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Communiqué
Le Conseil fédéral veut compenser davantage de CO2 à l'étranger après 2030
12.09.2025, Justice climatique
Avec sa décision d’aujourd'hui sur la politique climatique après 2030, le Conseil fédéral prévoit de réduire si peu les émissions de CO2 sur le territoire national que la quantité absolue de certificats de compensation de CO2 à l’étranger devra continuer d'augmenter pour atteindre les objectifs fixés par la loi. Le Conseil fédéral fait en outre fi du financement international dans le domaine du climat et d'autres leviers pour la protection du climat à l’échelle planétaire.

Aucune mesure dans le domaine du transport aérien, un levier national puissant pour réduire les émissions. Au lieu de cela, le Conseil fédéral continue de miser sur les compensations à l'étranger. © Keystone / Christian Merz
La communication du Conseil fédéral sur la décision prise aujourd'hui concernant la manière dont la Suisse doit atteindre ses objectifs climatiques d'ici 2040 est trompeuse. Le Conseil fédéral parle d’augmenter la part des mesures prises en Suisse, mais omet de dire que la compensation du CO2 dans le Sud global continue de gagner en importance en tant qu’instrument de la politique climatique suisse. L'extension des mesures prises dans le pays semble de prime abord une bonne chose, car elle est nécessaire de toute urgence. Cependant, formulée sous forme de « part », elle n’implique pas de facto une diminution de la compensation à l'étranger, bien au contraire. En chiffres absolus, cette formulation permet au Conseil fédéral d’accroître la compensation à l'étranger de 9 millions de tonnes d’éq.-CO2 en 2030 jusqu’à 13 millions de tonnes d’éq.-CO2 en 2040 pour atteindre l’objectif de réduction. Cela signifierait qu'en 2040, la Suisse émettrait sur son territoire jusqu'à deux fois plus d'émissions que ne le permet son objectif de réduction (voir graphique) — une erreur de planification désastreuse.
« Le Conseil fédéral prévoit de facto d'étendre la compensation de CO2 dans le Sud global au lieu d'accélérer enfin la décarbonation de notre pays. C'est irresponsable, car pour atteindre l'objectif mon¬dial de zéro émission nette en 2050, des pays comme la Suisse doivent montrer la voie en matière de réduction des émissions. « Ce n'est qu'ainsi qu'il restera une marge de manœuvre pour les émissions croissantes de CO2 des pays pauvres, sans que la crise climatique ne s'emballe complètement », explique Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, le centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement.
En vigueur depuis début 2025, la loi sur le CO2 et son ordonnance prévoient que deux tiers de l'objectif de réduction des émissions de 50 % doivent être réalisés en Suisse jusqu’en 2030. La part de la compensation du CO2 à l'étranger s'élève donc à un tiers, soit à près de 9 millions de tonnes d’éq.-CO2 en 2030. Lorsque le Conseil fédéral annonce son intention de réduire la part de la compensation à l'étranger d'ici 2040, cela signifie seulement que celle-ci ne pourra plus dépasser un tiers (ou un peu moins) en 2040. Avec un objectif de réduction de 75 % d'ici 2040, cela correspond à un maximum de 13 millions de tonnes d’éq.-CO2 qui seraient compensées à l'étranger. Conformément au plan du Conseil fédéral, les besoins en compensation de CO2 à l'étranger continueront donc de croître jusqu'en 2040.
Alliance Sud et des instituts de recherche ont montré à maintes reprises pourquoi la Suisse fait fausse route en compensant ses émissions de CO2 à l'étranger :
- Une étude de l’EPFZ, qui a analysé plus de 2 000 projets de compensation existants, est arrivée à la conclusion que seuls 12 % des certificats négociés entraînent une réduction effective des émis-sions. Il est donc très improbable, et en tout cas impossible à prouver de manière irréfutable, que la Suisse puisse compenser ses propres émissions grâce à des projets de compensation.
- L’approche helvétique, qui consiste à acheter des certificats bon marché à l’étranger plutôt que de réduire ses émissions au plan national, est blâmée sur la scène internationale. Les premiers projets de compensation bilatéraux de la Suisse, qu'elle souhaite prendre en compte dans son objectif de réduction pour 2030, sont déjà critiqués. En effet, ils enfreignent les droits des travailleuses et des travailleurs, surestiment les réductions d'émissions prévues, et suscitent des doutes quant à leur caractère additionnel ou à leur faisabilité.
- L'engagement de réduire les émissions suisses à zéro net n’est pas abandonné. Si la Suisse se donne le temps de réduire ses émissions nationales de 50 % d'ici 2040 (voir graphique), elle en aura réduit 50 % en 50 ans et devra ensuite réduire les autres 50 % en seulement 10 ans.
Aucun effort pour la politique climatique mondiale
Même s’il est évident que la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C nécessite des efforts considérables à l’échelle mondiale pour réduire les émissions de CO2, le Conseil fédéral ne montre aucune motivation en ce sens. La décision prise aujourd'hui ne prévoit aucun levier permettant à la Suisse de réduire davantage les émissions planétaires, que ce soit via la place financière suisse, le transport aérien ou les émissions importées.
Le Conseil fédéral ne dit rien non plus sur le financement international dans le domaine du climat, alors que celui-ci est scientifiquement justifié, comme l'ont récemment souligné plus de 100 scientifiques suisses. Alliance Sud demande que la Suisse contribue dès 2030 à hauteur de 1 % au nouvel objectif international de 300 milliards de dollars décidé pour la protection du climat et l'adaptation au changement climatique dans les pays pauvres. « Les recettes du système d'échange de quotas d'émission devraient également être utilisées pour augmenter le financement international dans le domaine du climat », conclut Delia Berner.
Pour tout complément d’information :
Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch