Fiche d'information

Financement climatique : selon quelles modalités dès 2025 ?

06.09.2023, Justice climatique

Selon l'accord de Paris sur le climat, les pays industrialisés doivent soutenir financièrement les pays en développement à protéger le climat et à s'adapter au changement climatique — on parle de financement climatique. De 2020 à 2025, 100 milliards de dollars devraient être mis à disposition chaque année à cet effet.

Financement climatique : selon quelles modalités dès 2025 ?

D'ici fin 2024, un nouvel objectif sera négocié ; il devrait s’appliquer à partir de 2025 et, selon les prévisions, être beaucoup plus élevé. Si l'objectif de financement se basait sur les besoins réels, l’ONU estime qu’il faudrait mobiliser 340 milliards de dollars par an d'ici 2030 rien que pour l'adaptation au changement climatique — et au moins autant pour la réduction des gaz à effet de serre. Il s'agit d'un besoin de soutien additionnel ; des ressources financières nouvelles et additionnelles sont donc nécessaires. L’impact dramatique du réchauffement climatique sur les pays les plus pauvres souligne l'urgence d'un soutien supplémentaire.

Quelle est la part juste de la Suisse ? Pour l’objectif actuel de 100 milliards de dollars, il n’existe pas de clé de répartition entre les pays donateurs. Le Conseil fédéral se base sur un mélange de principe de causalité et de performance économique. En ne prenant en compte que les émissions à l'intérieur du pays, il arrive à une contribution de 450 à 600 millions de dollars par an. Or, selon les données de la Confédération, les émissions causées par la consommation suisse à l'étranger représentent plus de la moitié de l'empreinte climatique helvétique. Si la Suisse assumait sa responsabilité pour ses émissions à l'étranger, elle devrait déjà contribuer à hauteur de 1 milliard de dollars par an au financement international dans le domaine du climat.

Communiqué

Alliance Sud dit OUI à la loi climat

03.05.2023, Justice climatique

Les huit directeurs d'Alliance Sud et de ses organisations membres soulignent à l’unisson que la loi sur la protection du climat est un premier pas vers davantage de justice climatique.

Alliance Sud dit OUI à la loi climat

Il est temps que la Suisse apporte sa contribution à la lutte contre la crise climatique mondiale. Les pires effets du réchauffement climatique touchent les plus pauvres dans le Sud global, qui pourtant contribuent le moins au changement climatique. Le cyclone Freddy a battu plusieurs records mondiaux en mars de cette année. La tempête tropicale a fait plus de 1 000 victimes au Malawi, au Mozambique et à Madagascar, a semé la destruction partout sur son passage et a été la plus longue jamais enregistrée. Elle a en effet duré plus d’un mois et a battu le record de l’énergie cyclonique accumulée.

Le cyclone Freddy montre bien que les catastrophes climatiques dans le Sud global provoquent des pertes et dommages toujours plus importants. « La vulnérabilité aux impacts de la crise climatique est nettement plus élevée dans les pays à faible revenu, par exemple lorsque les fonds pour l'adaptation au changement climatique font défaut », note Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement. « Le dernier rapport mondial sur l’évolution du climat montre que dans une région vulnérable, 15 fois plus de personnes meurent lors d'un événement météorologique extrême que lors d'un épisode comparable dans une région bien adaptée comme la Suisse. »

La Suisse a la responsabilité de contribuer de manière appropriée à l'atténuation du réchauffement climatique. La comparaison des émissions annuelles de gaz à effet de serre par habitant liées à la consommation entre la Suisse (14 tonnes de CO2) et les pays les plus touchés comme le Malawi (0,1 tonne de CO2), le Mozambique (0,3 tonne de CO2) ou Madagascar (0,1 tonne de CO2) montre sans équivoque l'écart existant.

Pour la protection de la Suisse et du Sud global

La loi climat fixe les objectifs de réduction des émissions suisses à zéro net d'ici 2050. « C'est le minimum que notre pays doit atteindre », remarque Bernard DuPasquier, directeur adjoint de l'EPER : « Une contribution vraiment équitable à la protection du climat impliquerait que notre pays aille encore plus vite ». Franziska Lauper, directrice de Terre des hommes suisse, ajoute : « Nous devons agir immédiatement pour que les générations futures — chez nous comme dans le Sud global — ne souffrent pas davantage des conséquences du réchauffement. »

Dans cet objectif, la réduction de moitié des émissions d'ici 2030 prévue dans la loi est essentielle. En effet, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) insiste sur le fait que des mesures de protection climatique plus strictes doivent être prises lors de cette décennie afin d'éviter de dépasser la limite de 1,5°C. « Le seuil d'un réchauffement global de 1,5°C n'est pas arbitraire. Il est scientifiquement fondé et inscrit dans l'accord de Paris sur le climat », rappelle Melchior Lengsfeld, directeur d'Helvetas, avant d'ajouter : « Les conséquences de toute nouvelle augmentation sont dévastatrices — pour les populations du Sud global en particulier. »

Le rapport du Groupe d'expert-e-s intergouvernemental sur l'évolution du climat met également en exergue les possibilités existantes pour atteindre la neutralité climatique. « Une décarbonisation rapide est nécessaire, en Suisse également. Elle est techniquement réalisable depuis longtemps. Nous devons mettre fin à l'utilisation des énergies fossiles dès que possible », avertit Bernd Nilles, directeur d'Action de Carême. Peter Lack, directeur de Caritas Suisse, ajoute : « La loi prévoit que la protection du climat soit aménagée de façon socialement acceptable. C'est crucial car des personnes à faibles revenus peuvent ainsi la soutenir et lui assurer une large assise. »

Pour une meilleure sécurité alimentaire et énergétique

La protection du climat est essentielle pour la sécurité alimentaire. « Le rapport mondial sur l’évolution du climat met en évidence que la productivité de l'agriculture diminue globalement avec le réchauffement climatique. La production d'une nourriture suffisamment saine et variée devient plus compliquée en cas de sécheresse croissante et de conditions météorologiques imprévisibles — chez nous, mais surtout pour les familles de petits paysans dans les pays pauvres », relève Markus Allemann, directeur de SWISSAID. « Mais l'alimentation est aussi une partie de la solution, si nous nous nourrissons de manière plus respectueuse du climat et plus écologique. »

Dire oui à la loi climat n'est pas seulement essentiel pour la sécurité de l'approvisionnement et la préservation de nos propres bases vitales, c'est aussi une chance de faire remarquer à la communauté mondiale que la population suisse prend la crise climatique au sérieux. « Avec les crises à répétition actuelles et les catastrophes climatiques de plus en plus violentes dans le Sud global, il est crucial que nous fassions preuve de solidarité en disant oui à la protection du climat », résume Felix Gnehm, directeur de Solidar Suisse. « Nous voulons une transition juste vers un monde préservant le climat — la protection de ce dernier dans nos frontières en fait partie. »


Pour tout complément d’information :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30
Delia Berner, spécialiste du climat chez Alliance Sud, tél. +41 77 432 57 46
Marco Fähndrich, responsable de la communication chez Alliance Sud, tél. +41 79 374 59 73

Communiqué

La Suisse doit répondre aux besoins du Sud global

03.11.2022, Justice climatique

Alliance Sud exige que la délégation suisse à la Conférence sur les changements climatiques en Égypte contribue non seulement à un programme d'atténuation ambitieux, mais qu'elle s'engage aussi pour une aide renforcée au Sud mondial.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
La Suisse doit répondre aux besoins du Sud global

© Alliance Sud

La crise climatique entraîne des événements extrêmes imprévisibles comme des inondations, des sécheresses et des tempêtes, fait monter le niveau des mers et fondre les glaciers. « D’énormes dégâts, comme ceux subis par le Pakistan, ou l'augmentation de la faim et de la malnutrition dans de vastes régions d'Afrique suite à des épisodes de sécheresse, montrent que la lutte contre le réchauffement climatique planétaire est d'une urgence sans précédent », affirme Delia Berner, spécialiste du climat auprès d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement. Lors de la Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP27) qui se tiendra du 6 au 18 novembre 2022 en Égypte, la Suisse doit contribuer à mieux répondre encore aux besoins du Sud global.

Abandon des énergies fossiles et de leur subventionnement

Lors de la Conférence sur les changements climatiques, les efforts visant à sortir des énergies fossiles et à assurer une transition rapide et équitable doivent être considérablement renforcés afin de pouvoir respecter l'objectif d'un réchauffement de 1,5°C au plus. Un programme de travail sur l'atténuation est en cours de négociation afin d’accélérer la réduction des gaz à effet de serre. « Le programme de travail sur la mitigation (Mitigation Work Programme) peut apporter une contribution prépondérante à la réalisation de l'objectif de 1,5°C. À cette fin, il faut en Égypte saisir l'occasion d’inscrire l’abandon des énergies fossiles dans des stratégies sectorielles, accompagnées d'une feuille de route et de responsabilités claires », explique David Knecht, responsable des questions énergétiques et de la justice climatique chez Action de Carême. La décarbonisation sectorielle dans le secteur de l'énergie exige par exemple une stratégie ciblée et des comptes rendus transparents. « La transparence est la clé d'une mise en œuvre réussie des objectifs de politique climatique », ajoute David Knecht, qui se déplacera en Égypte en tant qu'observateur.

La réaction de la communauté internationale à la crise climatique ne doit en aucun cas se limiter à des mesures écologiques. « La transition écologique doit être juste et socialement responsable », martèle Cyrill Rogger de Solidar Suisse. Selon lui, il est de notoriété publique que ce sont les habitants des régions les plus pauvres du monde qui paient le plus lourd tribut.

Le financement insuffisant du Nord : un casse-tête pour le Sud

La COP27 doit ouvrir la voie à un soutien financier renforcé des pays en développement dans la mise en œuvre de leur contribution à un monde climatiquement neutre ainsi qu'à des mesures d'adaptation urgentes dans leurs pays. La Suisse doit sans plus attendre intensifier son soutien financier et œuvrer en faveur d’un engagement accru de tous les grands pays pollueurs dans les négociations. Sonja Tschirren, spécialiste du climat et de l’agriculture écologique chez SWISSAID, explique : « La prospérité à laquelle nous sommes parvenus au cours des 200 dernières années s'est aussi faite au détriment de l'environnement. Avec les autres nations industrialisées, nous avons provoqué une accélération sans précédent du changement climatique, dont souffrent amèrement les régions les plus pauvres des États exposés. Il est impératif que la Suisse œuvre en amont pour soutenir ces pays de manière appropriée. »

Pour les pays les plus touchés par le changement climatique, la négociation d'un soutien financier pour les pertes et préjudices subis est particulièrement cruciale, d'autant plus que les États pollueurs refusent jusqu'à présent de fournir des engagements financiers. Dans ce contexte, il est essentiel de traiter les pays touchés du Sud d’égal à égal dans la prise en compte de leurs besoins. « L’élaboration de solutions doit tenir compte des préoccupations des populations concernées », souligne Christina Aebischer, qui participe à la COP pour Helvetas. Bâtisseuse de ponts, la Suisse doit soutenir activement les solutions consensuelles.

Mais les grandes entreprises multinationales (EMN) suisses qui contribuent de manière significative au changement climatique doivent aussi faire leur part selon Yvan Maillard Ardenti, responsable du programme pour la justice climatique à l'EPER. « Non seulement les États, mais aussi les pollueurs privés comme les EMN devraient participer à un fonds de compensation des pertes et préjudices liés au climat » estime Yvan Maillard.

La mise en œuvre de l'objectif de financement actuel de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 pour les mesures d'atténuation et d'adaptation dans les pays en développement et émergents (le « financement dans le domaine du climat ») est symptomatique de la mauvaise politique de paiement des grands pays émetteurs comme la Suisse. L’objectif a été manqué d’au moins 16,7 milliards de dollars et 71% a été réalisé sous forme de prêts remboursables ou s'accumulant sous forme de dettes. Notre pays ne respecte pas non plus strictement ses engagements : au lieu de mettre des ressources financières nouvelles et additionnelles à disposition, il utilise principalement à cet effet des fonds inscrits au budget de la coopération au développement. « On place ainsi la protection du climat et la lutte contre la pauvreté en position de rivalité », s’offusque Angela Lindt de Caritas Suisse.

Poser dès à présent les jalons du prochain objectif de financement

En Égypte, des négociations sont en cours pour un prochain objectif de financement après 2025. Même si aucune percée n'est encore attendue dans ce domaine, la Suisse doit s’investir pour que les leçons de l'échec de l'objectif actuel soient tirées. « La responsabilité collective sera également mise en échec dans le cas du prochain objectif financier si celui-ci n'est pas convenu de manière plus contraignante », craint Delia Berner, spécialiste du climat chez Alliance Sud. Il convient de préciser le calcul de la part équitable de chaque État dans l'objectif commun, afin d’atteindre le montant total nécessaire.

Pour de plus amples informations :
Action de Carême, David Knecht, responsable des questions énergétiques et de la justice climatique, tél. +41 76 436 59 86
Solidar Suisse, Cyrill Rogger, responsable du programme Europe du Sud-Est, tél. 044 444 19 87
SWISSAID, Sonja Tschirren, spécialiste du climat et de l’agriculture écologique, tél. +41 79 363 54 36
Helvetas, Aude Marcovitch Iorgulescu, coordinatrice des relations avec les médias en Romandie, tél. +41 31 385 10 16
EPER, Yvan Maillard Ardenti, responsable du programme pour la justice climatique, tél. +41 79 267 01 09
Caritas Suisse, Angela Lindt, responsable du service Politique de développement, tél. 041 419 23 95
Alliance Sud, Delia Berner, spécialiste du climat, tél. +41 77 432 57 46

Réunions parallèles durant la COP27 :
-    07.11.22 : symposium sur le climat de Caritas Suisse à l’enseigne de « The Role of International Development NGOs in Climate Change Adaptation », Hôtel Bern à Berne. L'événement est ouvert aux journalistes intéressés.
-    10.11.22 : réunion parallèle sur le thème « Dealing with Losses and Damages », organisé par HELVETAS et le Ministère équatorien de l'environnement et de l'eau. 13h15 – 14h45 Cairo Time, en streaming live sur youtube, lien via www.helvetas.org/cop27

Pour en savoir plus, voir aussi la fiche d'information d'Alliance Sud sur la contribution suisse au financement international du climat.

Article

La miraculeuse extension du financement suisse

06.12.2022, Justice climatique

Entre 2011 et 2020, l’aide annuelle de la Suisse visant à protéger le climat dans les pays en développement et émergents a plus que triplé. Trop beau pour être vrai ? Coup d'œil sur les comptes de la Confédération.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

La miraculeuse extension du financement suisse
Muhammad Chuttal Korai devant le restaurant de sa famille à Khairpur Nathan Shah, au Pakistan. Lors des inondations de 2022, plus de 1500 personnes ont perdu la vie et des millions ont perdu leur maison.
© Gideon Mendel / Drowning World

Les inondations dévastatrices au Pakistan ne sont qu'un exemple parmi d'autres : les effets du réchauffement climatique sont chaque année plus marqués et visibles. Les pays les plus pauvres et les groupes de population les plus vulnérables sont souvent les plus durement touchés. Ils peinent à s'adapter aux changements climatiques, tant pour protéger leurs côtes des tempêtes et des inondations que pour adapter leur agriculture aux vagues de chaleur et à la sécheresse. Dans le même temps, limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C exige la neutralité climatique dans tous les pays. Quelle que soit la manière de voir les choses, le changement climatique reste un défi mondial.

Le Nord mondial n'est pas seulement responsable de la crise climatique, il dispose aussi de la plupart des ressources financières, aussi bien pour la lutte contre le changement climatique (atténuation ou « mitigation ») que pour l'adaptation à ce dernier. Dès 2010, la communauté internationale a décidé que les pays industrialisés devaient mettre à la disposition des pays en développement et émergents 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, afin que ces pays puissent financer le développement de leur société « zéro net » et l'adaptation nécessaire aux changements climatiques. Selon la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, il doit s'agir de ressources financières nouvelles et additionnelles. Mais la volonté politique n'a pas suffi pour répartir de façon contraignante la facture entre les États responsables. Que l'objectif global n'ait pas été atteint en 2020 n’a donc rien de surprenant. D’après l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un montant de 83,3 milliards de dollars a été collecté — calculé de manière optimiste avec les chiffres officiels des États donateurs ; 71% des fonds n'ont cependant été qu'empruntés et devront être remboursés. Cet état de fait contribue à l'endettement des nations bénéficiaires.

Eu égard au principe du consommateur-payeur et à notre prospérité, le Conseil fédéral calcule que la Suisse doit contribuer entre 450 et 600 millions de dollars à l'objectif de financement planétaire. Il est en fait loin du compte. Compte tenu des émissions de la Suisse à l'étranger, la part équitable serait de 1 milliard . Le Conseil fédéral indique aussi d'où devrait provenir la majeure partie des fonds : du budget établi de la coopération internationale. Au fil des années, ce dernier n'a pas plus gonflé que le budget général de la Confédération. C'est de l'argent qui doit en parallèle servir à remplir les objectifs internationaux en matière d'aide publique au développement (alors que la Suisse n’est pas en bonne voie sur ce plan). Bref, notre pays fait figurer les montants deux fois et ne les paie qu’une fois.

Dans cette logique, la Suisse commence à mettre de plus en plus l'accent sur le climat dans sa coopération au développement et impute toujours davantage de projets au financement climatique. C'est ce qui explique le doublement de la contribution de la Suisse aux projets climatiques bilatéraux de 2011 à 2020. Responsables de ces derniers, la Direction du développement et de la coopération (DDC) et le Secrétariat d'État à l'économie (SECO) ont certes le droit de prendre davantage en compte le changement climatique dans leurs projets. Mais comment savoir si tous les projets sont réellement conçus de manière à tenir compte du climat ou s’ils sont classés comme tels après coup. Ils sont quoi qu’il en soit comptabilisés deux fois avec la coopération au développement.

Une deuxième raison du boom du financement climatique déclaré réside dans les contributions de la Suisse à des institutions multilatérales tel le Fonds vert pour le climat (FVC) et à des institutions aux thématiques élargies comme les banques de développement. Les fonds climatiques ont été spécifiquement créés pour la mise en œuvre de la Convention sur le climat. La contribution suisse à ces fonds augmente à juste titre, mais ne représente, en 2020, qu'un tiers du financement climatique multilatéral de la Suisse. Les deux autres tiers sont investis par le biais des banques de développement, Banque mondiale en tête. Or, on y observe un phénomène similaire à celui de la coopération bilatérale au développement : toujours davantage de projets sont comptabilisés dans le financement climatique alors qu'ils figuraient déjà auparavant dans le portefeuille. Avec de nouvelles méthodes d'imputation pour les contributions multilatérales, le financement climatique helvétique prend brusquement l’ascenseur, à plusieurs reprises, au fil des ans.

Pour l'année 2020, notre pays rapporte ainsi à l'ONU une contribution de 411 millions de dollars de fonds publics pour le financement climatique, auxquels s'ajoutent 106 millions de dollars de fonds privés « mobilisés » grâce à des fonds publics (p. ex. au moyen de financements incitatifs ou de garanties pour des investissements privés à haut risque). Le Conseil fédéral ne trouve absolument rien à y redire. Les ressources nouvelles et additionnelles pour le financement climatique, qui n'ont pas été « volées » au budget du développement, ne représentent toutefois qu'une fraction, sous la forme de modestes contributions aux fonds climatiques multilatéraux — soit 68 millions de dollars. Il vaut parfois la peine de décortiquer les comptes de la Confédération.

Financement dans le domaine du climat

Dans la politique climatique internationale, le financement climatique signifie le soutien financier des pays en développement et émergents dans le domaine du climat. Les pays les plus pauvres sont les moins responsables de la crise climatique et ce sont eux qui ont le moins de ressources financières pour lutter contre les changements climatiques et s'y adapter.
Le financement dans le domaine du climat n'est pourtant qu'un aspect de la justice climatique. La réduction des émissions de CO2 dans le Nord global, en Suisse y compris, est tout aussi cruciale pour le Sud global.


Notre fiche d'information pour en savoir plus

Article

Une question de « design »

22.03.2023, Justice climatique

Les recommandations politiques du rapport sur le climat mondial d'Interlaken mettent encore plus en évidence les besoins de financement énormes et urgents dans les pays du Sud. Mais où en sont les négociations pour un nouvel objectif de financement ?

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Une question de « design »

© Delia Berner / Alliance Sud

Au siège de l'ONU à Vienne, les drapeaux des États flottent au vent tandis que, devant l’entrée, quelques activistes manifestent contre les brutalités perpétrées par le régime iranien. À l'intérieur, les discussions vont bon train sur la manière de mieux soutenir financièrement les pays en développement dans le domaine du climat dès 2025. Nul n’ignore que les besoins dépassent déjà largement le financement climatique disponible et qu'ils augmenteront encore substantiellement dans un avenir proche. Rien que pour l'adaptation au réchauffement climatique dans le Sud, l’ONU prévoit qu’il faudra réunir annuellement plus de 300 milliards de dollars jusqu'en 2030 et plus de 500 milliards de dollars jusqu'en 2050. À cela s'ajoute le défi global de limiter le réchauffement à 1,5°C au maximum en réduisant la production de gaz à effet de serre (mitigation ou atténuation), ce qui est aussi synonyme de soutien financier massif du Sud global. Et l’addition ne tient pas compte des besoins de financement en forte hausse liés aux pertes et préjudices dans les pays qui ont le moins contribué à la crise climatique.

La Conférence de Glasgow sur les changements climatiques (COP26) a émis un mandat pour négocier un prochain objectif de financement dans les trois ans, car l'objectif actuel de 100 milliards de financement dans le domaine du climat expire en 2025. Le Nouvel objectif chiffré pour le financement de l’action climatique (New Collective Quantified Goal, NCQG), doit accélérer la mise en œuvre de l'article 2 de l’Accord de Paris — article qui comprend l'atténuation (ou l'objectif de 1,5°C), l'adaptation et la transition vers des flux financiers compatibles avec le climat. Selon le mandat, l'objectif ne doit pas être inférieur aux 100 milliards de dollars par an actuels, doit tenir compte des besoins des pays en développement et ne doit pas seulement consister en un chiffre. En effet, il doit aussi décrire des exigences qualitatives, lesquelles font l'objet des négociations, car il faut tirer les leçons de l’objectif pas entièrement rempli des 100 milliards.

Du 8 au 10 mars 2023, Vienne a accueilli un dialogue technique visant à préparer les négociations sur le NCQG lors des deux prochaines conférences sur les changements climatiques. Les représentantes et représentants des États parties ont discuté, en présence de quelques personnes issues de la société civile, de la science et du secteur privé, des divers « designs »possibles du nouvel objectif. En français, ce terme peut se traduire par conception, modèle, élaboration, etc., ce qui décrit bien l'étendue des questions ouvertes. La Suisse était représentée par l'Office fédéral de l'environnement (OFEV), qui a permis à d'autres sphères intéressées de Suisse, comme Alliance Sud, de participer.

Quels objectifs secondaires ?

Les propositions concernant la forme que devrait prendre le nouvel objectif sont évidemment très diverses et montrent toute la palette des positions politiques. La plupart des délégations des pays du Sud proposent de subdiviser l'objectif en trois objectifs secondaires sur l'atténuation, l'adaptation et les pertes et préjudices. Pour diverses raisons, il y aurait lieu de séparer l’atténuation de l'adaptation. Alors que le financement de la première — en particulier l’encouragement des énergies renouvelables — est de plus en plus souvent assuré par des entreprises et des investisseurs, le financement de l’adaptation au changement climatique nécessitera à l'avenir également énormément de fonds publics.

Si les deux domaines sont réunis comme jusqu'à présent, les pays donateurs du Nord seront incités à économiser des fonds publics en misant davantage sur la mobilisation de fonds privés — avec pour résultat, et c’est ce qui se passe aujourd'hui, que le Sud reçoit bien trop peu de soutien dans le domaine de l'adaptation au changement climatique et que les investissements privés sont principalement effectués dans les pays à revenu moyen. Séparer l'atténuation de l'adaptation reviendrait donc à tirer les leçons du déséquilibre actuel entre ces deux domaines et de la part congrue faite aux pays les plus pauvres. Les pays donateurs actuels insistent sur la flexibilité et rejettent donc la subdivision en objectifs secondaires. Les aspects qualitatifs ne doivent être intégrés qu'en tant que principes, par exemple l'équilibre entre atténuation et adaptation doit être mentionné dans le texte de la décision. Ce qui, en fait, reviendrait à ne rien changer !

Le financement des pertes et préjudices moyennant un objectif secondaire supplémentaire ferait vraiment sens du point de vue de la justice climatique, si cela permet d'allouer des fonds publics additionnels. Après la décision de la COP27 en Égypte de créer un fonds pour couvrir les coûts des pertes et préjudices, les pays du Nord mondial ne peuvent plus se soustraire à cette discussion.

Une autre question se pose quant à la dimension temporelle de l'objectif. Doit-il s'agir d'un objectif collectif de contributions annuelles à verser jusqu'à une date déterminée (par exemple jusqu'en 2030 ou jusqu'en 2035), après quoi tout le processus de négociation reprendrait depuis le début ? Ou la communauté internationale parviendra-t-elle à se mettre d'accord sur des mécanismes à plus long terme, de sorte qu'au moins les principes de l'objectif ne devront plus être renégociés tous les cinq ans ? Beaucoup semblent vouloir un « design » à plus long terme, mais le casse-tête consiste à trouver un mécanisme de révision accepté qui permette d'adapter périodiquement l'objectif aux nouvelles réalités.
Enfin, une autre question en suspens concerne le montant des nouveaux engagements financiers collectifs. La principale divergence d'opinion porte sur la question de savoir si ce montant doit être basé techniquement sur des estimations objectives des besoins ou s'il s'agit d'une donnée à négocier sur le plan purement politique.

En fin de compte, toutes ces questions ne seront négociées que lors de la COP29, en 2024. Les dialogues techniques sont toutefois l'occasion de tracer des options possibles qui pourraient également fonctionner dans la mise en œuvre, tout en tenant mieux compte des priorités et des besoins des autres parties.

Renforcer le financement public de l'adaptation au changement climatique

La Suisse fait partie des États dont le financement actuel dans le domaine du climat atteint effectivement un équilibre entre atténuation et adaptation (mais au détriment de la coopération au développement menée jusqu'à présent – et les fonds alloués sont à un niveau globalement trop bas). Elle devrait s'engager pour que les pays les plus pauvres soient soutenus à long terme par des fonds publics suffisants pour l'adaptation climatique, compte tenu des lacunes de financement croissantes. Le moyen le plus sûr d'y parvenir est de fixer un objectif secondaire fort pour le financement public de l'adaptation. Pour la mise en œuvre en Suisse à partir de 2025, cela signifie qu'il faut trouver de nouveaux instruments de financement équitables afin de pouvoir générer des recettes publiques supplémentaires. Notre pays ne doit pas se permettre une deuxième fois de procéder au financement dans le domaine du climat sur le dos de la coopération internationale, sans mobiliser de ressources financières additionnelles. Le financement climatique n'est pas un soutien additionnel pour le Sud s'il supplante l’appui actuel dans d'autres domaines.

Opinion

À l’ombre du volcan

23.03.2023, Justice climatique

Des plages de sable, du rhum et des poissons colorés: c’est ainsi que les prospectus de vacances vantent les Caraïbes. C’est oublier que ces îles sont particulièrement menacées par les phénomènes naturels. Par Karin Wenger.

À l’ombre du volcan

© Karin Wenger

Alors que nous naviguons le long de la côte ouest de Montserrat, je sens tout à coup une puanteur épouvantable. Serait-ce un poisson volant échoué sur le pont sans que nous l'ayons repéré ? Non, l’odeur rappelle celle des œufs pourris. Nous finissons par voir de petits nuages de soufre qui jaillissent de la gueule du volcan avant d’être poussés vers nous par le vent. Il faut dire que le volcan de la Soufrière crache, et ce depuis près de trente ans.

Lors de son éruption en 1995, le volcan a complètement surpris les insulaires. La Soufrière n'était plus en activité depuis le 16e siècle et, après un sommeil de 270 ans, elle s'est tout à coup réveillée. Elle a commencé à vomir des cendres et de la lave, ce qui a contraint d’évacuer la capitale Plymouth, située sur le flanc ouest du volcan. La plupart des quelque 11 000 habitants sont partis. Montserrat étant encore aujourd'hui un territoire britannique d'outre-mer, beaucoup ont gagné l’Angleterre, où de l’aide leur a été fournie.

Adolescente au moment de l’éruption, Vernaire Bass a également quitté son pays à l'époque. « Non seulement l'infrastructure était détruite, mais il n'y avait plus de travail et plus aucun avenir pour nous », se souvient-elle. Elle dirige aujourd'hui le musée national de l'île, entre autres activités. Le volcan n'était d’ailleurs pas le seul danger. « Chaque année, à partir du mois de juin, nous devons nous attendre à ce que tout ce que nous avons construit soit détruit par un ouragan. Cela revient à devoir vivre dans une insécurité permanente. De nombreux habitants de l'île — pas seulement ici, mais dans toutes les Caraïbes — souffrent de trouble de stress post-traumatique (SSPT) ». L'ouragan Hugo a par exemple balayé les Caraïbes en 1989 et causé d'énormes dégâts, à Montserrat y compris. Pendant six ans, la capitale Plymouth et l'infrastructure de l'île ont été reconstruites, un nouvel hôpital et de nouvelles écoles sont sortis de terre ; lorsque tout a été remis en état, le volcan est entré en éruption. « Sans l'aide de l'Angleterre, l'île serait probablement déserte aujourd'hui. Nous n'aurions tout simplement pas eu les moyens financiers pour tout reconstruire », explique Bass.

Montserrat n'est pas la seule île volcanique de la région. Ici, la plaque caraïbe se heurte à d'autres plaques, ce qui crée des frictions ; c'est pourquoi des tremblements de terre et des éruptions volcaniques s'y produisent régulièrement. La région des Antilles, dont fait partie Montserrat, se trouve au carrefour des plaques nord-américaine, sud-américaine et caribéenne, ce qui fait que des tensions particulièrement fortes peuvent s’y produire. La saison des ouragans commence chaque année en juin et dure jusqu'en novembre. En 2022, 14 grandes tempêtes et huit ouragans ont balayé les Caraïbes. Ils ont causé d'importants dégâts sur certaines îles. Ainsi, l'ouragan Ian a frappé Cuba en septembre dernier. Plus de trois millions de Cubaines et Cubains ont été directement touchés, des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur maison. Selon les climatologues, si la température augmente de deux degrés par rapport à l'ère préindustrielle, la probabilité d'ouragans, de tempêtes et de graves inondations est cinq fois plus élevée dans les Caraïbes. Le scénario d'avenir tient donc en ces termes : un espace de vie réduit et des millions de personnes déplacées.

L'année dernière, Montserrat a également été frappée par un ouragan majeur. Baptisé Fiona, il a fait de gros dégâts sur l'île le 16 septembre 2022. La ville la plus touchée a été Plymouth, l'ancienne capitale, qui avait déjà été rasée par le volcan. La Soufrière n'a pas cessé de cracher depuis 1995. Ces dernières années, le dôme du volcan s’est régulièrement surélevé de plusieurs centaines de mètres avant de s'effondrer. Le dernier effondrement remonte à 2010. Les deux tiers de l'île et un rayon de dix miles nautiques autour de la partie sud de l'île sont toujours une zone interdite, Plymouth comprise. Ce n'est que grâce à une autorisation spéciale que nous pouvons visiter les vestiges de la capitale. Un silence de mort règne désormais sur des ruines et a remplacé l’animation frénétique d’autrefois. Le volcan a littéralement incinéré et englouti la cité. Seuls les derniers niveaux des bâtiments de trois étages émergent encore. Et là où un long dock accueillait autrefois les bateaux de croisière, on ne voit aujourd’hui que de maigres vestiges — le volcan a craché une telle masse de matériaux que la ligne côtière a été déplacée de cent mètres en direction de la mer. De nouvelles terres s’avancent désormais dans l’eau.

Le volcan est actuellement surveillé 24 heures sur 24 par un groupe de scientifiques internationaux du Montserrat Volcano Observatory. José Manuel Marrero, un volcanologue espagnol, est l’un d’entre eux. « Le risque d'une nouvelle éruption majeure existe. Mais nous ignorons toutefois quand elle aura lieu », confesse-t-il.

Malgré tout, Vernaire Bass est revenue sur sa petite île des Caraïbes il y a trois ans, après plus de deux décennies passées en Grande-Bretagne. « J'avais la nostalgie de mon pays et je voulais participer au développement de l'île », confie-t-elle. Mais Montserrat a changé. Sur les quelque 11 000 habitants d'autrefois, seuls 3 000 sont restés. Tout le monde se connaît, la corruption est omniprésente. Faire passer des idées nouvelles s’avère souvent difficile à cause des conceptions figées des quelques familles détentrices du pouvoir et de l'influence. Il y a des moments où Vernaire Bass regrette sa décision de retour au pays. Elle affirme malgré tout que le volcan lui a fait un cadeau : « Il m'a appris à m'adapter. Je peux survivre partout si j'ai de la nourriture et un abri. C'est probablement ce qui nous distingue, nous les insulaires, des Européens : le danger permanent nous rend résilients et capables de survivre.»

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© zVg
Karin Wenger

Karin Wenger

Basée à New Delhi et à Bangkok, Karin Wenger a été correspondante de la radio SRF pour l'Asie du Sud et du Sud-Est de 2009 à 2022. Au printemps, elle a publié trois livres sur son séjour en Asie. Depuis l'été, elle navigue avec son partenaire dans les Caraïbes et rédige des commentaires sur des thèmes et des événements oubliés dans le Sud global. Plus d'informations : www.karinwenger.ch ou www.sailingmabul.com

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La vague climatique menace la coopération

22.03.2020, Financement du développement, Justice climatique

Pour satisfaire aux exigences de Paris, le Conseil fédéral veut engager jusqu'à 400 millions de francs par an provenant des fonds de développement. Très bien, pensera-t-on ! En fait, c’est hautement problématique car les plus pauvres en pâtiront.

La vague climatique menace la coopération

Fortification du village d’Abdullah Pur contre les inondations imminentes dans le nord-est du Bangladesh.
© Laurent Weyl / Argos / Panos

de Jürg Staudenmann, ancien Responsable « Climat et environment »

En 2021 qu’entrera en vigueur l'accord sur le climat signé en décembre 2015 à Paris. Dans un souci de justice climatique, le traité oblige les pays industrialisés à dédommager à hauteur de 100 milliards de dollars par an les pays du Sud qui souffrent le plus de la catastrophe climatique toujours plus manifeste, mais qui n'en sont pas la cause. En ratifiant l'accord de Paris, la Suisse s'est également engagée à mettre à disposition un montant « approprié » pour le financement international dans le domaine du climat. Pour le Conseil fédéral, une somme de 450 à 600 millions de francs correspondrait à la responsabilité de notre pays. Mais quiconque, comme Alliance Sud, tient aussi compte de l'empreinte climatique de la Suisse à l'étranger en arrive à 1 milliard de francs par an. C'est la première divergence. Le message sur la stratégie de coopération internationale (CI) 2021-2024 en présente une seconde : l’accord de Paris stipule que des ressources financières « nouvelles et additionnelles » doivent être mobilisées pour le financement climatique international. Or que fait la Suisse ? Elle augmente l'affectation aux « projets climatiques » dans les crédits cadres existants de la coopération au développement, de 300 à 400 millions de francs par an. Des fonds nouveaux et additionnels ? Que nenni !

Ce qui, à première vue, peut paraître comme une astuce comptable visant à ne pas faire peser une charge supplémentaire sur la caisse fédérale – qui, fait notable, a de nouveau eu la chance cette année d’engranger un excédent qui se chiffre en milliards – est bien pire. Le Conseil fédéral entend remplir l'engagement de la Suisse dans le domaine du climat en sapant les tâches de développement menées jusqu’ici : dotés d’aucune ressource supplémentaire, les projets climatiques se feront sur le dos des soins de santé à grande échelle, du développement rural ou de l'égalité entre les sexes, du renforcement de la société civile, de la démocratie et de l'État de droit, ou du soutien de possibilités de formation appropriées. Car le financement dans le domaine du climat a un autre objectif que la lutte contre l'extrême pauvreté et la réduction des inégalités : il vise à maîtriser les risques climatiques futurs et ne cherche pas en soi à améliorer immédiatement les conditions de vie actuelles.

20 % de la CAD pour des projets climatiques

La stratégie de coopération internationale 2021-2024 qui sera discutée pendant la session d’été, n'entre pas dans les détails de l'affectation des différents postes budgétaires. À une exception près : près de 20 % de l’ensemble des fonds de la DDC et du SECO doivent être consacrés à des projets climatiques.

Que le soutien aux pays en développement en matière de protection du climat et d'adaptation au changement climatique soit également délégué à la DDC et au SECO est logique. Qui d'autre disposerait du savoir-faire de longue date et des instruments nécessaires pour prendre des mesures efficaces sur le terrain ? Mais si les dépenses supplémentaires que cela implique doivent être couvertes par les crédits cadres existants de la coopération au développement sans renforcement financier, deux questions fondamentales se posent :

  • Des projets de développement peuvent-ils également contribuer à la protection du climat et d'adaptation au sens de l’accord de Paris ?
  • Quand l'utilisation de fonds de développement pour des mesures climatiques se justifie-t-elle ?

Mandatés par Alliance Sud, les conseillers de FAKT à Stuttgart ont analysé le financement helvétique du climat depuis 2011 afin de répondre à ces questions. L'auteure Christine Lottje a notamment examiné l'hypothèse implicite du gouvernement suisse selon laquelle la protection du climat et la coopération au développement (CAD) sont équivalentes ; car – comme l'indique la nouvelle stratégie de la CI – les moyens destinés aux projets climatiques seront utilisés « toujours dans le cadre du mandat de la CI de réduire la pauvreté et de favoriser le développement durable ».

Les résultats de l'étude « Der Schweizer Beitrag an die internationale Klimafinanzierung » donnent à réfléchir : les contributions déclarées à l'ONU comme financement climatique ont augmenté de façon disproportionnée par rapport à l’aide publique au développement (APD) depuis 2011. La part du financement climatique utilisée dans les pays où la pauvreté ou la vulnérabilité climatique est particulièrement prononcée ne représente qu'une fraction de celle utilisée dans les pays à revenu intermédiaire ou de manière non spécifique par le biais des programmes dits mondiaux ou régionaux.

Cela se comprend sous l’angle de la protection du climat dans la mesure où une réduction des émissions de CO2 peut être réalisée de manière plus efficace dans les régions où les émissions par habitant sont relativement élevées, à savoir dans les zones urbaines des pays à revenu intermédiaire (PRI). Mais le premier groupe cible de la CAD vit dans les pays les plus pauvres – comme le précise la loi. En d'autres termes, la tâche première de la coopération au développement est ignorée dans la plupart des projets climatiques. Selon leur description, seuls trois projets sur dix sont axés sur des groupes cibles pauvres ou sur la réduction de la pauvreté. L'étude identifie même deux projets du SECO et un projet de la DDC désignés comme financement pour le climat, même en l’absence de lien identifiable avec le changement climatique, ou même s’ils encouragent des pratiques préjudiciables au climat.

Il faut des moyens supplémentaires

L'étude confirme ce qu'Alliance Sud voit depuis des années comme un danger pour la politique suisse de développement : la DDC et le SECO sont de plus en plus mis à contribution pour financer la politique étrangère suisse en matière d'environnement et de climat, et ce sur le dos des plus pauvres dans des pays de l’hémisphère sud. Si des fonds supplémentaires ne sont pas mis à disposition, de moins en moins d'argent sera disponible pour les tâches centrales de la coopération au développement.

La DDC signale qu'il est de plus en plus difficile de mettre en œuvre, dans le cadre de la coopération bilatérale au développement (donc par le biais notamment de programmes de promotion de la santé ou de l'éducation ou de renforcement de la société civile), des mesures ayant également des effets judicieux et efficaces sur le climat.

Les projets d'adaptation qui présentent de réelles synergies avec la coopération au développement proprement dite et pouvant à juste titre être (co)financés par ses fonds restent limités. Citons à cet égard la création de banques de semences, la formation de paysannes et de personnel enseignant à l'adaptation et à la résilience au climat ou encore le renforcement des compétences des autorités locales.

L’aménagement de sources d'énergie renouvelables dans des régions particulièrement pauvres est sans conteste un projet de développement légitime et urgent. Mais comme une telle approche met en valeur de nouvelles zones et ne remplace pas des centrales au charbon existantes, il ne s'agit pas de projets permettant de réduire réellement les gaz à effet de serre au sens de l’accord de Paris sur le climat. Il est donc cynique de parler de financement climatique en pareil cas.

Toutes ces considérations confirment l'urgence de fournir un financement climatique additionnel pour des mesures infrastructurelles et de protection du climat, et ce à la vaste échelle nécessaire. Même si la CAD axée sur la réduction de la pauvreté et une protection climatique efficace et une bonne adaptation au climat ne s'excluent pas a priori, des synergies réelles ne sont possibles que dans une mesure limitée.

Cet article a été publié dans le numéro #75 de global au printemps 2020.

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La stratégie 2021-2024 de la CI sur le climat et le financement du climat

Dans le Message sur la stratégie de coopération internationale 2021 – 2024 (Stratégie CI 2021-2024), le Conseil fédéral propose „la lutte contre le changement climatique“ comme l’un des quatre nouveaux accents thématiques de la coopération internationale (p. 28). Pour cela il prévoit une affectation – la seule ! – allant jusqu’à 15% de tous les crédits de la coopération internationale.

Il ajoute que les défis du changement climatique « sont souvent source de conflit et de pauvreté, allant jusqu’à compromettre les succès obtenus à ce jour. C’est pourquoi l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à leurs effets occuperont une place croissante dans  la CI » (p. 18). Selon l’objectif B, sous-objectif 3 de la Stratégie sur la CI, « la Suisse soutient les pays en développement dans leurs efforts d’atténuation des changements climatiques (réduction des émissions de gaz à effet de serre) et d’adaptation à leurs effets“. Ceci doit „contribuer à la gestion durable des zones urbaines et rurales en réduisant les risques croissants liés aux impacts des changements climatiques et en promouvant les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique“ (p. 67).

Pour justifier le fait que „les moyens de la CI dans ce domaine devraient progressivement passer de 300 millions de francs par an (2017-2020) à environ 400 millions de francs par an d’ici fin 2024 (p. 28), le Conseil fédéral renvoie à la mise en danger des „progrès considérables en matière de lutte contre la pauvreté (p.13) et au danger que dans dix ans „100 millions de personnes risquent de retomber dans la pauvreté extrême“; selon la Banque mondiale, d’ici 2050 „143 millions de personnes pourraient devenir des migrants climatiques“ (p. 28)

En résumé:

  • Premièrement, les fonds de la coopération au développement devraient être de plus en plus utilisés pour éviter les risques futurs, même si ces nouveaux risques ne sont pas causés par les personnes les plus touchées.
  • Deuxièmement, les fonds de la coopération au développement qui, a priori, ne présentent pas encore d'avantages directs pour le développement - c'est-à-dire qui ne conduisent pas à un revenu plus sûr, à une meilleure santé, à une meilleure éducation ou à des droits plus démocratiques - devraient être utilisés à cette fin.

Mais ce n'est pas tout : selon le conseiller fédéral Cassis, "des investissements massifs accrus et ciblés" provenant des crédits cadres de la DDC et du Seco devraient même "déjà fournir une grande partie du soutien adéquat à la Convention de Paris sur le climat" (déclaration du Conseiller fédéral Cassis lors de la conférence de presse sur la Stratégie CI, 19.2.2020). Cela est en contradiction flagrante avec l'exigence d'un financement international pour le climat - précisément ce dont il est question ici : afin de soutenir les pays en développement dans leur lutte contre la crise climatique, des fonds nouveaux et supplémentaires sont nécessaires au titre de la Convention-cadre sur les changements climatiques.

Il est remarquable de constater que même le message sur la CI lui-même indique que l'imputation de dépenses „pour atténuer le changement climatique" est toujours en discussion dans le cadre de la définition de l'OCDE de l'aide publique au développement (APD) (p. 10/11).

Conclusion : alors que les trois autres domaines prioritaires - "création d'emplois décents", "réduction des causes de la migration irrégulière" et "engagement en faveur de l'État de droit et de la paix" - se concentrent sur l'amélioration immédiate des conditions de vie des plus pauvres, les mesures de protection du climat visent généralement la prévention et la protection contre les effets futurs du changement climatique. Le Conseil fédéral a même l'intention explicite d'utiliser jusqu'à 400 millions de francs par an des crédits-cadres de l'aide publique au développement pour remplir l'obligation de financement de la Convention de Paris sur le climat, bien qu'il soit incertain dans quelle mesure cela conduira à une amélioration immédiate des conditions de vie actuelles des populations des pays en développement. Cela est en contradiction avec l'objectif de la coopération au développement. - Voir l'étude de FAKT / Christine Lottje, 2020 (en allemand).

Communiqué

La Suisse mal notée en comparaison européenne

19.01.2021, Justice climatique

Les pays européens doivent contribuer nettement plus au financement international de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement. C’est ce que demande un nouveau rapport de Act Alliance EU. La Suisse est particulièrement concernée : pratiquement aucun autre pays n’interprète avec autant de laxisme l’exigence de l’ONU de fournir un financement climatique à partir de fonds « nouveaux et additionnels ».

La Suisse mal notée en comparaison européenne

von Jürg Staudenmann, ehemaliger Fachverantwortlicher «Klimapolitik» Alliance Sud, und Yvan Maillard Ardenti, Verantwortlicher Klimagerechtigkeit, Brot für alle

Le « Rapport sur l’état du financement international du climat en Europe » publié par Act Alliance EU conclut que si les pays européens ont contribué plus que les autres nations riches à aider les pays en développement à lutter contre la crise climatique, ils n’ont pas fait preuve d’une grande générosité. En effet, les efforts de la plupart des pays européens restent en deçà de « ce qui serait nécessaire pour atteindre les 100 milliards de dollars par an prévus dans l’accord de Paris sur le climat de 2015 ».

Le rapport replace dans un contexte européen des conclusions similaires d’une récente étude d’Alliance Sud. « Le rapport confirme que la Suisse, mesurée à sa puissance économique, contribue bien trop peu au financement international de la lutte contre le changement climatique par rapport à d’autres pays européens comparables », déclare Yvan Maillard Ardenti, responsable du dossier justice climatique chez Pain pour le Prochain, l’un des membres de l’Alliance ACT EU. Malgré ses performances économiques élevées en termes de Revenu National Brut (RNB), la Suisse n’occupe que la neuvième place.

Trop peu d’argent supplémentaire pour l’adaptation

La Suisse se vante souvent de fournir un financement équilibré entre d’un côté les projets de réduction des émissions et de l’autre les projets d’adaptation au réchauffement climatique dans les pays en développement. « Les mesures d’adaptation sont essentielles, car le réchauffement climatique touche les couches les plus pauvres de la population dans le Sud bien plus que nous », explique Judith Macchi, responsable du climat à l’EPER. Le nouveau rapport montre toutefois que la part du financement suisse de l’adaptation au réchauffement climatique, qui s’élève à 46 %, a été dépassée par la moitié des pays européens en 2018. La plupart des pays allouent en effet 50 à 70 % de leur financement climatique à des mesures d’adaptation. La Belgique (84%), la Hongrie (93%) et la Pologne (96%) ont des pourcentages encore plus élevés.

« Il est particulièrement choquant que la Suisse ignore l’appel de l’ONU à fournir des fonds nouveaux et additionnels pour soutenir les plus pauvres du Sud dans la lutte contre la crise climatique qui progresse », critique Jürg Staudenmann, responsable de la politique climatique à Alliance Sud. Selon lui, il est cynique de déclarer des fonds comme « additionnels » alors qu’ils sont puisés dans le budget de la coopération au développement et que ce dernier n’a pas augmenté ; en d’autres termes, ces fonds sont réalloués au détriment des tâches conventionnelles de la coopération au développement. L’argument selon lequel le Parlement approuve chaque année le budget de la coopération au développement ne répond certainement pas à l’appel de l’ONU pour un financement du climat « additionnel ».

 

ACT Alliance EU est un réseau de 13 organisations humanitaires et de développement européennes qui ont été fondées par des églises (dont Pain pour le Prochain et l’EPER). Son objectif est d’influencer la politique et les pratiques de l’UE en matière de développement et d’aide humanitaire afin d’améliorer durablement la vie des personnes touchées par la pauvreté et l’injustice dans le monde. ACT Alliance EU fait partie de ACT Alliance (Action by Churches Together), une coalition mondiale de plus de 130 organisations d’aide et de développement.

Article

Une politique climatique qui soulève des questions

12.02.2021, Justice climatique

Dans sa Stratégie climatique à long terme, le Conseil fédéral reconnaît sa responsabilité globale. Mais la coopération suisse au développement ne doit pas se muer en un instrument permettant d'atteindre l'objectif climatique à long terme.

Une politique climatique qui soulève des questions

von Jürg Staudenmann, ehemaliger Fachverantwortlicher «Klima und Umwelt»

Dans sa Stratégie climatique à long terme, le Conseil fédéral reconnaît sa responsabilité globale et adhère au principe logique de réduire également les gaz à effet de serre (GES) dans l'empreinte climatique de la Suisse hors des frontières nationales. Dans le même temps, les puits de GES à l’étranger devraient toutefois aussi servir à équilibrer le bilan GES national d'ici 2050 (« objectif de zéro net »). Cela soulève des questions fondamentales.

Le 27 janvier, le Conseil fédéral a présenté la Stratégie climatique 2050 de la Suisse, un document attendu depuis longtemps et avec impatience. En 2015, avec l'accord de Paris sur le climat, tous les pays se sont engagés à définir, d'ici 2020, comment ils contribueraient à réduire les GES dans le monde pour atteindre « zéro émission nette de gaz à effet de serre » au plus tard au milieu du siècle ; en d'autres termes, à atteindre un équilibre entre les sources et les puits d'émission.

Dans le document désormais disponible, le Conseil fédéral réaffirme son objectif, adopté en 2019 : « la Suisse doit parvenir à un bilan GES équilibré (zéro net) d’ici 2050 ». Malgré l'engagement explicite selon lequel « d'un point de vue scientifique, une réduction des émissions mondiales de GES à zéro net est impérative afin de contenir le réchauffement de la Planète en dessous du seuil critique », l'objectif de zéro net désormais fixé explicitement n'inclut toutefois que « les émissions générées à l’intérieur des frontières de la Suisse ».
En revanche, le Conseil fédéral reconnaît « qu’environ deux tiers de l’empreinte GES de la Suisse sont générés à l’étranger ». Il formule donc logiquement – et de manière tout à fait louable – le principe de la politique climatique suisse pour les 30 prochaines années, selon lequel les émissions sont à réduire « tout au long des chaînes de valeur ajoutée ».

Mais la question de savoir avec quelles mesures concrètes réduire les émissions à l'étranger reste ouverte. En outre, la Confédération fait également mention des « émissions négatives probablement nécessaires pour compenser les émissions résiduelles [nationales] ». Selon la stratégie, cela représente entre 7 et 12 millions de tonnes d'équivalents CO2 (7-12 Mt éq.-CO2), soit jusqu'à un tiers des émissions nationales actuelles. Les puits naturels et les capacités de stockage géologique étant limités sur le territoire national, le Conseil fédéral part toutefois du principe que la Suisse « sera donc dépendante également de l’accès à des puits étrangers ».

Puits d’émissions suisses à l’étranger ?

En d'autres termes, malgré l'élimination des GES dans tous les secteurs, des millions de tonnes d’éq.-CO2 doivent encore être compensées par des puits de GES techniques ou naturels à l'étranger, même en 2050. Le Conseil fédéral affirme toutefois aussi, dans le même document stratégique, que « le potentiel [pour des mesures à l'étranger] devrait toutefois diminuer » rapidement car les GES devront être éliminés dans le monde entier d'ici 2050. Et que « tous les pays devraient être moins enclins à céder à d’autres pays des possibilités de réduction imputables obtenues à bas coût ».

En réalité, plus de 60 pays ont déjà adopté des objectifs de zéro net – la plupart d'entre eux, soulignons-le, sans aucune intention de compensations au-delà de leurs frontières nationales. Ces pays, ainsi que des pays à faible revenu, auront besoin de toutes les réductions d'émissions qui peuvent être réalisées dans leur propre pays pour atteindre leurs propres objectifs climatiques. En outre, plus de 1 000 entreprises se sont déjà engagées à « compenser » leurs émissions (dont certaines sont historiques) par le reboisement ou moyennant des technologies à émissions négatives. Cela soulève inévitablement la question de savoir sur quels terrains tout ce carbone doit être éliminé et stocké. En particulier, les « approches basées sur la nature » – comme le reboisement ou la remise en eau de marais asséchés – font inévitablement planer la menace de nouveaux conflits en raison d'autres revendications d'affectation des terres, de la sécurité alimentaire ou de la violation des droits fonciers des populations résidentes et autochtones.

Outre la question de savoir où et avec quels puits de GES étrangers les millions de tonnes « d’émissions résiduelles suisses » provenant du marché indigène et des chaînes de valeur ajoutée quasiment deux fois plus nocives pour le climat doivent être stockées de manière permanente, se pose aussi la question du financement nécessaire.

Les fonds de la coopération internationale pour réduire les émissions suisses ?

Le principe explicite selon lequel la Suisse « assume sa responsabilité en matière de politique climatique » et veut par conséquent réduire les émissions « tout au long des chaînes de valeur ajoutée », et donc pour la première fois dans la politique climatique suisse au-delà des frontières nationales, est certes à saluer. La stratégie reste vague sur la question des mesures concrètes à prendre pour réduire l'empreinte climatique à l'étranger. Par exemple, les conditions-cadre devront donc être définies « de manière à ce que, tout au long des chaînes de valeur ajoutée, la production et la demande des biens et des services aient un impact environnemental global aussi faible que possible et génèrent aussi peu d’émissions de GES que possible ». La Confédération, les cantons et les communes « veillent à la préservation des ressources naturelles et renforcent les approches d’économie circulaire ».

Mais la stratégie climatique à long terme est très concrète s’agissant de la coopération internationale (CI). Elle s’engage « notamment en faveur de la réduction des émissions dans les chaînes valeur ajoutée à l’étranger ». La nouvelle loi sur le CO2 prévoit que la Suisse « contribue à réduire les émissions à l’étranger dans une mesure correspondant à ce qu’elle émet. » À cette fin, « les ressources dont dispose la CI sont progressivement augmentées jusqu’à fin 2024 : elles passent de 300 millions de francs par année (2017-2020) à environ 400 millions de francs par année » – mais, notons-le, sans augmentation correspondante des crédits globaux de la coopération au développement. Comme indiqué dans des articles précédents, près de 20 % du total des fonds de la coopération au développement de la Direction du développement et de la coopération (DDC) et du Secrétariat d'État à l'économie (SECO) doivent être réservés pour des projets climatiques d'ici 2024.

Faut-il donc craindre qu'avec la nouvelle Stratégie climatique à long terme, le Conseil fédéral fasse porter la responsabilité principale de l'élimination des émissions dans nos chaînes d'approvisionnement à la coopération internationale et les coûts des mesures mises en œuvre à l’étranger sur les deux plus importants crédits-cadres de la DDC et du SECO, crédits pourtant stagnants ? Car la stratégie n'envisage pas de nouvelles sources de financement additionnelles. Elle fait tout juste miroiter l’espoir flou d'une future mobilisation accrue des investissements privés étrangers.

Quid du Fonds pour le climat ?

De manière remarquable et regrettable, le nouveau Fonds pour le climat de la loi révisée sur le CO2 n’est pas mentionné en lien avec les mesures mises en œuvre à l’étranger. Il a pourtant été institué précisément pour permettre le financement de mesures supplémentaires de réduction des émissions à partir de la future taxe sur les billets d'avion et sur le CO2. En principe, cela ouvre la possibilité, réclamée depuis longtemps, de financer la protection du climat à l'étranger selon le principe de causalité et d’alléger la pression sur les crédits-cadres sous-dotés de la coopération au développement.

La coopération au développement ne peut en effet pas avoir pour objectif de servir de plus en plus d’instrument et de source de financement visant à réduire l'empreinte climatique de la Suisse. Orienter toujours davantage la coopération au développement vers la réduction des émissions dans nos chaînes d'approvisionnement plutôt que vers la réduction de la pauvreté et des inégalités dans les pays en développement – ou du moins vers le soutien des populations les plus pauvres et les plus touchées par la crise climatique de l’hémisphère sud – est également difficilement compatible avec la loi sur l'aide au développement.

En conclusion : la Stratégie à long terme est à courte vue

La Stratégie climatique à long terme reconnaît une responsabilité globale et vise à réduire l'empreinte climatique de la Suisse hors de ses frontières également. On peut s’en féliciter même si la stratégie reste vague en ce qui concerne les mesures concrètes à prendre à l'étranger. Le Conseil fédéral laisse ouverte la question de savoir comment il entend compenser les « émissions résiduelles inévitables » des chaînes de valeur ajoutée nationales et mondiales au moyen de puits à l’étranger. Le rôle attribué à la coopération au développement dans la réduction de l'empreinte climatique de la Suisse semble très discutable vu son mandat et les budgets dont elle dispose.

De nouveaux instruments et des sources de financement additionnelles, respectueux du principe de causalité, sont nécessaires de toute urgence pour les mesures climatiques mises en œuvre hors des frontières nationales. La coopération suisse au développement ne doit pas se muer en instrument visant au respect de l'objectif climatique à long terme de la Suisse ; d’autant moins qu'elle n'est pas financée à hauteur d’au moins 0,7% du RNB, comme le réclament les accords internationaux.

Opinion

Providencia: la peur est toujours là

17.03.2021, Justice climatique

À la mi-novembre, l'ouragan Iota a presque entièrement détruit l'île colombienne de Providencia. Les quelque 5 000 habitants ont tout perdu mais ne baissent pas les bras pour autant. Récit d’une personne directement touchée : Hortencia Amor Cantillo.
Providencia: la peur est toujours là
Le paradis de Providencia transformé en antichambre de l'enfer
© Hortencia Amor Cantillo

J'ai déjà vécu deux ouragans avec mon mari et mes deux fils. En 2005, nous avons été frappés par l'ouragan Beta ; mais ce n'était rien comparé à Iota. Les deux fois, l'ouragan a surgi la nuit. Bien sûr, nous n'avons pas réalisé à quel point Iota serait violent ; nous avons pensé qu'il était peut-être de force 1 ou 2. J’ai pris peur quand j'ai compris, à 4 heures du matin, qu’il était déjà de force 4, surtout parce que le mur de notre maison était sur le point de s'effondrer. C'était terrifiant. Si vous luttez contre la tempête toute la nuit, vous ne pouvez pas lire la peur sur les visages car tout est sombre, même le ciel. La première impression, à l'aube, est celle que vous laissent les destructions et la dévastation. Vous êtes comme en état de choc : tout simplement impossible de croire à ce que vous avez sous les yeux.

Plus de toit sur la tête

Cet ouragan a laissé de fortes blessures émotionnelles à ma famille–- nous n’avions plus de repères : les destructions étaient si importantes que nous ne savions pas par où commencer. Le tourisme, notre gagne-pain, a de plus été réduit à néant. Nous avons perdu la petite auberge (posada) dont nous vivions et dépendions. Le petit centre pour enfants et adolescents que je dirigeais a également été en grande partie détruit. Je suis en train de réfléchir à la manière de remonter la pente.

À l’heure actuelle, nous avons encore quatre hôtes chez nous ; au début nous étions 27 personnes, soit cinq familles dans une seule maison. La plupart sont parvenus d'une manière ou d'une autre à construire de petits abris avec des poutres et des tôles sur les parcelles où se dressait auparavant leur maison. Apprendre à vivre avec d'autres personnes, à être solidaire et à partager avec les autres a également été une nouvelle expérience pour nous. C'est une chose de se saluer et de se rendre visite de temps à autre, mais c'en est une autre de cohabiter. Nous avons commencé à préparer un grand repas pour tout le monde, chacun apportant ce qu'il a sous la main. Je remercie Dieu qu'il nous ait permis d’aider les autres.

Il faut dire qu’un grand, un très grand nombre de personnes a tout perdu, mais vraiment tout. Certains n'avaient plus que ce qu'ils portaient sur eux. Beaucoup s'étaient cachés dans les rares maisons en ciment restées debout, en partie du moins. Peu après l'ouragan, le gouvernement a envoyé des tentes, mais leur qualité laissait à désirer. Il a beaucoup plu et l'eau y est entrée par en dessous. Elles font l’affaire quelques jours, mais certaines personnes y vivent depuis le 16 novembre. Elles se plaignent parce que tout est détrempé. Les personnes qui ont reçu des tentes les ont montées sur les sols en ciment où se dressaient leurs maisons, ou dans les sanitaires car certains d’entre eux sont en ciment. Les conditions sont très difficiles pour celles et ceux qui ont tout perdu. La tempête a tout emporté. Même notre toit, au deuxième étage de la maison, a été complètement disloqué ; nous en avons certes récupéré quelques pièces, mais personne ne sait où il se trouve à l’heure actuelle. Quoi qu’il en soit, nous avons eu de la chance.

De la chance dans notre malheur

Près d’une semaine après la tempête, une ONG est venue et a commencé à distribuer un repas chaud par jour. Ses collaborateurs séjournent dans différentes parties de l'île. Ici, à San Felipe, ils résident dans l'église catholique ; à midi, ils sonnent les cloches et les gens vont chercher leur repas de midi et un fruit. L’équipe est toujours là, mais c'est difficile pour elle aussi, car la nourriture est préparée à San Andrés et transportée par avion à Providencia. Les secouristes tentent maintenant de trouver un moyen de préparer les repas sur place, en changeant la logistique compliquée qui fait parfois que les aliments n'arrivent pas à l’heure. Ce soutien nous est acquis jusqu’ici, Dieu merci !

Le gouvernement est en première ligne pour équiper de toits les maisons encore debout ; bien des toitures sont des dons de particuliers. Elles sont actuellement mises en place avec l'aide de l'armée, de la police nationale, de la marine et de l'aviation, de la défense civile et de la Croix-Rouge. Toutes ces organisations sont sur place et aident à la reconstruction. Mais le processus est très lent, surtout pour les personnes dont les maisons ont été complètement détruites et qui attendent leur tour. Pour les personnes dont la maison tient encore en partie debout, c'est un peu plus rapide, mais on ignore combien de temps cela prendra. Pour l’heure chacun réfléchit à ce qu’il faut faire et esquisse des projets. Nous faisons tout notre possible pour que cela aille un peu plus vite. Bien sûr, nous sommes tributaires d’une aide pour certaines choses. Pour réaménager les plages, il faut des machines ; et les côtes surtout sont encombrées de débris que nous ne pouvons pas dégager par nous-mêmes.

Nous restons ici

La nature mettra encore du temps à reprendre le dessus. Il y a de très grands arbres ici – nous les appelons « cotton trees ». Je vis sur l'île depuis 26 ans et je les admire depuis toujours. Ce sont des géants aux troncs épais ; ils doivent être très âgés. Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux ont été complètement arrachés, certains sont restés debout mais ont perdu toutes leurs branches et leurs feuilles. Il faudra de nombreuses années pour qu’ils repoussent. Les récifs coralliens ont également été détruits et leur réhabilitation demandera beaucoup de temps.

Chaque année, la saison des ouragans s'étend de juillet à fin novembre. La peur ne nous a pas quittés. Il sera difficile de surmonter un autre ouragan de cette intensité mais nous ne sommes pas les seuls dans une telle situation. Les côtes des États-Unis, le Mexique, le Nicaragua sont aussi exposés au risque d’ouragans. Nous sommes conscients que cela peut se produire encore et encore. Comme mon mari, je pense que dorénavant chaque maison devrait avoir un endroit en béton offrant un refuge. Mais des catastrophes se produisent partout sur la planète, des tremblements de terre ou autres.

Quelqu'un m'a demandé si je voulais quitter Providencia. J'ai dit non parce les dangers, quels qu’ils soient, sont omniprésents sur la planète. C'est triste et ça fait mal, mais nous sommes ici et nous restons ici. Providencia est notre petit paradis et nous ferons tout pour qu’il en redevienne un.