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Communiqué
La compensation de CO2 au Ghana ne tient pas ses promesses
21.11.2024, Justice climatique
La Suisse veut atteindre une grande partie de ses objectifs climatiques non pas à l’intérieur de ses propres frontières, mais à l'étranger — avec des projets de compensation très discutables. C'est ce que montre une nouvelle recherche d'Alliance Sud sur un projet de fours de cuisson de la fondation KliK au Ghana. Le projet surestime son efficacité, manque de transparence et présente des effets secondaires toxiques.
Extrait de l'analyse de l'additionnalité du projet, entièrement « expurgée » à l'origine.
Dans les régions les plus pauvres du Sud global, des fours de cuisson efficaces sont une bonne chose pour améliorer la situation individuelle du petit paysannat. Pour simplifier, on peut dire que les petits paysan-e-s peuvent ainsi faire des économies et inhaler moins de fumée. De plus, les émissions de CO2 sont moindres. Mais le projet de fours de cuisson de la Fondation KliK en tant que projet de compensation d’émissions de CO2 est des plus problématiques, comme le montre la nouvelle recherche d'Alliance Sud. En effet, le projet Transformative Cookstove Activity in Rural Ghana présente de sérieuses lacunes :
• Manque de transparence : Les propriétaires privés du programme, ACT Commodities, essaient de dissimuler tout ce qu’ils peuvent, notamment les calculs des réductions d'émissions.
• Effets surestimés : La planification du projet promet une réduction de 3,2 millions de tonnes de CO2 d'ici 2030, mais la réduction réaliste n’excède pas 1,8 million. La raison en est une surestimation du paramètre majeur du calcul.
• Des effets secondaires toxiques : Aux populations rurales, le partenaire commercial au Ghana vend simultanément les fours de cuisson du projet et des pesticides si toxiques que leur utilisation n’est pas autorisée en Suisse.
Pas le premier cas problématique
Selon les médias, le premier projet de compensation de la Suisse dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat, le programme de bus électriques à Bangkok, présente déjà des problèmes liés aux droits humains et des irrégularités financières. Voilà un an déjà, une enquête d'Alliance Sud et d'Action de Carême avait mis des irrégularités en évidence. Ce n'est donc pas un hasard si l'UE renonce à de telles compensations à l'étranger.
« Les projets en Thaïlande et au Ghana sont loin de tenir leurs promesses. Les compensations de CO2 de la Suisse à l'étranger ne remplacent pas les réductions d'émissions réelles dans le pays », affirme Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement.
Pour de plus amples informations :
Isolda Agazzi, responsable médias d‘Alliance Sud pour la Suisse romande, 022 901 07 82, isolda.agazzi@alliancesud.ch
Marco Fähndrich, responsable médias d’Alliance Sud, 079 374 59 73, marco.faehndrich@allliancesud.ch
Autres enquêtes sur les projets suisses de compensation à l'étranger :
Recherche d'Alliance Sud et d’Action de Carême sur les bus électriques à Bangkok (2023)
Étude mandatée par Caritas Suisse sur un projet de fours de cuisson au Pérou
Recherche
La Suisse dans la nébuleuse de la compensation de CO2 au Ghana
20.11.2024, Justice climatique
L'achat de nouveaux fours de cuisson au Ghana devrait permettre, à des femmes surtout, d'économiser plus de 3 millions de tonnes de CO2 — en remplacement de réductions d'émissions réalisées en Suisse. Alliance Sud critique le manque flagrant de transparence du projet et montre les détails explosifs que ses propriétaires ont voulu cacher au grand public.
Une jeune fille cuisine avec sa mère dans sa maison à Tinguri, au Ghana. La Suisse se concentre sur ces foyers toxiques pour la santé dans le cadre de sa compensation climatique.
© Keystone / Robert Harding / Ben Langdon Photography
Grace Adongo, une paysanne de la région d'Ashanti au Ghana, est heureuse de son nouveau four de cuisson plus efficace. Au lieu de cuisiner sur un feu ouvert, elle pose désormais sa marmite sur une petite cuisinière. Elle utilise nettement moins de charbon de bois et économise ainsi de l'argent tout en émettant moins de CO2. Ce témoignage provient du dernier rapport annuel du Ghana Carbon Market Office et va dans le sens de nombreux autres qui font état des innombrables projets de fours de cuisson sur le marché mondial du carbone. Ces derniers doivent contribuer à équiper les couches les plus pauvres de la population de fours moins énergivores et moins nocifs pour la santé que les fours traditionnels ou les foyers émettant beaucoup de fumée. Cette approche permet de réduire la consommation de bois et d'économiser des émissions de CO2 (la quantité de celles-ci fait l’objet de nombreuses controverses — mais nous y reviendrons plus loin).
Le principe est toujours le même : les fours sont vendus à prix réduit. Les clientes et les clients cèdent alors leur droit à la réduction des émissions aux propriétaires du projet. Les rejets non émis grâce aux nouveaux fours sont ensuite calculés sur les années suivantes et vendus au niveau international par les propriétaires du projet sous forme de certificats de CO2. Les revenus générés par ces derniers sont nécessaires pour subventionner les fours de cuisson.
Ce qui semble être une bonne chose l'est certainement pour des gens comme Grace Adongo d'un point de vue individuel. Mais le système qui l'entoure est bien plus complexe et contradictoire. Dans le cas de la Transformative Cookstove Activity in Rural Ghana qu'Alliance Sud examine à la loupe dans la présente étude, il s'agit du marché de compensation de l'État, dans lequel la Suisse prend en compte les réductions d'émissions réalisées par le Ghana dans les objectifs climatiques de la Suisse. Il en ressort un nombre étonnant de situations qui doivent être évaluées de manière critique dans une perspective de justice climatique. La collaboration de la Suisse avec le Ghana est également un bon exemple de la raison pour laquelle le commerce de certificats dans le cadre de l'Accord de Paris ne permet pas d'atteindre des objectifs climatiques plus ambitieux.
Les certificats de CO2 provenant de ce projet et de nombreux autres sont payés par une taxe de 5 centimes par litre de carburant distribué à la pompe en Suisse. Appartenant aux importateurs de carburant, la Fondation KliK pour la protection du climat et la compensation de CO2 utilise cet argent pour des projets de compensation en Suisse et à l'étranger. En compensant les émissions de CO2 hors de nos frontières, les acteurs politiques suisses entendent pallier l'absence de mesures de protection du climat en Suisse afin d'atteindre malgré tout les objectifs climatiques fixés dans l'Accord de Paris.
Dans le cadre de l'Accord de Paris de 2015, la Suisse s'est engagée à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990. Or, la loi sur le CO2 ne permet de réduire qu'un peu plus de 30% des émissions en Suisse — à peine plus qu'avant la révision de la loi au printemps 2024. Les 20% restants doivent être compensés à l'étranger. Avec le paquet d'économies annoncé par le Conseil fédéral en septembre 2024, les mesures de protection du climat en Suisse devraient également être supprimées. Cela conduira inévitablement à ce que notre pays ait besoin de toujours plus de certificats de compensation pour pouvoir encore atteindre les objectifs climatiques. Tel n’est pas l’esprit de l'article 6 de l'Accord de Paris, qui doit explicitement conduire à « relever le niveau d’ambition » moyennant le transfert de réductions d'émissions vers d'autres pays. Pour cela, la Suisse devrait s'assurer que les objectifs climatiques des deux pays sont compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris. Elle a promis zéro émission nette d'ici 2050. Comme le zéro net doit être atteint d’ici 2050 au niveau planétaire, la Suisse attend donc de facto des autres pays qu'ils visent aussi zéro émission nette d’ici l’horizon 2050. Par rapport à cela, la contribution nationale du Ghana d'ici 2030 à la réalisation de l'Accord de Paris présente des lacunes considérables. Ce pays ne communique qu'à titre indicatif un objectif de zéro émission nette pour 2060 et exclut l'exploitation pétrolière de ses objectifs climatiques. Interrogé à ce sujet, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) écrit que « les exigences de l'Accord de Paris s'appliquent », en se référant aux objectifs climatiques fixés unilatéralement selon le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives. « Dans ce contexte, les objectifs climatiques doivent comprendre l'ambition la plus élevée possible et il s’agit de relever le niveau d’ambition des objectifs suivants ». Il n'existe cependant pas d'autres critères pour les objectifs climatiques d'un État partenaire.
Voilà un an, le Ghana a fait part d’une intensification de sa production de pétrole et a justifié cette mesure par le manque de soutien financier pour la protection du climat. Cela souligne le problème de base : les pays du Sud mondial manquent de financement international pour le climat, un financement auquel ils auraient droit comme soutien du Nord global. Conséquence ? Ils adoptent la deuxième meilleure solution pour obtenir ce financement, à savoir la vente de leurs activités de protection climatique sous forme de certificats de CO2. La différence avec le financement climatique : la Suisse obtient le « droit » de reporter à plus tard ses mesures de protection du climat. Dans l'ensemble, les ambitions pour une protection efficace du climat sont revues à la baisse et non pas relevées.
L’épais brouillard de février
Le présent projet de fours de cuisson a été approuvé en février 2024 par le Ghana et la Suisse dans le cadre du mécanisme de marché bilatéral de l'Accord de Paris (art. 6.2). Il est mis en œuvre par l'entreprise de matières premières ACT Commodities d'Amsterdam (propriétaire du projet, voir encadré 2) et doit permettre d’épargner plus de 3 millions de tonnes de CO2 d'ici 2030. Les gouvernements des deux pays ont l'entière responsabilité de veiller à ce que le projet respecte des exigences de qualité élevées et tienne ses promesses. L'Office fédéral de l'environnement (OFEV) examine à cet effet la documentation du projet et la publie après son approbation.
Le propriétaire du projet est une multinationale dont le siège est à Amsterdam : ACT Commodities. Sur son site Internet, elle se décrit comme un fournisseur de premier plan de solutions de durabilité basées sur le marché et un moteur de la transition vers un monde durable. ACT est un protagoniste en vue du commerce des émissions. Mais ACT préfère renoncer à trop de transparence — sur son propre site web, on ne trouve pas un mot sur le fait que le portefeuille de la multinationale comprend aussi le commerce du pétrole et des carburants (via la société sœur ACT Fuels, qui n'a pas de site web). Seul un coup d'œil au registre du commerce néerlandais le révèle. Depuis juillet 2023, ACT Commodities possède par ailleurs une entreprise qui propose des carburants pour bateaux, le plus sale de tous les carburants. La multinationale fait donc partie du groupe croissant de négociants en matières premières qui font du commerce avec les énergies fossiles et se « blanchissent » comme protagonistes sur le marché du CO2.
Mais un premier coup d'œil sur les documents révèle déjà des lacunes en termes de transparence : le projet est aussi opaque qu'un épais brouillard. Des pans entiers de la description du projet ont été caviardés, dont la quasi-totalité de l'analyse qui doit prouver que le projet est à l’origine de réductions d'émissions supplémentaires (voir photo). Mais de nombreux autres chiffres et données pertinents ont aussi été occultés. Et le document contenant les calculs expliquant pourquoi la réduction de CO2 doit totaliser 3,2 millions de tonnes n'a même pas été publié. La transparence ne ressemble en rien à un tel tableau.
Alliance Sud a exigé la publication des documents et des calculs non expurgés en invoquant la loi sur la transparence (LTrans) — et, d’abord, a attendu quatre mois vu le refus des propriétaires du projet. Puis, une grande partie de la documentation a été rendue publique, mais pas intégralement. Les passages encore caviardés étaient considérés comme des secrets commerciaux. Mais il apparaît désormais sans ambiguïté que de nombreux passages ont été occultés de manière totalement arbitraire dans le document initial.
Extrait de l'analyse de l'additionnalité du projet, entièrement « expurgée » à l'origine.
Des réductions d'émissions surestimées jusqu'à 79%
Les modalités du calcul des économies potentielles de 400 000 tonnes de CO2 par an pendant 8 ans au Ghana font partie des informations centrales d’un projet de compensation. Les organismes de vérification sérieux pour le marché volontaire des certificats sont tenus de publier ces calculs. Les données doivent être tenues à disposition pour des analyses scientifiques — d'autant plus que toujours davantage d’études constatent une surestimation des réductions d'émissions grâce aux certificats de CO2, y compris pour les projets de fours de cuisson.
Mais dans ce cas, le propriétaire du projet s'y oppose. Ce manque de transparence est inacceptable. Suite à une demande invoquant la LTrans, Alliance Sud a reçu un PDF des tables de calcul. Sans possibilité de voir les formules Excel intégrées, la traçabilité reste limitée.
Les chiffres disponibles révèlent cependant des choses surprenantes : dans le PDF de calcul, il apparaît que pour les années 2025-30, les réductions d'émissions des mêmes fours sont calculées comme étant presque deux fois supérieures que pour 2023-24. La raison en est une augmentation apparemment prévue du paramètre clé, la part d'approvisionnement en bois non durable, appelée fraction de biomasse non renouvelable (fraction of non-renewable biomass, fNRB). Il s'agit d'une estimation de la quantité de biomasse ligneuse dont la récolte de bois de chauffage dépasse sa croissance naturelle. Seule la consommation réduite de bois de chauffage non durable peut être invoquée comme réduction des émissions de CO2. Ce paramètre est directement multiplié par les autres facteurs. Il est donc décisif pour les calculs de réduction des émissions. Une estimation trop élevée de la fNRB est la raison majeure de la critique parfois accablante des projets de fours de cuisson menés jusqu'à présent pour réduire les émissions.
Pour celles et ceux qui veulent en avoir le cœur net : selon la documentation du projet, la fNRB a été estimée à 0,3, ce qui est plus conservateur que de nombreux projets de fours de cuisson réalisés jusqu'à présent. D’après l’étude de référence officielle de la CCNUCC de juin 2024, cette valeur est appropriée en tant que valeur standard afin de ne pas surestimer massivement les réductions d'émissions et simultanément cohérente avec la valeur spécifique au pays de l'étude pour le Ghana (0,33). Or, le projet comporte une clause selon laquelle le Ghana et la Suisse peuvent adapter (vers le haut) la fNRB de manière bilatérale a posteriori. Le fait qu'une fNRB de 0,7629 soit déjà calculée à partir de 2025 n'apparaît que dans le PDF de calcul, qui n'a d’abord pas été publié. La description du projet ne mentionne pas qu'une valeur plus élevée est déjà prévue, même si elle n'a pas encore été approuvée. La valeur de 0,7629 provient de l'outil obsolète, le CDM-Tool 30, que l’OFEV lui-même qualifie de base insuffisante. Au printemps 2024, le Ghana a lancé un appel d'offres pour une étude indépendante afin de déterminer une valeur fNRB spécifique au pays — visiblement dans l'espoir de légitimer une valeur nettement plus élevée. Pour que celle-ci soit également acceptée par la Suisse, l'étude doit passer l’évaluation par des pairs (peer review) des organes de la CCNUCC. Vu l'étude de référence mentionnée, largement acceptée, qui calcule une valeur par pays de 0,33 pour le Ghana, l’entreprise risque d’être ardue.
Le document de calcul montre qu'à partir de 2025, on compte avec une fNRB, le paramètre clé, plus de deux fois plus élevée (ligne en jaune). Les réductions d'émissions entre 2025 et 2030 sont ainsi surestimées jusqu'à 92% selon les calculs d'Alliance Sud. Au total, la surestimation atteint jusqu'à 79% (en tenant compte du calcul correct pour 2023 et 2024).
Si l'on part, sans fondement, d'une valeur fNRB plus de deux fois supérieure, les réductions d'émissions sont donc surestimées à l'avance. Sur la base des calculs d'Alliance Sud, le projet réduirait au maximum 1,8 million de tonnes de CO2 si la valeur fNRB était maintenue constante à la valeur plus réaliste de 0,3. Or, le projet promet une réduction de 3,2 millions de tonnes de CO2. Il amplifie donc les réductions globales dans une proportion allant jusqu’à 79%.
D'ailleurs, contrairement au propriétaire du projet, nous publions nos propres calculs.
Le brouillard se dissipe après quelques recherches…
L'absurdité de vouloir qualifier la moitié de la documentation du projet de « secret commercial » (dans la première version de février) est illustrée par le fait que de nombreuses informations dissimulées sont disponibles publiquement ailleurs. Certains renseignements mineurs, qui avaient été dissimulés à l'origine, sont même non « expurgés » dans le même document à un autre endroit. D'autres informations sont visibles dans des documents du gouvernement ghanéen ou peuvent être combinées à partir d'autres sources.
Ainsi, grâce à un article en ligne des autorités ghanéennes sur une visite du conseil de la fondation KliK, on découvre le principal partenaire de distribution du projet au Ghana : une entreprise ghanéenne du nom de Farmerline. Elle facilite l'accès des paysannes et des paysans aux intrants agricoles — et ouvre ainsi à l'industrie agricole internationale les portes d’une nombreuse nouvelle clientèle au Ghana. Les propriétaires du projet souhaitaient également dissimuler cette relation. Dans la documentation du projet, plusieurs références à des partenariats dans le secteur agricole étaient à l'origine dissimulées et la collaboration concrète est toujours censurée — et il y a de bonnes raisons à cela, comme le montre un examen plus attentif.
…même s’il reste un nuage de pesticides
De son côté, Farmerline a annoncé sa collaboration avec Envirofit, le producteur de fours de cuisson et partenaire de mise en œuvre des propriétaires du projet, en juin 2023. La documentation indique à ce sujet comment 180 000 fours seront vendus en peu de temps à la population rurale, précise aussi qu’ils seront proposés dans plus de 400 magasins d'intrants agricoles. Certains posts de Farmerline sur la plateforme X attirent toutefois l'attention. Cette année, Farmerline a organisé une exposition itinérante agro-industrielle (Agribusiness Roadshow) dans plusieurs régions du Ghana, en collaboration avec Envirofit — et avec le groupe agroalimentaire Adama appartenant au groupe Syngenta. Chaque jour de la tournée, les fours de cuisson efficaces d'Envirofit ainsi que les pesticides d'Adama ont été présentés et proposés à la vente aux agricultrices et agriculteurs. Sur les vidéos de Farmerline, les produits Adama sont identifiables et, pour trois insecticides et un herbicide, il s'agit de produits contenant des substances actives non autorisées en Suisse et dans l'UE parce que trop dangereuses pour l'environnement et la santé : Atrazine, Diazinon et Bifenthrine. L'atrazine pollue les nappes phréatiques, inhibe la photosynthèse des plantes et ne se dégrade presque plus dans l'environnement ; elle est en outre classée comme cancérigène. Le diazinon ne s'attaque pas seulement aux parasites souhaités, mais à tous les insectes, et peut aussi être d'une toxicité aiguë chez l'être humain s'il entre en contact avec la peau. La bifenthrine est surtout très toxique pour les animaux aquicoles, mais ne devrait pas non plus être inhalée par les humains (voir la base de données sur les pesticides du Pesticide Action Network).
Exemple de photo tirée d'une vidéo de la tournée de Farmerline, au cours de laquelle outre les fours de cuisson, l'herbicide Maizine 30 OD contenant la substance active atrazine, interdite en Suisse, est vendu.
Aucune des vidéos ne montre par ailleurs la démonstration ou la vente de vêtements de protection adaptés. Selon diverses études (Demi und Sicchia 2021 ; Boateng et al 2022 ; et autres), l'utilisation croissante de pesticides dans l'agriculture ghanéenne va de pair avec d’importants problèmes de santé pour les paysannes et les paysans. Faute d'instructions de la part des revendeurs, nombre de paysans ignorent comment utiliser correctement les pesticides et se protéger, ou n'ont pas assez d'argent pour acheter des vêtements de protection. De plus, ils obtiennent des informations spécialisées de leur environnement personnel ou de leurs commerçants surtout, mais les conseils agricoles indépendants font défaut. Dans leur étude, Imoro et al. 2019 ont constaté que 50% n'utilisaient aucun vêtement de protection et que 40% n'en utilisaient pas suffisamment. Lorsqu'on demande à KliK si de tels vêtements sont vendus lors des tournées, KliK répond que ses partenaires de coopération respectent bien entendu les critères de durabilité les plus élevés. KliK écrit que le problème qu'Alliance Sud soulève avec cette question ne relève pas de son pouvoir d'appréciation.
La tentative de se prononcer clairement sur la contribution de ce projet de compensation au développement durable s'apparente donc toujours à tâtonner dans le brouillard. En effet, la clientèle des fours de cuisson économise certes de l'argent et améliore, espérons-le, sa santé grâce à la réduction de la fumée, mais elle est simultanément incitée à dépenser l'argent économisé pour des pesticides dont l'utilisation accrue entraîne des dommages environnementaux et, dans de nombreux cas, des atteintes à la santé. De ce point de vue, KliK a échoué dans l'évaluation des « critères de durabilité les plus élevés » des partenaires de coopération. Il est certes évident que des synergies sont recherchées avec les acteurs existants dans le domaine agricole afin d'atteindre les populations des zones rurales. Mais si la durabilité avait été au premier plan, un partenariat avec des organisations promouvant des approches agro-écologiques se serait bien plus imposé.
Des profits faramineux pour les investisseurs
Les nouveaux fours de cuisson permettent à la clientèle de réaliser des économies, mais le projet est bien plus largement profitable pour les investisseurs. Il reste également opaque d'un point de vue financier : les prix des fours ne sont pas communiqués, ceux des certificats sont une affaire privée de KliK et de ses partenaires commerciaux. L'OFEV ne vérifie pas non plus le plan financier, ou autre, du projet. Mais avec la publication de quelques informations supplémentaires faisant suite à la demande invoquant la LTrans, il est clair que les investisseurs devraient toucher le pactole. Ceux qui sont derrière ce projet restent invisibles, mais à en croire la documentation du projet, ils devraient pouvoir escompter un rendement annuel de 19,75% sur leur investissement. Ce rendement absurdement élevé est justifié par une comparaison avec les obligations d'État du Ghana. Cette comparaison est sans fondement aucun, les deux choses n'ayant rien à voir l'une avec l'autre. Les risques d'investir dans une obligation d'État d'une nation déjà fortement endettée sont d'une toute autre nature, ce qui explique les rendements élevés (même s'ils ne sont pas légitimés, car les taux d'intérêt élevés pour les États plus pauvres sont effrayants et dévastateurs — mais c’est encore une autre histoire).
Ici, en revanche, il s'agit d'un projet cofinancé et garanti par des fonds quasi publics ; on pourrait le classer dans la catégorie blended finance, un financement mixte public-privé. En effet, les importateurs de carburant prélèvent une taxe sur le carburant en application de la loi sur le CO2. Si les recettes de cette taxe devaient, d'un point de vue purement technique, faire un détour par le trésor public — comme c'est la règle pour d'autres taxes — avant d'être dépensées pour des projets de compensation, il s'agirait de l'argent public des contribuables.
Il existe donc un intérêt public à ce que les recettes de cette taxe soient utilisées efficacement. L'argent doit servir à la protection du climat et au développement durable sur place, plutôt qu’aux rendements mirobolants des investisseurs.
Conclusion
Les fours de cuisson efficaces sont un moyen avantageux d'apporter des améliorations dans la vie de nombreuses personnes tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Le mécanisme de marché de l'Accord de Paris présente toutefois des contradictions considérables dans la mise en œuvre de projets de protection climatique dans le Sud mondial. Il doit contribuer au développement durable sur place, mais il est conçu comme une affaire potentiellement lucrative pour les investisseurs. Et tandis que certaines émissions sont réduites dans le Sud global, le mécanisme offre une excuse politique pour remettre à plus tard la protection du climat dans un pays aussi prospère que la Suisse.
La transparence dans le commerce de certificats est donc essentielle pour connaître les dessous complexes et potentiellement problématiques des projets de compensation. Le projet de compensation climatique de la Suisse au Ghana en est un exemple éloquent. Ni la surestimation des réductions d'émissions, ni la vente de pesticides toxiques, ni le rendement trop élevé ne ressortaient des documents publiés après l'approbation du projet de fours de cuisson. Ce n'est que suite à une demande invoquant la LTrans et à des recherches plus poussées qu'Alliance Sud a pu dissiper le brouillard de la documentation opaque du projet : celle-ci a révélé l'approbation de méthodes de calcul hasardeuses, des pratiques commerciales des partenaires de mise en œuvre nuisibles à l'environnement et aux populations, ainsi qu'une compréhension douteuse de la transparence de la part des protagonistes majeurs. La possibilité d'un examen public reste cependant décisive pour que les projets de compensation ne compromettent pas la mise en œuvre de l'Accord de Paris.
Le cas en question est le deuxième projet de compensation de la Suisse dans le cadre de l'Accord de Paris examiné par Alliance Sud. Il y a un an, Alliance Sud et Action de Carême avaient déjà montré pourquoi les nouveaux bus électriques de Bangkok ne remplaçaient pas la protection du climat en Suisse.
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Communiqué
Financement climatique à la COP29 : les fonds publics sont indispensables
07.11.2024, Justice climatique
Cette année, la conférence de l'ONU sur le climat « COP29 », qui se tiendra du 11 au 22 novembre à Bakou, portera sur les milliers de milliards nécessaires au Sud global pour faire face aux graves conséquences de la crise climatique et mettre fin à la dépendance aux combustibles fossiles. La Suisse ne doit plus compter sur les investissements privés, mais proposer un objectif de financement public nettement plus ambitieux.
© Shutterstock
2'400 milliards de dollars. Le Conseil fédéral cite également cette estimation d'expertes et d’experts de l'ONU pour quantifier les besoins de financement annuels pour la mise en œuvre de l'Accord de Paris sur le climat d'ici 2030 dans le Sud global. Ce chiffre illustre l'énorme déficit de financement auquel le Sud global reste confronté en raison de l'objectif actuel de 100 milliards de dollars pour le financement de la lutte contre le changement climatique.
« Il est évident que le nouvel objectif de financement collectif qui doit être entériné lors de la COP29 requiert une toute autre dimension que celle retenue jusqu'ici », explique Laurent Matile, expert en entreprises et développement auprès d'Alliance Sud, le centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement. La société civile internationale réclame au moins 1'000 milliards de dollars de financement climatique public par an. Dans le cadre de la réduction des gaz à effet de serre, il faut par exemple un soutien pour les États pauvres fortement endettés, qui ne peuvent jusqu'à présent payer leurs intérêts qu'avec les revenus de l'extraction de pétrole ou de gaz.
Mais des fonds publics sont également nécessaires en particulier pour l'adaptation aux conditions climatiques modifiées. « Dans chaque pays, les couches les plus pauvres de la population sont les plus touchées par la crise climatique. Leur protection et leur soutien sont une obligation planétaire et non un business case », explique Christina Aebischer, experte des questions climatiques chez Helvetas. La prise en compte des pertes et préjudices liés au climat dans le nouvel objectif de financement climatique est également une priorité pour les délégations du Sud global. Là aussi, il est urgent de disposer de fonds publics. « Si l'on se réfère au principe selon lequel les pollueurs doivent payer pour les dommages causés, il est plus que temps que les pays riches financent également la couverture des dommages climatiques », ajoute Bettina Dürr, spécialiste du climat auprès d’Action de Carême.
La Suisse, en revanche, mise sur le fait que les investissements privés apporteront l'argent nécessaire au Sud global — en ignorant au passage que, dans les flux financiers privés, l'argent est jusqu'à présent transféré du Sud vers le Nord en raison de l'évasion fiscale et des taux d'intérêt élevés. « Si la seule réponse au déficit de financement consiste en de vagues promesses d'investissements privés, les communautés touchées dans le Sud global ne seront en rien aidées. C’est moralement injustifiable, car ces gens, qui n'ont pas contribué à la crise climatique, sont les premiers à en souffrir », déclare Laurent Matile.
Dans le même temps, les pays ne doivent pas perdre de vue la réduction des émissions. Lors de la COP28 à Dubaï l'année dernière, la communauté internationale a décidé d'abandonner les énergies fossiles. Début 2025, tous les pays devront soumettre leurs nouveaux objectifs climatiques, à savoir leurs contributions déterminées au niveau national (CDN). Dans les CDN, les nations doivent montrer comment elles entendent mettre en œuvre les décisions prises à Dubaï. La COP29 fixera le cap à cet égard. Il est crucial que les pays riches en particulier montrent l'exemple et exposent concrètement leurs plans de sortie des énergies fossiles. « Une transition énergétique rapide et socialement équitable est un impératif et doit être utilisée comme moteur de développement pour les communautés délaissées. La Suisse doit y apporter sa contribution », souligne David Knecht, expert climatique chez Action de Carême.
Remarque : Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, est membre de la délégation officielle de négociation de la Suisse en tant que représentante de la société civile et sera à Bakou à partir du 11 novembre.
Pour de plus amples informations :
Alliance Sud, Marco Fähndrich, responsable des médias, tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@alliancesud.ch
Action de Carême, Bettina Dürr, experte en questions énergétiques et justice climatique, tél. 079 745 43 53 (via Signal ou WhatsApp), duerr@fastenaktion.ch. Bettina Dürr observe les négociations sur le financement climatique et le bilan mondial (global stocktake) sur place à Bakou.
Action de Carême, David Knecht, expert en questions énergétiques et justice climatique, tél. 076 436 59 86 (via Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch. David Knecht observe les négociations sur l’atténuation / les CDN et les mécanismes de compensation de CO2 sur place à Bakou.
Helvetas, Aude Marcovitch Iorgulescu, Coordinator Media Relations Romandie, tél. 031 385 10 16, aude.marcovitch@helvetas.org. De Helvetas Christina Aebischer est sur place à Bakou en qualité d’observatrice.
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Climat et fiscalité
Le tour du monde d’un duo
04.10.2024, Justice climatique, Finances et fiscalité
Sans le principe du pollueur-payeur, la politique climatique internationale ne peut pas être financée et sans la justice fiscale, elle ne peut pas être menée. Petit tour du monde d’un duo improbable, mais peut-être bientôt symbiotique.
De plus en plus d'activistes et de plateformes multilatérales associent les revendications de justice fiscale et climatique. Manifestants lors du rassemblement Fridays for Future à Berlin, 20 septembre 2024.
© Keystone / EPA / Clemens Bilan
Cela tombe sous le sens : pour que nous puissions nous permettre d’abandonner les énergies fossiles sans grands bouleversements sociaux, nous devons aller chercher l'argent nécessaire dans la branche qui est la première à faire florès grâce à elles, à savoir l'industrie des combustibles fossiles. Selon des études, depuis 1988, plus de la moitié de toutes les émissions mondiales sont dues à l'extraction d'énergies fossiles par seulement 25 multinationales. Les coûts que ces émissions engendrent à long terme en changeant le climat n'ont jamais été réglés. Dans le même temps, les bénéfices et les dividendes de ceux qui ont fait commerce de ces combustibles n'ont cessé de gonfler. Grâce à la hausse des prix provoquée par l'invasion russe en Ukraine, les bénéfices des compagnies pétrolières et gazières ont atteint le chiffre astronomique de 4000 milliards de dollars en 2022.
Que les pollueurs passent à la caisse
Dans le contexte du financement climatique dont le Sud global a un urgent besoin et au nom de l’équité face aux pollueurs, il n'est donc pas étonnant que la revendication d'une taxation supplémentaire de ces compagnies soit toujours plus forte. La société civile internationale s'est depuis longtemps emparée de cet objectif avec le slogan « make polluters pay ». Une étude récente de la fondation Heinrich Böll montre qu'avec une taxe CO2 sur l'extraction du charbon, du pétrole et du gaz, appelée taxe sur les dommages climatiques, 900 milliards de dollars seraient disponibles dans les pays de l'OCDE cette décennie déjà en vue de lutter contre la crise climatique.
La revendication de taxes internationales sur le CO2 est presque aussi ancienne que la convention-cadre sur les changements climatiques. En 2006 déjà, Moritz Leuenberger, le président de la Confédération de l'époque, avait réclamé une taxe mondiale sur le CO2 lors de la conférence sur le climat. Mais un accord concret est toujours resté lettre morte au niveau de l'ONU. En vue des négociations de l'ONU pour un nouvel objectif de financement climatique lors de la COP29 en novembre prochain à Bakou, la pression pour augmenter les moyens financiers disponibles s’intensifie. C'est pourquoi divers acteurs et pays ont récemment réclamé des taxes internationales sur le CO2 ou d'autres moyens de financement selon le principe du pollueur-payeur (voir graphique). Les approches sont très diverses et vont d'une imposition nationale des bénéfices issus de l'extraction du pétrole à la revendication juridique de la responsabilité climatique des entreprises, en passant par des contributions volontaires de l'industrie d'extraction. Mais toutes les démarches visant à instaurer des taxes internationales impliquent une volonté politique au niveau national. La Suisse devrait, elle aussi, prélever des taxes respectueuses du principe de causalité auprès des entreprises qui profitent du commerce des énergies fossiles, et accroître ainsi ses contributions au financement international dans le domaine du climat.
Les « gilets jaunes » ou ce qu’il ne faut pas faire
Il serait possible de mobiliser des moyens supplémentaires pour la transformation écologique de nos sociétés non seulement en taxant davantage les producteurs de combustibles fossiles, mais aussi en incitant les Etats à faire payer davantage les consommateurs. Si l’on veut toutefois que cette transformation soit non seulement écologique, mais aussi sociale, la prudence est de mise dans le choix du type de taxe le plus approprié sur la consommation de CO2. En France par exemple, le souvenir des violents combats de rue entre les « gilets jaunes » et la police, voilà bientôt six ans en plein Paris, fait froid dans le dos. Ces manifestations avaient été déclenchées suite à la hausse de la taxe sur les carburants (écotaxe) que le président français entendait prélever sur chaque litre de diesel distribué à la pompe. Selon ses calculs, cette taxe aurait rapporté 15 milliards d'euros de recettes supplémentaires à l'Etat. Mais elle aurait fait payer les riches et les pauvres de la même manière : tant les gens qui ne pilotent que pour le plaisir leur Porsche TDI sur les routes de campagne françaises désertes que ceux qui, hors des métropoles, dépendent au quotidien de leur voiture diesel déglinguée dans une France étendue et mal desservie par les transports publics. Ainsi, le mouvement des « gilets jaunes » n'a pas seulement été porté par des négationnistes climatiques et des fans de voitures, mais aussi par des gens pour qui la taxe sur le diesel aurait fait exploser leur budget mensuel déjà serré. Ce mélange toxique a donné au mouvement une grande force politique. Le gouvernement libéral français a fait machine arrière et freiné le rythme de son programme de politique climatique. En parallèle, le président Macron a renoncé à remettre en vigueur un impôt de solidarité sur les grandes fortunes, qui avait déjà été introduit dans les années 1980 par le président socialiste de longue date François Mitterrand, mais que Macron avait considérablement atténué dans l’un des premiers actes de sa présidence. L’impôt aurait peut-être coupé l'herbe sous le pied des « gilets jaunes » en matière de politique sociale.
La justice climatique et la justice fiscale en tour du monde : aperçu de quelques approches et initiatives.
(Cliquer sur la carte pour l'agrandir) © Bodara / Alliance Sud
Des réformes fiscales équitables
Aujourd'hui, un impôt hautement progressif sur la fortune et à dimension socio-écologique est à l'ordre du jour, notamment dans les pays du G20 (voir graphique). Dans un rapport publié en novembre 2023, l'ONG Oxfam International arrive à la conclusion qu'un impôt mondial sur la fortune de tous les millionnaires et milliardaires permettrait d’engranger 1700 milliards de dollars par an dans le monde. Une taxe de pénalisation supplémentaire sur les investissements dans des activités nuisibles au climat pourrait rapporter 100 milliards de plus. Si l'on combine ces mesures avec un impôt sur le revenu de 60 % pour les 1 % de revenus les plus élevés, 6400 milliards supplémentaires seraient dégagés. Selon l’évolution des affaires et des prix, un impôt sur les bénéfices excédentaires peut également générer des recettes supplémentaires substantielles. En 2022 et 2023, avec une inflation élevée, un tel impôt aurait rapporté 941 milliards de dollars de plus par an selon Oxfam. Ces mesures permettraient donc de générer chaque année au moins 9 000 milliards de recettes fiscales supplémentaires.
Dans son rapport 2024 sur le financement du développement durable, le Département des affaires économiques et sociales de l'ONU estime que les lacunes de financement et d'investissement liées aux objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 de l'ONU s’élèvent entre 2500 et 4000 milliards de dollars par an. Rien qu’avec les instruments mentionnés plus haut, l'Agenda 2030 pourrait facilement être financé d'ici 2030, sans parler des réformes dans d'autres domaines du financement du développement. Contrairement à la taxe sur le diesel de Macron, un impôt mondial sur la fortune serait de toute façon équitable dans l’esprit de la politique climatique internationale : d’après Oxfam, les 1 % les plus riches de la planète étaient responsables en 2019 de 16 % de toutes les émissions de CO2 dans le monde. Ils en émettaient donc autant que les 66 % les plus pauvres de la population mondiale, soit cinq milliards de personnes.
COP29 – Conférence sur le changement climatique
En novembre, la communauté des Etats négociera à Bakou un nouvel objectif de financement collectif pour aider les pays du Sud global à faire face à la crise climatique. Là aussi, le financement selon le principe de causalité est à l'ordre du jour. Le déficit de financement ne cesse de se creuser et un soutien financier est tout simplement nécessaire pour que les pays du Sud global puissent se développer avec des technologies soucieuses du climat et prévenir encore plus de pertes et préjudices grâce à des mesures d'adaptation. La pression pour un objectif de financement ambitieux est donc forte et les pays riches sont appelés à augmenter considérablement leurs contributions dans les années à venir.
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Communiqué
De Bonn à Bakou : la Suisse n'a pas encore épuisé son potentiel
13.06.2024, Justice climatique
La conférence internationale de Bonn sur le climat a pris fin sans progrès significatif. Les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique n'avancent pas. D'ici la COP29 à Bakou, la Suisse doit utiliser sa marge de manœuvre pour que le nouvel objectif comble l'important déficit de financement de la protection du climat dans le Sud global. Et ce, dans l'intérêt de l’ensemble des États.
© Christoph Driessen / dpa
Après deux semaines de conférence sur le climat à Bonn, le résultat est décevant : il n'y a eu ni avancées visibles dans les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique, ni de stratégie claire pour aborder la sortie des énergies fossiles décidée à Dubaï. Pour que la conférence des parties (COP29) à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, puisse prendre des décisions ambitieuses, tous les pays devront intensifier leurs efforts dans les mois à venir. « Pour surmonter les profondes divergences d'opinion entre les grands groupes de négociation, la Suisse doit contribuer à renforcer la confiance entre le Sud global et le Nord global », explique Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, qui a suivi les négociations à Bonn pour le Centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement.
Sortir des énergies fossiles — mais comment ?
L’an dernier, la COP28 a pris des décisions de principe importantes à Dubaï, à savoir l'abandon des énergies fossiles et le triplement des capacités en énergies renouvelables. Il s'agit désormais de concrétiser ces acquis. Il faut par exemple que les pays échangent leurs points de vue sur la manière d'organiser la sortie des combustibles fossiles. La Suisse a fait un pas important dans cette direction en disant un oui clair à la loi sur l'électricité dimanche dernier. À Bonn, les pays ne sont cependant pas parvenus à se mettre d’accord sur des précisions supplémentaires concernant les décisions prises à Dubaï.
David Knecht, expert en questions climatiques et énergétiques auprès de l'organisation de dévelop¬pement Action de Carême, déclare : « L'abandon des énergies fossiles est crucial pour les plus pauvres, car ils souffrent particulièrement des changements climatiques ». Et Bettina Dürr, spécialiste du climat chez Action de Carême, d’ajouter : « Dans le cadre de notre travail avec nos organisa¬tions partenaires, nous constatons que les communautés locales peuvent se développer grâce à la mise en place de systèmes de production d’énergie renouvelable. Nous nous engageons pour que ce moteur de développement soit une opportunité pour tous ». Il est donc essentiel que la question soit sérieusement abordée à Bakou, par exemple via le programme de « mitigation ». Dans ce contexte, la Suisse doit continuer à orienter les négociations vers le seuil de +1,5 °C en adoptant une position ambitieuse.
L'argent tarde à affluer
S’agissant de l'objectif de financement climatique à négocier, la Suisse a de nombreuses possibilités de s'investir de manière constructive dans le cadre de sa position de négociation. Alliance Sud a soumis à l'Office fédéral de l'environnement des recommandations sur les adaptations à apporter à la position suisse. Notre pays pourrait ainsi s'engager pour une définition des critères de qualité du financement climatique qu'elle remplit déjà elle-même, et soutenir ainsi les demandes du Sud global dans les négociations. La confiance s’en trouverait renforcée. « La Suisse n'octroie pas de prêts pour financer la protection du climat, mais soutient des projets dans le Sud global avec des contributions à fonds perdu. Elle devrait exiger que ce soit la norme pour le nouvel objectif de financement », suggère Delia Berner. Avant d’ajouter : « Si notre pays veut qu'un nouvel objectif de financement engage également de nouveaux pays donateurs, elle doit gagner la confiance et l'approbation des pays les plus pauvres. »
Le nouvel objectif de financement collectif sera plusieurs fois supérieur aux 100 milliards visés actuellement. La Suisse a donc besoin de sources de financement additionnelles, selon le principe de causalité. Établir la confiance avec le Sud global signifie aussi se rendre à Bakou avec une offre concrète et travailler dès à présent sur les moyens d’augmenter le financement au niveau national. Le Conseil fédéral a fait établir un état des lieux et a voulu décider de la manière de procéder avant la fin 2023 — rien ne s’est passé depuis lors. Le temps d’une clarification est venu.
Für weitere Informationen:
Fastenaktion, David Knecht, Klima- und Energieexperte
076 436 59 86, knecht@fastenaktion.ch
Alliance Sud, Delia Berner, Klimaexpertin
077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch
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Communiqué
La conférence de Bonn sur le climat trace la voie pour Bakou
03.06.2024, Justice climatique
À Bonn, du 3 au 13 juin 2024, des décisions importantes seront prises en vue de la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP29) qui se tiendra en novembre à Bakou. Alliance Sud observe les négociations sur place et attend de la Suisse qu'elle s'engage pour des ambitions accrues en matière de protection du climat et pour un financement climatique international approprié.
© Delia Berner
Afin de pouvoir prendre des décisions mûrement réfléchies lors de la Conférence annuelle des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques et à l’accord de Paris en novembre, les États négocient sur le plan technique tout au long de l’année. En juin, toutes les délégations nationales et les organisations observatrices de la société civile se réunissent à Bonn pour des négociations intensives en vue de préparer la COP. Cette année, la COP29 de Bakou sera l'occasion de prendre des décisions clés qui fixeront le cap des efforts mondiaux de protection du climat pour la prochaine décennie.
Des objectifs climatiques plus ambitieux sont impératifs – de la part de la Suisse également
Les efforts de protection du climat déployés jusqu'ici à l'échelle mondiale conduisent la planète vers un scénario catastrophique de réchauffement global de 2.5 à 2.9°C. Selon les scientifiques, pour atteindre le cap de 1,5 degré, il faudrait réduire les émissions de moins 60% d'ici 2035 par rapport à 2019. Or, les émissions ont augmenté de 2.3% comparativement à cette année-là. Selon David Knecht de l'organisation de développement Action de Carême, « il faut un revirement et fixer des objectifs climatiques nettement plus ambitieux pour tous les pays, en particulier les nations prospères comme la Suisse. Nous le devons aux plus pauvres de la planète, car ils souffrent particulièrement de la crise climatique ». D'ici début 2025, les pays doivent communiquer leurs nouveaux objectifs climatiques (CDN) revus à la hausse pour 2030 à 2035. Les négociations de Bonn devront créer le cadre nécessaire à cet effet. « Il faut que tous les pays sachent clairement ce que l'on attend d'eux. Nous devons éviter que les nouveaux CDN ne soient à nouveau insuffisants », souligne David Knecht.
Il faut bien plus de financement pour le climat
De nombreux pays du Sud global ne peuvent relever leurs ambitions en matière de protection climatique que s'ils reçoivent un soutien financier nettement supérieur. De plus, les coûts d'adaptation au changement climatique sont en constante augmentation. Les pertes et préjudices causés par la crise climatique sont financièrement dévastateurs et injustes pour le Sud global, surtout pour les pays les plus pauvres dont les émissions de gaz à effet de serre sont quasiment nulles à ce jour. Le Conseil fédéral parle d'un besoin de financement de 2‘400 milliards de dollars par an dans les pays du Sud global (Chine exclue).
« L'objectif actuel de 100 milliards pour soutenir les pays pauvres dans la protection du climat est loin d'être suffisant », souligne Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. « Un nouvel objectif de financement sera négocié cette année. Il faut enfin suffisamment de fonds pour que les pays du Sud global puissent se développer sans nuire au climat et faire face à la crise climatique qui ne cesse de s'aggraver ». Cela nécessite une hausse massive, avec des ressources financières nouvelles et additionnelles de la part des États riches comme la Suisse.
Pour de plus amples informations :
Sur place à Bonn : Action de Carême, David Knecht, Programme Énergie et justice climatique, 076 436 59 86 (par Whatsapp), knecht@fastenaktion.ch
Sur place à Bonn : Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, 077 432 57 46 (par Whatsapp), delia.berner@alliancesud.ch
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Votation du 9. juin
Loi sur l’électricité : une nécessité pour mieux protéger le climat
16.05.2024, Justice climatique
Pour protéger le climat, la Suisse doit garantir son approvisionnement en électricité à partir de sources d'énergie renouvelables. C'est pourquoi Alliance Sud dit oui à la loi relative à un approvisionnement en électricité sûr qui sera soumise au vote le 9 juin 2024.
La loi sur l’électricité encourage le développement de la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables en Suisse. Un approvisionnement en électricité reposant sur des énergies renouvelables comme le solaire, l’hydraulique et l’éolien est une condition préalable pour que notre pays progresse dans la décarbonisation et atteigne mieux ses objectifs climatiques dans ses frontières – au lieu de compenser ses émissions à l‘étranger. Ce qui est remarquable dans cette loi, c'est qu'elle a été soutenue au Parlement fédéral par des membres de tous les partis. Même le conseiller fédéral Albert Rösti soutenait déjà le projet lorsqu’il était conseiller national. Le développement des énergies renouvelables fait désormais l’objet d’un large consensus non seulement en Suisse, mais aussi dans les négociations climatiques de l'ONU. Lors de la dernière conférence sur le climat, la COP28, à Dubaï, la communauté internationale s'est fixé comme objectif de tripler la capacité mondiale de production d'énergies renouvelables d'ici 2030.
Mais les négociations mondiales et la politique climatique suisse ont jusqu'à présent échoué sur un deuxième point décisif : l'abandon des énergies fossiles. Car si l'on se contente d'ajouter des énergies renouvelables sans abandonner les sources d'énergie polluantes, on ne réduit pas encore les gaz à effet de serre.
Ce constat doit être davantage pris en compte dans la politique climatique suisse. Le 9 juin, nous avons l'occasion de recueillir un nouveau signal clair de la population en faveur d'un avenir respectueux du climat, après l’approbation à hauteur de 59% de la loi sur la protection du climat voilà un an. Car nous le savons au moins depuis juin dernier : la protection du climat est susceptible de réunir une majorité !
Qu’apporte la nouvelle loi sur l’électricité ?
- Accélérer la transition énergétique
La loi sur l’électricité permet un développement rapide des énergies renouvelables, en particulier du solaire. Plus de 80% des installations seront construites sur des bâtiments et des infrastructures.
- Renforcer la souveraineté énergétique
Nos énergies renouvelables permettent d’abandonner le pétrole et le gaz importés. Même les besoins croissants pour les voitures électriques, les pompes à chaleur et l’industrie pourront à terme être couverts par de l’énergie propre et locale.
- L’électricité en accord avec la nature
La loi sur l’électricité clarifie les zones où le développement des énergies renouvelables est prioritaire. Dans les paysages et biotopes d’importance nationale, ces installations restent interdites.
- Des prix de l'énergie stables et avantageux
Les dépenses pour l’énergie diminueront globalement, car le pétrole et le gaz seront remplacés par de l’électricité renouvelable bon marché. L’électricité locale réduit les fluctuations de prix lors de crise. Aucune nouvelle taxe n’est introduite.
Pour en savoir plus :
https://www.loi-electricite.ch/
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Opinion
Strasbourg pousse la Suisse à sortir de son hibernation
11.04.2024, Justice climatique
Après l'adoption lors de la dernière session de printemps d'une loi sur le CO2 extrêmement timide pour les années 2025 à 2030, l’arrêt rendu dans la plainte des Aînées pour le climat contre la Suisse est un coup de semonce pour le Conseil fédéral et le Parlement. La politique climatique suisse a de toute urgence besoin d’un sursaut.
Grand intérêt des médias pour l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg sur la plainte des Aînées pour le climat. © Miriam Künzli / Greenpeace
L'arrêt rendu le 9 avril par la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH) à l'encontre de la Suisse est historique en ce sens qu'il reconnaît la protection du climat comme un droit humain. Et il tombe à point nommé pour notre pays. Le Parlement a en effet adopté en mars une loi sur la réduction des émissions de CO2 qui ne mérite pas vraiment son nom. La CourEDH a reproché à la Suisse de ne pas mener une politique climatique suffisante pour protéger la population des effets néfastes de la crise climatique et a pris des décisions de principe cruciales concernant les exigences posées à la politique climatique des États membres du Conseil de l'Europe. Les États — Suisse y compris — doivent adopter les mesures nécessaires pour réduire de manière substantielle et continue leurs émissions de gaz à effet de serre afin d'atteindre zéro émission nette d'ici trois décennies. Le calendrier doit tenir compte du « budget climatique » résiduel. En d’autres termes, les États doivent quantifier les émissions totales qu'ils sont encore autorisés à émettre pour contribuer à limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré, et calculer en conséquence leur budget annuel d'émissions encore admissibles.
Dans son argumentation, la CourEDH a explicitement suivi les faits scientifiques exposés dans les rapports déjà nombreux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) — elle ne pouvait pas ignorer les évidences scientifiques, peut-on lire à plusieurs reprises dans les motifs du jugement.
La Suisse doit respecter le budget CO2
La Suisse est légalement tenue de se conformer au jugement et d'en rendre compte au Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Concrètement, la CourEDH exige notamment que la Suisse calcule ses objectifs climatiques sur la base d'un budget CO2. Le budget CO2 global résiduel, qui permet avec une probabilité « suffisante » d'atteindre l'objectif de 1,5 degré, fait régulièrement l’objet de calculs par le GIEC sur la base de modèles scientifiques. La Suisse dispose donc tout au plus d'une certaine marge d'interprétation quant à la part qu'elle revendique pour elle-même. Mais d'une manière ou d'une autre, le calcul exigé la conduira probablement à devoir relever ses propres objectifs climatiques. L'arrêt la contraint également à atteindre les objectifs fixés. Quant aux mesures qu'elle prendra pour y parvenir, elles relèvent de sa propre liberté d’action.
Ainsi, l'urgence d'agir pour la Suisse s'en trouve encore renforcée. Il est temps que le Conseil fédéral et le Parlement se réveillent et assument leurs responsabilités. Notre pays doit enfin apporter sa juste part à la mise en œuvre de l'Accord de Paris, tant sur son territoire que via le financement climatique international dans le Sud global.
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Article, Global
La Suisse freine des quatre fers
21.03.2024, Justice climatique
La Suisse n'est pas préparée à répondre aux attentes en nette hausse relatives à sa future contribution au financement international dans le domaine du climat. De nouvelles sources de financement sont nécessaires pour débloquer des moyens supplémentaires pour la lutte contre le changement climatique et l'adaptation à ce dernier dans le Sud global.
Extraction d’énérgie fossile à Bakersfield, aux Etats-Unis. © Simon Townsley / Panos Pictures
En décembre dernier, lors de la conférence sur le climat à Dubaï, des journalistes ont demandé au conseiller fédéral Albert Rösti s'il se sentait à l'aise pour exiger l'abandon des énergies fossiles d'ici 2050. Il s'est montré rassurant. En plénière, il a ajouté que la planète devrait sortir du charbon d'ici 2040, conformément à la position helvétique. Ce qu'il n'a pas dit, c'est que pour abandonner le charbon, le pétrole et le gaz, il faut plusieurs centaines de milliards de dollars de financement climatique pour le Sud global, et cela chaque année. Et pour l'adaptation dans les pays pauvres, qui pour l’heure n'émettent quasiment pas de gaz à effet de serre mais qui sont toujours plus gravement touchés par la crise climatique, et pour l'indemnisation des personnes concernées, il faut encore une fois un montant de cet ordre. Cela représenterait un multiple de l'objectif de financement actuel de 100 milliards de dollars par an. Le déficit de financement pour les mesures de lutte contre le changement climatique dans les pays pauvres ne cesse de croître. Malgré cela, les ressources financières mises à disposition par les États responsables de la crise climatique, comme la Suisse, restent même en deçà des 100 milliards promis. À cela s'ajoutent la crise de la dette et d'autres facteurs qui restreignent grandement les propres possibilités de financement dans les pays les plus pauvres. Nombre de pays du Sud global se sentent lâchés par le Nord.
C'est dans ce contexte difficile qu'un nouvel objectif de financement sera négocié lors de la conférence sur le climat de cette année. Il sera jugé à l'aune de sa capacité à permettre aux pays du Sud global de mettre en œuvre des plans ambitieux de protection climatique et de s'adapter au mieux au réchauffement de la planète. Un nouvel objectif de financement ambitieux et crédible dans le domaine climatique est un préalable impérieux à la possibilité de soumission en 2025, par tous les États, de nouveaux plans climatiques quinquennaux répondant aux objectifs de l'accord de Paris. L’enjeu sera donc de taille lorsque les délégués prendront place à la table des négociations en novembre en Azerbaïdjan. Et les attentes envers les pays riches seront largement revues à la hausse. La Suisse devrait aussi s'engager avec cohérence pour que les pays pollueurs allouent bien davantage de fonds publics au financement climatique. Dans une tribune pour Climate Home News, le négociateur en chef du groupe des pays les plus pauvres, Evans Njewa du Malawi, demande aux délégations en charge des négociations pour le Nord global de ne plus se cacher derrière leurs parlements : « Ils disent qu'ils n'ont pas de mandat ou qu'ils ne sont pas en mesure d'augmenter les fonds, car leurs parlements ne les approuveront pas. Ils doivent d'autant plus agir maintenant, avant que ces derniers ne délibèrent sur leurs budgets », tonne Njewa.
Le Conseil fédéral ne veut pas voir la nécessité d’agir
Ce schéma s’observe dans notre pays également. Dans les négociations sur le climat, la Suisse s'engage en faveur d’une sortie mondiale des énergies fossiles d'ici 2050, afin que les objectifs de l’accord de Paris puissent encore être atteints. Mais sur les questions de financement, elle freine des quatre fers, car elle ne peut pas présenter d'engagements de politique intérieure pour des contributions plus substantielles. Le Conseil fédéral ne tente même pas de demander des ressources additionnelles au Parlement. Pour quelle raison en est-on là ?
Pour l’heure, les contributions suisses au financement climatique proviennent essentiellement du budget de la coopération internationale (CI), qui reçoit déjà trop peu de moyens pour la lutte mondiale contre la pauvreté et qui est aujourd’hui menacé par un transfert massif de fonds en faveur de la reconstruction en Ukraine. Cela signifie que le financement actuel du climat est déjà compté deux fois avec les projets de lutte contre la pauvreté. En revanche, des ressources financières nouvelles et additionnelles sont nécessaires pour que le financement climatique suisse puisse contribuer efficacement au soutien des plans climatiques dans le Sud global. Le Conseil fédéral devrait élaborer des options de financement alternatives au niveau de la loi, afin que les fonds de la CI puissent continuer à être utilisés pour la lutte globale contre la pauvreté, le renforcement des services de base en matière d'éducation et de santé ainsi que pour ses autres tâches clés. Voilà un an, il a effectivement donné à l'administration le mandat d'élaborer des options pour que la Suisse puisse à l'avenir fournir davantage de financement dans le domaine du climat. À la fin de l'an dernier, une étude mandatée à l'extérieur a été publiée sans commentaire sur le site Internet de l'Office fédéral de l'environnement. Expertes et experts recommandent à notre pays de trouver des sources de financement additionnelles, par exemple les recettes du système d'échange de quotas d'émission. Mais depuis, rien n'a bougé au Conseil fédéral. Selon le nouveau programme de législature, il n'a pas l'intention de présenter au Parlement un dossier sur le financement climatique au cours des trois prochaines années. Il mise uniquement sur le nouveau crédit quadriennal pour la coopération internationale 2025 – 2028. Mais ce dernier n’offre aucune place pour un financement climatique supplémentaire.
Si le Conseil fédéral n'agit pas — ce qui est en l’occurrence irresponsable, car les négociations sur le climat relèvent de sa compétence —, le Parlement peut prendre l'initiative. Lors de la dernière session d'hiver, le conseiller national Marc Jost a déposé une initiative parlementaire pour l’élaboration au Parlement d’une loi sur le financement international dans le domaine du climat et de la biodiversité.
Pas d’action sans financement
La conférence de Bakou sur le climat se rapproche à grands pas. Que reste-t-il à faire d’ici là ? La Suisse doit reconsidérer sa position de négociation actuelle sur les questions de financement et s'engager en faveur d'un objectif ambitieux qui réponde aux besoins des populations du Sud global et répartisse équitablement les responsabilités financières entre les pays riches, à l’origine de la crise climatique. C'est la seule façon de parvenir à sortir du charbon d'ici 2040 et de toutes les énergies fossiles d'ici 2050. La pression internationale sera d'autant plus forte pour s'accorder sur un objectif ambitieux.
La pression sur la Suisse augmentera donc inévitablement pour qu'elle dope sa contribution. Afin qu’une hausse des ressources financières puisse avoir lieu suffisamment vite, elle doit sans attendre s’attaquer aux travaux législatifs et ouvrir des pistes de financement supplémentaires dans le domaine du climat.
Pour l’exprimer comme Evans Njewa : « Nous devons toujours nous rappeler que sans financement, il n'y a pas d'action, et sans action, nous ne parviendrons jamais à maîtriser la crise climatique . »
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Article, Global
L’illusion du marché du carbone volontaire
07.12.2023, Justice climatique
Face à la surveillance médiatique accrue, le marché de la compensation des émissions carbone a mauvaise presse. Afin de mieux comprendre les critiques adressées au marché volontaire actuel, un bref état des lieux des marchés du carbone et de leurs limites semble indiqué.
De Maxime Zufferey
Le recours excessif à la compensation en lieu et place d'une réduction substantielle n'est absolument pas durable.
© Ishan Tankha / Climate Visuals Countdown
Le marché du carbone volontaire permet l'échange de crédits carbone – c'est-à-dire d'unités représentant une tonne d'équivalent CO2 évitée, réduite ou éliminée – de sorte qu'une entité qui continue à émettre puisse compenser ses propres émissions en finançant des projets qui réduisent les émissions ailleurs. En théorie, la compensation carbone est décrite comme l'approche de marché la plus efficace pour obtenir des résultats en termes de réduction des émissions au niveau global. En effet, elle devrait maximiser l'impact des ressources disponibles pour réduire les émissions en les allouant là où elles sont le plus avantageuses.
Ainsi, après avoir réduit ses émissions les moins coûteuses, une entreprise pourrait consacrer des ressources à des projets de technologies bas carbone ou de restauration des forêts, afin d'annuler numériquement les émissions que cette même entreprise ne parvient pas encore à réduire. Dans la pratique, cependant, l'utilisation des crédits de compensation bon marché est fortement critiquée car elle compromet la priorité absolue de la réduction des émissions et contribue à maintenir un statu quo insoutenable. La surveillance accrue exercée récemment par la société civile a jeté le doute sur les affirmations – souvent trompeuses – de « neutralité carbone » faites par certaines organisations sous le couvert de la compensation, alors qu'en réalité leurs émissions continuent d'augmenter.
Etat des lieux des marchés du carbone
Depuis ses prémices à la fin des années 80, et surtout depuis le Protocole de Kyoto signé en 1997, l'établissement du marché carbone n'a jamais échappé à la controverse. Son évolution a donné naissance à des marchés parallèles parfois difficiles à distinguer en raison de leur possible superposition : le marché du carbone « de conformité » et le marché du carbone « volontaire ». Le marché de conformité prévoit des réductions d'émissions obligatoires et est réglementé au niveau national ou régional. Le plus abouti d'entre eux est le système d'échange de quotas d'émission de l’Union Européenne (SEQE-UE), auquel la Suisse a adhéré en 2020. Dans le cadre de ce mécanisme, certains gros émetteurs – centrales électriques et grandes industries – sont soumis à un plafond d'émissions abaissé chaque année, qu'ils peuvent couvrir en achetant des quotas à d'autres membres qui ont réussi à réduire leurs émissions au-delà de l'objectif fixé.
Malgré une mise en œuvre bien laborieuse, ce système a contribué à une certaine réduction des émissions dans les secteurs concernés. Cependant, il est critiqué pour avoir été trop généreux dans l'attribution de quotas gratuits aux grands émetteurs, pour avoir permis l'afflux de crédits internationaux et pour ne pas imposer d'objectifs de réduction suffisamment ambitieux. En outre, le prix du carbone est encore trop bas ; il devrait refléter le coût social d'une tonne d'émissions pour atteindre progressivement 200 USD. Le marché volontaire, quant à lui, n'impose actuellement aucun seuil minimum de réduction et reste largement non réglementé. On y utilise aussi fréquemment des crédits carbone désuets ou dont la qualité et le prix varient fortement, parfois même en dessous de 1 USD .
Les limites du marché volontaire
La crise de confiance qui entoure ce marché volontaire du carbone est due non seulement à son absence de réglementation et à son cadre fragmenté, mais aussi aux limites techniques inhérentes à son mécanisme. Les crédits carbones ne correspondent que rarement à l'unité exacte de « compensation » revendiquée, et des surestimations quasi systématiques du nombre de crédits délivrés sont recensées. Cette situation s'explique par l'absence d'un système de contrôle global véritablement exempt de conflits d'intérêts et par une méthodologie de quantification peu fiable, souvent basée sur un scénario de référence trop généreux. Mais ce n'est pas tout : les justifications existantes du critère d'additionnalité, i.e. le fait que le projet n'aurait tout simplement pas eu lieu sans la contribution financière des crédits carbone, ne sont pas toujours claires. Ce constat est notamment flagrant concernant les projets d'énergie renouvelable, qui sont devenus la source d'énergie la plus avantageuse économiquement dans la plupart des pays. Le double comptage – ainsi que la double revendication, généralement liée à la déduction d’un crédit carbone à la fois par le pays d'accueil et par une entreprise étrangère – constitue également un défi majeur. Ce phénomène, qui va à l'encontre du principe selon lequel un crédit ne peut être déduit que par une seule et même entité, est d'autant plus sensible dans le cadre de l'Accord de Paris qui, contrairement au Protocole de Kyoto, exige des pays en développement qu'ils réduisent leurs émissions.
La question de la permanence des compensations comptabilisées soulève également de nombreux doutes. L'extraction et la combustion des énergies conventionnelles relèvent du cycle du carbone fossile à long terme, tandis que la photosynthèse et donc l'absorption du carbone par les arbres ou l’absorption par les océans relèvent du cycle du carbone biogénique à court terme. Il semble donc illusoire de vouloir compenser une pollution atmosphérique millénaire par des projets de compensation limités dans le temps à quelques décennies. De plus, le changement climatique lui-même compromet la permanence du carbone dans les réservoirs temporaires que sont les sols et les forêts, en raison de l'intensification des incendies, des périodes de sécheresse et de la propagation de parasites. A cela s’ajoute encore le risque de fuite (leakage), par exemple lorsqu'un projet de protection des forêts dans une région donnée conduit à un défrichement ailleurs. Quant aux perspectives de solutions technologiques avec des équipements de capture et de séquestration du carbone, elles ne doivent pas être surestimées. Pour l'instant, elles ne sont ni compétitives, ni disponibles à l'échelle requise à court terme, et ne joueront probablement qu'un rôle limité, bien que nécessaire, à l'avenir.
Des injustices renforcées par le « colonialisme du carbone »
Plus fondamentalement, le recours excessif à la compensation en lieu et place d'une réduction substantielle n'est absolument pas durable. Comme le déplore Carbon Market Watch dans son rapport d'évaluation de l'intégrité des engagements climatiques de multinationales autoproclamées « leaders climatiques », la mise en œuvre de leurs feuilles de route « zéro net » dépend fortement de la compensation. A cette cadence, les besoins en terres dépasseraient largement les disponibilités, menaçant directement la survie des communautés locales, la biodiversité et la sécurité alimentaire. Parallèlement, les projets populaires de réduction des émissions dues à la déforestation ou les solutions fondées sur la nature (SFN) sont souvent basés sur des modèles de conservation « forteresse » qui consistent à délimiter et à militariser des zones protégées en empêchant leur accès aux habitants originels. Loin de se développer dans des espaces vides que les pollueurs peuvent remplir d'arbres, ces projets se développent souvent sur des territoires habités par des communautés indigènes. Cette nouvelle ruée vers l'or pour les SFN à travers la privatisation de ces puits de carbone naturels exacerbe donc des conflits fonciers historiquement complexes et menace les populations forestières d'être dépossédées de leurs terres. Un constat d'autant plus évident lorsque la mise en œuvre de ces projets minimise la pleine réalisation du droit des communautés autochtones à l'autodétermination et au consentement libre et éclairé avant l'approbation de tout projet affectant leurs territoires.
En somme, le système actuel est largement inadapté à l'urgence de l'action climatique et présente des aspects profondément injustes. Il offre des droits de polluer aux plus gros émetteurs – principalement les grandes entreprises et les économies du Nord global – qui peuvent poursuivre leurs affaires comme auparavant, tout en imposant des restrictions aux systèmes économiques et aux modes de vie principalement dans les pays du Sud global. Ce faisant, il transfère la responsabilité du changement climatique et de la déforestation des grandes entreprises aux communautés locales qui sont pourtant les moins responsables du changement climatique.
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