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11.12.2025, Coopération internationale
Alors que le monde est confronté à une multitude de crises exigeant des solutions globales urgentes, la plupart des États, et notamment les États-Unis réduisent drastiquement leurs budgets de coopération internationale. Cette situation plonge l'ensemble du secteur dans une crise existentielle. Analyse de Kristina Lanz et Laura Ebneter
Arrêt de l’aide malgré la guerre et la faim : des personnes réfugiées de l’est de la République démocratique du Congo se tiennent près de la dernière livraison de nourriture de l’USAID au Burundi. © Keystone/AFP/Luis Tato
Bien qu’imparfaite et même si elle a souvent été guidée par des intérêts nationaux, la coopération internationale (CI) a accompli des progrès considérables aux niveaux multilatéral et bilatéral. Après la Seconde Guerre mondiale, l'ONU a été créée comme une institution au sein de laquelle tous les pays discutent d’égal à égal et trouvent des solutions à des problèmes communs. Grâce à ses différentes agences spécialisées, l'ONU s'attaque à tous les problèmes planétaires ; des accords internationaux tels que l'accord de Paris sur le climat et les Objectifs de développement durable ont fixé des cadres communs pour traiter les problèmes urgents de l'humanité.
Née dans le contexte de la décolonisation et initialement étroitement liée à la géopolitique de la Guerre froide, la coopération bilatérale et intergouvernementale au développement s’est progressivement transformée au fil des ans : moins verticale, plus diversifiée et plus enracinée localement. Elle a contribué à des avancées considérables dans des domaines tels que la santé, la mortalité maternelle et l'éducation, et a permis de mieux faire accepter des sujets tels que les droits humains, l'égalité des sexes et la démocratisation.
Bien sûr, la coopération multilatérale comme la coopération bilatérale présentent depuis longtemps des signes de déclin (une fragmentation et une bureaucratisation croissantes par exemple). Elles ne se sont jamais totalement affranchies de la domination de l’Occident, mais s’inscrivent néanmoins dans un système de valeurs international fondé sur la paix, les droits humains universels, la solidarité internationale et la justice. Et ce sont précisément ces valeurs, et avec elles les multiples acquis de la coopération internationale, qui sont aujourd'hui menacées.
Face à l’intensification de la « polycrise » mondiale, de plus en plus de pays se retranchent derrière leurs intérêts nationaux (à très court terme), se réarment et réduisent drastiquement leur financement de la coopération internationale. Par ailleurs, les fonds initialement destinés à la réduction de la pauvreté sont progressivement redistribués depuis des années. Cela se manifeste de diverses manières :
Dans le contexte de la montée des courants populistes de droite, qui ont atteint un premier pic lors du second mandat de Donald Trump, la crise actuelle apparaît comme bien plus qu'un simple ralentissement économique passager. Elle représente un tournant décisif quant aux objectifs politiques, aux valeurs et aux fondements institutionnels de la CI. Le principe selon lequel les pays riches doivent soutenir les pays pauvres dans leurs efforts de développement est fondamentalement remis en question. Axée sur des valeurs partagées, la réduction de la pauvreté et le multilatéralisme, la coopération internationale cède progressivement la place à un paradigme fondé sur les intérêts économiques, nationaux et sécuritaires.
Si « l'Occident » en tant qu'entité est toujours davantage une fiction, le « Sud global » l'est depuis longtemps. La Chine, encore partiellement considérée comme un « pays en développement » au sein du système de l’ONU, est elle-même un acteur majeur de la coopération internationale. Il en va de même pour les États du Golfe et la Turquie ; des pays comme l'Inde et le Brésil sont à la fois bénéficiaires et donateurs. L'importance croissante des donateurs dits non traditionnels est aussi manifeste dans toute une série de nouveaux organismes multilatéraux (comme l’AIIB, la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures, et la NBD, la Nouvelle Banque de développement) qui, contrairement à de nombreux organismes « traditionnels » comme la Banque mondiale ou le FMI, ne sont pas dominés par l'Occident.
Les puissances mondiales courtisent l’Angola pour les matières premières ; cela ne profite en rien aux plus pauvres. © Tommy Trenchard/Panos Pictures
Il n'est donc pas surprenant que nombre de pays parmi les plus pauvres, croulant sous le poids d'un système financier et économique mondial injuste et dominé par l’Occident, se détournent de plus en plus de ce dernier et préfèrent coopérer avec d'autres pays donateurs comme la Chine ou la Russie. Et tandis que l'effondrement de la CI devrait faire des millions de victimes, plusieurs dirigeants africains ont déclaré que ce bouleversement était « attendu depuis longtemps » (le président Hichilema de Zambie) et qu'il devait être perçu comme un signal les incitant à miser davantage sur leurs propres ressources (le président Mahama du Ghana). La société civile dans ce que l’on appelle le Sud global réclame également de plus en plus fort des réformes de la CI et des conditions cadres plus équitables qui permettraient aux pays pauvres d'utiliser leurs propres ressources pour leur développement.
Les spécialistes s’accordent à dire que le démantèlement de l’USAID a inauguré une nouvelle ère de coopération internationale. Ils divergent toutefois quant aux solutions proposées à la crise actuelle. Alors que la plupart des agences de développement européennes privilégient de plus en plus la « mobilisation du secteur privé », des réformes structurelles bien plus fondamentales sont débattues au sein des réseaux de la société civile internationale.
Les appels toujours plus pressants à la décolonisation et à la localisation de la coopération internationale doivent enfin être entendus.
En effet, malgré tous les succès de la coopération internationale, des réformes s'imposent, notamment face à la fragmentation et à la bureaucratisation croissantes, mais aussi en matière de localisation et de décolonisation de la CI. La crise actuelle de la CI devrait donc être l'occasion de repenser et de réorganiser les structures établies.
Alors que le nombre d'acteurs officiels du développement a plus que doublé entre 2000 et 2020 (passant d'environ 212 à 544), le volume financier des transactions individuelles a considérablement diminué. De nombreux pays bénéficiaires sont aujourd’hui en contact avec plus de 150 agences différentes, dont la plupart ont leurs propres exigences administratives, plutôt que de s'aligner sur les systèmes des pays bénéficiaires. Il est urgent d'améliorer la coopération entre tous les protagonistes et d'assurer un alignement systématique de leurs actions sur les besoins et les systèmes administratifs des pays bénéficiaires (appropriation nationale ou country ownership).
Les appels toujours plus pressants à la décolonisation et à la localisation de la coopération internationale doivent enfin être entendus. Cela exige non seulement des réformes urgentes des principales instances multilatérales telles que le FMI, la Banque mondiale, le Comité d'aide au développement de l'OCDE et le Conseil de sécurité des Nations Unies afin de renforcer la voix des « pays en développement », mais aussi des réformes de la coopération bilatérale au développement en matière de localisation. Il faut réduire les lourdeurs bureaucratiques qui entravent l'accès aux financements et la mise en œuvre efficace des projets et programmes par les acteurs locaux, et mener une réflexion ciblée pour réduire durablement les inégalités de pouvoir au sein des structures de décision et de mise en œuvre des divers acteurs.
Les dépenses consacrées à la coopération internationale ne représentent en outre qu'une partie des nombreux flux financiers mondiaux. Selon l'ONU commerce et développement (CNUCED), l'Afrique perd chaque année 89 milliards de dollars à cause des flux financiers illicites, soit le double de ce qu’elle reçoit au titre de la CI. L'évasion fiscale et les industries extractives jouent un rôle central à cet égard. Cette situation a des conséquences dramatiques pour les pays les plus pauvres, car cette fuite de fonds les prive de la substance fiscale nécessaire au financement des systèmes d'éducation et de santé. Parallèlement, nombre de ces pays sont fortement endettés. Selon la CNUCED toujours, 61 pays en développement, tels que définis par l'ONU, consacrent actuellement plus de 10 % de leurs recettes publiques au service de la dette. Dans certains pays, ce pourcentage atteint même 30 à 40 %, dépassant largement leurs dépenses en matière de santé et d'éducation.
Réduire la pauvreté et la faim dans le monde exige par conséquent bien plus que la seule coopération internationale : cela requiert également une politique étrangère, économique et fiscale équitable qui garantisse que les pays riches ne vivent plus aux dépens des pays pauvres.
La coopération internationale est en pleine mutation, tant au niveau international qu'en Suisse. Même si des institutions clés continuent de se montrer réticentes à des réformes structurelles profondes et préfèrent déléguer leurs responsabilités au secteur privé, de plus en plus de voix s’élèvent pour souhaiter une nouvelle coopération internationale d’égal à égal, véritablement fondée sur des valeurs. Celle-ci devrait s'inscrire dans une politique étrangère, économique et financière plus large et réformée. Face à l'aggravation des crises mondiales et à la montée de la droite politique, il apparaît plus crucial que jamais de voir se constituer une société civile nationale et coordonnée au niveau planétaire, qui s’oppose résolument à ces tendances et affirme son engagement indéfectible envers la démocratie, les droits humains et la coopération internationale.
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