Analyse

Faits et mythes

03.11.2023, Coopération internationale

De nombreuses études et évaluations montrent que la coopération internationale a remporté des succès probants et bénéficie d'un large soutien au sein de la population suisse. Pourtant, certains détracteurs de la CI continuent à se faire entendre dans l'opinion publique. Alliance Sud a examiné les mythes courants autour de la CI et en débat de manière nuancée dans une nouvelle analyse.

 

Laura Ebneter
Laura Ebneter

Experte en coopération internationale

Bericht

Études d’impact font fi des droits humains

07.10.2022, Commerce et investissements

La méthodologie proposée par le Conseil fédéral pour mesurer l’impact des accords de libre-échange sur le développement durable est très maigre en ce qui concerne les droits humains. Alliance Sud propose des pistes pour corriger le tir.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Études d’impact font fi des droits humains

Le rapport du Conseil fédéral est trop focalisé sur l’accès au marché.
© KEYSTONE/IMAGEBROKER/RAIMUND FRANKEN

Après des années d’effort, les tentatives d’Alliance Sud pour obtenir du Conseil fédéral la réalisation d’études d’impact ex-ante des accords de libre-échange sur les droits humains commencent à porter leur fruit. Le 25 mai 2022, celui-ci a enfin présenté le rapport demandé par le postulat 19.3011 de la Commission de gestion du Conseil national le 1er mars 2019, lui demandant de rechercher une méthode pour évaluer l’impact des accords de libre-échange sur le développement durable.

Alliance Sud salue la présentation de ce rapport, mais elle regrette qu’il soit très pauvre sur les droits humains. Pourtant, des méthodologies existent pour mesurer par exemple l’impact sur les droits à la santé et à l’alimentation, comme démontré par la proto-étude d’impact de l’accord de libre-échange avec le Mercosur réalisée par la juriste Caroline Dommen pour le compte d’Alliance Sud.

Alliance Sud a mandaté à nouveau Caroline Dommen, spécialiste reconnue en la matière, pour écrire une réponse au rapport du Conseil fédéral, que vous trouverez ici. Celle-ci regrette notamment la focalisation excessive sur l’accès au marché et le manque de reconnaissance des méthodologies et connaissances pertinentes. Et elle invite à ne pas utiliser le manque de données comme prétexte pour ne pas agir.

Fiche d'information

La contribution suisse au financement climatique

31.10.2022, Justice climatique

Dans la politique climatique internationale, le financement climatique signifie le soutien financier des pays en développement et émergents dans le domaine du climat. Les pays les plus pauvres sont les moins responsables de la crise climatique et ce sont eux qui ont le moins de ressources financières pour lutter contre les changements climatiques et s'y adapter. Le financement dans le domaine du climat n'est pourtant qu'un aspect de la justice climatique. La réduction des émissions de CO2 dans le Nord global, en Suisse y compris, est tout aussi cruciale pour le Sud global.

La contribution suisse au financement climatique

Abir Abdullah / Climate Visuals

Fiche d'information

Changement climatique et crise de la dette – un cercle vicieux

08.09.2023, Justice climatique

Les répercussions négatives du réchauffement climatique et l’endettement public dramatique de nombreux pays du Sud global sont deux crises qui ne cessent de s'aggraver. Au moins 54 pays du Sud global souffrent de graves problèmes d'endettement et 28 d'entre eux font partie des 50 pays les plus touchés par le changement climatique. Plusieurs liens relient ces deux crises, ce qui complique considérablement la gestion de ces dernières pour les pays concernés.

 Changement climatique et crise de la dette – un cercle vicieux

Adam Sébire / Climate Visuals

Papier d'analyse

Le secteur privé dans la CI de la Suisse

21.07.2023, Financement du développement

Dans les débats sur la coopération internationale (CI) de la Suisse, le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG) sont souvent mis en opposition. Cette analyse d'Alliance Sud offre une vision différenciée.

Le secteur privé dans la CI de la Suisse

Dans les discussions controversées sur la coopération internationale (CI) de la Suisse, et tout particu­lièrement dans le domaine de la coopération au développement, le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG) sont souvent mis en opposition. Mais de qui parle-t-on précisément lorsqu'on évoque la participation du « secteur privé » dans la coopération au développement ? Ce document d'analyse doit ainsi contribuer à nuancer les débats souvent très réducteurs et idéologiques sur le rôle du secteur privé dans la coopération au développement. Il formule par ailleurs des recommandations sur le rôle futur du secteur privé dans la coopération au développement.

Fiche d'information

Financement climatique : selon quelles modalités dès 2025 ?

06.09.2023, Justice climatique

Selon l'accord de Paris sur le climat, les pays industrialisés doivent soutenir financièrement les pays en développement à protéger le climat et à s'adapter au changement climatique — on parle de financement climatique. De 2020 à 2025, 100 milliards de dollars devraient être mis à disposition chaque année à cet effet.

Financement climatique : selon quelles modalités dès 2025 ?

D'ici fin 2024, un nouvel objectif sera négocié ; il devrait s’appliquer à partir de 2025 et, selon les prévisions, être beaucoup plus élevé. Si l'objectif de financement se basait sur les besoins réels, l’ONU estime qu’il faudrait mobiliser 340 milliards de dollars par an d'ici 2030 rien que pour l'adaptation au changement climatique — et au moins autant pour la réduction des gaz à effet de serre. Il s'agit d'un besoin de soutien additionnel ; des ressources financières nouvelles et additionnelles sont donc nécessaires. L’impact dramatique du réchauffement climatique sur les pays les plus pauvres souligne l'urgence d'un soutien supplémentaire.

Quelle est la part juste de la Suisse ? Pour l’objectif actuel de 100 milliards de dollars, il n’existe pas de clé de répartition entre les pays donateurs. Le Conseil fédéral se base sur un mélange de principe de causalité et de performance économique. En ne prenant en compte que les émissions à l'intérieur du pays, il arrive à une contribution de 450 à 600 millions de dollars par an. Or, selon les données de la Confédération, les émissions causées par la consommation suisse à l'étranger représentent plus de la moitié de l'empreinte climatique helvétique. Si la Suisse assumait sa responsabilité pour ses émissions à l'étranger, elle devrait déjà contribuer à hauteur de 1 milliard de dollars par an au financement international dans le domaine du climat.

Publication

Des investissements supplémentaires sont possibles

05.06.2023, Finances et fiscalité

Sur mandat d’Alliance Sud, l’économiste Cédric Tille, professeur au renommé Institut de hautes études internationales et de développement, à Genève, a exploré la marge de manœuvre financière de la Confédération pour les vingt-cinq prochaines années.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Des investissements supplémentaires sont possibles

La dette de la Suisse a considérablement diminué ces dernières années.
© Alliance Sud

 

Sa conclusion est claire : d'un point de vue économique, la Confédération n'a aucune raison de prendre des mesures d’austérité. Au contraire : l'endettement public extrêmement bas de notre pays rend possible des investissements supplémentaires dans les prochaines années. Selon Cédric Tille, au moins 15 milliards de francs sont disponibles pour des dépenses supplémentaires d'ici 2030, et même 25 milliards d'ici 2050 — sans que le taux d'endettement extrêmement bas de la Suisse n'augmente.

Deux facteurs sont prépondérants pour ce résultat : les intérêts sur les emprunts d'État restent très bas en termes réels pour la Confédération, en dépit des hausses des taux d'intérêt de la Banque nationale suisse. De plus, avec l'inflation actuelle, l'endettement de la Confédération diminue par rapport au pro­duit intérieur brut (PIB), car ce dernier augmente sous l'effet de l'inflation. L'étude révèle l'erreur fonda­mentale du Conseil fédéral dans sa gestion de la dette publique suisse : le chiffre absolu en francs et en centimes n'est pas pertinent pour mesurer « l’état de forme » de la Suisse en matière budgétaire. Ce qui compte, c'est le rapport entre la dette et le PIB. Et à cet égard, la Suisse est extrêmement bien placée, voire trop bien, en comparaison internationale.

 

Publication

Projet fiscal et financement de l’AVS (RFFA)

22.01.2019, Finances et fiscalité

Le 19 mai on votera sur la réforme de l'imposition des entreprises, que le Parlement a liée au financement supplémentaire de l'AVS. Du point de vue du développement, la proposition ne représente presque aucun pogrès par rapport à la RIE III.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Projet fiscal et financement de l’AVS (RFFA)

Le mélange par le Parlement de deux sujets sans rapport - la fiscalité des entreprises et le financement de l'AVS - est largement qualifié de marchandage.
© Pixabay

Après l’aboutissement du referendum contre la Réforme fiscale et le financement de l’AVS, les électeurs se prononceront à nouveau sur la réforme de l'imposition des entreprises, en suspens. L'analyse de la politique fiscale d'Alliance Sud montre que du point de vue du développement, la proposition n'apporte pas de progrès significatif par rapport à la réforme de l'imposition des entreprises III (RIE III), qui a été rejetée il y a deux ans. Une fois de plus, il est prévu de remplacer les anciens régimes fiscaux spéciaux, qui nuisent au développement, par de nouveaux.

La proposition actuelle vise à mettre l'imposition suisse des sociétés dans une forme internationalement acceptée et à abolir définitivement les anciens régimes fiscaux spéciaux, réservés exclusivement aux bénéfices des groupes étrangers imposés en Suisse. C'est une bonne chose du point de vue du développement. En même temps, cependant, elle crée de nouvelles possibilités pour les multinationales de transférer leurs profits. En déplaçant les bénéfices vers des pays à faible fiscalité comme la Suisse, les entreprises privent les pays en développement d'une assiette fiscale potentielle estimée à 200 milliards de dollars par an.

L'analyse détaillée par Alliance Sud du nouveau véhicule de dumping fiscal de la Réforme fiscale et financement de l’AVS montre que la nouvelle politique fiscale suisse envisagée n'est pas compatible avec les Objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 de l'ONU. En tant que pays ayant la plus forte densité de sièges sociaux des multinationales par habitant, la Suisse a une responsabilité particulière dans la lutte contre les inégalités sociales dans le monde et pour le financement adéquat de l'Agenda 2030.

En raison du dumping fiscal de juridictions à faible fiscalité comme la Suisse, l'impôt sur les sociétés est en baisse dans le monde entier depuis des décennies. Cela empêche de fournir les services publics de santé, d'éducation ou d'infrastructure les plus urgents aux groupes défavorisés de la population dans les pays en développement. La Suisse n'est pas un parasite dans le train qui entraîne dans l'abîme la fiscalité internationale des entreprises  - c'est plutôt l'une des locomotives et elle le restera avec la Réforme fiscale et financement de l’AVS.

Malgré les lacunes considérables de la partie fiscale du projet de loi, Alliance Sud s'abstient de donner des indications de vote sur la Réforme fiscale et le financement de l’AVS. La partie AVS du projet de loi porte sur une question de politique intérieure qui dépasse le mandat de politique de développement de l'organisation. En même temps, les membres d’Alliance Sud ont des avis divergents sur la question de savoir dans quelle mesure une réforme de l'imposition des entreprises qui soit juste du point de vue du développement est également possible au-delà de la proposition actuelle. Mais il est clair qu'une telle réforme reste nécessaire quel que soit le résultat du vote de mai.

Publication

Sud global doit bénéficier des recettes fiscales

10.03.2022, Finances et fiscalité

Pour la Suisse, l’introduction de l'imposition minimale de l'OCDE engendrera des recettes fiscales supplémentaires sur les bénéfices des grandes entreprises multinationales (EMN). Une partie de ces bénéfices est générée dans des pays pauvres, mais imposée chez nous. Alliance Sud demande donc au Conseil fédéral et au Parlement de veiller à ce que notre pays reverse une partie de ces recettes aux pays producteurs pauvres où opèrent les EMN — sinon, Alliance Sud envisage de donner une consigne de vote négative lors du scrutin populaire de juin 2023.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Sud global doit bénéficier des recettes fiscales

Source : KPMG’s « Clarity on Swiss Taxes » report 2021
© Alliance Sud / global

Centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, Alliance Sud salue l'intention du Conseil fédéral de mettre en œuvre en Suisse la nouvelle imposition minimale de l'OCDE applicable aux EMN. Notre pays contribuerait ainsi à freiner la concurrence néfaste en matière d’imposition des EMN, tant au plan international qu'entre les cantons.

Comme le montre la prise de position d’Alliance Sud, les pays pauvres du Sud global ne profiteront pas de cette nouvelle donne. Pour les groupes suisses de matières premières en particulier, il restera intéressant, même avec l'imposition minimale, de pratiquer le dumping fiscal en Suisse sur le dos des plus pauvres de la planète. Pour deux raisons, selon Dominik Gross, expert en politique fiscale chez Alliance Sud : « Le taux d'imposition minimal de 15% est beaucoup trop bas. Les pays producteurs de matières premières du Sud global appliquent des taux d'imposition des bénéfices compris entre 25% et 35% ». Vu cette différence, les EMN continueront de ne pas déclarer leurs bénéfices là où elles extraient leur nickel ou produisent leur huile de palme, mais dans les cantons suisses à faible imposition, où réside leur management et où elles paient beaucoup moins d'impôts malgré l'imposition minimale. « Les pays en développement dans lesquels les EMN ont des filiales ne pourraient en outre profiter de l'imposition minimale que si les pays prospères comme la Suisse, dans lesquels elles ont leurs sociétés mères, y renoncent. Quelle discrimination flagrante ! », s’indigne Dominik Gross. L’introduction de l'impôt minimal fera que des cantons comme Zoug ou Genève généreront encore plus de recettes fiscales issues des bénéfices des EMN qui font leurs profits dans des pays ayant un urgent besoin de recettes fiscales additionnelles.

Des transferts de bénéfices sur le dos des plus pauvres

Dans un rapport publié en octobre dernier, Alliance Sud et d’autres ONG ont montré comment le groupe Socfin, producteur d'huile de palme et de caoutchouc, viole les droits du travail et les droits fonciers au Libéria et en Sierra Leone, comme à l'époque coloniale, tout en économisant des impôts à Fribourg. Récemment, le groupe minier Solway, dont le siège est implanté dans le paradis fiscal de Zoug, a fait la une des journaux pour avoir pollué l'eau et l'air autour de sa mine de nickel au Guatemala et pour avoir tenté de dissimuler l’impact de ces pollutions.

Conclusion de Dominik Gross : « Il est inacceptable que les cantons suisses perçoivent encore des recettes fiscales supplémentaires grâce à de telles sales affaires. Ces recettes appartiennent aux pays de production où opèrent les EMN, afin qu’ils puissent bâtir une économie plus sociale et plus écologique. »

Complément d’information :
Dominik Gross, expert en politique fiscale et financière chez Alliance Sud, tél. +41 78 838 40 79

Papier de position :
Mise en œuvre de l'imposition minimale de l'OCDE pour les grandes entreprises multinationales en Suisse : le point de vue d'Alliance Sud

Publication

Imposition minimale : prendre pour recevoir

23.02.2023, Finances et fiscalité

L'OCDE entendait rendre le système fiscal international appliqué aux grandes entreprises multinationales (EMN) un peu plus équitable. Le Conseil national et le Conseil des États ont transformé cette intention en son contraire.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Imposition minimale : prendre pour recevoir

La mise en œuvre par la Suisse de l'imposition minimale de l'OCDE est dans l'intérêt des multinationales, mais pas dans celui des pays du Sud. Sur la photo : l'ancien conseiller fédéral Ueli Maurer, à droite, et le vice-chancelier Andre Simonazzi.
© ANTHONY ANEX / Keystone SDA

Techniquement, l'impôt minimal est sans aucun doute très complexe, mais d'un strict point de vue de politique intérieure, son calcul est des plus simples. L'ancien ministre suisse des finances Ueli Maurer avait d'ailleurs très vite fait ce calcul lorsque le Conseil fédéral avait présenté le projet d’application nationale de l'imposition minimale en juin dernier : « Si la Suisse ne prend pas l'argent supplémentaire, d'autres s’en saisiront », avait-il lâché. Ceux qui, comme Alliance Sud, s'engagent pour une plus grande justice fiscale planétaire, doivent toutefois faire le calcul tout à fait inverse : les pays du Sud global qui accueillent des filiales d'EMN suisses ne reçoivent l'argent supplémentaire que si la Suisse ne le prend pas.

La pièce maîtresse de la mise en œuvre de l'imposition minimale en Suisse est ce que l'on appelle un impôt national complémentaire (Domestic Minimum Top-up tax, DMTT, dans le jargon de l’OCDE). Celui-ci veille à ce que les EMN qui payaient jusqu'ici moins de 15% d'impôts sur leurs bénéfices comptabilisés en Suisse soient désormais soumises à des pourcentages d'imposition supplémentaires qui porteront à l'avenir les taux d'imposition effectifs au minimum de 15 % de l'OCDE. Un exemple : une EMN active dans les matières premières du canton de Zoug payait jusqu'à présent 11 % d'impôt sur le bénéfice. À l'avenir, elle devra verser la différence de 4 % en plus. Rien à redire jusque-là. Mais, du point de vue de la politique de développement, cet impôt national pose un gros problème : la totalité des recettes fiscales supplémentaires reste dans le canton de Zoug, où l’EMN en question a son siège.

Les pays du Sud global, où l’EMN exploite ses matières premières qu'elle négocie ensuite depuis Zoug, ne reçoivent rien. De façon injuste, car les bénéfices que les EMN imposent en Suisse n'ont souvent pas été réalisés ici, mais dans les pays producteurs du Sud mondial — par exemple, pour une EMN de matières premières, dans une mine de cuivre d'un pays africain. Les pays du Sud global dans lesquels les EMN suisses ont des filiales ne reçoivent l'argent de l'imposition minimale que si la Suisse ne le prend pas. Autrement dit, dans la mesure où la Suisse n'introduit pas l'impôt complémentaire national. Or la Suisse pourrait le faire sans problème, car à la différence de la dernière réforme internationale de l'imposition des entreprises, l'OCDE, le G20 et l'UE ne misent pas, cette fois-ci, sur des sanctions à l'encontre des pays qui ne suivent pas le mouvement, mais sur les incitations économiques qu'Ueli Maurer a si bien résumées dans la citation ci-dessus.

L’application faite par la Suisse ne contribue pas à une plus grande justice fiscale mondiale

Pour les pays économiquement défavorisés du Sud, dans lesquels opèrent des EMN helvétiques, l'imposition minimale ne constitue pas un progrès, mais plutôt un recul, pour les raisons suivantes :

a) Le taux d'imposition minimale est fixé bien trop bas: les taux d'imposition des bénéfices dans les pays producteurs du Sud global se situent en règle générale entre 25 % et 35 %. Bien plus bas, l’impôt minimal de 15 %, ne leur assure pas de recettes fiscales supplémentaires. Au printemps 2021, les États-Unis, sous la nouvelle houlette démocratique de Joe Biden, avaient encore exigé un taux d'imposition minimum de 21 %. Par la suite, la Suisse a négocié avec succès ce taux à la baisse avec d'autres pays fiscalement cléments comme l'Irlande et le Luxembourg. C'est ce que montre une lettre d'Ueli Maurer envoyée au secrétaire général de l'OCDE Mathias Cormann à l'automne 2021.

b) L'imposition minimale n'empêche pas les transferts de bénéfices: les EMN transfèrent les bénéfices qu'elles réalisent en produisant dans des pays à forte imposition vers des pays à faible imposition pratiquant des taux de taxation très cléments. Elles font ainsi de grosses économies d’impôts dans les pays de production, mais permettent en même temps aux cantons suisses de taxer à de faibles taux des bénéfices qui n'ont pas été réalisés en Suisse. C'est ce que montre par exemple le cas du négociant en matières premières agricoles helvético-luxembourgeois Socfin. En outre, des analyses d'économistes menées par le professeur Gabriel Zucman de Standford montrent que les EMN ont transféré 111 milliards de dollars de bénéfices en Suisse l’année dernière. 39 % des recettes totales de l'impôt sur les bénéfices dans notre pays, soit 22,7 milliards de dollars, proviennent de tels transferts. Et ce calcul n’inclut même pas les transferts de nombreux pays du Sud mondial, car les données nécessaires à de tels calculs font défaut. Des cas comme celui de Socfin à Fribourg, mentionné plus haut, montrent cependant qu'il est fort probable que les montants de ces transferts de bénéfices soient encore bien supérieurs. Il ressort d'une étude réalisée en 2019 par les économistes Petr Janský et Miroslav Palanský qu'au moins 80 milliards d'euros de bénéfices sont transférés chaque année des pays en développement vers des pays fiscalement cléments comme la Suisse. Il est toutefois impossible de dire à ce jour quelle part exacte de cet argent arrive en Suisse, en raison des problèmes de données mentionnés dans les pays d'origine et du manque de transparence des normes comptables helvétiques. Même avec l'introduction de l'imposition minimale, la Suisse reste aussi attractive que par le passé en tant que pays de destination des transferts de bénéfices en provenance des pays en développement.

c) L’imposition minimale réduit l'autonomie fiscale des pays du Sud: les pays du Sud qui introduisent l'imposition minimale sont limités dans l'élaboration de leurs propres lois fiscales. S'ils introduisent également l'imposition minimale, ils ne pourront plus appliquer de mesures unilatérales, comme une retenue à la source sur les paiements transfrontaliers intragroupes supérieure à 9% (c'est le seuil encore autorisé selon les nouvelles règles de l'OCDE). Les retenues à la source avec des taux d'imposition qui se situent dans la fourchette de l'imposition régulière des entreprises dans ces pays (en général plus de 20%) sont pourtant un moyen éprouvé de lutter contre les transferts de bénéfices. Si l’application de ces retenues est limitée, cela entraîne des pertes fiscales supplémentaires dans les pays concernés. En revanche, au cas où ces pays n'introduisent pas l'imposition minimale pour ces raisons, ils doivent accepter que la Suisse prélève la totalité du substrat fiscal supplémentaire découlant de l'imposition minimale. La pression sur ces pays augmente ainsi pour qu'ils abaissent les taux d'imposition qu’ils appliquent aux multinationales afin de réduire l'écart avec les taux d'imposition en Suisse, ainsi que dans d'autres pays fiscalement cléments, et de diminuer ainsi l'incitation à transférer des bénéfices : la « course vers le bas » se muerait en une « course vers le minimum ».
 

Mesures de promotion économique en faveur des EMN bénéficiant de recettes fiscales minimales

Selon la volonté du Parlement, seuls 25 % des recettes supplémentaires provenant de l'imposition minimale doivent rester à la Confédération. Les 75 % restants vont aux cantons. Ce sont surtout les deux juridictions à faible imposition de Zoug (négociants en matières premières) et de Bâle-Ville (industrie pharmaceutique) qui en profiteront. Le mode d’utilisation des recettes supplémentaires est déjà clair. Selon l'arrêté fédéral, les recettes de la Confédération doivent être explicitement utilisées pour des mesures de promotion économique. De nombreux cantons ont également déjà annoncé de telles mesures, probablement sous la forme d'une réduction des impôts sur le capital ou sur les personnes physiques à hauts revenus surtout, à savoir les managers d’EMN. On discute également de nouveaux arrangements spéciaux entre les autorités fiscales cantonales et les EMN, dans le cadre desquels l'État prend en charge une partie des frais d'exploitation de ces dernières, de mesures d'encouragement de la recherche pour les jeunes pousses (proches de l'industrie pharmaceutique, à Bâle) voire de subventions directes des salaires dans les EMN.

Pour résumer : en Suisse, les recettes supplémentaires issues de l'imposition minimale ne doivent pas être utilisées en faveur de la collectivité, comme le demandait la gauche au Parlement, mais reversées aux EMN. Des recettes supplémentaires, notons-le, qui résultent généralement de transferts de bénéfices des EMN depuis des pays où les taux d'imposition sont supérieurs à 20 ou 25 %. Du point de vue des EMN, le mode de faire est des plus rusés : les recettes fiscales que les EMN suisses subtilisent à d'autres pays en transférant leurs bénéfices dans nos frontières et en les y faisant imposer à des taux bien plus bas doivent désormais être réutilisées chez nous, au profit de ces EMN précisément. Il n'est donc pas étonnant que les regroupements d’entreprises comme Economiesuisse ou Swiss Holdings tiennent absolument à cette réforme, même si, à première vue, leurs membres doivent être davantage taxés qu'auparavant.

Des lacunes fiscales sapent encore davantage l'imposition minimale

Mais ce n'est pas tout : le concept d’application de l'imposition minimale, tel que le Conseil fédéral l'a présenté au Parlement, laisse aussi beaucoup de place aux échappatoires fiscales. Le Conseil national et le Conseil des États ne se sont pas non plus préoccupés de ces dernières au cours des derniers mois. Il existe donc un certain risque que, contre toute attente, l'imposition minimale n'entraîne pas de recettes supplémentaires significatives en Suisse. On peut donc soupçonner la majorité bourgeoise à Berne de vouloir introduire cette imposition avant tout pour protéger les EMN suisses d'une imposition supplémentaire dans d'autres pays.

En fin de compte, cette évolution se fait au détriment de la population suisse et de celle du monde entier : les EMN suisses dans les pays pauvres du Sud mondial ne font pas qu’exploiter la main-d'œuvre ou polluer l'environnement, elles empêchent encore la mise en place de systèmes d'éducation, de santé et d'infrastructure fonctionnels du fait du dumping fiscal qu'elles y pratiquent. Le droit suisse de la fiscalité des entreprises leur vient résolument en aide. Alliance Sud ne peut pas accepter une nouvelle réforme de l'imposition des EMN, qui en fin de compte profiterait surtout à ces dernières. Elle nuit directement aux pays en développement. La Suisse devrait bien plutôt renoncer à introduire l’imposition minimale, donnant ainsi aux pays producteurs où opèrent des EMN suisses la possibilité de les taxer comme ils l'entendent. Alliance Sud refuse donc la modification constitutionnelle correspondante, qui sera soumise au vote le 18 juin.