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Communiqué
Le financement climatique de la Suisse reste largement insuffisant
15.05.2025, Justice climatique
Peu avant l'entrée en fonction de la nouvelle administration américaine, la communauté internationale a décidé, lors de la COP29 à Bakou, de tripler son soutien financier à la protection du climat et à l'adaptation aux changements climatiques dans le Sud global. Dans la perspective des discussions à venir au Conseil fédéral, Alliance Sud et Caritas ont analysé les développements actuels du financement international dans le domaine du climat et montrent ce que la Suisse doit faire dès à présent pour renforcer la protection climatique mondiale.
Là où la catastrophe climatique est omniprésente : digue dans les Sundarbans, la plus grande forêt de mangroves au monde, qui protège l'Inde et le Bangladesh contre les inondations et l'érosion côtière. Mais les cyclones, la salinisation et l'élévation du niveau de la mer mettent la forêt à rude épreuve.
© GMB Akash/Panos Pictures
Alors que Donald Trump a tenté, au cours des 100 premiers jours de son mandat, de bannir la question du réchauffement climatique de la politique et même de la science, les températures en Inde ont déjà atteint plus de 40°C en avril, soit cinq degrés de plus que d’habitude à cette période. Le déni de Trump ne résout toutefois pas la crise climatique. Limiter le réchauffement climatique mondial à 1,5°C reste dans l'intérêt de toutes et de tous. « La Suisse a doublement intérêt à protéger le climat mondial : premièrement, elle est touchée plus que la moyenne par le réchauffement climatique et, deuxièmement, il est vital pour elle que le multilatéralisme fonctionne et que la planète coopère sur la base de règles », affirme Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, le centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement.
Contribuer équitablement au financement climatique
Le financement international dans le domaine du climat est un instrument essentiel pour permettre au monde de se développer tout en respectant le climat et de sortir au plus vite des énergies fossiles. Lors de la dernière conférence sur le climat (COP29) qui s’est tenue à Bakou en novembre 2024, la Suisse a accepté de contribuer au nouvel objectif de 300 milliards de dollars par an pour la protection du climat et l'adaptation aux changements climatiques dans le Sud global. Au vu de sa responsabilité élevée en matière d'émissions et de son poids économique, 1 % de l'objectif mondial pour la protection du climat est le minimum absolu pour la contribution de la Suisse. Cela signifie qu'elle doit passer à au moins 3 milliards de dollars par an d'ici 2030.
Le Conseil fédéral décidera de la contribution de la Suisse d'ici la fin de l'été. Dans sa nouvelle analyse « Financement climatique – plus urgent que jamais ! », Alliance Sud explique en détail pourquoi notre pays doit contribuer beaucoup plus qu'aujourd'hui au financement climatique futur et comment il peut, à cette fin, générer des recettes supplémentaires selon le principe du pollueur-payeur. Car, comme l’affirme l'auteure Delia Berner : « Continuer à financer ces contributions sur le dos de la coopération au développement ne fait qu'aggraver les crises mondiales. »
Combler les lacunes du financement climatique suisse
Une nouvelle analyse de Caritas Suisse révèle où les fonds manquent si la Suisse continue à contribuer de manière insuffisante au financement climatique international. Elle a sondé les derniers chiffres disponibles sur l’argent consacré par la Suisse au financement climatique en 2021 et 2022 et étudié l'origine de ces fonds et leur utilisation. « En prélevant plus de 90 % des fonds destinés au financement international dans le domaine du climat sur le budget déjà limité de la coopération internationale, la Suisse affaiblit la lutte contre la pauvreté dans le Sud global », dénonce Angela Lindt, responsable du service Politique de développement et du climat de Caritas.
De plus, l’analyse de Caritas montre qu'outre leur montant insuffisant, l'accessibilité des fonds climatiques suisses pour les populations locales des pays les plus pauvres constitue un défi majeur. Cela vaut en particulier pour les fonds mobilisés par le secteur privé, que la Suisse comptabilise dans son financement climatique. Ceux-ci ne peuvent pas non plus compenser l'insuffisance des moyens publics, car les attentes élevées placées dans les bailleurs de fonds privés n'ont pas été satisfaites jusqu'ici. Cela indique aussi qu'il faut trouver des sources de financement nouvelles et additionnelles pour les fonds publics destinés à la lutte contre le changement climatique afin que la Suisse puisse apporter sa contribution équitable.
Liens vers les nouvelles publications :
Financement climatique — plus urgent que jamais ! Analyse d'Alliance Sud
La contribution suisse au financement international de la protection du climat, Fact Sheet de Caritas et analyse des chiffres les plus récents
Pour tout complément d’information :
Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale,
tél. 077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch
Caritas Suisse, Angela Lindt, responsable du service Politique de développement et du climat,
tél. 041 419 23 95, alindt@caritas.ch
Publication
Financement climatique — plus urgent que jamais !
15.05.2025, Justice climatique
300 milliards pour la protection du climat dans les pays du Sud : c'est ce dont ont convenu les États membres lors de la COP29. Cette somme est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques de Paris. Le financement suisse en faveur du climat doit désormais apporter sa juste contribution. Quelle forme devrait prendre cette augmentation ? Quelles erreurs faut-il éviter ? D'où proviendra l'argent ? Notre analyse répond à ces questions et présente également des perspectives à long terme qui sont aussi dans l'intérêt de la Suisse.
Les habitants de Kiribati plantent des mangroves : celles-ci protègent contre l'érosion côtière et les inondations et sont indispensables à la vie sur cette île du Pacifique. Le projet photographique « Tropic Ice » montre des communautés qui luttent quotidiennement contre le changement climatique.
© Keystone/LAIF/Barbara Dombrowski
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FINANCEMENT CLIMATIQUE
Pour des flux financiers respectueux de l’environnement
20.03.2025, Justice climatique, Finances et fiscalité
La place financière suisse a montré qu'elle ne se retirait pas volontairement des activités liées à la destruction environnementale à l'étranger. L'initiative sur la place financière veut inscrire dans la Constitution l’interdiction des nouveaux investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz par des acteurs suisses du marché financier.
La forêt tropicale au Pará, au Brésil, est essentielle pour le climat et fait partie des terres autochtones. Les défrichages, les mines et les projets d'infrastructure la ravagent, souvent avec la complicité suisse.
© Lalo de Almeida / Panos Pictures
On sait depuis longtemps que détruire la forêt tropicale, c'est contribuer à la dégradation de l'environnement et au réchauffement climatique. Souvent, le défrichage illégal par le feu entraîne en outre une restriction des droits fonciers des communautés indigènes et une violation de leurs droits humains. La grande banque suisse UBS ne l’ignore pas non plus. Elle investit néanmoins dans des multinationales agricoles brésiliennes impliquées dans des défrichements illégaux en Amazonie, comme l’a révélé la Société pour les peuples menacés (SPM) voilà quelque temps.
Les banques et les assurances suisses financent ou assurent chaque année des opérations se chiffrant en milliards qui détruisent l'environnement et réchauffent le climat. Selon une étude de McKinsey, la place financière suisse génère jusqu’à 18 fois plus d'émissions de CO2 que la quantité de CO2 rejetée en Suisse. Voilà une décennie déjà, la communauté internationale inscrivait le rôle crucial du système financier dans la lutte contre la crise climatique à l'article 2.1c de l'Accord de Paris sur le climat. Cet article formule l’objectif d'harmoniser les flux financiers mondiaux « avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». La Suisse a ratifié l'accord et elle est tenue par le droit international de contribuer à cet objectif. Approuvée à une écrasante majorité par les électeurs helvétiques, la loi sur la protection du climat oblige en outre la Confédération à veiller à ce que les flux financiers respectent le climat. Mais son application laisse à désirer.
« Volontaire » suppose une volonté
Pour la mise en œuvre, le Conseil fédéral préconise des mesures volontaires et l’autorégulation du secteur financier. En revanche, il rejette toute réglementation étatique supplémentaire. Il a toutefois soutenu une motion du conseiller national Gerhard Andrey (Les Verts) qui prévoyait des mesures plus contraignantes au cas où les mesures actuelles s’avéreraient inefficaces d'ici 2028. Mais le Parlement a rejeté la motion au printemps 2024, estimant qu'il n'était pas nécessaire de prendre d’autres mesures.
Les banques veulent donc continuer à financer la destruction de l'environnement si cela leur permet d’accroître leurs bénéfices.
Dès janvier 2025 au plus tard, il est devenu manifeste que les mesures volontaires et les promesses du secteur financier ne signifiaient pas grand-chose. Les six plus grandes banques américaines et le plus grand gestionnaire de fortune du monde, Blackrock, ont annulé les promesses climatiques qu'ils avaient faites seulement quatre ans auparavant. Dans une interview de la télévision suisse romande RTS, Florian Egli, professeur à l'Université technique de Munich, a noté : « Nous constatons actuellement que les promesses volontaires de ces banques ne suffisent pas. Elles sont revenues sur leurs engagements ». L'UBS examine également la possibilité de se retirer de la Net Zero Banking Alliance, dans laquelle de nombreuses banques s'étaient engagées depuis 2021 à atteindre un objectif de zéro émission nette pour 2050. Les banques veulent donc continuer à financer la destruction de l'environnement si cela leur permet d’accroître leurs bénéfices.
L'initiative sur la place financière est une nécessité
Miser sur des mesures volontaires revient à s'en remettre à la volonté du secteur financier, qui ne se réfère manifestement pas à la science du climat, mais à l'argent facile et aux courants politiques. On ne peut pas lutter contre la crise climatique de cette manière. Dans sa feuille de route pour la neutralité carbone (net zero roadmap), l'Agence internationale de l'énergie a clairement indiqué depuis longtemps que pour respecter les objectifs climatiques de Paris, toute nouvelle promotion des énergies fossiles est à proscrire.
C'est la raison pour laquelle, en collaboration avec le WWF, Greenpeace et des politiques de tous les partis fédéraux à l'exception de l'UDC, l’Alliance climatique suisse a lancé l'initiative sur la place financière fin 2024. Elle doit garantir que plus personne ne finance la destruction de l'environnement et le réchauffement climatique depuis la Suisse. Si le Conseil fédéral et le Parlement restent inactifs, les électeurs·trice·s ont le pouvoir d’inscrire dans la Constitution que le secteur financier suisse ne finance ni n'assure aucune extraction supplémentaire de charbon, de pétrole ou de gaz. Les mêmes règles s'appliquent ainsi à tous les protagonistes.
Alliance Sud soutient l'initiative populaire pour que la Suisse se serve enfin de son principal levier de protection mondiale du climat et mette pleinement en œuvre l'Accord de Paris.
Initiative populaire fédérale
« pour une place financière suisse durable et tournée vers l'avenir (initiative sur la place financière) »
Que veut l’initiative ?
- Une orientation écologiquement durable de la place financière, en ce sens que les acteurs du marché financier orientent leurs activités commerciales à l'étranger vers les objectifs internationaux en matière de climat et d'environnement. Pour la mise en œuvre, des plans de transition contraignants des entreprises concernées sont envisagés.
- Une interdiction de financer ou d'assurer l'extraction de nouveaux gisements d'énergie fossile ou l'extension de l'extraction de gisements existants.
Alliance Sud soutient l’initiative…
- parce que la manière dont la Suisse réglemente le secteur financier ne lui permet pas de remplir suffisamment ses obligations au titre de l'Accord de Paris sur le climat ;
- parce que la place financière assume la plus grande part de responsabilité en matière de climat parmi tous les acteurs sous influence suisse. Notre pays a donc en main son principal levier pour contribuer à la protection du climat sur la planète.
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global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Initiative pour la responsabilité environnementale
Respecter les limites planétaires — oui, faisons-le !
24.01.2025, Justice climatique
Le 9 février, la Suisse votera sur une initiative populaire visant à limiter l’empreinte écologique du pays. C'est une condition sine qua non pour réduire les inégalités mondiales et protéger ensemble notre planète. Alliance Sud dit « oui » à l'initiative pour la responsabilité environnementale.
© Alliance pour la responsabilité environnementale
La protection de la Terre est dans l'intérêt de tous les êtres humains tant qu'aucun déplacement vers une planète de remplacement n’est possible. En compagnie de David Attenborough, figure légendaire de la protection de la nature sur la BBC, le chercheur suédois Johan Rockström a expliqué voilà quelques années dans un documentaire ce que l'humanité doit faire pour protéger les bases de la vie de toutes et tous : elle doit respecter les « limites planétaires ». Cette approche montre où la surcharge de la nature devient vraiment problématique, car le risque de points de rupture augmente. Si l'écosystème bascule, la perte des bases vitales est irréversible. La forte érosion de la biodiversité et les émissions excessives de gaz à effet de serre comptent parmi les secteurs où il est le plus urgent d'agir. Dans l'accord de Paris sur le climat, par exemple, l'objectif de réchauffement maximal de la planète a été fixé à 1,5 degré pour cette raison. Au-delà, l'humanité court un risque élevé de dommages irréversibles.
L'initiative populaire est une réponse au fait que le Conseil fédéral et le Parlement refusent de discuter sérieusement de la question des ressources.
L'initiative pour la responsabilité environnementale fixe un délai de dix ans, au-delà duquel l’impact environnemental dû à la consommation en Suisse ne devra plus dépasser les limites planétaires, rapportées à la population suisse. Elle tient ainsi compte du fait qu'il y a encore beaucoup d'autres personnes sur notre planète qui veulent avoir un avenir digne d'être vécu et qui y ont droit. Avec l'Agenda 2030, la communauté des États de l'ONU s'est fixé pour objectif qu'aucun être humain ne soit contraint de vivre dans la pauvreté d'ici 2030. Les personnes en situation de précarité consomment aujourd'hui très peu de ressources, surtout dans le Sud mondial, mais en auront besoin d'un peu plus à l'avenir pour pouvoir vivre autrement que dans la pauvreté. Il est donc nécessaire que les sociétés de consommation riches réduisent davantage leur recours aux ressources que la moyenne mondiale. L'initiative populaire est une réponse au fait que le Conseil fédéral et le Parlement refusent de discuter sérieusement de la question des ressources, alors même que « continuer comme avant » fait éclater les limites planétaires.
Davantage d’informations à ce sujet :
Conseil de streaming : « Breaking Boundaries : The Science of our Planet », 2021, avec Johan Rockström et David Attenborough, disponible sur Netflix
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POLITIQUE CLIMATIQUE
Echange de certificats de CO2 : illusion ou réalité ?
03.12.2024, Justice climatique
Tant avec la loi sur le CO2 qu’avec le nouveau programme d'austérité, la politique suisse compte de plus en plus sur les certificats d’émission de CO2 provenant de l'étranger pour atteindre son objectif climatique d'ici 2030. Mais un tel plan est voué à l’échec : les premiers programmes révèlent déjà de sérieuses lacunes. Analyse de Delia Berner
Vieux bus et masques respiratoires omniprésents : Bangkok souffre des gaz d’échappement, mais les bus électriques financés par la Suisse sont-ils vraiment utiles en Thaïlande ? © Benson Truong / Shutterstock
En janvier 2024, la Suisse a fait l'objet d'une attention planétaire, du moins dans les milieux spécialisés des marchés du carbone. Pour la toute première fois en effet, des réductions de CO2 ont été transférées d'un pays à un autre au moyen de certificats dans le cadre du nouveau mécanisme de marché de l'Accord de Paris sur le climat. Concrètement, la mise en circulation de bus électriques à Bangkok avait permis à la Thaïlande de réduire ses émissions de près de 2000 tonnes de CO2 la première année. La Suisse a acheté cette réduction d’émissions afin de l'imputer à son propre objectif climatique.
Prenons un peu de recul : d'ici 2030, la Suisse entend économiser plus de 30 millions de tonnes de CO2 à l'étranger plutôt qu'en Suisse. Les premiers accords bilatéraux ont été conclus à cet effet à l'automne 2020, et on en compte aujourd'hui plus d'une douzaine. De nombreux autres projets sont en cours de développement : des installations de biogaz et des fours de cuisson efficaces dans les pays les plus pauvres à l'efficacité énergétique des bâtiments et de l'industrie, en passant par des systèmes de refroidissement respectueux du climat. Jusqu'à présent, seuls deux programmes ont pu être approuvés pour être pris en compte dans l'objectif climatique de notre pays. Et les 2000 tonnes de CO2 non rejetées en Thaïlande constituent les premiers certificats à avoir été réellement échangés. Il reste donc encore beaucoup à faire d'ici 2030 pour que la Suisse dispose d'un nombre suffisant de certificats à acheter.
Un premier projet qui risque la sortie de route
Suite à une demande, basée sur la loi fédérale sur la transparence, la revue « Beobachter » a révélé que c'est justement le premier programme à Bangkok qui risque de ne pas générer d'autres certificats. Voilà un an déjà, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) avait reçu des reproches accusant le fabricant des bus électriques de violer le droit national du travail et de porter atteinte au droit à la liberté syndicale inscrit dans les droits de l'homme. Après un accord provisoire conclu il y a un an, de nouvelles allégations ont apparemment été formulées cette année, que l'OFEV doit maintenant examiner. La Suisse n'est en effet pas autorisée à approuver des certificats dont la délivrance violerait les droits humains. Cité par le Beobachter, l’OFEV, a déclaré qu'il « peut et va suspendre » la délivrance de nouveaux certificats si les allégations sont confirmées. Une vaste enquête menée par « Republik », le magazine en ligne alémanique, fait apparaître d'autres reproches : la Suisse serait même impliquée dans un polar économique en Thaïlande, car elle aurait attisé une bulle boursière de dix milliards de francs en ignorant les avertissements.
Le deuxième projet approuvé générera lui aussi moins de certificats qu'il ne le promet : une nouvelle enquête d'Alliance Sud sur un projet de fours de cuisson au Ghana montre que sa planification surestime les réductions d'émissions de près de 1,4 million de tonnes.
Il apparaît d'ores et déjà que la compensation à l'étranger n'est généralement pas plus avantageuse et certainement pas plus facile à mettre en œuvre que les mesures de protection du climat en Suisse. Ces dernières mesures devront de toute façon être appliquées tôt ou tard pour atteindre l'objectif de zéro émission nette en Suisse.
Davantage que des difficultés de démarrage
Mais les premiers projets montrent aussi les difficultés à s'assurer qu'une certaine quantité de CO2 n’a effectivement pas été rejetée grâce à eux et qu’ils sont par ailleurs rentables. Les doutes concernant les réductions sont la raison pour laquelle nombre de projets de compensation ont fait les grands titres des journaux ces dernières années. L'efficacité des coûts est cruciale, car la majeure partie des certificats est payée par la population suisse via une taxe sur le carburant. Pour vérifier ces deux aspects, l'OFEV devrait se pencher sur le plan de financement des projets. Il devrait par exemple s'assurer qu'aucune marge ou aucun profit disproportionné n'est compris dans les coûts des différentes initiatives, mais que le plus d'argent possible est investi dans la protection du climat ou le développement durable, avec la participation de la population concernée dans le pays partenaire.
Le système des compensations suisses à l'étranger montre toutefois ici ses faiblesses. Comme les certificats ne sont pas achetés par la Confédération, mais par la Fondation KliK pour la protection du climat et la compensation des émissions de CO2, qui convertit en certificats les revenus issus des taxes sur les carburants, les « détails commerciaux » sont dissimulés au public. En d’autres termes, personne ne sait combien coûte une tonne de CO2 non émise grâce à l'utilisation d'un bus électrique à Bangkok ou combien d'argent est investi au total dans le projet de fours de cuisson au Ghana — et encore moins quels sont les rendements des acteurs privés du marché dans ces contextes. S’agissant du projet en question au Ghana, de vastes pans de la documentation publiée ont en outre été caviardés. La transparence est même pire par rapport aux normes sérieuses du marché volontaire du CO2.
Double nécessité d'agir
Ces défis vont au-delà de simples difficultés de démarrage et révèlent un double besoin d'action pour la politique suisse. Il y a d’abord lieu de rectifier le manque de transparence des informations financières des projets dans l'ordonnance relative à la loi sur le CO2. L'ordonnance est actuellement adaptée à la dernière révision de la loi. Et il faut ensuite corriger l'image selon laquelle les compensations à l'étranger sont un moyen avantageux et simple de protéger le climat. La Suisse doit faire avancer sa protection climatique à l'intérieur du pays et atteindre à nouveau les objectifs climatiques après 2030 sans compensation de CO2. Alliance Sud invite le Conseil fédéral à en tenir compte dans la loi sur le CO2 après 2030.
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FINANCEMENT CLIMATIQUE
Les limites de la solution magique
05.12.2024, Financement du développement, Justice climatique
Nombreux sont les partisan-ne-s d’un recours accru à la mobilisation de financements privés pour assurer les actuelles et futures contributions des pays du Nord aux pays du Sud dans leur lutte contre les changements climatiques. Etat des lieux de Laurent Matile
Correction d'attentes exagérées : Une initiative lancée par la Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, pour promouvoir le financement climatique dans les pays en développement a réduit ses exigences vis-à-vis du secteur privé. © Keystone / AFP / Brendan Smialowski
« Les chiffres que l'on avance sur le potentiel de mobilisation des capitaux verts sont illusoires. Il y a beaucoup d’inepties concernant la mobilisation des capitaux privés. » C’est par ces mots que Lawrence H. Summers, ancien secrétaire au Trésor des Etats-Unis et président émérite de l'université d’Harvard, concluait un panel à Washington D. C. en octobre dernier.1
Lors de la COP29, à Bakou, qui s’est conclue le 24 novembre dernier, un nouvel objectif de financement climatique a été convenu à la dernière minute : les pays développés se sont engagés à tripler le financement, de l'objectif précédent de 100 milliards de dollars par an à 300 milliards de dollars par an d'ici 2035. Un montant largement insuffisant au vu des besoins des pays en développement estimés globalement à 2400 milliards par an. Dans une formule nébuleuse, il a en outre été convenu de « garantir les efforts de tous les acteurs » pour augmenter le financement en faveur des pays en développement, à partir de sources publiques et privées, à 1,3 trillion de dollars par an d'ici 2035.
Bien que n’ayant pas figuré au cœur des discussions à la COP29, la « mobilisation » de financements privés pour le climat reste pour de nombreux acteurs publics et privés la recette miracle. En effet, la définition de « financement climatique » ne précise pas quelle part doit être garantie par des financements publics et/ou privés. Ce flou a ouvert une grande incertitude sur la provenance des fonds alloués au climat et laisse aux Etats une large marge de manœuvre pour honorer leurs engagements. Et la tentation est grande de vouloir combler le déficit de financement public par des fonds privés.
En effet, depuis l’Accord de Paris en 2015, de nombreux acteurs publics et privés – ceux que Lawrence Summers a à l’esprit – ont redoublé d’efforts pour prôner le développement « d’instruments financiers innovants » bénéficiant de subventions publiques et dont l’objectif est toujours le même : réduire les risques (de-risking) pour « catalyser » des investissements privés, que ce soit pour le climat ou le développement durable. Et ce credo est loin de disparaître. De nombreuses délégations, dont celle de la Suisse, ont derrière la tête, que, quel que soit le montant final dû par chaque pays développé, il sera possible d’en assurer une part substantielle par le biais de la « mobilisation de capitaux privés ».
Arrêt sur image
Arrêtons-nous un instant sur l’état actuel du financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Sur la base des derniers chiffres de l’OCDE2, on constate que :
- Quatre-vingts pour-cent (80 %) du total des USD 115,9 milliards de financements climatiques des pays industrialisés (en 2022) ont été assurés par des fonds publics (bilatéraux et multilatéraux attribuables aux pays développés).
- Seuls quelque 20 % sont des fonds privés mobilisés par les financements publics. Après plusieurs années de stagnation, ils sont passés d'USD 14,4 milliards en 2021 à USD 21,9 milliards en 2022, soit une augmentation de 52 %. A titre de comparaison, le total des financements mobilisés pour le développement durable a également augmenté de manière significative en 2022, de 27 % (passant de 48 milliards d'USD en 2021 à 61 milliards d'USD).
- Les crédits à l'exportation liés au climat restent peu importants et volatils en volume et, par conséquent, leur part dans le total est restée faible.
- L’essentiel des financements privés (68 %) a continué d'être mobilisé dans les pays à revenu intermédiaire (MICs) et étaient concentrés dans un nombre limité de pays en développement, pour un nombre limité de grands projets d'infrastructure. Seuls 3 % étaient alloués aux pays à bas revenu (LICs).
- L’essentiel des financements privés a été alloué à la réduction des émissions (84 %). Les financements privés pour l’adaptation sont de 16 % uniquement, bien qu’ils aient également augmenté – passant d'USD 0,4 milliard en 2016 à USD 3,5 milliards en 2022 – ; ils sont, eux aussi, attribuables à un petit nombre de projets de grande envergure.
- Près de la moitié des financements privés mobilisés sont investis dans le secteur de l'énergie, et, dans une moindre mesure, dans le secteurs financier et industriel, y compris minier.
L’OCDE rappelle (encore et toujours) qu’un « certain nombre de défis peuvent affecter le potentiel de mobilisation du financement privé » de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. Et de mentionner les conditions générales favorables (ou non) à l'investissement dans les pays bénéficiaires, la trop faible rentabilité de nombreux projets climatiques pour attirer des investissements privés à grande échelle ; ou encore, toujours selon l’OCDE, que les projets individuels sont souvent trop petits pour obtenir un financement commercial significatif.
Un credo qui néanmoins semble s’effriter
Peu d'idées semblent aussi éculées que l'espoir que quelques milliards de dollars de fonds publics seront à même de mobiliser des milliers de milliards (trillions !) d'investissements privés en faveur du développement durable et de la protection du climat. Ce credo est de plus en plus remis en question, et pas seulement par les organisations non gouvernementales.
Pour preuve, l’Initiative de Bridgetown 3.0 a réévalué ses attentes à l’égard de la mobilisation du secteur privé. Lancée en 2022 par Mia Mottley, charismatique première ministre de la Barbade, cette initiative a été publiée dans sa troisième version à la fin du mois de septembre. Elle vise à repenser le système financier mondial afin de réduire la dette et d'améliorer l'accès au financement climatique des pays en développement. Alors que Bridgetown 2.0 appelait à mobiliser 1’500 milliards de dollars par an auprès du secteur privé pour une transition verte et équitable, sa version 3.0 a réduit sa demande à « au moins 500 milliards de dollars ».
A la lumière des résultats concernant les volumes et les caractéristiques des financements privés mobilisés à ce jour, un certain nombre de conclusions s’imposent :
- Tout d'abord, le financement privé pour le climat, qu'il soit mobilisé ou non par des fonds publics, se focalise en priorité sur des projets de réduction des émissions dans les pays à revenu intermédiaire, principalement dans le secteur de l'énergie, au vu de la rentabilité de ces grands projets, tandis que les fonds privés pour l’adaptation dans les pays à faible revenu restent marginaux.
- Deuxièmement, la stagnation des financements privés mondiaux pour le climat remet en question la capacité des ressources privées à croître aussi rapidement et largement qu’escomptés par leurs défenseurs.
- Dès lors, le financement public doit rester au cœur des efforts visant à aider les pays en développement à atténuer les émissions et surtout à s'adapter au changement climatique et à remédier aux pertes et dommages inévitables. Pour ce faire, des financements « nouveaux et additionnels » doivent être assurés, en dehors des budgets de la coopération au développement.
Alliance Sud demande premièrement que l’essentiel de la « contribution équitable » de la Suisse au financement climatique international soit assuré par des financements publics – avec un équilibre entre les fonds alloués à la réduction des émissions et ceux alloués à l’adaptation. Deuxièmement, que les financements privés mobilisés par des instruments publics ne soient comptabilisés comme financement climatique de la Suisse que dans la mesure où leur effet positif pour les populations du Sud global puisse être dûment démontré.
1 CGD Annual Meetings Events: Bretton Woods at 80: Priorities for the Next Decade, Washington D.C., October 2024.
2 Climate Finance Provided and Mobilised by Developed Countries in 2013-2022, OECD 2024.
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global
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COMMERCE ET CLIMAT
La taxe carbone aux frontières pénalise les pays pauvres
03.12.2024, Justice climatique, Commerce et investissements
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM) prévoit de taxer les importations des produits les plus polluants. Alors même que les pays les plus pauvres vont être fortement pénalisés, aucune exception n’est prévue pour eux. Si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à rectifier le tir. Analyse de Isolda Agazzi
L'une des plus grandes mines d'uranium du monde a fermé ses portes à Akokan, au Niger. Mais d'autres sont encore prévues dans le nord du pays en crise et jouent un rôle économique clé.
© Keystone / AFP / Olympia de Maismont
L’Union européenne (UE) prend ses engagements climatiques au sérieux. En 2019, elle a lancé le Pacte vert européen (Green Deal), qui vise à réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
C’est un programme qui comprend plusieurs mesures de politique interne et externe, comme le Règlement européen sur la déforestation (EUDR, voir global #92). Un autre projet clé de la politique commerciale européenne est le CBAM, ou Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il vise à soumettre les industries importatrices aux mêmes règles que les entreprises européennes polluantes, qui sont astreintes à un plafond d’émissions, qu’elles peuvent par ailleurs échanger sur le « marché carbone » pour respecter les limites imposées. Le but de ces mesures est de rendre les investissements dans les énergies propres en Europe plus attrayants et moins chers. « Le CBAM encouragera l'industrie mondiale à adopter des technologies plus écologiques », a déclaré Paolo Gentiloni, le commissaire européen pour l’Economie.
Eviter les fuites de carbone
Pour éviter que la production se déplace vers des pays où le prix du carbone est inférieur à l’UE, voire nul (ce qu’on appelle « fuites de carbone » ou carbon leakages), ou de mettre les producteurs européens face à une concurrence déloyale, Bruxelles a adopté le CBAM. Ce mécanisme prévoit de taxer à la frontière l’importation de produits particulièrement polluants, à savoir, dans un premier temps, le fer et l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’hydrogène et l’électricité.
En vigueur dans l’UE depuis le 1er octobre 2023, il est mis en œuvre par phases successives et sera entièrement en place à partir de 2026. A partir de 2031, il devrait s’appliquer à tous les produits importés.
Pays plus pauvres affectés
Toute la question est de savoir si la mesure est efficace. L’UE est optimiste : elle estime une réduction de ses émissions à 13,8 % d’ici 2030 et celles du reste du monde à 0,3 % par rapport à 1990.
Mais l’approche est très critiquée par les pays du Sud global, qui lui reprochent d’avoir un impact négatif sur leur développement. D’autres lui reprochent de ne pas prévoir d’exemption généralisée au moins pour les pays les plus pauvres. De surcroît, UN Trade and Development (ex UNCTAD) a calculé que l’impact sur le climat serait minime : le CBAM réduira les émissions globales de CO2 de 0,1 % seulement, tandis que les émissions de l’UE diminueront de 0,9 %. Mais il devrait augmenter le revenu des pays développés d'USD 2,5 milliards et réduire celui des pays en développement d'USD 5,9 milliards.
En 2022, les ministres du Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine ont appelé à éviter les mesures discriminatoires telles que la taxe carbone aux frontières.
Les pays les plus affectés par ce mécanisme sont les pays émergents qui sont les principaux exportateurs d’acier et d’aluminium vers l’Europe : Russie, Turquie, Chine, Inde, Afrique du Sud, Emirats arabes unis. Mais aussi des pays les moins avancés (PMA, catégorie établie par les Nation Unies) comme le Mozambique (aluminium) et le Niger (minerai d’uranium). Les pertes de bien-être pour les pays en développement comme l’Ukraine, l’Egypte, le Mozambique et la Turquie se situeraient entre 1 et 5 milliards d’euros, ce qui est considérable au vu de leur produit intérieur brut (PIB).
Prévoir une exception pour les PMA
Prenons l’Afrique, où se trouvent 33 des 46 PMA. Une récente étude de la London School of Economics arrive à la conclusion que si le CBAM était appliqué à tous les produits d’importation, le PIB de l’Afrique diminuerait de 1,12 % ou 25 milliards d’euros. Les exportations d’aluminium diminueraient de 13,9 % ; celles de fer et d’acier de 8,2 % ; celles de fertilisants de 3,9 % et celles de ciment de 3,1 %.
Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain et déclarer le CBAM contraire au développement ? Probablement pas. L’ONG belge 11.11.11. propose d’excepter les pays les moins avancés de ce mécanisme, au moins dans un premier temps, selon les règles de l’OMC ; ou alors de les taxer moins que les autres. Lorsque le CBAM était en discussion à Bruxelles, cette possibilité avait été envisagée par le Parlement, mais elle a été abandonnée, l’UE ayant préféré obtenir plus de recettes.
UN Trade and Development propose de rétrocéder les recettes issues du mécanisme aux PMA pour financer leur transition climatique. Pour l’UE les recettes escomptées sont de 2,1 milliards d’euros, et elles pourraient être convoyées de façon multilatérale via le Fonds vert pour le climat, qui est actuellement sous-financé.
Pas de CBAM en Suisse pour l’instant
En Suisse, rien de tel n’existe pour l’instant. Aujourd’hui les marchandises d’origine suisse exportées dans l’UE sont exemptées du CBAM en raison du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE), et le Conseil fédéral renonce à instaurer un tel mécanisme pour les produits importés en Suisse. Le SEQE représente le montant maximal d’émissions à disposition des industries d’une branche économique. Chaque participant se voit attribuer une certaine quantité de droits d’émissions. Si ses émissions restent en-deça, il peut vendre ses droits. Si elles dépassent cette limite, il peut en acquérir.
Une initiative parlementaire a été déposée en mars 2021 au Conseil national, qui demande à la Suisse d’adapter la loi sur le CO2 pour inclure un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, en tenant compte des évolutions dans l’UE. Actuellement cette initiative parlementaire est encore en cours de discussion dans les commissions.
Le CBAM peut être une mesure commerciale efficace pour réduire les émissions importées de CO2. Mais si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à ne pas pénaliser les pays les plus pauvres en leur accordant des exemptions et en rétrocédant une partie importante des recettes engrangées pour les aider à effectuer la transition énergétique.
Les émissions de gaz à effet de serre générées par la production et le transport de biens et de services exportés et importés représentent 27 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Selon l'OCDE, ces émissions proviennent de sept secteurs économiques : mines et production d'énergie, textiles et cuir, produits chimiques non métalliques et produits miniers, métaux de base, produits électroniques et électriques, machines, véhicules et semi-conducteurs.
Il est indéniable qu'il est nécessaire d'agir tant du côté du commerce que de la production – du côté de la production, par exemple, par la promotion des technologies vertes, le transfert de technologies et le financement climatique. Du côté du commerce, par d'autres mesures comme le CBAM, mais sans pénaliser les pays pauvres. Ces derniers doivent être aidés à gérer la transition écologique et à s'adapter aux nouvelles normes.
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Commentaire sur la COP29
Un certificat d’indigence pour la riche Suisse
29.11.2024, Justice climatique
Après la conférence sur le climat COP29 à Bakou, la société civile internationale et les pays les plus pauvres du Sud global sont déconcertés par le rejet brutal de la justice climatique par les pays du Nord global. Mais la crise climatique perdure et le débat sur les mesures à prendre en Suisse ne fait que commencer.
Des participant-e-s du Sud global ont protesté lors de la COP29 contre le financement insuffisant du climat, d'autres étaient tout simplement consternés par l'attitude d'obstruction de pays comme la Suisse. © Keystone / AP Photo / Rafiq Maqbool
Deux semaines durant, à Bakou, les pays du Sud global ont lutté pour un nouvel objectif de financement climatique qui répartirait équitablement les coûts liés à la crise climatique et assurerait un soutien financier approprié de la part du Nord global. Mais ils se sont heurtés à l'opposition des pays riches. La conférence était déjà en sursis lorsque les représentantes et représentants des pays les plus pauvres et des petits États insulaires ont exprimé leur désespoir et leur colère face au manque d’empressement du Nord global à augmenter ses contributions financières. Il faut dire que ces pays pauvres et États insulaires sont déjà confrontés à des menaces existentielles en raison de la montée du niveau de la mer et d'autres effets dévastateurs du réchauffement climatique. Quelques heures plus tard, ils ont été contraints d'accepter une proposition à peine meilleure s'ils entendaient obtenir une quelconque conclusion à la conférence sur le financement climatique.
Le constat de départ de la COP29 était tout simplement que le Sud global présentait un énorme déficit de financement non couvert qui l’empêchait de mettre en œuvre des contributions nationales adéquates pour atteindre l'objectif de 1,5 degré et des plans d'adaptation nationaux, ainsi que d’assumer les pertes et préjudices liés au climat. Des obstacles à l'accès au financement climatique déjà existant sont aussi une réalité. Alliance Sud avait réclamé un objectif de financement de 1000 milliards de dollars par an.
Le Sud global fait pression
De nombreuses études confirment que le déficit de financement ne peut être comblé par des investissements privés, en particulier pour l’adaptation, ainsi que pour l'ensemble des pays les plus pauvres et des petits États insulaires. Les investisseurs refusent en effet d’intervenir et les pays déjà fortement endettés ne peuvent pas se permettre d'investir des capitaux privés au prix demandé. C'est pourquoi les pays du Sud global et la société civile ont fait pression pour que le nouvel objectif de financement climatique comprenne bien plus de fonds publics sous forme de subventions (grants) et de crédits à taux fortement réduit.
En revanche, le positionnement des pays donateurs actuels a été perçu comme très injuste par la société civile, car ils n'ont fait aucune offre pour augmenter leurs propres contributions au financement climatique. Et ce, même si l'Accord de Paris les place clairement en position de leadership et de responsables. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le fort scepticisme d'une grande partie de la société civile à l'égard d'un élargissement de la base des donateurs, car cela a surtout été vu comme une façon pour les pays industrialisés de se détourner de leurs responsabilités.
La Suisse affaiblit le multilatéralisme
Alliance Sud a soutenu la demande de la Suisse d'inclure de nouveaux pays donateurs, mais a toujours attiré l'attention sur le fait que cela devait être lié à une augmentation de ses propres contributions. Or, certaines déclarations de la Suisse dans les médias pendant et après la COP ont malheureusement confirmé ce que les pays du Sud global soupçonnaient déjà : que les pays industrialisés veulent se soustraire à leurs propres responsabilités en utilisant l'argument de la base des donateurs. Par ce comportement, notre pays affaiblit en fin de compte le multilatéralisme, dont il dépend lui-même en tant que petit État.
La Suisse doit dès à présent mettre en œuvre le nouvel objectif de financement climatique et assumer sa juste part des coûts engendrés par la crise climatique, notamment dans les pays les plus pauvres du Sud global — et ce dans son propre intérêt. Cela permettra d'éviter de nouveaux dommages, de sauver des vies humaines et d'empêcher de nouvelles causes d'exode. Et seule une augmentation massive du financement climatique permettra de réussir la transition partout sur la planète, pour laquelle la Suisse s'engage au niveau international.
D'autres articles sur la COP29 à Baku
Pour les résultat de la COP29, voir ici.
Lisez également le commentaire d'Andreas Missbach sur les refus du Conseil fédéral vis-à-vis du Sud global lors de la COP29 et apprenez-en plus sur les compensations à l'étranger de la politique climatique suisse dans l'enquête de Delia Berner. Celle-ci montre qu'il existe de gros problèmes dans le projet au Ghana.
Delia Berner a représenté Alliance Sud au sein de la délégation suisse à la COP29. Ce commentaire a été rédigé en son nom propre et non au nom de la délégation.
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Le Conseil fédéral à la COP29
La maison de la grand-mère et les salades de Rösti
29.11.2024, Justice climatique
La conférence des Nations unies sur le climat COP29 est terminée, tandis que la crise climatique détruit les bases existentielles de millions de personnes. Alors que les délégué-e-s du Sud critiquent le financement insuffisant du climat, le conseiller fédéral Albert Rösti se défausse de la responsabilité de la Suisse en invoquant des restrictions budgétaires et la mobilisation de fonds privés. C'est un affront, écrit Andreas Missbach.
Palmiers déracinés par l'ouragan « Beryl » à St. Patrick, Grenade, en juillet 2024. Des maisons et des régions entières ont été détruites dans toutes les Caraïbes. © Keystone / AP Photo / Haron Forteau
Le 17 juillet 2024, Simon Stiell se tient dans une maison endommagée sur son île natale de Carriacou et confie : « Je me trouve aujourd'hui dans le salon de mon voisin. La maison de ma grand-mère, en bas de la rue, a été complètement détruite. » C'était l'œuvre de l'ouragan Beryl, qui a balayé la Grenade et de nombreux autres pays. Il poursuit : « Il est impossible, quand on vient ici, de ne pas reconnaître l'importance du financement climatique et de la compensation financière des pertes et préjudices. Nous devons investir massivement dans la résilience, en particulier pour les personnes les plus vulnérables. »
Simon Stiell est secrétaire général de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques et, à ce titre, responsable de la 29e session de la Conférence des Parties à cette convention, à Bakou. Le 22 novembre 2024, Albert Rösti est là, devant une caméra de télévision, et lâche : « Nous subissons des restrictions budgétaires, nous appliquons un programme d'austérité... ». Ce qui est faux à Berne est un affront à Bakou. Un affront pour les habitants de pays comme la Grenade, et un affront pour les déléguées et délégués du Sud global. Selon une étude récente de l'Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique, ces pays auront en 2049 une performance économique de 20 à 30% inférieure à celle qu'ils auraient eue sans changement climatique, en raison des émissions déjà provoquées par les pays industrialisés.
La Suisse officielle, en revanche, subit des « restrictions budgétaires » malgré un taux d'endettement extrêmement bas. Selon le journal britannique The Guardian, elle faisait partie, avec le Japon et la Nouvelle-Zélande, des pays qui ont dit non à l'augmentation du financement climatique de 250 à 300 milliards de dollars d'ici 2035.
Des délégués du Sud global ont continué à protester après que cette décision a été « martelée ». Au sens littéral du terme, puisque c'est le petit marteau en bois du président qui décide, avec ses mots « It's so decided », quand il y a « consensus » . Chandni Raina, une déléguée indienne, a qualifié l'engagement de 300 milliards de dollars de « mise en scène » et la déclaration finale de la conférence de « guère plus qu'une illusion d'optique ». Nikura Maduekwe, du Nigeria, a renchéri : « C'est une blague. »
Ce que le conseiller fédéral Rösti a également dit devant la caméra de télévision était aussi une très mauvaise blague : « Nous pouvons réaliser cela, par exemple en faisant appel à des contributions privées. ». Même Larry Summers, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, conseiller économique du gouvernement américain et vice-secrétaire au Trésor, l’incarnation en quelque sorte du « consensus de Washington », qualifie désormais la « mobilisation des ressources privées » de « bavardage » de gens qui, sans argent, « veulent montrer leur sens de l’Etat ou recherchent des subventions très substantielles ».
Et Simon Stiell, en qualité de premier responsable de l'ONU le 25 novembre 2024, a bien sûr dû enjoliver la décision de la COP29, non sans ajouter que l’heure n’était pas aux discours de victoire.
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Communiqué
Résultat décevant à la conférence sur le climat de Bakou
24.11.2024, Justice climatique
La conférence sur les changements climatiques (COP29) s'est achevée la nuit dernière à Bakou. Le résultat des négociations est une amère déception. L'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus de crédibilité dans le Sud global.
© OFEV
La situation géopolitique initiale était déjà délicate et la présidence azerbaïdjanaise s’est montrée peu efficace pour lancer des ponts entre les différentes positions. Mais l'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires, dont l'existence est déjà menacée par la crise climatique. La confiance dans le Nord global vacille. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus d'influence et de crédibilité dans le Sud global.
Le financement climatique est notamment nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés par l'accord de Paris. L'année dernière à Dubaï, la communauté internationale a décidé d'entamer une transition énergétique en se détournant des combustibles fossiles. À Bakou, les pays ne sont pas parvenus à donner une suite concrète à cette décision.
Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, déclare :
- Le Conseil fédéral doit dès à présent montrer de manière crédible comment la Suisse peut accroître le financement climatique à long terme. De nouvelles sources de finan-cement selon le principe du pollueur-payeur sont nécessaires pour que notre pays puisse apporter sa contribution équitable à la lutte et à la gestion de la crise climatique dans le Sud global. Pour cela, les adaptations législatives nécessaires doivent être rapidement élaborées.
- Le mécanisme de marché de l'accord de Paris fait face à un avenir incertain. Les problèmes et les incohérences s'enchaînent déjà dans la mise en œuvre des premiers projets de compensation suisses en Thaïlande et au Ghana. (pour des exemples actuels, lire le communiqué de presse d‘Alliance Sud du 21.11.24)
Bettina Dürr, experte climatique auprès d’Action de Carême et observatrice sur place, explique :
- Dans de nombreux pays en développement, les communautés touchées par le changement climatique sont tributaires d'un soutien financier. Nous constatons actuellement aux Philippines que les typhons deviennent plus fréquents et plus destructeurs. Les gens affectés ne sont pas à l'origine de la crise climatique et n'ont pas les moyens d'en assumer eux-mêmes les coûts. C'est pourquoi le soutien à l'adaptation aux changements climatiques ou en cas de dommages climatiques doit prendre la forme de contributions à fonds perdu. Au lieu de cela, les pays industrialisés ont refusé d'inclure les dommages climatiques dans l'objectif de financement.
Christina Aebischer, experte en adaptation climatique chez Helvetas et observatrice sur place, ajoute :
- L’adaptation doit être un engagement social et solidaire, financé par des fonds publics. L’insuffisance des nouveaux objectifs de financement en général et pour l'adaptation en particulier, ainsi que la définition très large des sources de contribution possibles, diluent cette réalité et compromettent une mise en place rapide des mesures urgentes nécessaires.
David Knecht, spécialiste des questions climatiques et énergétiques auprès d’Action de Carême et observateur sur place, dit :
- La COP29 est un échec pour la transition énergétique. La communauté internationale n'a pas réussi à faire avancer la sortie des énergies fossiles décidée l'an dernier. Les nouveaux objectifs climatiques nationaux de tous les pays doivent dès à présent indiquer clairement comment réussir ce désengagement. J'attends de la Suisse qu'elle joue un rôle majeur à cet égard.
Pour de plus amples informations :
Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46 (par WhatsApp), delia.berner@alliancesud.ch
Alliance Sud, Marco Fähndrich, responsable média, tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@allliancesud.ch
Action de Carême, Bettina Dürr, experte en questions énergétiques et justice climatique, tél. 079 745 43 53 (via Signal ou WhatsApp), duerr@fastenaktion.ch
Action de Carême, David Knecht, expert en questions énergétiques et justice climatique, tél. 076 436 59 86 (via Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch
Helvetas, Christina Aebischer, experte en adaptation climatique, tél. 076 459 61 96, christina.aebischer@helvetas.org
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