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FINANCEMENT CLIMATIQUE
20.03.2025, Justice climatique, Finances et fiscalité
La place financière suisse a montré qu'elle ne se retirait pas volontairement des activités liées à la destruction environnementale à l'étranger. L'initiative sur la place financière veut inscrire dans la Constitution l’interdiction des nouveaux investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz par des acteurs suisses du marché financier.
La forêt tropicale au Pará, au Brésil, est essentielle pour le climat et fait partie des terres autochtones. Les défrichages, les mines et les projets d'infrastructure la ravagent, souvent avec la complicité suisse.
© Lalo de Almeida / Panos Pictures
On sait depuis longtemps que détruire la forêt tropicale, c'est contribuer à la dégradation de l'environnement et au réchauffement climatique. Souvent, le défrichage illégal par le feu entraîne en outre une restriction des droits fonciers des communautés indigènes et une violation de leurs droits humains. La grande banque suisse UBS ne l’ignore pas non plus. Elle investit néanmoins dans des multinationales agricoles brésiliennes impliquées dans des défrichements illégaux en Amazonie, comme l’a révélé la Société pour les peuples menacés (SPM) voilà quelque temps.
Les banques et les assurances suisses financent ou assurent chaque année des opérations se chiffrant en milliards qui détruisent l'environnement et réchauffent le climat. Selon une étude de McKinsey, la place financière suisse génère jusqu’à 18 fois plus d'émissions de CO2 que la quantité de CO2 rejetée en Suisse. Voilà une décennie déjà, la communauté internationale inscrivait le rôle crucial du système financier dans la lutte contre la crise climatique à l'article 2.1c de l'Accord de Paris sur le climat. Cet article formule l’objectif d'harmoniser les flux financiers mondiaux « avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». La Suisse a ratifié l'accord et elle est tenue par le droit international de contribuer à cet objectif. Approuvée à une écrasante majorité par les électeurs helvétiques, la loi sur la protection du climat oblige en outre la Confédération à veiller à ce que les flux financiers respectent le climat. Mais son application laisse à désirer.
Pour la mise en œuvre, le Conseil fédéral préconise des mesures volontaires et l’autorégulation du secteur financier. En revanche, il rejette toute réglementation étatique supplémentaire. Il a toutefois soutenu une motion du conseiller national Gerhard Andrey (Les Verts) qui prévoyait des mesures plus contraignantes au cas où les mesures actuelles s’avéreraient inefficaces d'ici 2028. Mais le Parlement a rejeté la motion au printemps 2024, estimant qu'il n'était pas nécessaire de prendre d’autres mesures.
Les banques veulent donc continuer à financer la destruction de l'environnement si cela leur permet d’accroître leurs bénéfices.
Dès janvier 2025 au plus tard, il est devenu manifeste que les mesures volontaires et les promesses du secteur financier ne signifiaient pas grand-chose. Les six plus grandes banques américaines et le plus grand gestionnaire de fortune du monde, Blackrock, ont annulé les promesses climatiques qu'ils avaient faites seulement quatre ans auparavant. Dans une interview de la télévision suisse romande RTS, Florian Egli, professeur à l'Université technique de Munich, a noté : « Nous constatons actuellement que les promesses volontaires de ces banques ne suffisent pas. Elles sont revenues sur leurs engagements ». L'UBS examine également la possibilité de se retirer de la Net Zero Banking Alliance, dans laquelle de nombreuses banques s'étaient engagées depuis 2021 à atteindre un objectif de zéro émission nette pour 2050. Les banques veulent donc continuer à financer la destruction de l'environnement si cela leur permet d’accroître leurs bénéfices.
Miser sur des mesures volontaires revient à s'en remettre à la volonté du secteur financier, qui ne se réfère manifestement pas à la science du climat, mais à l'argent facile et aux courants politiques. On ne peut pas lutter contre la crise climatique de cette manière. Dans sa feuille de route pour la neutralité carbone (net zero roadmap), l'Agence internationale de l'énergie a clairement indiqué depuis longtemps que pour respecter les objectifs climatiques de Paris, toute nouvelle promotion des énergies fossiles est à proscrire.
C'est la raison pour laquelle, en collaboration avec le WWF, Greenpeace et des politiques de tous les partis fédéraux à l'exception de l'UDC, l’Alliance climatique suisse a lancé l'initiative sur la place financière fin 2024. Elle doit garantir que plus personne ne finance la destruction de l'environnement et le réchauffement climatique depuis la Suisse. Si le Conseil fédéral et le Parlement restent inactifs, les électeurs·trice·s ont le pouvoir d’inscrire dans la Constitution que le secteur financier suisse ne finance ni n'assure aucune extraction supplémentaire de charbon, de pétrole ou de gaz. Les mêmes règles s'appliquent ainsi à tous les protagonistes.
Alliance Sud soutient l'initiative populaire pour que la Suisse se serve enfin de son principal levier de protection mondiale du climat et mette pleinement en œuvre l'Accord de Paris.
Que veut l’initiative ?
Alliance Sud soutient l’initiative…
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Initiative pour la responsabilité environnementale
24.01.2025, Justice climatique
Le 9 février, la Suisse votera sur une initiative populaire visant à limiter l’empreinte écologique du pays. C'est une condition sine qua non pour réduire les inégalités mondiales et protéger ensemble notre planète. Alliance Sud dit « oui » à l'initiative pour la responsabilité environnementale.
© Alliance pour la responsabilité environnementale
La protection de la Terre est dans l'intérêt de tous les êtres humains tant qu'aucun déplacement vers une planète de remplacement n’est possible. En compagnie de David Attenborough, figure légendaire de la protection de la nature sur la BBC, le chercheur suédois Johan Rockström a expliqué voilà quelques années dans un documentaire ce que l'humanité doit faire pour protéger les bases de la vie de toutes et tous : elle doit respecter les « limites planétaires ». Cette approche montre où la surcharge de la nature devient vraiment problématique, car le risque de points de rupture augmente. Si l'écosystème bascule, la perte des bases vitales est irréversible. La forte érosion de la biodiversité et les émissions excessives de gaz à effet de serre comptent parmi les secteurs où il est le plus urgent d'agir. Dans l'accord de Paris sur le climat, par exemple, l'objectif de réchauffement maximal de la planète a été fixé à 1,5 degré pour cette raison. Au-delà, l'humanité court un risque élevé de dommages irréversibles.
L'initiative populaire est une réponse au fait que le Conseil fédéral et le Parlement refusent de discuter sérieusement de la question des ressources.
L'initiative pour la responsabilité environnementale fixe un délai de dix ans, au-delà duquel l’impact environnemental dû à la consommation en Suisse ne devra plus dépasser les limites planétaires, rapportées à la population suisse. Elle tient ainsi compte du fait qu'il y a encore beaucoup d'autres personnes sur notre planète qui veulent avoir un avenir digne d'être vécu et qui y ont droit. Avec l'Agenda 2030, la communauté des États de l'ONU s'est fixé pour objectif qu'aucun être humain ne soit contraint de vivre dans la pauvreté d'ici 2030. Les personnes en situation de précarité consomment aujourd'hui très peu de ressources, surtout dans le Sud mondial, mais en auront besoin d'un peu plus à l'avenir pour pouvoir vivre autrement que dans la pauvreté. Il est donc nécessaire que les sociétés de consommation riches réduisent davantage leur recours aux ressources que la moyenne mondiale. L'initiative populaire est une réponse au fait que le Conseil fédéral et le Parlement refusent de discuter sérieusement de la question des ressources, alors même que « continuer comme avant » fait éclater les limites planétaires.
Davantage d’informations à ce sujet :
Conseil de streaming : « Breaking Boundaries : The Science of our Planet », 2021, avec Johan Rockström et David Attenborough, disponible sur Netflix
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POLITIQUE CLIMATIQUE
03.12.2024, Justice climatique
Tant avec la loi sur le CO2 qu’avec le nouveau programme d'austérité, la politique suisse compte de plus en plus sur les certificats d’émission de CO2 provenant de l'étranger pour atteindre son objectif climatique d'ici 2030. Mais un tel plan est voué à l’échec : les premiers programmes révèlent déjà de sérieuses lacunes. Analyse de Delia Berner
Vieux bus et masques respiratoires omniprésents : Bangkok souffre des gaz d’échappement, mais les bus électriques financés par la Suisse sont-ils vraiment utiles en Thaïlande ? © Benson Truong / Shutterstock
En janvier 2024, la Suisse a fait l'objet d'une attention planétaire, du moins dans les milieux spécialisés des marchés du carbone. Pour la toute première fois en effet, des réductions de CO2 ont été transférées d'un pays à un autre au moyen de certificats dans le cadre du nouveau mécanisme de marché de l'Accord de Paris sur le climat. Concrètement, la mise en circulation de bus électriques à Bangkok avait permis à la Thaïlande de réduire ses émissions de près de 2000 tonnes de CO2 la première année. La Suisse a acheté cette réduction d’émissions afin de l'imputer à son propre objectif climatique.
Prenons un peu de recul : d'ici 2030, la Suisse entend économiser plus de 30 millions de tonnes de CO2 à l'étranger plutôt qu'en Suisse. Les premiers accords bilatéraux ont été conclus à cet effet à l'automne 2020, et on en compte aujourd'hui plus d'une douzaine. De nombreux autres projets sont en cours de développement : des installations de biogaz et des fours de cuisson efficaces dans les pays les plus pauvres à l'efficacité énergétique des bâtiments et de l'industrie, en passant par des systèmes de refroidissement respectueux du climat. Jusqu'à présent, seuls deux programmes ont pu être approuvés pour être pris en compte dans l'objectif climatique de notre pays. Et les 2000 tonnes de CO2 non rejetées en Thaïlande constituent les premiers certificats à avoir été réellement échangés. Il reste donc encore beaucoup à faire d'ici 2030 pour que la Suisse dispose d'un nombre suffisant de certificats à acheter.
Suite à une demande, basée sur la loi fédérale sur la transparence, la revue « Beobachter » a révélé que c'est justement le premier programme à Bangkok qui risque de ne pas générer d'autres certificats. Voilà un an déjà, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) avait reçu des reproches accusant le fabricant des bus électriques de violer le droit national du travail et de porter atteinte au droit à la liberté syndicale inscrit dans les droits de l'homme. Après un accord provisoire conclu il y a un an, de nouvelles allégations ont apparemment été formulées cette année, que l'OFEV doit maintenant examiner. La Suisse n'est en effet pas autorisée à approuver des certificats dont la délivrance violerait les droits humains. Cité par le Beobachter, l’OFEV, a déclaré qu'il « peut et va suspendre » la délivrance de nouveaux certificats si les allégations sont confirmées. Une vaste enquête menée par « Republik », le magazine en ligne alémanique, fait apparaître d'autres reproches : la Suisse serait même impliquée dans un polar économique en Thaïlande, car elle aurait attisé une bulle boursière de dix milliards de francs en ignorant les avertissements.
Le deuxième projet approuvé générera lui aussi moins de certificats qu'il ne le promet : une nouvelle enquête d'Alliance Sud sur un projet de fours de cuisson au Ghana montre que sa planification surestime les réductions d'émissions de près de 1,4 million de tonnes.
Il apparaît d'ores et déjà que la compensation à l'étranger n'est généralement pas plus avantageuse et certainement pas plus facile à mettre en œuvre que les mesures de protection du climat en Suisse. Ces dernières mesures devront de toute façon être appliquées tôt ou tard pour atteindre l'objectif de zéro émission nette en Suisse.
Mais les premiers projets montrent aussi les difficultés à s'assurer qu'une certaine quantité de CO2 n’a effectivement pas été rejetée grâce à eux et qu’ils sont par ailleurs rentables. Les doutes concernant les réductions sont la raison pour laquelle nombre de projets de compensation ont fait les grands titres des journaux ces dernières années. L'efficacité des coûts est cruciale, car la majeure partie des certificats est payée par la population suisse via une taxe sur le carburant. Pour vérifier ces deux aspects, l'OFEV devrait se pencher sur le plan de financement des projets. Il devrait par exemple s'assurer qu'aucune marge ou aucun profit disproportionné n'est compris dans les coûts des différentes initiatives, mais que le plus d'argent possible est investi dans la protection du climat ou le développement durable, avec la participation de la population concernée dans le pays partenaire.
Le système des compensations suisses à l'étranger montre toutefois ici ses faiblesses. Comme les certificats ne sont pas achetés par la Confédération, mais par la Fondation KliK pour la protection du climat et la compensation des émissions de CO2, qui convertit en certificats les revenus issus des taxes sur les carburants, les « détails commerciaux » sont dissimulés au public. En d’autres termes, personne ne sait combien coûte une tonne de CO2 non émise grâce à l'utilisation d'un bus électrique à Bangkok ou combien d'argent est investi au total dans le projet de fours de cuisson au Ghana — et encore moins quels sont les rendements des acteurs privés du marché dans ces contextes. S’agissant du projet en question au Ghana, de vastes pans de la documentation publiée ont en outre été caviardés. La transparence est même pire par rapport aux normes sérieuses du marché volontaire du CO2.
Ces défis vont au-delà de simples difficultés de démarrage et révèlent un double besoin d'action pour la politique suisse. Il y a d’abord lieu de rectifier le manque de transparence des informations financières des projets dans l'ordonnance relative à la loi sur le CO2. L'ordonnance est actuellement adaptée à la dernière révision de la loi. Et il faut ensuite corriger l'image selon laquelle les compensations à l'étranger sont un moyen avantageux et simple de protéger le climat. La Suisse doit faire avancer sa protection climatique à l'intérieur du pays et atteindre à nouveau les objectifs climatiques après 2030 sans compensation de CO2. Alliance Sud invite le Conseil fédéral à en tenir compte dans la loi sur le CO2 après 2030.
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FINANCEMENT CLIMATIQUE
05.12.2024, Financement du développement, Justice climatique
Nombreux sont les partisan-ne-s d’un recours accru à la mobilisation de financements privés pour assurer les actuelles et futures contributions des pays du Nord aux pays du Sud dans leur lutte contre les changements climatiques. Etat des lieux de Laurent Matile
Correction d'attentes exagérées : Une initiative lancée par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, pour promouvoir le financement climatique dans les pays en développement a réduit ses exigences vis-à-vis du secteur privé. © Keystone / AFP / Brendan Smialowski
« Les chiffres que l'on avance sur le potentiel de mobilisation des capitaux verts sont illusoires. Il y a beaucoup d’inepties concernant la mobilisation des capitaux privés. » C’est par ces mots que Lawrence H. Summers, ancien secrétaire au Trésor des Etats-Unis et président émérite de l'université d’Harvard, concluait un panel à Washington D. C. en octobre dernier.1
Lors de la COP29, à Bakou, qui s’est conclue le 24 novembre dernier, un nouvel objectif de financement climatique a été convenu à la dernière minute : les pays développés se sont engagés à tripler le financement, de l'objectif précédent de 100 milliards de dollars par an à 300 milliards de dollars par an d'ici 2035. Un montant largement insuffisant au vu des besoins des pays en développement estimés globalement à 2400 milliards par an. Dans une formule nébuleuse, il a en outre été convenu de « garantir les efforts de tous les acteurs » pour augmenter le financement en faveur des pays en développement, à partir de sources publiques et privées, à 1,3 trillion de dollars par an d'ici 2035.
Bien que n’ayant pas figuré au cœur des discussions à la COP29, la « mobilisation » de financements privés pour le climat reste pour de nombreux acteurs publics et privés la recette miracle. En effet, la définition de « financement climatique » ne précise pas quelle part doit être garantie par des financements publics et/ou privés. Ce flou a ouvert une grande incertitude sur la provenance des fonds alloués au climat et laisse aux Etats une large marge de manœuvre pour honorer leurs engagements. Et la tentation est grande de vouloir combler le déficit de financement public par des fonds privés.
En effet, depuis l’Accord de Paris en 2015, de nombreux acteurs publics et privés – ceux que Lawrence Summers a à l’esprit – ont redoublé d’efforts pour prôner le développement « d’instruments financiers innovants » bénéficiant de subventions publiques et dont l’objectif est toujours le même : réduire les risques (de-risking) pour « catalyser » des investissements privés, que ce soit pour le climat ou le développement durable. Et ce credo est loin de disparaître. De nombreuses délégations, dont celle de la Suisse, ont derrière la tête, que, quel que soit le montant final dû par chaque pays développé, il sera possible d’en assurer une part substantielle par le biais de la « mobilisation de capitaux privés ».
Arrêtons-nous un instant sur l’état actuel du financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Sur la base des derniers chiffres de l’OCDE2, on constate que :
L’OCDE rappelle (encore et toujours) qu’un « certain nombre de défis peuvent affecter le potentiel de mobilisation du financement privé » de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Et de mentionner les conditions générales favorables (ou non) à l'investissement dans les pays bénéficiaires, la trop faible rentabilité de nombreux projets climatiques pour attirer des investissements privés à grande échelle ; ou encore, toujours selon l’OCDE, que les projets individuels sont souvent trop petits pour obtenir un financement commercial significatif.
Peu d'idées semblent aussi éculées que l'espoir que quelques milliards de dollars de fonds publics seront à même de mobiliser des milliers de milliards (trillions !) d'investissements privés en faveur du développement durable et de la protection du climat. Ce credo est de plus en plus remis en question, et pas seulement par les organisations non gouvernementales.
Pour preuve, l’Initiative de Bridgetown 3.0 a réévalué ses attentes à l’égard de la mobilisation du secteur privé. Lancée en 2022 par Mia Mottley, charismatique première ministre de la Barbade, cette initiative a été publiée dans sa troisième version à la fin du mois de septembre. Elle vise à repenser le système financier mondial afin de réduire la dette et d'améliorer l'accès au financement climatique des pays en développement. Alors que Bridgetown 2.0 appelait à mobiliser 1’500 milliards de dollars par an auprès du secteur privé pour une transition verte et équitable, sa version 3.0 a réduit sa demande à « au moins 500 milliards de dollars ».
A la lumière des résultats concernant les volumes et les caractéristiques des financements privés mobilisés à ce jour, un certain nombre de conclusions s’imposent :
Alliance Sud demande premièrement que l’essentiel de la « contribution équitable » de la Suisse au financement climatique international soit assuré par des financements publics – avec un équilibre entre les fonds alloués à la réduction des émissions et ceux alloués à l’adaptation. Deuxièmement, que les financements privés mobilisés par des instruments publics ne soient comptabilisés comme financement climatique de la Suisse que dans la mesure où leur effet positif pour les populations du Sud global puisse être dûment démontré.
1 CGD Annual Meetings Events: Bretton Woods at 80: Priorities for the Next Decade, Washington D.C., October 2024.
2 Climate Finance Provided and Mobilised by Developed Countries in 2013-2022, OECD 2024.
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COMMERCE ET CLIMAT
03.12.2024, Justice climatique, Commerce et investissements
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM) prévoit de taxer les importations des produits les plus polluants. Alors même que les pays les plus pauvres vont être fortement pénalisés, aucune exception n’est prévue pour eux. Si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à rectifier le tir. Analyse de Isolda Agazzi
L'une des plus grandes mines d'uranium du monde a fermé ses portes à Akokan, au Niger. Mais d'autres sont encore prévues dans le nord du pays en crise et jouent un rôle économique clé.
© Keystone / AFP / Olympia de Maismont
L’Union européenne (UE) prend ses engagements climatiques au sérieux. En 2019, elle a lancé le Pacte vert européen (Green Deal), qui vise à réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
C’est un programme qui comprend plusieurs mesures de politique interne et externe, comme le Règlement européen sur la déforestation (EUDR, voir global #92). Un autre projet clé de la politique commerciale européenne est le CBAM, ou Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il vise à soumettre les industries importatrices aux mêmes règles que les entreprises européennes polluantes, qui sont astreintes à un plafond d’émissions, qu’elles peuvent par ailleurs échanger sur le « marché carbone » pour respecter les limites imposées. Le but de ces mesures est de rendre les investissements dans les énergies propres en Europe plus attrayants et moins chers. « Le CBAM encouragera l'industrie mondiale à adopter des technologies plus écologiques », a déclaré Paolo Gentiloni, le commissaire européen pour l’Economie.
Pour éviter que la production se déplace vers des pays où le prix du carbone est inférieur à l’UE, voire nul (ce qu’on appelle « fuites de carbone » ou carbon leakages), ou de mettre les producteurs européens face à une concurrence déloyale, Bruxelles a adopté le CBAM. Ce mécanisme prévoit de taxer à la frontière l’importation de produits particulièrement polluants, à savoir, dans un premier temps, le fer et l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’hydrogène et l’électricité.
En vigueur dans l’UE depuis le 1er octobre 2023, il est mis en œuvre par phases successives et sera entièrement en place à partir de 2026. A partir de 2031, il devrait s’appliquer à tous les produits importés.
Toute la question est de savoir si la mesure est efficace. L’UE est optimiste : elle estime une réduction de ses émissions à 13,8 % d’ici 2030 et celles du reste du monde à 0,3 % par rapport à 1990.
Mais l’approche est très critiquée par les pays du Sud global, qui lui reprochent d’avoir un impact négatif sur leur développement. D’autres lui reprochent de ne pas prévoir d’exemption généralisée au moins pour les pays les plus pauvres. De surcroît, UN Trade and Development (ex UNCTAD) a calculé que l’impact sur le climat serait minime : le CBAM réduira les émissions globales de CO2 de 0,1 % seulement, tandis que les émissions de l’UE diminueront de 0,9 %. Mais il devrait augmenter le revenu des pays développés d'USD 2,5 milliards et réduire celui des pays en développement d'USD 5,9 milliards.
En 2022, les ministres du Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine ont appelé à éviter les mesures discriminatoires telles que la taxe carbone aux frontières.
Les pays les plus affectés par ce mécanisme sont les pays émergents qui sont les principaux exportateurs d’acier et d’aluminium vers l’Europe : Russie, Turquie, Chine, Inde, Afrique du Sud, Emirats arabes unis. Mais aussi des pays les moins avancés (PMA, catégorie établie par les Nation Unies) comme le Mozambique (aluminium) et le Niger (minerai d’uranium). Les pertes de bien-être pour les pays en développement comme l’Ukraine, l’Egypte, le Mozambique et la Turquie se situeraient entre 1 et 5 milliards d’euros, ce qui est considérable au vu de leur produit intérieur brut (PIB).
Prenons l’Afrique, où se trouvent 33 des 46 PMA. Une récente étude de la London School of Economics arrive à la conclusion que si le CBAM était appliqué à tous les produits d’importation, le PIB de l’Afrique diminuerait de 1,12 % ou 25 milliards d’euros. Les exportations d’aluminium diminueraient de 13,9 % ; celles de fer et d’acier de 8,2 % ; celles de fertilisants de 3,9 % et celles de ciment de 3,1 %.
Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain et déclarer le CBAM contraire au développement ? Probablement pas. L’ONG belge 11.11.11. propose d’excepter les pays les moins avancés de ce mécanisme, au moins dans un premier temps, selon les règles de l’OMC ; ou alors de les taxer moins que les autres. Lorsque le CBAM était en discussion à Bruxelles, cette possibilité avait été envisagée par le Parlement, mais elle a été abandonnée, l’UE ayant préféré obtenir plus de recettes.
UN Trade and Development propose de rétrocéder les recettes issues du mécanisme aux PMA pour financer leur transition climatique. Pour l’UE les recettes escomptées sont de 2,1 milliards d’euros, et elles pourraient être convoyées de façon multilatérale via le Fonds vert pour le climat, qui est actuellement sous-financé.
En Suisse, rien de tel n’existe pour l’instant. Aujourd’hui les marchandises d’origine suisse exportées dans l’UE sont exemptées du CBAM en raison du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE), et le Conseil fédéral renonce à instaurer un tel mécanisme pour les produits importés en Suisse. Le SEQE représente le montant maximal d’émissions à disposition des industries d’une branche économique. Chaque participant se voit attribuer une certaine quantité de droits d’émissions. Si ses émissions restent en-deça, il peut vendre ses droits. Si elles dépassent cette limite, il peut en acquérir.
Une initiative parlementaire a été déposée en mars 2021 au Conseil national, qui demande à la Suisse d’adapter la loi sur le CO2 pour inclure un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, en tenant compte des évolutions dans l’UE. Actuellement cette initiative parlementaire est encore en cours de discussion dans les commissions.
Le CBAM peut être une mesure commerciale efficace pour réduire les émissions importées de CO2. Mais si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à ne pas pénaliser les pays les plus pauvres en leur accordant des exemptions et en rétrocédant une partie importante des recettes engrangées pour les aider à effectuer la transition énergétique.
Les émissions de gaz à effet de serre générées par la production et le transport de biens et de services exportés et importés représentent 27 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Selon l'OCDE, ces émissions proviennent de sept secteurs économiques : mines et production d'énergie, textiles et cuir, produits chimiques non métalliques et produits miniers, métaux de base, produits électroniques et électriques, machines, véhicules et semi-conducteurs.
Il est indéniable qu'il est nécessaire d'agir tant du côté du commerce que de la production – du côté de la production, par exemple, par la promotion des technologies vertes, le transfert de technologies et le financement climatique. Du côté du commerce, par d'autres mesures comme le CBAM, mais sans pénaliser les pays pauvres. Ces derniers doivent être aidés à gérer la transition écologique et à s'adapter aux nouvelles normes.
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Commentaire sur la COP29
29.11.2024, Justice climatique
Après la conférence sur le climat COP29 à Bakou, la société civile internationale et les pays les plus pauvres du Sud global sont déconcertés par le rejet brutal de la justice climatique par les pays du Nord global. Mais la crise climatique perdure et le débat sur les mesures à prendre en Suisse ne fait que commencer.
Des participant-e-s du Sud global ont protesté lors de la COP29 contre le financement insuffisant du climat, d'autres étaient tout simplement consternés par l'attitude d'obstruction de pays comme la Suisse. © Keystone / AP Photo / Rafiq Maqbool
Deux semaines durant, à Bakou, les pays du Sud global ont lutté pour un nouvel objectif de financement climatique qui répartirait équitablement les coûts liés à la crise climatique et assurerait un soutien financier approprié de la part du Nord global. Mais ils se sont heurtés à l'opposition des pays riches. La conférence était déjà en sursis lorsque les représentantes et représentants des pays les plus pauvres et des petits États insulaires ont exprimé leur désespoir et leur colère face au manque d’empressement du Nord global à augmenter ses contributions financières. Il faut dire que ces pays pauvres et États insulaires sont déjà confrontés à des menaces existentielles en raison de la montée du niveau de la mer et d'autres effets dévastateurs du réchauffement climatique. Quelques heures plus tard, ils ont été contraints d'accepter une proposition à peine meilleure s'ils entendaient obtenir une quelconque conclusion à la conférence sur le financement climatique.
Le constat de départ de la COP29 était tout simplement que le Sud global présentait un énorme déficit de financement non couvert qui l’empêchait de mettre en œuvre des contributions nationales adéquates pour atteindre l'objectif de 1,5 degré et des plans d'adaptation nationaux, ainsi que d’assumer les pertes et préjudices liés au climat. Des obstacles à l'accès au financement climatique déjà existant sont aussi une réalité. Alliance Sud avait réclamé un objectif de financement de 1000 milliards de dollars par an.
De nombreuses études confirment que le déficit de financement ne peut être comblé par des investissements privés, en particulier pour l’adaptation, ainsi que pour l'ensemble des pays les plus pauvres et des petits États insulaires. Les investisseurs refusent en effet d’intervenir et les pays déjà fortement endettés ne peuvent pas se permettre d'investir des capitaux privés au prix demandé. C'est pourquoi les pays du Sud global et la société civile ont fait pression pour que le nouvel objectif de financement climatique comprenne bien plus de fonds publics sous forme de subventions (grants) et de crédits à taux fortement réduit.
En revanche, le positionnement des pays donateurs actuels a été perçu comme très injuste par la société civile, car ils n'ont fait aucune offre pour augmenter leurs propres contributions au financement climatique. Et ce, même si l'Accord de Paris les place clairement en position de leadership et de responsables. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le fort scepticisme d'une grande partie de la société civile à l'égard d'un élargissement de la base des donateurs, car cela a surtout été vu comme une façon pour les pays industrialisés de se détourner de leurs responsabilités.
Alliance Sud a soutenu la demande de la Suisse d'inclure de nouveaux pays donateurs, mais a toujours attiré l'attention sur le fait que cela devait être lié à une augmentation de ses propres contributions. Or, certaines déclarations de la Suisse dans les médias pendant et après la COP ont malheureusement confirmé ce que les pays du Sud global soupçonnaient déjà : que les pays industrialisés veulent se soustraire à leurs propres responsabilités en utilisant l'argument de la base des donateurs. Par ce comportement, notre pays affaiblit en fin de compte le multilatéralisme, dont il dépend lui-même en tant que petit État.
La Suisse doit dès à présent mettre en œuvre le nouvel objectif de financement climatique et assumer sa juste part des coûts engendrés par la crise climatique, notamment dans les pays les plus pauvres du Sud global — et ce dans son propre intérêt. Cela permettra d'éviter de nouveaux dommages, de sauver des vies humaines et d'empêcher de nouvelles causes d'exode. Et seule une augmentation massive du financement climatique permettra de réussir la transition partout sur la planète, pour laquelle la Suisse s'engage au niveau international.
Pour les résultat de la COP29, voir ici.
Lisez également le commentaire d'Andreas Missbach sur les refus du Conseil fédéral vis-à-vis du Sud global lors de la COP29 et apprenez-en plus sur les compensations à l'étranger de la politique climatique suisse dans l'enquête de Delia Berner. Celle-ci montre qu'il existe de gros problèmes dans le projet au Ghana.
Delia Berner a représenté Alliance Sud au sein de la délégation suisse à la COP29. Ce commentaire a été rédigé en son nom propre et non au nom de la délégation.
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Le Conseil fédéral à la COP29
29.11.2024, Justice climatique
La conférence des Nations unies sur le climat COP29 est terminée, tandis que la crise climatique détruit les bases existentielles de millions de personnes. Alors que les délégué-e-s du Sud critiquent le financement insuffisant du climat, le conseiller fédéral Albert Rösti se défausse de la responsabilité de la Suisse en invoquant des restrictions budgétaires et la mobilisation de fonds privés. C'est un affront, écrit Andreas Missbach.
Palmiers déracinés par l'ouragan « Beryl » à St. Patrick, Grenade, en juillet 2024. Des maisons et des régions entières ont été détruites dans toutes les Caraïbes. © Keystone / AP Photo / Haron Forteau
Le 17 juillet 2024, Simon Stiell se tient dans une maison endommagée sur son île natale de Carriacou et confie : « Je me trouve aujourd'hui dans le salon de mon voisin. La maison de ma grand-mère, en bas de la rue, a été complètement détruite. » C'était l'œuvre de l'ouragan Beryl, qui a balayé la Grenade et de nombreux autres pays. Il poursuit : « Il est impossible, quand on vient ici, de ne pas reconnaître l'importance du financement climatique et de la compensation financière des pertes et préjudices. Nous devons investir massivement dans la résilience, en particulier pour les personnes les plus vulnérables. »
Simon Stiell est secrétaire général de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques et, à ce titre, responsable de la 29e session de la Conférence des Parties à cette convention, à Bakou. Le 22 novembre 2024, Albert Rösti est là, devant une caméra de télévision, et lâche : « Nous subissons des restrictions budgétaires, nous appliquons un programme d'austérité... ». Ce qui est faux à Berne est un affront à Bakou. Un affront pour les habitants de pays comme la Grenade, et un affront pour les déléguées et délégués du Sud global. Selon une étude récente de l'Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, ces pays auront en 2049 une performance économique de 20 à 30% inférieure à celle qu'ils auraient eue sans changement climatique, en raison des émissions déjà provoquées par les pays industrialisés.
La Suisse officielle, en revanche, subit des « restrictions budgétaires » malgré un taux d'endettement extrêmement bas. Selon le journal britannique The Guardian, elle faisait partie, avec le Japon et la Nouvelle-Zélande, des pays qui ont dit non à l'augmentation du financement climatique de 250 à 300 milliards de dollars d'ici 2035.
Des délégués du Sud global ont continué à protester après que cette décision a été « martelée ». Au sens littéral du terme, puisque c'est le petit marteau en bois du président qui décide, avec ses mots « It's so decided », quand il y a « consensus » . Chandni Raina, une déléguée indienne, a qualifié l'engagement de 300 milliards de dollars de « mise en scène » et la déclaration finale de la conférence de « guère plus qu'une illusion d'optique ». Nikura Maduekwe, du Nigeria, a renchéri : « C'est une blague. »
Ce que le conseiller fédéral Rösti a également dit devant la caméra de télévision était aussi une très mauvaise blague : « Nous pouvons réaliser cela, par exemple en faisant appel à des contributions privées. ». Même Larry Summers, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, conseiller économique du gouvernement américain et vice-secrétaire au Trésor, l’incarnation en quelque sorte du « consensus de Washington », qualifie désormais la « mobilisation des ressources privées » de « bavardage » de gens qui, sans argent, « veulent montrer leur sens de l’Etat ou recherchent des subventions très substantielles ».
Et Simon Stiell, en qualité de premier responsable de l'ONU le 25 novembre 2024, a bien sûr dû enjoliver la décision de la COP29, non sans ajouter que l’heure n’était pas aux discours de victoire.
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global
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Communiqué
24.11.2024, Justice climatique
La conférence sur les changements climatiques (COP29) s'est achevée la nuit dernière à Bakou. Le résultat des négociations est une amère déception. L'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus de crédibilité dans le Sud global.
© OFEV
La situation géopolitique initiale était déjà délicate et la présidence azerbaïdjanaise s’est montrée peu efficace pour lancer des ponts entre les différentes positions. Mais l'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires, dont l'existence est déjà menacée par la crise climatique. La confiance dans le Nord global vacille. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus d'influence et de crédibilité dans le Sud global.
Le financement climatique est notamment nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés par l'accord de Paris. L'année dernière à Dubaï, la communauté internationale a décidé d'entamer une transition énergétique en se détournant des combustibles fossiles. À Bakou, les pays ne sont pas parvenus à donner une suite concrète à cette décision.
Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, déclare :
Bettina Dürr, experte climatique auprès d’Action de Carême et observatrice sur place, explique :
Christina Aebischer, experte en adaptation climatique chez Helvetas et observatrice sur place, ajoute :
David Knecht, spécialiste des questions climatiques et énergétiques auprès d’Action de Carême et observateur sur place, dit :
Pour de plus amples informations :
Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46 (par WhatsApp), delia.berner@alliancesud.ch
Alliance Sud, Marco Fähndrich, responsable média, tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@allliancesud.ch
Action de Carême, Bettina Dürr, experte en questions énergétiques et justice climatique, tél. 079 745 43 53 (via Signal ou WhatsApp), duerr@fastenaktion.ch
Action de Carême, David Knecht, expert en questions énergétiques et justice climatique, tél. 076 436 59 86 (via Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch
Helvetas, Christina Aebischer, experte en adaptation climatique, tél. 076 459 61 96, christina.aebischer@helvetas.org
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Communiqué
21.11.2024, Justice climatique
La Suisse veut atteindre une grande partie de ses objectifs climatiques non pas à l’intérieur de ses propres frontières, mais à l'étranger — avec des projets de compensation très discutables. C'est ce que montre une nouvelle recherche d'Alliance Sud sur un projet de fours de cuisson de la fondation KliK au Ghana. Le projet surestime son efficacité, manque de transparence et présente des effets secondaires toxiques.
Extrait de l'analyse de l'additionnalité du projet, entièrement « expurgée » à l'origine.
Dans les régions les plus pauvres du Sud global, des fours de cuisson efficaces sont une bonne chose pour améliorer la situation individuelle du petit paysannat. Pour simplifier, on peut dire que les petits paysan-e-s peuvent ainsi faire des économies et inhaler moins de fumée. De plus, les émissions de CO2 sont moindres. Mais le projet de fours de cuisson de la Fondation KliK en tant que projet de compensation d’émissions de CO2 est des plus problématiques, comme le montre la nouvelle recherche d'Alliance Sud. En effet, le projet Transformative Cookstove Activity in Rural Ghana présente de sérieuses lacunes :
• Manque de transparence : Les propriétaires privés du programme, ACT Commodities, essaient de dissimuler tout ce qu’ils peuvent, notamment les calculs des réductions d'émissions.
• Effets surestimés : La planification du projet promet une réduction de 3,2 millions de tonnes de CO2 d'ici 2030, mais la réduction réaliste n’excède pas 1,8 million. La raison en est une surestimation du paramètre majeur du calcul.
• Des effets secondaires toxiques : Aux populations rurales, le partenaire commercial au Ghana vend simultanément les fours de cuisson du projet et des pesticides si toxiques que leur utilisation n’est pas autorisée en Suisse.
Selon les médias, le premier projet de compensation de la Suisse dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat, le programme de bus électriques à Bangkok, présente déjà des problèmes liés aux droits humains et des irrégularités financières. Voilà un an déjà, une enquête d'Alliance Sud et d'Action de Carême avait mis des irrégularités en évidence. Ce n'est donc pas un hasard si l'UE renonce à de telles compensations à l'étranger.
« Les projets en Thaïlande et au Ghana sont loin de tenir leurs promesses. Les compensations de CO2 de la Suisse à l'étranger ne remplacent pas les réductions d'émissions réelles dans le pays », affirme Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement.
Pour de plus amples informations :
Isolda Agazzi, responsable médias d‘Alliance Sud pour la Suisse romande, 022 901 07 82, isolda.agazzi@alliancesud.ch
Marco Fähndrich, responsable médias d’Alliance Sud, 079 374 59 73, marco.faehndrich@allliancesud.ch
Autres enquêtes sur les projets suisses de compensation à l'étranger :
Recherche d'Alliance Sud et d’Action de Carême sur les bus électriques à Bangkok (2023)
Étude mandatée par Caritas Suisse sur un projet de fours de cuisson au Pérou
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Recherche
20.11.2024, Justice climatique
L'achat de nouveaux fours de cuisson au Ghana devrait permettre, à des femmes surtout, d'économiser plus de 3 millions de tonnes de CO2 — en remplacement de réductions d'émissions réalisées en Suisse. Alliance Sud critique le manque flagrant de transparence du projet et montre les détails explosifs que ses propriétaires ont voulu cacher au grand public.
Une jeune fille cuisine avec sa mère dans sa maison à Tinguri, au Ghana. La Suisse se concentre sur ces foyers toxiques pour la santé dans le cadre de sa compensation climatique.
© Keystone / Robert Harding / Ben Langdon Photography
Grace Adongo, une paysanne de la région d'Ashanti au Ghana, est heureuse de son nouveau four de cuisson plus efficace. Au lieu de cuisiner sur un feu ouvert, elle pose désormais sa marmite sur une petite cuisinière. Elle utilise nettement moins de charbon de bois et économise ainsi de l'argent tout en émettant moins de CO2. Ce témoignage provient du dernier rapport annuel du Ghana Carbon Market Office et va dans le sens de nombreux autres qui font état des innombrables projets de fours de cuisson sur le marché mondial du carbone. Ces derniers doivent contribuer à équiper les couches les plus pauvres de la population de fours moins énergivores et moins nocifs pour la santé que les fours traditionnels ou les foyers émettant beaucoup de fumée. Cette approche permet de réduire la consommation de bois et d'économiser des émissions de CO2 (la quantité de celles-ci fait l’objet de nombreuses controverses — mais nous y reviendrons plus loin).
Le principe est toujours le même : les fours sont vendus à prix réduit. Les clientes et les clients cèdent alors leur droit à la réduction des émissions aux propriétaires du projet. Les rejets non émis grâce aux nouveaux fours sont ensuite calculés sur les années suivantes et vendus au niveau international par les propriétaires du projet sous forme de certificats de CO2. Les revenus générés par ces derniers sont nécessaires pour subventionner les fours de cuisson.
Ce qui semble être une bonne chose l'est certainement pour des gens comme Grace Adongo d'un point de vue individuel. Mais le système qui l'entoure est bien plus complexe et contradictoire. Dans le cas de la Transformative Cookstove Activity in Rural Ghana qu'Alliance Sud examine à la loupe dans la présente étude, il s'agit du marché de compensation de l'État, dans lequel la Suisse prend en compte les réductions d'émissions réalisées par le Ghana dans les objectifs climatiques de la Suisse. Il en ressort un nombre étonnant de situations qui doivent être évaluées de manière critique dans une perspective de justice climatique. La collaboration de la Suisse avec le Ghana est également un bon exemple de la raison pour laquelle le commerce de certificats dans le cadre de l'Accord de Paris ne permet pas d'atteindre des objectifs climatiques plus ambitieux.
Les certificats de CO2 provenant de ce projet et de nombreux autres sont payés par une taxe de 5 centimes par litre de carburant distribué à la pompe en Suisse. Appartenant aux importateurs de carburant, la Fondation KliK pour la protection du climat et la compensation de CO2 utilise cet argent pour des projets de compensation en Suisse et à l'étranger. En compensant les émissions de CO2 hors de nos frontières, les acteurs politiques suisses entendent pallier l'absence de mesures de protection du climat en Suisse afin d'atteindre malgré tout les objectifs climatiques fixés dans l'Accord de Paris.
Dans le cadre de l'Accord de Paris de 2015, la Suisse s'est engagée à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990. Or, la loi sur le CO2 ne permet de réduire qu'un peu plus de 30% des émissions en Suisse — à peine plus qu'avant la révision de la loi au printemps 2024. Les 20% restants doivent être compensés à l'étranger. Avec le paquet d'économies annoncé par le Conseil fédéral en septembre 2024, les mesures de protection du climat en Suisse devraient également être supprimées. Cela conduira inévitablement à ce que notre pays ait besoin de toujours plus de certificats de compensation pour pouvoir encore atteindre les objectifs climatiques. Tel n’est pas l’esprit de l'article 6 de l'Accord de Paris, qui doit explicitement conduire à « relever le niveau d’ambition » moyennant le transfert de réductions d'émissions vers d'autres pays. Pour cela, la Suisse devrait s'assurer que les objectifs climatiques des deux pays sont compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris. Elle a promis zéro émission nette d'ici 2050. Comme le zéro net doit être atteint d’ici 2050 au niveau planétaire, la Suisse attend donc de facto des autres pays qu'ils visent aussi zéro émission nette d’ici l’horizon 2050. Par rapport à cela, la contribution nationale du Ghana d'ici 2030 à la réalisation de l'Accord de Paris présente des lacunes considérables. Ce pays ne communique qu'à titre indicatif un objectif de zéro émission nette pour 2060 et exclut l'exploitation pétrolière de ses objectifs climatiques. Interrogé à ce sujet, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) écrit que « les exigences de l'Accord de Paris s'appliquent », en se référant aux objectifs climatiques fixés unilatéralement selon le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives. « Dans ce contexte, les objectifs climatiques doivent comprendre l'ambition la plus élevée possible et il s’agit de relever le niveau d’ambition des objectifs suivants ». Il n'existe cependant pas d'autres critères pour les objectifs climatiques d'un État partenaire.
Voilà un an, le Ghana a fait part d’une intensification de sa production de pétrole et a justifié cette mesure par le manque de soutien financier pour la protection du climat. Cela souligne le problème de base : les pays du Sud mondial manquent de financement international pour le climat, un financement auquel ils auraient droit comme soutien du Nord global. Conséquence ? Ils adoptent la deuxième meilleure solution pour obtenir ce financement, à savoir la vente de leurs activités de protection climatique sous forme de certificats de CO2. La différence avec le financement climatique : la Suisse obtient le « droit » de reporter à plus tard ses mesures de protection du climat. Dans l'ensemble, les ambitions pour une protection efficace du climat sont revues à la baisse et non pas relevées.
Le présent projet de fours de cuisson a été approuvé en février 2024 par le Ghana et la Suisse dans le cadre du mécanisme de marché bilatéral de l'Accord de Paris (art. 6.2). Il est mis en œuvre par l'entreprise de matières premières ACT Commodities d'Amsterdam (propriétaire du projet, voir encadré 2) et doit permettre d’épargner plus de 3 millions de tonnes de CO2 d'ici 2030. Les gouvernements des deux pays ont l'entière responsabilité de veiller à ce que le projet respecte des exigences de qualité élevées et tienne ses promesses. L'Office fédéral de l'environnement (OFEV) examine à cet effet la documentation du projet et la publie après son approbation.
Le propriétaire du projet est une multinationale dont le siège est à Amsterdam : ACT Commodities. Sur son site Internet, elle se décrit comme un fournisseur de premier plan de solutions de durabilité basées sur le marché et un moteur de la transition vers un monde durable. ACT est un protagoniste en vue du commerce des émissions. Mais ACT préfère renoncer à trop de transparence — sur son propre site web, on ne trouve pas un mot sur le fait que le portefeuille de la multinationale comprend aussi le commerce du pétrole et des carburants (via la société sœur ACT Fuels, qui n'a pas de site web). Seul un coup d'œil au registre du commerce néerlandais le révèle. Depuis juillet 2023, ACT Commodities possède par ailleurs une entreprise qui propose des carburants pour bateaux, le plus sale de tous les carburants. La multinationale fait donc partie du groupe croissant de négociants en matières premières qui font du commerce avec les énergies fossiles et se « blanchissent » comme protagonistes sur le marché du CO2.
Mais un premier coup d'œil sur les documents révèle déjà des lacunes en termes de transparence : le projet est aussi opaque qu'un épais brouillard. Des pans entiers de la description du projet ont été caviardés, dont la quasi-totalité de l'analyse qui doit prouver que le projet est à l’origine de réductions d'émissions supplémentaires (voir photo). Mais de nombreux autres chiffres et données pertinents ont aussi été occultés. Et le document contenant les calculs expliquant pourquoi la réduction de CO2 doit totaliser 3,2 millions de tonnes n'a même pas été publié. La transparence ne ressemble en rien à un tel tableau.
Alliance Sud a exigé la publication des documents et des calculs non expurgés en invoquant la loi sur la transparence (LTrans) — et, d’abord, a attendu quatre mois vu le refus des propriétaires du projet. Puis, une grande partie de la documentation a été rendue publique, mais pas intégralement. Les passages encore caviardés étaient considérés comme des secrets commerciaux. Mais il apparaît désormais sans ambiguïté que de nombreux passages ont été occultés de manière totalement arbitraire dans le document initial.
Extrait de l'analyse de l'additionnalité du projet, entièrement « expurgée » à l'origine.
Les modalités du calcul des économies potentielles de 400 000 tonnes de CO2 par an pendant 8 ans au Ghana font partie des informations centrales d’un projet de compensation. Les organismes de vérification sérieux pour le marché volontaire des certificats sont tenus de publier ces calculs. Les données doivent être tenues à disposition pour des analyses scientifiques — d'autant plus que toujours davantage d’études constatent une surestimation des réductions d'émissions grâce aux certificats de CO2, y compris pour les projets de fours de cuisson.
Mais dans ce cas, le propriétaire du projet s'y oppose. Ce manque de transparence est inacceptable. Suite à une demande invoquant la LTrans, Alliance Sud a reçu un PDF des tables de calcul. Sans possibilité de voir les formules Excel intégrées, la traçabilité reste limitée.
Les chiffres disponibles révèlent cependant des choses surprenantes : dans le PDF de calcul, il apparaît que pour les années 2025-30, les réductions d'émissions des mêmes fours sont calculées comme étant presque deux fois supérieures que pour 2023-24. La raison en est une augmentation apparemment prévue du paramètre clé, la part d'approvisionnement en bois non durable, appelée fraction de biomasse non renouvelable (fraction of non-renewable biomass, fNRB). Il s'agit d'une estimation de la quantité de biomasse ligneuse dont la récolte de bois de chauffage dépasse sa croissance naturelle. Seule la consommation réduite de bois de chauffage non durable peut être invoquée comme réduction des émissions de CO2. Ce paramètre est directement multiplié par les autres facteurs. Il est donc décisif pour les calculs de réduction des émissions. Une estimation trop élevée de la fNRB est la raison majeure de la critique parfois accablante des projets de fours de cuisson menés jusqu'à présent pour réduire les émissions.
Pour celles et ceux qui veulent en avoir le cœur net : selon la documentation du projet, la fNRB a été estimée à 0,3, ce qui est plus conservateur que de nombreux projets de fours de cuisson réalisés jusqu'à présent. D’après l’étude de référence officielle de la CCNUCC de juin 2024, cette valeur est appropriée en tant que valeur standard afin de ne pas surestimer massivement les réductions d'émissions et simultanément cohérente avec la valeur spécifique au pays de l'étude pour le Ghana (0,33). Or, le projet comporte une clause selon laquelle le Ghana et la Suisse peuvent adapter (vers le haut) la fNRB de manière bilatérale a posteriori. Le fait qu'une fNRB de 0,7629 soit déjà calculée à partir de 2025 n'apparaît que dans le PDF de calcul, qui n'a d’abord pas été publié. La description du projet ne mentionne pas qu'une valeur plus élevée est déjà prévue, même si elle n'a pas encore été approuvée. La valeur de 0,7629 provient de l'outil obsolète, le CDM-Tool 30, que l’OFEV lui-même qualifie de base insuffisante. Au printemps 2024, le Ghana a lancé un appel d'offres pour une étude indépendante afin de déterminer une valeur fNRB spécifique au pays — visiblement dans l'espoir de légitimer une valeur nettement plus élevée. Pour que celle-ci soit également acceptée par la Suisse, l'étude doit passer l’évaluation par des pairs (peer review) des organes de la CCNUCC. Vu l'étude de référence mentionnée, largement acceptée, qui calcule une valeur par pays de 0,33 pour le Ghana, l’entreprise risque d’être ardue.
Le document de calcul montre qu'à partir de 2025, on compte avec une fNRB, le paramètre clé, plus de deux fois plus élevée (ligne en jaune). Les réductions d'émissions entre 2025 et 2030 sont ainsi surestimées jusqu'à 92% selon les calculs d'Alliance Sud. Au total, la surestimation atteint jusqu'à 79% (en tenant compte du calcul correct pour 2023 et 2024).
Si l'on part, sans fondement, d'une valeur fNRB plus de deux fois supérieure, les réductions d'émissions sont donc surestimées à l'avance. Sur la base des calculs d'Alliance Sud, le projet réduirait au maximum 1,8 million de tonnes de CO2 si la valeur fNRB était maintenue constante à la valeur plus réaliste de 0,3. Or, le projet promet une réduction de 3,2 millions de tonnes de CO2. Il amplifie donc les réductions globales dans une proportion allant jusqu’à 79%.
D'ailleurs, contrairement au propriétaire du projet, nous publions nos propres calculs.
L'absurdité de vouloir qualifier la moitié de la documentation du projet de « secret commercial » (dans la première version de février) est illustrée par le fait que de nombreuses informations dissimulées sont disponibles publiquement ailleurs. Certains renseignements mineurs, qui avaient été dissimulés à l'origine, sont même non « expurgés » dans le même document à un autre endroit. D'autres informations sont visibles dans des documents du gouvernement ghanéen ou peuvent être combinées à partir d'autres sources.
Ainsi, grâce à un article en ligne des autorités ghanéennes sur une visite du conseil de la fondation KliK, on découvre le principal partenaire de distribution du projet au Ghana : une entreprise ghanéenne du nom de Farmerline. Elle facilite l'accès des paysannes et des paysans aux intrants agricoles — et ouvre ainsi à l'industrie agricole internationale les portes d’une nombreuse nouvelle clientèle au Ghana. Les propriétaires du projet souhaitaient également dissimuler cette relation. Dans la documentation du projet, plusieurs références à des partenariats dans le secteur agricole étaient à l'origine dissimulées et la collaboration concrète est toujours censurée — et il y a de bonnes raisons à cela, comme le montre un examen plus attentif.
De son côté, Farmerline a annoncé sa collaboration avec Envirofit, le producteur de fours de cuisson et partenaire de mise en œuvre des propriétaires du projet, en juin 2023. La documentation indique à ce sujet comment 180 000 fours seront vendus en peu de temps à la population rurale, précise aussi qu’ils seront proposés dans plus de 400 magasins d'intrants agricoles. Certains posts de Farmerline sur la plateforme X attirent toutefois l'attention. Cette année, Farmerline a organisé une exposition itinérante agro-industrielle (Agribusiness Roadshow) dans plusieurs régions du Ghana, en collaboration avec Envirofit — et avec le groupe agroalimentaire Adama appartenant au groupe Syngenta. Chaque jour de la tournée, les fours de cuisson efficaces d'Envirofit ainsi que les pesticides d'Adama ont été présentés et proposés à la vente aux agricultrices et agriculteurs. Sur les vidéos de Farmerline, les produits Adama sont identifiables et, pour trois insecticides et un herbicide, il s'agit de produits contenant des substances actives non autorisées en Suisse et dans l'UE parce que trop dangereuses pour l'environnement et la santé : Atrazine, Diazinon et Bifenthrine. L'atrazine pollue les nappes phréatiques, inhibe la photosynthèse des plantes et ne se dégrade presque plus dans l'environnement ; elle est en outre classée comme cancérigène. Le diazinon ne s'attaque pas seulement aux parasites souhaités, mais à tous les insectes, et peut aussi être d'une toxicité aiguë chez l'être humain s'il entre en contact avec la peau. La bifenthrine est surtout très toxique pour les animaux aquicoles, mais ne devrait pas non plus être inhalée par les humains (voir la base de données sur les pesticides du Pesticide Action Network).
Exemple de photo tirée d'une vidéo de la tournée de Farmerline, au cours de laquelle outre les fours de cuisson, l'herbicide Maizine 30 OD contenant la substance active atrazine, interdite en Suisse, est vendu.
Aucune des vidéos ne montre par ailleurs la démonstration ou la vente de vêtements de protection adaptés. Selon diverses études (Demi und Sicchia 2021 ; Boateng et al 2022 ; et autres), l'utilisation croissante de pesticides dans l'agriculture ghanéenne va de pair avec d’importants problèmes de santé pour les paysannes et les paysans. Faute d'instructions de la part des revendeurs, nombre de paysans ignorent comment utiliser correctement les pesticides et se protéger, ou n'ont pas assez d'argent pour acheter des vêtements de protection. De plus, ils obtiennent des informations spécialisées de leur environnement personnel ou de leurs commerçants surtout, mais les conseils agricoles indépendants font défaut. Dans leur étude, Imoro et al. 2019 ont constaté que 50% n'utilisaient aucun vêtement de protection et que 40% n'en utilisaient pas suffisamment. Lorsqu'on demande à KliK si de tels vêtements sont vendus lors des tournées, KliK répond que ses partenaires de coopération respectent bien entendu les critères de durabilité les plus élevés. KliK écrit que le problème qu'Alliance Sud soulève avec cette question ne relève pas de son pouvoir d'appréciation.
La tentative de se prononcer clairement sur la contribution de ce projet de compensation au développement durable s'apparente donc toujours à tâtonner dans le brouillard. En effet, la clientèle des fours de cuisson économise certes de l'argent et améliore, espérons-le, sa santé grâce à la réduction de la fumée, mais elle est simultanément incitée à dépenser l'argent économisé pour des pesticides dont l'utilisation accrue entraîne des dommages environnementaux et, dans de nombreux cas, des atteintes à la santé. De ce point de vue, KliK a échoué dans l'évaluation des « critères de durabilité les plus élevés » des partenaires de coopération. Il est certes évident que des synergies sont recherchées avec les acteurs existants dans le domaine agricole afin d'atteindre les populations des zones rurales. Mais si la durabilité avait été au premier plan, un partenariat avec des organisations promouvant des approches agro-écologiques se serait bien plus imposé.
Les nouveaux fours de cuisson permettent à la clientèle de réaliser des économies, mais le projet est bien plus largement profitable pour les investisseurs. Il reste également opaque d'un point de vue financier : les prix des fours ne sont pas communiqués, ceux des certificats sont une affaire privée de KliK et de ses partenaires commerciaux. L'OFEV ne vérifie pas non plus le plan financier, ou autre, du projet. Mais avec la publication de quelques informations supplémentaires faisant suite à la demande invoquant la LTrans, il est clair que les investisseurs devraient toucher le pactole. Ceux qui sont derrière ce projet restent invisibles, mais à en croire la documentation du projet, ils devraient pouvoir escompter un rendement annuel de 19,75% sur leur investissement. Ce rendement absurdement élevé est justifié par une comparaison avec les obligations d'État du Ghana. Cette comparaison est sans fondement aucun, les deux choses n'ayant rien à voir l'une avec l'autre. Les risques d'investir dans une obligation d'État d'une nation déjà fortement endettée sont d'une toute autre nature, ce qui explique les rendements élevés (même s'ils ne sont pas légitimés, car les taux d'intérêt élevés pour les États plus pauvres sont effrayants et dévastateurs — mais c’est encore une autre histoire).
Ici, en revanche, il s'agit d'un projet cofinancé et garanti par des fonds quasi publics ; on pourrait le classer dans la catégorie blended finance, un financement mixte public-privé. En effet, les importateurs de carburant prélèvent une taxe sur le carburant en application de la loi sur le CO2. Si les recettes de cette taxe devaient, d'un point de vue purement technique, faire un détour par le trésor public — comme c'est la règle pour d'autres taxes — avant d'être dépensées pour des projets de compensation, il s'agirait de l'argent public des contribuables.
Il existe donc un intérêt public à ce que les recettes de cette taxe soient utilisées efficacement. L'argent doit servir à la protection du climat et au développement durable sur place, plutôt qu’aux rendements mirobolants des investisseurs.
Les fours de cuisson efficaces sont un moyen avantageux d'apporter des améliorations dans la vie de nombreuses personnes tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Le mécanisme de marché de l'Accord de Paris présente toutefois des contradictions considérables dans la mise en œuvre de projets de protection climatique dans le Sud mondial. Il doit contribuer au développement durable sur place, mais il est conçu comme une affaire potentiellement lucrative pour les investisseurs. Et tandis que certaines émissions sont réduites dans le Sud global, le mécanisme offre une excuse politique pour remettre à plus tard la protection du climat dans un pays aussi prospère que la Suisse.
La transparence dans le commerce de certificats est donc essentielle pour connaître les dessous complexes et potentiellement problématiques des projets de compensation. Le projet de compensation climatique de la Suisse au Ghana en est un exemple éloquent. Ni la surestimation des réductions d'émissions, ni la vente de pesticides toxiques, ni le rendement trop élevé ne ressortaient des documents publiés après l'approbation du projet de fours de cuisson. Ce n'est que suite à une demande invoquant la LTrans et à des recherches plus poussées qu'Alliance Sud a pu dissiper le brouillard de la documentation opaque du projet : celle-ci a révélé l'approbation de méthodes de calcul hasardeuses, des pratiques commerciales des partenaires de mise en œuvre nuisibles à l'environnement et aux populations, ainsi qu'une compréhension douteuse de la transparence de la part des protagonistes majeurs. La possibilité d'un examen public reste cependant décisive pour que les projets de compensation ne compromettent pas la mise en œuvre de l'Accord de Paris.
Le cas en question est le deuxième projet de compensation de la Suisse dans le cadre de l'Accord de Paris examiné par Alliance Sud. Il y a un an, Alliance Sud et Action de Carême avaient déjà montré pourquoi les nouveaux bus électriques de Bangkok ne remplaçaient pas la protection du climat en Suisse.
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