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Communiqué
Libre-échange avec Mercosur: non-sens climatique
05.05.2021, Commerce et investissements
Le projet d'accord de libre-échange avec les pays sud-américains du Mercosur entraînera une augmentation de 15 % des émissions de gaz à effet de serre nocifs pour le climat pour le commerce agricole à lui tout seul.
© GRAIN, 2021
Communiqué de presse de la Coalition suisse Mercosur (ACSI, Alliance Sud, Pain pour le prochain, Bruno Manser Fonds, Fédération Romande des Consommateurs, Société pour les peuples menacés, EPER, Protection Suisse des Animaux, Swissaid).
Le projet d'accord de libre-échange avec les pays sud-américains du Mercosur entraînera une augmentation de 15 % des émissions de gaz à effet de serre nocifs pour le climat pour le commerce agricole à lui tout seul. Selon un nouveau rapport de l'organisation internationale GRAIN, l'importation en franchise de droits de douane de viande et d'aliments pour animaux en est le principal moteur. La Coalition suisse sur le Mercosur voit ses critiques concernant l'absence de dispositions en matière de durabilité et de bien-être animal dans l'accord confirmées.
Les accords de libre-échange visent à simplifier le commerce entre les pays partenaires et à augmenter le volume des échanges. L'accord entre les États de l'AELE (Suisse, Islande, Liechtenstein et Norvège) et les pays sud-américains du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay), dont les négociations ont été terminées à la mi-2019, entraînera inévitablement une augmentation des échanges agricoles entre ces pays. Cela entraînera à son tour un accroissement des émissions de gaz à effet de serre nuisibles au climat, comme le souligne un nouveau rapport de l'organisation internationale GRAIN.
Sur la base des quotas négociés dans l'accord pour l'importation en franchise de droits de douane de certains produits agricoles, GRAIN a calculé leur empreinte climatique. Elle s'est appuyée sur les données de la FAO concernant l'impact climatique de ces produits. Résultat : par rapport à la situation actuelle, l'émission de gaz à effet de serre augmentera de 75 500 tonnes d'équivalents CO2 par an en raison de l'accroissement du commerce agricole. C'est 15% de plus qu'en 2019.
Viande, maïs et fromage problématiques
Ce calcul tient compte du commerce des dix produits ayant le plus d'impact sur le climat - bœuf, agneau et volaille, maïs, soja, blé dur, huile d'olive et lait en poudre - importés dans les pays de l'AELE, ainsi que des exportations de fromage de la Suisse et de la Norvège vers les pays du Mercosur. Une étude commandée par le Secrétariat d'État à l'économie (SECO) et réalisée par le World Trade Institute en juin 2020 avait calculé une augmentation des équivalents CO2 de 200 000 tonnes pour l'ensemble du secteur agricole et alimentaire. En revanche, l'étude GRAIN n'a examiné que le commerce des produits agricoles.
La Coalition suisse sur le Mercosur a déjà critiqué à plusieurs reprises le fait que l'accord prévu aura un impact négatif tant sur la situation de l'environnement et des droits humains dans les pays d'Amérique latine que sur l'agriculture en Suisse. Cet accord contribue à la destruction progressive des forêts tropicales et à l'utilisation de pesticides dangereux, dont certains sont interdits dans les États de l'AELE eux-mêmes. Mais il entraîne également une augmentation des importations de viande, dont la production ne répond en rien aux normes suisses en matière de bien-être animal et contredit les attentes légitimes des consommateurs. Ceci est inacceptable pour la Coalition suisse sur le Mercosur, car la politique commerciale ne doit pas aller à l'encontre des efforts de la Suisse en matière de politique climatique.
Renseignements : Isolda Agazzi, Alliance Sud, isolda.agazzi@alliancesud.ch, +41 79 434 45 60
Article
La Suisse tirée devant un tribunal arbitral
25.08.2020, Commerce et investissements
La Suisse n’est pas à l’abri de l’arbitrage international: pour la première fois une plainte a été déposée contre elle. C'est une occasion en or pour rééquilibrer les accords de protection des investissements en faveur des pays d’accueil.
© Isolda Agazzi / Alliance Sud
Une entité juridique basée aux Seychelles reproche à la Suisse un acte législatif vieux de 30 ans, qui interdit de revendre temporairement des immeubles non agricoles. Jusqu’à présent surtout des pays en développement étaient cibles de ce genre de plainte.
Tôt ou tard, cela devait arriver. Pour la première fois de son histoire, la Suisse fait l’objet d’une plainte devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), le tribunal arbitral de la Banque mondial qui statue sur les différends liés aux accords de protection des investissements. Ironie du sort, c’est un paradis tropical qui pourrait mener la Suisse en enfer: une entité juridique domiciliée aux Seychelles et contrôlée par un citoyen helvétique, qui prétend agir au nom de trois Italiens qui auraient essuyé des pertes en raison d’un arrêté fédéral urgent de 1989, qui interdit de revendre des immeubles non agricoles pendant cinq ans. Un document tellement vieux qu’on ne le trouve même pas sur internet… Le plaignant se base sur l’accord de protection des investissements (API) Suisse – Hongrie et réclame 300 millions de CHF de dédommagement. Sans surprise la Suisse conteste tout en bloc.
37 plaintes d’entreprises suisses contre des Etats
Aussi loufoque que paraisse cette affaire, elle montre que la Suisse n’est pas à l’abri de ce mécanisme décrié de l’arbitrage international, qui permet à un investisseur étranger de porter plainte contre l’Etat hôte – mais pas l’inverse – si ce dernier adopte une nouvelle réglementation pour protéger l’environnement, la santé, les droits des travailleurs, ou l’intérêt public.
Jusqu’à présent, Berne avait réussi l’exploit presque unique au monde d’y échapper, alors que 37 plaintes d’entreprises suisses (ou prétendument telles) ont été recensées à ce jour par la CNUCED. La dernière en date concerne Chevron contre les Philippines, sur la base du traité de protection des investissements Suisse – Philippines. Un cas sur lequel on ne sait presque rien, si ce n’est que l’affaire porte sur un gisement de gaz offshore. Chevron, entreprise suisse ? A priori, pas vraiment, mais la multinationale américaine a dû faire du «treaty-shopping » comme on dit dans le jargon, trouver que l’API Suisse – Philippines servait le mieux ses intérêts et réussi à se faire passer pour une entreprise helvétique. Ce alors même qu’elle est empêtré dans des affaires judiciaires en Equateur depuis des décennies pour avoir pollué l’Amazonie.
Supprimer l’ISDS
Cela fait des années qu’Alliance Sud demande à la Suisse de rééquilibrer les accords de protection des investissements avec les pays d’accueil (115 à ce jour, exclusivement des pays en développement) afin de mieux garantir leurs droits. Dernièrement, l’Afrique du Sud, la Bolivie, l’Equateur, l’Inde, l’Indonésie et Malte ont dénoncé les leurs et veulent en négocier de plus équilibrés, voire n’en veulent plus du tout. L’élément le plus contesté est précisément ce mécanisme de justice privée par voie d’arbitrage (ISDS) qui prévoit que l’investisseur choisit un arbitre, l’Etat accusé un autre et les deux se mettent d’accord sur un troisième. Trois juges qui peuvent condamner l’Etat à payer des compensations pouvant se chiffrer en centaines de millions de dollars. Alliance Sud demande de renoncer complètement à l’ISDS ou, au pire, de l’utiliser seulement en dernier ressort, après avoir épuisé les voies de recours internes.
Les Etats devraient pouvoir déposer une contre-plainte pour violation des droits humains
Si les accords de protection des investissements ne protègent que les droits des investisseurs étrangers, une première brèche en faveur du droit à la santé a été ouverte par la sentence de Philip Morris contre l’Uruguay (juillet 2016) qui a débouté le fabricant suisse de cigarettes sur toute la ligne. Une deuxième lueur d’espoir a jailli fin 2016, lorsqu’un tribunal arbitral a donné tort à Urbaser, une entreprise espagnole gérant la fourniture d’eau à Buenos Aires et qui avait fait faillite après la crise financière de 2001 – 2002. Les arbitres ont affirmé qu’un investisseur doit respecter les droits humains aussi. Pour la première fois, ils ont aussi accepté le principe de la « contre-plainte » de l’Argentine contre Urbaser pour violation du droit à l’eau de la population… sauf finir par statuer que, sur le fond, Urbaser n’avait pas violé le droit à l’eau( !) Ils ont considéré que la contre-plainte était recevable car l’accord de protection des investissements (API) Argentine – Espagne permet aux «deux parties» de porter plainte en cas de différend.
Secouer le cocotier
Ce n’est malheureusement pas le cas des API suisses, qui permettent seulement à l’investisseur de porter plainte et non aux deux parties[1]. La mise à jour des accords en cours, ou la négociation de nouveaux, est l’occasion d’introduire cette modification. Celle-ci reste cependant modeste puisque la plainte initiale est seulement du ressort de l’investisseur : des victimes de violation du droit à l’eau, à la santé, ou des droits syndicaux ne peuvent pas porter plainte contre des multinationales étrangères en premier. Ils ne peuvent, dans le meilleur des cas, que répondre à la leur.
Maintenant qu’un investisseur des Seychelles a secoué le cocotier, et quelle que soit l’issue de cette plainte, nous espérons que la Suisse fera des efforts sérieux pour rééquilibrer ses accords d’investissement. Désormais, c’est clairement dans son intérêt aussi.
[1] Cf. par exemple l’art. 10.2 de l’API avec la Géorgie, le plus récent API suisse.
Ce texte a été d'abord publié sur de blog de Isolda Agazzi «Lignes d'horizon» du Temps.
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Menace de plaintes en cascade contre les États
05.10.2020, Commerce et investissements
Le Pérou, le Mexique et l’Argentine sont menacés de plaintes par des multinationales pour des mesures adoptées pendant la crise. Le nombre de cas basés sur de traités helvétiques s’élève désormais à 37.
Pause déjeuner à l'entreprise K.P. Textil à San Miguel Petapa au Guatemala. Après l'éruption du Covid 19, des panneaux de plexiglas ont été installés pour se protéger de l'infection.
© Moises Castillo / AP / Keystone
On le redoutait, c’est arrivé. Comme le révèle le Transnational Institute, trois Etats latino-américains au moins sont menacés de plaintes devant des tribunaux arbitraux pour des mesures adoptées pour faire face à la pandémie. Début avril, le parlement péruvien a promulgué une loi qui prévoit la suspension du péage autoroutier pour faciliter le transport de biens et de travailleurs, alors que beaucoup de Péruviens ont perdu leur emploi. La réponse ne s’est pas fait attendre. Dès juin, plusieurs concessionnaires autoroutiers étrangers ont annoncé leur intention de traîner le Pérou devant des tribunaux arbitraux. Effrayée, la ministre de l’Economie a lancé un processus pour contourner la loi et conserver le paiement des péages, mais il pourrait être contraire à la constitution. On appelle cela le «chilling effect»: un gouvernement renonce à adopter une mesure d’intérêt public par peur de devoir payer des compensations très élevées à l’investisseur étranger, auxquelles s’ajoutent les frais de justice. La cour constitutionnelle péruvienne doit se prononcer sur la légalité de la mesure prise par l’exécutif et, en fonction de la sentence, les multinationales vont décider si déposer les plaintes ou pas.
Le Mexique et l’Argentine sur la sellette
Peu après, c’était au tour du Mexique de fâcher les investisseurs étrangers pour avoir imposé des restrictions à la production d’énergies renouvelables en raison de la baisse de la consommation d’électricité. Ni une, ni deux: des cabinets d’avocats spécialisés dans l’arbitrage international ont exhorté les multinationales à porter plainte contre Mexico. Des entreprises espagnoles et canadiennes ont expressément menacé de le faire.
C’était ensuite au tour de l’Argentine, qui s’enfonce toujours plus dans une crise sans fin. Le 22 mai le gouvernement a déclaré qu’il ne pouvait pas rembourser la dette envers les porteurs d’obligations étrangers, dont l’américaine BlackRock, la plus grande société de gestion de portefeuilles au monde. Au même moment, d’âpres négociations étaient en cours pour restructurer 66 milliards USD de dette publique, une mesure considérée comme nécessaire même par le FMI. Pourtant, le 4 août, l’Argentine a accepté de payer 54.8 USD pour chaque 100 USD de dette, un montant très proche des 56 USD demandés par BlackRock, alors que le gouvernement avait proposé d’en payer 39 USD.
Cette capitulation n’est pas due au hasard: le 17 juin, White and Case, le cabinet juridique de BlackRock, a menacé de considérer tous les moyens à sa disposition – une référence à peine voilée à l’arbitrage international – si l’Argentine n’acceptait pas les conditions de ses clients. C’est cette étude d’avocats qui avait permis à 60'000 créanciers italiens de gagner contre l’Argentine en 2016 (cas Abaclat), après qu’ils avaient refusé la restructuration de la dette proposée par le gouvernement pour faire face à la crise économique de 2001. Ils avaient empoché 1.35 milliards USD.
Lorsque les multinationales font du treaty-shopping
En Amérique latine toujours, la Bolivie a demandé de suspendre temporairement les processus d’arbitrage en cours dans deux litiges qui portent sur l’extraction minière, dont celui qui l’oppose à la multinationale suisse Glencore. La pandémie l’empêchant de fournir les documents requis, La Paz invoque un cas de force majeure. En vain. Cette plainte ne repose pas sur l’accord de protection des investissements (API) avec la Suisse, que la Bolivie avait déjà dénoncé, mais sur celui avec la Grande-Bretagne, la multinationale suisse étant arrivée à se faire passer pour anglaise.
Une autre entreprise qui pratique à son avantage le « treaty-shopping », à savoir la capacité de dénicher l’accord de protection des investissements le plus favorable et de se faire passer pour une entreprise du pays, via l’une de ses nombreuses filiales, est Chevron. La multinationale américaine, empêtrée dans une bataille juridique avec l’Equateur depuis trente ans pour pollution de l’Amazonie, a porté plainte contre les Philippines pour une affaire de plateforme de gaz offshore, sur la base de l’API Suisse – Philippines, visiblement plus favorable.
Ceci porte à 37 le nombre de plaintes basés sur des API suisses. L’année passée, Glencore a déposé une deuxième plainte contre la Colombie, après en avoir gagné une autre et touché plus de 19 millions USD de compensation.
La bonne nouvelle est que les menaces de plaintes contre des Etats qui ont adopté en désespoir de cause des mesures pour affronter la pandémie pourraient les convaincre de renoncer une fois pour toutes à ces accords, qui n’ont pas attiré autant d’investissements qu’ils l’espéraient. Ou du moins à exclure l’arbitrage international en tant que mécanisme de règlement des différends et à le remplacer par le recours aux tribunaux internes.
La réforme constitutionnelle du Chili menacée par des plaintes
Ces cas montrent aussi la nécessité de permettre aux Etats de porter plainte à leur tour contre les investisseurs étrangers qui violent les droits humains. C’est prévu dans quelques très rares API, mais pas dans ceux de la Suisse. C’est plutôt le contraire qui se passe: le groupe français Suez a menacé de plainte le Chili s’il re-municipalise la gestion de l’eau, comme souhaité par les habitants de la ville d’Osorno, dans le sud du pays. En cause : une coupure d’eau de dix jours survenue l’année passée, après que 2'000 litres de pétrole avaient été déversés dans l’usine d’eau potable gérée par la filiale de la multinationale française.
Les habitants s’étaient pourtant exprimés dans le cadre de la consultation sur la réforme constitutionnelle, dont le vote devrait avoir lieu le 25 octobre, si la crise du coronavirus le permet. Le plebiscito pourrait déclencher à son tour une avalanche de plaintes si la volonté populaire contredit les intérêts des investisseurs étrangers, très présents au Chili dans tous les secteurs, à commencer par les services publics. IA
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Communiqué
Il faut une loi qui lie économie et droits humains
07.03.2021, Commerce et investissements
Pour la première fois, la population suisse a pu se prononcer sur un accord de libre-échange. Le résultat serré du vote montre clairement qu'un changement de direction dans la politique économique est nécessaire. Alliance Sud, la Société pour les peuples menacés (SPM) et Public Eye réclament une loi qui assure la transparence et la cohérence de la politique économique extérieure. Après la votation d'aujourd'hui, le Conseil fédéral et le Parlement le doivent bien au peuple suisse.
Pendant la campagne, nos trois organisations ont contribué au débat avec des évaluations et des analyses différentes. Cela fait plus de dix ans que nous essayons d’amener la politique commerciale dans l’espace public et nous n’avions jamais vu un tel intérêt, c’est réjouissant !
Le résultat du référendum, un signal pour les futurs accords de libre-échange
Ceci montre que le commerce n'est plus l'apanage de négociateurs qui se rencontrent derrière des portes closes. Les gens sont de plus en plus critiques vis-à-vis des accords commerciaux qui portent atteinte à l'environnement et aux droits humains. C’est déjà évident dans les débats entourant les prochains accords de libre-échange (ALE) avec le Mercosur et la Malaisie. Il est actuellement peu probable que l'un ou l'autre de ces accords contienne des chapitres contraignants sur la durabilité ou que soit ancrée l'approche « PPM » si souvent décrite, qui, comme on le sait, lie les concessions douanières aux conditions de production. D'autres référendums suivront.
L'ALE avec la Chine en tant que point le plus bas des droits humains
Pourtant la Suisse ne dispose actuellement pas des bases légales pour faire face à des violations des droits humains que la politique économique extérieure contribue à aggraver. L’exemple le plus flagrant est l’accord de libre-échange (ALE) avec la Chine. L’existence du travail forcé dans les camps des Ouighours au Xinjiang est largement admise, mais la Suisse ne fait rien d’efficace pour empêcher que les produits issus de ces camps soient importés en Suisse, de surcroît à un tarif préférentiel, en vertu de l’accord de libre-échange. Selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), la dernière réunion du « comité mixte », où les questions de droit du travail pourraient être discutées dans le cadre de l'ALE avec la Chine, a eu lieu en 2016. Malgré cela, le Conseil fédéral affirme ne pas disposer des bases légales pour empêcher l’entrée en Suisse de produits issus du travail forcé et il s’est limité à organiser une table ronde avec les responsables du secteur textile pour « les informer » de la situation au Xinjiang. C’est insuffisant.
Il est temps d'adopter une loi sur l’économie extérieure
Si la Chine est un exemple flagrant, le commerce avec des pays qui violent gravement les droits humains – on pense à la Birmanie actuelle, à la Biélorussie, ou à l’Arabie Saoudite qui soutient la guerre au Yémen – est également soumis à très peu de conditions et de contrôles.
Alliance Sud, Public Eye et la Société pour les peuples menacés estiment que le moment est venu de proposer une loi sur l’économie extérieure pour soumettre toutes les activités commerciales aux droits humains, comme proposé par le professeur émérite Thomas Cottier dans un avis de droit mandaté par nos organisations. La population suisse le mérite.
Contact :
Isolda Agazzi, Alliance Sud, +41 79 434 45 60
Angela Mattli, Société pour les peuples menacés, +41 79 378 54 30
Thomas Braunschweig, Public Eye, 044 277 79 11
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Soudan du Sud contre une compagnie libanaise
06.02.2023, Commerce et investissements
Un tribunal arbitral a condamné Juba à payer 1 milliard USD à une compagnie de téléphonie mobile libanaise. Le Soudan du Sud veut faire appel devant un tribunal suisse.
Bergers au Soudan du Sud
© Sonia Shah
Un tribunal arbitral a condamné Juba à payer 1 milliard USD à Vivacell, une compagnie de téléphonie mobile libanaise dont il avait suspendu la licence d’exploitation pour non-paiement d’une redevance de 66 millions. Le siège juridique de l’arbitrage semble être en Suisse et le gouvernement veut faire appel devant un tribunal suisse.
Alors que le Soudan du Sud suscite l’intérêt des médias à cause de la visite du pape François, une autre actualité, toute aussi cruciale pour le pays le plus jeune et l’un des plus pauvres du monde, est en train de passer largement inaperçue. Fin janvier, Juba a été condamnée par la Cour internationale d’arbitrage à verser 1 milliard USD à Vivacell, une entreprise de téléphonie mobile appartenant au groupe libanais Al Fattouch. En cause : la suspension de sa licence d’exploitation en 2018, par suite de son refus de s’acquitter d’une redevance et de taxes s’élevant à 66 millions USD.
Un milliard USD, c’est une somme exorbitante, surtout en comparaison du PNB de ce pays d’Afrique, estimé par la Banque mondiale à moins de 12 milliards USD en 2015 (mais qui pourrait être beaucoup plus bas aujourd’hui en raison du covid) et dont le PNB par habitant de 791 USD est l’avant-dernier du monde.
Comment en est-on arrivés là ? Le ministre de l’Information et des services postaux, Michael Makuei Lueth, a expliqué à la presse locale que Vivacell avait obtenu sa licence en 2008 de New Sudan, une entité créée par le Sudan People’s Libération Movement (SPLM) de John Garang pendant la guerre civile. Selon les termes de la licence, d’une durée de dix ans, Vivacell était exemptée du paiement de toute taxe et redevance. Mais les choses ont changé en 2011, lorsque le Soudan du Sud est devenu un Etat indépendant. En 2018, le ministre affirme avoir demandé à l’entreprise libanaise de renégocier la licence et de s’acquitter de la redevance, ce qu’elle a refusé de faire.
Même si le contrat avait été conclu entre une entité non souveraine et le prestataire du service avant l’indépendance du Soudan du Sud, Vivacell veut continuer à opérer dans les conditions que lui avaient accordées New Sudan.
Appel en Suisse
« Nous sommes en train de faire appel devant un tribunal suisse, qui est le centre d’arbitrage », a déclaré Makuei à la presse locale, ajoutant que le gouvernement avait débloqué 4,5 millions USD pour payer les frais de justice et engager des avocats, suisses et internationaux. Le délai était le 16 janvier, mais le gouvernement aurait demandé une prolongation.
Le jugement n’étant pas publié par la Cour internationale d’arbitrage et la Mission du Soudan du Sud à Genève n’ayant pas répondu à nos questions, il est difficile d’en savoir plus. Rambod Behboodi, un spécialiste de l’arbitrage international basé à Genève, a accepté de nous donner son avis, à condition de spécifier qu’il se base uniquement sur les articles de presse.
« Bien que la Cour internationale d’arbitrage soit basée à Paris, les parties d’un contrat peuvent définir un siège juridique différent pour une dispute, comme cela semble être la Suisse dans ce cas, explique l’avocat. Cependant lorsqu’une sentence arbitrale est rendue en Suisse, l’appel auprès du Tribunal fédéral est très limité : ce dernier ne peut pas s’exprimer sur le fond de l’affaire, mais seulement sur le non-respect de la procédure ou l’excès de juridiction. »
Si le Soudan du Sud perd en appel, que se passe-t-il s’il ne paie pas le milliard ? « Vivacell peut essayer de faire exécuter la sentence arbitrale par les tribunaux suisses si le Soudan du Sud a des actifs dans ce pays, nous répond-il. Elle peut aussi essayer de la faire exécuter dans tout autre pays où Juba a des actifs. Mais elle doit faire face à des problèmes d’immunité souveraine en dehors du Soudan du Sud : vous ne pouvez pas faire exécuter une action privée contre un État souverain dans un pays tiers, sauf dans des circonstances spécifiques. »
Bien qu’on ne connaisse pas les détails de cette affaire en raison de l’opacité qui caractérise l’arbitrage international, pour Alliance Sud elle montre toute l’absurdité de cette forme de justice privée. Un arbitre a le pouvoir de condamner l’un des pays les plus pauvres du monde à verser l’équivalent d’un dixième ou plus de sa richesse nationale à un investisseur étranger qui refusait de s’acquitter d’une redevance de quelques dizaines de millions.
« C’est le cas typique où les deux parties auraient tout intérêt à avoir recours à une procédure de médiation et conciliation, plutôt que de s’écharper devant les tribunaux », conclut Rambod Behboodi, qui est en train de mettre sur pied une telle instance à Genève.
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Colombie : Glencore et les géants miniers
08.06.2023, Commerce et investissements
Alliance Sud a participé à une mission internationale de 17 membres d’ONG qui dénoncent les accords de protection des investissements, y compris celui conclu avec la Suisse. Reportage sur la Colombie et ses géants miniers.
Mural à El Rocio, la Guajira.
© Isolda Agazzi
La Cour constitutionnelle a suspendu l’expansion de la mine de charbon de Cerrejon, propriété de Glencore, et mis à la porte la canadienne Eco Oro. Les deux multinationales ont porté plainte contre la Colombie, qui a décidé de renégocier ses accords de protection des investissements, à commencer par celui avec la Suisse.
« Je n’en reviens pas que Glencore demande de l’agent à la Colombie pour un dommage qu’ils ont fait à notre territoire. Nous, on ne leur a rien fait… Je ne me lasserai jamais de défendre notre droit à l’eau !», s’exclame Aura devant une mission internationale dont fait partie Alliance Sud, venue en Colombie demander au gouvernement de résilier les accords de protection de investissements (API). Ceux-ci confèrent presque exclusivement des droits aux investisseurs étrangers et des obligations aux Etats d’accueil. De surcroît, ils sont assortis d’un mécanisme de règlement des différends unique en droit international, qui permet à une entreprise étrangère de porter plainte contre l’Etat d’accueil si elle s’estime lésée sur la base du traité en vigueur entre l’Etat d’origine et l’Etat d’accueil (ISDS). Mais pas l’inverse.
Nous rencontrons cette femme Wayuu à El Rocio, minuscule communauté autochtone située aux abords de Carbones de Cerrejon, la plus grande mine à ciel ouvert de charbon d’Amérique latine et propriété exclusive de Glencore.
Elle fait référence à une plainte déposée par la multinationale suisse devant le CIRDI, un tribunal arbitral de la Banque mondiale, sur la base de l’API entre la Suisse et la Colombie, et dont le montant du dédommagement demandé n’est pas public. La raison du courroux du géant suisse des matières premières ? La décision de la Cour constitutionnelle de suspendre l’extension de la mine par suite de la déviation de l’Arrojo Bruno (un affluent du fleuve Rancheria) pour exploiter le puits de charbon La Puente. La Cour a demandé à Cerrejon de mener une étude d’impact environnemental en sept points, la déviation étant susceptible d’affecter le climat de toute la région, et de consulter 21 communautés Wayuus.
14 sentences de la Cour constitutionnelle, aucune appliquée
« Ils ont déjà dévié 18 affluents du fleuve Rancheria, le seul qui passe en territoire wayuu, et tous se sont asséchés. Le Rio Rancheria lui-même est en danger », se désole Misael Socarras, l’un des auteurs de l’action en justice devant la Cour constitutionnelle, placé sous escorte par suite des menaces reçues et d’un essai récent d’attentat. Il nous montre le cours dévié de l’affluent, aux abords d’une immense décharge de la mine. « Autour des affluents déviés ce ne sont pas les mêmes arbres qui ont poussé, qui font de l’ombre et sont sacrés pour les Wayuus, mais des espèces intrusives. L’eau est contaminée, dans les limites permises par la législation nationale, certes, mais pas par l’OMS et alors même que l’eau fait partie de la cosmogonie wayuu. Nous demandons que l’Arrojo Bruno retrouve son cours naturel », martèle-t-il.
5’000 enfants Wayuus seraient morts au cours de la dernière décennie à cause du manque d’eau dans la Guajira, un département semi-aride, le plus pauvre de Colombie. « La Cour constitutionnelle colombienne est très progressiste, elle a émis 14 sentences en faveur des droits humains, mais aucune n’a été réalisée car les institutions ont peur des possibles plaintes de Glencore », souligne Luisa Rodriguez, de la Fondation Heinrich Böll.
Eco Oro a gagné une plainte dans le paramo de Santurban
Glencore n’en est pas à son premier essai. Elle a été la première multinationale à porter plainte contre la Colombie en 2016, empochant 19 millions USD de dédommagement, et en a déposé deux autres par la suite: celle relative à Cerrejon et une pour laquelle elle réclame 60 millions USD. D’autres pourraient suivre. De surcroît, elle a menacé de porter plainte trois fois pour des affaires dont on ne sait rien. A ce jour, la Colombie a dû faire face à 21 plaintes connues de multinationales étrangères, pour un total de 2,8 milliards USD au moins, la plupart liées à l’extraction minière et contestant l’introduction de nouvelles réglementations environnementales.
A ce jour elle en a perdu deux (la plupart sont en cours) : la première contre Glencore et une contre Eco Oro, dont le montant de l’indemnisation n’a pas encore été fixé, mais pour laquelle la compagnie minière canadienne réclame 698 millions USD. Comme pour Glencore, la plainte d’Eco Oro fait suite à une décision de la Cour constitutionnelle de fermer ses activités par suite d’une action en justice du Comité pour la défense de l’eau et du paramo de Santurban, une montagne culminant à plus de 4’000 m d’altitude au-dessus de la ville de Bucaramanga. Le Comité est une plateforme sociale et environnementale née il y a 14 ans, avec une large assise dans la population et qui affirme avoir réussi à faire descendre dans la rue 150’000 personnes pour la défense du paramo et de l’eau.
Mineurs artisanaux ancestraux
« La Cour constitutionnelle a déclaré qu’il ne peut pas y avoir de mine dans le paramo et a fixé la limite de celui-ci à 2’800 mètres d’altitude. Mais elle a aussi déclaré qu’il ne peut y avoir d’agriculture, ni d’élevage, ce qui crée un problème de subsistance pour les habitants et pour les deux villages de mineurs artisanaux qui s’y trouvent. Ceci a généré des malentendus malheureux entre les défenseurs de l’environnement et les habitants du paramo », regrette Juan Camilo Sarmiento Lobo, un avocat membre du Comité, alors que notre bus monte cahin caha sur des routes vertigineuses et passe devant la mine artisanale de El Volcan.
Le problème est complexe : les mines artisanales font partie du paysage de la montagne depuis le 16ème siècle, lorsque les conquistadores espagnols y ont trouvé de l’or et ont fondé Veta, étonnante petite ville coloniale aux typiques maisons blanches plantée à 3’000 d’altitude. « Certes, les mines artisanales créent des problèmes environnementaux, mais les gens en vivent et ont quitté l’agriculture pour s’adonner à cette activité. Nous promouvons l’éco-tourisme et l’agroécologie pour essayer de créer des sources alternatives de revenu, mais ce n’est pas facile », nous explique Judith, elle-même descendante d’une famille de mineurs artisanaux et convertie au tourisme durable et communautaire, nous faisant visiter une lagune perchée à 3’600 mètres d’altitude.
La mobilisation citoyenne paie, mais les avancées sont fragiles
« La mobilisation citoyenne paie, comme le montre le cas de Eco Oro, mais la multinationale est partie sans fermer la mine et des mineurs informels sont en train de creuser avec des explosifs et du mercure, probablement avec la complicité de l’armée. A deux reprises on a trouvé une quantité trop élevée de mercure dans l’eau de Bucaramanga », souligne un ingénieur environnemental membre du Comité, relevant au passage qu’il est dangereux de défendre l’environnement en Colombie car les mines sont gardées par l’armée et les paramilitaires.
Les militants écologistes soulignent que les avancées sont fragiles : l’entreprise émiratie Minesa a obtenu une concession en-dessous de 2’800 mètres d’altitude (la délimitation du paramo) et elle est en train d’explorer ailleurs. Ils regrettent aussi que le gouvernement ne sache même pas combien d’or est extrait par les entreprises et que celles-ci paient des royalties insignifiantes, de l’ordre de 3,2%.
La Colombie va renégocier ses API
Face à ces plaintes de multinationales étrangères, ou aux menaces qui freinent la mise en place de règles de protection de l’environnement, le gouvernement de Gustavo Petro – le premier de gauche de l’histoire de la Colombie – a annoncé qu’il allait renégocier tous les accords de protection des investissements. « Nous allons commencer par ceux avec les Etats-Unis et avec la Suisse, a déclaré Maria Paula Arenas Quijanos, directrice des investissements étrangers au ministère du Commerce, lors d’une audience publique organisée par la mission internationale au Parlement le 30 mai. Notre intention est de renégocier certaines clauses pour rendre ces accords plus équilibrés. »
Tout comme les autres membres de la mission internationale, Alliance Sud préférerait que la Colombie dénonce ses accords sans en renégocier de nouveaux, comme l’ont fait l’Equateur et la Bolivie. Si de nouveaux sont négociés, notamment avec la Suisse, elle demande d’exclure au moins le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etats (ISDS) et de le remplacer par l’obligation de saisir les tribunaux internes, ou par un mécanisme de règlement des différends d’Etat à Etat, précédé par une procédure de conciliation et de médiation.
Ce d’autant plus qu’un nouveau code minier est en cours d’élaboration, pour la première fois avec la participation des communautés affectées, qui prévoit l’introduction de nouvelles réglementations environnementales.
Reportage publié aussi dans Lignes d'horizon, le blog de Isolda Agazzi.
© Isolda Agazzi
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Communiqué
Libre-échange avec la Chine: nouvel avis de droit
12.11.2020, Commerce et investissements
L'actuel accord de libre-échange (ALE) entre la Suisse et la Chine n'offre aucune garantie que les produits issus du travail forcé n’entrent pas en Suisse à des conditions préférentielles.
© GfbV
Le Conseil fédéral devrait adopter sa stratégie Chine avant la fin de l'année. Entre-temps, les rapports alarmants sur la situation des droits humains dans ce pays se succèdent, notamment en ce qui concerne le recours systématique au travail forcé du peuple Ouighour. Toutefois, l'accord de libre-échange (ALE) avec la Chine n'offre pas à la Suisse la possibilité d’exclure l’importation de produits résultant du travail forcé, avec des préférences tarifaires. C’est la conclusion d’un nouvel avis de droit.
La crise du coronavirus montre de manière éclatante la forte dépendance économique des pays européens vis-à-vis de la Chine. C'est de là, par exemple, que proviennent la plupart des masques vendus en Suisse. Proviennent-ils du travail forcé ? Les recherches du New York Times ont révélé en tout cas que de nombreux fabricants de masques chinois ont recours au travail forcé. Dans la province chinoise du Turkestan oriental (Xinjiang), au moins un million de Ouïghours sont détenus dans des camps et des dizaines de milliers sont contraints de travailler dans des usines fournissant des marques internationales.
L'actuel accord de libre-échange (ALE) entre la Suisse et la Chine n'offre aucune garantie que les produits issus du travail forcé n’entrent pas en Suisse à des conditions préférentielles. En effet, "il ne contient aucune disposition pour la protection des droits humains", comme le précise un nouvel avis de droit du professeur bernois et expert en droit du commerce international Thomas Cottier.
Aucune possibilité de sanctions en matière de politique commerciale
Comme l'ALE ne fait pas de lien entre le commerce et les droits humains, M. Cottier estime que les chances d’ajuster le traité pour qu’il protège les droits humains sont minces. L'accord de coopération en matière de travail, que le Conseil fédéral met toujours en avant et qui est entré en vigueur avec l'ALE, n'offre pas de solution en cas de travail forcé systématique. Il n'est même pas certain que cet accord parallèle soit contraignant en droit international.
Comme l'ALE avec la Chine est basé sur le droit de l'OMC, la Suisse aurait la possibilité de recourir au mécanisme de règlement des différends de l'OMC pour les produits issus du travail en prison. Cependant, étant donné que la jurisprudence de l'OMC repose en grande partie sur des précédents et qu'aucune décision sur le travail forcé n'a encore été prise, cette option semble sans espoir, d'autant plus que le fardeau de la preuve, extrêmement difficile, incombe à la partie qui porte l'affaire devant le tribunal arbitral.
Le rapport recommande donc à la Suisse d’ancrer à l'avenir sa politique des droits humains dans le droit de l’économie extérieure. À cette fin, on peut imaginer une nouvelle loi sur l’économie extérieure qui, dans le cadre d'un processus démocratique, définisse les conditions de négociation des accords internationaux.
Appel à un nouveau départ de la politique suisse à l'égard de la Chine
Thomas Cottier confirme ainsi les craintes qu'Alliance Sud, la Société pour les peuples menacés et Public Eye avaient exprimées avant même la conclusion de l’accord de libre-échange. La devise du Conseil fédéral "le changement par le commerce" est considérée depuis longtemps comme obsolète dans le cas de la Chine. Il est impératif que la Suisse place la protection des droits humains et de ses propres valeurs au centre de ses relations avec la Chine. C'est également la conclusion à laquelle aboutit le dernier rapport du Service de renseignement suisse (SRS). Le Conseil fédéral adoptera sa première stratégie officielle sur la Chine à la fin de l'année. Dans ce contexte, Alliance Sud, la Société pour les peuples menacés et Public Eye appellent à donner la priorité aux droits humains par rapport aux intérêts économiques à court terme.
Informations et contact:
Angela Mattli, responsable de campagne, Société pour les peuples menacés (SPM), tél. +41 79 378 54 30
Isolda Agazzi, responsable commerce et investissements, Alliance Sud, tél. +41 79 434 45 60
Thomas Braunschweig, responsable de la politique commerciale, Public Eye, tél. 044 277 79 11
Afficher l'avis de droit du professeur Thomas Cottier (en allemand)
Afficher la campagne de la SPM: #NoComplicity: Les droits humains en Chine
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Article, Global
Russie : les sanctions au banc d’essai
21.06.2022, Commerce et investissements
Considérées comme le seul moyen d’arrêter la guerre sans intervenir militairement, les sanctions contre la Russie soulèvent beaucoup de questions : quel est leur objectif ? Et leur efficacité ?
Des Ukrainiens aux Etats-Unis manifestent devant la Maison Blanche et demandent des sanctions peu après le début de l’invasion russe.
© Foto: JIM LO SCALZO / EPA / Keystone
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février, les pays occidentaux ont adopté des sanctions sans précédent contre Moscou, qui ont reçu le soutien de 35 pays occidentaux – aucun pays en développement n’en a pris. La Suisse, qui s’est alignée sur les sanctions de l’Union européenne dans près de la moitié des cas au cours des vingt dernières années, a fini par les reprendre aussi car la pression internationale et interne devenait trop forte.
C’est la première fois que des sanctions ont même été prises contre la banque centrale d’un pays du G20, si bien qu’il est difficile pour l’heure de dire si elles vont fonctionner ou pas. Mais que veut dire « fonctionner » ? Quel est leur but ? Et l’impact sur la population, russe notamment ?
« Les sanctions ont un certain nombre d'objectifs qui se chevauchent et même les pays qui les adoptent ne savent pas toujours exactement lequel ils visent », relève Dmitry Grozoubinski, directeur exécutif de la Geneva Trade Platform. Pour la Russie, il y a quatre objectifs : le changement de régime ; le changement de politique ; l’asséchement financier de l’appareil militaire ; et l’expression du mécontentement de l’Occident. »
Changement de régime jamais atteint
L’ancien diplomate australien est catégorique : le premier objectif n’a jamais été atteint. Les sanctions n'ont jamais conduit à un changement de régime, sauf peut-être dans le cas de l'Afrique du Sud de l’apartheid. « Le peuple russe a l'habitude de se serrer la ceinture, surtout lorsqu'il se sent attaqué par des forces étrangères, souligne-t-il. Les sanctions financières pénalisent notamment les jeunes, les personnes instruites, la classe urbaine et beaucoup quittent le pays, alors même qu’ils seraient la meilleure chance de changer le régime. »
Quant au changement de comportement, il estime, tout comme Erica Moret, coordinatrice du Geneva International Sanction Network, que c’est plus compliqué : la Russie tient sans doute compte des sanctions, mais il est difficile de savoir si elles constituent un facteur déterminant pour décider de la poursuite de la guerre, l’ouverture de négociations diplomatiques, l’utilisation d’armes chimiques, le bombardement d’une école ou d’un hôpital.
En revanche, Dmitry Grozoubinski affirme qu’elles ont prouvé leur efficacité pour assécher les ressources militaires russes. Selon certains experts, les sanctions imposées à Moscou après l’annexion de la Crimée en 2014 expliquent son manque flagrant de technologie militaire de pointe : l’industrie de l’armement ne peut pas se procurer les composants sur les marchés occidentaux, notamment les semi-conducteurs, et il est peu probable que la Chine et l’Inde viennent combler ce vide.
Quant au côté symbolique des sanctions, l’expert relève que le signalement du désaccord des pays développés nécessite que les Européens acceptent d’en payer le prix - ce qui est en train de se passer, même s’ils ne sont pas prêts à couper complètement l’approvisionnement en gaz et en pétrole, pour l’instant du moins.
« L’économie russe est foutue »
Quant à l'impact sur la population russe, il serait assez sévère. Le Russe Maxim Mironov, qui est professeur à la IE Business School en Espagne, a tweeté que « l'économie russe est foutue ». Selon lui, la population va être particulièrement impactée par l’effondrement et le ralentissement de l’industrie manufacturière car les composants et les machines occidentales ne peuvent plus être importées. Ceci est vrai dans tous les domaines, 90% des semences de pommes de terre russes étant importées.
« L'un des défis du commerce est qu'une transaction internationale ne se résume pas à l'achat et à la vente : il faut des assurances, des finances, des sociétés de transport et la plupart ont arrêté les opérations par crainte des risques et du boycott, poursuit Dmitry Grozoubinski. De nombreux fabricants de médicaments continuent de vendre à la Russie, mais comment vont-ils faire s’il n’y a plus de navires, vu qu’aucun n’est prêt à embarquer une cargaison non assurée ? Et si les banques sont exclues du système Swift, les négociants basés à Genève se retrouvent face à des difficultés insurmontables. »
Sanctions de moins en moins ciblées
« Les sanctions sont de moins en moins ciblées, renchérit Erica Moret. Vers l’an 2000, après les crises humanitaires à Cuba, en Haïti, en Iraq et ailleurs, l’ONU et les différents gouvernements, dont les Etats-Unis, ont essayé d’adopter des sanctions ciblées – comme le gel des biens de plusieurs personnes ou sociétés, les restrictions de voyage, l’interdiction de vente et d’achat d’armes. Mais depuis vingt ans, on assiste de plus en plus à l’imposition de sanctions de facto exhaustives, qui portent sur des secteurs entiers, notamment les finances et l’énergie. Si sur le papier, elles restent ciblées, en pratique elles commencent à ressembler à un embargo sur un pays. On le voit avec l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, le Venezuela. Et les études montrent que les sanctions qui visent la banque centrale ou le secteur énergétique ont des impacts importants au niveau humanitaire, avec une hausse de l’inflation et du chômage. »
Selon la chercheuse, cependant, il est très difficile de mesurer l’impact des sanctions en les isolant des autres facteurs : corrélation ne veut pas dire cause. Au Soudan, au Venezuela et en Birmanie, par exemple, la situation humanitaire catastrophique ne peut pas être imputée seulement aux sanctions, mais aussi à l’oppression par le gouvernement, la corruption, la mauvaise gouvernance et les violations des droits humains. « C’est important de le souligner car le sujet est très politisé. Les sanctions sont toujours utilisées par les gouvernements comme argument pour dire qu’elles sont la cause de tous les problèmes, alors que d’autres facteurs entrent en jeu aussi. »
Problème d’overcompliance
Erica Moret souligne qu’en plus de l’élargissement des sanctions, l’entrée en vigueur d’autres règles anti-corruption et anti-blanchiment d’argent, que le secteur privé et les banques sont obligés de suivre, ajoute encore à la complexité. Elle relève « un problème de surconformité » (over compliance) par peur d’attraper des amendes qui peuvent atteindre des milliards, si bien que certaines banques préfèrent se retirer entièrement de pays comme la Syrie ou l’Iran. « L’overcompliance et le de-risking [le fait de minimiser les risques] sont souvent plus importants que les sanctions, car même les plus strictes prévoient des dérogations qui, en théorie, laissent passer le commerce de médicaments, de nourriture, etc., Mais la surconformité se retrouve dans toute la chaîne d’approvisionnement, dans l’assurance, le transport, la technologie... »
Pour Erica Moret, s’il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de ce phénomène sur la Russie, il est certain que le boycott des multinationales est lié aussi bien aux sanctions qu’à une question de réputation et de responsabilité sociale. D’un point de vue symbolique, il joue un rôle important car il montre à la population russe que la plupart des entreprises occidentales sont contre la guerre et cela aide à renforcer le message de la « communauté internationale. » Mais l’un des risques des sanctions larges est que la population soutienne encore plus le gouvernement, surtout dans les pays où les médias sont contrôlés. Si la fuite de produits de luxe n’a pas d’impact humanitaire, celle des entreprises de médicaments, de nourriture et de technologie essentielle peut en avoir un.
L’ONU dénonce l’impact des sanctions sur les droits humains
Le 25 mars 2022, huit experts de l’ONU – dont les rapporteurs spéciaux sur le droit à l’alimentation, à la santé et à l’eau potable – ont appelé les Etats à tenir compte de l’impact humanitaire lorsqu’ils imposent des sanctions.
Ils écrivent : « Les sanctions unilatérales qui visent les systèmes fiscaux, y compris les transferts de fonds ainsi que d'autres transactions financières internationales, et qui sont liées aux besoins fondamentaux d'une population, vont à l'encontre du principe fondamental des droits de l'homme qui consiste à "élever le niveau de vie". Elles sont inacceptables. [..] Les banques et les entreprises ne doivent pas empêcher ni être empêchées de commercer et de livrer de la nourriture, de l'eau, des équipements médicaux, des médicaments et des vaccins vitaux, des pièces de rechange, des équipements ou des réactifs nécessaires à la maintenance des infrastructures critiques, dans un esprit de diligence raisonnable et de responsabilité des entreprises pour protéger les droits de l'homme. »
Selon Erica Moret, les sanctions ne sont qu’un outil parmi d’autres, à côté de la diplomatie et des bons offices. Elles affectent plus un pays fortement intégré dans l’économie globale, comme la Russie, qu’un pays déjà isolé. Alliance Sud exhorte la Suisse et la communauté internationale à veiller à ce que les sanctions n’aient pas un impact démesuré et inutile sur la population.
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Communiqué
Une première pierre est posée
21.03.2023, Commerce et investissements
Lors de sa séance d'aujourd'hui, la Commission de politique extérieure du Conseil national (CPE-N) a adopté une initiative visant à réviser la « Loi fédérale sur les mesures économiques extérieures ».
L'initiative de commissioni demande au Conseil fédéral de modifier la loi afin de garantir la protection des droits humains et des standards environnementaux dans les accords commerciaux de la Suisse. Public Eye et Alliance Sud soutiennent cette première étape, mais demandent en même temps une loi complète sur l’économie extérieure. La guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine et l’attitude agressive de la Chine vis-à-vis de Taïwan montrent que la Suisse doit asseoir sa politique économique extérieure sur une nouvelle base.
Public Eye et Alliance Sud critiquent depuis longtemps les lacunes de la base légale pour l'élaboration d'une politique économique extérieure suisse durable et équitable. La nécessité d'une meilleure prise en compte de l'impact des accords commerciaux sur les droits humains s'est récemment manifestée dans le cas de produits importés de la région chinoise du Xinjiang et soupçonnés d'être issus du travail forcé. La courte victoire dans la votation populaire sur l’accord de libre-échange avec l’Indonésie montre aussi clairement qu’une grande partie du peuple est favorable à une réorientation de la politique économique extérieure de la Suisse. Les deux organisations saluent donc l'orientation de l'initiative de commission adoptée aujourd’hui et la prise de conscience de la nécessité d'une plus grande transparence et participation parlementaire dans cet important domaine.
Pour sa légitimité démocratique, la politique économique extérieure a toutefois besoin de toute urgence d'une base juridique plus solide. C'est pourquoi Public Eye et Alliance Sud demandent une loi complète sur l'économie extérieure qui aille nettement plus loin que l'initiative de commission. La loi doit fixer un cadre clair pour les relations économiques avec des États totalitaires et définir des processus pour gérer les fréquents conflits d’objectifs de manière à promouvoir les intérêts économiques suisses à l’étranger en accord avec les objectifs de politique extérieure et les engagements internationaux de notre pays.
Plus d'informations auprès de :
Thomas Braunschweig, tel: 044 277 79 11
Andreas Missbach, tel: +41 31 390 93 30
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Communiqué
Un pas en faveur des droits des paysan-ne-s du Sud
21.03.2023, Commerce et investissements
La Commission de politique extérieure du Conseil national veut supprimer les clauses relatives à la protection des variétés végétale dans les accords commerciaux – un pas vers plus de souveraineté alimentaire pour les petit-e-s paysan-ne-s du Sud.
La clause de protection des variétés végétales doit à l’avenir être supprimée des accords de libre-échange négociés par la Suisse. La Commission de politique extérieure du Conseil national a adopté une initiative parlementaire en ce sens. La coalition « Droit aux semences » (Alliance Sud, Action de Carême, FIAN, EPER, Public Eye, Swissaid, Uniterre) salue ce pas vers plus de souveraineté alimentaire pour les petit-e-s paysan-ne-s du Sud et de la protection de la biodiversité.
Par 13 « oui », 7 « non » et 4 abstentions, la commission a adopté l’initiative déposée par le conseiller national Nicolas Walder (Vert-e-s/GE) et donné un signal clair : elle veut que la Suisse ne contraigne plus ses partenaires commerciaux à mettre en œuvre les directives de la Convention internationale sur la protection des obtentions végétales UPOV 91 par le biais d’une clause. La clause en question figure dans chacun des mandats de négociation des accords de libre-échange de la Suisse avec d’autres pays et oblige ces derniers à adopter des lois sur la protection des variétés végétales conformes à l’UPOV 91. Cette disposition interdit aux paysans d'échanger ou de vendre des semences qu'ils produisent eux-mêmes, s’il s’agit de variétés protégées. Même la multiplication destinée à leurs propres besoins n’est autorisée que de manière limitée et soumise à paiement.
Aujourd'hui, la Suisse a toutefois fait un pas en faveur du respect des droits des paysan-ne-s sur les semences. « Ces droits permettent aux petit-e-s paysan-ne-s d’améliorer leur sécurité alimentaire et de protéger la biodiversité », explique Simon Degelo, responsable du dossier semences et biodiversité chez SWISSAID.
Droit à la libre utilisation
Les pratiques séculaires des paysan-ne-s consistant à réutiliser, échanger ou vendre les semences produites dans leurs propres champs sont indispensables à la sécurité alimentaire dans les pays du Sud. Elles garantissent l'approvisionnement en semences et jouent un rôle central dans le maintien et le développement de la diversité des cultures. C'est pourquoi les droits des paysan-ne-s de reproduire, d'utiliser, d'échanger et de vendre des semences sont inscrits dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysan-ne-s (UNDROP) ainsi que dans le Traité international sur les semences de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La clause UPOV restreint ces droits à l'échelle mondiale : « La Suisse doit défendre le droit aux semences et donc le droit à l'alimentation », complète Tina Goethe, codirectrice du département politique de développement et priorités thématiques de l'EPER.
La coalition suisse « Droit aux semences » compte désormais sur la Commission de politique extérieure du Conseil des États pour qu’elle vote elle aussi en faveur de cette initiative parlementaire.
Initiative parlementaire « Plus de clause relative à l'UPOV dans les mandats de négociations des accords commerciaux suisses » - 22.492
Personnes de contact :
Simon Degelo, responsable semences et biodiversité SWISSAID, tél. : +41 76 824 00 46
Tina Goethe, codirection du département politique de développement et priorités thématiques, EPER, tél. : +41 76 516 59 57
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