Communiqué

La loi sur la réduction des émissions de CO2 ... à l'étranger

26.02.2024, Justice climatique

La Suisse veut atteindre une grande partie de ses objectifs climatiques non pas à l’intérieur de ses frontières, mais à l'étranger — une catastrophe sous l’angle de la politique climatique et du développement. Alliance Sud demande au Conseil des États d’inscrire dans la révision de la loi sur le CO2 que 75% au moins des réductions d'émissions doivent être réalisées en Suisse, comme jusqu’ici.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
La loi sur la réduction des émissions de CO2 ... à l'étranger

Est-ce que la «Chambre de réflexion» passera à l'action dans la protection du climat ?

© Services du Parlement 3003 Berne / Rob Lewis

Le 29 février, le Conseil des États procédera à l'élimination des divergences concernant la révision de la loi sur le CO2. Le Conseil fédéral et le Parlement ont manqué l'occasion d'introduire enfin dans le projet de loi des mesures efficaces de réduction des émissions à l’intérieur du pays. Au lieu de cela, la Suisse devra acheter chaque année davantage de certificats de compensation d’émissions de CO2 à l'étranger pour pouvoir respecter ses objectifs climatiques sur le papier. Le Conseil des États doit remédier à cette situation en fixant à 75% la part de l'objectif climatique à réaliser en Suisse.

Pour diverses raisons, la compensation à l'étranger est injuste et à courte vue :

Une contradiction majeure avec l’objectif de zéro émission nette d'ici 2050

La Suisse a fixé dans la loi l'objectif d'atteindre zéro émission nette d'ici 2050. Et elle attend la même chose de la communauté mondiale, comme elle le réaffirme chaque année lors de la conférence internationale sur le climat (COP). Cela implique que d'ici 2050, il n'y aura plus d’échange international de certificats d’émission de CO2 issus de réductions d'émissions, car tous les pays devront les comptabiliser eux-mêmes pour atteindre le zéro net. Plus on compense aujourd'hui à l'étranger, plus vite il faudra réduire les émissions en Suisse par la suite — une stratégie d'éviction néfaste du Conseil fédéral et du Parlement.

Les certificats de CO2 ne garantissent pas une efficacité climatique équivalente

Comme le montrent plusieurs recherches d'Alliance Sud, d'Action de Carême, de Caritas et de professionnels des médias, les avantages climatiques de nombreux projets de compensation suisses sont très incertains et leur effet ne peut tout simplement pas être garanti. De plus, il s’avère qu'il est déjà difficile de développer suffisamment de projets dans le calendrier serré d'ici 2030. Prévoir des certificats d’émission de CO2 en quantités encore plus grandes pour remplacer les réductions nationales est par conséquent particulièrement irresponsable.

Les pays riches doivent réduire plus rapidement leurs émissions

La Suisse dispose des meilleures conditions techniques et financières pour réduire le plus rapidement possible ses émissions sur son territoire. Le refus politique de le faire et de miser à la place sur des changements de comportement dans les pays pauvres n'est pas digne de la Suisse et s’oppose de manière flagrante à la justice climatique.

Le financement de la Suisse dans le domaine du climat est insuffisant

La Suisse devrait assurément promouvoir des projets de protection du climat à l'étranger. Pas pour retarder ses propres réductions d'émissions, mais pour apporter une véritable contribution à la transition équitable dans le Sud mondial, en complément de la réduction en Suisse. La contribution helvétique au financement international dans le domaine du climat devra augmenter dans de fortes proportions après la prochaine conférence sur le climat. Il ne s'agit pas seulement de réduire les émissions, mais aussi de s'adapter au réchauffement climatique dans les régions dont la population est particulièrement touchée.

Le financement de millions de certificats d’émission de CO2 reste flou

La frénésie d'économies dans le budget fédéral est déjà très concrète. Pourtant, une partie considérable des compensations prévues à l'étranger doit encore être achetée par la Confédération. Selon le message relatif à la révision de la loi sur le CO2, ces achats coûteront entre 90 millions et 2,2 milliards de francs d'ici 2030, selon le prix et la quantité nécessaire — un poste de budget qui n'apparaît encore nulle part.

Le bilan d'Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement, est sans appel. Selon l’experte climatique Delia Berner, « la politique climatique suisse s'est embourbée dans la compensation à l'étranger. Tant dans son propre intérêt que dans celui de la justice climatique, la Suisse ne doit pas gaspiller le peu de temps qui lui reste : elle doit réduire ses propres émissions de CO2 conformément à la loi sur la protection du climat. Et notre pays doit cofinancer séparément les projets climatiques à l'étranger. »

 

Pour de plus amples informations :
Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch

Recherche d’Alliance Sud et d’Action de Carême sur les bus électriques à Bangkok

Étude commandée par Caritas Suisse sur un projet de cuisinières au Pérou

 

 

Communiqué

Alliance Sud dit OUI à la loi climat

03.05.2023, Justice climatique

Les huit directeurs d'Alliance Sud et de ses organisations membres soulignent à l’unisson que la loi sur la protection du climat est un premier pas vers davantage de justice climatique.

Alliance Sud dit OUI à la loi climat

Il est temps que la Suisse apporte sa contribution à la lutte contre la crise climatique mondiale. Les pires effets du réchauffement climatique touchent les plus pauvres dans le Sud global, qui pourtant contribuent le moins au changement climatique. Le cyclone Freddy a battu plusieurs records mondiaux en mars de cette année. La tempête tropicale a fait plus de 1 000 victimes au Malawi, au Mozambique et à Madagascar, a semé la destruction partout sur son passage et a été la plus longue jamais enregistrée. Elle a en effet duré plus d’un mois et a battu le record de l’énergie cyclonique accumulée.

Le cyclone Freddy montre bien que les catastrophes climatiques dans le Sud global provoquent des pertes et dommages toujours plus importants. « La vulnérabilité aux impacts de la crise climatique est nettement plus élevée dans les pays à faible revenu, par exemple lorsque les fonds pour l'adaptation au changement climatique font défaut », note Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement. « Le dernier rapport mondial sur l’évolution du climat montre que dans une région vulnérable, 15 fois plus de personnes meurent lors d'un événement météorologique extrême que lors d'un épisode comparable dans une région bien adaptée comme la Suisse. »

La Suisse a la responsabilité de contribuer de manière appropriée à l'atténuation du réchauffement climatique. La comparaison des émissions annuelles de gaz à effet de serre par habitant liées à la consommation entre la Suisse (14 tonnes de CO2) et les pays les plus touchés comme le Malawi (0,1 tonne de CO2), le Mozambique (0,3 tonne de CO2) ou Madagascar (0,1 tonne de CO2) montre sans équivoque l'écart existant.

Pour la protection de la Suisse et du Sud global

La loi climat fixe les objectifs de réduction des émissions suisses à zéro net d'ici 2050. « C'est le minimum que notre pays doit atteindre », remarque Bernard DuPasquier, directeur adjoint de l'EPER : « Une contribution vraiment équitable à la protection du climat impliquerait que notre pays aille encore plus vite ». Franziska Lauper, directrice de Terre des hommes suisse, ajoute : « Nous devons agir immédiatement pour que les générations futures — chez nous comme dans le Sud global — ne souffrent pas davantage des conséquences du réchauffement. »

Dans cet objectif, la réduction de moitié des émissions d'ici 2030 prévue dans la loi est essentielle. En effet, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) insiste sur le fait que des mesures de protection climatique plus strictes doivent être prises lors de cette décennie afin d'éviter de dépasser la limite de 1,5°C. « Le seuil d'un réchauffement global de 1,5°C n'est pas arbitraire. Il est scientifiquement fondé et inscrit dans l'accord de Paris sur le climat », rappelle Melchior Lengsfeld, directeur d'Helvetas, avant d'ajouter : « Les conséquences de toute nouvelle augmentation sont dévastatrices — pour les populations du Sud global en particulier. »

Le rapport du Groupe d'expert-e-s intergouvernemental sur l'évolution du climat met également en exergue les possibilités existantes pour atteindre la neutralité climatique. « Une décarbonisation rapide est nécessaire, en Suisse également. Elle est techniquement réalisable depuis longtemps. Nous devons mettre fin à l'utilisation des énergies fossiles dès que possible », avertit Bernd Nilles, directeur d'Action de Carême. Peter Lack, directeur de Caritas Suisse, ajoute : « La loi prévoit que la protection du climat soit aménagée de façon socialement acceptable. C'est crucial car des personnes à faibles revenus peuvent ainsi la soutenir et lui assurer une large assise. »

Pour une meilleure sécurité alimentaire et énergétique

La protection du climat est essentielle pour la sécurité alimentaire. « Le rapport mondial sur l’évolution du climat met en évidence que la productivité de l'agriculture diminue globalement avec le réchauffement climatique. La production d'une nourriture suffisamment saine et variée devient plus compliquée en cas de sécheresse croissante et de conditions météorologiques imprévisibles — chez nous, mais surtout pour les familles de petits paysans dans les pays pauvres », relève Markus Allemann, directeur de SWISSAID. « Mais l'alimentation est aussi une partie de la solution, si nous nous nourrissons de manière plus respectueuse du climat et plus écologique. »

Dire oui à la loi climat n'est pas seulement essentiel pour la sécurité de l'approvisionnement et la préservation de nos propres bases vitales, c'est aussi une chance de faire remarquer à la communauté mondiale que la population suisse prend la crise climatique au sérieux. « Avec les crises à répétition actuelles et les catastrophes climatiques de plus en plus violentes dans le Sud global, il est crucial que nous fassions preuve de solidarité en disant oui à la protection du climat », résume Felix Gnehm, directeur de Solidar Suisse. « Nous voulons une transition juste vers un monde préservant le climat — la protection de ce dernier dans nos frontières en fait partie. »


Pour tout complément d’information :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30
Delia Berner, spécialiste du climat chez Alliance Sud, tél. +41 77 432 57 46
Marco Fähndrich, responsable de la communication chez Alliance Sud, tél. +41 79 374 59 73

Article

Une politique climatique qui soulève des questions

12.02.2021, Justice climatique

Dans sa Stratégie climatique à long terme, le Conseil fédéral reconnaît sa responsabilité globale. Mais la coopération suisse au développement ne doit pas se muer en un instrument permettant d'atteindre l'objectif climatique à long terme.

Une politique climatique qui soulève des questions

von Jürg Staudenmann, ehemaliger Fachverantwortlicher «Klima und Umwelt»

Dans sa Stratégie climatique à long terme, le Conseil fédéral reconnaît sa responsabilité globale et adhère au principe logique de réduire également les gaz à effet de serre (GES) dans l'empreinte climatique de la Suisse hors des frontières nationales. Dans le même temps, les puits de GES à l’étranger devraient toutefois aussi servir à équilibrer le bilan GES national d'ici 2050 (« objectif de zéro net »). Cela soulève des questions fondamentales.

Le 27 janvier, le Conseil fédéral a présenté la Stratégie climatique 2050 de la Suisse, un document attendu depuis longtemps et avec impatience. En 2015, avec l'accord de Paris sur le climat, tous les pays se sont engagés à définir, d'ici 2020, comment ils contribueraient à réduire les GES dans le monde pour atteindre « zéro émission nette de gaz à effet de serre » au plus tard au milieu du siècle ; en d'autres termes, à atteindre un équilibre entre les sources et les puits d'émission.

Dans le document désormais disponible, le Conseil fédéral réaffirme son objectif, adopté en 2019 : « la Suisse doit parvenir à un bilan GES équilibré (zéro net) d’ici 2050 ». Malgré l'engagement explicite selon lequel « d'un point de vue scientifique, une réduction des émissions mondiales de GES à zéro net est impérative afin de contenir le réchauffement de la Planète en dessous du seuil critique », l'objectif de zéro net désormais fixé explicitement n'inclut toutefois que « les émissions générées à l’intérieur des frontières de la Suisse ».
En revanche, le Conseil fédéral reconnaît « qu’environ deux tiers de l’empreinte GES de la Suisse sont générés à l’étranger ». Il formule donc logiquement – et de manière tout à fait louable – le principe de la politique climatique suisse pour les 30 prochaines années, selon lequel les émissions sont à réduire « tout au long des chaînes de valeur ajoutée ».

Mais la question de savoir avec quelles mesures concrètes réduire les émissions à l'étranger reste ouverte. En outre, la Confédération fait également mention des « émissions négatives probablement nécessaires pour compenser les émissions résiduelles [nationales] ». Selon la stratégie, cela représente entre 7 et 12 millions de tonnes d'équivalents CO2 (7-12 Mt éq.-CO2), soit jusqu'à un tiers des émissions nationales actuelles. Les puits naturels et les capacités de stockage géologique étant limités sur le territoire national, le Conseil fédéral part toutefois du principe que la Suisse « sera donc dépendante également de l’accès à des puits étrangers ».

Puits d’émissions suisses à l’étranger ?

En d'autres termes, malgré l'élimination des GES dans tous les secteurs, des millions de tonnes d’éq.-CO2 doivent encore être compensées par des puits de GES techniques ou naturels à l'étranger, même en 2050. Le Conseil fédéral affirme toutefois aussi, dans le même document stratégique, que « le potentiel [pour des mesures à l'étranger] devrait toutefois diminuer » rapidement car les GES devront être éliminés dans le monde entier d'ici 2050. Et que « tous les pays devraient être moins enclins à céder à d’autres pays des possibilités de réduction imputables obtenues à bas coût ».

En réalité, plus de 60 pays ont déjà adopté des objectifs de zéro net – la plupart d'entre eux, soulignons-le, sans aucune intention de compensations au-delà de leurs frontières nationales. Ces pays, ainsi que des pays à faible revenu, auront besoin de toutes les réductions d'émissions qui peuvent être réalisées dans leur propre pays pour atteindre leurs propres objectifs climatiques. En outre, plus de 1 000 entreprises se sont déjà engagées à « compenser » leurs émissions (dont certaines sont historiques) par le reboisement ou moyennant des technologies à émissions négatives. Cela soulève inévitablement la question de savoir sur quels terrains tout ce carbone doit être éliminé et stocké. En particulier, les « approches basées sur la nature » – comme le reboisement ou la remise en eau de marais asséchés – font inévitablement planer la menace de nouveaux conflits en raison d'autres revendications d'affectation des terres, de la sécurité alimentaire ou de la violation des droits fonciers des populations résidentes et autochtones.

Outre la question de savoir où et avec quels puits de GES étrangers les millions de tonnes « d’émissions résiduelles suisses » provenant du marché indigène et des chaînes de valeur ajoutée quasiment deux fois plus nocives pour le climat doivent être stockées de manière permanente, se pose aussi la question du financement nécessaire.

Les fonds de la coopération internationale pour réduire les émissions suisses ?

Le principe explicite selon lequel la Suisse « assume sa responsabilité en matière de politique climatique » et veut par conséquent réduire les émissions « tout au long des chaînes de valeur ajoutée », et donc pour la première fois dans la politique climatique suisse au-delà des frontières nationales, est certes à saluer. La stratégie reste vague sur la question des mesures concrètes à prendre pour réduire l'empreinte climatique à l'étranger. Par exemple, les conditions-cadre devront donc être définies « de manière à ce que, tout au long des chaînes de valeur ajoutée, la production et la demande des biens et des services aient un impact environnemental global aussi faible que possible et génèrent aussi peu d’émissions de GES que possible ». La Confédération, les cantons et les communes « veillent à la préservation des ressources naturelles et renforcent les approches d’économie circulaire ».

Mais la stratégie climatique à long terme est très concrète s’agissant de la coopération internationale (CI). Elle s’engage « notamment en faveur de la réduction des émissions dans les chaînes valeur ajoutée à l’étranger ». La nouvelle loi sur le CO2 prévoit que la Suisse « contribue à réduire les émissions à l’étranger dans une mesure correspondant à ce qu’elle émet. » À cette fin, « les ressources dont dispose la CI sont progressivement augmentées jusqu’à fin 2024 : elles passent de 300 millions de francs par année (2017-2020) à environ 400 millions de francs par année » – mais, notons-le, sans augmentation correspondante des crédits globaux de la coopération au développement. Comme indiqué dans des articles précédents, près de 20 % du total des fonds de la coopération au développement de la Direction du développement et de la coopération (DDC) et du Secrétariat d'État à l'économie (SECO) doivent être réservés pour des projets climatiques d'ici 2024.

Faut-il donc craindre qu'avec la nouvelle Stratégie climatique à long terme, le Conseil fédéral fasse porter la responsabilité principale de l'élimination des émissions dans nos chaînes d'approvisionnement à la coopération internationale et les coûts des mesures mises en œuvre à l’étranger sur les deux plus importants crédits-cadres de la DDC et du SECO, crédits pourtant stagnants ? Car la stratégie n'envisage pas de nouvelles sources de financement additionnelles. Elle fait tout juste miroiter l’espoir flou d'une future mobilisation accrue des investissements privés étrangers.

Quid du Fonds pour le climat ?

De manière remarquable et regrettable, le nouveau Fonds pour le climat de la loi révisée sur le CO2 n’est pas mentionné en lien avec les mesures mises en œuvre à l’étranger. Il a pourtant été institué précisément pour permettre le financement de mesures supplémentaires de réduction des émissions à partir de la future taxe sur les billets d'avion et sur le CO2. En principe, cela ouvre la possibilité, réclamée depuis longtemps, de financer la protection du climat à l'étranger selon le principe de causalité et d’alléger la pression sur les crédits-cadres sous-dotés de la coopération au développement.

La coopération au développement ne peut en effet pas avoir pour objectif de servir de plus en plus d’instrument et de source de financement visant à réduire l'empreinte climatique de la Suisse. Orienter toujours davantage la coopération au développement vers la réduction des émissions dans nos chaînes d'approvisionnement plutôt que vers la réduction de la pauvreté et des inégalités dans les pays en développement – ou du moins vers le soutien des populations les plus pauvres et les plus touchées par la crise climatique de l’hémisphère sud – est également difficilement compatible avec la loi sur l'aide au développement.

En conclusion : la Stratégie à long terme est à courte vue

La Stratégie climatique à long terme reconnaît une responsabilité globale et vise à réduire l'empreinte climatique de la Suisse hors de ses frontières également. On peut s’en féliciter même si la stratégie reste vague en ce qui concerne les mesures concrètes à prendre à l'étranger. Le Conseil fédéral laisse ouverte la question de savoir comment il entend compenser les « émissions résiduelles inévitables » des chaînes de valeur ajoutée nationales et mondiales au moyen de puits à l’étranger. Le rôle attribué à la coopération au développement dans la réduction de l'empreinte climatique de la Suisse semble très discutable vu son mandat et les budgets dont elle dispose.

De nouveaux instruments et des sources de financement additionnelles, respectueux du principe de causalité, sont nécessaires de toute urgence pour les mesures climatiques mises en œuvre hors des frontières nationales. La coopération suisse au développement ne doit pas se muer en instrument visant au respect de l'objectif climatique à long terme de la Suisse ; d’autant moins qu'elle n'est pas financée à hauteur d’au moins 0,7% du RNB, comme le réclament les accords internationaux.

Article

Oui à la loi climat — Oui à la justice climatique

15.02.2023, Justice climatique

Le 18 juin, la Suisse votera sur le contre-projet à l'Initiative pour les glaciers. La loi est une étape nécessaire et urgente pour la politique climatique suisse et pour la contribution de la Suisse à la justice climatique mondiale.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Oui à la loi climat — Oui à la justice climatique

Le glacier Ducan dans le canton des Grisons le 11 septembre 2022.

Les raisons pour lesquelles la Suisse devrait, dans son propre intérêt, lutter contre la crise climatique sont nombreuses : les glaciers fondent toujours plus vite et amenuisent les réserves d'eau du pays, les périodes de canicule entraînent davantage de décès et les précipitations extrêmes réduisent les récoltes, pour ne citer que quelques conséquences. Mais ce que le réchauffement climatique provoque chez nous est souvent encore plus patent dans les pays du Sud mondial. En particulier lorsque les capacités financières sont nettement moindres en raison de la crise de l’endettement et de l'évasion fiscale, de nombreuses régions ne peuvent pas s'adapter suffisamment au changement climatique et sont donc plus vulnérables à ses répercussions.

La Suisse parmi les pollueurs climatiques majeurs

Un facteur décisif contribue largement à l'injustice : contrairement à la Suisse, les pays les plus pauvres du Sud mondial n’ont pas leur part de responsabilité dans la crise climatique, et pourtant ils en souffrent plus que la moyenne. La responsabilité partagée de la Suisse est particulièrement évidente si l'on compare ses émissions de gaz à effet de serre par habitant avec celles d'autres pays. Il est à cet égard essentiel de comparer les émissions basées sur la consommation, car la Suisse est justement responsable de plus de gaz à effet de serre que ne le suggèrent habituellement les chiffres calculés sur la seule base des émissions nationales, en raison de l'importation (nette) de biens et des voyages en avion plus fréquents que la moyenne de ses citoyennes et citoyens.

Selon le Global Carbon Atlas, chaque personne résidant en Suisse était responsable en moyenne du rejet de 14 tonnes de CO2 en 2019 ; c'est seulement trois tonnes de moins qu'aux États-Unis. La Suisse se situe ainsi à la 13e place mondiale, les États-Unis se trouvant à la 10e place. Nos voisins émettent tous moins de CO2 sur la base de la consommation, l'Allemagne se classant 24e avec 10 tonnes de CO2 par personne et la France 48e avec 6,5 tonnes de CO2. Même la Chine, qui émet désormais le plus de CO2 en valeur absolue, se classe 44e avec 7 tonnes de CO2, soit à peine la moitié de la Suisse. Si on prend l'exemple du Pakistan, qui a souffert d’inondations dévastatrices l'année dernière, on arrive à 1 tonne de CO2 par habitant, et même à 0,1 tonne de CO2 par habitant en 2019 dans des pays encore plus pauvres comme la Tanzanie ou le Malawi.

Intensifier le financement climatique et repenser le comportement de consommation

La Suisse est responsable tant des gaz à effet de serre émis sur son territoire que de ceux qu'elle rejette à l’étranger pour sa consommation. Pour lutter équitablement contre la crise climatique, il n'y a pas d'autre solution que de réduire rapidement les émissions domestiques, car la Suisse dispose à cet égard des moyens juridiques, techniques et financiers nécessaires. Il est de notre responsabilité d'adapter notre propre comportement pour un avenir respectueux du climat et pour éviter de nouveaux dommages climatiques partout sur la planète. La responsabilité pour les émissions à l'étranger doit être assumée indépendamment ou de façon additionnelle. Pour cela, la  Suisse doit accroître ses contributions au financement international dans le domaine du climat et repenser son comportement de consommation.

Soumise au vote populaire le 18 juin 2023 prochain, la loi climat  trace le cadre juridique pour une réduction des gaz à effet de serre suisses jusqu'à zéro émission nette en 2050 au plus tard. Cette loi est une étape nécessaire et urgente pour la politique climatique suisse et pour la contribution de notre pays à la justice climatique mondiale. Alliance Sud milite donc pour qu’un oui soit jeté dans les urnes le 18 juin prochain.

Politique climatique suisse

Politique climatique suisse

En tant que membre de l’Alliance climatique suisse, Alliance Sud s’engage pour une politique climatique suisse ambitieuse et équitable.

De quoi s’agit-il ?

Publikationstyp

De quoi s’agit-il ?

La justice climatique implique que la Suisse utilise les leviers dont elle dispose pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris, à savoir limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Outre sa responsabilité directe pour ses propres émissions, elle est le siège de nombreuses multinationales ainsi que d'une importante place financière. De même, elle joue un rôle de leader dans le commerce mondial des combustibles fossiles. Ces entreprises et acteurs financiers ne sont pas soumis à des directives contraignantes relatives à l'abandon des énergies fossiles et maximisent leurs profits sans payer les dommages climatiques qui en résulte

Opinion

Un « oui » clair pour la justice climatique

19.06.2023, Justice climatique

Avec 59,1% d’avis favorables, les électrices et électeurs ont clairement donné au Conseil fédéral le mandat d'assumer davantage de responsabilités dans la mise en œuvre de l'accord de Paris.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Un « oui » clair pour la justice climatique

© Verein Klimaschutz Schweiz

Enfin ! Le dimanche de la votation, Alliance Sud a également ressenti un grand soulagement lorsqu'il est apparu sans équivoque qu'une protection forte du climat était susceptible de réunir une majorité au sein de l'électorat suisse — en dépit d’une contre-campagne agressive. Le contre-projet indirect à l'initiative sur les glaciers a su convaincre, car une large majorité de la population estime qu'il est grand temps que notre pays assume davantage de responsabilités dans la protection du climat — tant dans son rôle international de pays prospère que vis-à-vis de sa propre population. Ainsi, la loi ne règle pas seulement les obligations de la Suisse en matière de réduction des émissions, mais aussi la responsabilité de la Confédération et des cantons de veiller à l'adaptation au changement climatique.

La nette approbation de la Loi Climat donne au Conseil fédéral et au Parlement le mandat explicite de décider dès à présent des mesures appropriées pour une réduction rapide des émissions suisses, notamment par des adaptations de la loi sur le CO2. L'objectif de réduction de moitié des émissions d'ici 2030 réclame déjà des efforts supplémentaires et constitue simultanément une condition clé pour atteindre l'objectif de l'accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. La loi sur la protection du climat prévoit que ces réductions doivent être atteintes « dans la mesure du possible » en Suisse. Les possibilités de la politique climatique helvétique sont loin d'être épuisées et vont bien au-delà de l'objectif déclaré du conseiller fédéral Rösti de veiller à ce qu'il y ait suffisamment d'électricité indigène. La première étape majeure sera l'adoption rapide par le Conseil fédéral de l'ordonnance relative à la loi sur la protection du climat.

La réduction rapide des émissions n'est qu'une partie de la responsabilité de la Suisse en matière de justice climatique. La loi exige de surcroît que les flux financiers soient respectueux du climat. La Confédération doit veiller à ce que la place financière suisse apporte sa contribution à la protection globale du climat. Il existe un retard important à combler à ce niveau et, dans le même temps, une énorme chance à saisir d'activer les leviers suisses pour la protection du climat partout sur la planète.

Avec le « oui » franc et massif des citoyennes et citoyens en âge de vote, la Suisse devrait dès à présent profiter de l'impulsion donnée pour mettre en œuvre l'accord de Paris en conformité avec ses responsabilités et à la grande flexibilité financière dont elle dispose en tant que pays riche. Parmi ces engagements figure une contribution équitable de notre pays au financement international dans le domaine du climat, qui ne doit pas se faire sur le dos de la coopération internationale. À l'avenir, la Suisse doit mobiliser des ressources financières additionnelles en faveur du Sud mondial moyennant des instruments de financement conformes au principe du pollueur-payeur.