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L’avenir de la coopération au développement
Le démantèlement de l’USAID remet la politique de développement à l’ordre du jour
30.04.2025, Coopération internationale
À l’occasion d'un débat de fond organisé au Club suisse de la presse à Genève, des directeurs·trices et des expert·e·s d'Alliance Sud et de ses membres ont exposé les conséquences dramatiques du retrait des États-Unis et d'autres pays de la coopération au développement. À l'avenir, il faudra faire face à davantage de crises avec des moyens réduits : une mission impossible. Que faire pour sortir la coopération internationale de l'impasse ?

De gauche à droite : Karolina Frischkopf, directrice de l'EPER, Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, Isabelle Falconnier, directrice du Club suisse de la presse, et Barbara Hintermann, directrice de Terre des hommes. © Amandine Lacroix / Club suisse de la presse
En seulement 100 jours, le nouveau président américain Donald Trump a réduit à néant de nombreuses avancées réalisées ces dernières années dans la lutte contre la pauvreté dans le monde. « Il est encore difficile d'évaluer précisément ses décisions et de savoir dans quelle mesure certaines activités de l'USAID seront poursuivies par le State Department », a déclaré Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud. Mais il est d'ores et déjà clair que ces coupes radicales auront une incidence directe sur les programmes suisses et leurs partenaires, avec des conséquences désastreuses pour les populations des pays les plus pauvres.
« L'arrêt brutal du financement du plus grand donateur humanitaire de la planète a des effets désastreux sur le système humanitaire mondial. Dans les régions en crise, des millions de personnes dépendant d’une aide humanitaire urgente perdent un soutien vital », a lancé Karolina Frischkopf, directrice de l'EPER.
Même des organisations telles que Caritas Suisse, qui ne reçoivent pas de financement direct de l'USAID, en ressentent les conséquences : « Les coupes budgétaires drastiques imposées à l'USAID et à d'autres donateurs internationaux ont profondément perturbé les opérations humanitaires au Liban et en Syrie, aggravant les souffrances et affaiblissant les institutions. Les organisations de développement sont désormais contraintes de faire des choix difficiles pour répondre aux besoins croissants », a déploré Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban.

Les coupes budgétaires drastiques ont profondément perturbé les opérations humanitaires, aggravant les souffrances et affaiblissant les institutions.
Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban
Des coupes budgétaires qui affectent 3,7 millions de personnes
Selon une enquête menée par Alliance Sud auprès de 24 ONG, les États-Unis doivent près de 15 millions de dollars à sept organisations pour des projets déjà mis en œuvre. De plus, cinq organisations ne peuvent pas mener à bien des projets prévus pour un montant total de près de 25 millions de dollars. Les coupes budgétaires américaines aggravent encore les réductions décidées par les Chambres fédérales en décembre 2024 : « On estime que près de 3,7 millions de personnes dépendant d’une aide d’urgence ne pourront plus être soutenues, par exemple dans les domaines de la santé, de l’approvisionnement en eau ou de l’aide alimentaire », a indiqué Andreas Missbach, se basant sur l'enquête auprès des ONG.
La coopération suisse au développement est donc confrontée à d’énormes défis et doit faire face à un nombre croissant de crises avec des fonds publics réduits. « Cette situation n’est pas tenable », a martelé Andreas Missbach. Il est d’avis que le Conseil fédéral doit enfin en prendre conscience et s'engager résolument en faveur d'une coopération bilatérale et multilatérale forte dans le domaine du développement. Les coupes budgétaires décidées par le Parlement doivent être annulées par un crédit supplémentaire. Et, selon lui toujours, un plan d'action visant à soutenir le système multilatéral doit être proposé pour la Genève internationale.
La cohérence des politiques : plus cruciale que jamais
La question de savoir si les revers sans précédent subis par le financement du développement pourraient également constituer à long terme une chance pour le développement autonome des pays les plus pauvres, qui doivent désormais compter davantage sur leurs propres ressources, a également été soulevée lors de l’échange avec les médias. La directrice générale de Terre des hommes, Barbara Hintermann, n'a pas exclu cette possibilité a priori, mais a mis en garde contre des tensions et des difficultés sociales à court terme. Elle place plutôt ses espoirs dans la créativité, l'innovation et la flexibilité des ONG du Sud global et du Nord : « Il est temps de renforcer les alliances de la société civile, d'intensifier la coopération, par exemple dans le domaine de la logistique, et de réduire les nombreux doublons dans l'évaluation des projets de développement », a-t-elle déclaré.
Mais tout le monde s'accorde à dire que cela ne suffira pas à compenser la baisse du financement public du développement. Pour cela, il faut désormais la solidarité de la population, comme elle l’a régulièrement exprimée dans les sondages d'opinion. Et une cohérence politique globale en faveur du développement durable. Car le financement du développement signifie bien plus que l'argent consacré à la coopération internationale et au financement dans le domaine du climat, selon Andreas Missbach. C’est ce que reflète le processus global des Nations Unies sur le financement du développement, qui a donné lieu à trois grandes conférences depuis le début du siècle. Une quatrième se tiendra fin juin à Séville. « Il ne s'agit pas seulement du financement public du développement (APD) au sens strict », a encore expliqué Andreas Missbach, « mais aussi de réformes fondamentales qui, en fin de compte, auront une incidence bien plus forte sur les ressources dont disposent les pays du Sud global que l'aide publique au développement ne l'a jamais fait. »
À l’ordre du jour figurent notamment la réforme du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, la dette et son allègement, les questions commerciales et un nouveau système fiscal dans le cadre de l'ONU qui permettrait aux pays les plus pauvres d'utiliser leurs propres ressources au lieu de les voir partir vers les centres financiers du Nord. Les questions de cohérence des politiques deviennent encore plus cruciales face au recul des dépenses publiques consacrées au développement et doivent être sérieusement abordées, en particulier par les pays riches comme la Suisse.
Article
Le monde à l’envers : droits de douane sur les pays les plus pauvres
25.04.2025, Commerce et investissements
Depuis l’imposition par Donald Trump de droits de douane prohibitifs, Alliance Sud se retrouve dans une position paradoxale : expliquer à qui veut bien l’entendre qu’ils sont très mauvais pour les pays du Sud global… alors même que nous avons toujours défendu leur droit de se protéger par des tarifs douaniers. Mais cela ne s’applique pas à la première puissance mondiale, qui a imposé depuis trente ans à toute la planète un système commercial ouvert.

Pour le Lesotho les droits de douane américains seraient une catastrophe. Son industrie textile produit principalement pour le marché américain, comme dans cette usine de jeans Levis à Maseru.
© Keystone / EPA / Kim Ludbrook
Peu importe que le président américain ait décidé de faire une pause de 90 jours et se « limite » actuellement à un taux généralisé de 10 % – à l’exception de la Chine, avec laquelle il a imposé un embargo de fait (145 %). UN Trade and Development (ex CNUCED) appelle à supprimer immédiatement ces tarifs douaniers, en insistant sur leur côté absurde. Dans un rapport publié le 14 avril, l’agence onusienne souligne que sur les 57 pays menacés de droits de douane, 11 sont des pays les moins avancés (PMA) et 28 contribuent ensemble à peine 0,625 % au déficit commercial américain.
Trente ans de théorie des avantages comparatifs
La situation est piquante en raison du retournement complet des relations commerciales internationales. Depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, les Etats-Unis ont été les moteurs de la mondialisation néolibérale. Celle-ci passait par une libéralisation tous azimuts du commerce international, c’est-à-dire par une baisse généralisée des droits de douane. Les pays étaient censés exporter les produits où ils ont un « avantage comparatif », à savoir où les coûts de production sont les plus bas. La division internationale du travail qui en résulte conduit de facto les pays du Sud global à exporter des matières premières et importer des produits industriels finis du Nord.
La moitié des pays africains dépendent de l’exportation de produits de base
La conséquence est que, encore aujourd’hui, «la moitié des pays africains dépendent des produits de base (pétrole, gaz et minerais pour au moins 60 % d’entre eux). L'Afrique ne représente que 2,9 % du commerce international, mais elle abrite 16 % de la population mondiale et ce chiffre sera bien plus élevé à l'avenir », lançait Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de ONU commerce et développement (ex CNUCED) le 10 février à Abidjan, lors du lancement du Rapport sur le développement économique en Afrique 2024.
Or, comme il est impossible de se développer en exportant seulement des produits de base, Alliance Sud soutient le droit des pays du Sud global de disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour protéger leur agriculture et leur industrie. Ce qui passe par la possibilité d’augmenter les droits de douane. Sans droits de douane et autres mesures de protection, aucune industrie n'aurait pu se développer dans de nombreux pays en développement et émergents. Cela vaut également pour les success stories telles que la Corée du Sud ou la Chine.
Pas de droits de douane sur le cacao, mais sur le chocolat oui
Le Kenya est un très bon exemple de cette politique de substitution des importations. Il y a une quinzaine d’années, j’ai participé à une conférence de presse donnée par Nestlé à Nairobi, où elle annonçait son intention de se lancer dans la production de lait sur place. La raison sous-jacente était que le pays avait décidé, du jour au lendemain, d’augmenter les droits de douane sur la poudre de lait importée, en conformité avec les règles de l’OMC. Du coup, il n’était plus rentable pour Nestlé d’importer son lait en poudre Milo. La multinationale veveysane a donc investi dans la filière laitière tout au long de la chaîne de production et aidé les paysan·ne·s petit·es et grand·es à s’organiser en coopératives. Malgré le risque lié à la domination du marché par un seul grand acteur, le Kenya est passé d’un pays importateur de lait à un pays qui en produisait suffisamment pour couvrir ses besoins.
Cependant, malgré des exceptions, le modèle imposé depuis trente ans par l’OMC, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et les pays du Nord, à commencer par les Etats-Unis, consiste à pousser les pays en développement à baisser leurs droits de douane et à se concentrer sur quelques produits d’exportation. Le Bangladesh en est un bon exemple, vu qu’il tire une grande partie de ses revenus de l’exportation de textiles, malgré les conditions de travail déplorables et les salaires de misère qui règnent dans le secteur. En 2023, celui-ci représentait 10 % du PNB et les Etats-Unis étaient le principal pays d’exportation.
En Suisse et dans l’Union européenne, les PMA peuvent exporter hors contingent et droits de douane les produits de base comme le cacao. Mais sur les produits agricoles transformés, comme le chocolat, des droits de douane s’appliquent, ce qui ne favorise pas l’ajout de valeur sur place dans les pays producteurs, comme la Côte d’Ivoire et du Ghana.
AGOA des Etats-Unis en suspens
Les Etats-Unis n’accordent pas les mêmes faveurs tarifaires à tous les pays les plus pauvres, mais avec une trentaine de pays africains ils ont depuis 2000 un programme appelé Africa Growth and Opportunity Act (AGOA) qui leur permet d’exporter hors droits de douane des milliers de produits vers le marché américain. Son renouvellement est prévu pour septembre 2025 et il est à ce jour fortement compromis.
Le Lesotho, l’un des pays les plus pauvres du monde, en a bénéficié. En 2023, il a exporté surtout des textiles et de l’habillement vers le marché américain : la valeur s’élevait à 168 millions USD, dont 166 au titre de l’AGOA. Or, l’intention initiale de Donald Trump était de lui imposer 54 % de droits de douane, peut-être pour compenser un déficit commercial indéniablement important en pourcentage : la même année, Washington a exporté vers le Lesotho des marchandises pour seulement 3,3 millions USD et importé des produits pour un montant de 226,6 millions USD. Lui imposer des droits de douane aussi prohibitifs aurait été une catastrophe pour ce petit pays africain, alors même que cela n’aurait aidé en rien à relocaliser la production vers les Etats-Unis. Car ceux-ci ne se mettront jamais à fabriquer des textiles (c’est trop cher), ni ne pourront extraire des minerais comme les diamants (plus de 56 millions USD d’importations).
Cinq partenaires commerciaux pour l’Afrique, dont les Etats-Unis
Alors oui, les pays en développement doivent pouvoir protéger leur industrie et leur agriculture par des droits de douane. Mais pas la première puissance mondiale, qui a été pendant trente ans le fer de lance d’un modèle commercial qui s’applique même aux pays les plus pauvres.
En espérant que Donald Trump revienne définitivement sur ses décisions, ses errements sont cependant l’occasion pour les pays pauvres de repenser leur modèle de développement et de se concentrer davantage sur le marché intérieur et régional. A commencer par l’Afrique, où la Zone de libre-échange continentale est en train de se mettre progressivement en place – même si elle fera aussi des gagnants et des perdants entre pays africains…
Ils doivent aussi urgemment diversifier davantage leurs partenaires commerciaux. Toujours selon UN Trade and Development, 50 % des pays africains ont cinq partenaires commerciaux : la Chine, l'Union européenne, l'Inde, l'Afrique du Sud et les Etats-Unis. Alors même que le Vietnam, pour ne donner qu’un exemple, est connecté à 97 économies. Cela montre la marge de manœuvre dont dispose encore l'Afrique pour renforcer et diversifier ses économies. Un processus que les turbulences actuelles devraient accélérer.
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Politique fiscale internationale
Comment Starbucks pratique le dumping fiscal
07.04.2025, Finances et fiscalité
Une nouvelle étude internationale le montre : Starbucks utilise un programme de durabilité à des fins d’optimisation fiscale. Grâce à l'impôt minimum de l'OCDE, les entreprises suisses pourraient même bénéficier de subventions pour de telles pratiques. À Bâle-Ville et à Zurich, les mises en œuvre cantonales de la dernière réforme fiscale des entreprises seront soumises au vote le 18 mai.

Boîte aux lettre de Starbucks Trading Company Sarl à Lausanne. © Alliance Sud
En 2012, l'agence de presse Reuters a été la première à révéler que Starbucks pratiquait l’optimisation fiscale. Le groupe est l'un des plus grands torréfacteurs, négociants et, comme chacun sait, vendeurs de café au monde. Il achète son café brut à 400 000 agricultrices et agriculteurs dans plus de 40 pays du Sud global. Le géant du café avait privé le fisc britannique de millions de recettes fiscales moyennant des paiements internes au groupe et l’instauration d’un réseau d'entreprises très complexe dans plusieurs juridictions à faible fiscalité. Un bureau de négoce discret de Starbucks au centre de Lausanne, Starbucks Coffee Trading Company Sarl (SCTC), ouvert en 2001, constituait le rouage majeur de ce mécanisme de dumping fiscal. Aujourd'hui encore, Starbucks réalise tout son commerce de café par l'intermédiaire de cette filiale, ce qui représente tout de même 3 % du commerce mondial. Mais ce dernier est virtuel. Les grains de café sont transportés des plantations d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine vers les usines de torréfaction, essentiellement aux États-Unis, en Chine et aux Pays-Bas.
Des grands torréfacteurs de café, à savoir des groupes qui achètent les grains de café verts dans les plantations et les transforment en grains bruns que nous mettons dans nos machines, seuls Nestlé (env. 10 %) et JDE peets (qui commercialise entre autres son café sous la marque Jacobs) torréfient davantage que Starbucks.
Un programme de commerce équitable à la fois farce et instrument de dumping fiscal
Trois ans après Reuters, la Commission européenne a publié une étude qui a notamment montré comment Starbucks transférait les bénéfices des pays producteurs et consommateurs vers son bureau de négoce lausannois : en faisant passer sa chaîne d'approvisionnement - uniquement virtuelle - par la Suisse, le groupe peut comptabiliser environ 15 % de la valeur du café soit en franchise d’impôt, soit à des taux d'imposition minimaux dans notre pays ou dans d'autres paradis fiscaux. Depuis 2011, le groupe a enregistré un bénéfice total de 1,3 milliard de dollars à Lausanne, grâce à des marges remarquablement élevées allant jusqu'à 18 % sur le commerce intragroupe de grains de café et à un taux d'imposition très bas par rapport aux autres pays, aujourd'hui fixé à 14 % au maximum. Et encore, à la seule condition que Starbucks n'ait pas conclu d'accords spéciaux (rulings) avec l'administration fiscale du canton de Vaud, des arrangements très fréquents en Suisse et qui réduisent les taux d'imposition de quelques points de pourcentage. Le groupe a justifié les marges élevées auprès de la Commission européenne par les coûts de son programme de certification C.A.F.E. Practices. Starbucks voulait ainsi démontrer sa responsabilité envers les êtres humains et l'environnement. Le programme visait à garantir un commerce équitable et de bonnes conditions de travail pour les producteurs de café. Comme ce programme était la propriété de SCTC à Lausanne (et l’est probablement encore aujourd'hui), Starbucks pouvait facturer des redevances correspondantes aux sociétés de torréfaction et de vente du groupe. Ces frais étaient si élevés que les bénéfices des points de vente ont chuté et que ceux de SCTC ont bondi. Un cas classique de transfert de bénéfices par le biais des droits de propriété intellectuelle. Quant aux producteurs, ils ne touchaient pas un sou de ces bénéfices. De plus, en 2023, « Reporter Brasil » a révélé que des plantations certifiées C.A.F.E. Practices avaient recours au travail des enfants ainsi qu’au travail forcé.
Des subventions pour les fraudeurs du fisc ?
Le nouveau rapport de l’ONG CICTAR révèle que Starbucks utilise toujours ce système suisse (Swiss scheme) et continue ainsi à transférer des bénéfices vers Lausanne. Le fisc des pays producteurs et des marchés de vente de Starbucks en fait les frais. Même avec l'introduction de la nouvelle imposition minimale de l'OCDE, les plaques tournantes helvétiques des matières premières comme les cantons de Vaud ou de Zoug restent attrayantes pour de telles astuces d'évasion fiscale. En effet, le taux d'imposition minimum de l'OCDE de 15 % représente certes une augmentation d'impôt dans de nombreux cantons suisses, mais il reste très bas en comparaison internationale. Dans de nombreux pays, notamment dans ceux du Sud global, ces taux dépassent 25 %. Les entreprises qui transfèrent leurs bénéfices en Suisse peuvent donc souvent économiser au moins 10 %. Mais ce n'est pas tout : les cantons à faible fiscalité comme Zoug, Bâle-Ville, Lucerne ou Schaffhouse veulent reverser les recettes fiscales minimales supplémentaires aux entreprises qui s’acquittent de l'impôt minimum. On ignore pour l’heure si le canton de Vaud prendra également de telles mesures.
Le Conseil fédéral, d’une part, peut remédier à cette situation : jusqu'ici, l'imposition minimale de l'OCDE en Suisse est basée sur un article constitutionnel et plusieurs ordonnances fédérales - il n'y a toujours pas de loi à proprement parler et il semble que le Conseil fédéral veut faire traîner les choses le plus possible (il doit soumettre la loi au Parlement en 2028 au plus tard). S'il veut empêcher que des transactions douteuses et des manœuvres fiscales soient encore récompensées par des subventions supplémentaires aux grands groupes, il devrait agir sans attendre et mettre fin à de telles pratiques avec cette loi.
Référendums cantonaux contre la mise en œuvre de l’impôt minimum de l'OCDE
D’autre part, les électeurs.trices ont toujours le dernier mot : à Bâle-Ville, suite à une vaste campagne de collecte d’un comité de la société civile, une votation sur un référendum est organisée le 18 mai sur le programme de promotion économique local, qui constitue la réponse de la cité de la pharma à l'introduction de l’imposition minimale de l'OCDE. Jusqu'à 500 millions de francs suisses devraient être versés chaque année dans un fonds « d'innovation », au profit de multinationales comme Roche, Novartis ou Syngenta. Dans le canton de Zurich également, le projet cantonal de mise en œuvre de l'impôt minimal de l'OCDE sera soumis au vote le 18 mai. Les partis de gauche et les syndicats veulent y empêcher une baisse du taux d'imposition des bénéfices vers le minimum de l'OCDE de 15 % – jusqu'à présent, les taux dans le canton étaient nettement supérieurs. On est impatient de connaître le résultat de ces deux votations : un double non aurait une portée dépassant largement les deux cantons et réduirait encore le soutien international déjà chancelant pour l'impôt minimum de l'OCDE. Un impôt dont l’échec est patent.
Reportage de RTS sur l'action de protestation de Alliance Sud, Public Eye et Public Services International du 28 mars 2025.
Vidéo explicative sur l'évasion fiscale de Starbucks avec Daniel Bertossa, secrétaire général de Public Services International :
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Analyse sur le démantèlement de l'USAID
La coopération au développement est d'importance systémique
17.02.2025, Coopération internationale
Le démantèlement pur et simple de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a récemment fait couler beaucoup d’encre. Il apparaît désormais clairement que non seulement la manière dont l'agence a été supprimée était antidémocratique et illégale, mais aussi que les conséquences de cette décision sont dramatiques partout sur la planète. Malgré sa tradition humanitaire volontiers louée et son engagement en faveur du multilatéralisme à travers la Genève internationale, la Suisse officielle continue s’illustrer par son silence.

Des manifestant.e.s demandent au Congrès américain de sauver l'USAID. © KEYSTONE / CQ Roll Call / Newscom / Tom Williams
C’est en 1961 que John F. Kennedy a fondé l’USAID. Depuis, elle est devenue la plus grande agence de développement au monde. Avec un budget annuel de 40 milliards de dollars (soit moins de 1 % des dépenses publiques américaines), elle dispose d'environ 40 % de l'ensemble des fonds publics de développement de tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et voilà qu'en quelques semaines, elle a été complètement réduite à l’impuissance. Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, qui dirige sans mandat officiel un « ministère » créé par Trump visant à améliorer l’efficacité du gouvernement (Department of government efficiency, DOGE), mène la campagne contre l'USAID. Dans une série de tweets haineux, il a qualifié l'agence de développement de « pomme grouillante de vers », de « nid de vipères » ou encore d’« organisation criminelle » et a exigé qu'elle disparaisse. Peu de temps après, il aurait envoyé un courriel à l’ensemble du personnel l’exhortant à ne pas se rendre au travail. Puis les événements se sont précipités. Des cadres ont été licenciés ou mis en congé. Le site web de l'USAID, son compte X et les comptes de messagerie du personnel sont soudainement devenus inaccessibles. En outre, Musk a obtenu illégalement l'accès aux données sensibles de l'agence en faisant pénétrer un groupe de jeunes spécialistes en informatique (les Doge Kids) dans les bureaux de l'USAID, de manière agressive et contre les ordres du personnel de sécurité. De la même manière, les Doge Kids ont obtenu des données sensibles des ministères de la santé, de l'éducation et des finances. Le sénateur Chuck Schumer a qualifié le groupe de « gouvernement fantôme non élu... qui procède à une prise de contrôle hostile du gouvernement fédéral ».
Même si l'arrêt des programmes de développement n’est officiellement valable que pour 90 jours et même si les « programmes humanitaires vitaux » peuvent demander une dérogation, les décisions prises par Trump et Musk semblent indiquer que l'USAID ne sera plus réactivée. Ainsi, plusieurs organisations partenaires ont fait savoir qu'elles ne pouvaient pas poursuivre leurs programmes malgré l’autorisation exceptionnelle, car le système de paiement de l'ensemble de l'organisation a été paralysé par les Doge Kids de Musk. En outre, dans un nouveau décret gouvernemental, Trump a entre-temps demandé à l'agence de suspendre les autorisations exceptionnelles supplémentaires. De manière cynique, seule l'aide militaire à Israël et à l'Égypte se poursuit sans changement. Dans l’intervalle, l’ensemble du personnel a été prié de rentrer aux États-Unis, le logo « USAID » a été retiré des bureaux de New York et l'agence est désormais désignée dans les communications officielles comme « l'ancienne USAID ». Cette agence, créée par le Congrès américain et dont le budget est approuvé chaque année par le Congrès, a été « jetée dans la déchiqueteuse » (pour reprendre les mots de Musk) en quelques semaines par un représentant du gouvernement non élu. Même si plusieurs plaintes ont été déposées aux États-Unis contre les agissements de Trump et Musk, il n'est pas certain qu'elles aient un effet réel. D'une part, une grande partie du pouvoir judiciaire est dominée par les républicains et, d'autre part, les déclarations du président Trump et de son vice-président Vance suggèrent que tout jugement des tribunaux visant à réduire le pouvoir exécutif de Trump serait ignoré.
Des conséquences dévastatrices dans le monde entier
La fermeture de l'USAID n'est pas seulement fatale d'un point de vue démocratique, elle a également des conséquences majeures dans le monde entier. Comme l'USAID mène de nombreux projets en collaboration avec d'autres organisations, le système de développement international dans son ensemble s'en trouve considérablement ébranlé. Outre les quelque 10 000 employé.e.s de l'USAID qui ont perdu leur emploi du jour au lendemain, des milliers de postes ont déjà été supprimés dans les organisations partenaires qui mettent en œuvre les projets de l'USAID. Selon les estimations, plus de 50 000 emplois ont déjà été perdus et ce chiffre devrait dépasser les 100 000 dans les mois à venir. Plusieurs centaines d'employé.e.s locaux ont également été licenciés par diverses ONG suisses. De nombreuses petites organisations partenaires dans les pays du Sud ont déjà fermé leurs portes.
Il n'est pas exagéré de dire que la fermeture de l'USAID a des conséquences potentiellement mortelles pour des millions de personnes. Prenons l'exemple du secteur de la santé, dans lequel l'USAID joue un rôle de pionnier : en raison de sa disparition, des millions de gens ne pourront plus se procurer des médicaments vitaux. L'autorité sanitaire africaine CDC Africa estime que deux à quatre millions de personnes mourront chaque année à cause de cette situation.
La fermeture soudaine de l'USAID a notamment pour conséquence que des tonnes de nourriture pourrissent dans des entrepôts, tandis que des centaines de milliers d'enfants attendent leur repas scolaire ou que 11.7 millions de filles et de femmes n'ont pas accès à la contraception, ce qui augmente considérablement le risque de grossesses non désirées et de complications à l'accouchement.
La couverture médiatique indépendante souffrira également énormément dans de nombreux pays. En 2023, l'USAID a financé la formation et le soutien de 6 200 journalistes, a aidé 707 chaînes d'information non gouvernementales et 279 organisations de la société civile qui œuvrent au renforcement des médias indépendants dans plus de 30 pays, dont l'Iran, l'Afghanistan et la Russie.
Davantage de risques en termes de politique de sécurité
Il est clair que ni Trump ni Musk ne se soucient du sort des gens ou de la disparition de nombreuses ONG dans les pays du Sud global. En Suisse également, certaines personnes opposées à la coopération au développement se réjouissent déjà et souhaitent la suppression de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Mais la fermeture brutale de l'USAID comporte également des risques majeurs pour la politique de sécurité à moyen et long terme, et ce partout sur la planète.
Ainsi, l'USAID est en grande partie responsable de la surveillance et de l'endiguement du virus Ebola en Afrique de l'Ouest ainsi que de la surveillance de la grippe aviaire dans 48 pays. Avec le retrait des États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), cela a des conséquences fatales et les risques de pandémie augmentent dans le monde entier.
La suppression de l'aide d'urgence vitale dans les zones de guerre et de crise peut aussi rapidement entraîner de nouvelles vagues de migration. Plusieurs spécialistes mettent déjà en garde contre le fait que le vide créé par la dissolution de l'USAID profitera à des pays comme la Chine et la Russie, qui seront alors ravis de prendre le relais avec leur rhétorique anti-occidentale habituelle.
La crise comme une opportunité ?
Le démantèlement de l'USAID intervient à un moment où la crise climatique s'aggrave dans le monde entier et où la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) semble de plus en plus hors de portée. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime désormais à 6,4 trillions de dollars le déficit de financement nécessaire pour atteindre les ODD d'ici 2030. Parallèlement, plusieurs pays européens, dont la Suisse, ont déjà réduit les fonds qu’ils consacrent au développement ces dernières années, et le déficit de financement international de la lutte contre le changement climatique ne cesse de se creuser.
De plus en plus d'États se retranchent derrière des intérêts nationalistes et la propagande d'extrême droite semble à nouveau être tolérée en maints endroits. Outre les avancées majeures réalisées dans les domaines de la diversité, de l'égalité des sexes et de la lutte contre le racisme, cette situation affecte aussi fortement la coopération au développement.
Bien sûr, le système de développement mondial a besoin de réformes. Les acteurs locaux doivent par exemple être davantage associés à la conception et à la mise en œuvre des projets. Un débat ouvert sur l'avenir de la coopération au développement est le bienvenu. Mais c’est exactement le contraire qui se passe avec l’USAID. La politique radicale de Trump et de Musk montre clairement non seulement les conséquences fatales de la suppression brutale d'une agence de développement dans le monde, mais aussi la rapidité avec laquelle une démocratie peut s'effondrer et l'idéologie et la rhétorique d'extrême droite s'imposer.
Il semble d'autant plus urgent que des pays comme la Suisse, qui se font un point d’honneur de mettre en avant leur démocratie et leurs valeurs humanitaires, prennent maintenant clairement position et condamnent fermement le démantèlement antidémocratique de l'USAID. La Suisse, qui héberge avec la Genève internationale un centre névralgique de la coopération internationale, est de plus désormais appelée, avec d'autres pays donateurs, à compenser financièrement la perte de l'USAID et à se positionner à long terme en tant que fervente partisane du multilatéralisme et de la démocratie. Ce n'est que de cette manière que la crise dans laquelle Trump et ses sbires semblent plonger le monde entier peut encore représenter une chance.
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Accord de libre-échange avec la Thaïlande
L’analyse d’impact rate la cible
23.01.2025, Commerce et investissements
Peu avant la conclusion des négociations de l’ALE avec la Thaïlande, le Seco a réalisé la première étude d’impact sur le développement durable. Celle-ci est malheureusement trop générale, comporte des biais méthodologiques et n’identifie pas assez clairement les secteurs à risques, ni ne propose de solutions concrètes pour y répondre. Alliance Sud et Public Eye ont analysé l’étude.

Le ministre thaïlandais de l'économie Pichai Naripthaphan et Helene Budliger Artieda, directrice du Seco, se réjouissent de l'accord de libre-échange signé - mais des questions cruciales restent sans réponse.
© Keystone / Laurent Gillieron
L’accord de libre-échange entre les pays de l’Association européenne de libre-échange (AELE), dont la Suisse est membre, et la Thaïlande, a été signé en grande pompe aujourd’hui à Davos, en marge du Forum économique mondial (WEF).
Peu avant la conclusion des négociations, le Secrétariat d’Etat à l’économie a fait réaliser une étude d’impact ex ante sur le développement durable (Sustainability Impact Assessment – SIA), comme cela avait été exigé par un postulat de la Commission de gestion du Conseil national.
Alliance Sud et Public Eye demandaient avec insistance à la Suisse depuis des années d’effectuer de telles études d’impact et se réjouissent donc qu’une analyse ait enfin été réalisée. Mais nous regrettons qu’elle soit arrivée tard, si bien que ses résultats n’ont pas pu être pris en compte dans les négociations et on peut légitimement se demander à quoi elle sert.
Analyse de l’étude confiée à Caroline Dommen
Nous avons mandaté Caroline Dommen, experte en commerce et droits humains, pour analyser ladite étude. Cette consultante expérimentée avait déjà réalisé pour Alliance Sud une proto-étude d’impact de l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Celle-ci visait à montrer qu’une méthodologie existe et s’était concentrée sur quelques droits humains particulièrement susceptibles d’être violés par l’accord (droits à la santé, impacts environnementaux, droits des petits paysans et des populations autochtones, droits des femmes, etc.).
Dans le cas de la SIA de l’accord avec la Thaïlande, nous regrettons notamment un niveau trop élevé de généralité et le fait que l’analyse économique ait été menée séparément de l’analyse de durabilité. Au lieu de cela, des aspects clé de durabilité auraient dû être identifiés, sur lesquels il aurait fallu se concentrer.
Le niveau de risque n’a pas été suffisamment analysé non plus, si bien que l’étude donne trop souvent l’impression de servir à justifier le mandat de négociation de l’AELE, par exemple pour renforcer les droits de propriété intellectuelle sur les médicaments.
L’étude doit être retirée de la circulation jusqu’à ce qu’elle remplisse les standards scientifiques
L’étude n’identifie pas clairement non plus les gagnants et les perdants de l’accord, ni les risques qu’il pose en matière de protection de l’environnement. Elle rate l’occasion de proposer des mesures pour diminuer ces risques. Ceci a pourtant été fait par la Suisse dans l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, qui prévoit un mécanisme spécial pour « récompenser » par une baisse des droits de douane l’huile de palme produit de façon durable. Par ailleurs, lorsqu’un secteur est identifié comme étant à risque – comme la déforestation induite par l’élevage de volaille –, l’étude n’indique pas les mesures à prendre.
D’une façon générale, on aimerait savoir quels secteurs sont le plus à risque, ce que le Seco/ l’AELE a l’intention de faire pour les minimiser et quelles mesures concrètes il compte adopter. La balle est maintenant dans le camp du parlement. Il lui incombe de demander des clarifications et d’exiger que ces biais méthodologiques soient résolus si d’autres accords de libre-échange sont négociés à l’avenir.
Alliance Sud et Public Eye demandent à la Suisse et à l’AELE de retirer l’étude de la circulation jusqu’à ce qu’elle ait été soumise à une revue par les pairs et respecte les critères scientifiques.
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Tied Aid dans la CI
À qui profitent les fonds de développement suisses ?
29.11.2024, Coopération internationale
L'aide liée à des contreparties est mal vue depuis des décennies dans la coopération internationale. Mais cela ne semble guère déranger les pays donateurs. Bien au contraire. En Suisse aussi, l'aide liée redevient acceptable. Eclairage de Laura Ebneter

Pas encore d’aide économique pour les entreprises suisses : en mars 2022, après le début de la grande offensive russe contre l’Ukraine, la Suisse a livré des biens de secours humanitaires.
© Keystone / Michael Buholzer
« Lorsque nous coopérons au développement, nous voulons avant tout donner des mandats à l'économie locale. Mais ici, il s'agit de la reconstruction [de l'Ukraine]. Nous sommes donc dans une autre logique », a déclaré Helene Budliger-Artieda, directrice du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), lors d'une interview accordée à la Radio et Télévision Suisse alémanique (SRF) en été 2024. L'entretien portait sur les projets du Conseil fédéral en matière d’aide à l'Ukraine. Celui-ci prévoit de consacrer 1,5 milliard de francs au soutien de l'Ukraine au cours des quatre prochaines années. Sur cette somme, 500 millions devraient profiter à des entreprises suisses actives en Ukraine. Est-ce encore de la coopération au développement ou de la promotion des exportations ?
Il est ici question de la très décriée aide liée (tied aid), autrement dit de fonds de développement liés à la condition d'achat de biens et de services auprès des pays donateurs. C'est la raison pour laquelle on parle souvent de bons d'achat. Les pays partenaires n'ont pas d'autre choix : dans une situation d'urgence, on prend aussi les bons d'achat de la Migros, même si cela nuit au magasin de son propre village, qui serait bien plus crucial à moyen terme pour la population locale.
Mauvaise affaire pour le Sud global
Toutes les estimations disponibles aboutissent au même constat : lorsque les biens et les services doivent être achetés dans les pays donateurs, les projets coûtent 15 à 30 % de plus que si les pays pouvaient choisir un fournisseur. Mais la coopération sans contrepartie ne renforce pas seulement l'efficacité de l'utilisation des ressources et l'autodétermination des pays partenaires. En encourageant les entreprises et les marchés locaux, elle crée des incitations positives supplémentaires qui vont au-delà des résultats des projets. Si les fournisseurs locaux sont pris en compte, il y a en outre moins de problèmes pour l'acquisition de pièces de rechange, car les chaînes d'approvisionnement sont nettement plus courtes. Dans le cas contraire, les coûts de maintenance sont supérieurs et peuvent rendre un succès à long terme impossible si les fonds manquent une fois le projet mené à terme.
Les leçons de l'histoire ne nous ont-elles rien appris ?
L'aide liée s'inscrit dans un débat vieux de plusieurs décennies sur l'efficacité du financement du développement. Au fond, il est question de deux préoccupations étroitement liées : d’abord de celle d’une coopération internationale tournée vers l'avenir et basée sur des principes d'efficacité et d'efficience. Le débat sur l'aide non liée touche donc aussi à l'agenda de la décolonisation : les pays partenaires doivent pouvoir décider eux-mêmes de leur trajectoire de développement. Et ensuite de la préoccupation des effets de distorsion potentiels lors de l'attribution de fonds liés à l'exportation de biens et de services en provenance des pays donateurs.
Et il est aussi question de lutte à armes égales. En effet, les pays qui renoncent à la pratique de l'aide liée — c'est-à-dire qui font des appels d’offres internationaux — critiquent à juste titre le fait qu'ils seraient désavantagés si d'autres pays ne faisaient pas de même. Ainsi, les fournisseurs suisses n'ont qu'un accès limité à d'autres marchés, alors que les fournisseurs internationaux accèdent aisément aux marchés publics suisses.
En 2001, afin de procéder de manière coordonnée au niveau international, l'OCDE s'est mise d'accord sur la Recommandation sur le déliement de l'aide publique au développement (APD) [Recommendation on Untying Official Development Assistance (ODA)]. L'objectif de cet accord commun était (et reste) d'attribuer le plus possible de fonds de développement non liés et de renforcer ainsi l'efficacité et l'efficience de la coopération internationale. En effet, la communauté internationale s'accorde à dire que cette forme de financement public du développement est paternaliste, coûteuse et inefficace.
Des voies opaques mènent à l’intérieur du pays
En comparaison internationale, la Suisse fait jusqu'à présent bonne figure en termes de chiffres officiels de l'aide non liée. Selon une analyse de l’OCDE, notre pays a attribué 3 % de ses fonds de manière liée en 2021 et 2022. Cette analyse ne donne cependant qu'une image incomplète, car le nombre ne comprend que l'attribution de fonds clairement liés. Il existe également des moyens informels de donner la préférence aux fournisseurs nationaux. Le cercle des candidats peut par exemple être contrôlé par la langue de l'appel d'offres, l'ampleur financière des projets ou le choix du canal de communication.
Il n'existe pas de vue d'ensemble précise de l'ampleur de l'aide liée de manière informelle. Les statistiques d'adjudication permettent toutefois d'estimer la part des fonds ayant fait l’objet d’appels d’offres qui revient à des prestataires nationaux. En 2018 — on ne dispose pas de données plus récentes —, selon les évaluations du Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), 52 % de tous les fonds non liés ont été adjugés à des fournisseurs dans le pays même. La Suisse se situe dans la moyenne avec 51 %. Au total, seuls 11 % sont allés directement à des fournisseurs dans des pays partenaires.
En Suisse, l'aide non liée a longtemps fait l'unanimité. Dans le projet actuel de stratégie de coopération internationale (stratégie CI) 2025-2028, on peut lire en effet : « Elle [la CI] est cohérente avec le droit commercial international, qui vise à empêcher les subventions génératrices de distorsions commerciales en faveur des entreprises suisses. [...] La Suisse prend en compte les recommandations de l’OCDE « DAC Recommendation on Untying Official Development Assistance. » Cette profession de foi semble n'avoir servi que pour la galerie dans les décisions relatives aux fonds ukrainiens destinés aux entreprises suisses, puisque quelques semaines après la publication de la stratégie CI, le Conseil fédéral a écrit dans un communiqué de presse : « Un rôle de premier plan devrait être accordé au secteur privé suisse dans la reconstruction de l’Ukraine ». Avec une telle intention, la Suisse entend aussi réintroduire formellement l'aide liée (voir l'article de Laurent Matile, #global93).
Financement de base parfois controversé
Selon les directives de l'OCDE, le financement de base versé à des organisations non gouvernementales issues de pays donateurs n’est pas considéré comme de l'aide liée, car ces organisations travaillent dans l'intérêt public et n'agissent pas à des fins lucratives. Ce traitement de faveur est toutefois contesté au niveau international. Ces derniers mois, le mouvement international #ShiftThePower a exigé que davantage de fonds de développement soient versés directement à des organisations du Sud global. Aussi justifiée que soit cette revendication, il vaut la peine d'analyser de plus près la manière dont les fonds peuvent parvenir aux organisations partenaires dans le Sud global. Car le fait de procéder à des appels d’offres pour davantage de projets et de programmes au niveau international ne signifie pas automatiquement que les organisations du Sud global obtiennent le marché. C'est pourquoi il faut s'assurer que des processus d'adjudication soient mis en place pour permettre aux petites organisations du Sud global de recevoir un financement de base et de ne pas rester cantonnées au rôle de partenaires de mise en œuvre des projets. Les ONG suisses en particulier, qui ont toutes des partenariats solides et de confiance de longue date avec d'innombrables organisations du Sud mondial, jouent ici un rôle crucial de relais.
Vers un avenir sur un pied d’égalité ?
De nombreux pays ne cachent pas qu'ils lient leur financement du développement à des intérêts de politique étrangère. En 20222, Carsten Staur, le président danois du Comité d'aide au développement de l'OCDE, a déclaré dans une interview qu’il n'y avait jamais eu d'aide publique au développement dans l’histoire qui n’ait pas poursuivi d'une manière ou d'une autre des objectifs de politique étrangère et de sécurité.
Il est intéressant de noter que l'aide liée en Suisse est précisément réclamée par les partis politiques qui prônent par ailleurs des règles commerciales libérales. Dans le cas de la coopération internationale, celles-ci ne devraient soudain plus s'appliquer. Et les voix qui affirment qu’elle n’est pas efficace sont, avec de telles décisions politiques, coresponsables du fait que les moyens destinés à la CI peuvent être utilisés avec une efficacité moindre.
Pour pouvoir coopérer durablement, efficacement et sur un pied d'égalité, les pays partenaires doivent pouvoir définir eux-mêmes leurs propres trajectoires de développement. Le fait que nous devions définir en Suisse ce dont les pays partenaires « ont besoin » ne reflète pas les débats internationaux sur une coopération internationale en prise sur l'avenir. Il importe également de comprendre que l'aide liée est inefficace et coûteuse. Il est donc grand temps d’abandonner cette approche et d'investir dans des partenariats à long terme, d’égal à égal.
On parle d'aide liée (tied aid) lorsque l'octroi de fonds est soumis à la condition que les biens et les services soient achetés auprès de fournisseurs du pays donateur. Mais il existe également d'autres formes de conditionnalité, plus précisément lorsque les pays donateurs imposent des directives concernant des mesures anti-corruption, une politique de libre-échange et de libéralisation ou le respect des principes démocratiques. La conditionnalité des fonds de développement est également un instrument stratégique permettant d'atteindre des objectifs de politique étrangère dans les pays du Sud global. Mais cette méthode est rarement bien accueillie par les pays partenaires, car elle empiète sur le droit à l'autodétermination nationale. C'est entre autres pour cette raison que de nouveaux pays donateurs, comme la Chine, qui ne fixent que peu ou pas de conditions, sont des plus appréciés.
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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
POLITIQUE CLIMATIQUE
Echange de certificats de CO2 : illusion ou réalité ?
03.12.2024, Justice climatique
Tant avec la loi sur le CO2 qu’avec le nouveau programme d'austérité, la politique suisse compte de plus en plus sur les certificats d’émission de CO2 provenant de l'étranger pour atteindre son objectif climatique d'ici 2030. Mais un tel plan est voué à l’échec : les premiers programmes révèlent déjà de sérieuses lacunes. Analyse de Delia Berner

Vieux bus et masques respiratoires omniprésents : Bangkok souffre des gaz d’échappement, mais les bus électriques financés par la Suisse sont-ils vraiment utiles en Thaïlande ? © Benson Truong / Shutterstock
En janvier 2024, la Suisse a fait l'objet d'une attention planétaire, du moins dans les milieux spécialisés des marchés du carbone. Pour la toute première fois en effet, des réductions de CO2 ont été transférées d'un pays à un autre au moyen de certificats dans le cadre du nouveau mécanisme de marché de l'Accord de Paris sur le climat. Concrètement, la mise en circulation de bus électriques à Bangkok avait permis à la Thaïlande de réduire ses émissions de près de 2000 tonnes de CO2 la première année. La Suisse a acheté cette réduction d’émissions afin de l'imputer à son propre objectif climatique.
Prenons un peu de recul : d'ici 2030, la Suisse entend économiser plus de 30 millions de tonnes de CO2 à l'étranger plutôt qu'en Suisse. Les premiers accords bilatéraux ont été conclus à cet effet à l'automne 2020, et on en compte aujourd'hui plus d'une douzaine. De nombreux autres projets sont en cours de développement : des installations de biogaz et des fours de cuisson efficaces dans les pays les plus pauvres à l'efficacité énergétique des bâtiments et de l'industrie, en passant par des systèmes de refroidissement respectueux du climat. Jusqu'à présent, seuls deux programmes ont pu être approuvés pour être pris en compte dans l'objectif climatique de notre pays. Et les 2000 tonnes de CO2 non rejetées en Thaïlande constituent les premiers certificats à avoir été réellement échangés. Il reste donc encore beaucoup à faire d'ici 2030 pour que la Suisse dispose d'un nombre suffisant de certificats à acheter.
Un premier projet qui risque la sortie de route
Suite à une demande, basée sur la loi fédérale sur la transparence, la revue « Beobachter » a révélé que c'est justement le premier programme à Bangkok qui risque de ne pas générer d'autres certificats. Voilà un an déjà, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) avait reçu des reproches accusant le fabricant des bus électriques de violer le droit national du travail et de porter atteinte au droit à la liberté syndicale inscrit dans les droits de l'homme. Après un accord provisoire conclu il y a un an, de nouvelles allégations ont apparemment été formulées cette année, que l'OFEV doit maintenant examiner. La Suisse n'est en effet pas autorisée à approuver des certificats dont la délivrance violerait les droits humains. Cité par le Beobachter, l’OFEV, a déclaré qu'il « peut et va suspendre » la délivrance de nouveaux certificats si les allégations sont confirmées. Une vaste enquête menée par « Republik », le magazine en ligne alémanique, fait apparaître d'autres reproches : la Suisse serait même impliquée dans un polar économique en Thaïlande, car elle aurait attisé une bulle boursière de dix milliards de francs en ignorant les avertissements.
Le deuxième projet approuvé générera lui aussi moins de certificats qu'il ne le promet : une nouvelle enquête d'Alliance Sud sur un projet de fours de cuisson au Ghana montre que sa planification surestime les réductions d'émissions de près de 1,4 million de tonnes.
Il apparaît d'ores et déjà que la compensation à l'étranger n'est généralement pas plus avantageuse et certainement pas plus facile à mettre en œuvre que les mesures de protection du climat en Suisse. Ces dernières mesures devront de toute façon être appliquées tôt ou tard pour atteindre l'objectif de zéro émission nette en Suisse.
Davantage que des difficultés de démarrage
Mais les premiers projets montrent aussi les difficultés à s'assurer qu'une certaine quantité de CO2 n’a effectivement pas été rejetée grâce à eux et qu’ils sont par ailleurs rentables. Les doutes concernant les réductions sont la raison pour laquelle nombre de projets de compensation ont fait les grands titres des journaux ces dernières années. L'efficacité des coûts est cruciale, car la majeure partie des certificats est payée par la population suisse via une taxe sur le carburant. Pour vérifier ces deux aspects, l'OFEV devrait se pencher sur le plan de financement des projets. Il devrait par exemple s'assurer qu'aucune marge ou aucun profit disproportionné n'est compris dans les coûts des différentes initiatives, mais que le plus d'argent possible est investi dans la protection du climat ou le développement durable, avec la participation de la population concernée dans le pays partenaire.
Le système des compensations suisses à l'étranger montre toutefois ici ses faiblesses. Comme les certificats ne sont pas achetés par la Confédération, mais par la Fondation KliK pour la protection du climat et la compensation des émissions de CO2, qui convertit en certificats les revenus issus des taxes sur les carburants, les « détails commerciaux » sont dissimulés au public. En d’autres termes, personne ne sait combien coûte une tonne de CO2 non émise grâce à l'utilisation d'un bus électrique à Bangkok ou combien d'argent est investi au total dans le projet de fours de cuisson au Ghana — et encore moins quels sont les rendements des acteurs privés du marché dans ces contextes. S’agissant du projet en question au Ghana, de vastes pans de la documentation publiée ont en outre été caviardés. La transparence est même pire par rapport aux normes sérieuses du marché volontaire du CO2.
Double nécessité d'agir
Ces défis vont au-delà de simples difficultés de démarrage et révèlent un double besoin d'action pour la politique suisse. Il y a d’abord lieu de rectifier le manque de transparence des informations financières des projets dans l'ordonnance relative à la loi sur le CO2. L'ordonnance est actuellement adaptée à la dernière révision de la loi. Et il faut ensuite corriger l'image selon laquelle les compensations à l'étranger sont un moyen avantageux et simple de protéger le climat. La Suisse doit faire avancer sa protection climatique à l'intérieur du pays et atteindre à nouveau les objectifs climatiques après 2030 sans compensation de CO2. Alliance Sud invite le Conseil fédéral à en tenir compte dans la loi sur le CO2 après 2030.
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COMMERCE ET CLIMAT
La taxe carbone aux frontières pénalise les pays pauvres
03.12.2024, Justice climatique, Commerce et investissements
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM) prévoit de taxer les importations des produits les plus polluants. Alors même que les pays les plus pauvres vont être fortement pénalisés, aucune exception n’est prévue pour eux. Si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à rectifier le tir. Analyse de Isolda Agazzi

L'une des plus grandes mines d'uranium du monde a fermé ses portes à Akokan, au Niger. Mais d'autres sont encore prévues dans le nord du pays en crise et jouent un rôle économique clé.
© Keystone / AFP / Olympia de Maismont
L’Union européenne (UE) prend ses engagements climatiques au sérieux. En 2019, elle a lancé le Pacte vert européen (Green Deal), qui vise à réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
C’est un programme qui comprend plusieurs mesures de politique interne et externe, comme le Règlement européen sur la déforestation (EUDR, voir global #92). Un autre projet clé de la politique commerciale européenne est le CBAM, ou Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il vise à soumettre les industries importatrices aux mêmes règles que les entreprises européennes polluantes, qui sont astreintes à un plafond d’émissions, qu’elles peuvent par ailleurs échanger sur le « marché carbone » pour respecter les limites imposées. Le but de ces mesures est de rendre les investissements dans les énergies propres en Europe plus attrayants et moins chers. « Le CBAM encouragera l'industrie mondiale à adopter des technologies plus écologiques », a déclaré Paolo Gentiloni, le commissaire européen pour l’Economie.
Eviter les fuites de carbone
Pour éviter que la production se déplace vers des pays où le prix du carbone est inférieur à l’UE, voire nul (ce qu’on appelle « fuites de carbone » ou carbon leakages), ou de mettre les producteurs européens face à une concurrence déloyale, Bruxelles a adopté le CBAM. Ce mécanisme prévoit de taxer à la frontière l’importation de produits particulièrement polluants, à savoir, dans un premier temps, le fer et l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’hydrogène et l’électricité.
En vigueur dans l’UE depuis le 1er octobre 2023, il est mis en œuvre par phases successives et sera entièrement en place à partir de 2026. A partir de 2031, il devrait s’appliquer à tous les produits importés.
Pays plus pauvres affectés
Toute la question est de savoir si la mesure est efficace. L’UE est optimiste : elle estime une réduction de ses émissions à 13,8 % d’ici 2030 et celles du reste du monde à 0,3 % par rapport à 1990.
Mais l’approche est très critiquée par les pays du Sud global, qui lui reprochent d’avoir un impact négatif sur leur développement. D’autres lui reprochent de ne pas prévoir d’exemption généralisée au moins pour les pays les plus pauvres. De surcroît, UN Trade and Development (ex UNCTAD) a calculé que l’impact sur le climat serait minime : le CBAM réduira les émissions globales de CO2 de 0,1 % seulement, tandis que les émissions de l’UE diminueront de 0,9 %. Mais il devrait augmenter le revenu des pays développés d'USD 2,5 milliards et réduire celui des pays en développement d'USD 5,9 milliards.
En 2022, les ministres du Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine ont appelé à éviter les mesures discriminatoires telles que la taxe carbone aux frontières.
Les pays les plus affectés par ce mécanisme sont les pays émergents qui sont les principaux exportateurs d’acier et d’aluminium vers l’Europe : Russie, Turquie, Chine, Inde, Afrique du Sud, Emirats arabes unis. Mais aussi des pays les moins avancés (PMA, catégorie établie par les Nation Unies) comme le Mozambique (aluminium) et le Niger (minerai d’uranium). Les pertes de bien-être pour les pays en développement comme l’Ukraine, l’Egypte, le Mozambique et la Turquie se situeraient entre 1 et 5 milliards d’euros, ce qui est considérable au vu de leur produit intérieur brut (PIB).
Prévoir une exception pour les PMA
Prenons l’Afrique, où se trouvent 33 des 46 PMA. Une récente étude de la London School of Economics arrive à la conclusion que si le CBAM était appliqué à tous les produits d’importation, le PIB de l’Afrique diminuerait de 1,12 % ou 25 milliards d’euros. Les exportations d’aluminium diminueraient de 13,9 % ; celles de fer et d’acier de 8,2 % ; celles de fertilisants de 3,9 % et celles de ciment de 3,1 %.
Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain et déclarer le CBAM contraire au développement ? Probablement pas. L’ONG belge 11.11.11. propose d’excepter les pays les moins avancés de ce mécanisme, au moins dans un premier temps, selon les règles de l’OMC ; ou alors de les taxer moins que les autres. Lorsque le CBAM était en discussion à Bruxelles, cette possibilité avait été envisagée par le Parlement, mais elle a été abandonnée, l’UE ayant préféré obtenir plus de recettes.
UN Trade and Development propose de rétrocéder les recettes issues du mécanisme aux PMA pour financer leur transition climatique. Pour l’UE les recettes escomptées sont de 2,1 milliards d’euros, et elles pourraient être convoyées de façon multilatérale via le Fonds vert pour le climat, qui est actuellement sous-financé.
Pas de CBAM en Suisse pour l’instant
En Suisse, rien de tel n’existe pour l’instant. Aujourd’hui les marchandises d’origine suisse exportées dans l’UE sont exemptées du CBAM en raison du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE), et le Conseil fédéral renonce à instaurer un tel mécanisme pour les produits importés en Suisse. Le SEQE représente le montant maximal d’émissions à disposition des industries d’une branche économique. Chaque participant se voit attribuer une certaine quantité de droits d’émissions. Si ses émissions restent en-deça, il peut vendre ses droits. Si elles dépassent cette limite, il peut en acquérir.
Une initiative parlementaire a été déposée en mars 2021 au Conseil national, qui demande à la Suisse d’adapter la loi sur le CO2 pour inclure un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, en tenant compte des évolutions dans l’UE. Actuellement cette initiative parlementaire est encore en cours de discussion dans les commissions.
Le CBAM peut être une mesure commerciale efficace pour réduire les émissions importées de CO2. Mais si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à ne pas pénaliser les pays les plus pauvres en leur accordant des exemptions et en rétrocédant une partie importante des recettes engrangées pour les aider à effectuer la transition énergétique.
Les émissions de gaz à effet de serre générées par la production et le transport de biens et de services exportés et importés représentent 27 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Selon l'OCDE, ces émissions proviennent de sept secteurs économiques : mines et production d'énergie, textiles et cuir, produits chimiques non métalliques et produits miniers, métaux de base, produits électroniques et électriques, machines, véhicules et semi-conducteurs.
Il est indéniable qu'il est nécessaire d'agir tant du côté du commerce que de la production – du côté de la production, par exemple, par la promotion des technologies vertes, le transfert de technologies et le financement climatique. Du côté du commerce, par d'autres mesures comme le CBAM, mais sans pénaliser les pays pauvres. Ces derniers doivent être aidés à gérer la transition écologique et à s'adapter aux nouvelles normes.
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global
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Politique fiscale internationale
« Le système est contre nous »
29.11.2024, Finances et fiscalité
À New York, Everlyn Muendo suit les négociations en vue d’une convention fiscale de l'ONU pour le compte du Réseau africain pour la justice fiscale. Elle explique pourquoi il n'y a plus d'alternative à l'ONU pour le Sud global en matière de politique fiscale internationale.

Les recettes fiscales filent en direction du nord, tandis que le coût de la vie augmente : De violentes protestations contre des réformes fiscales injustes ébranlent le Kenya depuis juin. © Keystone / AFP / Kabir Dhanji
Everlyn Muendo, vous avez participé aux séances de négociation de la convention fiscale de l'ONU de cette année. Quelle est votre impression générale ?
J’ai pu constater un fossé béant entre le Nord et le Sud global. Les divergences d'intérêts en matière de politique fiscale entre les deux camps ont été très marquées.
La transparence des négociations est déjà un grand progrès par rapport à celles de l'OCDE. Quels sont les points de vue du Nord qui posent le plus de problèmes aux pays du Sud ?
Premièrement, le Nord global estime que la convention-cadre des Nations Unies doit simplement compléter les décisions déjà existantes de l'OCDE et ne pas les dupliquer (c’est le terme qu’utilise le Nord). Deuxièmement, le Nord semble vouloir limiter le rôle de l'ONU au simple renforcement des capacités (capacity building) — c'est-à-dire au soutien de la mise en place d'infrastructures dans les administrations fiscales du Sud et à la formation des expertes et experts nécessaires. Mais cette approche cache une profonde erreur d'appréciation de la situation du Sud global : les représentantes et représentants du Nord semblent croire que nous ne disposons pas de capacités suffisantes et que c'est la raison des problèmes actuels dans le domaine de la fiscalité internationale.
Le problème n’est pas notre manque de compétences, mais les règles du système actuel.
Que répondez-vous à cet argument ?
L’argument est fallacieux, car même dans le cadre du processus prétendument inclusif de l'OCDE de ces dernières années, certains pays en développement ont exprimé de sérieuses réserves quant au contenu de l'imposition minimale (pilier 2) et à la redistribution des droits d'imposition aux pays bénéficiant de grands débouchés (pilier 1). Mais ces pays ont été constamment ignorés. Le problème n'est pas notre manque de compétences, mais les règles du système actuel. Comme je l'ai dit dans l'une de mes interventions lors des négociations menées à l'ONU : « We cannot capacity build ourselves out of unfair taxing rules ». [Nous ne pouvons pas renforcer nos propres capacités pour nous affranchir de règles fiscales injustes].
Dans les négociations, les pays du Nord global essaient donc de contourner les questions cruciales pour le Sud ?
Oui, mon impression est qu'ils ne sont pas sincères dans leurs négociations. C'est pourtant un principe fondamental des discussions multilatérales. Vouloir tout limiter au renforcement des capacités ne cimente pas vraiment la confiance. Le rapport sur la fiscalité du secrétaire général de l'ONU a montré sans ambiguïté comment le manque d'inclusivité du système actuel rend la coopération fiscale internationale inefficace. Nos arguments sont donc bien étayés, tout est sur la table.
Comment le mouvement de la société civile pour la justice fiscale peut-il contrer efficacement ces faux narratifs de l'UE ou de la Suisse ?
Tout d'abord, nous devons veiller à ce qu'il soit reconnu que les solutions de l'OCDE de la dernière décennie, tels que le développement de l'échange automatique d'informations sur les clients des banques et les multinationales ou l'imposition minimale de ces dernières, ne fonctionnent pas pour un groupe important de personnes, notamment pour les pays du Sud global. C'est pourquoi nous aspirons à une convention fiscale de l'ONU qui soit réellement inclusive. Certains diront peut-être que nous pourrions reconnaître à l'ONU la majeure partie du travail effectué à l'OCDE comme des acquis au niveau régional. La question serait alors de savoir selon quels critères cela devrait se faire. Certaines parties de la réforme dite BEPS1 de l’OCDE ne seront peut-être jamais mises en œuvre. Mais le temps presse.

Everlyn Muendo
La Kényane Everlyn Muendo est juriste au sein du Réseau africain pour la justice fiscale (Tax Justice Network Africa, TJNA). Sa mission porte sur la manière dont la politique fiscale internationale influence le financement du développement des Etats africains.
Alors que faire ?
Les impôts sont tout à fait cruciaux pour le financement du développement. Les débats techniques sur les règles de répartition des bénéfices ou la répartition des droits d'imposition cachent un sous-financement chronique dans des domaines essentiels : il faut mettre en place des systèmes d'éducation adéquats pour tout le monde ou lutter contre la crise de la santé publique dans le Sud global. Il s'agit aussi de générer davantage de moyens pour financer les mesures de protection climatique. Bref, la question concerne les personnes qui sont victimes de la politique fiscale actuelle ! C'est pourquoi nous voulons absolument faire avancer ce processus onusien.
Pour l'Afrique, une taxation adéquate du secteur des matières premières est absolument essentielle. Les matières premières viennent de chez nous, mais leur valeur est captée en dehors de l'Afrique.
De quoi aurait-on besoin dans les pays africains riches en ressources, où l'industrie extractive est un secteur économique très important ?
Pour l'Afrique, une taxation adéquate du secteur des matières premières est absolument essentielle. La plupart des multinationales du continent sont actives dans ce secteur. Mais leurs sièges sociaux se trouvent évidemment dans les pays industrialisés du Nord. Cette situation est le résultat d'une histoire très compliquée qui remonte loin dans notre histoire coloniale : avant leur départ, les colonialistes ont encore transformé notre économie de telle manière qu'ils en sont restés les plus grands bénéficiaires, même après l'indépendance. Au lieu d'améliorer la sécurité alimentaire, par exemple, ils ont continué à produire principalement du café, du thé, des produits maraîchers et des matières premières. Autrement dit, des produits de luxe qui sont surtout demandés dans les pays industrialisés. Les matières premières viennent de chez nous, mais leur valeur est captée en dehors de l'Afrique. Inversement, les produits fabriqués au Nord à partir de nos matières premières nous sont ensuite revendus. Nous ne profitons pas de nos propres ressources comme nous le devrions.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Quel pays est connu pour produire du bon chocolat ? Ce n'est pas le Ghana.
La Suisse ?
Vous voyez ! C'est un fait étonnant si l'on considère que plus de la moitié des fèves de cacao importées en Suisse proviennent du Ghana. Les multinationales transfèrent des centaines de milliards de dollars de bénéfices vers le Nord à l'appui d'une politique fiscale néfaste. Même sur les activités économiques réelles des entreprises étrangères en Afrique, nous ne recevons pas notre juste part d'impôts. Le système est vraiment contre nous.
Il faudra encore un certain temps avant que les nouvelles règles de l'ONU portent leurs fruits. Y a-t-il actuellement des possibilités d'amélioration en dehors de ce processus ?
Nous nous battons également pour davantage de conventions bilatérales de double imposition sur la base du modèle de l'ONU, qui est bien meilleur que celui de l'OCDE. Mais nous n'avons pas eu beaucoup de succès jusqu'à présent. Les pays du Nord sont en position de force dans les négociations grâce à leurs sièges sociaux. De plus, certaines de ces nations sont de véritables brutes ! Même si les pays en développement disposent d'un grand savoir-faire, nous finissons toujours par céder beaucoup de nos droits fiscaux. Tant que nous comptons sur les investissements directs de ces pays pour stimuler notre développement économique, ils peuvent nous mettre sous pression en termes de politique fiscale. Cette approche de la politique économique nous mène droit dans le mur.

Everlyn Muendo lors d’un échange organisé par son réseau pour la justice fiscale et climatique ce mois de novembre à Nairobi. © Tax Justice Network Africa
Le gouvernement kényan a récemment déclenché d'énormes tensions politiques dans le pays avec des réformes de politique financière. Pour quelle raison ?
Les protestations contre la loi sur les finances de juin 2024 avaient un enjeu bien plus large. Elles exprimaient la frustration des Kényanes et des Kényans qui travaillent dur face aux injustices économiques croissantes. L'Etat est lourdement endetté, et le gouvernement doit de toute urgence trouver davantage de moyens pour le service de la dette et le développement économique. Il introduit à cette fin de nouvelles taxes qui augmentent nettement le coût de la vie : une écotaxe, une taxe sur les véhicules, une taxe accrue sur l'entretien des routes et la suppression de l'exonération de la TVA pour certains biens de consommation essentiels. Cela pèse beaucoup plus sur les bas revenus que sur les hauts. Parallèlement, le service public est peu performant. La majeure partie des recettes est utilisée pour le service de la dette — qui peut engloutir plus de 50 % des recettes — et pour la corruption, qui étouffe des services publics importants : les salaires des médecins assistants ont ainsi été fortement réduits. Un nouveau modèle de financement des universités a été introduit. Les frais liés aux études ont par conséquent pris l’ascenseur. Le Kenya est devenu un terrain d'expérimentation pour les mesures d'austérité, notamment sous l'influence du Fonds monétaire international. Et pourtant, les Kényanes et Kényans ordinaires paient plus et reçoivent moins !
Comment pouvez-vous, en Suisse, parler de la corruption en Afrique sans admettre que vous êtes les plus grands promoteurs de l'opacité et des flux financiers déloyaux ?
Que répondez-vous à l'accusation souvent formulée en Suisse selon laquelle les recettes fiscales supplémentaires dans les pays africains ne profiteraient de toute façon qu'aux hommes et femmes politiques ?
Comment pouvez-vous, en Suisse, parler de la corruption en Afrique sans admettre que vous êtes les plus grands promoteurs de l'opacité et des flux financiers déloyaux ? Sérieusement, le tango se danse toujours à deux. Oui, le fonctionnaire africain corrompu existe. Mais qui le corrompt ? Beaucoup de multinationales, par exemple votre Glencore ! Ses scandales de corruption sont très révélateurs. Pourquoi la responsabilité est-elle toujours attribuée à un seul protagoniste ? Nous devons reconnaître que des places financières opaques comme la Suisse servent de cachettes sûres à des personnes corrompues de nos pays. C'est pourquoi une grande partie de la fortune est détenue à l'étranger. Personne ne dit : « Oh, je vais cacher mon argent au Kenya ». Non ! On choisit la Suisse ! Vous êtes tristement célèbres pour une bonne raison !
Revenons à l'ONU. Les prochaines négociations auront lieu en février. Les positions du Nord pourraient-elles changer ?
Eh bien, il y a deux développements intéressants à cet égard. Premièrement, les Etats de l'UE se sont abstenus lors du vote sur les grandes lignes de la convention en août, au lieu de voter contre, comme ils l'avaient fait pour les résolutions précédentes. Je pense que c'est un signe que le très fort scepticisme du Nord global à l'égard du processus en lui-même s'est un peu émoussé. Cela pourrait avoir un effet positif sur les prochains cycles de négociations. Deuxièmement, la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines pourrait conduire à un blocage total des processus de l'OCDE et de l'ONU par les Etats-Unis. Jusqu'à présent, les pays du Nord ont toujours dit qu'il fallait prendre des décisions par consensus à l'ONU. Mais je pense qu'ils doivent dès lors adapter cette position au vu de l'évolution de la situation aux Etats-Unis.
Où voulez-vous en venir ?
Ne vaudrait-il pas mieux se contenter de décisions prises à la majorité simple, même si le consensus est l'idéal ? Parfois, les choses ne se déroulent tout simplement pas selon son propre idéal. Au lieu de se laisser arrêter par un seul pays ou un petit groupe de pays, il serait plus démocratique de permettre à tous les autres — qu'ils viennent du Nord ou du Sud global — d'aller de l'avant. Si les décisions sont prises par consensus, les Etats-Unis, en tant que pays ayant le poids économique le plus fort, ont pour ainsi dire un pouvoir de veto. Il serait donc beaucoup plus démocratique de donner à chaque pays une voix égale dans les décisions prises à la majorité.
En nous tournant vers l'ONU dans le domaine de la politique fiscale, nous pouvons relever des défis fondamentaux.
Où voyez-vous des évolutions positives sur le continent africain ?
Dans plusieurs pays africains, les gens exigent plus de responsabilité de la part des dirigeantes et dirigeants politiques et économiques. Surtout en Afrique de l'Ouest, par exemple au Sénégal. Les soulèvements auxquels nous avons assisté là-bas sont aussi, dans une certaine mesure, une expression extrême du désir d'autodétermination dans des sociétés que nous pouvons toujours qualifier de postcoloniales. Pas seulement sur le plan politique, mais aussi sur le plan économique. Que nous examinions le commerce, l'endettement, les impôts ou quoi que ce soit d'autre : nous sommes peut-être des Etats reconnus par le droit international et dotés d'une souveraineté politique, mais nous sommes loin de la souveraineté économique. En nous tournant vers l'ONU dans le domaine de la politique fiscale, nous pouvons relever ces défis fondamentaux. Car la souveraineté en matière de fiscalité est un élément clé de la souveraineté économique.
1 L’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting, BEPS)
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La Suisse dans la nébuleuse de la compensation de CO2 au Ghana
20.11.2024, Justice climatique
L'achat de nouveaux fours de cuisson au Ghana devrait permettre, à des femmes surtout, d'économiser plus de 3 millions de tonnes de CO2 — en remplacement de réductions d'émissions réalisées en Suisse. Alliance Sud critique le manque flagrant de transparence du projet et montre les détails explosifs que ses propriétaires ont voulu cacher au grand public.

Une jeune fille cuisine avec sa mère dans sa maison à Tinguri, au Ghana. La Suisse se concentre sur ces foyers toxiques pour la santé dans le cadre de sa compensation climatique.
© Keystone / Robert Harding / Ben Langdon Photography
Grace Adongo, une paysanne de la région d'Ashanti au Ghana, est heureuse de son nouveau four de cuisson plus efficace. Au lieu de cuisiner sur un feu ouvert, elle pose désormais sa marmite sur une petite cuisinière. Elle utilise nettement moins de charbon de bois et économise ainsi de l'argent tout en émettant moins de CO2. Ce témoignage provient du dernier rapport annuel du Ghana Carbon Market Office et va dans le sens de nombreux autres qui font état des innombrables projets de fours de cuisson sur le marché mondial du carbone. Ces derniers doivent contribuer à équiper les couches les plus pauvres de la population de fours moins énergivores et moins nocifs pour la santé que les fours traditionnels ou les foyers émettant beaucoup de fumée. Cette approche permet de réduire la consommation de bois et d'économiser des émissions de CO2 (la quantité de celles-ci fait l’objet de nombreuses controverses — mais nous y reviendrons plus loin).
Le principe est toujours le même : les fours sont vendus à prix réduit. Les clientes et les clients cèdent alors leur droit à la réduction des émissions aux propriétaires du projet. Les rejets non émis grâce aux nouveaux fours sont ensuite calculés sur les années suivantes et vendus au niveau international par les propriétaires du projet sous forme de certificats de CO2. Les revenus générés par ces derniers sont nécessaires pour subventionner les fours de cuisson.
Ce qui semble être une bonne chose l'est certainement pour des gens comme Grace Adongo d'un point de vue individuel. Mais le système qui l'entoure est bien plus complexe et contradictoire. Dans le cas de la Transformative Cookstove Activity in Rural Ghana qu'Alliance Sud examine à la loupe dans la présente étude, il s'agit du marché de compensation de l'État, dans lequel la Suisse prend en compte les réductions d'émissions réalisées par le Ghana dans les objectifs climatiques de la Suisse. Il en ressort un nombre étonnant de situations qui doivent être évaluées de manière critique dans une perspective de justice climatique. La collaboration de la Suisse avec le Ghana est également un bon exemple de la raison pour laquelle le commerce de certificats dans le cadre de l'Accord de Paris ne permet pas d'atteindre des objectifs climatiques plus ambitieux.
Les certificats de CO2 provenant de ce projet et de nombreux autres sont payés par une taxe de 5 centimes par litre de carburant distribué à la pompe en Suisse. Appartenant aux importateurs de carburant, la Fondation KliK pour la protection du climat et la compensation de CO2 utilise cet argent pour des projets de compensation en Suisse et à l'étranger. En compensant les émissions de CO2 hors de nos frontières, les acteurs politiques suisses entendent pallier l'absence de mesures de protection du climat en Suisse afin d'atteindre malgré tout les objectifs climatiques fixés dans l'Accord de Paris.
Dans le cadre de l'Accord de Paris de 2015, la Suisse s'est engagée à réduire de moitié ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990. Or, la loi sur le CO2 ne permet de réduire qu'un peu plus de 30% des émissions en Suisse — à peine plus qu'avant la révision de la loi au printemps 2024. Les 20% restants doivent être compensés à l'étranger. Avec le paquet d'économies annoncé par le Conseil fédéral en septembre 2024, les mesures de protection du climat en Suisse devraient également être supprimées. Cela conduira inévitablement à ce que notre pays ait besoin de toujours plus de certificats de compensation pour pouvoir encore atteindre les objectifs climatiques. Tel n’est pas l’esprit de l'article 6 de l'Accord de Paris, qui doit explicitement conduire à « relever le niveau d’ambition » moyennant le transfert de réductions d'émissions vers d'autres pays. Pour cela, la Suisse devrait s'assurer que les objectifs climatiques des deux pays sont compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris. Elle a promis zéro émission nette d'ici 2050. Comme le zéro net doit être atteint d’ici 2050 au niveau planétaire, la Suisse attend donc de facto des autres pays qu'ils visent aussi zéro émission nette d’ici l’horizon 2050. Par rapport à cela, la contribution nationale du Ghana d'ici 2030 à la réalisation de l'Accord de Paris présente des lacunes considérables. Ce pays ne communique qu'à titre indicatif un objectif de zéro émission nette pour 2060 et exclut l'exploitation pétrolière de ses objectifs climatiques. Interrogé à ce sujet, l'Office fédéral de l'environnement (OFEV) écrit que « les exigences de l'Accord de Paris s'appliquent », en se référant aux objectifs climatiques fixés unilatéralement selon le principe de responsabilités communes mais différenciées et capacités respectives. « Dans ce contexte, les objectifs climatiques doivent comprendre l'ambition la plus élevée possible et il s’agit de relever le niveau d’ambition des objectifs suivants ». Il n'existe cependant pas d'autres critères pour les objectifs climatiques d'un État partenaire.
Voilà un an, le Ghana a fait part d’une intensification de sa production de pétrole et a justifié cette mesure par le manque de soutien financier pour la protection du climat. Cela souligne le problème de base : les pays du Sud mondial manquent de financement international pour le climat, un financement auquel ils auraient droit comme soutien du Nord global. Conséquence ? Ils adoptent la deuxième meilleure solution pour obtenir ce financement, à savoir la vente de leurs activités de protection climatique sous forme de certificats de CO2. La différence avec le financement climatique : la Suisse obtient le « droit » de reporter à plus tard ses mesures de protection du climat. Dans l'ensemble, les ambitions pour une protection efficace du climat sont revues à la baisse et non pas relevées.
L’épais brouillard de février
Le présent projet de fours de cuisson a été approuvé en février 2024 par le Ghana et la Suisse dans le cadre du mécanisme de marché bilatéral de l'Accord de Paris (art. 6.2). Il est mis en œuvre par l'entreprise de matières premières ACT Commodities d'Amsterdam (propriétaire du projet, voir encadré 2) et doit permettre d’épargner plus de 3 millions de tonnes de CO2 d'ici 2030. Les gouvernements des deux pays ont l'entière responsabilité de veiller à ce que le projet respecte des exigences de qualité élevées et tienne ses promesses. L'Office fédéral de l'environnement (OFEV) examine à cet effet la documentation du projet et la publie après son approbation.
Le propriétaire du projet est une multinationale dont le siège est à Amsterdam : ACT Commodities. Sur son site Internet, elle se décrit comme un fournisseur de premier plan de solutions de durabilité basées sur le marché et un moteur de la transition vers un monde durable. ACT est un protagoniste en vue du commerce des émissions. Mais ACT préfère renoncer à trop de transparence — sur son propre site web, on ne trouve pas un mot sur le fait que le portefeuille de la multinationale comprend aussi le commerce du pétrole et des carburants (via la société sœur ACT Fuels, qui n'a pas de site web). Seul un coup d'œil au registre du commerce néerlandais le révèle. Depuis juillet 2023, ACT Commodities possède par ailleurs une entreprise qui propose des carburants pour bateaux, le plus sale de tous les carburants. La multinationale fait donc partie du groupe croissant de négociants en matières premières qui font du commerce avec les énergies fossiles et se « blanchissent » comme protagonistes sur le marché du CO2.
Mais un premier coup d'œil sur les documents révèle déjà des lacunes en termes de transparence : le projet est aussi opaque qu'un épais brouillard. Des pans entiers de la description du projet ont été caviardés, dont la quasi-totalité de l'analyse qui doit prouver que le projet est à l’origine de réductions d'émissions supplémentaires (voir photo). Mais de nombreux autres chiffres et données pertinents ont aussi été occultés. Et le document contenant les calculs expliquant pourquoi la réduction de CO2 doit totaliser 3,2 millions de tonnes n'a même pas été publié. La transparence ne ressemble en rien à un tel tableau.
Alliance Sud a exigé la publication des documents et des calculs non expurgés en invoquant la loi sur la transparence (LTrans) — et, d’abord, a attendu quatre mois vu le refus des propriétaires du projet. Puis, une grande partie de la documentation a été rendue publique, mais pas intégralement. Les passages encore caviardés étaient considérés comme des secrets commerciaux. Mais il apparaît désormais sans ambiguïté que de nombreux passages ont été occultés de manière totalement arbitraire dans le document initial.
Extrait de l'analyse de l'additionnalité du projet, entièrement « expurgée » à l'origine.
Des réductions d'émissions surestimées jusqu'à 79%
Les modalités du calcul des économies potentielles de 400 000 tonnes de CO2 par an pendant 8 ans au Ghana font partie des informations centrales d’un projet de compensation. Les organismes de vérification sérieux pour le marché volontaire des certificats sont tenus de publier ces calculs. Les données doivent être tenues à disposition pour des analyses scientifiques — d'autant plus que toujours davantage d’études constatent une surestimation des réductions d'émissions grâce aux certificats de CO2, y compris pour les projets de fours de cuisson.
Mais dans ce cas, le propriétaire du projet s'y oppose. Ce manque de transparence est inacceptable. Suite à une demande invoquant la LTrans, Alliance Sud a reçu un PDF des tables de calcul. Sans possibilité de voir les formules Excel intégrées, la traçabilité reste limitée.
Les chiffres disponibles révèlent cependant des choses surprenantes : dans le PDF de calcul, il apparaît que pour les années 2025-30, les réductions d'émissions des mêmes fours sont calculées comme étant presque deux fois supérieures que pour 2023-24. La raison en est une augmentation apparemment prévue du paramètre clé, la part d'approvisionnement en bois non durable, appelée fraction de biomasse non renouvelable (fraction of non-renewable biomass, fNRB). Il s'agit d'une estimation de la quantité de biomasse ligneuse dont la récolte de bois de chauffage dépasse sa croissance naturelle. Seule la consommation réduite de bois de chauffage non durable peut être invoquée comme réduction des émissions de CO2. Ce paramètre est directement multiplié par les autres facteurs. Il est donc décisif pour les calculs de réduction des émissions. Une estimation trop élevée de la fNRB est la raison majeure de la critique parfois accablante des projets de fours de cuisson menés jusqu'à présent pour réduire les émissions.
Pour celles et ceux qui veulent en avoir le cœur net : selon la documentation du projet, la fNRB a été estimée à 0,3, ce qui est plus conservateur que de nombreux projets de fours de cuisson réalisés jusqu'à présent. D’après l’étude de référence officielle de la CCNUCC de juin 2024, cette valeur est appropriée en tant que valeur standard afin de ne pas surestimer massivement les réductions d'émissions et simultanément cohérente avec la valeur spécifique au pays de l'étude pour le Ghana (0,33). Or, le projet comporte une clause selon laquelle le Ghana et la Suisse peuvent adapter (vers le haut) la fNRB de manière bilatérale a posteriori. Le fait qu'une fNRB de 0,7629 soit déjà calculée à partir de 2025 n'apparaît que dans le PDF de calcul, qui n'a d’abord pas été publié. La description du projet ne mentionne pas qu'une valeur plus élevée est déjà prévue, même si elle n'a pas encore été approuvée. La valeur de 0,7629 provient de l'outil obsolète, le CDM-Tool 30, que l’OFEV lui-même qualifie de base insuffisante. Au printemps 2024, le Ghana a lancé un appel d'offres pour une étude indépendante afin de déterminer une valeur fNRB spécifique au pays — visiblement dans l'espoir de légitimer une valeur nettement plus élevée. Pour que celle-ci soit également acceptée par la Suisse, l'étude doit passer l’évaluation par des pairs (peer review) des organes de la CCNUCC. Vu l'étude de référence mentionnée, largement acceptée, qui calcule une valeur par pays de 0,33 pour le Ghana, l’entreprise risque d’être ardue.

Le document de calcul montre qu'à partir de 2025, on compte avec une fNRB, le paramètre clé, plus de deux fois plus élevée (ligne en jaune). Les réductions d'émissions entre 2025 et 2030 sont ainsi surestimées jusqu'à 92% selon les calculs d'Alliance Sud. Au total, la surestimation atteint jusqu'à 79% (en tenant compte du calcul correct pour 2023 et 2024).
Si l'on part, sans fondement, d'une valeur fNRB plus de deux fois supérieure, les réductions d'émissions sont donc surestimées à l'avance. Sur la base des calculs d'Alliance Sud, le projet réduirait au maximum 1,8 million de tonnes de CO2 si la valeur fNRB était maintenue constante à la valeur plus réaliste de 0,3. Or, le projet promet une réduction de 3,2 millions de tonnes de CO2. Il amplifie donc les réductions globales dans une proportion allant jusqu’à 79%.
D'ailleurs, contrairement au propriétaire du projet, nous publions nos propres calculs.
Le brouillard se dissipe après quelques recherches…
L'absurdité de vouloir qualifier la moitié de la documentation du projet de « secret commercial » (dans la première version de février) est illustrée par le fait que de nombreuses informations dissimulées sont disponibles publiquement ailleurs. Certains renseignements mineurs, qui avaient été dissimulés à l'origine, sont même non « expurgés » dans le même document à un autre endroit. D'autres informations sont visibles dans des documents du gouvernement ghanéen ou peuvent être combinées à partir d'autres sources.
Ainsi, grâce à un article en ligne des autorités ghanéennes sur une visite du conseil de la fondation KliK, on découvre le principal partenaire de distribution du projet au Ghana : une entreprise ghanéenne du nom de Farmerline. Elle facilite l'accès des paysannes et des paysans aux intrants agricoles — et ouvre ainsi à l'industrie agricole internationale les portes d’une nombreuse nouvelle clientèle au Ghana. Les propriétaires du projet souhaitaient également dissimuler cette relation. Dans la documentation du projet, plusieurs références à des partenariats dans le secteur agricole étaient à l'origine dissimulées et la collaboration concrète est toujours censurée — et il y a de bonnes raisons à cela, comme le montre un examen plus attentif.
…même s’il reste un nuage de pesticides
De son côté, Farmerline a annoncé sa collaboration avec Envirofit, le producteur de fours de cuisson et partenaire de mise en œuvre des propriétaires du projet, en juin 2023. La documentation indique à ce sujet comment 180 000 fours seront vendus en peu de temps à la population rurale, précise aussi qu’ils seront proposés dans plus de 400 magasins d'intrants agricoles. Certains posts de Farmerline sur la plateforme X attirent toutefois l'attention. Cette année, Farmerline a organisé une exposition itinérante agro-industrielle (Agribusiness Roadshow) dans plusieurs régions du Ghana, en collaboration avec Envirofit — et avec le groupe agroalimentaire Adama appartenant au groupe Syngenta. Chaque jour de la tournée, les fours de cuisson efficaces d'Envirofit ainsi que les pesticides d'Adama ont été présentés et proposés à la vente aux agricultrices et agriculteurs. Sur les vidéos de Farmerline, les produits Adama sont identifiables et, pour trois insecticides et un herbicide, il s'agit de produits contenant des substances actives non autorisées en Suisse et dans l'UE parce que trop dangereuses pour l'environnement et la santé : Atrazine, Diazinon et Bifenthrine. L'atrazine pollue les nappes phréatiques, inhibe la photosynthèse des plantes et ne se dégrade presque plus dans l'environnement ; elle est en outre classée comme cancérigène. Le diazinon ne s'attaque pas seulement aux parasites souhaités, mais à tous les insectes, et peut aussi être d'une toxicité aiguë chez l'être humain s'il entre en contact avec la peau. La bifenthrine est surtout très toxique pour les animaux aquicoles, mais ne devrait pas non plus être inhalée par les humains (voir la base de données sur les pesticides du Pesticide Action Network).
Exemple de photo tirée d'une vidéo de la tournée de Farmerline, au cours de laquelle outre les fours de cuisson, l'herbicide Maizine 30 OD contenant la substance active atrazine, interdite en Suisse, est vendu.
Aucune des vidéos ne montre par ailleurs la démonstration ou la vente de vêtements de protection adaptés. Selon diverses études (Demi und Sicchia 2021 ; Boateng et al 2022 ; et autres), l'utilisation croissante de pesticides dans l'agriculture ghanéenne va de pair avec d’importants problèmes de santé pour les paysannes et les paysans. Faute d'instructions de la part des revendeurs, nombre de paysans ignorent comment utiliser correctement les pesticides et se protéger, ou n'ont pas assez d'argent pour acheter des vêtements de protection. De plus, ils obtiennent des informations spécialisées de leur environnement personnel ou de leurs commerçants surtout, mais les conseils agricoles indépendants font défaut. Dans leur étude, Imoro et al. 2019 ont constaté que 50% n'utilisaient aucun vêtement de protection et que 40% n'en utilisaient pas suffisamment. Lorsqu'on demande à KliK si de tels vêtements sont vendus lors des tournées, KliK répond que ses partenaires de coopération respectent bien entendu les critères de durabilité les plus élevés. KliK écrit que le problème qu'Alliance Sud soulève avec cette question ne relève pas de son pouvoir d'appréciation.
La tentative de se prononcer clairement sur la contribution de ce projet de compensation au développement durable s'apparente donc toujours à tâtonner dans le brouillard. En effet, la clientèle des fours de cuisson économise certes de l'argent et améliore, espérons-le, sa santé grâce à la réduction de la fumée, mais elle est simultanément incitée à dépenser l'argent économisé pour des pesticides dont l'utilisation accrue entraîne des dommages environnementaux et, dans de nombreux cas, des atteintes à la santé. De ce point de vue, KliK a échoué dans l'évaluation des « critères de durabilité les plus élevés » des partenaires de coopération. Il est certes évident que des synergies sont recherchées avec les acteurs existants dans le domaine agricole afin d'atteindre les populations des zones rurales. Mais si la durabilité avait été au premier plan, un partenariat avec des organisations promouvant des approches agro-écologiques se serait bien plus imposé.
Des profits faramineux pour les investisseurs
Les nouveaux fours de cuisson permettent à la clientèle de réaliser des économies, mais le projet est bien plus largement profitable pour les investisseurs. Il reste également opaque d'un point de vue financier : les prix des fours ne sont pas communiqués, ceux des certificats sont une affaire privée de KliK et de ses partenaires commerciaux. L'OFEV ne vérifie pas non plus le plan financier, ou autre, du projet. Mais avec la publication de quelques informations supplémentaires faisant suite à la demande invoquant la LTrans, il est clair que les investisseurs devraient toucher le pactole. Ceux qui sont derrière ce projet restent invisibles, mais à en croire la documentation du projet, ils devraient pouvoir escompter un rendement annuel de 19,75% sur leur investissement. Ce rendement absurdement élevé est justifié par une comparaison avec les obligations d'État du Ghana. Cette comparaison est sans fondement aucun, les deux choses n'ayant rien à voir l'une avec l'autre. Les risques d'investir dans une obligation d'État d'une nation déjà fortement endettée sont d'une toute autre nature, ce qui explique les rendements élevés (même s'ils ne sont pas légitimés, car les taux d'intérêt élevés pour les États plus pauvres sont effrayants et dévastateurs — mais c’est encore une autre histoire).
Ici, en revanche, il s'agit d'un projet cofinancé et garanti par des fonds quasi publics ; on pourrait le classer dans la catégorie blended finance, un financement mixte public-privé. En effet, les importateurs de carburant prélèvent une taxe sur le carburant en application de la loi sur le CO2. Si les recettes de cette taxe devaient, d'un point de vue purement technique, faire un détour par le trésor public — comme c'est la règle pour d'autres taxes — avant d'être dépensées pour des projets de compensation, il s'agirait de l'argent public des contribuables.
Il existe donc un intérêt public à ce que les recettes de cette taxe soient utilisées efficacement. L'argent doit servir à la protection du climat et au développement durable sur place, plutôt qu’aux rendements mirobolants des investisseurs.
Conclusion
Les fours de cuisson efficaces sont un moyen avantageux d'apporter des améliorations dans la vie de nombreuses personnes tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Le mécanisme de marché de l'Accord de Paris présente toutefois des contradictions considérables dans la mise en œuvre de projets de protection climatique dans le Sud mondial. Il doit contribuer au développement durable sur place, mais il est conçu comme une affaire potentiellement lucrative pour les investisseurs. Et tandis que certaines émissions sont réduites dans le Sud global, le mécanisme offre une excuse politique pour remettre à plus tard la protection du climat dans un pays aussi prospère que la Suisse.
La transparence dans le commerce de certificats est donc essentielle pour connaître les dessous complexes et potentiellement problématiques des projets de compensation. Le projet de compensation climatique de la Suisse au Ghana en est un exemple éloquent. Ni la surestimation des réductions d'émissions, ni la vente de pesticides toxiques, ni le rendement trop élevé ne ressortaient des documents publiés après l'approbation du projet de fours de cuisson. Ce n'est que suite à une demande invoquant la LTrans et à des recherches plus poussées qu'Alliance Sud a pu dissiper le brouillard de la documentation opaque du projet : celle-ci a révélé l'approbation de méthodes de calcul hasardeuses, des pratiques commerciales des partenaires de mise en œuvre nuisibles à l'environnement et aux populations, ainsi qu'une compréhension douteuse de la transparence de la part des protagonistes majeurs. La possibilité d'un examen public reste cependant décisive pour que les projets de compensation ne compromettent pas la mise en œuvre de l'Accord de Paris.
Le cas en question est le deuxième projet de compensation de la Suisse dans le cadre de l'Accord de Paris examiné par Alliance Sud. Il y a un an, Alliance Sud et Action de Carême avaient déjà montré pourquoi les nouveaux bus électriques de Bangkok ne remplaçaient pas la protection du climat en Suisse.
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