Communiqué

Les dépenses de développement en chute libre

16.04.2025, Financement du développement

Une fois de plus, la Suisse est loin d'atteindre l'objectif convenu au plan international de 0,7 % du revenu national brut (RNB) pour la coopération au développement. Les chiffres publiés aujourd'hui par l'OCDE sur l’aide publique au développement (APD) montrent qu'en 2024, la Suisse n'aura consacré que 0,51 % de son RNB à la coopération au développement, soit 14,9 % de moins que l'année précédente. Avec les coupes décidées en décembre 2024, un nouveau recul se profile.

 Les dépenses de développement en chute libre

Image symbolique © Keystone

Comme les années précédentes, la Suisse n'a pas respecté ses engagements internationaux l'an dernier et se classe au 8e rang des pays donateurs de l'OCDE avec 0,51 % de son RNB. En excluant les dépenses d'asile en Suisse, qui peuvent également figurer dans l'APD pour des raisons incompréhensibles, ses dépenses de développement ne s'élèvent qu'à 0,38 %. Ainsi, les dépenses d'asile en Suisse ne représentent pas moins de 25 % des dépenses de développement comptabilisées par notre pays.

La réduction de 14,9 % des dépenses de développement par rapport à l'année précédente va également à l’encontre de l'opinion de la population suisse. Selon un sondage représentatif de l’EPFZ publié aujourd'hui, près de 80 % de la population helvétique souhaite que les dépenses de développement restent stables ou augmentent.

La décision du Parlement de comprimer les dépenses de développement de 110 millions de francs en 2025 et de 321 millions pour les années 2026-2028 n'affecte pas encore les statistiques de l'OCDE. On peut donc supposer que la position de la Suisse continuera à se détériorer, et ce dans un contexte où tout a changé. Depuis l'investiture de Donald Trump, le multilatéralisme et, par conséquent, la Genève internationale ont été durement ébranlés. De plus, le démantèlement de l'USAID a des conséquences dramatiques partout sur la planète.

« Dans ce contexte mondial bouleversé, la Suisse devrait se positionner clairement et se ranger du côté du multilatéralisme, de la démocratie et des droits humains », souligne Kristina Lanz, experte en coopération internationale chez Alliance Sud. Cela implique également un soutien généreux aux organisations internationales basées à Genève, ainsi qu'un développement axé sur l'avenir du financement du développement et du financement international dans le domaine du climat. La 4e Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4), qui se tiendra à Séville du 30 juin au 3 juillet, offre une excellente occasion en ce sens.

Des investissements supplémentaires sont possibles

Même si le Conseil fédéral le nie sans cesse, la Suisse peut se permettre d'investir davantage dans la coopération internationale : d'une part, la Confédération aurait de nombreuses possibilités de générer des recettes supplémentaires, du moins à moyen et long terme, et d'autre part, la Suisse n'a aucune raison de faire des économies. « La dette publique extrêmement faible et en baisse de la Suisse permet aussi des investissements supplémentaires à court terme », affirme Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud. Selon une étude de Cédric Tille, professeur d'économie internationale à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, un desserrement du frein à l'endettement permettrait de disposer d'au moins 15 milliards de francs pour des dépenses supplémentaires d'ici 2030, et même de 25 milliards d'ici 2050. Et ce, sans que le taux d'endettement extrêmement faible de la Suisse n'augmente.

 

Informations complémentaires :
Kristina Lanz, experte en coopération internationale, tél. +41 31 390 93 40, kristina.lanz@alliancesud.ch
Andreas Missbach, directeur, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch

Infografik

Impact Investing

Un impact limité sur les pays les plus pauvres

21.03.2025, Financement du développement

L’investissement à impact est présenté par ses partisans comme un moyen de contribuer au financement des Objectifs de développement durable et du climat. Alliance Sud a analysé de plus près cette contribution, à ce jour encore très limitée.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Un impact limité sur les pays les plus pauvres

L’investissement dans les pays les plus pauvres est faible, car considéré comme trop risqué. A Guerou, en Mauritanie, un agriculteur pratique l’irrigation de ses pâturages en utilisant des panneaux solaires.
© Tim Dirven / Panos Pictures

 

Ce n'est un secret pour personne : la Suisse vise à devenir un leader dans le domaine de la finance durable. Au cœur de la finance dite durable se trouve l'investissement à impact, qui a une double ambition : garantir des rendements financiers « basés sur le marché » tout en contribuant à résoudre les défis sociaux et environnementaux globaux. Cette approche – définie pour la première fois en 2007 par la Fondation Rockefeller – a, depuis, séduit de nombreux adeptes publics et privés au sein du système financier international ; leur objectif commun est de « mobiliser » des capitaux privés pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD). Certains y voient même un moyen de pallier aux coupes dans les budgets de l’aide publique au développement (APD). Cependant, le « déficit » du financement nécessaire pour atteindre ces objectifs est abyssal. Selon l’ONU commerce et développement (CNUCED), basée à Genève, les pays en développement font face à un déficit de financement annuel de plus de 4’000 milliards de dollars américains. Sur cette somme, environ 2’200 milliards de dollars sont nécessaires pour financer la seule transition énergétique.

Pour mettre les choses en perspective, les banques suisses – leader en matière de gestion de fortune transfrontalière – géraient, à fin 2023, quelque CHF 8392 milliards. D’où la question, un peu candide : quelle part de cette fortune pourrait être investie dans les pays en développement pour financer les ODD ?

Financer les Objectifs de développement durable  ?

En effet, dans son plan d’action « finance durable », le Conseil fédéral vise à élargir l’accès aux investissements à impact à des capitaux privés, au-delà des seules fondations privées et des gestionnaires des patrimoines de personnes fortunées (family offices), « à grande échelle » pour financer des projets qui apportent une « contribution mesurable et crédible aux objectifs de durabilité ». Et de créer, en même temps, de nouveaux débouchés économiques pour le secteur suisse de la gestion d’actifs. En d’autres, termes, il s’agit de sortir l’impact investing de sa niche et de le rendre accessible et attrayant aux investisseurs institutionnels, y compris aux caisses de pension, qui recherchent, respectivement doivent assurer un rendement financier acceptable pour le marché.

En parallèle, des fonds de la coopération internationale (CI) de la Suisse – qui ont été pour rappel rabotés par le Parlement en décembre dernier – sont appelés, dans le cadre de financements mixtes (blended finance) à réduire les risques de placement pour rendre financièrement plus attrayant ces investissements à impact. Au travers de cette réduction des risques, l’espoir est de créer un « effet de démonstration » et d’attirer à plus grande échelle lesdits investisseurs institutionnels.

Afin d’analyser la plausibilité de ces attentes, Alliance Sud a présenté dans une étude récente le marché suisse de l'investissement à impact, soit les gestionnaires d'investissements à impact basés en Suisse qui déploient des capitaux dans les pays en développement. Ce marché comprend quelque 18 acteurs gérant près de 15 milliards USD de capitaux. Environ 11 milliards d'USD de ce montant sont des actifs dits privés, c'est-à-dire des investissements dans des actions et des obligations émises par des entreprises privées dans les pays en développement – par opposition aux entreprises « publiques » qui, elles, sont cotées en bourse.

Pour mettre ce chiffre en perspective, ce montant représente moins de 0,6 % du volume global des « investissements liés à la durabilité » (selon les définitions appliquées par l’association Swiss Sustainable Finance) ou 0,116 % du volume total des actifs sous gestion (AuM) des banques en Suisse à fin 2023 (les quelque 8400 milliards de francs suisses mentionnés plus haut).

 

In der chilenischen Atacamawüste steht ein hoher Turm, darum herum sind quadratische Solarpanels kreisförmig angeordnet.

D'innombrables banques européennes ont participé à des projets à faible risque et à haut rendement, comme la centrale solaire de Cerro Dominador dans le pays émergent du Chili. © Fernando Moleres / Panos Pictures

 

Forte concentration régionale…

Ce marché est fortement concentré, avec ses trois acteurs principaux — responsAbility, BlueOrchard et Symbiotics, maintenant tous en mains étrangères –, qui en contrôlent 80 %. Sur le plan régional, ces investissements se concentrent principalement en Amérique latine et dans les Caraïbes (24 %) ainsi qu'en Europe de l’Est et en Asie centrale (20 %), en raison de la stabilité politique et économique relative et d’un environnement favorable aux investissements. En revanche, l’Afrique subsaharienne ne reçoit que 13 % des investissements totaux, tandis que le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) n’en reçoit que 2 %, reflétant des conditions d’investissement moins attractives et des risques perçus comme plus élevés dans ces régions.

La moitié des investissements à impact se concentrent dans dix pays. L'Inde arrive en tête avec 15 % de l'exposition totale, suivie par le Cambodge, la Géorgie, l'Équateur et le Vietnam. Au total, 35 pays représentent 85 % des investissements (en ne prenant en compte que les pays avec au moins 1 % d'exposition). Parmi ces 35 pays, dès 2025, seuls 14 sont des pays prioritaires pour la coopération internationale suisse. En termes de revenus, la moitié sont des pays à revenu intermédiaire supérieur. Seuls quatre sont des pays les moins avancés (PMA) : le Cambodge (6 %), le Bangladesh (2 %) – pays dont la DDC a indiqué se retirer dès 2025 suite aux coupes budgétaires –, la Tanzanie (1 %) et le Myanmar (1 %).

… et sectorielle

Le marché suisse de l’investissement à impact est également très concentré sur le plan sectoriel. Représentant environ la moitié des actifs totaux sous gestion, la microfinance domine le marché. Les deux secteurs de la microfinance et du développement des PME représentent plus de 80 % des investissements, reflétant leur performance financière. Les secteurs de l'alimentation et de l'agriculture ainsi que du climat et de la biodiversité reçoivent des investissements bien moindres – avec 10 % et respectivement 4 % – malgré leurs besoins financiers importants. Les « secteurs sociaux », incluant le logement, l’eau, la santé et l’éducation, attirent ensemble moins de 2 % du capital. Cela s’explique principalement par le fait que ces secteurs n’offrent généralement pas des rendements financiers attractifs et sont souvent gérés comme des biens publics par les gouvernements.

Le marché suisse de l'investissement à impact tend donc à se concentrer sur des régions et des secteurs qui présentent des risques plus faibles et offrent des rendements financiers plus élevés. Cela reflète une tendance plus large vers des investissements « sûrs » qui ne répondent pas nécessairement aux défis les plus urgents en termes de développement durable. Dans ses conclusions, l’étude d’Alliance Sud insiste sur le fait que l'investissement à impact ne peut évidemment à lui seul pas combler le déficit de financement pour atteindre les ODD. Il est dès lors crucial de donner la priorité à la mobilisation des ressources domestiques, à la lutte contre les flux financiers illicites et au maintien d'une aide publique au développement substantielle pour les pays les plus pauvres.

 

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Communiqué

Renouveler le financement de l’UNRWA pour pérenniser le cessez-le-feu

13.02.2025, Coopération internationale, Financement du développement

À quatre jours de la réunion de la Commission de politique extérieure du Conseil des États (CPE-E), une dizaine d’organisations réaffirment la nécessité absolue de maintenir le financement de l’UNRWA pour pérenniser l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Les organisations remettent une lettre à la CPE lors d'une action pour appeler la Suisse à demeurer fidèle à sa tradition humanitaire.

Laura Ebneter
Laura Ebneter

Experte en coopération internationale

+41 31 390 93 32 laura.ebneter@alliancesud.ch
Renouveler le financement de l’UNRWA pour pérenniser le cessez-le-feu

Remise de la lettre à la porte de la Chancellerie fédérale. © Luisa Baumgartner / Alliance Sud

L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a procédé dès la fin janvier à l’évacuation de son siège dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, et au redéploiement temporaire de son personnel international en Jordanie. Cette mesure fait suite à l’adoption par le Parlement israélien d’une loi inédite et contraire au droit international, interdisant la présence de l’UNRWA en Israël, ainsi qu’à Jérusalem-Est, que le pays occupe depuis 1967.

« La loi israélienne entre en vigueur à un moment où l'aide humanitaire est plus que jamais nécessaire. La vie, la santé et le bien-être de millions de Palestinien·ne·s sont en danger. La Suisse doit demander au gouvernement israélien de permettre à l'UNRWA d'exercer sur l'ensemble du Territoire palestinien occupé, tout en poursuivant son soutien financier à l'agence onusienne », déclare Michael Ineichen, responsable de plaidoyer à Amnesty Suisse.

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza, l’UNRWA a acheminé 60 % de toute l’aide humanitaire parvenue dans le Territoire palestinien occupé. Elle y demeure le plus important acteur humanitaire. Seule l’agence onusienne dispose du réseau nécessaire pour délivrer des services tels que des abris d’urgence, des infrastructures d’assainissement, des soins et du matériel médical, et assurer la distribution de nourriture et d’eau. Le succès du cessez-le-feu dépend de cette aide essentielle.

Depuis l’arrêt de la Cour internationale de justice de janvier 2024, la Suisse a plus particulièrement l'obligation de prendre des mesures pour éviter un génocide et assurer une aide humanitaire à la population civile de Gaza. En tant qu’État dépositaire des Conventions de Genève, elle organise en outre une conférence des États parties aux Conventions de Genève dans le but de renforcer la protection de la population palestinienne. Une raison de plus de s’engager pleinement en faveur des droits humains des Palestinien·ne·s, notamment en contribuant à la livraison de biens et services de première nécessité.

« Amnesty International appelle donc la CPE à autoriser la poursuite du soutien à l’UNRWA. Une interruption de son financement serait en contradiction avec les engagements internationaux de la Suisse et saperait les efforts de paix et de stabilité dans la région. Le soutien de notre pays est d'autant plus nécessaire après la décision du président américain Trump de mettre fin au financement de l’agence onusienne », conclut Michael Ineichen.

Les organisations suivantes ont signé la lettre ouverte à la CPE-E : Alliance Sud, Forum pour les droits humains en Israël/Palestine, Frieda – L’ONG féministe pour la paix, Association Suisse-Palestine, Groupe pour une Suisse sans armée GSsA, Ina autra senda - Swiss Friends of Combatants for Peace, Jüdische Stimme für Demokratie und Gerechtigkeit in Israel/Palästina JVJP, Médecins du Monde Suisse, medico international suisse, Palestine Solidarity Switzerland, Peace Watch Switzerland

En avril 2024 déjà, les organisations porteuses de la lettre remise aujourd’hui à la CPE ont déposé une pétition pour un cessez-le-feu et la poursuite du financement de l'UNRWA au Conseil fédéral et au Parlement munie de plus de 45 000 signatures. En octobre, certaines de ces organisations ont exposé les conséquences d'un retrait suisse du soutien à l'UNRWA dans une lettre ouverte à la même commission.

 

Communiqué

Coopération au développement : nul ne peut faire aussi bien avec moins

29.01.2025, Coopération internationale, Financement du développement

La DDC et le SECO ont fait savoir aujourd'hui comment ils allaient appliquer les coupes dans la coopération internationale décidées par le Parlement. Les conséquences dramatiques pour les populations dans les pays et les programmes concernés sont minimisées.

Coopération au développement : nul ne peut faire aussi bien avec moins

Malgré la situation politique incertaine et les inondations dangereuses, la suppression du programme de développement bilatéral au Bangladesh est notamment justifiée par les « besoins réels sur place ». © Keystone / EPA / STR

Pour éviter tout malentendu : la responsabilité des coupes de 110 millions de francs dans le budget 2025 et de 321 millions dans le plan financier des années à venir est entièrement imputable à la majorité bourgeoise du Parlement qui a pris ces décisions. En revanche, l'affirmation selon laquelle « en établis­sant des priorités de manière ciblée, il sera tout de même possible de maintenir dans une large mesure les effets attendus de la coopération internationale (CI) » donne un mauvais signal. La coopération au développement qui peut être menée malgré les restrictions budgétaires reste certes efficace. Mais il est tout aussi clair que l'on ne peut pas faire autant avec 110 millions de moins. Et il est évident que ce sont les populations du Sud global qui en subiront concrètement les conséquences si des projets à succès doivent être interrompus.

Les « besoins sur place » n'ont à coup sûr pas diminué au Bangladesh et en Zambie, deux pays dans lesquels les programmes de la DDC doivent être abandonnés. Le Bangladesh connaît une situation d'insécurité politique qui affecte l'industrie textile, centrale pour le pays. La Zambie souffre d'une crise de la dette. Selon le Fonds monétaire international, il existe toujours « (a) high risk of overall and external debt distress ». Cela s'explique aussi par le fait que le pays a souffert et souffre encore de l'évasion fiscale agressive de groupes étrangers. Glencore, par exemple, n'a jamais payé d'impôts sur les bénéfices en Zambie, même lorsque les prix du cuivre y atteignaient des sommets. Les deux pays sont en outre particulièrement touchés par la crise climatique, qui menace les avancées antérieures en matière de développement. Le Bangladesh à cause des tempêtes et de l'élévation du niveau de la mer et la Zambie parce que la production d'électricité a fortement reculé, le débit des rivières étant bien moindre.

Au plan multilatéral également, les réductions ne peuvent pas être ignorées sans conséquences. Les paiements à ONUSIDA sont par exemple suspendus. Or, le sida reste l'une des principales causes de mortalité en Afrique et près d'un cinquième des patientes et des patients africains atteints du VIH ne reçoivent toujours pas les médicaments qui pourraient les sauver. D’autres « coupes transversales » sont également prévues et les contributions de base des ONG sont concernées, même si le conseiller fédéral Cassis a déclaré l'été dernier au Parlement que ces organisations partenaires contribuent à la mise en œuvre de la stratégie de la CI à moindre coût. En clair, cela signifie concrètement que les familles paysannes n'ont pas d'approvisionnement en eau sûr pour lutter contre la crise climatique, que les jeunes n'ont pas de place de formation et que davantage d'enfants se couchent le ventre vide. Il ne s'agit pas de rassurer les responsables des coupes budgétaires, mais de les obliger à regarder cette réalité en face.

Pour plus d’informations :

Andreas Missbach, directeur, Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch

Commentaire

Le budget de la coopération internationale sort du cadre

19.12.2024, Financement du développement

La session d'hiver s'achève avec des coupes de millions dans l'enveloppe financière 2025-2028 (-151 millions de CHF) et dans le budget 2025 (-110 millions) de la coopération au développement. Les décisions du Parlement auront des conséquences dramatiques pour les pays les plus pauvres et ont été marquées par de nombreux arguments erronés, critique Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud.

Le budget de la coopération internationale sort du cadre

© Services parlementaires / Tim Loosli

Le marchandage pour l'armée a été marqué par des chiffres librement interprétés, des arguments erronés et une astuce procédurale. Pendant quelques minutes, le 9 décembre, les deux Chambres s'étaient prononcées contre des coupes dans les enveloppes financières de la stratégie de la CI 2025-2028. Le Conseil national, soutenu par la majorité du centre, avait suivi le Conseil des États par 95 voix contre 94 et rejeté toutes les coupes. Mais il s'est alors passé quelque chose qui ne s'était jamais produit auparavant : le frein aux dépenses n'a pas été levé. En effet, pour les décisions budgétaires de plus de 20 millions, le Parlement doit toujours le lever par une décision séparée, normalement une affaire de routine. Cette décision est en outre soumise à la majorité absolue, ce qui signifie qu'il faut 101 voix au Conseil national, les abstentions comptant comme des « non ». Il n'a manqué que deux voix. Cela a donné au PLR la possibilité de présenter une nouvelle fois des propositions de réduction. Celles-ci n'ont été acceptées qu'avec la voix prépondérante de la présidente du PLR au Conseil national, à savoir par 96 voix contre 95.

Outre les 151 millions de la coopération bilatérale au développement de la Direction du développe-ment et de la coopération (DDC), c'est précisément l'aide humanitaire pour l'Ukraine qui devrait être mise à mal (-200 millions). Et ce, alors que les bourgeois n'avaient cessé de répéter lors des débats qu'ils n'étaient pas sans cœur et n'allaient certainement pas économiser sur l'aide humanitaire. Le Conseil des États a corrigé la demande en la ramenant aux -151 millions de la DDC et a ainsi évité à la Suisse un embarras total et des chambres froides en Ukraine.

D'une manière générale, les faits n'ont joué aucun rôle dans le débat. Par exemple, l'efficacité scientifiquement prouvée de la coopération au développement ou le fait qu'il n'existe aucun domaine de l'administration fédérale plus évalué et où règne une plus grande transparence, et où l'on sait donc très précisément « ce qui se passe avec tout l'argent à l'étranger ». On a également jonglé avec des chiffres inventés de toutes pièces sur la coopération internationale (CI) – il pouvait arriver qu'il y ait deux tiers de trop. L'affirmation souvent entendue selon laquelle l'armée aurait été affamée « au cours des dernières années » au profit de la CI est tout aussi dénuée de fondement. Pourtant, depuis 2015, la croissance de la CI a toujours été inférieure (1,7% en moyenne) à la croissance du budget fédéral (2,6%), alors que la croissance des dépenses de l'armée était déjà nettement supérieure (3,9%). La faim a un visage différent et se produit ailleurs.

Le fait que le budget (contraignant) de la CI pour 2025 ait été négocié en même temps que l'enveloppe financière 2025-2028 n'a pas aidé. Pour l'année prochaine, la coopération internationale sera réduite de 110 millions de francs. Cela montre clairement que les enveloppes financières ne sont que le cadre dans lequel les parlementaires peuvent se présenter sous un meilleur jour (ou sous un jour moins mauvais). En effet, le budget a également été réduit dans la CI multilatérale et la coopération au développement du SECO, qui avaient été épargnées dans l'enveloppe financière. Quant à la DDC, elle dispose de moins d'argent que ne le laissait espérer l'enveloppe 2025-28.

Les 30 millions de francs qui manquent à l'aide multilatérale correspondent à peu près à l'ensemble de l'engagement de la Suisse dans la lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria. L'argent qui manque à la coopération bilatérale signifie concrètement que moins d'élèves pourront être scolarisés dans les camps de réfugiés, que des familles paysannes ne disposeront pas d'un approvisionnement en eau sûr pour lutter contre la crise climatique, que de nombreux jeunes n'auront pas de place de formation et que davantage d'enfants iront se coucher le ventre vide. Noël a un autre visage.

Pour plus d'informations :
Andreas Missbach, directeur, Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch

FINANCEMENT CLIMATIQUE

Les limites de la solution magique

05.12.2024, Financement du développement, Justice climatique

Nombreux sont les partisan-ne-s d’un recours accru à la mobilisation de financements privés pour assurer les actuelles et futures contributions des pays du Nord aux pays du Sud dans leur lutte contre les changements climatiques. Etat des lieux de Laurent Matile

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Les limites de la solution magique

Correction d'attentes exagérées : Une initiative lancée par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, pour promouvoir le financement climatique dans les pays en développement a réduit ses exigences vis-à-vis du secteur privé. © Keystone / AFP / Brendan Smialowski

« Les chiffres que l'on avance sur le potentiel de mobilisation des capitaux verts sont illusoires. Il y a beaucoup d’inepties concernant la mobilisation des capitaux privés. » C’est par ces mots que Lawrence H. Summers, ancien secrétaire au Trésor des Etats-Unis et président émérite de l'université d’Harvard, concluait un panel à Washington D. C. en octobre dernier.1

Lors de la COP29, à Bakou, qui s’est conclue le 24 novembre dernier, un nouvel objectif de financement climatique a été convenu à la dernière minute : les pays développés se sont engagés à tripler le financement, de l'objectif précédent de 100 milliards de dollars par an à 300 milliards de dollars par an d'ici 2035. Un montant largement insuffisant au vu des besoins des pays en développement estimés globalement à 2400 milliards par an. Dans une formule nébuleuse, il a en outre été convenu de « garantir les efforts de tous les acteurs » pour augmenter le financement en faveur des pays en développement, à partir de sources publiques et privées, à 1,3 trillion de dollars par an d'ici 2035.

Bien que n’ayant pas figuré au cœur des discussions à la COP29, la « mobilisation » de financements privés pour le climat reste pour de nombreux acteurs publics et privés la recette miracle. En effet, la définition de « financement climatique » ne précise pas quelle part doit être garantie par des financements publics et/ou privés. Ce flou a ouvert une grande incertitude sur la provenance des fonds alloués au climat et laisse aux Etats une large marge de manœuvre pour honorer leurs engagements. Et la tentation est grande de vouloir combler le déficit de financement public par des fonds privés.

En effet, depuis l’Accord de Paris en 2015, de nombreux acteurs publics et privés – ceux que Lawrence Summers a à l’esprit – ont redoublé d’efforts pour prôner le développement « d’instruments financiers innovants » bénéficiant de subventions publiques et dont l’objectif est toujours le même : réduire les risques (de-risking) pour « catalyser » des investissements privés, que ce soit pour le climat ou le développement durable. Et ce credo est loin de disparaître. De nombreuses délégations, dont celle de la Suisse, ont derrière la tête, que, quel que soit le montant final dû par chaque pays développé, il sera possible d’en assurer une part substantielle par le biais de la « mobilisation de capitaux privés ».

Arrêt sur image

Arrêtons-nous un instant sur l’état actuel du financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Sur la base des derniers chiffres de l’OCDE2, on constate que :

  • Quatre-vingts pour-cent (80 %) du total des USD 115,9 milliards de financements climatiques des pays industrialisés (en 2022) ont été assurés par des fonds publics (bilatéraux et multilatéraux attribuables aux pays développés).
  • Seuls quelque 20 % sont des fonds privés mobilisés par les financements publics. Après plusieurs années de stagnation, ils sont passés d'USD 14,4 milliards en 2021 à USD 21,9 milliards en 2022, soit une augmentation de 52 %. A titre de comparaison, le total des financements mobilisés pour le développement durable a également augmenté de manière significative en 2022, de 27 % (passant de 48 milliards d'USD en 2021 à 61 milliards d'USD).
  • Les crédits à l'exportation liés au climat restent peu importants et volatils en volume et, par conséquent, leur part dans le total est restée faible.
  • L’essentiel des financements privés (68 %) a continué d'être mobilisé dans les pays à revenu intermédiaire (MICs) et étaient concentrés dans un nombre limité de pays en développement, pour un nombre limité de grands projets d'infrastructure. Seuls 3 % étaient alloués aux pays à bas revenu (LICs).
  • L’essentiel des financements privés a été alloué à la réduction des émissions (84 %). Les financements privés pour l’adaptation sont de 16 % uniquement, bien qu’ils aient également augmenté – passant d'USD 0,4 milliard en 2016 à USD 3,5 milliards en 2022 – ; ils sont, eux aussi, attribuables à un petit nombre de projets de grande envergure.
  • Près de la moitié des financements privés mobilisés sont investis dans le secteur de l'énergie, et, dans une moindre mesure, dans le secteurs financier et industriel, y compris minier.

 

 

L’OCDE rappelle (encore et toujours) qu’un « certain nombre de défis peuvent affecter le potentiel de mobilisation du financement privé » de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Et de mentionner les conditions générales favorables (ou non) à l'investissement dans les pays bénéficiaires, la trop faible rentabilité de nombreux projets climatiques pour attirer des investissements privés à grande échelle ; ou encore, toujours selon l’OCDE, que les projets individuels sont souvent trop petits pour obtenir un financement commercial significatif.

Un credo qui néanmoins semble s’effriter

Peu d'idées semblent aussi éculées que l'espoir que quelques milliards de dollars de fonds publics seront à même de mobiliser des milliers de milliards (trillions !) d'investissements privés en faveur du développement durable et de la protection du climat. Ce credo est de plus en plus remis en question, et pas seulement par les organisations non gouvernementales.

Pour preuve, l’Initiative de Bridgetown 3.0 a réévalué ses attentes à l’égard de la mobilisation du secteur privé. Lancée en 2022 par Mia Mottley, charismatique première ministre de la Barbade, cette initiative a été publiée dans sa troisième version à la fin du mois de septembre. Elle vise à repenser le système financier mondial afin de réduire la dette et d'améliorer l'accès au financement climatique des pays en développement. Alors que Bridgetown 2.0 appelait à mobiliser 1’500 milliards de dollars par an auprès du secteur privé pour une transition verte et équitable, sa version 3.0 a réduit sa demande à « au moins 500 milliards de dollars ».

A la lumière des résultats concernant les volumes et les caractéristiques des financements privés mobilisés à ce jour, un certain nombre de conclusions s’imposent :

  • Tout d'abord, le financement privé pour le climat, qu'il soit mobilisé ou non par des fonds publics, se focalise en priorité sur des projets de réduction des émissions dans les pays à revenu intermédiaire, principalement dans le secteur de l'énergie, au vu de la rentabilité de ces grands projets, tandis que les fonds privés pour l’adaptation dans les pays à faible revenu restent marginaux.
  • Deuxièmement, la stagnation des financements privés mondiaux pour le climat remet en question la capacité des ressources privées à croître aussi rapidement et largement qu’escomptés par leurs défenseurs.
  • Dès lors, le financement public doit rester au cœur des efforts visant à aider les pays en développement à atténuer les émissions et surtout à s'adapter au changement climatique et à remédier aux pertes et dommages inévitables. Pour ce faire, des financements « nouveaux et additionnels » doivent être assurés, en dehors des budgets de la coopération au développement.

 

Alliance Sud demande premièrement que l’essentiel de la « contribution équitable » de la Suisse au financement climatique international soit assuré par des financements publics – avec un équilibre entre les fonds alloués à la réduction des émissions et ceux alloués à l’adaptation. Deuxièmement, que les financements privés mobilisés par des instruments publics ne soient comptabilisés comme financement climatique de la Suisse que dans la mesure où leur effet positif pour les populations du Sud global puisse être dûment démontré.

 

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Communiqué

Investissement d’impact : peu d’impact dans les pays les plus pauvres

10.12.2024, Financement du développement

Lundi s’est ouvert à Genève le sommet de « Building Bridges », dont le but affiché est « d'accélérer la transition vers un modèle économique mondial aligné sur les besoins des objectifs du développement durable (ODD) ». Une nouvelle analyse d’Alliance Sud met en avant le caractère de niche de l’investissement d’impact et déplore le peu d'investissements dans les pays les plus pauvres.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

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Investissement d’impact : peu d’impact dans les pays les plus pauvres

Concentration régionale de l'investissement d'impact. Source: Tameo 2023.

La Suisse ambitionne de devenir un leader de la finance durable. Au cœur de la finance dite durable se trouve l’investissement d’impact dont l’ambition est double : assurer des rendements financiers tout en répondant aux grands enjeux sociaux et environnementaux. Cette approche, devenue populaire dans le système financier international, vise à mobiliser des capitaux privés pour atteindre les ODD. Or, le « déficit de financement » nécessaire pour atteindre les ODD est abyssal : selon l’ONU Commerce et Développement (CNUCED), basée à Genève, les pays en développement font face à un déficit de financement annuel de plus de USD 4 000 milliards.

Dans une analyse publiée aujourd’hui, Alliance Sud s’est penché sur la contribution de l’investissement d’impact au développement durable. Malgré la croissance du secteur, il ressort clairement que cette approche ne pourra pas à elle seule combler le déficit de financement et éliminer les obstacles systémiques et structurels au développement durable. La priorité doit rester à la mobilisation des ressources fiscales dans les pays en développement, à la lutte contre les flux financiers illicites et au maintien d'une aide publique au développement substantielle pour les pays les plus pauvres.

En outre, l'investissement à impact ne saurait remplacer la nécessité d'une profonde transformation des marchés financiers mondiaux pour les aligner sur les objectifs de durabilité et climatiques. Cela doit inclure des réglementations crédibles, la tarification du carbone et la divulgation des informations financières liées au climat.

Concentration régionale et sectorielle

Une préoccupation majeure partagée par Alliance Sud est le risque de « washing d'impact », où des investissements sont présentés comme socialement ou écologiquement bénéfiques, sans produire des résultats mesurables. Ce risque est aggravé par l'absence de définitions et de normes universellement acceptées pour mesurer l’impact des investissements et assurer des rapports crédibles.

Se focalisant plus précisément sur le marché suisse de l’investissement à impact dans les pays en développement, l’analyse d’Alliance Sud met en avant le caractère de niche de ce marché. En effet, seuls quelque USD 11 milliards sont investis dans des entreprises et projets dans les pays en développement. Cela représente moins de 0,6 % du volume global des « investissements liés à la durabilité » ou moins de 0,12 % du volume total des actifs sous gestion (AuM) des banques en Suisse en 2023 (quelque 8'400 milliards de francs suisses).

Les investissements à impact suisses restent en outre fortement concentrés sur le plan régional, avec près de la moitié des investissements effectués en Amérique latine et dans les Caraïbes et en Europe de l’Est et en Asie centrale, en raison de la stabilité politique et économique relative et d’un environnement favorable aux investissements. En revanche, malgré les besoins de financements majeurs de ces régions défavorisées, l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) ne reçoivent que quelque 15 % des investissements totaux.

On constate également une concentration sur le plan sectoriel avec une large domination de la microfinance et du financement des PME, qui représentent plus de 80 % des investissements. Les secteurs de l'alimentation et de l'agriculture ainsi que du climat et de la biodiversité reçoivent des investissements bien moindres. Les « secteurs sociaux », incluant le logement, l’eau et les communautés, la santé et l’éducation, attirent ensemble moins de 2 % du capital. Cela s’explique principalement par le fait que ces secteurs n’offrent généralement pas des rendements financiers attractifs et sont souvent gérés comme des biens publics par les gouvernements.

« Le marché suisse de l'investissement à impact se concentre sur des régions et des secteurs qui présentent des risques plus faibles et offrent des rendements financiers plus élevés, reflétant une tendance plus large vers des investissements « sûrs » qui ne répondent pas nécessairement aux défis les plus urgents en termes de développement durable », selon Laurent Matile, experts en entreprises et développement chez Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement.

Pour plus d’informations :
Laurent Matile, Expert en entreprises et développement chez Alliance Sud, tél. +41 22 901 14 81, laurent.matile@alliancesud.ch

 

 

Étude

Investissement à impact et développement durable

10.12.2024, Financement du développement

L'investissement à impact a gagné en popularité, notamment en Suisse, un pays reconnu pour son système financier et ses aspirations en matière de finance durable. Cependant, comme l'investissement à impact est souvent présenté comme une panacée pour répondre aux défis du développement, l’étude d’Alliance Sud examine de manière critique son efficacité, ses limites et dans quelle mesure il peut réellement contribuer au développement durable.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Investissement à impact et développement durable

L'investissement à impact, bien qu'en croissance, reste un
marché de niche à l'échelle mondiale. Source: Tameo 2023.

Communiqué

Budget 2025 : Hunger Games au Palais fédéral

04.12.2024, Coopération internationale, Financement du développement

Aujourd’hui, le Conseil national a décidé d'économiser un total de 250 millions de francs dans le budget 2025 sur le dos des plus pauvres. Cette décision grave privera des millions de personnes de leurs bases d’existence. Il ne faut pas qu’elle se répète demain dans le cadre de la stratégie de coopération internationale (CI).

Budget 2025 : Hunger Games au Palais fédéral

Le discours sur l'austérité éclipse tout : le Conseil national décide des coupes dans la coopération internationale, avec de graves conséquences pour les personnes dans les pays les plus pauvres.
© KEYSTONE / Alessandro della Valle

Le Conseil national débattra jeudi de la stratégie CI 2025-2028. À son conseil, la commission des finances propose des coupes d'un montant total d'un milliard de francs. Et ce, même s’il manque déjà 1,5 milliard de francs pour le Sud global en raison du financement de l'Ukraine.

Une réduction des crédits d'engagement d'un montant d'un milliard de francs, combinée à la réallocation déjà décidée pour l'Ukraine, aurait par exemple pour conséquence1

… de priver plus de 60 000 personnes de formation professionnelle et, de cette manière, d’une perspective de vie autonome.

… de priver plus de 19 000 PME d’un capital de démarrage, ce qui fragiliserait l'économie locale.

Pour le développement humain, cela signifierait

… que plus de 120 000 enfants en situation d'urgence ne recevraient plus d'éducation de base.

… que plus de 670 000 personnes auraient moins accès à un approvisionnement en eau potable à un prix abordable.

… que près de 160 000 accouchements ne pourraient plus être effectués par du personnel de santé qualifié. Il en résulterait une augmentation de la mortalité infantile et maternelle.

… que plus de 910 000 personnes de moins pourraient s'adapter aux conséquences du changement climatique, ce qui entraînerait une augmentation de la pauvreté, de la faim et de la migration.

Pour Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, le Conseil national franchit une ligne rouge par cette décision budgétaire : « Seule la mise en œuvre des propositions du Conseil fédéral au cours de la session d'hiver concernant les crédits d'engagement de la stratégie CI 2025 – 2028 et le budget 2025 permettra d'offrir des perspectives d'avenir aux populations des pays les plus pauvres et de sauver des vies d'enfants, de mères et de malades. »

 

Pour de plus amples informations :

Andreas Missbach, directeur, Alliance Sud,
tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch

Isolda Agazzi, responsable média pour la Suisse romande, Alliance Sud,
tél. +41 22 901 07 82, isolda.agazzi@alliancesud.ch

 

1 Ces calculs se fondent sur le tableau des résultats 2020-2022 obtenus grâce à l'aide humanitaire, la coopération au développement et la coopération économique au développement, voir Stratégie CI 2025 - 2028, p. 12.

Reconstruction de l’Ukraine

Les entreprises suisses, pique-assiettes de la coopération ?

03.10.2024, Financement du développement

Le Conseil fédéral veut attribuer 500 millions de francs destinés à la reconstruction de l'Ukraine au secteur privé suisse. Ce n'est certainement pas dans l'intérêt de l'économie ukrainienne et de ses entreprises.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Les entreprises suisses, pique-assiettes de la coopération ?

De grandes aciéries ukrainiennes comme Zaporizhstal ont été attaquées, occupées et peinent à maintenir leurs volumes de production. © Keystone/EPA/Oleg Petrasyuk

Le 11 juin dernier, lors de l’Ukraine Recovery Conference (URC) à Berlin, le Conseiller fédéral Ignazio Cassis présentait les engagements de la Suisse : « Premièrement : Le secteur privé joue un rôle clé dans le processus de reconstruction. La Suisse promeut des conditions-cadres durables et veille à ce que les petites et moyennes entreprises (PME) puissent fonctionner et rester compétitives ». En collaboration avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Suisse annonçait son soutien à un nouveau mécanisme de protection des investissements privés contre les risques de guerre et sa volonté de rejoindre une alliance de soutien aux PME. On était alors en droit de penser que le ministre suisse des affaires étrangères avait en tête de soutenir, en priorité, les entreprises et l’économie ukrainiennes.

Or, deux semaines plus tard, le 26 juin, le Conseil fédéral annonçait qu’un « rôle de premier plan devrait être accordé au secteur privé suisse dans la reconstruction de l’Ukraine ». A cette fin, le Conseil fédéral entend mettre à disposition CHF 500 millions sur les quatre prochaines années, prélevés du budget de CHF 1,5 milliard prévu dans la stratégie de coopération internationale 2025-2028 pour l’Ukraine. La quasi-totalité des fonds sera transférée de la coopération bilatérale au développement de la Direction du développement et de la coopération (DDC) au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). L'ensemble du « budget Ukraine » sera géré par Jacques Gerber, actuellement conseiller d'Etat PLR jurassien, qui siégera en tant que délégué Ukraine au secrétariat général du DFAE et sera directement subordonné aux conseillers fédéraux Cassis et Parmelin.

Les plans du SECO

Pour autant que l'on sache, les plans du SECO comportent deux phases. Dans une première phase, il s'agit de soutenir les entreprises suisses déjà présentes en Ukraine afin qu'elles créent ou maintiennent des emplois. Pour ce faire, la Confédération doit prendre en charge les risques des entreprises, par exemple via des aides financières ou des solutions d'assurance. Argument avancé pour justifier l’usage des fonds de la CI, les projets des entreprises soutenues doivent comporter une « composante de développement », par exemple des mesures de formation professionnelle. Jusqu'ici, rien n'est clair, mais certains bénéficiaires potentiels, comme le fabricant de verre Glas Trösch, sont mentionnés. En outre, certaines des mesures visent à inciter des entreprises suisses qui ne sont pas encore actives en Ukraine à y investir. Cela pourrait évincer les PME et les entreprises locales.

La deuxième phase, dans laquelle le SECO prévoit de « privilégier de manière générale le secteur privé suisse », est encore bien plus problématique. L'Ukraine recevrait de l'argent de la Suisse qu'elle ne pourrait utiliser que pour des achats auprès d'entreprises suisses. Cette aide liée (tied aid) est contraire aux bonnes pratiques de la coopération internationale (CI), aux dispositions de l'OMC et au droit suisse des marchés publics. Il n'existe pas de base légale pour cela ; celle-ci doit être créée au cours des prochains mois. Pour le Conseil fédéral, un traité international avec l'Ukraine suffit, alors que la Commission de politique extérieure du Conseil des Etats a exigé une loi spécifique. La décision finale sur l'ensemble du paquet sera prise par le Parlement dans le cadre de la stratégie de la CI lors de la session d'hiver. La décision du Conseil fédéral d'accorder un traitement préférentiel au secteur privé suisse n'est toutefois manifestement pas cohérente avec les promesses faites à Berlin. Le fait que l'Ukraine puisse décider elle-même de ce dont elle a besoin de la part des entreprises suisses n'est pas un argument convaincant. – Dans une situation d'urgence, on accepte les bons d'achat de la Migros, même si cela nuit à son propre magasin de village, qu’il faudrait soutenir.

Renforcer l’économie locale

Ce dont l’Ukraine a besoin, c’est un soutien de la communauté internationale, à laquelle la Suisse doit s’associer, à son économie et à ses entreprises, dont la colonne vertébrale est formée par les petites et moyennes entreprises (PME) – quelque 90 % – qui font preuve d’une résilience extraordinaire malgré les aléas de la guerre. Une étude récente de la London School of Economics1  constate que l’économie ukrainienne s’est montrée étonnamment résistante, mais que les perspectives de croissance resteront faibles tant que la guerre durera. Les producteurs ukrainiens perdent des parts de marché national au profit de concurrents internationaux qui n'opèrent pas dans des conditions de guerre, perte préoccupante pour l'Ukraine qui illustre le fait que son économie relativement ouverte (notamment à l’égard de l'UE par le biais de l'accord d'association) est mal adaptée aux conditions de temps de guerre. Dans cette situation, l'augmentation des achats de biens et de services par l'État (via les marchés publics) auprès d'entreprises privées ukrainiennes est un outil important pour accroître la résilience de l'économie ukrainienne pendant la guerre, en soutenant la capacité de production et l'emploi, tout en se préparant à la reprise et à la reconstruction futures.

Soutenir le « Made in Ukraine »

Les partenaires, dont la Suisse, doivent en conséquence soutenir une « offensive de localisation » pour garantir et développer les capacités nationales. Ils devraient soutenir le programme de subventions « Made in Ukraine » du gouvernement ukrainien, qui vise à accroître la production nationale. Ils devraient donner l'exemple en faisant des exigences en matière de contenu et d'achat locaux (local content) une condition de l'aide financière fournie à l'Ukraine, afin de dépenser l'aide pour l'Ukraine en Ukraine. Cela devrait également inclure des efforts pour favoriser le transfert de technologie dans l'économie ukrainienne. Il en résulterait non seulement une augmentation des recettes fiscales, mais aussi, grâce à l'augmentation des exportations, des recettes en devises qui seront toutes deux nécessaires pour rembourser les prêts de reconstruction accordés par la communauté internationale (surtout de l'UE).

De plus, les pays occidentaux devraient encourager la coopération entre leurs entreprises et les entreprises ukrainiennes dans la production de biens (par exemple, via des joint-ventures ou des consortiums), par le biais d’instruments d'assurance contre les risques de guerre et de financements favorables. Cela peut renforcer, à court terme, la résilience de l'économie ukrainienne tant que dure la guerre et contribuer, à moyen et long terme, à son intégration dans les chaînes de production mondiales. Les mesures de la première phase des plans suisses seraient donc judicieuses, avec des conditions cadres appropriées.

La reconstruction doit être planifiée en tenant compte de la transition verte, à la fois pour rendre l'économie ukrainienne durable et pour faciliter l'alignement sur le Green Deal de l'UE. Les investissements dans les énergies propres seront essentiels, tout comme les efforts visant à décentraliser la production d'énergie (l'Ukraine dispose d'un grand nombre de petites centrales électriques), afin de la rendre moins vulnérable aux frappes russes. Les partenaires et les investisseurs étrangers devraient aider les entreprises ukrainiennes qui manquent de compétences et de capital humain à mettre en œuvre les technologies de pointe, y compris les technologies à zéro émission. Les plans du SECO pourraient également y contribuer.

Financer les entreprises

Il existe néanmoins un énorme déficit de financement pour moderniser l'industrie ukrainienne et assurer la reconstruction, notamment dans le secteur des matériaux de construction ou de la métallurgie, et pour assurer la décarbonisation des structures datant pour certaines de l’ère soviétique. La création d’une banque de développement ukrainienne pourrait apporter les financements à long terme nécessaires à de tels projets de réindustrialisation. Les partenaires occidentaux, dont la Suisse, devraient soutenir Kiev pour trouver les fonds et accorder les garanties nécessaires au financement des entreprises ukrainiennes à large échelle.

Le secteur naissant des matières premières de l'Ukraine montre à la fois la nécessité d'un financement accru et d'une politique industrielle ciblée. Les représentants de l'UE ont salué, à Berlin, les énormes réserves de l'Ukraine de « matières premières critiques » que la Commission européenne considère comme cruciale pour l’économie européenne. L’Ukraine disposerait de 22 des 34 minéraux identifiés comme tels, essentiels pour assurer l'« autonomie stratégique » de l'UE, voire la « souveraineté européenne ». Une banque de développement ukrainienne pourrait aider les entreprises nationales à devenir des acteurs de ce secteur émergent et à maximiser la création de valeur en Ukraine.

Corriger le tir urgemment

Pour Alliance Sud, il est clair que certaines mesures de la première phase des plans du SECO peuvent être judicieuses, si elles créent des emplois, favorisent le transfert de technologie -–en particulier « vert » –, impliquent des partenariats avec des entreprises locales et s'il est garanti que la promotion d'entreprises suisses n'évince pas des entreprises locales. Il est urgent de rendre compte de manière transparente des plans concrets, afin que leur utilité ou leurs effets néfastes puissent être évalués. L'aide suisse devrait toutefois se concentrer sur le soutien du secteur privé local et de l'économie ukrainienne. Pour cela, il faut avant tout de l'argent ; le mieux serait que la Suisse utilise les canaux multilatéraux existants plutôt que de faire cavalier seul.

La deuxième phase, qui n'a pour but que d'assurer à l'économie d'exportation suisse une « part du gâteau » de la reconstruction, irait clairement à l'encontre des intérêts de l'économie ukrainienne. Or, une économie ukrainienne stable à long terme est plus utile à la Suisse que des carnets de commande pleins pour quelques entreprises à court terme. Ces plans doivent donc être stoppés. Et il est évident que ces activités ne correspondent que marginalement aux priorités de la coopération internationale de la Suisse et ne doivent donc pas être financées par le budget de la CI.

 


1 A state-led war economy in an open market. Investigating state-market relations in Ukraine 2021-2023. LSE Conflict and Civicness Research Group, 4. Juni 2024.

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