Partager l'article

global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Commerce mondial
21.06.2024, Commerce et investissements
Un nouveau règlement interdit l'importation dans l'UE des sept produits qui contribuent le plus à la déforestation. Il faut s'assurer que les petits producteurs-trices du Sud ne soient pas lésés.
Un unique arbre vert dans les collines du paysage brûlé et déboisé près de Mae Chaem, au nord de la Thaïlande. © Keystone / EPA / Barbara Walton
Le nouveau Règlement européen sur la déforestation (EUDR) entrera pleinement en vigueur le 1er janvier 2025. Les sept matières premières qui contribuent le plus à la mort des forêts – cacao, café, huile de palme, caoutchouc, soja, bois, bovins – et leurs produits dérivés – chocolat, capsules de café, meubles, papier, pneus, par exemple – ne pourront être importés dans l’Union européenne (UE) qu’à condition de prouver qu’ils sont issus de terrains qui n’ont pas été déboisés après le 1er janvier 2020. Et qu’ils respectent les droits du travail, les normes anti-corruption et les droits des communautés autochtones, entre autres.
Pour cela, les pays producteurs seront divisés en trois catégories selon le risque de déforestation, et les sites de production surveillés par des moyens technologiques sophistiqués, dont la géolocalisation. L’initiative fait partie du Pacte vert de l’UE, qui part d’un constat sans appel : les Vingt-Sept sont les principaux importateurs de produits qui contribuent à la déforestation associée au commerce international, après la Chine. Le devoir de diligence, à savoir le fait de s’assurer de l’absence de déforestation, incombe à tous les acteurs de la chaîne de valeur – producteurs, exportateurs et importateurs, petits et grands, avec des conditionnalités plus ou moins strictes selon la taille.
Selon une étude de Krungsri Research View, un institut de recherche de la cinquième banque de Thaïlande, l'Allemagne est le pays le plus touché par la EUDR – elle exporte principalement du bois, du caoutchouc, du bœuf et du cacao. Elle est suivie de près par la Chine, qui exporte du bois et du caoutchouc. Parmi les pays du Sud, le Brésil (café, soja, huile de palme), l'Indonésie (huile de palme), la Malaisie (huile de palme), l'Argentine (soja, huile de palme, viande de bœuf), le Vietnam (café) et la Côte d'Ivoire (cacao), la Thaïlande (caoutchouc) et le Guatemala (huile de palme et café) sont fortement touchés.
L’ONG Fern (Forests and the European Union Resource Network) estime que le Honduras, le Ghana et le Cameroun, particulièrement dépendants des exportations vers l’UE, sont aussi susceptibles d’être affectés par le règlement.
Les pays du Sud global sont vent debout contre cette initiative, y voyant du protectionnisme déguisé et un nouveau colonialisme vert. En septembre 2023, 17 chefs de gouvernement d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie ont envoyé une lettre aux présidents de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil des ministres, regrettant l’approche « one-size-fits-all » de l’EUDR et son manque de connaissance des spécificités locales.
En effet, les petits paysan-ne-s et les petits producteurs-trices, notamment, auront toutes les peines du monde à prouver leur irréprochabilité, même si, à part pour quelques produits comme le café et le cacao, ce sont surtout les grands producteurs et exportateurs qui arrivent à placer leurs produits sur les marchés européens.
Les effets néfastes de cette initiative ne se sont pas fait attendre. Comme le souligne l’International Institute for Environment and Development, les importateurs européens sont déjà en train de délaisser le café éthiopien pour se tourner vers le café en provenance du Brésil, dont la traçabilité est plus facile à assurer.
Dans son rapport sur le commerce et le développement 2023, l’ONU Commerce et Développement (ex CNUCED) s’est inquiétée de la prolifération d’initiatives unilatérales comme l’EUDR et le CBAM (la taxe carbone aux frontières également imposées par l’UE sur les produits hautement polluants comme l’aluminium). Elle considère que celles-ci violent le principe de responsabilité commune, mais différenciée, inscrit dans l’Accord de Paris sur le climat.
Krungsri Research View s’est intéressé particulièrement au cas de la Thaïlande, qui montre que l’impact de l’EUDR est ambivalent. D’une part, les produits couverts par l’EUDR ne représentent que 8,3 % des exportations vers l’UE et 0,7 % de toutes les exportations thaïlandaises, mais leur valeur est en augmentation.
Les producteurs et exportateurs de caoutchouc, bois et huile de palme devront faire face à des coûts importants pour s’adapter à la nouvelle réglementation ; les petits producteurs vont perdre leur compétitivité et la Thaïlande risque de se retrouver exclue des chaînes mondiales de valeur.
Mais si le processus est accompagné de façon adéquate, aussi bien par le gouvernement que par les aides prévues par l’EUDR, la Thaïlande peut gagner une nouvelle compétitivité par rapport à ses concurrents, tout en préservant ses forêts.
Qu’en est-il de la Suisse ? Elle est indirectement touchée par la nouvelle disposition car toute exportation des sept produits vers l’UE devra respecter les exigences de l’EUDR. Toujours selon Krungsri, notre pays se situe même à la 17ème position en termes d’impact, pour le cacao et surtout le café.
A ce jour, le Conseil fédéral a décidé de ne pas adapter le droit suisse à l’EUDR tant qu’une reconnaissance mutuelle avec l’UE n’est pas possible. Ce afin de ne pas doubler la charge de travail des entreprises suisses. Mais il va mener une étude d’impact d’ici l’été et prendra une décision ensuite.
Du côté de la société civile, on réfléchit. Alliance Sud participe à un groupe de travail qui étudie si et comment adapter l’EUDR à la Suisse. Le souci est de ne pas pénaliser les petit-e-s producteurs-trices des pays du Sud global. Le cas échéant il faudrait des mesures d’accompagnement et de formation et une consultation des communautés locales. Ce pour éviter que la lutte contre le changement climatique ne se fasse au détriment des potentiels de développement du commerce international.
Partager l'article
global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Interview
31.07.2024, Agenda 2030
A l'ONU, les Etats du monde entier ont défini 17 objectifs de développement durable (ODD) à atteindre d'ici 2030. Les résultats intermédiaires concernant cet Agenda 2030 viennent d'être examinés à New York. Johann Aeschlimann s'est entretenu avec deux membres de la délégation suisse, Markus Reubi, chef de délégation, et Andreas Lustenberger de Caritas, représentant de la société civile.
Markus Reubi, délégué du Conseil fédéral pour l'Agenda 2030 (1er depuis la gauche) et Andreas Lustenberger, responsable du secteur Etudes et Politique de Caritas Suisse (2e depuis la droite) avec des membres de la délégation officielle suisse au FPHN à New York. © Caritas
Johann Aeschlimann est auteur et écrit régulièrement pour l'Association suisse de politique étrangère (ASPE / SGA). Il a travaillé au service diplomatique de la Suisse et a couvert l'actualité en tant que journaliste à Berne, Washington D.C., Bruxelles et Bonn. Cet entretien a d'abord été publié par l’ASPE / SGA.
MM. Reubi et Lustenberger, pourquoi l'Agenda 2030 est-il important ?
Reubi : Il s'agit du seul cadre d'action mondial pour le développement durable. Les 193 Etats l'ont approuvé au sein de l'ONU. Il porte sur les normes sociales, l'équité, la durabilité écologique et économique et énonce 17 objectifs et 169 sous-objectifs. C’est un cadre clair, ambitieux et complet.
Comment le développement est-il mesuré et contrôlé ?
Reubi : Des indicateurs sont formulés pour chaque objectif et affinés en permanence. La Suisse apporte d'ailleurs une contribution importante dans ce contexte via l'Office fédéral de la statistique. Chaque année, les 193 Etats membres de l'ONU se réunissent à New York pour le Forum politique de haut niveau (FPHN) et discutent des résultats intermédiaires, sous une forme approfondie pour une poignée d'objectifs. Cette année, les objectifs 1 (pauvreté), 2 (faim), 13 (climat) et 16 (sociétés pacifiques et ouvertes à tous, dotées d'institutions efficaces) étaient mis en avant. Certains pays peuvent par ailleurs, de leur propre initiative, rendre compte de leur mise en œuvre. A l'exception de deux Etats membres de l'ONU, tous ont fait usage de cette possibilité au moins une fois, la Suisse pour la dernière fois en 2022.
Si nous continuons ainsi, nous atteindrons à peine 17 pour cent des objectifs. Nous avons fait un pas en arrière dans la lutte contre la pauvreté. Le constat est le même pour la faim.
Andreas Lustenberger
Et quel bilan intermédiaire peut-on tirer ?
Lustenberger : Le bilan est décevant. Si nous continuons sur cette voie, nous n'atteindrons que 17 % des objectifs. Nous avons fait un pas en arrière dans la lutte contre la pauvreté et nous stagnons maintenant. Le constat est le même pour la faim.
Est-ce une conséquence du COVID ?
Lustenberger : Pas seulement. La guerre contre l'Ukraine a affecté l'approvisionnement mondial en céréales et provoqué un renchérissement des denrées alimentaires qui a eu des effets considérables dans le Sud global. De même, le réchauffement climatique en cours entraîne des pertes de récoltes et nous assistons malheureusement à une recrudescence des guerres civiles et des conflits. Le monde traverse une crise multiple.
Au début de la guerre, on parlait beaucoup des livraisons de céréales via la mer Noire, mais moins maintenant. Le problème a-t-il été gommé ?
Lustenberger : Dans les pays concernés, la situation ne s'est certainement pas améliorée. L'inflation est toujours là, mais on n'en parle pas.
Reubi : L'amélioration de la sécurité alimentaire reste une préoccupation majeure des pays en développement. Beaucoup mettent également en cause les sanctions occidentales. Dans ce contexte, la politisation de l'Agenda 2030 a malheureusement gagné du terrain.
Comment cela s'est-il traduit à New York ?
Lustenberger : Dans la déclaration finale, les pays en développement (le G77) ont fait pression à la demande du Nicaragua pour que les sanctions soient condamnées comme entraves au développement. J'ai été choqué qu’ils aient trouvé une majorité. Après tout, ces sanctions ne sont pas prises sans raison. Il s'agit de la réponse aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité. Si des pays comme l'Afrique du Sud ou le Chili n’en tiennent pas compte, je me demande ce qu'ils sont prêts à faire d'autre.
Comment la Suisse a-t-elle voté ?
Reubi : Nous avons voté contre, surtout pour des raisons de procédure. La demande d'une annexe dans la déclaration finale, négociée bien plus tôt, est arrivée très tard. Elle a mis en péril le consensus — et celui-ci est crucial pour réaliser ensemble la vision d'un développement durable.
Lustenberger : L’UE s'est abstenue, peut-être parce qu'elle n'était pas d'accord en interne.
La Chine prône le « développement d'abord », ce qui signifie le développement économique d'abord, les droits humains et le reste ensuite. Est-ce que cela s'est ressenti à New York ?
Reubi : La Chine était très présente et a fait pour la première fois une déclaration au nom du « group of friends » de sa propre « global development initiative ». Le discours est insidieux. Il est difficile de s'y opposer. Mais il faut savoir que les droits de l'être humain, l'égalité, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et d'autres éléments centraux de l'Agenda 2030 ne sont pas mentionnés. Si des pays comme la Suisse ne s'engagent plus pour ces valeurs et délaissent la mise en œuvre de l'Agenda 2030 dans son ensemble, ce discours se renforcera.
Lustenberger : La Chine finance aujourd'hui 20 % de l'ensemble du système de l'ONU, par lequel transite une grande partie des fonds publics de développement. C'est beaucoup et cela devient perceptible lorsqu'il s'agit de savoir qui participe à la définition des valeurs qui sont mises en avant par ces organisations.
Il ne s’agit plus d’un simple agenda de développement, mais d’un développement durable pour la planète entière. Vue sous cet angle, la Suisse est également un pays en développement.
Markus Reubi
Les différents pays peuvent rendre compte de l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’Agenda 2030. Le font-ils ? Tous ?
Lustenberger : Les seuls pays qui n’ont jamais produit de rapport sont les Etats-Unis et la Corée du Nord. Tous les autres ont soumis au moins un rapport.
Reubi : La Suisse le fait tous les quatre ans, la dernière fois en 2022 et la prochaine en 2026. Nous devons aussi nous efforcer d'atteindre les objectifs de l'Agenda 2030. Par exemple, dans le domaine de l’objectif 2 (la faim) également. Nous ne connaissons pas de faim extrême, mais nous avons d’autres problèmes nutritionnels auxquels il faut remédier. Gaspillage, suralimentation et obésité, production et consommation durables. Il ne s’agit plus d’un simple agenda de développement, comme c’était le cas avec les précédents « objectifs du Millénaire », mais d’un développement durable pour la planète entière. Vue sous cet angle, la Suisse est également un pays en développement.
Lustenberger : Tout à fait.
Reubi : Un pays en développement dans l’esprit du développement durable.
Lustenberger : Des pays comme le Mexique, l'Équateur, le Costa Rica ou le Kenya ont fourni des données. Dans leurs rapports sur la pauvreté, ils montrent aussi ce qui s'est détérioré. Concernant l'objectif 16, la bonne gouvernance, la paix, la lutte contre la corruption, l'inclusion, les gouvernements autoritaires ne répondent pas partout à tout, même lorsqu'il s'agit par exemple de la participation de la société civile.
Nous prônons une réduction de la dette. La dette des pays du Sud est une entrave au développement.
Andreas Lustenberger
Les pays du Sud réclament surtout plus d'argent pour la mise en œuvre des objectifs de durabilité. L'argent est-il la seule chose qui manque ?
Lustenberger : Le problème est en effet que l'argent ne suffit pas pour atteindre les objectifs partout. Mais la mise en œuvre de l'Agenda 2030 est une tâche qui incombe à tous. Si les gouvernements, souvent autocratiques, mettent en avant leurs propres intérêts, l'argent seul ne suffira pas.
Reubi : On nous interpelle fréquemment sur la coopération au développement. Mais ce qui dérange encore plus les pays africains, c'est de constater que leurs projets sont si chers. Un projet solaire en Afrique coûte bien davantage qu'un projet comparable en Europe, car les primes de risque élevées empêchent le secteur privé d'y investir. La Suisse s'engage à améliorer les conditions-cadres sur place.
Lustenberger : Nous prônons une réduction de la dette. La dette des pays du Sud est une entrave au développement. Sa réduction ne mettrait pas à genoux un pays comme la Suisse.
Sur le plan politique, le vent souffle dans une autre direction. À Berne, le Parlement suisse réduit le budget de la coopération au développement afin de libérer des fonds pour l'aide à l'Ukraine.
Lustenberger : Nous faisons le même constat dans d'autres pays similaires. Nous sommes contre toute réduction et demandons une augmentation des budgets de la coopération au développement. Une part importante de ces fonds est destinée à l'aide multilatérale des agences de l'ONU. Si cette aide est réduite, des pays comme la Chine, qui ont d'autres priorités, s’engouffreront dans la brèche. Nos préoccupations seront affaiblies, notamment dans le domaine de l'objectif 16. Notre classe politique n’est pas assez consciente des conséquences à long terme d’une telle situation. Je regrette qu'il manque actuellement au parlement des personnalités fortes qui s'engagent pour une politique étrangère économique prévoyante de la Suisse.
L'économie suit-elle le mouvement ?
Reubi : Nous sommes en train de dialoguer. Je pense que l'économie a découvert les ODD. Elle parle plutôt d'objectifs « ESG » (pour Environnement, Social, Gouvernance). L'année dernière, les plus grandes entreprises ont dû établir pour la première fois des rapports de durabilité. Des entreprises qui n'y seraient pas obligées le font également. Elles s’y mettent parce que de jeunes employés, des clients, des fournisseurs ou encore des banques impliquées dans le financement le demandent. Et parce que la durabilité fait désormais partie de la stratégie.
Quel bilan tirez-vous après les consultations à New York ?
Lustenberger : Pour moi, c'est à la fois décevant et motivant. Décevant, parce que nous ne sommes pas sur le point d’atteindre les objectifs. Motivant, parce que je vois qu'il ne suffit pas d'agir de manière bilatérale ou nationale. La voie multilatérale compte également. La Suisse fait du bon travail dans ce domaine, mais elle doit poursuivre la marche en avant.
Reubi : Pour moi, les rapports nationaux sont une expérience de plus en plus positive. Tout comme l'engagement de nombreuses villes individuelles qui ont été présentes ici et qui ont fait part de leurs préoccupations.
Markus Reubi est diplomate au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et délégué du Conseil fédéral pour l'Agenda 2030.
Andreas Lustenberger est membre de la direction de Caritas, où il dirige le secteur Études et politique.
Partager l'article
CONVENTION FISCALE DE L’ONU
26.07.2024, Finances et fiscalité
Le prochain cycle de négociations pour une convention-cadre sur la fiscalité débutera la semaine prochaine au siège de l'ONU à New York. Les cantons suisses de Bâle-Ville et de Zoug, où l'imposition des multinationales est très clémente, ont récemment apporté de nouvelles preuves de la nécessité d'une telle convention.
Jusqu'à la mi-août, ce sont surtout les pays du Sud global qui luttent à New York pour une convention fiscale forte de l'ONU - ce qui devrait rendre la Suisse et d'autres profiteurs du système fiscal actuel nerveux.
© KEYSTONE / SPUTNIK / Sergey Guneev
Au cours des trois prochaines semaines, le comité ad hoc chargé de rédiger les termes de référence (TdR) d'une convention-cadre des Nations Unies sur la coopération fiscale internationale (Ad Hoc Committee to Draft Terms of Reference for a United Nations Framework Convention on International Tax Cooperation) s'attachera à définir la portée politique et les procédures de décision de la nouvelle convention-cadre. Ce sujet, qui semble extrêmement technique, est politiquement crucial : d'ici la mi-août, les négociateurs devront déterminer combien de pouvoir l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a dominé l'agenda multilatéral en matière de politique fiscale internationale depuis les années 1970, devrait céder à l'ONU. Si l'ONU reprend à l'avenir le sceptre de la politique fiscale mondiale, les États du Nord, qui continuent de dominer la politique économique mondiale malgré la montée en puissance de la Chine, perdraient leur suprématie dans un domaine clé de cette politique. L'UE, les États-Unis et les principaux bénéficiaires du système fiscal international sous l’égide de l'OCDE, à savoir les pays fiscalement cléments pour les multinationales et les grandes places financières, s'opposent fermement à une convention fiscale forte de l'ONU. Les deux modèles économiques profitent du fait que, malgré toutes les réformes de l'OCDE de la dernière décennie, les bénéfices des entreprises et les fortunes peuvent aujourd'hui être imposés là où la taxation est la plus faible, voire inexistante.
Lorsque les questions fiscales multilatérales sont négociées à l'ONU plutôt qu'à l'OCDE, les rapports de majorité sont différents et les pays du Sud sont aux commandes. Le projet des termes de référence récemment présenté par l'organe directeur du comité ad hoc reflète cette situation. Le texte établit un lien direct entre la convention fiscale et le financement des objectifs de développement durable de l’ONU (ODD) et formule notamment comme objectif de la convention l’instauration d'un système fiscal international inclusif, juste, transparent, équitable et efficace pour le développement durable. Cet objectif doit être atteint par des engagements appropriés des États signataires dans les domaines suivants :
Si tous ces éléments devaient figurer dans la version finale des TdR, tous les grands problèmes actuels de la politique fiscale internationale pourraient être à l'avenir abordés dans le cadre de l'ONU : les transferts de bénéfices des multinationales vers des juridictions à faible imposition ; les super-riches qui, via des montages sophistiqués, soustraient leur fortune au fisc dans le système offshore mondial ; le fait que les impôts sont aujourd'hui bien trop peu utilisés comme mesure de contrôle économique dans le cadre de la politique climatique ; le manque de transparence dans la gestion mondiale des actifs et l'inégalité des règles du jeu entre les États de résidence, du marché et de production des multinationales lorsqu'il s'agit de régler des conflits sur la question de savoir qui peut imposer quels bénéfices de ces multinationales et à quel endroit. Pas étonnant dès lors que l'opposition du Nord mondial à ce projet soit forte, même si elle n'est que rarement vraiment explicitée.
La prise de position de la Suisse sur le projet de TdR est symptomatique de cette tactique de négociation des pays prospères, qui misent sur les excuses plutôt que sur l'exposé et la défense explicites de leurs propres intérêts. Comme la plupart des pays de l'OCDE et de l'UE, la Suisse préconise que les décisions soient prises par consensus. Ce n'est qu'ainsi que les réformes multilatérales du système fiscal international, mises en place dans le cadre de la convention, pourraient être appliquées dans la pratique. Parallèlement, la Suisse — qui adopte là encore la ligne de la majorité de l'OCDE et de l'UE — ne veut négocier dans le cadre de l'ONU que ce qui n'est pas déjà à l'ordre du jour de l'OCDE. Cela exclut l'imposition des multinationales, la transparence fiscale, une taxation plus adaptée des grandes fortunes et de nouveaux mécanismes de règlement des différends. Notre pays évoque ici un doublement des forums multinationaux.
Mais la mise en œuvre de l'imposition minimale de l'OCDE, actuellement en cours dans le monde entier, montre clairement que l'on ne peut parler de « doublement » que du point de vue privilégié du Nord. Pour le Sud global, l'imposition minimale ne rapporte pratiquement rien. Les bénéficiaires seront justement les juridictions à faible imposition qui ont profité des faiblesses de l'ancien système de taxation des grands groupes pour pouvoir imposer leurs bénéfices chez elles sans que la véritable création de valeur ne s'y produise. Il faut se montrer satisfait des systèmes de l'OCDE pour considérer qu'un nouveau forum intergouvernemental à l'ONU fait double emploi, c'est-à-dire qu'il est en fait superflu.
Cette dernière remarque s'applique sans nul doute à la Suisse. Les cantons suisses de Bâle-Ville et de Zoug en donnent de bons exemples. Alors qu'à Bâle, Roche, Novartis et autres veillent à ce que les recettes de l'impôt sur les bénéfices soient extrêmement abondantes et produisent des excédents budgétaires massifs (plus 434 millions en 2023), à Zoug (460 millions), ce sont surtout les négociants en matières premières qui le font. Dans les deux cantons, le fait que les branches implantées génèrent de la valeur ajoutée principalement à l'étranger (la production de médicaments et une grande partie de la recherche et du développement n'ont pas lieu à Bâle ; Zoug ne dispose pas de mines de cuivre ou de champs pétrolifères) permet de générer un substrat fiscal supérieur à la moyenne. Bâle-Ville et Zoug s'attendent à ce que l'introduction de l'imposition minimale de l'OCDE fasse rentrer encore plus d'argent dans les caisses cantonales. Mais dès à présent, les deux gouvernements cantonaux semblent ne plus savoir que faire de cette manne. Au moyen de nouveaux instruments de subventionnement, ils prévoient tous deux de redistribuer les recettes fiscales supplémentaires aux grands groupes qui doivent s'acquitter de l'imposition minimale. Bâle vend cela notamment comme « promotion de l'égalité » (le canton entend à l'avenir financer une partie du congé parental du personnel des multinationales très rentables). À Zoug, on se montre soudain progressiste sur le plan social : le canton doit prendre en charge tous les frais hospitaliers de ses habitants au cours des deux prochaines années. Soutien à la garde d'enfants, accès gratuit à la médecine de pointe — deux éléments clés d'un développement durable. Le personnel des multinationales bâloises et zougoises trimant dans les usines de médicaments d'Asie du Sud ou dans les mines d'Afrique ne peut que rêver de ces deux avantages. Pourtant, personne dans les gouvernements des deux cantons « de luxe » n'a eu l'idée d'investir les recettes fiscales excédentaires dans le développement durable dans le Sud global. Le canton de Zoug (qui entend toujours devenir une « cryptovalley ») préfère encore acheter un institut universitaire entier pour la « blockchain » dans le canton voisin de Lucerne.
Il n'y a donc aucune trace d'un doublement planétaire de la prospérité zougoise. Au contraire, le régime de l'OCDE suit manifestement le principe « prendre pour recevoir ». Ce seul fait est déjà une raison suffisante pour œuvrer en faveur d'un système fiscal planétaire équitable sous l'égide de l'ONU. Que cela ne plaise pas à la Suisse officielle est une évidence tant qu'elle ne repense pas fondamentalement son propre modèle économique.
Pour plus d'informations et un aperçu des négociations fiscales au sein de l'ONU, lisez aussi le document d’information « Die neue Steuerrahmenkonvention der Vereinten Nationen », rédige entre autres par le Global Policy Forum et le Réseau pour la justice fiscale.
Partager l'article
Stratégie 2025-2028
21.06.2024, Coopération internationale, Financement du développement
À la mi-mai, le Conseil fédéral a adopté le message tant attendu sur la stratégie de coopération internationale (CI) 2025-2028. Dans ce document, il persiste à financer l’aide à l’Ukraine au détriment du Sud global, ignorant ainsi les résultats de la consultation publique.
© Ruedi Widmer
En termes de contenu, le Conseil fédéral se contente de miser sur des thèmes et des stratégies de mise en œuvre éprouvés dans sa stratégie 2025-2028. Ceci dans un monde qui, selon cette stratégie, est plus fragmenté, plus instable et plus imprévisible. Le Conseil fédéral opte donc pour davantage de flexibilité, sa devise du moment. En conférence de presse, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a déclaré que la flexibilité était nécessaire pour faire face aux crises actuelles. Mais en lisant la stratégie de CI, on se rend vite compte que la flexibilité signifie en fait que la totalité de l'aide à l'Ukraine, qui s’élève à 1,5 milliard de francs, proviendra du budget de la coopération internationale et que les montants alloués à d'autres pays et programmes seront donc réduits de manière « flexible ».
Lors de la conférence de presse du 10 avril sur la conférence de paix au Bürgenstock et l'aide à l'Ukraine, le conseiller fédéral Ignazio Cassis avait déjà parlé d'une réallocation continue des ressources dans la CI. Selon lui, l'affectation des ressources est un processus stratégique et dynamique et non une attitude statique. Une telle approche dynamique peut certes être utile, par exemple dans le cadre de la combinaison (« nexus ») flexible des trois piliers de la CI, à savoir l'aide humanitaire, la coopération au développement et la promotion de la paix. Souvent, les frontières entre ces approches sont de toute façon floues.
Une coopération internationale qui déplace en permanence ses ressources entre divers pays et régions ne peut pas instaurer de partenariats sérieux à long terme. Or, c'est précisément ce dont elle a besoin pour être efficace et efficiente. Il faut de la confiance et un engagement à long terme, des relations établies et maintenues par les programmes de coopération au développement. Ou pour reprendre les mots du conseiller fédéral Cassis lors d'un échange avec des ONG en 2022 :
« fiabilité, confiance et prévisibilité ». Si la CI suisse devient le jouet de considérations géopolitiques, elle manquera des réseaux et du personnel nécessaires sur le terrain. La guerre en Ukraine a marqué un tournant ; mais cela ne doit pas conduire la CI suisse à abandonner ce qu'elle a mis de nombreuses années à construire et à réaliser avec ses pays partenaires.
En décidant de financer l'aide à l'Ukraine à partir du budget de la CI, le Conseil fédéral inflige de multiples désaveux. D'une part, il désavoue le Sud global qui, depuis des années, appelle les pays riches à respecter l'objectif reconnu sur la scène internationale de 0,7 % du revenu national brut pour le financement du développement (aide publique au développement, APD). Avec le projet du Conseil fédéral, la Suisse affichera une APD de 0,36 % (hors coûts de l'asile) en 2028. Où est donc la tradition humanitaire si souvent mise en avant quand on a besoin d’elle ?
Et le Conseil fédéral adresse un second désaveu aux organisations, partis et cantons qui ont participé à la consultation. En effet, une majorité écrasante de 75 % d’entre eux, qui ont répondu explicitement à une question dans ce sens, ont déclaré que l'aide à l'Ukraine ne devait pas se faire au détriment d'autres régions et priorités de la CI, comme l'Afrique subsaharienne ou le Moyen-Orient. Aucun parti politique, à l'exception de l'UDC — dont le programme aspire à l’abolition de la coopération au développement —, ne soutient le financement de la reconstruction de l'Ukraine à partir de la CI. Le Parlement n'a malheureusement pas encore trouvé de solutions susceptibles de réunir une majorité sur la manière de mettre en œuvre cette mesure sur la trame des querelles autour des finances fédérales.
Les pays étrangers ne manquent pas de remarquer que la Suisse se repose sur son statut spécial de pays neutre, aussi confortable que lucratif, et qu'elle ne s’implique pas suffisamment dans la lutte défensive de l'Ukraine — que le soutien soit de nature militaire ou humanitaire. Avec un taux d'endettement de 17,8 % du produit intérieur brut la Suisse ne peut pas expliquer de manière crédible sur la scène internationale pourquoi elle ne peut pas fournir de fonds supplémentaires à l'Ukraine. En parallèle, avec leurs propositions de financement pour le réarmement de l’armée et la 13e rente AVS, l’UDC et le PLR alimentent l'idée que notre pays pourrait se désengager totalement de ses obligations internationales.
La Suisse s'isole ainsi de plus en plus et perd toute crédibilité sur la scène internationale. Adieu le rôle de médiateur, adieu la tradition humanitaire et le partenaire fiable. Le Conseil fédéral a bien interprété les signes des temps, mais il a choisi la voie de l'isolement. Seul le Parlement peut donc encore corriger le tir et amorcer un changement de cap pour l'Ukraine et le Sud global.
Partager l'article
global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Politique de paix en Colombie
21.06.2024, Coopération internationale
Voilà deux ans la Colombie a élu pour la première fois un président n'appartenant pas aux anciennes élites. Dans un pays encore largement dominé par les groupes armés, le gouvernement Petro s'est fixé un objectif ambitieux : l’instauration d’une paix totale (Paz total).
À Cucuta, à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, un enfant passe entre des soldats colombiens en patrouille à un poste de contrôle. © Schneyder Mendoza / KEYSTONE / AFP
Swissaid, une organisation membre d'Alliance Sud, a organisé fin mars un déplacement en Colombie pour une délégation de parlementaires de quatre partis. Alliance Sud a pu prendre part à ce voyage lors duquel les nombreuses rencontres avec des ONG suisses, la société civile colombienne, des services gouvernementaux et des membres de l'ambassade de Suisse ont largement porté sur le processus de paix.
L'élection de Gustavo Petro en 2022 a été un événement historique. Pour la première fois, dans la plus ancienne démocratie d'Amérique latine, un homme est arrivé à la tête du pays sans être issu, comme tous ses prédécesseurs, des partis dominants de l'élite et du cercle des 30 familles qui contrôlaient la Colombie. Emprisonné dans les années 80 et soutenu par une large alliance de la société civile, l’ex-guérillero ne dispose toutefois pas de la majorité au Parlement. Que plus de trois millions de personnes aient fui le Venezuela pour se réfugier en Colombie ne facilite pas non plus la tâche de son gouvernement.
En 2016, la Colombie a vécu un autre événement historique : après des années de négociations avec les guérilleros des FARC-EP (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejército del Pueblo), un accord de paix a été conclu et 14 000 combattant-e-s (dont 40 % de femmes) ont déposé leurs armes. Mais cela n'a pas suffi à ramener le calme : la mise en œuvre de la paix avec les FARC-EP est semée d’embûches, et les groupes armés continuent de contrôler une grande partie du pays. Le slogan « Paz Total » lancé par Petro et défendu avec enthousiasme par les représentant-e-s du gouvernement et de la société civile est plus qu'ambitieux. Mais il touche le point crucial : il ne peut y avoir de paix durable sans une paix qui englobe aussi le développement économique et social de l'arrière-pays, totalement négligé, et une société civile qui puisse agir à l’abri des menaces de mort et des attentats.
Malheureusement, une mauvaise direction est prise dans de nombreuses régions et la violence armée reprend de plus belle. Les raisons en sont multiples : l'État n'a pas pu combler le vide laissé en maints endroits par les FARC-EP au moment de la démilitarisation. Les FARC ont connu des dissidences et d'autres groupes ont pris le relais. Le désarmement des paramilitaires, qui luttaient contre les guérillas et la population dans l'intérêt des grands propriétaires terriens et avec le soutien de l'armée, n'a pas vraiment eu lieu. Et il faut bien sûr mentionner le pire fléau de la Colombie et de ses pays voisins : la cocaïne. Les cartels mexicains de la drogue contrôlent désormais une grande partie de la « chaîne d'approvisionnement ». Les frontières entre les paramilitaires et les armées des cartels sont tout aussi floues que celles avec certains groupes de guérilla.
Un proche d’une victime du conflit colombien remet l’urne contenant ses cendres à un fossoyeur dans le cimetière de Dabeiba, dans le département d’Antioquia. © Joaquin Sarmiento / KEYSTONE / AFP
Les négociations de paix avec les groupes armés sont un volet clé de l'agenda de l’instauration d’une paix totale. La Suisse est active en Colombie depuis 1998, ces dernières années avec les trois « bras » de la coopération internationale : la DDC, le SECO et la division Paix et droits humains (DPDH). Depuis 2022, le gouvernement Petro mène des négociations avec le groupe rebelle ELN (Ejército de Liberación Nacional) et depuis 2023 avec l'EMC FARC-EP (Estado Mayor Central de las FARC-EP), une branche dissidente des FARC qui n'avait pas participé à la paix de 2016. Dans le processus de paix avec l'ELN, la Suisse est un État accompagnateur, dans le cas de l'EMC FARC-EP un État garant, à chaque fois avec d'autres pays européens et, comme le nom l'indique, avec une intensité supérieure dans le cas de l'EMC FARC-EP.
Dans l’un et l’autre cas, la Suisse est présente lors des négociations et conseille les parties sur les thèmes de la conception du processus, du cessez-le-feu, des mécanismes participatifs, de la communication, du traitement du passé ainsi que de la protection de la population civile selon les indications de la DPDH. Vu la difficulté d’appliquer l'accord de paix avec les FARC-EP, qui comportait plus de 500 points particuliers, il est cette fois prévu de négocier des accords partiels qui pourront être mis en œuvre séparément. De même, les négociations ne seront pas centralisées à l'étranger, mais décentralisées dans les régions concernées, ce qui promet une participation élargie.
L'un des obstacles majeurs aux négociations actuelles réside justement dans le fait que l'accord de paix de 2016 n'est pas entièrement appliqué. On peut comprendre que les guérilleros à la table des négociations soient attentifs à ce fait et peu désireux d’en arriver au même point. Les mesures des réformes dans les zones rurales sont les moins appliquées ; seules 7 % y sont entièrement réalisées et 18 % partiellement. Cela montre que les mesures classiques de la coopération au développement sont cruciales pour la pérennité de la promotion de la paix.
Le retrait de la DDC d'Amérique latine affaiblit l'engagement en Colombie, même si la Suisse reste présente dans l'aide humanitaire et avec la DPDH. En 2021, il y avait encore plus d'argent à disposition pour la coopération bilatérale de la DDC que pour les activités de la DPDH. Dans l’ensemble, le soutien a chuté de 33 millions (2021) à 20 millions de francs (2023), le montant n'a légèrement augmenté que pour la DPDH. Le SECO vise aussi un retrait complet d'ici 2028. À la place, le Maroc deviendra un nouveau pays prioritaire, ce qui est « en cohérence avec le renforcement de la concentration géographique et permet la transition vers d’autres instruments de politique économique extérieure », peut-on lire à ce sujet de manière éloquente dans le projet de stratégie de la CI pour 2025 – 2028.
On peut se demander si la Suisse sera en mesure de continuer à jouer son rôle clé même avec moins de moyens — les répercussions des nouvelles coupes prévues du fait du transfert de fonds de la CI vers l'Ukraine ne doivent pas être sous-estimées. Les projets que Swissaid et d'autres ONG suisses mènent pour renforcer la société civile et le développement rural en Colombie sont donc d'autant plus importants.
Partager l'article
global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
PERSPECTIVE SUD: Élections en Inde
27.06.2024, Autres thèmes
Le Premier ministre Narendra Modi a été réélu début juin pour un troisième mandat. Alors qu’il s'est profilé à l’étranger comme la « voix du Sud global », il a provoqué de profondes tensions sociales à l’intérieur du pays.
Sur un temple d’Ayodhya, Narendra Modi se tient à gauche et la divinité hindoue Lord Ram à droite. Modi a fait construire un temple hindou sur une mosquée détruite. © Biplov Bhuyan / IMAGO / SOPA Images
Article invité de CHARWAKA *
Des représentant-e-s de la société civile ont soulevé des questions fondamentales sur la manière dont la campagne électorale était menée, et notamment sur le silence persistant sur les déclarations dénigrantes de Modi sur les musulmanes et les musulmans. Le 21 mai, plus de 120 organisations non gouvernementales ont exprimé publiquement leur sérieuse inquiétude quant à une éventuelle manipulation dans le dépouillement des votes. « Nous avons un objectif sérieux et limité : que la volonté du peuple se reflète dans les élections, quel qu'en soit le résultat. Si tel n’est pas le cas, la société civile doit s'y opposer et faire respecter les droits civils du peuple », a lancé Prabhakar Parakala au nom des organisations de la société civile. Mais c'est à nouveau Modi qui s'est imposé au final, avec une victoire moins nette que prévu.
Après la première phase du scrutin du 19 avril, qui a vu une faible participation et a été considérée comme un revers mineur pour les chances électorales du parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (BJP), Modi a lancé l'une des campagnes les plus haineuses et les plus anxiogènes contre les musulmans de l'Inde indépendante. Avec ses discours incendiaires, Modi voulait rallier les hindous, qui représentent 80 % des 1,4 milliard d'habitants du pays. Il a considéré les 200 millions de musulmans vivant en Inde comme des « envahisseurs » et comparé le manifeste de son rival et principal parti d'opposition, le Congrès national indien, à l'historique Ligue musulmane pro-pakistanaise.
Le Premier ministre est un partisan de l'idéologie politique de l'hindutva, qui implique la justification culturelle du nationalisme hindou et la croyance en l'établissement d'une hégémonie hindoue en Inde. Dans des circonstances normales, les attaques répétées de Modi contre les musulmans auraient entraîné une sanction sévère, allant jusqu'à l'exclusion des élections. Mais la principale autorité de régulation du pays, la Commission électorale, est restée silencieuse.
Ses directives éthiques énoncent pourtant sans équivoque : « Aucun parti ou candidat ne peut s'engager dans des activités susceptibles d'exacerber les différences existantes, de générer une haine mutuelle ou de créer des tensions entre différentes castes et communautés, religieuses ou linguistiques. » La Commission électorale a néanmoins ignoré de nombreuses plaintes contre la campagne clivante de Modi.
Une société civile dynamique, dotée d'institutions indépendantes et impartiales comme les médias, le système judiciaire et des autorités de surveillance indépendantes, est une condition préalable indispensable à l'existence d'une démocratie. Tout régime qui se chargera de saper ces institutions ne peut que transformer la démocratie en autocratie autoritaire.
Les développements en Inde au cours de la dernière décennie du gouvernement Modi (2014-24) semblent indiquer que le pays a régressé dans tous les principaux domaines de la gouvernance. Scrutant les libertés démocratiques dans divers pays, l'institut V-Dem basé à Göteborg a classé l'Inde comme « l'une des pires autocraties » dans son rapport 2024 sur la démocratie.
Malgré quelques jugements notables rendus par la Cour suprême, le fonctionnement indépendant du pouvoir judiciaire semble avoir été mis à mal, selon plusieurs experts juridiques. Jamais dans l'histoire récente de l'Inde les médias, en particulier les médias indépendants qui utilisent Internet, n'ont été autant pris pour cibles. « Compte tenu de la violence contre les journalistes, de la forte concentration des médias et de leur orientation politique, la liberté de la presse est en crise dans la plus grande démocratie de la planète », indique le dernier classement publié par Reporters sans frontières (RSF) en mai.
L'Inde occupe désormais la 159e place sur 180 pays examinés par RSF. À l'approche des élections, il y a eu au moins 134 violations de la liberté d'expression en Inde entre janvier et avril, selon l'organisation Free Speech Collective. Parmi les personnes concernées, on trouve des journalistes, des universitaires, des YouTubers ainsi que des étudiantes et des étudiants.
Les activistes des droits humains et de l'environnement ont aussi fait l'objet d'un harcèlement permanent au cours de la dernière décennie, qui s'est traduit par des peines de prison de plusieurs années. Lors de l'une des pires attaques contre les militantes et militants pour les droits humains, le gouvernement Modi a arrêté 16 personnes, dont des professionnels des médias, des poètes, des avocats, hommes et femmes, et un père jésuite, en vertu des lois draconiennes du pays.
Les performances économiques de l'Inde n’incitent pas non plus à l’optimisme, même si le pays est considéré comme l'économie à la croissance la plus rapide selon le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Une étude récente de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la hausse du chômage en Inde a révélé que le chômage des jeunes était nettement plus élevé dans les zones urbaines que dans les zones rurales et touchait plus souvent les jeunes gens de 15 à 19 ans que les jeunes plus âgés, de 20 à 29 ans. Selon la même étude, le taux de chômage des femmes était nettement plus élevé que celui des hommes en 2019, mais il a diminué pour atteindre le même niveau en 2022.
Pire encore, l'inégalité des revenus en Inde a atteint le niveau le plus élevé parmi les pays du monde sous l'ère Modi. Un récent rapport d'économistes, dont Thomas Piketty, indique : « Entre 2014/15 et 2022/23, l'augmentation des inégalités dans le haut de l’échelle est particulièrement prononcée, en termes de concentration des richesses. » Il est donc clair que la confirmation du gouvernement de Narendra Modi pour un troisième mandat de cinq ans entraînera d'autres revers et plongera l'Inde dans un abîme de difficultés sociales, économiques et politiques.
* CHARWAKA : L'auteur de cet article – un journaliste originaire d'Asie du Sud qui couvre l'actualité depuis la Suisse – utilise un pseudonyme pour des raisons de sécurité.
Partager l'article
global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Article, Global
21.06.2024, Finances et fiscalité
Pour s'aligner sur l'Accord de Paris, les banques ont mis en place et vanté les mérites d'alliances volontaires pour le climat. Une récente étude de la Banque centrale européenne démontre leur manque d’effets.
D’énormes quantités de charbon alimentent de gigantesques usines d’aluminium au Kalimantan oriental, en Indonésie. Des banques suisses sont impliquées dans ces usines prétendument "verts".
© Dita Alangkara / Keystone / AP Photo
Janet L. Yellen, la secrétaire d'État américaine au Trésor, avait déclaré en novembre 2021 à la COP26 à Glasgow que « le secteur privé est prêt à fournir le financement nécessaire pour nous permettre d'éviter les pires effets du changement climatique ». Mis sous pression pour qu’ils soutiennent la transition de l’économique vers l’abandon des activités à haute intensité carbone – ou, en d’autres termes, qu’ils « s’alignent sur les objectifs climatiques » de l’Accord de Paris, les acteurs financiers du monde entier ont rejoint une série d'initiatives volontaires liées au climat, dont la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), dirigée par Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, et par Mike Bloomberg, le financier milliardaire.
Lors du lancement de la GFANZ à la COP26, une centaine de banques, assureurs et gestionnaires d’actifs s’étaient engagés à injecter 130 billions USD de capital pour réduire les émissions de CO2 et financer la transition énergétique. Ces acteurs se sont également engagés à atteindre l'objectif « zéro net » d'ici 2050, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas produire plus d'émissions de CO2 dans l'ensemble de leurs activités que ce qu'elles retirent de l'atmosphère par des mesures techniques. Si l’on veut globalement atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 2’000-2’800 milliards de dollars US devront être investis chaque année dans les énergies propres dans les seuls pays en développement et émergents. Les annonces faites à Glasgow par le secteur financier avaient dès lors éveillé de grandes attentes chez certains… et une bonne dose de scepticisme chez d’autres.
Or, dans une étude récente de la Banque centrale européenne (BCE), des chercheurs ont analysé l’impact des engagements climatiques volontaires des banques – principalement la Net Zero Banking Alliance – une des huit initiatives sectorielles qui font partie de la GFANZ – sur leur comportement en termes de prêts et sur l’impact climatique de ces pratiques sur les entreprises emprunteuses. Les résultats sont embarrassants pour les acteurs financiers concernés.
Les banques signataires de la NZBA (ci-après, banques NZBA) sont aussi des méga-banques qui financent davantage les secteurs « bruns », avec une part supérieure de leurs prêts dans le secteur minier (qui comprend le charbon, pétrole, et le gaz) et une part inférieure dans les secteurs définis comme « verts » par la taxonomie de l’UE. Les banques NZBA se sont fixées des objectifs en priorité concentrés sur la production d'électricité, le pétrole et le gaz, et les transports.1 En termes de motivation, l’étude démontre que les banques prennent des engagements climatiques volontaires pour améliorer leur rating ESG (Environmental, Social, Governance) et en tirer des bénéfices en termes de réputation et financiers, notamment auprès des investisseurs institutionnels.
Les objectifs sectoriels constituent un engagement volontaire des banques à réduire les émissions financées d’ici 2030 et 2050 par rapport à un niveau de référence prédéfini. Si les banques choisissent d’atteindre leurs objectifs en désinvestissant, cela doit se traduire par une réduction du financement des secteurs ciblés.
L’étude constate que les banques NZBA ont réduit leurs prêts aux secteurs prioritaires d'environ 20 % ; ce semblerait – a priori- confirmer l'hypothèse selon laquelle les banques se désengagent des secteurs « bruns ». Mais cela n’est pas le cas. L’étude n’a en effet trouvé aucune preuve de désinvestissement des banques NZBA – supérieur à leurs concurrentes non-signataires – dans les secteurs prioritaires, ni dans d'autres entreprises à fortes émissions, telles que les entreprises du secteur minier ou les entreprises dont les activités ne sont pas définies par la taxonomie de l'UE comme « vertes ». Les banques NZBA n’ont pas non plus augmenté leurs prêts aux entreprises
« vertes » telles que définies par la taxonomie de l’UE, après avoir rejoint l’alliance. L’étude conclut que cela remet en question l’hypothèse selon laquelle les banques NZBA désinvestissent activement des secteurs « bruns » pour investir dans des secteurs « verts ».
L’étude démontre en outre que les engagements climatiques des banques n’ont pas mené à des augmentations des taux d’intérêt pour financer les entreprises « brunes ». L’augmentation constatée ne dépasse en effet pas 0.25 % pour les secteurs prioritaires et 0.55 % pour le secteur minier. Les banques NZBA n’appliquent pas non plus des taux réduits aux entreprises « vertes » telles que définies par la taxonomie de l’UE. En d’autres termes les banques n’appliquent pas de malus aux mauvais élèves, ni de bonus aux bons !
L’étude de la BCE démontre l’absence d’effet de la NZBA en termes de levier sur les entreprises. En effet, plutôt que de désinvestir, les banques « alignées sur le climat » peuvent poursuivre une stratégie dite d’engagement, en faisant pression sur les entreprises emprunteuses pour qu’elles réduisent leurs émissions. En exigeant, pour commencer, que les entreprises auxquelles elles prêtent fixent leurs propres objectifs climatiques. En effet, si une entreprise s’engage à réduire ses émissions de carbone, la première étape consiste à se fixer un objectif de décarbonisation, qui précise de combien l’entreprise veut réduire ses émissions et quand elle veut atteindre cette réduction. Ou, en d’autres termes de définir un plan de transition climatique.
Or, bien que le nombre d’entreprises qui se sont fixés de tels objectifs a augmenté depuis 2018, celles qui empruntent auprès des banques NZBA n’ont pas plus tendance à se fixer des objectifs climatiques que les autres. En d’autres termes, les banques NZBA n’ont pas un levier climatique spécifique sur les entreprises au travers de leur engagement.
Depuis la signature de l’accord de Paris, les institutions financières ont fait part – à grand renfort de communication – de leur intention d’intégrer des considérations climatiques dans leurs décisions de prêts et d’investissements. Les conclusions de l’étude de la BCE – première de ce type – jettent une lumière crue sur l’absence d’effets de la Net Zero Banking Initiative. Même si en termes de volumes, les banques NZBA ont réduit leurs prêts dans les secteurs à haute intensité d’émissions, le « désinvestissement » n’est pas supérieur à celui des banques non-signataires. En outre, l’étude est très claire en ce qui concerne les résultats atteints par le biais de stratégies d’engagement : les entreprises clientes des banques NZBA ne définissent pas plus activement des objectifs de décarbonisation que les autres. Les chercheurs de la BCE concluent par eux-mêmes que les résultats de leur étude ont des implications importantes dans le débat actuel sur le
« greenwashing » et sur la question de savoir si le rationnement du crédit par les banques peut aider l’économie mondiale à atteindre ses ambitions en matière d’émission nettes zéro. Frustration et perplexité restent donc pleinement justifiées.
Nous nous trouvons à une étape charnière de cette discussion. L’année 2024 sera décisive dans l’UE concernant les plans de transition climatiques que devraient – également – mettre sur pied les institutions financières : de tels plans de transition sont en effet au cœur d’une nouvelle architecture réglementaire européenne, dont les contours précis doivent encore être précisés, respectivement harmonisés.2 Pour être efficaces, ces plans de transition ne doivent pas suivre une approche étroite de gestion des risques climatiques à court et moyen terme, mais encourager les banques à réorienter leurs activités en faveur de la transition. Des pouvoirs doivent être accordés aux autorités de surveillance et des sanctions doivent être prévues en cas de non-respect. En Suisse, une première étape sera franchie avec la publication – dès 2025 – des premiers « rapports sur les questions climatiques », y compris par les banques, qui devraient également contenir des
« plans de transition comparables aux objectifs climatiques de la Suisse ». Malheureusement le cadre réglementaire reste imprécis et laisse une marge d’interprétation quant à ce qui est précisément exigé concernant les plans de transition climatiques. Il faudra donc passer au crible fin ces premiers rapports pour jauger de la pertinence (ou non) de cette nouvelle approche.
A ce jour, l’initiative volontaire climatique la plus importante prise par les banques est la Net Zero Banking Alliance (NZBA) – soutenue par l’ONU – qui regroupe 144 membres de 44 pays et qui représente quelque 40 % du total des actifs sous gestion. Plusieurs banques suisses en sont membres, notamment l’UBS (cofondatrice), la banque Raiffeisen, mais également des banques cantonales (Zürich, Berne et Bâle). Par leur signature, les banques s’engagent à aligner leurs portefeuilles de prêts d’investissements sur des émissions net nulles d’ici à 2050 (au plus tard), avec des objectifs intermédiaires pour 2030 ou plus tôt. Ces objectifs doivent faire référence aux secteurs que les banques ont ciblé comme prioritaires pour la décarbonisation, soit les secteurs dans leurs portefeuilles les plus intensifs en termes d’émission de gaz à effets de serre (GHG), sur lesquels les banques peuvent avoir un impact important. Les banques doivent en outre publier un plan de transition qui explique comment elles entendent atteindre leurs objectifs sectoriels. Bien qu’encore à un stade préliminaire, la combinaison comprenant la définition d’objectifs détaillés, un suivi de la part de l’ONU, et une validation externe fait de la NZBA une initiative climatique stricte, voire la plus stricte, pour les banques.
1 Trois ans après leur signature, les banques devront avoir fixé des objectifs pour les neuf secteurs définis par la NZBA, soit l’agriculture, l’aluminium, le ciment, le charbon, l’immobilier, la sidérurgie, le pétrole et le gaz, la production d’électricité et le transport.
2 Il s’agit d’assurer principalement la cohérence des approches entre la Capital Requirements Directive (RCD), la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) et la toute récente Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD).
Partager l'article
global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Convention fiscale de l’ONU
13.06.2024, Finances et fiscalité
Les négociations sur la conception future de la convention-cadre sur la coopération fiscale internationale ont débuté à l'ONU. Notre expert en politique fiscale y a assisté et a été impressionné par le pouvoir de négociation des pays africains.
Avec le Nigeria comme voix la plus forte, les délégués africains s'engagent pour plus de justice fiscale lors de la réunion sur la convention fiscale de l'ONU en mai à New York. © UN Photo / Manuel Elías
L'ONU n'est pas la meilleure agence de relations publiques qui soit, et encore moins en matière de politique fiscale. Ainsi, fin avril, l'opinion publique mondiale n’a pas vraiment remarqué qu'un événement historique se déroulait entre les murs du siège de l'ONU sur l'East River à New York : pour la première fois dans l'histoire, les gouvernements des 196 États membres de l'ONU s'y sont réunis pour négocier la conception future de la convention-cadre de l'ONU sur la coopération fiscale, dont l'élaboration avait été décidée par l'Assemblée générale en décembre dernier. Le principal moteur du processus est le groupe des États africains à l'ONU, le « Groupe Afrique ». Jamais auparavant, les pays du Sud global (G77) n'étaient allés aussi loin dans leurs revendications de politique fiscale à l'ONU qu’au cours du dernier semestre.
Jusqu'en août de cette année, il s'agit désormais de tracer le cadre organisationnel et matériel de la convention fiscale, c'est-à-dire de négocier le mandat (terms of reference). Si l'Assemblée générale l’approuve en septembre, la convention elle-même pourra alors être rédigée avec ses contenus détaillés. Sur cette base, des réformes fiscales juridiquement contraignantes pourront être conçues et devront être mises en œuvre par les États membres. Les pays du Sud global et le mouvement mondial pour la justice fiscale ont donc une chance unique de mettre fin à la mainmise de l'OCDE sur la politique fiscale internationale et de faire de l'ONU l'acteur central, créant ainsi les conditions organisationnelles d'une politique fiscale multilatérale plus juste (lire aussi global #90).
Des tentatives similaires visant à mettre fin à la domination des États riches du Nord en matière de politique fiscale ont eu lieu à maintes reprises au cours des 60 dernières années. Les perspectives sont aujourd’hui meilleures que jamais, pour deux raisons majeures :
En avril, les représentant-e-s des pays du Sud global se sont montrés très sûrs d'eux lors des négociations et ont présenté leurs revendications de manière cohérente et fondée dans le cycle de négociations. Elles couvrent les domaines suivants de la politique fiscale internationale : divers aspects de l'imposition des entreprises, la lutte contre les flux financiers déloyaux, la taxation de l'économie numérique, les taxes environnementales et climatiques, l’imposition des grandes fortunes, l’échange d'informations et la transparence fiscale ainsi que les incitations fiscales (tax incentives). Depuis le début du mois de juin, le premier projet écrit concernant la « constitution » de la convention (Terms of Reference) est disponible. Il tient compte des exigences du G77 sur presque tous les points et constitue la base du prochain cycle de négociations.
L'offensive du Sud place les pays de l'OCDE dans une position délicate : ils souhaitent transférer à l'ONU un minimum de thèmes négociés jusqu'ici dans le cadre de l'OCDE et des forums apparentés, car ils font eux-mêmes partie des bénéficiaires des réformes menées jusqu'à présent. Nul n’ignore que cela vaut aussi pour la Suisse. Elle se contente de suivre les pays de l'OCDE dans le processus de l'ONU, sans ambition particulière. Le Secrétariat d'État aux questions financières internationales (SFI) espérait initialement ne pas avoir à participer aux négociations, car il considérait le processus comme une farce. C'était manifestement une erreur d'appréciation. Si le groupe de l'OCDE tente de stopper le processus de l'ONU en s'accrochant à l'OCDE comme forum faisant autorité pour les questions fiscales mondiales, il heurte une fois de plus les pays du Sud au niveau multilatéral. Au vu des vastes conflits géopolitiques actuels avec la Russie et la Chine, « l'Occident » ne peut en fait plus se le permettre. Personne n'a en fin de compte intérêt à ce que le plus grand continent, l'Afrique, bascule dans le camp géopolitique de la Russie et de la Chine.
Dans les négociations fiscales de l'ONU, les pays de l'OCDE se cachent ainsi derrière leur prétendue panacée : le renforcement des capacités (capacity building). Ils sont prêts à soutenir les autorités fiscales du Sud global avec plus de savoir-faire et d'argent « pour qu'elles puissent attraper leurs fraudeurs fiscaux ». Everlyn Muendo du Réseau africain pour la justice fiscale (Tax Justice Network Africa, TJNA) a répondu avec pertinence à cette question dans la salle de conférence 3 — contrairement à l'OCDE, la société civile siège également dans la salle de négociation de l'ONU et peut y prendre la parole : « We cannot capacity build our way out of the imbalance of taxing rights between developed and developing countries and out of unfair international tax systems. »
Ce n'est pas un manque de savoir-faire et de capacités techniques qui coûte des recettes fiscales au Sud global, mais le système fiscal international lui-même et la répartition inique des droits d'imposition entre le Nord et le Sud inscrite dans ce système. Il ne faut pas s'attendre à ce que le « Groupe Afrique » et ses alliés se contentent, dans un avenir proche, d'un résultat de négociation qui ne soit pas porteur d'une perspective de changement radical du système fiscal international. Le prochain cycle de négociations est prévu pour juillet et août à New York.
La contribution de Dominik Gross sur le rôle de la place financière suisse dans l'évasion fiscale des grandes fortunes du monde entier, fin avril, lors des négociations à New York :
Partager l'article
global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Votation du 9. juin
16.05.2024, Justice climatique
Pour protéger le climat, la Suisse doit garantir son approvisionnement en électricité à partir de sources d'énergie renouvelables. C'est pourquoi Alliance Sud dit oui à la loi relative à un approvisionnement en électricité sûr qui sera soumise au vote le 9 juin 2024.
La loi sur l’électricité encourage le développement de la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables en Suisse. Un approvisionnement en électricité reposant sur des énergies renouvelables comme le solaire, l’hydraulique et l’éolien est une condition préalable pour que notre pays progresse dans la décarbonisation et atteigne mieux ses objectifs climatiques dans ses frontières – au lieu de compenser ses émissions à l‘étranger. Ce qui est remarquable dans cette loi, c'est qu'elle a été soutenue au Parlement fédéral par des membres de tous les partis. Même le conseiller fédéral Albert Rösti soutenait déjà le projet lorsqu’il était conseiller national. Le développement des énergies renouvelables fait désormais l’objet d’un large consensus non seulement en Suisse, mais aussi dans les négociations climatiques de l'ONU. Lors de la dernière conférence sur le climat, la COP28, à Dubaï, la communauté internationale s'est fixé comme objectif de tripler la capacité mondiale de production d'énergies renouvelables d'ici 2030.
Mais les négociations mondiales et la politique climatique suisse ont jusqu'à présent échoué sur un deuxième point décisif : l'abandon des énergies fossiles. Car si l'on se contente d'ajouter des énergies renouvelables sans abandonner les sources d'énergie polluantes, on ne réduit pas encore les gaz à effet de serre.
Ce constat doit être davantage pris en compte dans la politique climatique suisse. Le 9 juin, nous avons l'occasion de recueillir un nouveau signal clair de la population en faveur d'un avenir respectueux du climat, après l’approbation à hauteur de 59% de la loi sur la protection du climat voilà un an. Car nous le savons au moins depuis juin dernier : la protection du climat est susceptible de réunir une majorité !
La loi sur l’électricité permet un développement rapide des énergies renouvelables, en particulier du solaire. Plus de 80% des installations seront construites sur des bâtiments et des infrastructures.
Nos énergies renouvelables permettent d’abandonner le pétrole et le gaz importés. Même les besoins croissants pour les voitures électriques, les pompes à chaleur et l’industrie pourront à terme être couverts par de l’énergie propre et locale.
La loi sur l’électricité clarifie les zones où le développement des énergies renouvelables est prioritaire. Dans les paysages et biotopes d’importance nationale, ces installations restent interdites.
Les dépenses pour l’énergie diminueront globalement, car le pétrole et le gaz seront remplacés par de l’électricité renouvelable bon marché. L’électricité locale réduit les fluctuations de prix lors de crise. Aucune nouvelle taxe n’est introduite.
Pour en savoir plus :
https://www.loi-electricite.ch/
Partager l'article
Reportage en Bolivie
03.05.2024, Coopération internationale
La coopération bilatérale au développement de la Suisse se retire d'Amérique latine après plus de 60 ans. Dans leur reportage en Bolivie, Malte Seiwerth et Rodrigo Salinas reviennent sur un partenariat réussi. Le Conseil fédéral a annulé le transfert des fonds promis vers l'Afrique subsaharienne, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient et veut financer en partie la reconstruction de l'Ukraine en se retirant d'Amérique latine. Seul le Parlement peut encore l'empêcher.
La pandémie a causé 22 000 morts en Bolivie, notamment en raison du manque d'appareils respiratoires. Fabio Díaz et son équipe ont finalement réussi la percée espérée : une machine fabriquée en Bolivie et pour la Bolivie. © Rodrigo Salinas
Malte Seiwerth (texte), Rodrigo Salinas (photos)
Fabio Díaz sort fièrement de son carton un dernier exemplaire de son appareil. Appelé « mambú » (Mechatronic Ambulatory Medical Breathing Unit, MAMBU), le petit respirateur ressemble à un robuste kit de construction. Un tampon portant sur le carton l'inscription « hecho en Bolivia » — « fabriqué en Bolivie » — complète les logos des entreprises et de l'université catholique San Pablo de La Paz qui ont fabriqué la machine, une production entièrement bolivienne.
L’expression du visage de Fabio Díaz passe de la fierté à l’épuisement tandis qu'il retrace le développement du respirateur. Il dirige le domaine de l’ingénierie mécatronique à l'université. Selon lui, « sans l'aide de la Suisse, le mambú n'aurait pas vu le jour ». En effet, le développement et la distribution ultérieure aux services de soins ont été financés en grande partie par l'ambassade helvétique dans le cadre de la coopération bilatérale au développement.
Disons que nous avons fait un travail de pionnier.
Fabio Díaz, mécatronicien et concepteur du respirateur « mambú »
Le projet était l’un des derniers à être financé par la coopération bilatérale de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Après 54 ans, la DDC met définitivement fin cette année à ses projets de développement en Amérique latine et donc à ses activités en Bolivie. Un éclairage sur ce qu'elle a fait pendant la pandémie montre l'importance de son travail et la façon dont elle quitte le pays après plus d'un demi-siècle.
À l'université San Pablo de La Paz, les ingénieurs ont développé une alternative bon marché, de fabrication locale et facile à utiliser aux respirateurs complexes. © Rodrigo Salinas
À l'hôpital universitaire de La Paz, seule l’obligation du port du masque rappelle la pandémie, qui a causé jusqu'à présent près de 22 000 décès en Bolivie. Le jeune médecin Marcelo Alfaro travaillait alors quotidiennement aux soins intensifs ; le regard triste, il confie : « Certains ont vécu la guerre au Vietnam ou la Seconde Guerre mondiale. Pour nous, médicalement parlant, la pandémie était quelque chose de similaire ». Il a été chaque jour témoin du décès de personnes par manque de ressources. « Nous n'avions presque pas de matériel et devions constamment improviser », se souvient Fabio Díaz.
Durant la première année de la pandémie, le pays était également plongé dans une profonde crise politique. Après les élections de 2019, au cours desquelles, selon les résultats officiels, le président de longue date Evo Morales a été réélu, des allégations de fraude électorale ont émergé. L'opposition de droite a installé sa propre présidente, Jeanine Añez, qui s'est fait remettre l’écharpe présidentielle par les militaires. Bible à la main, Añez a proclamé la « fin du marxisme » en Bolivie et a donné carte blanche aux forces de sécurité pour réprimer les protestations par la violence.
Avant que l'élection de Luis Arce en octobre 2020 a permis à un président démocratiquement élu de reprendre le pouvoir, quatre ministres de la santé se sont succédé la même année. Le gouvernement de transition d'Añez semblait incapable de réagir de manière adéquate à la pandémie. Ainsi, il a certes acheté des respirateurs à l'étranger, mais des allégations de corruption ont fait que les appareils n'ont jamais été utilisés.
Les dons étrangers ont certes permis de remédier à la situation, mais certains n'étaient pas adaptés à la réalité bolivienne, explique Marcelo Alfaro : « Nous avons reçu des machines que beaucoup ne savaient pas utiliser et des équipements techniques qui n'étaient pas compatibles avec ceux dont nous disposions ».
Le médecin Marcelo Alfaro a vu tous les jours des personnes mourir en raison d'un manque de ressources dans l'unité de soins intensifs. © Rodrigo Salinas
Face à cette situation, une petite équipe autour du mécatronicien Fabio Díaz s'est attelée à la réalisation d'une solution bolivienne. Jour et nuit, ils ont occupé des salles vides de l’université et bricolaient. Leur objectif ? Une machine bon marché, fabriquée si possible avec des pièces locales et facile à utiliser.
Mais au début, le respirateur mambú souffrait d’un manque de financement ; l'équipe a finalement trouvé l’argent auprès de Swisscontact et de l'ambassade de Suisse. Sandra Nisttahusz et Franz Miralles travaillent dans le bureau de l'organisation de développement à La Paz, soutenue par le secteur privé helvétique. Sandra Nisttahusz dirige le projet des marchés inclusifs. L’objectif est de promouvoir des initiatives qui améliorent à long terme les conditions de vie de la population rurale et lui offrent de meilleures perspectives économiques afin qu'elle puisse vivre dignement de l'agriculture.
Sans l'aide de la Suisse, le respirateur mambú n'aurait pas vu le jour.
Fabio Díaz, mécatronicien et concepteur du respirateur « mambú »
Le projet dure depuis plus d’une décennie et a été soutenu par la DDC à hauteur de près de dix millions de francs jusqu'à fin 2023. En Bolivie, Swisscontact est l'une des trois ONG, avec Helvetas et Solidar Suisse, à avoir reçu le plus d'argent de la DDC. Selon son rapport financier pour l'année 2022, Swisscontact a reçu près de 62 millions de francs suisses de la Confédération. De loin le plus gros montant qu’une organisation de développement ait reçu.
Pendant la pandémie et le confinement, de nombreux projets n'ont cependant pas pu voir le jour, tandis que la population rurale a particulièrement souffert du Covid. « Quand les traitements faisaient défaut en ville, il n'y en avait tout simplement pas à la campagne », explique Sandra Nisttahusz.
Elle a pris contact avec l'ambassade, qui a accepté de mettre à disposition des fonds supplémentaires. Au total, Swisscontact a versé près de 100 000 francs suisses pour le développement de quelque 80 respirateurs mambús et leur distribution à des centres de santé essentiellement ruraux. Le prix de production d'un seul respirateur avoisinait 1 000 francs suisses — les respirateurs classiques coûtent jusqu'à 50 fois plus cher.
La coopération bilatérale au développement de la Suisse a été décisive dans le financement du respirateur Mambú. © Rodrigo Salinas
Swisscontact s'est occupé de la distribution des mambús et a encouragé leur homologation par les autorités. En collaboration avec le médecin Marcelo Alfaro, l'équipe de Fabio Díaz a continué à développer l’appareil respiratoire. L'équipe s'est aussi attelée à la formation technique du personnel médical sur l'appareil. Pour ce faire, le mécatronicien Fabio Díaz a visité divers centres de santé. Il témoigne : « Nous avons vu de nombreux respirateurs complexes inutilisés, car personne ne savait comment les utiliser. »
C’est donc une histoire d'industrialisation locale réussie ? Réponse de Diaz : « Disons que nous avons fait un travail de pionnier. » Le mambú a été la première technologie médicale à être développée et fabriquée en Bolivie. En particulier, les autorités n'y étaient pas préparées. Aucun protocole n’avait été mis en place pour autoriser un tel appareil.
Depuis, Díaz travaille à faire homologuer un respirateur plus sophistiqué — ce serait une grande avancée dans le développement de la production nationale. Un objectif économique constant, car la balance commerciale bolivienne affiche des résultats négatifs et les dollars manquent dans le pays. Mais cela fait maintenant plus de deux ans que le groupe attend, sans justification, l'autorisation de lancer la prochaine phase de test.
Désabusé, Fabio Díaz explique : « Bien trop souvent, des postes importants sont échangés, ce qui empêche une collaboration continue. Notre culture a intégré l’idée que les projets initiés par les prédécesseurs ne doivent pas être mis en œuvre, même s'ils sont bons. »
Díaz en est donc convaincu : « L'aide d'autres pays nous permet aujourd'hui de vivre le changement. On peut le voir surtout dans les zones rurales. Si des offres technologiques sont proposées, c'est grâce aux acteurs étrangers, et non au gouvernement bolivien. »
Pourtant, dans le cas de la Suisse, c'est justement cette coopération qui prendra fin sur le plan opérationnel cette année, une décision qui avait déjà été annoncée en 2019. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) justifie ce choix par les chiffres économiques d'avant la pandémie, lorsque de nombreux pays — dont la Bolivie — ont connu un développement positif et se sont élevés au rang de pays à revenu intermédiaire.
En outre, il ressort de la Stratégie Amériques 2022-2025 du DFAE que l'Amérique latine ne constitue pas une région prioritaire de la politique étrangère suisse. L’accent est donc mis sur une « sortie responsable » de la coopération bilatérale au développement d'ici fin 2024 et, dans un premier temps, également sur la fermeture de l'ambassade à La Paz.
Malheureusement, de nombreux pays européens nous tournent le dos.
Martín Peréz, directeur de Solidar Suisse en Bolivie
Toutes les organisations de développement suisses en Bolivie sont touchées. Swisscontact diversifie donc ses partenaires de projet. Le projet des marchés inclusifs est par exemple soutenu par la coopération au développement suédoise jusqu'à fin 2026, d'autres nouveaux projets démarrent actuellement avec le financement des villes de Zurich et Genève. Toutefois, le budget des nouveaux projets est considérablement réduit, raison pour laquelle la continuité de Swisscontact sous la même forme n'est pas encore assurée.
De son côté, l'organisation de développement Solidar Suisse est un peu plus optimiste. Le petit bâtiment administratif de l'organisation se trouve non loin de l'ambassade suisse à La Paz. Des affiches sur les droits humains et des photos de travailleurs des mines et de la population rurale sont accrochées aux murs. Martín Peréz, directeur de Solidar Suisse à La Paz, estime que l'organisation continuera à être active en Bolivie, mais il est certain, en raison de la diminution des ressources, que « pour l'avenir, il faudra davantage de coopération entre les différentes ONG suisses et non suisses pour mener à bien des projets communs. »
Martín Peréz, directeur de Solidar Suisse en Bolivie, regrette que la Suisse tourne le dos à l'Amérique latine, car elle a accompagné des réformes décisives. © Rodrigo Salinas
Martin Peréz estime positives les différentes initiatives des organisations suisses de développement en Bolivie : « Nombre d’institutions publiques et privées tentent de résoudre les problèmes sociaux, mais ceux-ci se sont complexifiés au fil du temps. Par conséquent, la participation et la promotion d'un secteur privé qui s'engage avec cohérence et transparence dans les questions sociales et environnementales est un élément clé pour développer la société. »
En Bolivie, Solidar Suisse travaille surtout au renforcement des organisations de la société civile, comme les syndicats, et à la mise en place d’initiatives visant à renforcer les droits des femmes.
« La Suisse a joué un rôle crucial et respectueux dans l’accompagnement de réformes centrales en Bolivie, comme la décentralisation de l'État, la mise en œuvre de lois donnant plus de droits aux femmes et la nouvelle Constitution », affirme Peréz. Il regrette donc le peu d'intérêt de la Suisse pour l'Amérique latine. « Malheureusement, de nombreux pays européens nous tournent le dos ». Il ajoute que cette attitude comporte le risque d'interventions de pays moins regardants en termes de respect des droits humains.
Le réseau extérieur est d'une importance capitale pour la Suisse et la représentation de ses intérêts.
Edita Vokral, l'ambassadrice suisse en Bolivie
Pendant ce temps, l'ambassadrice suisse Edita Vokral est assise dans le bâtiment de l'ambassade, qui ressemble à un énorme bloc de bois rouge. Elle est visiblement heureuse du maintien de l'ambassade et explique cette décision par le fait que « le réseau extérieur est d'une importance capitale pour la Suisse et la représentation de ses intérêts ».
L'ambassadrice Edita Vokral défend le retrait de l'Amérique latine. © Rodrigo Salinas
Mais elle défend l’arrêt de la coopération bilatérale. Outre le développement économique, la région a changé sur le plan politique, estime Edita Vokral. Selon elle toujours, l’Amérique latine ne veut plus seulement recevoir de l'aide au développement. Les gouvernements entendent suivre leur propre voie.
Le sous-continent serait ainsi prêt à recevoir d'autres moyens de coopération, comme la coopération économique et les initiatives du secteur privé, ainsi que le soutien d'organisations non gouvernementales de développement. La DDC continuerait par ailleurs à financer des initiatives régionales dans les domaines de l'eau, du changement climatique et de l'environnement ainsi que de l'aide humanitaire.
Lorsque le dernier rapport interne sur le travail de la DDC en Bolivie sera achevé cette année, une forme de coopération au développement prendra fin, malgré toutes les déclarations sur la poursuite de certaines initiatives dans la région andine. Celle qui a réussi à mener un travail de construction de longue haleine, au-delà de gouvernements politiquement opposés et de problèmes graves. Désormais, la coopération au développement doit réagir à des problèmes plus pressants, comme en Ukraine. Il n'est toutefois pas certain que les mêmes objectifs à long terme puissent être atteints.
Malte Seiwerth est historien et journaliste. Il a étudié l'histoire à l'Universidad de Chile et les études d'Amérique latine à l'Université de Berne. Il fait partie du réseau international de correspondants Weltreporter, vit à Santiago du Chili et travaille comme journaliste pour des médias germanophones tels que la Wochenzeitung, la Neue Zürcher Zeitung et la Frankfurter Rundschau.
Rodrigo Salinas est photographe et réalisateur de documentaires chilien. En tant que réalisateur de documentaires, il a travaillé pour différentes sociétés de production latino-américaines et européennes et a réalisé des films sur des thèmes historiques et des mouvements sociaux actuels. Il travaille actuellement comme documentariste dans le cadre d'un programme d'histoire publique au ministère chilien de la Culture et comme photographe pour des médias germanophones.
Partager l'article