, Swissaid, Action de Carême, Helvetas, Caritas, EPER, Solidar Suisse, terre des hommes Suisse, Brücke Le Pont, Biovision, Comundo, Unité et Vivamos Mejor.
Organisations de soutien : Armée du Salut, Frieda, IAMANEH Suisse, Interaction, Vétérinaires sans frontières, Women’s Hope International, Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, cbm mission chrétienne pour les aveugles, Solidarmed, Verein Bethlehem Mission Immensee, OEME-Kommission Bern, Fédération genevoise de coopération, Enfants du monde, Fedevaco, Fondation Village d’enfants Pestalozzi, connexio.
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Communiqué
Aide à l'Ukraine : le Sud global devra financer des entreprises suisses
22.08.2024, Coopération internationale
Le Conseil fédéral a publié aujourd'hui le budget 2025 avec le plan intégré des tâches et des finances 2026-2028. Celui-ci montre clairement ce que l'on pressentait depuis longtemps : la coopération au développement de la Direction du développement et de la coopération (DDC) sera massivement affaiblie, au profit du secteur privé suisse.

Des ouvriers ukrainiens reconstruisent des maisons détruites par les combats près de Kiev. La Suisse veut apporter son aide, mais en détournant les fonds de développement et en privilégiant les entreprises suisses.
© Keystone / EPA / Oleg Petrasyuk
En mai 2024, le Conseil fédéral a présenté au Parlement la Stratégie de coopération internationale (CI) 2025-2028. Le plan financier publié quelques semaines plus tard s'écarte déjà fortement de cette version et prévoit des reports budgétaires massifs. Par rapport au projet de mai, la coopération bilatérale au développement de la DDC disposera de 470 millions de francs en moins pour la période 2025-2028. Cela signifie moins d'argent pour le travail de la DDC dans ses pays prioritaires, par exemple dans les domaines de l'éducation, de la santé ou de l'agriculture.
Cela ne peut s'expliquer que par le fait que ces fonds seront directement affectés au financement du secteur privé suisse dans le cadre de l'aide à l'Ukraine. Ce projet n'était pas encore prévu dans la stratégie CI 2025-2028 publiée ; le Conseil fédéral ne l'a décidé qu'après coup, fin juin.
Il est indéniable que les entreprises suisses jouent et doivent continuer à jouer un rôle très important en Ukraine. Elles peuvent le faire dans le cadre de processus d'achat normaux et d'appels d'offres internationaux. Mais si, en favorisant de manière ciblée les entreprises suisses, on privilégie les exportations depuis la Suisse, cela fausse la concurrence au détriment des entreprises ukrainiennes qui pourraient également fournir ces produits. Or, une économie ukrainienne stable à long terme a besoin d'entreprises fortes, capables d'exporter et de générer ainsi les devises dont elle a urgemment besoin. Seul le renforcement du secteur privé ukrainien, et non son affaiblissement, aidera durablement l'Ukraine.
« Avec ce projet, le Conseil fédéral affaiblit aussi bien le Sud global que l'Ukraine. Cela ne peut pas aller dans le sens d'une coopération internationale solide de la Suisse », déclare Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le Centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement.
Pour plus d‘informations :
Andreas Missbach, directeur d‘ Alliance Sud, Tél. 079 847 86 48, andreas.missbach@alliancesud.ch
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Stratégie 2025-2028
La coopération internationale au bord du gouffre
21.06.2024, Coopération internationale, Financement du développement
À la mi-mai, le Conseil fédéral a adopté le message tant attendu sur la stratégie de coopération internationale (CI) 2025-2028. Dans ce document, il persiste à financer l’aide à l’Ukraine au détriment du Sud global, ignorant ainsi les résultats de la consultation publique.

© Ruedi Widmer
En termes de contenu, le Conseil fédéral se contente de miser sur des thèmes et des stratégies de mise en œuvre éprouvés dans sa stratégie 2025-2028. Ceci dans un monde qui, selon cette stratégie, est plus fragmenté, plus instable et plus imprévisible. Le Conseil fédéral opte donc pour davantage de flexibilité, sa devise du moment. En conférence de presse, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a déclaré que la flexibilité était nécessaire pour faire face aux crises actuelles. Mais en lisant la stratégie de CI, on se rend vite compte que la flexibilité signifie en fait que la totalité de l'aide à l'Ukraine, qui s’élève à 1,5 milliard de francs, proviendra du budget de la coopération internationale et que les montants alloués à d'autres pays et programmes seront donc réduits de manière « flexible ».
Aujourd'hui ici, demain ailleurs
Lors de la conférence de presse du 10 avril sur la conférence de paix au Bürgenstock et l'aide à l'Ukraine, le conseiller fédéral Ignazio Cassis avait déjà parlé d'une réallocation continue des ressources dans la CI. Selon lui, l'affectation des ressources est un processus stratégique et dynamique et non une attitude statique. Une telle approche dynamique peut certes être utile, par exemple dans le cadre de la combinaison (« nexus ») flexible des trois piliers de la CI, à savoir l'aide humanitaire, la coopération au développement et la promotion de la paix. Souvent, les frontières entre ces approches sont de toute façon floues.
Une coopération internationale qui déplace en permanence ses ressources entre divers pays et régions ne peut pas instaurer de partenariats sérieux à long terme. Or, c'est précisément ce dont elle a besoin pour être efficace et efficiente. Il faut de la confiance et un engagement à long terme, des relations établies et maintenues par les programmes de coopération au développement. Ou pour reprendre les mots du conseiller fédéral Cassis lors d'un échange avec des ONG en 2022 :
« fiabilité, confiance et prévisibilité ». Si la CI suisse devient le jouet de considérations géopolitiques, elle manquera des réseaux et du personnel nécessaires sur le terrain. La guerre en Ukraine a marqué un tournant ; mais cela ne doit pas conduire la CI suisse à abandonner ce qu'elle a mis de nombreuses années à construire et à réaliser avec ses pays partenaires.
Une solidarité internationale déficiente
En décidant de financer l'aide à l'Ukraine à partir du budget de la CI, le Conseil fédéral inflige de multiples désaveux. D'une part, il désavoue le Sud global qui, depuis des années, appelle les pays riches à respecter l'objectif reconnu sur la scène internationale de 0,7 % du revenu national brut pour le financement du développement (aide publique au développement, APD). Avec le projet du Conseil fédéral, la Suisse affichera une APD de 0,36 % (hors coûts de l'asile) en 2028. Où est donc la tradition humanitaire si souvent mise en avant quand on a besoin d’elle ?
Et le Conseil fédéral adresse un second désaveu aux organisations, partis et cantons qui ont participé à la consultation. En effet, une majorité écrasante de 75 % d’entre eux, qui ont répondu explicitement à une question dans ce sens, ont déclaré que l'aide à l'Ukraine ne devait pas se faire au détriment d'autres régions et priorités de la CI, comme l'Afrique subsaharienne ou le Moyen-Orient. Aucun parti politique, à l'exception de l'UDC — dont le programme aspire à l’abolition de la coopération au développement —, ne soutient le financement de la reconstruction de l'Ukraine à partir de la CI. Le Parlement n'a malheureusement pas encore trouvé de solutions susceptibles de réunir une majorité sur la manière de mettre en œuvre cette mesure sur la trame des querelles autour des finances fédérales.
Une Suisse peu crédible actionne le frein à l’endettement
Les pays étrangers ne manquent pas de remarquer que la Suisse se repose sur son statut spécial de pays neutre, aussi confortable que lucratif, et qu'elle ne s’implique pas suffisamment dans la lutte défensive de l'Ukraine — que le soutien soit de nature militaire ou humanitaire. Avec un taux d'endettement de 17,8 % du produit intérieur brut la Suisse ne peut pas expliquer de manière crédible sur la scène internationale pourquoi elle ne peut pas fournir de fonds supplémentaires à l'Ukraine. En parallèle, avec leurs propositions de financement pour le réarmement de l’armée et la 13e rente AVS, l’UDC et le PLR alimentent l'idée que notre pays pourrait se désengager totalement de ses obligations internationales.
La Suisse s'isole ainsi de plus en plus et perd toute crédibilité sur la scène internationale. Adieu le rôle de médiateur, adieu la tradition humanitaire et le partenaire fiable. Le Conseil fédéral a bien interprété les signes des temps, mais il a choisi la voie de l'isolement. Seul le Parlement peut donc encore corriger le tir et amorcer un changement de cap pour l'Ukraine et le Sud global.
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Politique de paix en Colombie
Le long chemin vers la « Paz Total »
21.06.2024, Coopération internationale
Voilà deux ans la Colombie a élu pour la première fois un président n'appartenant pas aux anciennes élites. Dans un pays encore largement dominé par les groupes armés, le gouvernement Petro s'est fixé un objectif ambitieux : l’instauration d’une paix totale (Paz total).

À Cucuta, à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, un enfant passe entre des soldats colombiens en patrouille à un poste de contrôle. © Schneyder Mendoza / KEYSTONE / AFP
Swissaid, une organisation membre d'Alliance Sud, a organisé fin mars un déplacement en Colombie pour une délégation de parlementaires de quatre partis. Alliance Sud a pu prendre part à ce voyage lors duquel les nombreuses rencontres avec des ONG suisses, la société civile colombienne, des services gouvernementaux et des membres de l'ambassade de Suisse ont largement porté sur le processus de paix.
L'élection de Gustavo Petro en 2022 a été un événement historique. Pour la première fois, dans la plus ancienne démocratie d'Amérique latine, un homme est arrivé à la tête du pays sans être issu, comme tous ses prédécesseurs, des partis dominants de l'élite et du cercle des 30 familles qui contrôlaient la Colombie. Emprisonné dans les années 80 et soutenu par une large alliance de la société civile, l’ex-guérillero ne dispose toutefois pas de la majorité au Parlement. Que plus de trois millions de personnes aient fui le Venezuela pour se réfugier en Colombie ne facilite pas non plus la tâche de son gouvernement.
Déposer les armes ne suffit pas
En 2016, la Colombie a vécu un autre événement historique : après des années de négociations avec les guérilleros des FARC-EP (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo), un accord de paix a été conclu et 14 000 combattant-e-s (dont 40 % de femmes) ont déposé leurs armes. Mais cela n'a pas suffi à ramener le calme : la mise en œuvre de la paix avec les FARC-EP est semée d’embûches, et les groupes armés continuent de contrôler une grande partie du pays. Le slogan « Paz Total » lancé par Petro et défendu avec enthousiasme par les représentant-e-s du gouvernement et de la société civile est plus qu'ambitieux. Mais il touche le point crucial : il ne peut y avoir de paix durable sans une paix qui englobe aussi le développement économique et social de l'arrière-pays, totalement négligé, et une société civile qui puisse agir à l’abri des menaces de mort et des attentats.
Malheureusement, une mauvaise direction est prise dans de nombreuses régions et la violence armée reprend de plus belle. Les raisons en sont multiples : l'État n'a pas pu combler le vide laissé en maints endroits par les FARC-EP au moment de la démilitarisation. Les FARC ont connu des dissidences et d'autres groupes ont pris le relais. Le désarmement des paramilitaires, qui luttaient contre les guérillas et la population dans l'intérêt des grands propriétaires terriens et avec le soutien de l'armée, n'a pas vraiment eu lieu. Et il faut bien sûr mentionner le pire fléau de la Colombie et de ses pays voisins : la cocaïne. Les cartels mexicains de la drogue contrôlent désormais une grande partie de la « chaîne d'approvisionnement ». Les frontières entre les paramilitaires et les armées des cartels sont tout aussi floues que celles avec certains groupes de guérilla.

Un proche d’une victime du conflit colombien remet l’urne contenant ses cendres à un fossoyeur dans le cimetière de Dabeiba, dans le département d’Antioquia. © Joaquin Sarmiento / KEYSTONE / AFP
Le rôle de la Suisse
Les négociations de paix avec les groupes armés sont un volet clé de l'agenda de l’instauration d’une paix totale. La Suisse est active en Colombie depuis 1998, ces dernières années avec les trois « bras » de la coopération internationale : la DDC, le SECO et la division Paix et droits humains (DPDH). Depuis 2022, le gouvernement Petro mène des négociations avec le groupe rebelle ELN (Ejército de Liberación Nacional) et depuis 2023 avec l'EMC FARC-EP (Estado Mayor Central de las FARC-EP), une branche dissidente des FARC qui n'avait pas participé à la paix de 2016. Dans le processus de paix avec l'ELN, la Suisse est un État accompagnateur, dans le cas de l'EMC FARC-EP un État garant, à chaque fois avec d'autres pays européens et, comme le nom l'indique, avec une intensité supérieure dans le cas de l'EMC FARC-EP.
Dans l’un et l’autre cas, la Suisse est présente lors des négociations et conseille les parties sur les thèmes de la conception du processus, du cessez-le-feu, des mécanismes participatifs, de la communication, du traitement du passé ainsi que de la protection de la population civile selon les indications de la DPDH. Vu la difficulté d’appliquer l'accord de paix avec les FARC-EP, qui comportait plus de 500 points particuliers, il est cette fois prévu de négocier des accords partiels qui pourront être mis en œuvre séparément. De même, les négociations ne seront pas centralisées à l'étranger, mais décentralisées dans les régions concernées, ce qui promet une participation élargie.
L'un des obstacles majeurs aux négociations actuelles réside justement dans le fait que l'accord de paix de 2016 n'est pas entièrement appliqué. On peut comprendre que les guérilleros à la table des négociations soient attentifs à ce fait et peu désireux d’en arriver au même point. Les mesures des réformes dans les zones rurales sont les moins appliquées ; seules 7 % y sont entièrement réalisées et 18 % partiellement. Cela montre que les mesures classiques de la coopération au développement sont cruciales pour la pérennité de la promotion de la paix.
Le retrait de la DDC d'Amérique latine affaiblit l'engagement en Colombie, même si la Suisse reste présente dans l'aide humanitaire et avec la DPDH. En 2021, il y avait encore plus d'argent à disposition pour la coopération bilatérale de la DDC que pour les activités de la DPDH. Dans l’ensemble, le soutien a chuté de 33 millions (2021) à 20 millions de francs (2023), le montant n'a légèrement augmenté que pour la DPDH. Le SECO vise aussi un retrait complet d'ici 2028. À la place, le Maroc deviendra un nouveau pays prioritaire, ce qui est « en cohérence avec le renforcement de la concentration géographique et permet la transition vers d’autres instruments de politique économique extérieure », peut-on lire à ce sujet de manière éloquente dans le projet de stratégie de la CI pour 2025 – 2028.
On peut se demander si la Suisse sera en mesure de continuer à jouer son rôle clé même avec moins de moyens — les répercussions des nouvelles coupes prévues du fait du transfert de fonds de la CI vers l'Ukraine ne doivent pas être sous-estimées. Les projets que Swissaid et d'autres ONG suisses mènent pour renforcer la société civile et le développement rural en Colombie sont donc d'autant plus importants.
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Opinion
La fable du manque d’efficacité
19.06.2024, Coopération internationale
L’efficacité des projets de développement est régulièrement mise en doute. Un coup d’œil sur le nouveau rapport d’activité de la DDC, du Seco et de la division Paix et droits de l’homme dissipe rapidement les doutes: les mesures évaluées affichent un taux de réussite global de 80%. Un résultat remarquable au vu des crises qui secouent le monde et de la situation difficile dans de nombreux pays prioritaires. Patrik Berlinger et Bernd Steimann

Lors de la session d'été, la coopération internationale a été massivement attaquée, souvent à l'aide de chiffres sélectifs et d'argumentations irresponsables, par exemple par le conseiller aux Etats Werner Salzmann (UDC). © KEYSTONE / Alessandro della Valle
Article invité de Patrik Berlinger, chargé de communication politique et Bernd Steimann, coordination de la politique de développement chez Helvetas
Lorsque, le 3 juin 2024, le Conseil des Etats a décidé sur le champ d’économiser deux des onze milliards de francs de la Coopération internationale 2025-2028 (CI) pour augmenter le budget de l’armée, l’argument brandi par le camp bourgeois est que près de la moitié des projets de développement suisses seraient inefficaces. Benjamin Mühlemann, du PLR, a déclaré avec désinvolture: «Il y a certainement des projets importants en cours, mais il y en a aussi dont on peut critiquer l’efficacité».
Le dernier rapport d’activité de la Confédération sur la stratégie CI 2021-2024 contient de nombreux chiffres. Choisir uniquement celui qui permet de faire les gros titres relève de la polémique. Il est vrai que, selon le rapport, seuls 55% des projets de la DDC et du Seco ont un «impact durable». Mais ce n’est qu’une demi-vérité, voire un sixième de la vérité. En effet, conformément aux normes internationales, les évaluateurs et évaluatrices ne mesurent pas les projets de développement uniquement en fonction de leur «durabilité», mais aussi de cinq autres dimensions. Il en ressort que: premièrement, 86% des projets et programmes font une différence mesurable («impact»); deuxièmement, 85% de toutes les interventions examinées atteignent leurs objectifs («efficacité»); troisièmement, 97% des mesures sont adaptées aux besoins et aux priorités des bénéficiaires, des organisations partenaires et du pays concerné («pertinence»). Quatrièmement, les mesures fournissent des résultats de manière peu coûteuse et opportune dans 73% des cas («efficience») et, cinquièmement, les projets sont bien coordonnés avec d’autres interventions dans un pays ou un secteur dans 85% des cas («cohérence»).
Même si la qualité des évaluations peut être remise en question en raison de méthodes d’enquête hétérogènes et parfois pas totalement transparentes, les données fournissent un point de repère pour un débat documenté. Certes, la CI est déjà aujourd’hui, par rapport à d’autres domaines comme l’agriculture, l’éducation ou l’armée, le domaine le plus scruté en termes de mesures et de documentation publique. Mais il existe toujours un potentiel d’amélioration. C’est pourquoi le suivi et l’évaluation des projets doivent être développés dans trois domaines: améliorer la disponibilité des données, moderniser le traitement des données grâce à la numérisation et améliorer la consultation et la communication des résultats de développement.
Globalement, un taux de réussite tout à fait honorable de 80%
Pour toutes les dimensions, à l’exception de la «durabilité», le taux de réussite se situe donc entre 73% et 97%. Dans l’ensemble, l’analyse transversale de 80 à 100 évaluations externes annuelles de projets, programmes nationaux et portefeuilles thématiques complets indique un taux de réussite de 80% – une valeur incontestablement très acceptable compte tenu du contexte difficile dans lequel les programmes de développement, les interventions de promotion de la paix et les mesures de promotion économique sont mis en œuvre.
Il ne fait aucun doute que le faible taux de «durabilité» est insatisfaisant. Il y a toutefois plusieurs explications à cela: les interventions examinées ont eu lieu dans une phase marquée par des crises et des bouleversements politiques dans de nombreux pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger, ainsi que l’Afghanistan, le Soudan et le Myanmar. Dans le même temps, la dévastation climatique croissante, la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine ont déclenché une polycrise: les crises qui se chevauchent ont fait augmenter le coût de la vie, les inégalités et la dette publique et ont aggravé l’insécurité alimentaire, la situation des droits humains et les mouvements migratoires involontaires dans de nombreux pays partenaires.
De nombreuses réalisations concrètes grâce à la CI
Malgré les crises secouant actuellement le monde et la situation parfois très difficile dans de nombreux pays prioritaires, la CI suisse a enregistré entre 2020-2022 d’importants succès, comme en témoigne ce rapport d'activité. En matière de «développement économique», plus de 50'000 membres du personnel des administrations financières ont été formés à travers le monde et près de 900 communes dans 19 pays partenaires ont été soutenues dans la mobilisation de recettes fiscales supplémentaires. La qualité de vie de plus de 12 millions de personnes réparties dans 237 villes s’est améliorée grâce au développement durable d’espaces urbains et d’infrastructures. Des milliers d'emplois ont pu être créés et de nombreux pays ont été soutenus dans leurs réformes juridiques et réglementaires, permettant à près de 400'000 PME d'accéder à des financements. Dans le volet «environnement», la coopération au développement a permis à plus de 16 millions de personnes de s'adapter au changement climatique – par exemple par le biais d'une agriculture agroécologique, d'une gestion adaptée des forêts et des régions de montagne ou encore d'une meilleure gestion des risques de catastrophe. En outre, près de 20 millions de personnes ont eu accès à des énergies renouvelables sous forme de chauffage urbain, de biomasse et de photovoltaïque.
Dans le domaine «développement humain», les contributions de la DDC ont permis au CICR, au HCR et au Programme alimentaire mondial de fournir une aide humanitaire à un million de personnes en Ukraine, à plus d'un million en Afghanistan et à plus d'un demi-million au Soudan. En outre, cinq millions de personnes ont été sensibilisées à la prévention de maladies non transmissibles et 1,6 million d'enfants ont eu accès à l'enseignement primaire ou secondaire. Enfin, dans le domaine «paix et gouvernance», la CI suisse a joué un rôle déterminant dans 21 processus de paix, notamment en Colombie et au Kosovo, et a négocié des accords de cessez-le-feu dans sept pays. Dans d'innombrables pays, la Suisse a mis en œuvre des mesures de lutte contre la corruption, encouragé des administrations à être transparentes et responsables et soutenu la participation politique de la société civile.
Une autre affirmation ne résiste pas à l’examen
A l’occasion de la décision du Conseil des Etats du 3 juin 2024 d’économiser deux des onze milliards de francs de la Coopération internationale 2025-2028 (CI) au profit de l’armée, Lars Guggisberg de l’UDC a affirmé: «L’aide au développement a massivement augmenté. Elle a été multipliée par trois et demi ces dernières années». Les chiffres officiels sur l’évolution de la CI montrent une autre image: l’aide publique au développement (APD) est passée d’environ 2,8 à 3,4 milliards de francs au cours des dix dernières années.
Les dépenses de développement sont même en baisse par rapport au PIB – ce que l’on appelle le taux d’APD: selon l’état actuel de la stratégie CI 2025-2028, qui devrait être adoptée par le Parlement à l’hiver 2024, le taux d’APD (sans tenir compte des dépenses d’asile en Suisse) s’élèvera à 0,36 % à l’avenir. Depuis 2014, le taux d’APD a enregistré ses valeurs les plus élevées en 2020 et 2021, avec 0,45% à chaque fois. Avec la proposition du Conseil des États de transférer 500 millions par an de la CI à l’armée, ce taux passerait même, selon toute vraisemblance, sous la barre des 0,3% – et donc sous la valeur moyenne de tous les pays donateurs de l’OCDE (0,37% en 2023). Une valeur honteusement basse pour la Suisse, pays prospère et «humanitaire». Elle perdrait complètement de vue l’objectif de l’ONU de 0,7%, qui a été confirmé par l’Agenda 2030 pour le développement durable.
Non seulement la CI n’a pas augmenté par rapport à la puissance économique suisse (PIB). L’efficacité de la CI est également bien meilleure que ce que certains politiciens aiment à répéter. Le Parlement et le Conseil fédéral devraient donc se rappeler que si l’on veut améliorer la sécurité et la stabilité dans notre pays et en Europe, la Suisse ne doit pas seulement envisager de s’armer à l’intérieur du pays, mais elle doit continuer à investir dans la coopération internationale. Concrètement, ce sont la promotion civile de la paix et le renforcement des droits humains, les programmes de développement à long terme et l’aide humanitaire, les mesures de protection du climat et d’adaptation, ainsi que le développement durable et le renforcement de l’économie locale dans les pays plus pauvres.
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Reportage en Bolivie
Le dernier souffle
03.05.2024, Coopération internationale
La coopération bilatérale au développement de la Suisse se retire d'Amérique latine après plus de 60 ans. Dans leur reportage en Bolivie, Malte Seiwerth et Rodrigo Salinas reviennent sur un partenariat réussi. Le Conseil fédéral a annulé le transfert des fonds promis vers l'Afrique subsaharienne, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient et veut financer en partie la reconstruction de l'Ukraine en se retirant d'Amérique latine. Seul le Parlement peut encore l'empêcher.

La pandémie a causé 22 000 morts en Bolivie, notamment en raison du manque d'appareils respiratoires. Fabio Díaz et son équipe ont finalement réussi la percée espérée : une machine fabriquée en Bolivie et pour la Bolivie. © Rodrigo Salinas
Malte Seiwerth (texte), Rodrigo Salinas (photos)
Fabio Díaz sort fièrement de son carton un dernier exemplaire de son appareil. Appelé « mambú » (Mechatronic Ambulatory Medical Breathing Unit, MAMBU), le petit respirateur ressemble à un robuste kit de construction. Un tampon portant sur le carton l'inscription « hecho en Bolivia » — « fabriqué en Bolivie » — complète les logos des entreprises et de l'université catholique San Pablo de La Paz qui ont fabriqué la machine, une production entièrement bolivienne.
L’expression du visage de Fabio Díaz passe de la fierté à l’épuisement tandis qu'il retrace le développement du respirateur. Il dirige le domaine de l’ingénierie mécatronique à l'université. Selon lui, « sans l'aide de la Suisse, le mambú n'aurait pas vu le jour ». En effet, le développement et la distribution ultérieure aux services de soins ont été financés en grande partie par l'ambassade helvétique dans le cadre de la coopération bilatérale au développement.
Disons que nous avons fait un travail de pionnier.
Fabio Díaz, mécatronicien et concepteur du respirateur « mambú »
Le projet était l’un des derniers à être financé par la coopération bilatérale de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Après 54 ans, la DDC met définitivement fin cette année à ses projets de développement en Amérique latine et donc à ses activités en Bolivie. Un éclairage sur ce qu'elle a fait pendant la pandémie montre l'importance de son travail et la façon dont elle quitte le pays après plus d'un demi-siècle.

À l'université San Pablo de La Paz, les ingénieurs ont développé une alternative bon marché, de fabrication locale et facile à utiliser aux respirateurs complexes. © Rodrigo Salinas
Un contexte difficile durant la pandémie
À l'hôpital universitaire de La Paz, seule l’obligation du port du masque rappelle la pandémie, qui a causé jusqu'à présent près de 22 000 décès en Bolivie. Le jeune médecin Marcelo Alfaro travaillait alors quotidiennement aux soins intensifs ; le regard triste, il confie : « Certains ont vécu la guerre au Vietnam ou la Seconde Guerre mondiale. Pour nous, médicalement parlant, la pandémie était quelque chose de similaire ». Il a été chaque jour témoin du décès de personnes par manque de ressources. « Nous n'avions presque pas de matériel et devions constamment improviser », se souvient Fabio Díaz.
Durant la première année de la pandémie, le pays était également plongé dans une profonde crise politique. Après les élections de 2019, au cours desquelles, selon les résultats officiels, le président de longue date Evo Morales a été réélu, des allégations de fraude électorale ont émergé. L'opposition de droite a installé sa propre présidente, Jeanine Añez, qui s'est fait remettre l’écharpe présidentielle par les militaires. Bible à la main, Añez a proclamé la « fin du marxisme » en Bolivie et a donné carte blanche aux forces de sécurité pour réprimer les protestations par la violence.
Avant que l'élection de Luis Arce en octobre 2020 a permis à un président démocratiquement élu de reprendre le pouvoir, quatre ministres de la santé se sont succédé la même année. Le gouvernement de transition d'Añez semblait incapable de réagir de manière adéquate à la pandémie. Ainsi, il a certes acheté des respirateurs à l'étranger, mais des allégations de corruption ont fait que les appareils n'ont jamais été utilisés.
Les dons étrangers ont certes permis de remédier à la situation, mais certains n'étaient pas adaptés à la réalité bolivienne, explique Marcelo Alfaro : « Nous avons reçu des machines que beaucoup ne savaient pas utiliser et des équipements techniques qui n'étaient pas compatibles avec ceux dont nous disposions ».

Le médecin Marcelo Alfaro a vu tous les jours des personnes mourir en raison d'un manque de ressources dans l'unité de soins intensifs. © Rodrigo Salinas
Face à cette situation, une petite équipe autour du mécatronicien Fabio Díaz s'est attelée à la réalisation d'une solution bolivienne. Jour et nuit, ils ont occupé des salles vides de l’université et bricolaient. Leur objectif ? Une machine bon marché, fabriquée si possible avec des pièces locales et facile à utiliser.
Solution dans l’urgence
Mais au début, le respirateur mambú souffrait d’un manque de financement ; l'équipe a finalement trouvé l’argent auprès de Swisscontact et de l'ambassade de Suisse. Sandra Nisttahusz et Franz Miralles travaillent dans le bureau de l'organisation de développement à La Paz, soutenue par le secteur privé helvétique. Sandra Nisttahusz dirige le projet des marchés inclusifs. L’objectif est de promouvoir des initiatives qui améliorent à long terme les conditions de vie de la population rurale et lui offrent de meilleures perspectives économiques afin qu'elle puisse vivre dignement de l'agriculture.
Sans l'aide de la Suisse, le respirateur mambú n'aurait pas vu le jour.
Fabio Díaz, mécatronicien et concepteur du respirateur « mambú »
Le projet dure depuis plus d’une décennie et a été soutenu par la DDC à hauteur de près de dix millions de francs jusqu'à fin 2023. En Bolivie, Swisscontact est l'une des trois ONG, avec Helvetas et Solidar Suisse, à avoir reçu le plus d'argent de la DDC. Selon son rapport financier pour l'année 2022, Swisscontact a reçu près de 62 millions de francs suisses de la Confédération. De loin le plus gros montant qu’une organisation de développement ait reçu.
Pendant la pandémie et le confinement, de nombreux projets n'ont cependant pas pu voir le jour, tandis que la population rurale a particulièrement souffert du Covid. « Quand les traitements faisaient défaut en ville, il n'y en avait tout simplement pas à la campagne », explique Sandra Nisttahusz.
Elle a pris contact avec l'ambassade, qui a accepté de mettre à disposition des fonds supplémentaires. Au total, Swisscontact a versé près de 100 000 francs suisses pour le développement de quelque 80 respirateurs mambús et leur distribution à des centres de santé essentiellement ruraux. Le prix de production d'un seul respirateur avoisinait 1 000 francs suisses — les respirateurs classiques coûtent jusqu'à 50 fois plus cher.

La coopération bilatérale au développement de la Suisse a été décisive dans le financement du respirateur Mambú. © Rodrigo Salinas
Swisscontact s'est occupé de la distribution des mambús et a encouragé leur homologation par les autorités. En collaboration avec le médecin Marcelo Alfaro, l'équipe de Fabio Díaz a continué à développer l’appareil respiratoire. L'équipe s'est aussi attelée à la formation technique du personnel médical sur l'appareil. Pour ce faire, le mécatronicien Fabio Díaz a visité divers centres de santé. Il témoigne : « Nous avons vu de nombreux respirateurs complexes inutilisés, car personne ne savait comment les utiliser. »
Les problèmes structurels demeurent
C’est donc une histoire d'industrialisation locale réussie ? Réponse de Diaz : « Disons que nous avons fait un travail de pionnier. » Le mambú a été la première technologie médicale à être développée et fabriquée en Bolivie. En particulier, les autorités n'y étaient pas préparées. Aucun protocole n’avait été mis en place pour autoriser un tel appareil.
Depuis, Díaz travaille à faire homologuer un respirateur plus sophistiqué — ce serait une grande avancée dans le développement de la production nationale. Un objectif économique constant, car la balance commerciale bolivienne affiche des résultats négatifs et les dollars manquent dans le pays. Mais cela fait maintenant plus de deux ans que le groupe attend, sans justification, l'autorisation de lancer la prochaine phase de test.
Désabusé, Fabio Díaz explique : « Bien trop souvent, des postes importants sont échangés, ce qui empêche une collaboration continue. Notre culture a intégré l’idée que les projets initiés par les prédécesseurs ne doivent pas être mis en œuvre, même s'ils sont bons. »
Díaz en est donc convaincu : « L'aide d'autres pays nous permet aujourd'hui de vivre le changement. On peut le voir surtout dans les zones rurales. Si des offres technologiques sont proposées, c'est grâce aux acteurs étrangers, et non au gouvernement bolivien. »
« Sortie responsable » de l'Amérique latine
Pourtant, dans le cas de la Suisse, c'est justement cette coopération qui prendra fin sur le plan opérationnel cette année, une décision qui avait déjà été annoncée en 2019. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) justifie ce choix par les chiffres économiques d'avant la pandémie, lorsque de nombreux pays — dont la Bolivie — ont connu un développement positif et se sont élevés au rang de pays à revenu intermédiaire.
En outre, il ressort de la Stratégie Amériques 2022-2025 du DFAE que l'Amérique latine ne constitue pas une région prioritaire de la politique étrangère suisse. L’accent est donc mis sur une « sortie responsable » de la coopération bilatérale au développement d'ici fin 2024 et, dans un premier temps, également sur la fermeture de l'ambassade à La Paz.
Malheureusement, de nombreux pays européens nous tournent le dos.
Martín Peréz, directeur de Solidar Suisse en Bolivie
Toutes les organisations de développement suisses en Bolivie sont touchées. Swisscontact diversifie donc ses partenaires de projet. Le projet des marchés inclusifs est par exemple soutenu par la coopération au développement suédoise jusqu'à fin 2026, d'autres nouveaux projets démarrent actuellement avec le financement des villes de Zurich et Genève. Toutefois, le budget des nouveaux projets est considérablement réduit, raison pour laquelle la continuité de Swisscontact sous la même forme n'est pas encore assurée.
De son côté, l'organisation de développement Solidar Suisse est un peu plus optimiste. Le petit bâtiment administratif de l'organisation se trouve non loin de l'ambassade suisse à La Paz. Des affiches sur les droits humains et des photos de travailleurs des mines et de la population rurale sont accrochées aux murs. Martín Peréz, directeur de Solidar Suisse à La Paz, estime que l'organisation continuera à être active en Bolivie, mais il est certain, en raison de la diminution des ressources, que « pour l'avenir, il faudra davantage de coopération entre les différentes ONG suisses et non suisses pour mener à bien des projets communs. »

Martín Peréz, directeur de Solidar Suisse en Bolivie, regrette que la Suisse tourne le dos à l'Amérique latine, car elle a accompagné des réformes décisives. © Rodrigo Salinas
Martin Peréz estime positives les différentes initiatives des organisations suisses de développement en Bolivie : « Nombre d’institutions publiques et privées tentent de résoudre les problèmes sociaux, mais ceux-ci se sont complexifiés au fil du temps. Par conséquent, la participation et la promotion d'un secteur privé qui s'engage avec cohérence et transparence dans les questions sociales et environnementales est un élément clé pour développer la société. »
En Bolivie, Solidar Suisse travaille surtout au renforcement des organisations de la société civile, comme les syndicats, et à la mise en place d’initiatives visant à renforcer les droits des femmes.
« La Suisse a joué un rôle crucial et respectueux dans l’accompagnement de réformes centrales en Bolivie, comme la décentralisation de l'État, la mise en œuvre de lois donnant plus de droits aux femmes et la nouvelle Constitution », affirme Peréz. Il regrette donc le peu d'intérêt de la Suisse pour l'Amérique latine. « Malheureusement, de nombreux pays européens nous tournent le dos ». Il ajoute que cette attitude comporte le risque d'interventions de pays moins regardants en termes de respect des droits humains.
Le réseau extérieur est d'une importance capitale pour la Suisse et la représentation de ses intérêts.
Edita Vokral, l'ambassadrice suisse en Bolivie
Pendant ce temps, l'ambassadrice suisse Edita Vokral est assise dans le bâtiment de l'ambassade, qui ressemble à un énorme bloc de bois rouge. Elle est visiblement heureuse du maintien de l'ambassade et explique cette décision par le fait que « le réseau extérieur est d'une importance capitale pour la Suisse et la représentation de ses intérêts ».

L'ambassadrice Edita Vokral défend le retrait de l'Amérique latine. © Rodrigo Salinas
Mais elle défend l’arrêt de la coopération bilatérale. Outre le développement économique, la région a changé sur le plan politique, estime Edita Vokral. Selon elle toujours, l’Amérique latine ne veut plus seulement recevoir de l'aide au développement. Les gouvernements entendent suivre leur propre voie.
Le sous-continent serait ainsi prêt à recevoir d'autres moyens de coopération, comme la coopération économique et les initiatives du secteur privé, ainsi que le soutien d'organisations non gouvernementales de développement. La DDC continuerait par ailleurs à financer des initiatives régionales dans les domaines de l'eau, du changement climatique et de l'environnement ainsi que de l'aide humanitaire.
Lorsque le dernier rapport interne sur le travail de la DDC en Bolivie sera achevé cette année, une forme de coopération au développement prendra fin, malgré toutes les déclarations sur la poursuite de certaines initiatives dans la région andine. Celle qui a réussi à mener un travail de construction de longue haleine, au-delà de gouvernements politiquement opposés et de problèmes graves. Désormais, la coopération au développement doit réagir à des problèmes plus pressants, comme en Ukraine. Il n'est toutefois pas certain que les mêmes objectifs à long terme puissent être atteints.
Malte Seiwerth est historien et journaliste. Il a étudié l'histoire à l'Universidad de Chile et les études d'Amérique latine à l'Université de Berne. Il fait partie du réseau international de correspondants Weltreporter, vit à Santiago du Chili et travaille comme journaliste pour des médias germanophones tels que la Wochenzeitung, la Neue Zürcher Zeitung et la Frankfurter Rundschau.
Rodrigo Salinas est photographe et réalisateur de documentaires chilien. En tant que réalisateur de documentaires, il a travaillé pour différentes sociétés de production latino-américaines et européennes et a réalisé des films sur des thèmes historiques et des mouvements sociaux actuels. Il travaille actuellement comme documentariste dans le cadre d'un programme d'histoire publique au ministère chilien de la Culture et comme photographe pour des médias germanophones.
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