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Communiqué
183 661 signatures récoltées par des bénévoles en 14 jours
21.01.2025, Responsabilité des entreprises
Plus de 10 000 bénévoles des quatre coins du pays ont récolté les signatures nécessaires pour la nouvelle initiative pour des multinationales responsables en un temps record. Cette récolte record souligne le soutien important de la population à l’initiative.

Malgré des températures froides, des bénévoles se sont engagés ces deux dernières semaines dans toute la Suisse et ont parlé aux passants de la nouvelle initiative pour des multinationales responsables - avec un succès record.
Communiqué de presse de la Coalition pour des multinationales responsables du 21 janvier 2025. Alliance Sud est membre de la Coalition pour des multinationales responsables.
Un large comité composé de personnalités issues d’un vaste spectre politique, d’entrepreneurs et de représentant·e·s de la société civile a lancé le 7 janvier 2025 la nouvelle initiative pour des multinationales responsables. Celle-ci oblige les multinationales comme Glencore à respecter les droits humains et les normes environnementales dans leurs activités commerciales.
Depuis le 7 janvier, des bénévoles ont organisé plus de 1000 stands afin de récolter les signatures nécessaires en un temps record. En seulement 14 jours, 183 661 signatures ont été récoltées, qui vont maintenant être authentifiées.
L’ancien conseiller d’État et ancien conseiller national PLR Claude Ruey, membre du comité d’initiative, commente : « Je n’ai encore jamais vu une cause pour laquelle autant de personnes s’engagent pendant leur temps libre. Des stands ont été organisés à travers tout le pays au cours des deux dernières semaines, aussi bien dans les villes qu’à la campagne. Le fait que 183 661 signatures aient été récoltées en seulement 14 jours est extraordinaire ! Cela montre clairement l’ampleur du soutien à l’initiative pour des multinationales responsables au sein de la population et combien nos concitoyennes et concitoyens partagent un grand sens de la justice ».
La Suisse sera bientôt le seul pays sans responsabilité des multinationales
En 2020, lors de la campagne de votation sur la première initiative pour des multinationales responsables, les opposant·e·s avaient soutenu qu’en cas d’adoption de l’initiative, la Suisse introduirait « une responsabilité civile unique au monde ». Le Conseil fédéral avait combattu l’initiative en affirmant qu’il fallait agir « de manière coordonnée au niveau international » et mettre les entreprises en Suisse et dans l’UE « sur un pied d’égalité ».
Depuis, différents pays européens comme l’Allemagne et la Norvège ont introduit des lois sur la responsabilité des multinationales et l’Union européenne a adopté une directive sur le devoir de diligence au printemps 2024. Pourtant, la discussion n’avance pas en Suisse
Les scandales régulièrement rendus publics montrent qu’il faut agir
Jusqu’à ce jour, des multinationales dont le siège est en Suisse violent régulièrement les droits humains et les normes environnementales fondamentales : une mine de Glencore pollue une région entière au Pérou, des raffineries d’or telles que MKS Pamp importent de l’or problématique en Suisse, la multinationale genevoise IXM, active dans le négoce de métaux, laisse environ 300 000 tonnes de déchets hautement toxiques en décharge en Namibie ou encore certaines multinationales du chocolat profitent jusqu’à aujourd’hui du travail des enfants.
L’initiative pour des multinationales responsables permettra de mettre un terme à de telles pratiques commerciales.
Informations complémentaires :
Juliette Müller, Responsable Suisse romande de la Coalition pour des multinationales responsables
077 496 85 17, juliette.muller@responsabilite-multinationales.ch
- Images des stands de récolte de signatures
- Texte d’initiative avec explications succinctes
- Comité d’initiative
- Exemples de violations des droits humains et de destruction de l’environnement
Personne de contact pour les médias :
Claude Ruey, ancien Conseiller d'Etat et ancien conseiller national PLR (VD)
079 210 84 13 (disponible à partir de 10h45)
Communiqué
Une nouvelle initiative pour des multinationales responsables, pour que la Suisse ne fasse pas cavalier seul
07.01.2025, Responsabilité des entreprises
Un large comité composé de représentant·e·s d’un vaste spectre politique, de l’économie et de la société civile présente aujourd’hui à Berne la nouvelle initiative pour des multinationales responsables. L’initiative oblige les multinationales à respecter les droits humains et les normes environnementales dans leurs activités commerciales.

Derrière la clôture, on voit Antapaccay, une gigantesque mine de cuivre de Glencore au Pérou. Des études montrent qu'elle empoisonne l'air, l'eau et les sols au milieu de territoires autochtones. © Jacob Balzani Lööv
Communiqué de presse de la Coalition pour des multinationales responsables du 7 janvier 2025. Alliance Sud est membre de la Coalition pour des multinationales responsables.
Jusqu’à ce jour, des multinationales dont le siège est en Suisse violent régulièrement les droits humains et les normes environnementales fondamentales : une mine de Glencore pollue une région entière au Pérou, des raffineries d’or telles que MKS Pamp importent de l’or problématique en Suisse, la multinationale genevoise IXM, active dans le négoce de métaux, laisse environ 300 000 tonnes de déchets hautement toxiques en décharge en Namibie ou encore certaines multinationales du chocolat profitent jusqu’à aujourd’hui du travail des enfants. Pour le conseiller national du Centre Stefan Müller-Altermatt, les choses sont claires : « Ce comportement nuit à la réputation de notre économie et doit cesser ».
Ces exemples montrent aussi que le contre-projet à la première initiative pour des multinationales responsables, qui a été introduit dans une large mesure à la demande des associations du lobby des multinationales et qui se concentre sur le reporting, est resté sans effet.
La Suisse sera bientôt le seul pays sans responsabilité des multinationales
En 2020, lors de la campagne de votation sur la première initiative pour des multinationales responsables, les opposant·e·s avaient soutenu qu’en cas d’adoption de l’initiative, la Suisse introduirait « une responsabilité civile unique au monde ». Le Conseil fédéral avait combattu l’initiative en affirmant qu’il fallait agir « de manière coordonnée au niveau international » et mettre les entreprises en Suisse et dans l’UE « sur un pied d’égalité ».
Depuis, différents pays européens comme l’Allemagne et la Norvège ont introduit des lois sur la responsabilité des multinationales et l’Union européenne a adopté une directive sur le devoir de diligence au printemps 2024. Pourtant, la discussion n’avance pas en Suisse. Gauthier Corbat, entrepreneur et Codirecteur du Groupe Corbat SA commente : « La Suisse sera bientôt le seul pays d’Europe sans responsabilité des multinationales. Cela n’est pas acceptable. La Suisse doit procéder de manière coordonnée au niveau international ».
L’initiative prévoit des règles contraignantes pour les multinationales
La nouvelle initiative « Pour des grandes entreprises responsables – pour la protection de l’être humain et l’environnement » veut obliger les multinationales suisses à respecter les droits humains et les normes environnementales dans leurs activités commerciales et à réduire leurs émissions nocives pour le climat. Les obligations prévues par l’initiative s’inspirent étroitement des normes internationales dans le domaine et des nouvelles règles adoptées dans l’UE. Elles s’appliquent aux multinationales à partir de 1000 employé·e·s et 450 millions de francs de chiffre d’affaires. Dans le secteur des matières premières, particulièrement à risque, les grandes entreprises qui n’atteignent pas ces valeurs seuil doivent également être couvertes.
Avec l’initiative, Glencore devrait par exemple enfin prendre des mesures pour stopper la pollution constatée depuis des années sur le site de la mine Antapaccay, au Pérou, et réparer les dommages causés.
Pour que toutes les multinationales respectent ces nouvelles règles, l’initiative prévoit que les personnes concernées par des violations des droits humains puissent demander des réparations auprès d’un tribunal suisse. Il est en outre prévu qu’une entité de surveillance fasse des contrôles aléatoires pour s’assurer du respect des obligations, comme cela est également prévu dans les autres pays européens.
« L'initiative met en œuvre un principe de l'État de droit qui me tient à cœur en tant que libéral: le principe de responsabilité. Celui qui n’assume pas ses responsabilités doit en assumer les conséquences et répondre de ses actes », commente l’ancien conseiller national et ancien conseiller d’État PLR Claude Ruey.
Pour le comité d’initiative, il est important de faire une proposition pragmatique. C’est pourquoi, dans le nouveau texte d’initiative, quelques concessions aux opposant·e·s à la première initiative pour des multinationales responsables ont été faites, afin de tenir compte de la discussion déjà menée en Suisse. Ainsi, la responsabilité civile ne s’applique pas aux fournisseurs et sous-traitants, contrairement à ce que prévoit la directive européenne ; la répartition du fardeau de la preuve est réglée de manière plus ouverte que dans la première initiative et les PME sont exclues du champ d’application de l’initiative.
Une récolte de signatures en 30 jours
L’initiative est portée par un large comité composé de personnalités issues d’un vaste spectre politique, d’entrepreneurs ainsi que de représentant·e·s de la société civile. À cela s’ajoutent des milliers de personnes qui avaient déjà suspendu un drapeau à leur fenêtre ou balcon en soutien à la première initiative et qui s’engagent aujourd’hui pour que les 100 000 signatures nécessaires soient récoltées en seulement 30 jours. Pour atteindre ce record de récolte, des bénévoles ont organisé plus de 1000 stands à travers toute la Suisse durant le mois de janvier. Un tel record enverra un signal fort pour que les multinationales soient enfin tenues de répondre de leurs actes lorsqu’elles violent les droits humains et détruisent l’environnement.
Informations complémentaires :
Juliette Müller, Responsable Suisse romande de la Coalition pour des multinationales responsables
077 496 85 17, juliette.muller@responsabilite-multinationales.ch
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PERSPECTIVE SUD
Pourquoi le monde devrait écouter les voix yéménites
29.11.2024, Autres thèmes
La population yéménite sait ce dont elle a besoin. Les élites politiques doivent désormais l'écouter. Opinion de Hisham al-Omeisy

Après un accord d’échange de prisonniers entre le gouvernement du Yémen et les Houthis, des proches attendent les personnes libérées à l’aéroport de Sanaa. © picture alliance / AA / Mohammed Hamoud
En mars, le conflit toujours en cours au Yémen est entré dans sa neuvième année. Un conflit qui a mis à genoux une nation fière, la mienne. Nous abordons cette dixième année de guerre avec des infrastructures détruites, des services de base inexistants et très peu d'espoir. Pourtant, nous entendons rarement des échos directs de la population sur la manière dont la guerre a affecté sa vie et ses communautés, et sur ce qu'elle souhaite pour l'avenir. Il faut que cela change.
Le caractère polarisant du conflit yéménite est marqué par l'ingérence régionale, la corruption et le tribalisme. S'y ajoutent des intérêts personnels à courte vue et le népotisme, ce qui a divisé la société et complètement déchiré son tissu social.
Lorsque la guerre a débuté, des groupes opportunistes de différents camps sont entrés en scène pour combler le vide créé par l'effondrement du gouvernement et de l'Etat. Alors que ces groupes prenaient de l’ampleur et renforçaient leur influence dans tout le pays, la grande majorité des Yéménites, hommes et femmes, sont restés muets face à la violence armée, politique, sociale et culturelle. Depuis lors, le citoyen lambda n'a guère eu la possibilité d'exprimer ses opinions ou ses besoins, même si la situation est préoccupante : l'ONU estime que plus de 80 % de la population dépend d'une forme d'aide. Près de 400 000 personnes ont été victimes de la guerre. Plus de 4 millions ont été déplacées. Des millions d'autres sont traumatisées. Pourtant, on n'en entend guère parler de première main.
Une enquête menée par l’Institut européen de la paix (European Institute of Peace) auprès d'environ 16 000 personnes au Yémen a révélé que plus des trois quarts d'entre elles ne voient pas leurs besoins reflétés ou représentés de manière adéquate dans tout l'éventail thématique des discussions qui touchent à leur vie. Cela s’applique aussi bien aux pourparlers de paix qu’aux priorités locales comme la fourniture de services de base, les opportunités économiques et les moyens de subsistance, la résolution des problèmes environnementaux et les négociations sur l'échange de prisonniers.
L'enquête a également souligné que la souffrance des gens et leurs idées de changement sont bien plus diverses que tout ce qui est abordé dans les discussions sur la fin de la guerre. Le fossé entre l'élite politique et les citoyennes et citoyens moyens ne pourrait pas être plus béant.
Des contestataires lors d’une manifestation à Sanaa, au Yémen, accusent l’étranger d’être en partie responsable du déclin de l’économie yéménite. © Reuters / Mohamed al-Sayagh
Participation de la communauté à la paix
C'est pourquoi le peuple du Yémen a toujours davantage le sentiment que ses besoins et ses préoccupations ne font pas partie de ce que la communauté internationale demande pour son pays et que les efforts de paix officiels sont à mille lieues des réalités sur le terrain.
Le conflit imprègne tous les domaines de la vie. Des questions comme la sécurité et l'économie sont étroitement liées. Pourtant, les acteurs des négociations de paix ne semblent pas avoir conscience de la dynamique locale et des réalités historiques et culturelles qui pourraient faire échouer même les efforts les plus cohérents et les plus sincères.
Des initiatives journalistiques telles que le Yemen Listening Project constituent une lueur d'espoir. Ce dernier a interrogé des Yéménites, femmes et hommes, sur les effets de la guerre sur leur vie et offre ainsi un espace de résonance aux voix yéménites.
Pathways for Reconciliation, une plateforme nationale indépendante soutenue par l’Institut européen de la paix et lancée l'année dernière, offre à la population yéménite la possibilité d'exprimer son opinion, d'exercer son influence et de trouver des moyens de faire valoir ses revendications. Elle veut servir de porte-voix à la population, l'impliquer davantage dans le débat sur la réconciliation et la paix et l'encourager à discuter des problèmes qui lui tiennent à cœur au niveau local et national et à œuvrer à leur solution.
Il est clair que les gens veulent parler. Il y a un grand besoin d’aménager des espaces et de prendre du temps pour des approches de résolution des conflits avec la participation réelle de la population yéménite, afin de garantir une paix durable et équitable. On peut très bien imaginer que les moyens ne se limitent pas à accorder une place à un ou deux représentant-e-s de la société civile à la table ronde, afin que les points de vue de l’ensemble des Yéménites soient entendus et représentés de manière adéquate.
N'oublions pas le potentiel des communautés locales. Il vaut la peine d'y investir dans des dialogues qui peuvent montrer la voie de la réconciliation. Cela permettrait de faire un pas majeur vers le renforcement du tissu social endommagé au Yémen.
Mais par où commencer ? Tendons la main aux Yéménites, femmes et hommes, et écoutons-les afin de mieux comprendre ce qu'ils ont vécu au cours des neuf dernières années. Aidons-les à formuler leurs priorités et découvrons les scénarios de paix qu'ils souhaitent.
Il est urgent de créer des opportunités de faire entendre les voix inaudibles du peuple yéménite aux décideurs du pays et à la communauté internationale. Nous devons veiller à l'implication et à la prise en compte de la population dans l’esprit d'une véritable participation ; ce n'est qu'ainsi que le processus de paix pourra être redéfini et conçu de manière globale, holistique et réaliste.
En comblant le fossé entre les connaissances de la population locale et de l'élite, nous pouvons contribuer à ce qu'un futur accord de paix soit effectivement couronné de succès. Et c'est en fin de compte ce que les habitantes et habitants du Yémen désirent vraiment.

Hisham al-Omeisy, analyste yéménite des conflits est conseiller principal auprès de l'Institut européen de la paix.
Ce témoignage a été à l’origine publié par « The New Humanitarian », une organisation qui met un journalisme indépendant de qualité au service des millions de personnes touchées par les crises humanitaires dans le monde. On consultera le site www.thenewhumanitarian.org pour un complément d’information. « The New Humanitarian » décline toute responsabilité quant à l’exactitude de la traduction.
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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
PERSPECTIVE SUD
De l'écran à la rue
03.10.2024, Autres thèmes
L'activisme en ligne peut-il être converti en gestion des conflits hors ligne ? Les technologies numériques ne peuvent contribuer à la promotion de la paix que si elles sont rendues accessibles, abordables et utilisables par les parties en conflit, selon Medinat Malefakis.

Mobilisation numérique, foules analogiques : En juin dernier, des manifestations à Nairobi et dans tout le Kenya ont fait capoter des augmentations d’impôts prévues. © Keystone/AFP/Patrick Meinhardt
Depuis quelques années, les technologies numériques façonnent la manière dont les gens interagissent, les sociétés se transforment et les conflits surgissent. Elles sont devenues centrales dans l'organisation des mouvements sociaux, déterminent l'orientation des conflits et sont utilisées par les groupes insurgés, d'ISIS à Al-Qaida, pour des campagnes de « terropreneuring ». Elles sont devenues indispensables aux mouvements démocratiques et politiques ainsi qu'à l'activisme de la société civile. On l'a vu lors du printemps arabe au Proche-Orient et en Afrique du Nord, dans le mouvement Black Lives Matter contre les violences policières aux Etats-Unis ou encore dans la sensibilisation aux violations des droits humains commises par les troupes gouvernementales dans la crise anglophone persistante au Cameroun. D'autres exemples sont les manifestations planétaires de solidarité pour l'Ukraine ou les activités liées au conflit entre Israël et le Hamas : les médias sociaux ont toujours joué un rôle décisif.
Le domaine d'application des technologies numériques a évolué au même rythme que leur essor et leur diffusion. Leur potentiel de démocratisation, leur accessibilité et leur facilité d'utilisation en tant qu'outils d'interface — il suffit d'un téléphone portable et d'un compte X, Facebook ou Instagram — ainsi que leur anonymat physique sont autant d'éléments qui rendent les médias sociaux attrayants pour un large éventail d’usages et de buts. Au Nigeria, par exemple, un mouvement de protestation a exigé une plus grande responsabilité de la part du gouvernement, ce qui a conduit à l'abandon de la suppression des subventions prévues pour le carburant en janvier 2012. En 2024, poussés par la génération Z, les manifestants kényans ont forcé le gouvernement à annuler une hausse d'impôts suite à une forte mobilisation sur les médias sociaux.
En maints endroits, les technologies numériques et les plateformes de médias sociaux sont également devenues des théâtres de répression étatique contre lesquels les citoyennes et les citoyens se défendent et revendiquent leurs droits fondamentaux garantis par la constitution. Dans des pays comme le Nigeria, les protestations sont réprimées en ligne et hors ligne (protestations #EndSARS en 2020 et #EndBadGovernance en 2024) ; les gouvernements répressifs coupent les réseaux de médias sociaux afin de brider davantage leurs citoyen-ne-s. C'est par exemple le cas au Myanmar, au Soudan et en Iran, où Internet a été coupé au moins cinq fois rien qu'en 2021.
Détecter les conflits à un stade précoce
Les technologies numériques fournissent des informations sur des aspects jusqu'ici inconnus de la dynamique des conflits. Lors des manifestations #ENDSARS au Nigeria, les médias sociaux ont permis d’attester des violences policières. Après que les forces de l'ordre ont eu recours à la violence et aux gaz lacrymogènes contre les manifestantes et les manifestants, les vidéos et les photos publiées sur les médias sociaux ont fourni des preuves précieuses contre les tentatives gouvernementales de manipuler l'opinion publique et de nier les attaques. Le mouvement pour la paix tire de tels enregistrements la rhétorique du contexte conflictuel et peut mieux analyser la dynamique du conflit. Il est ainsi possible d'élaborer des approches de promotion de la paix adaptées aux différentes dynamiques. Dans les régions en conflit comme le Nigeria, il s'agit d'un facteur clé pour intégrer les identités ethniques, religieuses et multisociales dans la promotion de la paix. Les informations fournies par les technologies numériques sont également cruciales pour déterminer comment les conflits se préparent et se déroulent. Sur cette base, il est possible d'analyser le moment précis où un conflit se transforme d'un échange dans l'espace numérique en une explosion de violence hors ligne. L'analyse des tendances de la chambre d’écho et des hashtags permet d'identifier les points de basculement dans les discussions en ligne, les discours de haine, les tensions entre groupes et communautés, une vulnérabilité émotionnelle accrue, voire des informations mensongères (fake news), et d'intervenir pour apaiser les tensions avant que le chaos ne règne en ligne.
Réunir les parties en conflit
Dans le cas des protestations au Kenya, la plate-forme X a été utilisée pour réunir les parties en conflit (les manifestants et le président Ruto). Une interaction directe s'en est suivie, qui a permis de résoudre rapidement certaines questions. La mise en relation des acteurs du conflit via les médias sociaux et les technologies numériques rend cette phase de consolidation de la paix transparente, démocratique et ouverte. D’où un échange « d'égal à égal » : les divers protagonistes gouvernementaux et non gouvernementaux ont la possibilité d'échanger leurs récits et leurs perspectives, ce qui crée de la confiance et de l'assurance.
Dans l'analyse des conflits, les technologies numériques sont indispensables non seulement pour réunir les acteurs, mais aussi pour reproduire les conversations. Pourquoi est-ce pertinent ? Dans un contexte conflictuel, il arrive parfois que les conversations s'écartent du sujet réel du conflit. Dans les médias sociaux, les « artisans de la paix » peuvent suivre quel aspect d'un contexte conflictuel est mis en avant dans les conversations en cours. L'utilisation de Twitter lors de l'enlèvement massif d'écolières à Chibok (Nigeria) en est un exemple. À l'époque, la conversation sur le conflit de Boko Haram a été détournée vers la campagne « Bring Back Our Girls ». Un autre exemple est le détournement de la discussion sur Boko Haram vers les violations des droits humains et les exécutions extrajudiciaires par l'armée nigériane. Des vidéos de meurtres, de passages à tabac et de mutilations commis par les forces de sécurité sur des extrémistes présumés de Boko Haram se sont répandues sur les réseaux sociaux. Cela a revêtu une grande importance, car les homicides extrajudiciaires ont eu lieu dans des communautés directement touchées par Boko Haram et ont constitué un élément essentiel des programmes de médiation et de consolidation de la paix qui ont suivi.
Des pistes pour le dialogue de médiation
Pour permettre des discussions inclusives dans les diverses phases de la gestion des conflits, les applications de médias sociaux peuvent être très utiles, d'autant plus que les boucles de discussion permettent de constater la volonté et la réceptivité des parties au conflit pour les processus de médiation et de paix. La médiation et la consolidation de la paix à l'aide des technologies numériques sont tout à fait déterminantes dans les régions en conflit où, aux yeux de la population, le gouvernement est engagé dans une chasse aux sorcières dans l'espace numérique ou dans lesquelles les coupures d'Internet sont généralisées, comme au Myanmar, en Éthiopie, en Iran et en Russie.
La consolidation de la paix à l'aide des technologies numériques ne fonctionne toutefois que si ces outils sont accessibles, abordables et utilisables par les protagonistes des conflits et les groupes d'intérêt. Par ailleurs, les opérateurs de téléphonie mobile et les plateformes de médias sociaux doivent adhérer au principe de non-ingérence et les applications de microblogging doivent être sensibles aux antécédents historiques des conflits.

Medinat Abdulazeez Malefakis est maître de conférences au Centre pour le développement et la coopération de l'EPF de Zurich et responsable national du Fonds mondial pour les survivant-e-s au Nigéria.
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global
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Communiqué
Ensemble et plus vite vers une Suisse durable
25.09.2024, Agenda 2030
Réunies sur la place fédérale, 17 personnalités du monde scientifique, de l’économie, de la jeune génération, du sport, de la culture et de la société civile appellent à accélérer ensemble la mise en œuvre de l’Agenda 2030, auquel la Suisse a souscrit il y a 9 ans jour pour jour. Notre pays prend un retard inquiétant dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD).

© Martin Bichsel
Communiqué de la Plateforme Agenda 2030
Réunies sur la place fédérale, 17 personnalités du monde scientifique, de l’économie, de la jeune génération, du sport, de la culture et de la société civile appellent à accélérer ensemble la mise en œuvre de l’Agenda 2030, auquel la Suisse a souscrit il y a 9 ans jour pour jour. Notre pays prend un retard inquiétant dans la réalisation des objectifs de développement durable (ODD).
Les personnalités dirigeantes s’appuient sur des résultats qu’elles ont obtenus déjà et promettent de décider et d’agir au mieux pour la durabilité. Elles reflètent les milliers de personnes impliquées en entreprises, dans les institutions scientifiques et académiques, dans la société civile - qui orientent déjà leurs activités vers une économie circulaire, la préservation du climat, la réduction des inégalités en particulier.
A l’occasion du SDG Flag Day, une chanteuse de yodel et un lanceur de drapeau à l’effigie des 17 ODD ont rappelé, près du Palais fédéral, que l’Agenda 2030 s’inscrit dans notre constitution et dans nos traditions vivantes.
Rencontrer nos personnalités
L’appel lancé ce 25 septembre relève des succès comme des reculs : « La Suisse progresse dans quelques domaines, par exemple en augmentant la part de l’agriculture biologique ou en développant les énergies renouvelables. L’évolution d’autres domaines est en recul ou stagne : la pauvreté comme les inégalités s’accroissent en Suisse et dans le monde, le déploiement d'une mobilité sans obstacles prend du retard et la diversité des espèces s’érode. En outre, notre pays exporte une part importante de son impact sur le climat, l’environnement et les droits humains : deux tiers environ de notre empreinte sont générés à l’étranger. »
Président de la Fédération suisse des entreprises et présent sur place, Christophe Barman déclare notamment: « Je suis persuadé que (l’économie) doit être la solution et se mettre activement en mouvement vers la transition. Je m’engage à catalyser les entreprises pionnières et à œuvrer pour des conditions cadres favorables à l’entrepreneuriat responsable. » Valérie d’Acremont, professeure et médecin responsable de secteur à Unisanté, promet pour sa part : « Je m’engage à continuer d’œuvrer dans mon travail en tant que médecin et professeure ainsi que par des engagements militants pour rendre nos systèmes de santé plus efficients, durables et robustes, dans le respect des limites planétaires et en assurant une équité entre les diverses personnes et régions du monde. » Directrice de la Plateforme Agenda 2030, Eva Schmassmann ajoute : « Le développement durable est un défi tellement vaste qu’il nécessite beaucoup de collaboration afin d’éviter de se sentir dépassé. La Plateforme vise justement à renforcer les liens dans l’idée « Ensemble, nous sommes plus fort∙e∙s ».
Pour de plus amples informations:
Pierre Zwahlen, président, 079 615 44 33
Rianne Roshier, responsable partenariats, 079 746 54 16
https://ensemble-pour-les-odd.ch/
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Interview
Décevant à mi-parcours
31.07.2024, Agenda 2030
A l'ONU, les Etats du monde entier ont défini 17 objectifs de développement durable (ODD) à atteindre d'ici 2030. Les résultats intermédiaires concernant cet Agenda 2030 viennent d'être examinés à New York. Johann Aeschlimann s'est entretenu avec deux membres de la délégation suisse, Markus Reubi, chef de délégation, et Andreas Lustenberger de Caritas, représentant de la société civile.

Markus Reubi, délégué du Conseil fédéral pour l'Agenda 2030 (1er depuis la gauche) et Andreas Lustenberger, responsable du secteur Etudes et Politique de Caritas Suisse (2e depuis la droite) avec des membres de la délégation officielle suisse au FPHN à New York. © Caritas
Johann Aeschlimann est auteur et écrit régulièrement pour l'Association suisse de politique étrangère (ASPE / SGA). Il a travaillé au service diplomatique de la Suisse et a couvert l'actualité en tant que journaliste à Berne, Washington D.C., Bruxelles et Bonn. Cet entretien a d'abord été publié par l’ASPE / SGA.
MM. Reubi et Lustenberger, pourquoi l'Agenda 2030 est-il important ?
Reubi : Il s'agit du seul cadre d'action mondial pour le développement durable. Les 193 Etats l'ont approuvé au sein de l'ONU. Il porte sur les normes sociales, l'équité, la durabilité écologique et économique et énonce 17 objectifs et 169 sous-objectifs. C’est un cadre clair, ambitieux et complet.
Comment le développement est-il mesuré et contrôlé ?
Reubi : Des indicateurs sont formulés pour chaque objectif et affinés en permanence. La Suisse apporte d'ailleurs une contribution importante dans ce contexte via l'Office fédéral de la statistique. Chaque année, les 193 Etats membres de l'ONU se réunissent à New York pour le Forum politique de haut niveau (FPHN) et discutent des résultats intermédiaires, sous une forme approfondie pour une poignée d'objectifs. Cette année, les objectifs 1 (pauvreté), 2 (faim), 13 (climat) et 16 (sociétés pacifiques et ouvertes à tous, dotées d'institutions efficaces) étaient mis en avant. Certains pays peuvent par ailleurs, de leur propre initiative, rendre compte de leur mise en œuvre. A l'exception de deux Etats membres de l'ONU, tous ont fait usage de cette possibilité au moins une fois, la Suisse pour la dernière fois en 2022.
Si nous continuons ainsi, nous atteindrons à peine 17 pour cent des objectifs. Nous avons fait un pas en arrière dans la lutte contre la pauvreté. Le constat est le même pour la faim.
Andreas Lustenberger
Et quel bilan intermédiaire peut-on tirer ?
Lustenberger : Le bilan est décevant. Si nous continuons sur cette voie, nous n'atteindrons que 17 % des objectifs. Nous avons fait un pas en arrière dans la lutte contre la pauvreté et nous stagnons maintenant. Le constat est le même pour la faim.
Est-ce une conséquence du COVID ?
Lustenberger : Pas seulement. La guerre contre l'Ukraine a affecté l'approvisionnement mondial en céréales et provoqué un renchérissement des denrées alimentaires qui a eu des effets considérables dans le Sud global. De même, le réchauffement climatique en cours entraîne des pertes de récoltes et nous assistons malheureusement à une recrudescence des guerres civiles et des conflits. Le monde traverse une crise multiple.
Au début de la guerre, on parlait beaucoup des livraisons de céréales via la mer Noire, mais moins maintenant. Le problème a-t-il été gommé ?
Lustenberger : Dans les pays concernés, la situation ne s'est certainement pas améliorée. L'inflation est toujours là, mais on n'en parle pas.
Reubi : L'amélioration de la sécurité alimentaire reste une préoccupation majeure des pays en développement. Beaucoup mettent également en cause les sanctions occidentales. Dans ce contexte, la politisation de l'Agenda 2030 a malheureusement gagné du terrain.
Comment cela s'est-il traduit à New York ?
Lustenberger : Dans la déclaration finale, les pays en développement (le G77) ont fait pression à la demande du Nicaragua pour que les sanctions soient condamnées comme entraves au développement. J'ai été choqué qu’ils aient trouvé une majorité. Après tout, ces sanctions ne sont pas prises sans raison. Il s'agit de la réponse aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité. Si des pays comme l'Afrique du Sud ou le Chili n’en tiennent pas compte, je me demande ce qu'ils sont prêts à faire d'autre.
Comment la Suisse a-t-elle voté ?
Reubi : Nous avons voté contre, surtout pour des raisons de procédure. La demande d'une annexe dans la déclaration finale, négociée bien plus tôt, est arrivée très tard. Elle a mis en péril le consensus — et celui-ci est crucial pour réaliser ensemble la vision d'un développement durable.
Lustenberger : L’UE s'est abstenue, peut-être parce qu'elle n'était pas d'accord en interne.
La Chine prône le « développement d'abord », ce qui signifie le développement économique d'abord, les droits humains et le reste ensuite. Est-ce que cela s'est ressenti à New York ?
Reubi : La Chine était très présente et a fait pour la première fois une déclaration au nom du « group of friends » de sa propre « global development initiative ». Le discours est insidieux. Il est difficile de s'y opposer. Mais il faut savoir que les droits de l'être humain, l'égalité, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et d'autres éléments centraux de l'Agenda 2030 ne sont pas mentionnés. Si des pays comme la Suisse ne s'engagent plus pour ces valeurs et délaissent la mise en œuvre de l'Agenda 2030 dans son ensemble, ce discours se renforcera.
Lustenberger : La Chine finance aujourd'hui 20 % de l'ensemble du système de l'ONU, par lequel transite une grande partie des fonds publics de développement. C'est beaucoup et cela devient perceptible lorsqu'il s'agit de savoir qui participe à la définition des valeurs qui sont mises en avant par ces organisations.
Il ne s’agit plus d’un simple agenda de développement, mais d’un développement durable pour la planète entière. Vue sous cet angle, la Suisse est également un pays en développement.
Markus Reubi
Les différents pays peuvent rendre compte de l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Le font-ils ? Tous ?
Lustenberger : Les seuls pays qui n’ont jamais produit de rapport sont les Etats-Unis et la Corée du Nord. Tous les autres ont soumis au moins un rapport.
Reubi : La Suisse le fait tous les quatre ans, la dernière fois en 2022 et la prochaine en 2026. Nous devons aussi nous efforcer d'atteindre les objectifs de l'Agenda 2030. Par exemple, dans le domaine de l’objectif 2 (la faim) également. Nous ne connaissons pas de faim extrême, mais nous avons d’autres problèmes nutritionnels auxquels il faut remédier. Gaspillage, suralimentation et obésité, production et consommation durables. Il ne s’agit plus d’un simple agenda de développement, comme c’était le cas avec les précédents « objectifs du Millénaire », mais d’un développement durable pour la planète entière. Vue sous cet angle, la Suisse est également un pays en développement.
Lustenberger : Tout à fait.
Reubi : Un pays en développement dans l’esprit du développement durable.
Lustenberger : Des pays comme le Mexique, l'Équateur, le Costa Rica ou le Kenya ont fourni des données. Dans leurs rapports sur la pauvreté, ils montrent aussi ce qui s'est détérioré. Concernant l'objectif 16, la bonne gouvernance, la paix, la lutte contre la corruption, l'inclusion, les gouvernements autoritaires ne répondent pas partout à tout, même lorsqu'il s'agit par exemple de la participation de la société civile.
Nous prônons une réduction de la dette. La dette des pays du Sud est une entrave au développement.
Andreas Lustenberger
Les pays du Sud réclament surtout plus d'argent pour la mise en œuvre des objectifs de durabilité. L'argent est-il la seule chose qui manque ?
Lustenberger : Le problème est en effet que l'argent ne suffit pas pour atteindre les objectifs partout. Mais la mise en œuvre de l'Agenda 2030 est une tâche qui incombe à tous. Si les gouvernements, souvent autocratiques, mettent en avant leurs propres intérêts, l'argent seul ne suffira pas.
Reubi : On nous interpelle fréquemment sur la coopération au développement. Mais ce qui dérange encore plus les pays africains, c'est de constater que leurs projets sont si chers. Un projet solaire en Afrique coûte bien davantage qu'un projet comparable en Europe, car les primes de risque élevées empêchent le secteur privé d'y investir. La Suisse s'engage à améliorer les conditions-cadres sur place.
Lustenberger : Nous prônons une réduction de la dette. La dette des pays du Sud est une entrave au développement. Sa réduction ne mettrait pas à genoux un pays comme la Suisse.
Sur le plan politique, le vent souffle dans une autre direction. À Berne, le Parlement suisse réduit le budget de la coopération au développement afin de libérer des fonds pour l'aide à l'Ukraine.
Lustenberger : Nous faisons le même constat dans d'autres pays similaires. Nous sommes contre toute réduction et demandons une augmentation des budgets de la coopération au développement. Une part importante de ces fonds est destinée à l'aide multilatérale des agences de l'ONU. Si cette aide est réduite, des pays comme la Chine, qui ont d'autres priorités, s’engouffreront dans la brèche. Nos préoccupations seront affaiblies, notamment dans le domaine de l'objectif 16. Notre classe politique n’est pas assez consciente des conséquences à long terme d’une telle situation. Je regrette qu'il manque actuellement au parlement des personnalités fortes qui s'engagent pour une politique étrangère économique prévoyante de la Suisse.
L'économie suit-elle le mouvement ?
Reubi : Nous sommes en train de dialoguer. Je pense que l'économie a découvert les ODD. Elle parle plutôt d'objectifs « ESG » (pour Environnement, Social, Gouvernance). L'année dernière, les plus grandes entreprises ont dû établir pour la première fois des rapports de durabilité. Des entreprises qui n'y seraient pas obligées le font également. Elles s’y mettent parce que de jeunes employés, des clients, des fournisseurs ou encore des banques impliquées dans le financement le demandent. Et parce que la durabilité fait désormais partie de la stratégie.
Quel bilan tirez-vous après les consultations à New York ?
Lustenberger : Pour moi, c'est à la fois décevant et motivant. Décevant, parce que nous ne sommes pas sur le point d’atteindre les objectifs. Motivant, parce que je vois qu'il ne suffit pas d'agir de manière bilatérale ou nationale. La voie multilatérale compte également. La Suisse fait du bon travail dans ce domaine, mais elle doit poursuivre la marche en avant.
Reubi : Pour moi, les rapports nationaux sont une expérience de plus en plus positive. Tout comme l'engagement de nombreuses villes individuelles qui ont été présentes ici et qui ont fait part de leurs préoccupations.
Markus Reubi est diplomate au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et délégué du Conseil fédéral pour l'Agenda 2030.
Andreas Lustenberger est membre de la direction de Caritas, où il dirige le secteur Études et politique.
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DERRIÈRE LES GROS TITRES
Un paradis de façade
28.06.2024, Autres thèmes
Des eaux turquoise et cristallines, du sable blanc et des palmiers : Cayo Albuquerque est superbe, mais c'est aussi un point de transit pour les êtres humains et la cocaïne.

Sur deux îles minuscules près de la côte du Nicaragua se retrouvent des pêcheurs, mais aussi des garde-côtes, des soldats colombiens et des personnes en fuite vers le nord. © Karin Wenger
Le voyage de Panama aux Bahamas dure une dizaine de jours environ en voilier. Pour nous, il prend fin après 18 heures déjà. Au milieu de la nuit, par une mer agitée, nous découvrons que de l'eau de mer s'est infiltrée dans le bateau. Nous devons jeter l'ancre en urgence pour trouver la fuite et la colmater. La terre la plus proche est presque aussi éloignée que le Panama. C'est un minuscule atoll comptant deux îles : Cayo Albuquerque. À première vue, c'est un paradis. L'atoll est un territoire colombien même s’il est bien plus proche du Nicaragua que de la Colombie. Il y a ici deux îles si petites qu'on en fait le tour en dix minutes. Sur l'une d’elles vivent des soldats colombiens. Ils viennent du continent, sont jeunes, et certains voient la mer pour la première fois. Leur mission est d'empêcher le Nicaragua de s'emparer des îles et d'éviter qu'elles ne deviennent un lieu de transit pour les êtres humains et la cocaïne. Mais si les soldats ont Internet, l'électricité et la radio, ils n’ont pas de bateau. On pourrait presque dire qu’ils sont prisonniers sur leur propre îlot. Les petites embarcations des pêcheurs sont amarrées devant la seconde île. Ils viennent de l'île voisine de San Andrés, plus grande, et restent dans l'atoll jusqu'à ce qu'ils puissent repartir avec suffisamment de thon, de barracudas, de maquereaux et de homards. Sur leur îlot, il y a ni électricité ni eau, mais des bateaux avec lesquels certains ne transportent pas que du poisson.
Nous sommes épuisés et soulagés lorsque nous jetons l'ancre entre les deux îles. Nous avons réussi, nous n'avons pas coulé. Nous trouvons bientôt la fuite entre la baille à mouillage, le coffre à voiles et la cabine et la réparons. C’est à ce moment que surgit un autre problème : il y a du jeu dans le palier de ligne d’arbre. Il faut sortir le bateau de l'eau. Le moteur ne devrait plus être utilisé. Nous devons retourner à Panama à la voile, sauf qu’il n’y aura pas de vent ces trois prochaines semaines. Nous jetons donc l'ancre ici et nous nous rendons vite compte que ce coin de terre inconnu est peut-être un paradis pour nous, mais que pour d'autres, c'est un point de passage sur une route infernale.
Des femmes avec des enfants, des vieux et des jeunes. Ils n'avaient rien d'autre que les vêtements qu'ils portaient sur eux. Bien sûr, nous avons partagé.
Brinell Archbold, Pêcheur
« Ils étaient assis ici, là et encore ici, et attendaient. Des femmes avec des enfants, des vieux et des jeunes. Ils n'avaient rien d'autre que les vêtements qu'ils portaient sur eux. Ils mendiaient de l'eau et de la nourriture. Bien sûr, nous avons partagé », raconte Brinell Archbold, l'un des pêcheurs. Il montre du doigt le bosquet de palmiers où des canettes vides et d'autres déchets ont été lancés parmi les broussailles. Eux, ce sont des réfugiés en route vers le nord. Destination : les États-Unis. La plupart viennent du Venezuela. Près de huit millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 2014 à la recherche d'une vie meilleure. Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, il s'agit de l’exode le plus massif de l'histoire récente de l'Amérique du Sud et de l'une des pires crises de réfugiés au monde (voir global #88). Afin de contourner la dangereuse jungle du Darién entre la Colombie et le Panama et pour sauter le Panama et le Costa Rica, ils s'envolent du territoire colombien vers l'île de San Andrés. Là, ils sont pris en charge par des pêcheurs et emmenés à Cayo Albuquerque, puis transportés vers le nord par des Nicaraguayens. « Certains passeurs promettent aux réfugiés de les emmener au Mexique ou aux Bahamas, mais ils les transportent ensuite à Albuquerque pour économiser du carburant et les laissent échoués ici », explique Daniel Acosta, de la garde côtière, lorsque celle-ci se présente un jour à l'atoll pour fouiller notre bateau. Plus tard, les hommes visitent aussi l'île des pêcheurs, trouvent des Nicaraguayens illégaux, mais les laissent partir. Un bateau rempli de cocaïne semble les intéresser davantage qu'un bateau de réfugiés. Après quelques jours seulement, ils trouvent ce qu’ils cherchent, à quelques miles d'Albuquerque : une petite embarcation rapide transportant 3,3 tonnes de cocaïne.
Je sais ce que c’est d’être en fuite. J'ai moi-même fui les FARC et les paramilitaires
Pêcheur local à Cayo Albuquerque
« Je sais ce que c’est d’être en fuite. J'ai moi-même fui les FARC et les paramilitaires », raconte un vieux pêcheur avec lequel je passe une journée en mer à pêcher sur son bateau branlant. Le pêcheur avait lui-même fui voilà trente ans, lorsque les FARC et les paramilitaires avaient tué des dizaines d'hommes dans son village des hauts plateaux. Depuis, il travaille comme pêcheur même s’il ne sait pas nager. Selon lui, la surpêche a réduit les stocks de poissons et ses revenus. « Avant, nous pêchions autant en un jour qu'aujourd'hui en une semaine. » C'est pourquoi il a cherché un revenu supplémentaire en devenant passeur. Pour un transport de réfugiés de San Andrés à Albuquerque, il a reçu 400 dollars américains de la part de commanditaires. Plusieurs fois, tout s'est bien passé ; mais à une autre occasion, alors qu'il avait 14 Vénézuéliens à bord de sa petite embarcation, le moteur est tombé en panne et n'a pas redémarré. « Nous n'avions pas de nourriture et peu d'eau. Je leur ai dit alors que les enfants avaient la priorité, qu’ils auraient droit à un demi-verre d'eau par jour, et que les adultes pourraient boire un bouchon plein pour se mouiller la bouche. » Pendant cinq jours, ils ont dérivé ainsi. À la fin, ils ont été sauvés par le courant qui les a poussés tout droit vers la côte du Nicaragua. Là, les réfugiés ont disparu en suivant leur propre chemin. D'autres ont eu moins de chance. En octobre 2023, un bateau de réfugiés a disparu alors qu'il se rendait de San Andrés au Nicaragua. On n'a toujours aucune trace des 35 Vénézuéliens qui avaient embarqué. Après avoir été rejeté sur la plage du Nicaragua, le pêcheur a été ramené à San Andrés. Depuis lors, il ne transporte plus de réfugiés.

Karin Wenger a été correspondante de la radio SRF pour l’Asie du Sud-Est. Pendant un congé sabbatique elle rédige pour « global » des commentaires sur des conflits et des événements oubliés dans le Sud global.
Plus d’informations ici :
www.karinwenger.ch
www.sailingmabul.com
ou dans le podcast « BoatCast Mabul ».
© Karin Wenger
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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
PERSPECTIVE SUD: Élections en Inde
L’élu sape la plus grande démocratie du monde
27.06.2024, Autres thèmes
Le Premier ministre Narendra Modi a été réélu début juin pour un troisième mandat. Alors qu’il s'est profilé à l’étranger comme la « voix du Sud global », il a provoqué de profondes tensions sociales à l’intérieur du pays.

Sur un temple d’Ayodhya, Narendra Modi se tient à gauche et la divinité hindoue Lord Ram à droite. Modi a fait construire un temple hindou sur une mosquée détruite. © Biplov Bhuyan / IMAGO / SOPA Images
Article invité de CHARWAKA *
Des représentant-e-s de la société civile ont soulevé des questions fondamentales sur la manière dont la campagne électorale était menée, et notamment sur le silence persistant sur les déclarations dénigrantes de Modi sur les musulmanes et les musulmans. Le 21 mai, plus de 120 organisations non gouvernementales ont exprimé publiquement leur sérieuse inquiétude quant à une éventuelle manipulation dans le dépouillement des votes. « Nous avons un objectif sérieux et limité : que la volonté du peuple se reflète dans les élections, quel qu'en soit le résultat. Si tel n’est pas le cas, la société civile doit s'y opposer et faire respecter les droits civils du peuple », a lancé Prabhakar Parakala au nom des organisations de la société civile. Mais c'est à nouveau Modi qui s'est imposé au final, avec une victoire moins nette que prévu.
Rhétorique douteuse
Après la première phase du scrutin du 19 avril, qui a vu une faible participation et a été considérée comme un revers mineur pour les chances électorales du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), Modi a lancé l'une des campagnes les plus haineuses et les plus anxiogènes contre les musulmans de l'Inde indépendante. Avec ses discours incendiaires, Modi voulait rallier les hindous, qui représentent 80 % des 1,4 milliard d'habitants du pays. Il a considéré les 200 millions de musulmans vivant en Inde comme des « envahisseurs » et comparé le manifeste de son rival et principal parti d'opposition, le Congrès national indien, à l'historique Ligue musulmane pro-pakistanaise.
Le Premier ministre est un partisan de l'idéologie politique de l'hindutva, qui implique la justification culturelle du nationalisme hindou et la croyance en l'établissement d'une hégémonie hindoue en Inde. Dans des circonstances normales, les attaques répétées de Modi contre les musulmans auraient entraîné une sanction sévère, allant jusqu'à l'exclusion des élections. Mais la principale autorité de régulation du pays, la Commission électorale, est restée silencieuse.
Ses directives éthiques énoncent pourtant sans équivoque : « Aucun parti ou candidat ne peut s'engager dans des activités susceptibles d'exacerber les différences existantes, de générer une haine mutuelle ou de créer des tensions entre différentes castes et communautés, religieuses ou linguistiques. » La Commission électorale a néanmoins ignoré de nombreuses plaintes contre la campagne clivante de Modi.
Attaques contre la société civile
Une société civile dynamique, dotée d'institutions indépendantes et impartiales comme les médias, le système judiciaire et des autorités de surveillance indépendantes, est une condition préalable indispensable à l'existence d'une démocratie. Tout régime qui se chargera de saper ces institutions ne peut que transformer la démocratie en autocratie autoritaire.
Les développements en Inde au cours de la dernière décennie du gouvernement Modi (2014-24) semblent indiquer que le pays a régressé dans tous les principaux domaines de la gouvernance. Scrutant les libertés démocratiques dans divers pays, l'institut V-Dem basé à Göteborg a classé l'Inde comme « l'une des pires autocraties » dans son rapport 2024 sur la démocratie.
Malgré quelques jugements notables rendus par la Cour suprême, le fonctionnement indépendant du pouvoir judiciaire semble avoir été mis à mal, selon plusieurs experts juridiques. Jamais dans l'histoire récente de l'Inde les médias, en particulier les médias indépendants qui utilisent Internet, n'ont été autant pris pour cibles. « Compte tenu de la violence contre les journalistes, de la forte concentration des médias et de leur orientation politique, la liberté de la presse est en crise dans la plus grande démocratie de la planète », indique le dernier classement publié par Reporters sans frontières (RSF) en mai.
L'Inde occupe désormais la 159e place sur 180 pays examinés par RSF. À l'approche des élections, il y a eu au moins 134 violations de la liberté d'expression en Inde entre janvier et avril, selon l'organisation Free Speech Collective. Parmi les personnes concernées, on trouve des journalistes, des universitaires, des YouTubers ainsi que des étudiantes et des étudiants.
Les activistes des droits humains et de l'environnement ont aussi fait l'objet d'un harcèlement permanent au cours de la dernière décennie, qui s'est traduit par des peines de prison de plusieurs années. Lors de l'une des pires attaques contre les militantes et militants pour les droits humains, le gouvernement Modi a arrêté 16 personnes, dont des professionnels des médias, des poètes, des avocats, hommes et femmes, et un père jésuite, en vertu des lois draconiennes du pays.
L'inégalité des revenus à son plus haut niveau
Les performances économiques de l'Inde n’incitent pas non plus à l’optimisme, même si le pays est considéré comme l'économie à la croissance la plus rapide selon le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Une étude récente de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la hausse du chômage en Inde a révélé que le chômage des jeunes était nettement plus élevé dans les zones urbaines que dans les zones rurales et touchait plus souvent les jeunes gens de 15 à 19 ans que les jeunes plus âgés, de 20 à 29 ans. Selon la même étude, le taux de chômage des femmes était nettement plus élevé que celui des hommes en 2019, mais il a diminué pour atteindre le même niveau en 2022.
Pire encore, l'inégalité des revenus en Inde a atteint le niveau le plus élevé parmi les pays du monde sous l'ère Modi. Un récent rapport d'économistes, dont Thomas Piketty, indique : « Entre 2014/15 et 2022/23, l'augmentation des inégalités dans le haut de l’échelle est particulièrement prononcée, en termes de concentration des richesses. » Il est donc clair que la confirmation du gouvernement de Narendra Modi pour un troisième mandat de cinq ans entraînera d'autres revers et plongera l'Inde dans un abîme de difficultés sociales, économiques et politiques.
* CHARWAKA : L'auteur de cet article – un journaliste originaire d'Asie du Sud qui couvre l'actualité depuis la Suisse – utilise un pseudonyme pour des raisons de sécurité.
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Derrière les gros titres
L’archipel mystique de San Blas
22.03.2024, Autres thèmes
Sur la côte est du Panama se trouve un archipel composé de plus de 350 îles. C'est le territoire autonome des Kunas, une communauté indigène tiraillée entre la malédiction et les bienfaits de la modernité.
Par Karin Wenger

L’archipel San Blas est habité par une communauté indigène de quelque 50 000 Kunas. © Karin Wenger
Le paradis insulaire de San Blas évoque un monde féérique baigné de mysticisme lorsque nous faisons lentement voile le long des minuscules îlots. Des centaines de petits tas de sable émaillent les eaux turquoise et transparentes. Sur certains, on voit quelques cocotiers, une ou deux huttes aux toits de feuilles de palmier ; sur d'autres ne vivent que des pélicans ou des puces de sable. L’archipel San Blas est habité par une communauté indigène de quelque 50 000 Kunas. Il est administré sous le nom de Guna Yala, un territoire autonome.
Nous jetons l'ancre devant l'île de Salardup. Peu après deux Kunas, qui proposent des poissons et des langoustes à la vente, nous dépassent en pagayant. Puis un autre bateau s'approche. Une femme brandit un tablier de cuisine et un porte-bouteilles de vin fait de tissus colorés brodés les uns sur les autres, des « molas » traditionnelles. Ces broderies sont censées éloigner les mauvais esprits dans la tradition ancestrale. Tout l’archipel connaît cette femme, sous le nom de Mola Lisa. Lorsqu'elle est née il y a 62 ans, elle n'était pas une fille, mais un garçon. « Quand j'avais six ans, ma mère a remarqué que j'étais différente, unique. Elle m'a appris à confectionner des « molas », m'a expliqué la signification mystique des diverses broderies et m'a habillée avec des vêtements de fille. Chez nous, les filles et les femmes sont les gardiennes de la tradition et du savoir, et si un garçon veut être une fille, ça ne pose pas de problème. »
Mola Lisa est une « omeggid », ce qui signifie « comme une femme » dans la langue des Kunas. Même si Mola Lisa n’est pas mariée, elle s’est occupée de l'éducation de sa nièce et de son neveu après que leur père a quitté la famille. Elle effectue les mêmes tâches que les autres femmes et a le statut de femme sur son île. Cela lui confère beaucoup de prestige dans une communauté comme celle des Kunas. Jusqu’à aujourd’hui, les femmes détiennent le pouvoir dans cette communauté indigène, même si la plupart des postes officiels sont occupés par des hommes. Mais ce sont les femmes qui gèrent l'argent et les biens et qui prennent les décisions importantes au sein de la famille. Après le mariage, les maris s'installent dans les familles de leurs épouses. Les célébrations les plus importantes, comme le passage à la puberté, sont organisées pour les femmes. « Aujourd'hui encore, nous cultivons nos traditions. Ce sont elles qui nous donnent de la cohésion et nous protègent », confie Mola Lisa.
Les smartphones ont conquis les îles
Protéger de quoi ? Des changements. Les touristes et les moyens de communication modernes ont fait leur apparition sur l'archipel au cours des deux dernières décennies. « Lorsque je suis arrivée ici il y a 16 ans avec mon voilier, je devais faire venir des pièces de rechange par bateau ou par un minuscule avion à hélice, car aucune route ne traversait encore la jungle. Il n’y avait pas de liaisons téléphoniques et Internet n’existait pas », se souvient Susan Richter, une Américaine de 82 ans qui a fait de l'archipel sa patrie d'adoption. Une route goudronnée traverse désormais la jungle. Elle mène directement de San Blas à la ville de Panama. Depuis que le gouvernement a installé une antenne de téléphonie mobile sur une île, les indiens Kunas sont eux aussi reliés au monde via leurs smartphones, qui ont également conquis les îles. Susan a été l'une des premières navigatrices à s'installer ici avec son bateau. Mais l'archipel a depuis longtemps été découvert par des prestataires de services de location et d'autres navigateurs. Ils en parlent comme d’un « bon tuyau ». Les dollars sont arrivés avec les clients étrangers.

Les traditionalistes rendent le tourisme responsable du problème croissant des déchets.
© Karin Wenger

Entre tradition et modernité : depuis que le gouvernement a installé une antenne de téléphonie mobile, les Gunas sont eux aussi reliés au monde, explique Mola Lisa. © Karin Wenger
« Avant, les noix de coco nous servaient de monnaie, aujourd'hui, tout tourne autour de l'argent. Chacun de nous en veut », affirme Victor Morris, un indien Kuna de 73 ans. Il vit avec sa femme et quatre autres familles sur une île à côté d'un mouillage particulièrement prisé. Ici, les raies pastenagues et les requins nourrices nagent à côté des bateaux, mais les poissons ont quasiment disparu. Les langoustes que les Kunas vendent depuis leurs canoës sont habituellement encore petites et jeunes. « Même pendant la période où la pêche est interdite, de mars à mai, elles sont chassées et vendues », indique la navigatrice Susan Richter. Mola Lisa évoque elle aussi la surpêche : « Quand j'étais enfant, nous pêchions avec des lignes depuis nos canoës en bois. Aujourd'hui, la plupart de nos bateaux sont équipés de moteurs et nous avons des chaluts. Avant, nous pêchions trente ou quarante poissons par jour et nous les distribuions à l’ensemble des villageois. Aujourd'hui, il y a beaucoup moins de pêcheurs et nous vendons le produit de notre pêche aux touristes. »
Si nous apprenons à protéger nos anciennes traditions tout en élargissant nos connaissances des contextes modernes, le tourisme, l'argent et l'esprit d’ouverture seront une bénédiction. Dans le cas contraire, ils seront une malédiction.
Alors que les traditionalistes des villages rendent les touristes responsables du manque de poissons et du problème croissant des déchets, Mola Lisa exprime un tout autre avis : « Ce n'est pas la faute des touristes, c'est la nôtre. Nous les avons accueillis car nous voulions leur argent. Nous pêchons trop de langoustes et de poissons parce que nous ne comprenons pas que nous détruisons ainsi nos moyens de subsistance ». Des règles ont bel et bien été élaborées, mais l'archipel est si grand qu’il est difficile de les imposer là où quelqu'un entend les enfreindre. « La seule chose qui aiderait serait la formation, la compréhension des interdépendances, la responsabilité », continue Mola Lisa, qui a donc envoyé sa nièce et son neveu au Panama pour une formation supérieure. Sur ces mots, elle prend congé.

Selon Mola Lisa, on pêchait dans le passé avec des lignes dans des canoës en bois. Aujourd'hui, avec les bateaux motorisés, les chaluts et l'augmentation de la demande touristique, la surpêche devient un problème.
© Karin Wenger
Un grand congrès des « sailas », les officiels de l'archipel, vient de débuter sur l’île. Pendant quatre jours, ils transmettront aux jeunes les connaissances ancestrales de leur communauté. Les touristes n'ont pas accès à la zone pendant cette période. « Si nous apprenons à protéger nos anciennes traditions tout en élargissant nos connaissances des contextes modernes, le tourisme, l'argent et l'esprit d’ouverture seront une bénédiction. Dans le cas contraire, ils seront une malédiction », ajoute encore Mola Lisa en lançant le moteur de son bateau et en s'éloignant.

Karin Wenger a été correspondante de la radio SRF pour l’Asie du Sud-Est. Pendant un congé sabbatique elle rédige pour « global » des commentaires sur des conflits et des événements oubliés dans le Sud global.
Plus d’informations ici :
www.karinwenger.ch
www.sailingmabul.com
ou dans le podcast « BoatCast Mabul ».
© Karin Wenger
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Opinion
Le Sud global ne doit pas disparaître de nos écrans
01.02.2024, Autres thèmes
Le conseiller fédéral Albert Rösti entend réduire sensiblement la redevance de radio-télévision. Une telle mesure affaiblirait encore davantage la couverture médiatique des crises et des pays oubliés — et donc la compréhension des réalités mondiales et du rôle de la Suisse.

Répartition géographique du temps de diffusion dans le téléjournal alémanique en 2022.
© Ladislaus Ludescher
La révision partielle prévue de l’ordonnance sur la radio et la télévision prévoit une baisse progressive de la redevance de 335 francs à 300 francs par ménage jusqu'en 2029 et l'exonération d'autres entreprises de l'obligation de s’acquitter de la redevance. Depuis 2019, les entreprises dont le chiffre d'affaires annuel total assujetti à la TVA ne dépasse pas 500 000 francs ne paient plus de redevance. Désormais, cette limite devrait être portée à 1,2 million de francs de chiffre d'affaires annuel.
Cette proposition a pour objectif de contrecarrer l'initiative populaire « 200 francs, ça suffit ! » (initiative SSR). Mais ce faisant, le Conseil fédéral légitime également un démantèlement qui aurait des conséquences désastreuses sur l'information complète de l’opinion publique.
Le mandat de prestations de la SSR est en effet crucial pour l'information de la population en matière de politique étrangère, comme l’a récemment souligné le conseiller fédéral Ignazio Cassis lors de l’Heure des questions au Parlement. Selon l'art. 6 de la concession SRG SSR, cette dernière doit veiller, dans ses offres d'information, à proposer un compte rendu complet, diversifié et fidèle. Elle informe en particulier sur les réalités politiques, économiques, sociales et culturelles et met l'accent sur la présentation et l'explication d’événements aux niveaux international, national et de la région linguistique.
De moins en moins de médias ont les ressources nécessaires pour une telle information lorsqu'il s'agit de sujets liés à la politique de développement. Selon le Centre de recherche sur le public et la société de l'Université de Zurich (fög), les reportages sur l'étranger et sa diversité géographique reculent toujours davantage en Suisse depuis des années. Conformément à une étude, la SSR dans la Suisse alémanique se limite elle aussi toujours plus à certaines régions et crises qui sont au centre de l'attention du public. Et ce, même si, selon un sondage de l’EPFZ, 46% des personnes interrogées en 2022 ont déclaré souhaiter en savoir plus sur les conditions de vie dans d'autres endroits du monde.
Le Département fédéral des affaires étrangères a malheureusement déjà montré à plusieurs reprises qu'il faisait royalement fi de cette préoccupation : il a interdit aux ONG d'utiliser les contributions de programme de la Confédération pour le travail de sensibilisation et d'éducation en Suisse. Par ailleurs, il a supprimé son propre magazine « Un seul monde » et le financement pour la promotion médiatique des associations « real21 » et « En Quête d’Ailleurs ».
Une baisse de la redevance réduirait encore davantage les offres d'information et en particulier les reportages à l'étranger sur le Sud global. Et ce tout particulièrement en Suisse latine, car les reportages à l'étranger sont coûteux et gourmands en ressources. Dans son dernier livre, le politicien tessinois Dick Marty, récemment décédé, a lui aussi attiré l'attention sur les zones d’ombre de la couverture médiatique et plaidé pour que la situation au Yémen ou en Éthiopie ne nous laisse pas indifférents.
La compréhension par la population des réalités mondiales et l'attention vouée aux crises oubliées et aux thèmes plus complexes de la politique de développement sous-tendent la formation d'une opinion informée dans une Suisse fortement interconnectée au niveau international. À l'ère de la désinformation et de la crise de financement du journalisme, un démantèlement substantiel et inutile du service public médiatique est donc également une attaque contre la démocratie.
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