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Communiqué
Budget 2025 : politique financière sur le dos des plus pauvres
13.11.2024, Financement du développement
Dans le cadre du budget 2025, la Commission des finances du Conseil national entend économiser 250 millions au total dans la coopération internationale (CI). Conjuguée avec la redistribution déjà prévue des fonds à l'Ukraine, cette mesure aurait pour conséquence de retirer un quart des ressources des programmes et projets existants.

Sarah Wyss, conseillère nationale PS et présidente de la commission des finances du Conseil national, informe les médias des décisions de la commission en compagnie du vice-président de la commission, le conseiller national UDC Jacquet Nicolet. © Keystone / Anthony Anex
La semaine dernière encore, la Commission de politique extérieure du Conseil national s'était clairement prononcée contre des coupes dans les crédits d'engagement de la stratégie de coopération internationale 2025-2028. La Commission des finances s'est à nouveau écartée de cette ligne ; elle soutient des coupes de 250 millions de francs dans le budget 2025. Et ce, même si les crédits d'engagement de la stratégie CI 2025-2028 doivent déjà absorber le financement au bénéfice de l'Ukraine, à hauteur de 1,5 milliard de francs.
Pour Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, la décision de la commission envoie un signal fatal. « Toute réduction supplémentaire sur le dos des plus pauvres remet en question la coopération internationale éprouvée de la Suisse. » Dans son rapport, la commission d'experts Gaillard conclut également que, « en ce qui concerne la coopération internationale, il a déjà fallu effectuer des réductions importantes dans l’aide au développement afin de compenser les fonds supplémentaires prévus par le Conseil fédéral au bénéfice de l’Ukraine ».
Pour de plus amples informations :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud,
tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch
FONDS AFGHAN
« L’économie doit être stabilisée »
01.10.2024, Financement du développement
Alors que des milliards de réserves monétaires afghanes sont gérées à Genève, la population de l’Afghanistan souffre d'une situation économique extrêmement précaire dans le pays. Shah Mehrabi, co-directeur du Fonds afghan, exige désormais des versements ciblés.

La quantité de billets afghans dans le pays varie considérablement. Les vendeurs de billets sont omniprésents à Kaboul. © Keystone/EPA/Samiullah Popal
Trois ans après la prise de pouvoir des Talibans, l’Afghanistan est au bord du gouffre. Les droits des femmes sont largement bafoués : devenues pratiquement invisibles dans l’espace public – les salles de sport, hammams, salons de beauté et parcs leur sont interdits –, elles ne peuvent plus aller à l’école au-delà du niveau primaire et subissent de nombreuses ségrégations sur les lieux de travail. Les médias et l’opposition sont réprimés. La pauvreté touche désormais la moitié de la population et 90 % ne parvient plus à couvrir ses besoins alimentaires de base.
« L'économie se trouve dans une situation très précaire, principalement en raison des restrictions imposées au secteur bancaire, des perturbations des échanges et du commerce, de l'affaiblissement et de l'isolement des institutions publiques et de la quasi-absence d'investissements étrangers et de soutien des donateurs dans des secteurs tels que l'agriculture et l'industrie manufacturière », alertait l’ONU au début de l’année.
Pendant ce temps, des milliards de dollars gérés depuis Genève, par le Fonds afghan, restent inutilisés. L’« Afghan Fund » a été créé il y a deux ans pour gérer les avoirs de la Banque centrale d’Afghanistan (DAB), gelés lors de la prise du pouvoir par les Talibans en août 2021. A ce moment-là, la Federal Reserve Bank de New York détenait 7 milliards USD de la DAB, tandis que 2,1 milliards se trouvaient en Europe et dans d’autres pays. Pour éviter que l’argent déposé aux Etats-Unis ne soit réclamé par les victimes du 11 septembre, Joe Biden a proposé de mettre la moitié en sécurité à l’étranger. 3,5 milliards USD ont été placés sur un compte de la Banque des règlements internationaux, sise à Bâle, et une fondation a été créée à Genève pour les gérer : le Fonds afghan (voir global #87). Son but était de rendre l’argent à la DAB, à des conditions très strictes. Fin juin 2024, les actifs s’élevaient à 3,84 milliards USD, avec les intérêts.
Déflation néfaste
Mais, deux ans après, il n’a toujours pas rendu un centime. Comment cela se fait-il ? « Tout d’abord, il y a un manque de compréhension des règles : cet argent n’est pas destiné à des besoins humanitaires, mais à stabiliser le système financier », nous répond Shah Mehrabi, l’un des deux Afghans qui co-président le Fonds, joint par téléphone aux Etats-Unis. Professeur au Montgomery College du Maryland, il commence par rappeler quelques notions de macro-économie : les réserves de change sont des actifs détenus par les banques centrales en devises étrangères pour garantir la solvabilité d’un pays et influencer la politique monétaire. L'objectif est de les protéger contre une dévaluation rapide de la monnaie nationale. Ces réserves jouent un rôle crucial pour stabiliser les taux de change, renforcer la confiance des citoyens, fournir des liquidités au système bancaire et couvrir les coûts des importations.
« Or, la DAB a signalé que la masse monétaire, c'est-à-dire la quantité de monnaie en circulation, a diminué », ajoute-t-il. « Pourquoi ? L'un des facteurs est le gel de ses réserves. Lorsqu'il y a moins d'argent en circulation, les gens ne peuvent pas acheter, l'activité économique diminue et cela affecte les prix et les taux de change. C'est ce que l'on constate en Afghanistan : les entreprises ne trouvent pas d'argent à investir, ce qui entraîne une diminution de la demande de biens et services. Alors elles baissent les prix toujours plus pour inciter les gens à acheter. La conséquence est une déflation, aussi néfaste pour l’économie que l’inflation. »
Structure solide mise en place
« Nous avons accompli beaucoup de choses », poursuit-il. Quoi donc ? En ce qui concerne la gouvernance, il affirme qu’une structure solide a été mise en place : des statuts ont été adoptés et un conseil d’administration nommé pour rendre compte de la gestion des actifs de manière transparente. Il est composé de lui-même, de Anwar-ul-Haq Ahady, ancien directeur de la DAB et ancien ministre des Finances d’Afghanistan, de Jay Shambaugh, représentant du Trésor américain, et de Alexandra Baumann, ambassadrice de Suisse. Les décisions se prennent à l’unanimité, ce qui veut dire que, de fait, chaque membre a le droit de veto.
Les membres du conseil d’administration ont aussi élaboré une stratégie d'investissement proactive et engagé une société de conseil pour élaborer des mesures de conformité et d'audit. Ce pour lutter contre le blanchiment d’argent et éviter le financement du terrorisme. Ils ont engagé un secrétaire exécutif, mis en place une stratégie de communication et créé un comité consultatif international.
« Décaissements ciblés possibles »
« Les mesures que nous avons prises faisaient partie intégrante des exigences à respecter avant tout décaissement », continue Shah Mehrabi. « Ma position est que les conditions sont maintenant réunies pour effectuer des déboursements ciblés pour stabiliser le taux de change, imprimer des billets de banque et payer les importations. Mais à petites doses car injecter trop d’argent créerait de l’inflation. »
Il ajoute que, malgré des défis importants, l'Afghani [la monnaie nationale] est resté stable, en particulier par rapport au dollar américain, grâce aux politiques monétaires saines de la DAB. Ces politiques comprennent des ventes aux enchères de devises, des contrôles plus stricts sur la contrebande, une augmentation des exportations, des flux d'aide humanitaire et des envois de fonds des travailleurs émigrés. “Toutefois, cette stabilité a également entraîné une déflation due à la baisse des prix mondiaux et à l'appréciation de l'Afghani. Actuellement, le taux de déflation s'élève à -9,2 %, soit une légère amélioration par rapport au taux précédent de -9,7 %. Pour atténuer davantage la déflation, la Banque centrale pourrait être amenée à réduire les ventes aux enchères de dollars et à augmenter la circulation des billets de banque Afghanis”, conclut-il.
Talibans pas reconnus par la communauté internationale
Mais la situation politique est très complexe. La Suisse ouvrira un bureau humanitaire à Kaboul en automne, mais les contacts avec les représentants des talibans resteront purement techniques. Comme le régime actuel n’est pas reconnu par la communauté internationale, les voies juridiques et diplomatiques sont limitées, ce qui complique la capacité à agir. Pourtant la DAB n’est pas sous sanctions internationales. Quant aux Talibans, ils ne reconnaissent pas le Fonds afghan et veulent récupérer leur argent. Pourtant, selon l’économiste, quelque chose a au moins été fait avec les actifs gelés par les Etats-Unis – contrairement aux 2,1 milliards USD gelés par l’UE.
« On ne peut pas laisser le peuple afghan souffrir. Procéder activement à ces décaissements est dans l’intérêt de tout le monde. L’aide humanitaire ne résout pas le problème, il est important de proposer un développement à long terme. Il faut que les donateurs agissent », conclut celui dont le mandat au sein du Fonds afghan a été prolongé de deux ans en septembre, tout comme celui des autres membres du conseil d'administration.
La DDC retourne à Kaboul
Comme la plupart des pays, la Suisse n’est pas près de faire de la coopération au développement à long terme en Afghanistan. Mais elle retourne au moins dans le pays. « La DDC ouvrira un bureau humanitaire à Kaboul à l’automne 2024 », nous indique Alain Clivaz, son porte-parole. « Il prendra ses locaux dans l’ancien bureau de coopération, qui a été fermé en 2021. Le bureau humanitaire sera composé de quatre membres du Corps suisse d'aide humanitaire (CSA) sur place. L'équipe de la DDC est responsable de la mise en œuvre, de l'accompagnement et du suivi des projets financés par la DDC. »
Le porte-parole du DFAE précise que la situation sécuritaire en Afghanistan reste complexe et comporte des risques importants pour toutes les opérations dans le pays. Mais il assure que la DDC suit de près l'évolution de la situation et dispose d'un dispositif de sécurité largement soutenu pour son personnel, ce qui permet ce retour à Kaboul.
« Le bureau de la DDC établit des contacts au niveau technique avec les représentants des Talibans lorsqu’ils sont nécessaires à la mise en œuvre des projets », conclut-il.
Pour Alliance Sud, la présence sur place est importante, mais l’aide humanitaire ne peut à elle seule se substituer à une économie qui fonctionne. La Suisse doit veiller à ce que l’argent géré par l’Afghan Fund soit restitué à la DAB, avec toutes les précautions qui s’imposent. Ce afin que la population afghane ne soit pas punie plusieurs fois : d'une part par un régime répressif et des sanctions et d'autre part de la mise au ban de la communauté internationale.
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Communiqué
Stratégie CI : politique financière sur le dos des plus pauvres
11.10.2024, Financement du développement
La Commission des finances du Conseil national entend réduire d'un milliard de francs le budget de la coopération internationale (CI) pour 2025-2028. Conjuguée avec la redistribution déjà prévue des fonds à l’Ukraine, cette mesure aurait pour conséquence de retirer un quart des ressources annuelles des programmes et projets existants. La mise en œuvre de la stratégie serait ainsi empêchée avant même d'avoir commencé.

© Services du Parlament 3003 Berne
En septembre, le Conseil des États s'était encore prononcé très clairement contre des coupes dans la coopération internationale lors des débats sur la stratégie CI 2025-2028. Les partis bourgeois se sont dès lors écartés de cette ligne ; au sein de la Commission des finances du Conseil national, ils ont soutenu la proposition de réduction annuelle de 250 millions de francs. Et ce, même si les crédits d'engagement de la stratégie CI 2025-2028 doivent déjà absorber le financement au bénéfice de l'Ukraine, à hauteur de 1,5 milliard de francs. Pour Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, la décision de la commission est un coup fatal porté aux plus pauvres. Dans son rapport, la commission d'experts Gaillard en arrive également à la conclusion que, « en ce qui concerne la coopération internationale, il a déjà fallu effectuer des réductions importantes dans l’aide au développement afin de compenser les fonds supplémentaires prévus par le Conseil fédéral au bénéfice de l’Ukraine. »
Dans les semaines à venir, le Parlement devra se pencher sur cette question cruciale : quel rôle la Suisse entend-elle jouer dans le monde ? Le prestige international, le poids dans les instances multilatérales et une place particulière dans la diplomatie ont un coût. Mais cet engagement vaut la peine pour la Suisse à long terme.
Pour de plus amples informations :
Laura Ebneter, experte en coopération internationale
tél. 031 390 93 32, laura.ebneter@alliancesud.ch
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Commentaire
Coopération internationale : le Parlement souffle le chaud et le froid
23.09.2024, Financement du développement
Depuis la session d'été, les débats parlementaires sur la stratégie de coopération internationale (CI) et le message sur l'armée sont étroitement liés et donnent lieu à un imbroglio de chiffres. Que s'est-il passé exactement ? – Explication d'Andreas Missbach

Illustration de la répartition des places dans la salle du Conseil national. Session d'automne 2024.
© Keystone / Peter Schneider
Les dépenses par groupe de tâches comprennent les charges portées au compte de résultats qui ont une incidence sur le frein à l'endettement (dépenses courantes) et la totalité des dépenses d'investissement. Leur ventilation par groupe de tâches indique à quelles fins la Confédération utilise ses ressources financières. (Source : portail des données de la Confédération)
Situation intermédiaire au terme de la session d'automne
Le 11 septembre, lors du traitement de la stratégie CI 2025 - 2028, le Conseil des États a corrigé la décision qu'il avait prise lors du débat sur le message sur l'armée durant la session d'été. Une proposition qui aurait remis en jeu la coupe de 2 milliards a été très clairement rejetée par 31 voix contre 13. Issu du PLR, l'auteur de la proposition n'avait même pas le soutien unanime de ses propres rangs. Une coupe de 800 millions de francs a également été rejetée par 28 voix. Lors des débats, la décision antérieure a été qualifiée de précipitée. Le soupir de soulagement de la Monbijoustrasse, où se trouve le bureau d'Alliance Sud, a été clairement perceptible jusqu'au Palais fédéral !
Mais le soulagement a été de courte durée. Le 19 septembre, le Conseil national a pris la décision contraire. Il souhaite concrétiser les 4 milliards supplémentaires pour l'armée, qui ont obtenu une majorité dans les deux chambres, via des « mesures de compensation » — entendez des coupes — dans quatre domaines, dont la coopération internationale. Sans toutefois y apposer une étiquette de prix et sans dire combien chaque mesure doit rapporter. Deux jours plus tard seulement, le Conseil fédéral en a rajouté une couche. En contradiction avec sa propre stratégie CI, il souhaite ponctionner 274 millions au total dans la CI dans le cadre de l’allègement du budget de la Confédération en 2027 et 2028. La politique concrète se trouve ainsi entièrement subordonnée à la politique financière.
Aperçu du futur grand bazar
Que se passera-t-il ensuite ? Entre les sessions, plusieurs commissions se pencheront sur les dossiers en question. Il est peu probable que la proposition du Conseil national comprenant les quatre mesures de réduction pour le financement de l'armée survive jusqu'à la fin et de nouvelles propositions devraient être faites pour savoir où trouver millions et milliards. Lors de la session d'hiver, le message sur l'armée 2024 fera l'objet d'une élimination des divergences entre le Conseil national et le Conseil des États. La stratégie CI 2025-2028 passera pour la première fois au Conseil national et il y aura alors très probablement une élimination des divergences lors de la même session, l'une communiquant naturellement avec l'autre : le grand bazar ! Sans oublier la cerise budgétaire sur le gâteau !
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Communiqué
Message sur l'armée : attaque frontale contre une politique de sécurité globale
19.09.2024, Financement du développement
Aujourd'hui, le Conseil national a décidé de financer la hausse du budget de l'armée de quatre milliards de francs en partie sur le budget de la coopération internationale (CI). Il s’agit d’une attaque frontale contre une politique de sécurité globale.

Une offensive sans vision à long terme : une majorité du Conseil national a révélé aujourd'hui une vision étroite et purement militaire des crises actuelles, mettant ainsi en danger des valeurs humanitaires fondamentales.
© Keystone / Anthony Anex
La semaine dernière encore, dans le cadre des débats sur la stratégie de CI 2025-2028, le Conseil des États s'était prononcé très clairement, par 31 voix contre 13, contre le financement de l'armée aux dépens de la CI. Aujourd'hui, le Conseil national a fait le choix inverse et entend détourner des fonds de la coopération internationale via une approche compensatoire pour financer les moyens supplémentaires alloués à l'armée.
Le Conseil national refuse ainsi de voir que la coopération internationale fait partie intégrante d'une politique de sécurité globale. « Le financement de l'armée au détriment de la coopération internationale ébranle la tradition humanitaire de la Suisse. Renforcer les pompiers en sacrifiant les mesures de protection contre les incendies relève également d'une politique de sécurité irréfléchie », note Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétences suisse pour la coopération internationale et la politique de développement.
Le rapport actuel sur la politique de sécurité est très clair : « La Suisse (...) participe au renforcement de la sécurité et de la stabilité internationales en proposant ses bons offices, en contribuant à la promotion de la paix, en s’investissant en faveur du droit international, de l’état de droit et des droits de l’homme, en luttant contre les causes de l’instabilité et des conflits au moyen de la coopération au développement et en soulageant la population civile grâce à l’aide humanitaire. »
À cela s'ajoute que les crédits d'engagement de la stratégie de CI 2025-2028 ont déjà dû absorber le financement de l'Ukraine à hauteur de 1,5 milliard de francs. Dans son rapport, la commission d'experts Gaillard conclut également que la CI a déjà dû mettre en œuvre des réductions significatives dans le reste de l'aide au développement afin de compenser les moyens supplémentaires prévus par le Conseil fédéral pour l'Ukraine. Toute réduction supplémentaire sur le dos des plus pauvres remet en question la coopération internationale éprouvée de la Suisse.
Pour plus d’informations :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud
tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch
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Stratégie 2025-2028
La coopération internationale au bord du gouffre
21.06.2024, Coopération internationale, Financement du développement
À la mi-mai, le Conseil fédéral a adopté le message tant attendu sur la stratégie de coopération internationale (CI) 2025-2028. Dans ce document, il persiste à financer l’aide à l’Ukraine au détriment du Sud global, ignorant ainsi les résultats de la consultation publique.

© Ruedi Widmer
En termes de contenu, le Conseil fédéral se contente de miser sur des thèmes et des stratégies de mise en œuvre éprouvés dans sa stratégie 2025-2028. Ceci dans un monde qui, selon cette stratégie, est plus fragmenté, plus instable et plus imprévisible. Le Conseil fédéral opte donc pour davantage de flexibilité, sa devise du moment. En conférence de presse, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a déclaré que la flexibilité était nécessaire pour faire face aux crises actuelles. Mais en lisant la stratégie de CI, on se rend vite compte que la flexibilité signifie en fait que la totalité de l'aide à l'Ukraine, qui s’élève à 1,5 milliard de francs, proviendra du budget de la coopération internationale et que les montants alloués à d'autres pays et programmes seront donc réduits de manière « flexible ».
Aujourd'hui ici, demain ailleurs
Lors de la conférence de presse du 10 avril sur la conférence de paix au Bürgenstock et l'aide à l'Ukraine, le conseiller fédéral Ignazio Cassis avait déjà parlé d'une réallocation continue des ressources dans la CI. Selon lui, l'affectation des ressources est un processus stratégique et dynamique et non une attitude statique. Une telle approche dynamique peut certes être utile, par exemple dans le cadre de la combinaison (« nexus ») flexible des trois piliers de la CI, à savoir l'aide humanitaire, la coopération au développement et la promotion de la paix. Souvent, les frontières entre ces approches sont de toute façon floues.
Une coopération internationale qui déplace en permanence ses ressources entre divers pays et régions ne peut pas instaurer de partenariats sérieux à long terme. Or, c'est précisément ce dont elle a besoin pour être efficace et efficiente. Il faut de la confiance et un engagement à long terme, des relations établies et maintenues par les programmes de coopération au développement. Ou pour reprendre les mots du conseiller fédéral Cassis lors d'un échange avec des ONG en 2022 :
« fiabilité, confiance et prévisibilité ». Si la CI suisse devient le jouet de considérations géopolitiques, elle manquera des réseaux et du personnel nécessaires sur le terrain. La guerre en Ukraine a marqué un tournant ; mais cela ne doit pas conduire la CI suisse à abandonner ce qu'elle a mis de nombreuses années à construire et à réaliser avec ses pays partenaires.
Une solidarité internationale déficiente
En décidant de financer l'aide à l'Ukraine à partir du budget de la CI, le Conseil fédéral inflige de multiples désaveux. D'une part, il désavoue le Sud global qui, depuis des années, appelle les pays riches à respecter l'objectif reconnu sur la scène internationale de 0,7 % du revenu national brut pour le financement du développement (aide publique au développement, APD). Avec le projet du Conseil fédéral, la Suisse affichera une APD de 0,36 % (hors coûts de l'asile) en 2028. Où est donc la tradition humanitaire si souvent mise en avant quand on a besoin d’elle ?
Et le Conseil fédéral adresse un second désaveu aux organisations, partis et cantons qui ont participé à la consultation. En effet, une majorité écrasante de 75 % d’entre eux, qui ont répondu explicitement à une question dans ce sens, ont déclaré que l'aide à l'Ukraine ne devait pas se faire au détriment d'autres régions et priorités de la CI, comme l'Afrique subsaharienne ou le Moyen-Orient. Aucun parti politique, à l'exception de l'UDC — dont le programme aspire à l’abolition de la coopération au développement —, ne soutient le financement de la reconstruction de l'Ukraine à partir de la CI. Le Parlement n'a malheureusement pas encore trouvé de solutions susceptibles de réunir une majorité sur la manière de mettre en œuvre cette mesure sur la trame des querelles autour des finances fédérales.
Une Suisse peu crédible actionne le frein à l’endettement
Les pays étrangers ne manquent pas de remarquer que la Suisse se repose sur son statut spécial de pays neutre, aussi confortable que lucratif, et qu'elle ne s’implique pas suffisamment dans la lutte défensive de l'Ukraine — que le soutien soit de nature militaire ou humanitaire. Avec un taux d'endettement de 17,8 % du produit intérieur brut la Suisse ne peut pas expliquer de manière crédible sur la scène internationale pourquoi elle ne peut pas fournir de fonds supplémentaires à l'Ukraine. En parallèle, avec leurs propositions de financement pour le réarmement de l’armée et la 13e rente AVS, l’UDC et le PLR alimentent l'idée que notre pays pourrait se désengager totalement de ses obligations internationales.
La Suisse s'isole ainsi de plus en plus et perd toute crédibilité sur la scène internationale. Adieu le rôle de médiateur, adieu la tradition humanitaire et le partenaire fiable. Le Conseil fédéral a bien interprété les signes des temps, mais il a choisi la voie de l'isolement. Seul le Parlement peut donc encore corriger le tir et amorcer un changement de cap pour l'Ukraine et le Sud global.
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Global, Opinion
Le putsch au Conseil des Etats menace la sécurité humaine
21.06.2024, Financement du développement
La lecture attentive du message sur la stratégie de CI 2025 – 2028 que le Conseil fédéral a envoyé au Parlement nous a quelque peu effrayés. Mais le grand choc a eu lieu début juin, lorsque la CI a été attaquée soudainement dans le cadre du message sur l'armée au Conseil des Etats.

© Services du Parlement / Franca Pedrazzetti
Il était bien connu que le Conseil fédéral veut financer entièrement le soutien à l'Ukraine au détriment du Sud global, la cause de la petite horreur à la lecture du message de la CI, n'était donc qu'un détail significatif. Concernant la baisse du taux d'APD (nous le savions déjà, malheureusement), il est écrit dans la version allemande : « Cela s'explique par le taux de croissance du RNB [réd : le revenu national brut, c'est-à-dire l'économie] supérieur à celui des crédits alloués à la CI, en raison des mesures financières liées au frein à l'endettement. » Comment ? Se pourrait-il que le monde entier, qui en a les moyens, s'endette pour relancer l'économie en cas de crise financière ou d'épidémie, et que l'on imagine dans la Berne fédérale que la réduction de la dette publique grâce au frein à l'endettement entraînera une croissance économique ? Mais l'alerte a été levée par la suite, ce n'était qu'une erreur de traduction venant de la version française.
Le 3 juin, nous avons été très choqués en suivant les délibérations du Conseil des Etats. Tout d'abord, il a rejeté une proposition qui aurait permis d'augmenter les dépenses de l'armée jusqu'en 2030, comme le voulait absolument la majorité bourgeoise masculine (il s'agit surtout d’hommes), de manière extraordinaire et combinée avec le financement extraordinaire de l'aide à l'Ukraine. Mais aussitôt après, cette majorité a décidé de gonfler le budget de l'armée de quatre milliards pour l'achat d'armes et de rogner en contrepartie de deux milliards la coopération au développement. Une attaque frontale contre la CI ! (Malheureusement des métaphores militaires viennent constamment à l'esprit...)
Et ce, même si le Secrétariat d'Etat à la politique de sécurité nouvellement créé déclare : « Une menace militaire directe comme une attaque armée contre la Suisse est peu probable à court et moyen terme. » En revanche, les menaces, comme les cyber-attaques, se sont intensifiées. On a oublié ou jamais pris connaissance de ce que le Conseil fédéral écrit dans le rapport sur la politique de sécurité : « Elle [la politique étrangère] participe au renforcement de la sécurité et de la stabilité internationales en proposant ses bons offices, en contribuant à la promotion de la paix, en s'investissant en faveur du droit international, de l'Etat de droit et des droits de l'homme, en luttant contre les causes de l'instabilité et des conflits au moyen de la coopération au développement et en soulageant la population civile grâce à l’aide humanitaire. »
Apparemment, c’est trop demander que la notion de sécurité humaine soit entendue par la majorité du Conseil des États. Mais la bataille pour sauver la CI n'est pas encore perdue, la contre-attaque est en cours et nous ne nous rendons pas ! Veuillez excuser, une fois de plus, les métaphores militaires !
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Communiqué
Aide au développement pour les entreprises suisses
26.06.2024, Financement du développement
Le Conseil fédéral a décidé aujourd'hui de soutenir le secteur privé suisse à hauteur de 500 millions de francs pour la reconstruction de l'Ukraine. Le tout sera financé par le montant prévu dans le budget de la coopération internationale 2025-2028, qui était en fait destiné à l'Ukraine. Mais même le Conseil fédéral s'est aperçu que cette proposition était contraire à la loi.

Charkiw (Ukraine). © imago
Le Conseil fédéral a présenté la stratégie de coopération internationale (CI) 2025-2028 au Parlement en mai 2024. Il y prévoit de consacrer 1,5 milliard de francs à l'aide à l'Ukraine. Dans cette même stratégie, il écrit que la promotion du secteur privé local joue un rôle crucial : « La collaboration entre la CI et le secteur privé est toujours axée sur l’objectif de la lutte contre la pauvreté et du développement durable. Les bénéficiaires sont les PME locales et la population » (p. 39). À peine un mois plus tard, le Conseil fédéral abandonne cette idée. Désormais, il prévoit en effet 500 millions de francs pour le secteur privé suisse pour la reconstruction de l'Ukraine. C'est plus que la totalité des fonds bilatéraux de la DDC pour l'Afrique subsaharienne en une année (2022).
Le Conseil fédéral sait que la promotion du secteur privé suisse avec les moyens de la coopération au développement est contraire à la loi, car il doit préparer une nouvelle base légale à cet effet. Alliance Sud ne comprend pas les raisons pour lesquelles le Conseil fédéral formule actuellement une telle proposition avant même que la stratégie 25-28 de la CI ne soit examinée par le Parlement. Il est inconcevable que ce dernier puisse se prononcer sur des crédits d'engagement de la coopération internationale si 500 millions de francs doivent être alloués sans base légale existante.
« Le fait que les fonds destinés à la coopération internationale doivent servir à financer des entreprises suisses est un scandale », dénonce Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. Avec cette décision, la pratique de l'aide liée (tied aid), qui est sous le feu des critiques internationales, devrait être appliquée à grande échelle en Ukraine. « Cela renchérira massivement la reconstruction si l'Ukraine ne peut pas choisir le fournisseur le moins cher pour un produit ou un service, mais doit dépendre des fournisseurs onéreux des pays donateurs », poursuit-il.
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Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud,
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La Chambre de destruction menace la sécurité de la Suisse
04.06.2024, Financement du développement
La décision prise hier par le Conseil des États de retirer deux milliards de francs à la coopération au développement est fatale et met en péril la sécurité de la Suisse. Les coupes pratiquées dans la coopération au développement d'aujourd'hui sont les crises de demain et la réputation internationale de la Suisse serait irrémédiablement ternie.

Session d'été au Conseil des Etats. Grande absente : la solidarité. © Parlamentsdienste 3003 Bern
Selon l'ONU, près de 300 millions de personnes dans le monde dépendront de l’aide humanitaire en 2024. Elles sont touchées par des guerres, des catastrophes naturelles ou la faim et ont un urgent besoin de nourriture, d'eau potable, de soins médicaux, d'accès à l'éducation ou de protection. L'aide humanitaire assure la survie, tandis que la coopération au développement apporte une contribution majeure pour que les gens puissent échapper durablement à la pauvreté.
Les économies prévues par le Conseil des États en faveur de l'armée, ainsi que les contributions pour l'Ukraine, entraîneraient des coupes équivalentes à un tiers du budget. Cela stopperait des projets en cours et couronnés de succès et détruirait des structures mises en place depuis des décennies pour atteindre les personnes qui ont le plus besoin d'aide. La prévention des conflits à long terme ne doit pas être reléguée au second plan en raison du réarmement consécutif à l'invasion russe de l'Ukraine. La coopération au développement apporte une contribution indispensable à la sécurité de la Suisse à longue échéance.

Financer le réarmement de l'armée aux dépens des plus pauvres signifierait que la coopération au développement, déjà amaigrie par les coupes budgétaires et le financement de l'aide à l'Ukraine, ne serait plus en mesure de remplir son mandat constitutionnel. Les 500 millions de francs par an qui seraient supprimés représentent nettement plus de fonds que le soutien total de la Suisse à l'Afrique. Notre pays devrait abandonner les populations de pays entiers. Il faudrait qu’il retire son soutien à des organisations multilatérales comme le Programme alimentaire mondial, qui sauve des gens de la famine, le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) ou la Banque africaine de développement. Les conséquences seraient désastreuses pour la réputation internationale de la Suisse, déjà critiquée pour son manque d'engagement.
« Les politiciens fauteurs d’insécurité du Conseil des États s'accommodent d'une instabilité supplémentaire qui pousse les gens à la fuite. Ils ne se soucient pas non plus du fait que la Suisse se rendrait encore plus attaquable sur la scène internationale avec une telle décision. La Chambre de destruction doit être ramenée à la raison par le Conseil national », s’emporte Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement.
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Communiqué
Le Conseil fédéral feint l’indifférence
22.05.2024, Financement du développement
Le Conseil fédéral a adopté aujourd'hui le message tant attendu sur la stratégie de coopération internationale 2025-2028. Il y fait totalement abstraction des résultats de la consultation publique et s'en tient à un financement de la reconstruction de l'Ukraine aux dépens du Sud global.

Avec son message sur la coopération internationale, le Conseil fédéral déplace drastiquement les priorités
au détriment des pays du Sud global, alors que la Suisse n'a pas tenu ses promesses depuis des décennies.
© Anthony Anex / Keystone
Dans ses prises de position antérieures, le Conseil fédéral a toujours minimisé les changements de priorités dans la coopération internationale (CI). Lors de la conférence de presse du 10 avril, le conseiller fédéral Ignazio Cassis prétendait encore que les contributions à l'Ukraine ne se feraient guère sentir en raison de la croissance du budget. Le projet qui vient d'être publié montre pourtant une réalité tout autre : 39 % des fonds destinés à la coopération au développement sont dépensés en Europe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. L'Afrique subsaharienne, où devrait se concentrer la coopération au développement promise, reçoit moins, à savoir 38 % des fonds de la coopération au développement. Dans la coopération économique au développement, le changement est encore plus radical : 42 % des fonds sont désormais destinés à l'Europe, tandis que l'Afrique subsaharienne n’en reçoit que 13 %. Les coupes aux dépens des pays les plus pauvres sont dramatiques.
Financement additionnel et extraordinaire nécessaire
« L'aide contre la pauvreté et la détresse est plus urgente que jamais. Une situation exceptionnelle comme la guerre en Ukraine nécessite des moyens extraordinaires : les populations du Sud global ne doivent pas en payer la facture », tonne Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement.
L'effondrement prévu du financement public du développement, qui ne représente plus que 0,36 % du revenu national brut, est grave également. « Une quote-part aussi basse — la moitié de l'objectif convenu au niveau international et promis par la Suisse, et le niveau le plus bas depuis une décennie — est absolument inacceptable et indigne d'un pays riche comme la Suisse », poursuit Andreas Missbach.
Renforcer la coopération internationale de la Suisse
Au vu des nombreuses crises et guerres, il est plus que jamais nécessaire que la Suisse renforce son engagement international. Dans une note d’information, Alliance Sud a rassemblé les principales informations de base pour une CI en prise sur l’avenir.
Note d’information : Renforcer la coopération internationale de la Suisse
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