Communiqué

Financement climatique à la COP29 : les fonds publics sont indispensables

07.11.2024, Justice climatique

Cette année, la conférence de l'ONU sur le climat « COP29 », qui se tiendra du 11 au 22 novembre à Bakou, portera sur les milliers de milliards nécessaires au Sud global pour faire face aux graves conséquences de la crise climatique et mettre fin à la dépendance aux combustibles fossiles. La Suisse ne doit plus compter sur les investissements privés, mais proposer un objectif de financement public nettement plus ambitieux.

Marco Fähndrich
Marco Fähndrich

Responsable de la communication et des médias

+41 31 390 93 34 marco.faehndrich@alliancesud.ch
Financement climatique à la COP29 : les fonds publics sont indispensables

© Shutterstock

2'400 milliards de dollars. Le Conseil fédéral cite également cette estimation d'expertes et d’experts de l'ONU pour quantifier les besoins de financement annuels pour la mise en œuvre de l'Accord de Paris sur le climat d'ici 2030 dans le Sud global. Ce chiffre illustre l'énorme déficit de financement auquel le Sud global reste confronté en raison de l'objectif actuel de 100 milliards de dollars pour le financement de la lutte contre le changement climatique.

« Il est évident que le nouvel objectif de financement collectif qui doit être entériné lors de la COP29 requiert une toute autre dimension que celle retenue jusqu'ici », explique Laurent Matile, expert en entreprises et développement auprès d'Alliance Sud, le centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement. La société civile internationale réclame au moins 1'000 milliards de dollars de financement climatique public par an. Dans le cadre de la réduction des gaz à effet de serre, il faut par exemple un soutien pour les États pauvres fortement endettés, qui ne peuvent jusqu'à présent payer leurs intérêts qu'avec les revenus de l'extraction de pétrole ou de gaz.

Mais des fonds publics sont également nécessaires en particulier pour l'adaptation aux conditions climatiques modifiées. « Dans chaque pays, les couches les plus pauvres de la population sont les plus touchées par la crise climatique. Leur protection et leur soutien sont une obligation planétaire et non un business case », explique Christina Aebischer, experte des questions climatiques chez Helvetas. La prise en compte des pertes et préjudices liés au climat dans le nouvel objectif de financement climatique est également une priorité pour les délégations du Sud global. Là aussi, il est urgent de disposer de fonds publics. « Si l'on se réfère au principe selon lequel les pollueurs doivent payer pour les dommages causés, il est plus que temps que les pays riches financent également la couverture des dommages climatiques », ajoute Bettina Dürr, spécialiste du climat auprès d’Action de Carême.

La Suisse, en revanche, mise sur le fait que les investissements privés apporteront l'argent nécessaire au Sud global — en ignorant au passage que, dans les flux financiers privés, l'argent est jusqu'à présent transféré du Sud vers le Nord en raison de l'évasion fiscale et des taux d'intérêt élevés. « Si la seule réponse au déficit de financement consiste en de vagues promesses d'investissements privés, les communautés touchées dans le Sud global ne seront en rien aidées. C’est moralement injustifiable, car ces gens, qui n'ont pas contribué à la crise climatique, sont les premiers à en souffrir », déclare Laurent Matile.

Dans le même temps, les pays ne doivent pas perdre de vue la réduction des émissions. Lors de la COP28 à Dubaï l'année dernière, la communauté internationale a décidé d'abandonner les énergies fossiles. Début 2025, tous les pays devront soumettre leurs nouveaux objectifs climatiques, à savoir leurs contributions déterminées au niveau national (CDN). Dans les CDN, les nations doivent montrer comment elles entendent mettre en œuvre les décisions prises à Dubaï. La COP29 fixera le cap à cet égard. Il est crucial que les pays riches en particulier montrent l'exemple et exposent concrètement leurs plans de sortie des énergies fossiles. « Une transition énergétique rapide et socialement équitable est un impératif et doit être utilisée comme moteur de développement pour les communautés délaissées. La Suisse doit y apporter sa contribution », souligne David Knecht, expert climatique chez Action de Carême.

Remarque : Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, est membre de la délégation officielle de négociation de la Suisse en tant que représentante de la société civile et sera à Bakou à partir du 11 novembre.

Pour de plus amples informations :

Alliance Sud, Marco Fähndrich, responsable des médias, tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@alliancesud.ch

Action de Carême, Bettina Dürr, experte en questions énergétiques et justice climatique, tél. 079 745 43 53 (via Signal ou WhatsApp), duerr@fastenaktion.ch. Bettina Dürr observe les négociations sur le financement climatique et le bilan mondial (global stocktake) sur place à Bakou.

Action de Carême, David Knecht, expert en questions énergétiques et justice climatique, tél. 076 436 59 86 (via Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch. David Knecht observe les négociations sur l’atténuation / les CDN et les mécanismes de compensation de CO2 sur place à Bakou.

Helvetas, Aude Marcovitch Iorgulescu, Coordinator Media Relations Romandie, tél. 031 385 10 16, aude.marcovitch@helvetas.org. De Helvetas Christina Aebischer est sur place à Bakou en qualité d’observatrice.

 

 

Climat et fiscalité

Le tour du monde d’un duo

04.10.2024, Justice climatique, Finances et fiscalité

Sans le principe du pollueur-payeur, la politique climatique internationale ne peut pas être financée et sans la justice fiscale, elle ne peut pas être menée. Petit tour du monde d’un duo improbable, mais peut-être bientôt symbiotique.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Le tour du monde d’un duo

De plus en plus d'activistes et de plateformes multilatérales associent les revendications de justice fiscale et climatique. Manifestants lors du rassemblement Fridays for Future à Berlin, 20 septembre 2024.
© Keystone / EPA / Clemens Bilan

Cela tombe sous le sens : pour que nous puissions nous permettre d’abandonner les énergies fossiles sans grands bouleversements sociaux, nous devons aller chercher l'argent nécessaire dans la branche qui est la première à faire florès grâce à elles, à savoir l'industrie des combustibles fossiles. Selon des études, depuis 1988, plus de la moitié de toutes les émissions mondiales sont dues à l'extraction d'énergies fossiles par seulement 25 multinationales. Les coûts que ces émissions engendrent à long terme en changeant le climat n'ont jamais été réglés. Dans le même temps, les bénéfices et les dividendes de ceux qui ont fait commerce de ces combustibles n'ont cessé de gonfler. Grâce à la hausse des prix provoquée par l'invasion russe en Ukraine, les bénéfices des compagnies pétrolières et gazières ont atteint le chiffre astronomique de 4000 milliards de dollars en 2022.

Que les pollueurs passent à la caisse

Dans le contexte du financement climatique dont le Sud global a un urgent besoin et au nom de l’équité face aux pollueurs, il n'est donc pas étonnant que la revendication d'une taxation supplémentaire de ces compagnies soit toujours plus forte. La société civile internationale s'est depuis longtemps emparée de cet objectif avec le slogan « make polluters pay ». Une étude récente de la fondation Heinrich Böll montre qu'avec une taxe CO2 sur l'extraction du charbon, du pétrole et du gaz, appelée taxe sur les dommages climatiques, 900 milliards de dollars seraient disponibles dans les pays de l'OCDE cette décennie déjà en vue de lutter contre la crise climatique.

La revendication de taxes internationales sur le CO2 est presque aussi ancienne que la convention-cadre sur les changements climatiques. En 2006 déjà, Moritz Leuenberger, le président de la Confédération de l'époque, avait réclamé une taxe mondiale sur le CO2 lors de la conférence sur le climat. Mais un accord concret est toujours resté lettre morte au niveau de l'ONU. En vue des négociations de l'ONU pour un nouvel objectif de financement climatique lors de la COP29 en novembre prochain à Bakou, la pression pour augmenter les moyens financiers disponibles s’intensifie. C'est pourquoi divers acteurs et pays ont récemment réclamé des taxes internationales sur le CO2 ou d'autres moyens de financement selon le principe du pollueur-payeur (voir graphique). Les approches sont très diverses et vont d'une imposition nationale des bénéfices issus de l'extraction du pétrole à la revendication juridique de la responsabilité climatique des entreprises, en passant par des contributions volontaires de l'industrie d'extraction. Mais toutes les démarches visant à instaurer des taxes internationales impliquent une volonté politique au niveau national. La Suisse devrait, elle aussi, prélever des taxes respectueuses du principe de causalité auprès des entreprises qui profitent du commerce des énergies fossiles, et accroître ainsi ses contributions au financement international dans le domaine du climat.

Les « gilets jaunes » ou ce qu’il ne faut pas faire

Il serait possible de mobiliser des moyens supplémentaires pour la transformation écologique de nos sociétés non seulement en taxant davantage les producteurs de combustibles fossiles, mais aussi en incitant les Etats à faire payer davantage les consommateurs. Si l’on veut toutefois que cette transformation soit non seulement écologique, mais aussi sociale, la prudence est de mise dans le choix du type de taxe le plus approprié sur la consommation de CO2. En France par exemple, le souvenir des violents combats de rue entre les « gilets jaunes » et la police, voilà bientôt six ans en plein Paris, fait froid dans le dos. Ces manifestations avaient été déclenchées suite à la hausse de la taxe sur les carburants (écotaxe) que le président français entendait prélever sur chaque litre de diesel distribué à la pompe. Selon ses calculs, cette taxe aurait rapporté 15 milliards d'euros de recettes supplémentaires à l'Etat. Mais elle aurait fait payer les riches et les pauvres de la même manière : tant les gens qui ne pilotent que pour le plaisir leur Porsche TDI sur les routes de campagne françaises désertes que ceux qui, hors des métropoles, dépendent au quotidien de leur voiture diesel déglinguée dans une France étendue et mal desservie par les transports publics. Ainsi, le mouvement des « gilets jaunes » n'a pas seulement été porté par des négationnistes climatiques et des fans de voitures, mais aussi par des gens pour qui la taxe sur le diesel aurait fait exploser leur budget mensuel déjà serré. Ce mélange toxique a donné au mouvement une grande force politique. Le gouvernement libéral français a fait machine arrière et freiné le rythme de son programme de politique climatique. En parallèle, le président Macron a renoncé à remettre en vigueur un impôt de solidarité sur les grandes fortunes, qui avait déjà été introduit dans les années 1980 par le président socialiste de longue date François Mitterrand, mais que Macron avait considérablement atténué dans l’un des premiers actes de sa présidence. L’impôt aurait peut-être coupé l'herbe sous le pied des « gilets jaunes » en matière de politique sociale.

 

La justice climatique et la justice fiscale en tour du monde : aperçu de quelques approches et initiatives.
(Cliquer sur la carte pour l'agrandir) © Bodara / Alliance Sud

 

Des réformes fiscales équitables

Aujourd'hui, un impôt hautement progressif sur la fortune et à dimension socio-écologique est à l'ordre du jour, notamment dans les pays du G20 (voir graphique). Dans un rapport publié en novembre 2023, l'ONG Oxfam International arrive à la conclusion qu'un impôt mondial sur la fortune de tous les millionnaires et milliardaires permettrait d’engranger 1700 milliards de dollars par an dans le monde. Une taxe de pénalisation supplémentaire sur les investissements dans des activités nuisibles au climat pourrait rapporter 100 milliards de plus. Si l'on combine ces mesures avec un impôt sur le revenu de 60 % pour les 1 % de revenus les plus élevés, 6400 milliards supplémentaires seraient dégagés. Selon l’évolution des affaires et des prix, un impôt sur les bénéfices excédentaires peut également générer des recettes supplémentaires substantielles. En 2022 et 2023, avec une inflation élevée, un tel impôt aurait rapporté 941 milliards de dollars de plus par an selon Oxfam. Ces mesures permettraient donc de générer chaque année au moins 9 000 milliards de recettes fiscales supplémentaires.

Dans son rapport 2024 sur le financement du développement durable, le Département des affaires économiques et sociales de l'ONU estime que les lacunes de financement et d'investissement liées aux objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 de l'ONU s’élèvent entre 2500 et 4000 milliards de dollars par an. Rien qu’avec les instruments mentionnés plus haut, l'Agenda 2030 pourrait facilement être financé d'ici 2030, sans parler des réformes dans d'autres domaines du financement du développement. Contrairement à la taxe sur le diesel de Macron, un impôt mondial sur la fortune serait de toute façon équitable dans l’esprit de la politique climatique internationale : d’après Oxfam, les 1 % les plus riches de la planète étaient responsables en 2019 de 16 % de toutes les émissions de CO2 dans le monde. Ils en émettaient donc autant que les 66 % les plus pauvres de la population mondiale, soit cinq milliards de personnes.

 

 

COP29 – Conférence sur le changement climatique

En novembre, la communauté des Etats négociera à Bakou un nouvel objectif de financement collectif pour aider les pays du Sud global à faire face à la crise climatique. Là aussi, le financement selon le principe de causalité est à l'ordre du jour. Le déficit de financement ne cesse de se creuser et un soutien financier est tout simplement nécessaire pour que les pays du Sud global puissent se développer avec des technologies soucieuses du climat et prévenir encore plus de pertes et préjudices grâce à des mesures d'adaptation. La pression pour un objectif de financement ambitieux est donc forte et les pays riches sont appelés à augmenter considérablement leurs contributions dans les années à venir.

 

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Communiqué

De Bonn à Bakou : la Suisse n'a pas encore épuisé son potentiel

13.06.2024, Justice climatique

La conférence internationale de Bonn sur le climat a pris fin sans progrès significatif. Les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique n'avancent pas. D'ici la COP29 à Bakou, la Suisse doit utiliser sa marge de manœuvre pour que le nouvel objectif comble l'important déficit de financement de la protection du climat dans le Sud global. Et ce, dans l'intérêt de l’ensemble des États.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
De Bonn à Bakou : la Suisse n'a pas encore épuisé son potentiel

© Christoph Driessen / dpa

Après deux semaines de conférence sur le climat à Bonn, le résultat est décevant : il n'y a eu ni avancées visibles dans les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique, ni de stratégie claire pour aborder la sortie des énergies fossiles décidée à Dubaï. Pour que la conférence des parties (COP29) à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, puisse prendre des décisions ambitieuses, tous les pays devront intensifier leurs efforts dans les mois à venir. « Pour surmonter les profondes divergences d'opinion entre les grands groupes de négociation, la Suisse doit contribuer à renforcer la confiance entre le Sud global et le Nord global », explique Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, qui a suivi les négociations à Bonn pour le Centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement.

Sortir des énergies fossiles — mais comment ?

L’an dernier, la COP28 a pris des décisions de principe importantes à Dubaï, à savoir l'abandon des énergies fossiles et le triplement des capacités en énergies renouvelables. Il s'agit désormais de concrétiser ces acquis. Il faut par exemple que les pays échangent leurs points de vue sur la manière d'organiser la sortie des combustibles fossiles. La Suisse a fait un pas important dans cette direction en disant un oui clair à la loi sur l'électricité dimanche dernier. À Bonn, les pays ne sont cependant pas parvenus à se mettre d’accord sur des précisions supplémentaires concernant les décisions prises à Dubaï.

David Knecht, expert en questions climatiques et énergétiques auprès de l'organisation de dévelop¬pement Action de Carême, déclare : « L'abandon des énergies fossiles est crucial pour les plus pauvres, car ils souffrent particulièrement des changements climatiques ». Et Bettina Dürr, spécialiste du climat chez Action de Carême, d’ajouter : « Dans le cadre de notre travail avec nos organisa¬tions partenaires, nous constatons que les communautés locales peuvent se développer grâce à la mise en place de systèmes de production d’énergie renouvelable. Nous nous engageons pour que ce moteur de développement soit une opportunité pour tous ». Il est donc essentiel que la question soit sérieusement abordée à Bakou, par exemple via le programme de « mitigation ». Dans ce contexte, la Suisse doit continuer à orienter les négociations vers le seuil de +1,5 °C en adoptant une position ambitieuse.

L'argent tarde à affluer

S’agissant de l'objectif de financement climatique à négocier, la Suisse a de nombreuses possibilités de s'investir de manière constructive dans le cadre de sa position de négociation. Alliance Sud a soumis à l'Office fédéral de l'environnement des recommandations sur les adaptations à apporter à la position suisse. Notre pays pourrait ainsi s'engager pour une définition des critères de qualité du financement climatique qu'elle remplit déjà elle-même, et soutenir ainsi les demandes du Sud global dans les négociations. La confiance s’en trouverait renforcée. « La Suisse n'octroie pas de prêts pour financer la protection du climat, mais soutient des projets dans le Sud global avec des contributions à fonds perdu. Elle devrait exiger que ce soit la norme pour le nouvel objectif de financement », suggère Delia Berner. Avant d’ajouter : « Si notre pays veut qu'un nouvel objectif de financement engage également de nouveaux pays donateurs, elle doit gagner la confiance et l'approbation des pays les plus pauvres. »

Le nouvel objectif de financement collectif sera plusieurs fois supérieur aux 100 milliards visés actuellement. La Suisse a donc besoin de sources de financement additionnelles, selon le principe de causalité. Établir la confiance avec le Sud global signifie aussi se rendre à Bakou avec une offre concrète et travailler dès à présent sur les moyens d’augmenter le financement au niveau national. Le Conseil fédéral a fait établir un état des lieux et a voulu décider de la manière de procéder avant la fin 2023 — rien ne s’est passé depuis lors. Le temps d’une clarification est venu.


Für weitere Informationen:
Fastenaktion, David Knecht, Klima- und Energieexperte
076 436 59 86, knecht@fastenaktion.ch

Alliance Sud, Delia Berner, Klimaexpertin
077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch

Communiqué

La conférence de Bonn sur le climat trace la voie pour Bakou

03.06.2024, Justice climatique

À Bonn, du 3 au 13 juin 2024, des décisions importantes seront prises en vue de la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP29) qui se tiendra en novembre à Bakou. Alliance Sud observe les négociations sur place et attend de la Suisse qu'elle s'engage pour des ambitions accrues en matière de protection du climat et pour un financement climatique international approprié.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
La conférence de Bonn sur le climat trace la voie pour Bakou

© Delia Berner

Afin de pouvoir prendre des décisions mûrement réfléchies lors de la Conférence annuelle des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques et à l’accord de Paris en novembre, les États négocient sur le plan technique tout au long de l’année. En juin, toutes les délégations nationales et les organisations observatrices de la société civile se réunissent à Bonn pour des négociations intensives en vue de préparer la COP. Cette année, la COP29 de Bakou sera l'occasion de prendre des décisions clés qui fixeront le cap des efforts mondiaux de protection du climat pour la prochaine décennie.

Des objectifs climatiques plus ambitieux sont impératifs – de la part de la Suisse également

Les efforts de protection du climat déployés jusqu'ici à l'échelle mondiale conduisent la planète vers un scénario catastrophique de réchauffement global de 2.5 à 2.9°C. Selon les scientifiques, pour atteindre le cap de 1,5 degré, il faudrait réduire les émissions de moins 60% d'ici 2035 par rapport à 2019. Or, les émissions ont augmenté de 2.3% comparativement à cette année-là. Selon David Knecht de l'organisation de développement Action de Carême, « il faut un revirement et fixer des objectifs climatiques nettement plus ambitieux pour tous les pays, en particulier les nations prospères comme la Suisse. Nous le devons aux plus pauvres de la planète, car ils souffrent particulièrement de la crise climatique ». D'ici début 2025, les pays doivent communiquer leurs nouveaux objectifs climatiques (CDN) revus à la hausse pour 2030 à 2035. Les négociations de Bonn devront créer le cadre nécessaire à cet effet. « Il faut que tous les pays sachent clairement ce que l'on attend d'eux. Nous devons éviter que les nouveaux CDN ne soient à nouveau insuffisants », souligne David Knecht.

Il faut bien plus de financement pour le climat

De nombreux pays du Sud global ne peuvent relever leurs ambitions en matière de protection climatique que s'ils reçoivent un soutien financier nettement supérieur. De plus, les coûts d'adaptation au changement climatique sont en constante augmentation. Les pertes et préjudices causés par la crise climatique sont financièrement dévastateurs et injustes pour le Sud global, surtout pour les pays les plus pauvres dont les émissions de gaz à effet de serre sont quasiment nulles à ce jour. Le Conseil fédéral parle d'un besoin de financement de 2‘400 milliards de dollars par an dans les pays du Sud global (Chine exclue).

« L'objectif actuel de 100 milliards pour soutenir les pays pauvres dans la protection du climat est loin d'être suffisant », souligne Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. « Un nouvel objectif de financement sera négocié cette année. Il faut enfin suffisamment de fonds pour que les pays du Sud global puissent se développer sans nuire au climat et faire face à la crise climatique qui ne cesse de s'aggraver ». Cela nécessite une hausse massive, avec des ressources financières nouvelles et additionnelles de la part des États riches comme la Suisse.

 

Pour de plus amples informations :
 

Sur place à Bonn : Action de Carême, David Knecht, Programme Énergie et justice climatique, 076 436 59 86 (par Whatsapp), knecht@fastenaktion.ch

Sur place à Bonn : Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, 077 432 57 46 (par Whatsapp), delia.berner@alliancesud.ch

 

Votation du 9. juin

Loi sur l’électricité : une nécessité pour mieux protéger le climat

16.05.2024, Justice climatique

Pour protéger le climat, la Suisse doit garantir son approvisionnement en électricité à partir de sources d'énergie renouvelables. C'est pourquoi Alliance Sud dit oui à la loi relative à un approvisionnement en électricité sûr qui sera soumise au vote le 9 juin 2024.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Loi sur l’électricité : une nécessité pour mieux protéger le climat

La loi sur l’électricité encourage le développement de la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables en Suisse. Un approvisionnement en électricité reposant sur des énergies renouvelables comme le solaire, l’hydraulique et l’éolien est une condition préalable pour que notre pays progresse dans la décarbonisation et atteigne mieux ses objectifs climatiques dans ses frontières – au lieu de compenser ses émissions à l‘étranger. Ce qui est remarquable dans cette loi, c'est qu'elle a été soutenue au Parlement fédéral par des membres de tous les partis. Même le conseiller fédéral Albert Rösti soutenait déjà le projet lorsqu’il était conseiller national. Le développement des énergies renouvelables fait désormais l’objet d’un large consensus non seulement en Suisse, mais aussi dans les négociations climatiques de l'ONU. Lors de la dernière conférence sur le climat, la COP28, à Dubaï, la communauté internationale s'est fixé comme objectif de tripler la capacité mondiale de production d'énergies renouvelables d'ici 2030.

Mais les négociations mondiales et la politique climatique suisse ont jusqu'à présent échoué sur un deuxième point décisif : l'abandon des énergies fossiles. Car si l'on se contente d'ajouter des énergies renouvelables sans abandonner les sources d'énergie polluantes, on ne réduit pas encore les gaz à effet de serre.

Ce constat doit être davantage pris en compte dans la politique climatique suisse. Le 9 juin, nous avons l'occasion de recueillir un nouveau signal clair de la population en faveur d'un avenir respectueux du climat, après l’approbation à hauteur de 59% de la loi sur la protection du climat voilà un an. Car nous le savons au moins depuis juin dernier : la protection du climat est susceptible de réunir une majorité !

 

Qu’apporte la nouvelle loi sur l’électricité ?

  •     Accélérer la transition énergétique

    La loi sur l’électricité permet un développement rapide des énergies renouvelables, en particulier du solaire. Plus de 80% des installations seront construites sur des bâtiments et des infrastructures.

  •     Renforcer la souveraineté énergétique

    Nos énergies renouvelables permettent d’abandonner le pétrole et le gaz importés. Même les besoins croissants pour les voitures électriques, les pompes à chaleur et l’industrie pourront à terme être couverts par de l’énergie propre et locale.

  •     L’électricité en accord avec la nature

    La loi sur l’électricité clarifie les zones où le développement des énergies renouvelables est prioritaire. Dans les paysages et biotopes d’importance nationale, ces installations restent interdites.

  •     Des prix de l'énergie stables et avantageux

    Les dépenses pour l’énergie diminueront globalement, car le pétrole et le gaz seront remplacés par de l’électricité renouvelable bon marché. L’électricité locale réduit les fluctuations de prix lors de crise. Aucune nouvelle taxe n’est introduite.

Pour en savoir plus :
https://www.loi-electricite.ch/

 

Opinion

Strasbourg pousse la Suisse à sortir de son hibernation

11.04.2024, Justice climatique

Après l'adoption lors de la dernière session de printemps d'une loi sur le CO2 extrêmement timide pour les années 2025 à 2030, l’arrêt rendu dans la plainte des Aînées pour le climat contre la Suisse est un coup de semonce pour le Conseil fédéral et le Parlement. La politique climatique suisse a de toute urgence besoin d’un sursaut.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Strasbourg pousse la Suisse à sortir de son hibernation

Grand intérêt des médias pour l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg sur la plainte des Aînées pour le climat. © Miriam Künzli / Greenpeace

L'arrêt rendu le 9 avril par la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) à l'encontre de la Suisse est historique en ce sens qu'il reconnaît la protection du climat comme un droit humain. Et il tombe à point nommé pour notre pays. Le Parlement a en effet adopté en mars une loi sur la réduction des émissions de CO2 qui ne mérite pas vraiment son nom. La CourEDH a reproché à la Suisse de ne pas mener une politique climatique suffisante pour protéger la population des effets néfastes de la crise climatique et a pris des décisions de principe cruciales concernant les exigences posées à la politique climatique des États membres du Conseil de l'Europe. Les États — Suisse y compris — doivent adopter les mesures nécessaires pour réduire de manière substantielle et continue leurs émissions de gaz à effet de serre afin d'atteindre zéro émission nette d'ici trois décennies. Le calendrier doit tenir compte du « budget climatique » résiduel. En d’autres termes, les États doivent quantifier les émissions totales qu'ils sont encore autorisés à émettre pour contribuer à limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré, et calculer en conséquence leur budget annuel d'émissions encore admissibles.

Dans son argumentation, la CourEDH a explicitement suivi les faits scientifiques exposés dans les rapports déjà nombreux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) — elle ne pouvait pas ignorer les évidences scientifiques, peut-on lire à plusieurs reprises dans les motifs du jugement.

La Suisse doit respecter le budget CO2

La Suisse est légalement tenue de se conformer au jugement et d'en rendre compte au Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Concrètement, la CourEDH exige notamment que la Suisse calcule ses objectifs climatiques sur la base d'un budget CO2. Le budget CO2 global résiduel, qui permet avec une probabilité « suffisante » d'atteindre l'objectif de 1,5 degré, fait régulièrement l’objet de calculs par le GIEC sur la base de modèles scientifiques. La Suisse dispose donc tout au plus d'une certaine marge d'interprétation quant à la part qu'elle revendique pour elle-même. Mais d'une manière ou d'une autre, le calcul exigé la conduira probablement à devoir relever ses propres objectifs climatiques. L'arrêt la contraint également à atteindre les objectifs fixés. Quant aux mesures qu'elle prendra pour y parvenir, elles relèvent de sa propre liberté d’action.

Ainsi, l'urgence d'agir pour la Suisse s'en trouve encore renforcée. Il est temps que le Conseil fédéral et le Parlement se réveillent et assument leurs responsabilités. Notre pays doit enfin apporter sa juste part à la mise en œuvre de l'Accord de Paris, tant sur son territoire que via le financement climatique international dans le Sud global.

Article, Global

La Suisse freine des quatre fers

21.03.2024, Justice climatique

La Suisse n'est pas préparée à répondre aux attentes en nette hausse relatives à sa future contribution au financement international dans le domaine du climat. De nouvelles sources de financement sont nécessaires pour débloquer des moyens supplémentaires pour la lutte contre le changement climatique et l'adaptation à ce dernier dans le Sud global.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

La Suisse freine des quatre fers

Extraction d’énérgie fossile à Bakersfield, aux Etats-Unis.   © Simon Townsley / Panos Pictures

En décembre dernier, lors de la conférence sur le climat à Dubaï, des journalistes ont demandé au conseiller fédéral Albert Rösti s'il se sentait à l'aise pour exiger l'abandon des énergies fossiles d'ici 2050. Il s'est montré rassurant. En plénière, il a ajouté que la planète devrait sortir du charbon d'ici 2040, conformément à la position helvétique. Ce qu'il n'a pas dit, c'est que pour abandonner le charbon, le pétrole et le gaz, il faut plusieurs centaines de milliards de dollars de financement climatique pour le Sud global, et cela chaque année. Et pour l'adaptation dans les pays pauvres, qui pour l’heure n'émettent quasiment pas de gaz à effet de serre mais qui sont toujours plus gravement touchés par la crise climatique, et pour l'indemnisation des personnes concernées, il faut encore une fois un montant de cet ordre. Cela représenterait un multiple de l'objectif de financement actuel de 100 milliards de dollars par an. Le déficit de financement pour les mesures de lutte contre le changement climatique dans les pays pauvres ne cesse de croître. Malgré cela, les ressources financières mises à disposition par les États responsables de la crise climatique, comme la Suisse, restent même en deçà des 100 milliards promis. À cela s'ajoutent la crise de la dette et d'autres facteurs qui restreignent grandement les propres possibilités de financement dans les pays les plus pauvres. Nombre de pays du Sud global se sentent lâchés par le Nord.

C'est dans ce contexte difficile qu'un nouvel objectif de financement sera négocié lors de la conférence sur le climat de cette année. Il sera jugé à l'aune de sa capacité à permettre aux pays du Sud global de mettre en œuvre des plans ambitieux de protection climatique et de s'adapter au mieux au réchauffement de la planète. Un nouvel objectif de financement ambitieux et crédible dans le domaine climatique est un préalable impérieux à la possibilité de soumission en 2025, par tous les États, de nouveaux plans climatiques quinquennaux répondant aux objectifs de l'accord de Paris. L’enjeu sera donc de taille lorsque les délégués prendront place à la table des négociations en novembre en Azerbaïdjan. Et les attentes envers les pays riches seront largement revues à la hausse. La Suisse devrait aussi s'engager avec cohérence pour que les pays pollueurs allouent bien davantage de fonds publics au financement climatique. Dans une tribune pour Climate Home News, le négociateur en chef du groupe des pays les plus pauvres, Evans Njewa du Malawi, demande aux délégations en charge des négociations pour le Nord global de ne plus se cacher derrière leurs parlements : « Ils disent qu'ils n'ont pas de mandat ou qu'ils ne sont pas en mesure d'augmenter les fonds, car leurs parlements ne les approuveront pas. Ils doivent d'autant plus agir maintenant, avant que ces derniers ne délibèrent sur leurs budgets  », tonne Njewa.

Le Conseil fédéral ne veut pas voir la nécessité d’agir

Ce schéma s’observe dans notre pays également. Dans les négociations sur le climat, la Suisse s'engage en faveur d’une sortie mondiale des énergies fossiles d'ici 2050, afin que les objectifs de l’accord de Paris puissent encore être atteints. Mais sur les questions de financement, elle freine des quatre fers, car elle ne peut pas présenter d'engagements de politique intérieure pour des contributions plus substantielles. Le Conseil fédéral ne tente même pas de demander des ressources additionnelles au Parlement. Pour quelle raison en est-on là ?

Pour l’heure, les contributions suisses au financement climatique proviennent essentiellement du budget de la coopération internationale (CI), qui reçoit déjà trop peu de moyens pour la lutte mondiale contre la pauvreté et qui est aujourd’hui menacé par un transfert massif de fonds en faveur de la reconstruction en Ukraine. Cela signifie que le financement actuel du climat est déjà compté deux fois avec les projets de lutte contre la pauvreté. En revanche, des ressources financières nouvelles et additionnelles sont nécessaires pour que le financement climatique suisse puisse contribuer efficacement au soutien des plans climatiques dans le Sud global. Le Conseil fédéral devrait élaborer des options de financement alternatives au niveau de la loi, afin que les fonds de la CI puissent continuer à être utilisés pour la lutte globale contre la pauvreté, le renforcement des services de base en matière d'éducation et de santé ainsi que pour ses autres tâches clés. Voilà un an, il a effectivement donné à l'administration le mandat d'élaborer des options pour que la Suisse puisse à l'avenir fournir davantage de financement dans le domaine du climat. À la fin de l'an dernier, une étude mandatée à l'extérieur a été publiée sans commentaire sur le site Internet de l'Office fédéral de l'environnement. Expertes et experts recommandent à notre pays de trouver des sources de financement additionnelles, par exemple les recettes du système d'échange de quotas d'émission. Mais depuis, rien n'a bougé au Conseil fédéral. Selon le nouveau programme de législature, il n'a pas l'intention de présenter au Parlement un dossier sur le financement climatique au cours des trois prochaines années. Il mise uniquement sur le nouveau crédit quadriennal pour la coopération internationale 2025 – 2028. Mais ce dernier n’offre aucune place pour un financement climatique supplémentaire.

Si le Conseil fédéral n'agit pas — ce qui est en l’occurrence irresponsable, car les négociations sur le climat relèvent de sa compétence —, le Parlement peut prendre l'initiative. Lors de la dernière session d'hiver, le conseiller national Marc Jost a déposé une initiative parlementaire pour l’élaboration au Parlement d’une loi sur le financement international dans le domaine du climat et de la biodiversité.

Pas d’action sans financement

La conférence de Bakou sur le climat se rapproche à grands pas. Que reste-t-il à faire d’ici là ? La Suisse doit reconsidérer sa position de négociation actuelle sur les questions de financement et s'engager en faveur d'un objectif ambitieux qui réponde aux besoins des populations du Sud global et répartisse équitablement les responsabilités financières entre les pays riches, à l’origine de la crise climatique. C'est la seule façon de parvenir à sortir du charbon d'ici 2040 et de toutes les énergies fossiles d'ici 2050. La pression internationale sera d'autant plus forte pour s'accorder sur un objectif ambitieux.

La pression sur la Suisse augmentera donc inévitablement pour qu'elle dope sa contribution. Afin qu’une hausse des ressources financières puisse avoir lieu suffisamment vite, elle doit sans attendre s’attaquer aux travaux législatifs et ouvrir des pistes de financement supplémentaires dans le domaine du climat.

Pour l’exprimer comme Evans Njewa : « Nous devons toujours nous rappeler que sans financement, il n'y a pas d'action, et sans action, nous ne parviendrons jamais à maîtriser la crise climatique . »

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Article, Global

L’illusion du marché du carbone volontaire

07.12.2023, Justice climatique

Face à la surveillance médiatique accrue, le marché de la compensation des émissions carbone a mauvaise presse. Afin de mieux comprendre les critiques adressées au marché volontaire actuel, un bref état des lieux des marchés du carbone et de leurs limites semble indiqué.

De Maxime Zufferey

L’illusion du marché du carbone volontaire

Le recours excessif à la compensation en lieu et place d'une réduction substantielle n'est absolument pas durable.

© Ishan Tankha / Climate Visuals Countdown

Le marché du carbone volontaire permet l'échange de crédits carbone – c'est-à-dire d'unités représentant une tonne d'équivalent CO2 évitée, réduite ou éliminée – de sorte qu'une entité qui continue à émettre puisse compenser ses propres émissions en finançant des projets qui réduisent les émissions ailleurs. En théorie, la compensation carbone est décrite comme l'approche de marché la plus efficace pour obtenir des résultats en termes de réduction des émissions au niveau global. En effet, elle devrait maximiser l'impact des ressources disponibles pour réduire les émissions en les allouant là où elles sont le plus avantageuses.

Ainsi, après avoir réduit ses émissions les moins coûteuses, une entreprise pourrait consacrer des ressources à des projets de technologies bas carbone ou de restauration des forêts, afin d'annuler numériquement les émissions que cette même entreprise ne parvient pas encore à réduire. Dans la pratique, cependant, l'utilisation des crédits de compensation bon marché est fortement critiquée car elle compromet la priorité absolue de la réduction des émissions et contribue à maintenir un statu quo insoutenable. La surveillance accrue exercée récemment par la société civile a jeté le doute sur les affirmations – souvent trompeuses – de « neutralité carbone » faites par certaines organisations sous le couvert de la compensation, alors qu'en réalité leurs émissions continuent d'augmenter.

Etat des lieux des marchés du carbone

Depuis ses prémices à la fin des années 80, et surtout depuis le Protocole de Kyoto signé en 1997, l'établissement du marché carbone n'a jamais échappé à la controverse. Son évolution a donné naissance à des marchés parallèles parfois difficiles à distinguer en raison de leur possible superposition : le marché du carbone « de conformité » et le marché du carbone « volontaire ». Le marché de conformité prévoit des réductions d'émissions obligatoires et est réglementé au niveau national ou régional. Le plus abouti d'entre eux est le système d'échange de quotas d'émission de l’Union Européenne (SEQE-UE), auquel la Suisse a adhéré en 2020. Dans le cadre de ce mécanisme, certains gros émetteurs – centrales électriques et grandes industries – sont soumis à un plafond d'émissions abaissé chaque année, qu'ils peuvent couvrir en achetant des quotas à d'autres membres qui ont réussi à réduire leurs émissions au-delà de l'objectif fixé.

Malgré une mise en œuvre bien laborieuse, ce système a contribué à une certaine réduction des émissions dans les secteurs concernés. Cependant, il est critiqué pour avoir été trop généreux dans l'attribution de quotas gratuits aux grands émetteurs, pour avoir permis l'afflux de crédits internationaux et pour ne pas imposer d'objectifs de réduction suffisamment ambitieux. En outre, le prix du carbone est encore trop bas ; il devrait refléter le coût social d'une tonne d'émissions pour atteindre progressivement 200 USD. Le marché volontaire, quant à lui, n'impose actuellement aucun seuil minimum de réduction et reste largement non réglementé. On y utilise aussi fréquemment des crédits carbone désuets ou dont la qualité et le prix varient fortement, parfois même  en dessous de 1 USD .  

Les limites du marché volontaire

La crise de confiance qui entoure ce marché volontaire du carbone est due non seulement à son absence de réglementation et à son cadre fragmenté, mais aussi aux limites techniques inhérentes à son mécanisme. Les crédits carbones ne correspondent que rarement à l'unité exacte de « compensation » revendiquée, et des surestimations quasi systématiques du nombre de crédits délivrés sont recensées. Cette situation s'explique par l'absence d'un système de contrôle global véritablement exempt de conflits d'intérêts et par une méthodologie de quantification peu fiable, souvent basée sur un scénario de référence trop généreux. Mais ce n'est pas tout : les justifications existantes du critère d'additionnalité, i.e. le fait que le projet n'aurait tout simplement pas eu lieu sans la contribution financière des crédits carbone, ne sont pas toujours claires. Ce constat est notamment flagrant concernant les projets d'énergie renouvelable, qui sont devenus la source d'énergie la plus avantageuse économiquement dans la plupart des pays. Le double comptage – ainsi que la double revendication, généralement liée à la déduction d’un crédit carbone à la fois par le pays d'accueil et par une entreprise étrangère – constitue également un défi majeur. Ce phénomène, qui va à l'encontre du principe selon lequel un crédit ne peut être déduit que par une seule et même entité, est d'autant plus sensible dans le cadre de l'Accord de Paris qui, contrairement au Protocole de Kyoto, exige des pays en développement qu'ils réduisent leurs émissions.

La question de la permanence des compensations comptabilisées soulève également de nombreux doutes. L'extraction et la combustion des énergies conventionnelles relèvent du cycle du carbone fossile à long terme, tandis que la photosynthèse et donc l'absorption du carbone par les arbres ou l’absorption par les océans relèvent du cycle du carbone biogénique à court terme. Il semble donc illusoire de vouloir compenser une pollution atmosphérique millénaire par des projets de compensation limités dans le temps à quelques décennies. De plus, le changement climatique lui-même compromet la permanence du carbone dans les réservoirs temporaires que sont les sols et les forêts, en raison de l'intensification des incendies, des périodes de sécheresse et de la propagation de parasites. A cela s’ajoute encore le risque de fuite (leakage), par exemple lorsqu'un projet de protection des forêts dans une région donnée conduit à un défrichement ailleurs. Quant aux perspectives de solutions technologiques avec des équipements de capture et de séquestration du carbone, elles ne doivent pas être surestimées. Pour l'instant, elles ne sont ni compétitives, ni disponibles à l'échelle requise à court terme, et ne joueront probablement qu'un rôle limité, bien que nécessaire, à l'avenir.

Des injustices renforcées par le « colonialisme du carbone »

Plus fondamentalement, le recours excessif à la compensation en lieu et place d'une réduction substantielle n'est absolument pas durable. Comme le déplore Carbon Market Watch dans son rapport d'évaluation de l'intégrité des engagements climatiques de multinationales autoproclamées « leaders climatiques », la mise en œuvre de leurs feuilles de route « zéro net »  dépend fortement de la compensation. A cette cadence, les besoins en terres dépasseraient largement les disponibilités, menaçant directement la survie des communautés locales, la biodiversité et la sécurité alimentaire. Parallèlement, les projets populaires de réduction des émissions dues à la déforestation ou les solutions fondées sur la nature (SFN) sont souvent basés sur des modèles de conservation « forteresse » qui consistent à délimiter et à militariser des zones protégées en empêchant leur accès aux habitants originels. Loin de se développer dans des espaces vides que les pollueurs peuvent remplir d'arbres, ces projets se développent souvent sur des territoires habités par des communautés indigènes. Cette nouvelle ruée vers l'or pour les SFN à travers la privatisation de ces puits de carbone naturels exacerbe donc des conflits fonciers historiquement complexes et menace les populations forestières d'être dépossédées de leurs terres. Un constat d'autant plus évident lorsque la mise en œuvre de ces projets minimise la pleine réalisation du droit des communautés autochtones à l'autodétermination et au consentement libre et éclairé avant l'approbation de tout projet affectant leurs territoires.

En somme, le système actuel est largement inadapté à l'urgence de l'action climatique et présente des aspects profondément injustes. Il offre des droits de polluer aux plus gros émetteurs – principalement les grandes entreprises et les économies du Nord global – qui peuvent poursuivre leurs affaires comme auparavant, tout en imposant des restrictions aux systèmes économiques et aux modes de vie principalement dans les pays du Sud global. Ce faisant, il transfère la responsabilité du changement climatique et de la déforestation des grandes entreprises aux communautés locales qui sont pourtant les moins responsables du changement climatique.

 

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Communiqué

Le Conseil national refuse de mettre en œuvre la loi sur le climat pour la place financière

14.03.2024, Justice climatique, Finances et fiscalité

Le Conseil fédéral a recommandé aujourd’hui au Conseil national d'accepter une motion de Gerhard Andrey visant à renforcer la compatibilité climatique des flux financiers suisses. Mais le Conseil national n'a rien voulu savoir de cette motion, bien que, selon le Conseil fédéral, elle aurait servi à mettre en œuvre l'art. 9 de la loi sur le climat et aurait donc été conforme à la volonté populaire.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

+41 22 901 14 81 laurent.matile@alliancesud.ch
Le Conseil national refuse de mettre en œuvre la loi sur le climat pour la place financière

Gerhard Andrey (à gauche) au Conseil national

© Services du Parlement, 3003 Berne

En juin 2023, le peuple suisse a accepté la loi sur la protection du climat avec 59,1 % de oui. L'article 9 fixe un objectif d'orientation des flux financiers compatible avec le climat. L'accord de Paris sur le climat oblige également la Suisse à poursuivre cet objectif. Au vu de cette situation juridique claire, le Conseil fédéral a proposé d'adopter la motion du Conseiller national Gerhard Andrey : « Compte tenu de ce mandat législatif et de la volonté populaire, le Conseil fédéral soutient la motion [...]. »

La motion respectait les efforts déployés jusqu'à présent par le secteur pour mettre les flux financiers sur la voie de la réduction des gaz à effet de serre conformément à l'accord de Paris, mais demandait à la Confédération, à titre subsidiaire, d'imposer au secteur financier des obligations plus contraignantes si, d'ici à 2028, moins de 80 % des flux financiers des établissements financiers suisses étaient en voie de mener à la réduction des gaz à effet de serre prévue par l'accord de Paris. Dans sa réponse, le Conseil fédéral a indiqué que lors de la mise en œuvre de la motion en tant que réglementation subsidiaire, il avait surtout en vue les bonnes pratiques en matière de transparence et de vérité des coûts – une mise en œuvre très favorable à l'économie avec une grande marge de manœuvre pour tous les participants.

Un refus absolument incompréhensible

Le refus du Conseil national est donc d'autant plus incompréhensible : « Le Conseil national fait fi de la volonté claire de la population en faveur de flux financiers respectueux du climat ; il ignore les bases légales et les engagements internationaux et n'accepte même pas la voie modérée du Conseil fédéral », souligne Laurent Matile, expert en entreprises et développement chez Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. « Tout retard dans la protection du climat est ressenti le plus fortement par les habitants des pays les plus pauvres. »

L'orientation des flux financiers suisses en faveur du climat est le plus grand levier de protection du climat dont dispose la Suisse et qu'elle est tenue d'utiliser en tant que partie à l'Accord de Paris. En effet, selon une étude de McKinsey, les émissions liées à la place financière suisse sont 14 à 16 fois plus élevées que les émissions nationales suisses.

Manque de volonté également pour la loi sur le CO2

Les délibérations sur la loi sur le CO2, qui sera soumise au vote final demain, ont également montré un manque flagrant de volonté politique dans les deux chambres du Parlement, ce qui ignore également la large approbation de la loi sur la protection du climat. Les mesures de réduction des émis-sions de gaz à effet de serre à l'intérieur du pays ont été constamment affaiblies lors des délibérations, après un projet peu convaincant du Conseil fédéral. En conséquence, la Suisse devra acheter de plus en plus de certificats à l'étranger, qui ne remplaceront pas de manière équivalente les réductions effectuées dans le pays.

 

 

Communiqué

La loi sur la réduction des émissions de CO2 ... à l'étranger

26.02.2024, Justice climatique

La Suisse veut atteindre une grande partie de ses objectifs climatiques non pas à l’intérieur de ses frontières, mais à l'étranger — une catastrophe sous l’angle de la politique climatique et du développement. Alliance Sud demande au Conseil des États d’inscrire dans la révision de la loi sur le CO2 que 75% au moins des réductions d'émissions doivent être réalisées en Suisse, comme jusqu’ici.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
La loi sur la réduction des émissions de CO2 ... à l'étranger

Est-ce que la «Chambre de réflexion» passera à l'action dans la protection du climat ?

© Services du Parlement 3003 Berne / Rob Lewis

Le 29 février, le Conseil des États procédera à l'élimination des divergences concernant la révision de la loi sur le CO2. Le Conseil fédéral et le Parlement ont manqué l'occasion d'introduire enfin dans le projet de loi des mesures efficaces de réduction des émissions à l’intérieur du pays. Au lieu de cela, la Suisse devra acheter chaque année davantage de certificats de compensation d’émissions de CO2 à l'étranger pour pouvoir respecter ses objectifs climatiques sur le papier. Le Conseil des États doit remédier à cette situation en fixant à 75% la part de l'objectif climatique à réaliser en Suisse.

Pour diverses raisons, la compensation à l'étranger est injuste et à courte vue :

Une contradiction majeure avec l’objectif de zéro émission nette d'ici 2050

La Suisse a fixé dans la loi l'objectif d'atteindre zéro émission nette d'ici 2050. Et elle attend la même chose de la communauté mondiale, comme elle le réaffirme chaque année lors de la conférence internationale sur le climat (COP). Cela implique que d'ici 2050, il n'y aura plus d’échange international de certificats d’émission de CO2 issus de réductions d'émissions, car tous les pays devront les comptabiliser eux-mêmes pour atteindre le zéro net. Plus on compense aujourd'hui à l'étranger, plus vite il faudra réduire les émissions en Suisse par la suite — une stratégie d'éviction néfaste du Conseil fédéral et du Parlement.

Les certificats de CO2 ne garantissent pas une efficacité climatique équivalente

Comme le montrent plusieurs recherches d'Alliance Sud, d'Action de Carême, de Caritas et de professionnels des médias, les avantages climatiques de nombreux projets de compensation suisses sont très incertains et leur effet ne peut tout simplement pas être garanti. De plus, il s’avère qu'il est déjà difficile de développer suffisamment de projets dans le calendrier serré d'ici 2030. Prévoir des certificats d’émission de CO2 en quantités encore plus grandes pour remplacer les réductions nationales est par conséquent particulièrement irresponsable.

Les pays riches doivent réduire plus rapidement leurs émissions

La Suisse dispose des meilleures conditions techniques et financières pour réduire le plus rapidement possible ses émissions sur son territoire. Le refus politique de le faire et de miser à la place sur des changements de comportement dans les pays pauvres n'est pas digne de la Suisse et s’oppose de manière flagrante à la justice climatique.

Le financement de la Suisse dans le domaine du climat est insuffisant

La Suisse devrait assurément promouvoir des projets de protection du climat à l'étranger. Pas pour retarder ses propres réductions d'émissions, mais pour apporter une véritable contribution à la transition équitable dans le Sud mondial, en complément de la réduction en Suisse. La contribution helvétique au financement international dans le domaine du climat devra augmenter dans de fortes proportions après la prochaine conférence sur le climat. Il ne s'agit pas seulement de réduire les émissions, mais aussi de s'adapter au réchauffement climatique dans les régions dont la population est particulièrement touchée.

Le financement de millions de certificats d’émission de CO2 reste flou

La frénésie d'économies dans le budget fédéral est déjà très concrète. Pourtant, une partie considérable des compensations prévues à l'étranger doit encore être achetée par la Confédération. Selon le message relatif à la révision de la loi sur le CO2, ces achats coûteront entre 90 millions et 2,2 milliards de francs d'ici 2030, selon le prix et la quantité nécessaire — un poste de budget qui n'apparaît encore nulle part.

Le bilan d'Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement, est sans appel. Selon l’experte climatique Delia Berner, « la politique climatique suisse s'est embourbée dans la compensation à l'étranger. Tant dans son propre intérêt que dans celui de la justice climatique, la Suisse ne doit pas gaspiller le peu de temps qui lui reste : elle doit réduire ses propres émissions de CO2 conformément à la loi sur la protection du climat. Et notre pays doit cofinancer séparément les projets climatiques à l'étranger. »

 

Pour de plus amples informations :
Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch

Recherche d’Alliance Sud et d’Action de Carême sur les bus électriques à Bangkok

Étude commandée par Caritas Suisse sur un projet de cuisinières au Pérou