Communiqué

Aide au développement pour les entreprises suisses

26.06.2024, Financement du développement

Le Conseil fédéral a décidé aujourd'hui de soutenir le secteur privé suisse à hauteur de 500 millions de francs pour la reconstruction de l'Ukraine. Le tout sera financé par le montant prévu dans le budget de la coopération internationale 2025-2028, qui était en fait destiné à l'Ukraine. Mais même le Conseil fédéral s'est aperçu que cette proposition était contraire à la loi.

Aide au développement pour les entreprises suisses

Charkiw (Ukraine). © imago

Le Conseil fédéral a présenté la stratégie de coopération internationale (CI) 2025-2028 au Parlement en mai 2024. Il y prévoit de consacrer 1,5 milliard de francs à l'aide à l'Ukraine. Dans cette même stratégie, il écrit que la promotion du secteur privé local joue un rôle crucial : « La collaboration entre la CI et le secteur privé est toujours axée sur l’objectif de la lutte contre la pauvreté et du développement durable. Les bénéficiaires sont les PME locales et la population » (p. 39). À peine un mois plus tard, le Conseil fédéral abandonne cette idée. Désormais, il prévoit en effet 500 millions de francs pour le secteur privé suisse pour la reconstruction de l'Ukraine. C'est plus que la totalité des fonds bilatéraux de la DDC pour l'Afrique subsaharienne en une année (2022).

Le Conseil fédéral sait que la promotion du secteur privé suisse avec les moyens de la coopération au développement est contraire à la loi, car il doit préparer une nouvelle base légale à cet effet. Alliance Sud ne comprend pas les raisons pour lesquelles le Conseil fédéral formule actuellement une telle proposition avant même que la stratégie 25-28 de la CI ne soit examinée par le Parlement. Il est inconcevable que ce dernier puisse se prononcer sur des crédits d'engagement de la coopération internationale si 500 millions de francs doivent être alloués sans base légale existante.

« Le fait que les fonds destinés à la coopération internationale doivent servir à financer des entreprises suisses est un scandale », dénonce Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. Avec cette décision, la pratique de l'aide liée (tied aid), qui est sous le feu des critiques internationales, devrait être appliquée à grande échelle en Ukraine. « Cela renchérira massivement la reconstruction si l'Ukraine ne peut pas choisir le fournisseur le moins cher pour un produit ou un service, mais doit dépendre des fournisseurs onéreux des pays donateurs », poursuit-il.


Pour de plus amples informations :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud,
tél. 031 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch

 

 

Article, Global

La boîte de Pandore est ouverte

21.03.2024, Financement du développement

Le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE a pris une décision passée largement inaperçue dans l'opinion publique : Elle concerne la prise en compte des instruments du secteur privé dans le financement du développement et pourrait avoir des conséquences importantes pour les pays les plus pauvres du Sud.

Laura Ebneter
Laura Ebneter

Experte en coopération internationale

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

La boîte de Pandore est ouverte

© Christina Baeriswyl

Depuis que le financement du développement existe, les discussions tournent autour de la manière dont il doit être mesuré. Alors que les pays donateurs du nord souhaitent être vus comme étant les plus généreux possible, les pays du Sud souhaitent qu'une part aussi importante que possible des fonds parvienne là où ils sont le plus nécessaires. C'est dans ce contexte que se situe le débat actuel sur la prise en compte des contributions publiques pour des prêts et divers types d’investissements dans les entreprises des pays du Sud.

En février 2016, dans le cadre du processus de « modernisation » de la définition de l’Aide publique au Développement (APD), les membres du Comité d’aide au développement (CAD) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s’étaient, pour la première fois, entendu sur des principes de comptabilisation des instruments du secteur privé (Private Sector Instruments / PSI). Ces instruments comprennent les prêts accordés à des entreprises, les investissements sous forme de prises de participation au capital, le financement mezzanine  et les garanties.

Mais les membres du CAD n’avaient pas réussi à l’époque à s’entendre sur les règles à appliquer pour prendre en compte les PSI dans l’APD, conformément aux principes convenus. Des modalités provisoires de notification sont alors mises en place en 2018. Puisque les PSI ne représentent que 2 à 3 % de l’APD totale, cette solution avait été jugée acceptable en attendant que les travaux du CAD aboutissent à une solution plus permanente. En octobre 2023, un nouvel accord permanent a été conclu concernant les PSI, susceptible d’avoir des conséquences importantes pour le financement du développement.

Le problème de l’additionnalité

Depuis l'introduction de l'APD dans les années 60, l'un de ses principes clés a été celui de la concessionnalité. Selon ce principe, les fonds de développement consistent en de simples dons (grants) ou prennent la forme de prêts à des conditions préférentielles. Avec sa décision d'octobre 2023, le CAD de l'OCDE a ébranlé ce principe et a ainsi redéfini l'APD. Selon les nouvelles règles, il y a lieu de démontrer, lors de la prise en compte des instruments du secteur privé, dans quelle mesure les fonds alloués à ces instruments apportent une valeur ajoutée financière ou en termes de contenu et en termes de développement (voir « L’additionnalité : trois définitions » ). Les pays membres du CAD sont censés fournir − à titre obligatoire − des informations sur le type d’additionnalité des PSI auxquels ils font recours.

Mais le CAD lui-même regrette que les données communiquées à ce jour ont été inégales et que les rapports soumis sur l'additionnalité soient « incomplets et pas convaincants ». L'établissement de rapports sérieux sur l'additionnalité est pourtant essentiel pour garantir que les membres du CAD allouent efficacement les ressources limitées de l’aide publique au développement là où le besoin est le plus grand et où l’impact peut être le plus important.

 

L’additionnalité : trois définitions

Pour qu'une activité de PSI soit éligible en tant qu’APD, elle doit être additionnelle sur le plan financier ou en valeur, ainsi que sur le plan du développement :

  1. Une activité d’un PSI apporte une « additionnalité financière » lorsque les partenaires du secteur privé (p. ex. une entreprise locale) ne sont pas en mesure d'obtenir un financement sur les marchés des capitaux (locaux ou internationaux), aux conditions et/ou à l'échelle nécessaires ; ou lorsque cette activité mobilise des fonds du secteur privé qui n'auraient pas été investis autrement.
  2. Il y a « additionnalité de valeur » lorsque le secteur public fournit, en plus de son investissement, une valeur non financière pour les partenaires du secteur privé que les marchés de capitaux n'offriraient pas et qui a pour but de conduire à de meilleurs résultats en matière de développement. Cette « valeur » est souvent recherchée par le biais de la conditionnalité des investissements (p. ex. imposition de critères ESG / Environmental, Social, Governance), de participations actives (par ex., participation au conseil d'administration), d'activités de renforcement des capacités, de services de conseil et d'autres formes d'assistance technique et d'autres moyens.
  3. Enfin, il y a « additionnalité de développement » si le projet vise à produire un impact sur le développement qui n'aurait pas eu lieu sans le partenariat entre le secteur public et le secteur privé.

 

Or, sans rendre compte de l’additionnalité, on ne peut que présumer plutôt que démontrer la valeur ajoutée des PSI. Ou, en d’autres termes, sans ces informations, on fait face au risque que l’APD soit artificiellement « gonflée » par des pratiques comptables créatives, ce qui diluerait de plus en plus la définition de l'« aide au développement ». Point a priori positif, dès 2026, les informations communiquées sur l'additionnalité des PSI feront l'objet d'un examen particulier de la part du secrétariat du CAD « pour promouvoir l'intégrité de l'APD ». Il reste à espérer que ces vérifications permettront d'y voir plus clair.

Selon une étude du réseau des ONG Eurodad, entre 2018 et 2021, un volume total de USD 20,6 milliards ont été déclarés comme PSI ; cela représente 3 % de l’APD totale. Les quatre principaux donateurs européens (Royaume-Uni, UE, Allemagne et France) représentent à eux seuls près de 80 % du volume total des PSI des membres du CAD. La Suisse pointe à la 11ème place, avec 0,7 % du volume total.

Sur le volume total, 85 % des fonds ont été acheminés par l'intermédiaire des institutions de financement du développement (IFD), dont, en Suisse, le Swiss Investment Fund for Emerging Markets (SIFEM). Les IFD respectives des quatre principaux donateurs européens – British International Investment (BII) au Royaume-Uni, la Banque européenne d’investissement (BEI/UE), la Kreditanstalt für den Wiederaufbau (KfW) et la Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft (DEG) allemandes et Proparco, en France – représentent 91 % de l’ensemble des PSI déclarés comme APD de ces membres du CAD. Certaines de ces IFD ont vu leur portefeuille doubler en une décennie et il est attendu que le volume d’activités des IFD continuent d’augmenter ces prochaines années.

 

Répartition des PSI par groupes de pays (sur la base du revenu)

Source : OECD-DAC, Creditor Reporting System 2023

 

Ces sociétés de financement du développement ont un mandat de rentabilité et investissent donc en priorité dans des pays et des régions qui présentent un profil de risque réduit et offrent des perspectives de bénéfices plus sûres. Comme le montre le graphique ci-dessus, entre 2018 et 2021, la majorité des instruments du secteur privé ont été investis dans des pays à revenu intermédiaire supérieur (UMICs) (59 %), suivis par des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (LMICs) (37 %). Seuls 4 % des PSI ont été alloués aux pays les moins avancés (LDCs). Cela montre que les fonds de développement gérés par les PSI n'atteignent que très marginalement les pays qui en auraient le plus besoin.

Le rôle du SIFEM

La Suisse notifie au CAD quelque CHF 35 millions en tant qu’un PSI, ce qui équivaut en moyenne aux versements au capital du SIFEM de CHF 30 millions par an, auxquels s’ajoutent quelques autres instruments (moins de 5 millions CHF). SIFEM est spécialisé dans le financement à long terme des PME et d'autres entreprises « à croissance rapide », avec pour but de favoriser la croissance économique et la création d'emplois.

 

Montants mobilisés du secteur privé

Les PSI doivent être distingués des « montants mobilisés du secteur privé », soit tous les financements privés mobilisés par les interventions de financement public du développement, quelle que soit l'origine des fonds privés. Ces fonds ne font pas partie de l'APD, mais peuvent être comptabilisés dans l'indicateur plus large du financement du développement – le total official support for sustainable development (TOSSD).

 

Dans sa récente édition, le rapport DFI Transparency 2023 – qui analyse les activités des trente principales IFD, dont les actifs totalisent USD 2000 milliards – SIFEM est placée dans les dernières places du classement en termes de transparence ! À fin 2022, SIFEM avait un portefeuille d’investissements de USD 451 millions, presque entièrement alloué aux économies à revenu intermédiaire (MICs). Plus précisément, 62 % ont été investis dans des économies à revenu intermédiaire inférieur et 34 % dans des économies à revenu intermédiaire supérieur. Les économies à faible revenu (par exemple, l'Éthiopie et le Malawi) ne représentaient que 3 % du portefeuille d'investissement. À cette même date, seuls 42 % du portefeuille étaient investis dans les pays prioritaires de la coopération internationale (CI) de la Suisse.

Des instruments du secteur privé pour qui ?

Nous nous trouvons dans une période critique où des guerres, les suites de la pandémie Corona et les effets croissants du changement climatique font basculer des millions de personnes dans la pauvreté. Les ressources des pays donateurs, qui restent stables ou diminuent, sont en conséquence confrontées à un nombre croissant de crises et de guerres. Dès lors, la question se pose de savoir si le développement des instruments du secteur privé, qui sont en grande majorité alloués aux pays en développement les plus prospères, est la bonne voie pour la CI de la Suisse. La base de données actuelle n'est pas suffisante pour une évaluation définitive de l’efficacité de ces instruments. À ce jour, au vu de la répartition géographique, on peut néanmoins douter de la contribution des instruments du secteur privé au mandat constitutionnel de la CI – à savoir soulager les populations dans le besoin et lutter contre la pauvreté dans les pays en développement, les régions et en faveur des groupes de population les plus pauvres. Ces instruments ne devraient dès lors pas occuper à l’avenir non plus une place centrale dans la CI de la Suisse. Mais il est bien plus important de veiller à ce que le principal indicateur de mesure du financement du développement – l'APD – ne soit pas davantage dilué dans le cadre du processus de modernisation et que la boîte de Pandore soit refermée.

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Communiqué

Des fonds privés pour la coopération ?

01.10.2020, Financement du développement

Le Conseil fédéral veut diversifier et renforcer la coopération au développement en collaboration avec le secteur privé et tester de nouveaux instruments financiers. Alliance Sud analyse le potentiel, les limites et les risques de cette approche.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

+41 22 901 14 81 laurent.matile@alliancesud.ch
Des fonds privés pour la coopération ?

© Gerd Altmann / Pixabay

Le Conseil fédéral entend utiliser des fonds de l’aide publique au développement (APD) pour permettre de « mobiliser des financements privés additionnels » pour un développement durable, notamment par le biais de la finance mixte (blended finance). La Stratégie de coopération internationale 2021-2024 n’indique par contre ni les montants prévus pour développer cette collaboration avec le secteur privé, ni ne présente les instruments concrets, encore moins les partenaires privés avec lesquels le Conseil fédéral entend collaborer à l’avenir.

Bien qu’il existe un large consensus sur le fait que l’investissement privé dans les pays en développement est nécessaire pour assurer le financement des Objectifs de développement durable (ODD), des études et rapports récents relève le niveau d’ambition exagéré qui a marqué les stratégies de finance mixte adoptées à ce jour. En outre, ces mêmes analyses relèvent que la mise en œuvre des stratégies de blended finance dans les pays les moins avancés (PMA) se heurte à de nombreuses limitations et présentent des risques substantiels.

Dans son papier d’analyse, Alliance Sud présente de manière synthétique le potentiel, les limites et les risques que présentent les divers instruments de la finance mixte. Dans ses conclusions et recommandations, Alliance Sud rappelle que, en termes de financement de l’Agenda 2030 et de collaboration avec le secteur privé :

  • La mobilisation des ressources publiques propres des pays en développement doit être une priorité en vue d’assurer le financement de l’Agenda 2030 de développement durable ; à cet égard, la lutte contre les flux financiers illicites (illicit financial flows) est incontournable.
  • Eu égard au développement du secteur privé, la priorité doit être accordée au développement des entreprises locales, en particulier des petites et moyennes entreprises (PME), ainsi que des marchés financiers nationaux.
  • Le recours aux financements mixtes et aux partenariats entre acteurs publics de la coopération au développement et entreprises privées n’équivaut qu’à un moyen parmi d’autres de contribuer à atteindre les ODD.

Alliance Sud exige qu’une évaluation de l’ensemble des formes de collaboration avec le secteur privé de la coopération internationale de la Suisse soit effectuée, et qu’une stratégie d’engagement détaillée, comprenant une liste de critères sociaux et environnementaux soit développée avant que de nouvelles formes de partenariats, respectivement de nouveaux instruments financiers avec le secteur privé ne soient développés.

Blended finance – les financements mixtes et la coopération au développement : La position d’Alliance Sud, 28 pages. Septembre 2020 

Medienmitteilung

Addis Abeba a raté sa chance

16.08.2015, Financement du développement

L’agenda d’Addis Abeba est sous toit. Pendant que les diplomates fêtent le prétendu succès des négociations, la société civile critique le résultat comme insuffisant pour assurer un développement durable.

Addis Abeba a raté sa chance

Medienmitteilung

Bras de fer sur le financement du développement

13.07.2015, Financement du développement

Aujourd’hui commencent à Addis Abeba les négociations d’un cadre de financement pour le développement durable. Une déclaration des ONG exhorte la communauté internationale à donner un signal fort.

Bras de fer sur le financement du développement

Article

Blended Finance, la panacée ?

10.12.2020, Financement du développement

L'Agenda 2030 appelle à la stratégie de financement la plus ambitieuse à ce jour pour le développement durable, avec le double défi de mobiliser des volumes de ressources financières sans précédent et de « ne laisser personne derrière ».

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Blended Finance, la panacée ?

Un ouvrier contrôle la production de bière à Beni, en République démocratique du Congo. La question centrale est de savoir dans quelle mesure l'investissement privé contribue à la réduction de la pauvreté.
© Kris Pannecoucke / Panos

Au-delà des ressources publiques, des sources de financement privées – nationales et internationales – sont considérées comme nécessaires, respectivement sont considérées par certains comme étant la solution magique pour combler le déficit de financement. Ces ressources privées comprennent notamment les investissements privés, mais également la philanthropie et les envois de fonds.  Dans sa Stratégie pour la coopération internationale 2021-2024, le Conseil fédéral s’est engagé à diversifier et renforcer les collaborations avec le secteur privé et entend utiliser des fonds de l’aide publique au développement (APD) pour permettre de « mobiliser des financements privés additionnels » pour un développement durable.

Les nouveaux instruments financiers développés pour « réorienter » les financements privés vers le développement durable comprennent notamment les approches de la finance mixte (blended finance). Les attentes à cet égard sont énormes, les résultats obtenus, à ce jour, mitigés.

Tentons d’y voir plus clair en cinq questions :

1.    Blended finance : de quoi s’agit-il ?
Il n'existe pas de définition généralement acceptée de la finance mixte. L'idée de base est d’utiliser les fonds et autres ressources (en personnel, expertise, contacts politiques, etc.) provenant de l'aide publique au développement (APD) bilatérale et/ou multilatérale comme « levier » pour mobiliser les investissements du secteur privé en faveur du développement durable.

2. Quels sont les modèles existants ?
En pratique, la finance mixte fonctionne comme suit : Les investisseurs privés recherchent généralement un rendement qui soit proportionnel au niveau de risque d'un investissement, c'est-à-dire un rendement « ajusté au risque ». Plus le risque – effectif ou perçu – est élevé, plus le rendement attendu par l’investisseur privé doit être élevé pour compenser ce risque.

Il existe deux moyens fondamentaux pour les financiers publics (bilatéraux ou multilatéraux) qui visent à attirer les investisseurs privés dans des projets qui ne répondent pas (a priori) aux attentes en matière de rendement ajusté au risque :

  • Soit de réduire le risque de l'investissement pour l'investisseur privé (« de-risking ») ;
  • Soit d’augmenter les rendements pour l'investisseur privé.

La réduction des risques au moyen d'instruments tels que les garanties ou le capital de première perte (« first-loss » capital) est généralement utilisée pour les projets qui sont suffisamment rentables mais qui présentent un risque élevé (perçu) de défaillance ou de dépréciation.

L’augmentation des rendements peut être assurée par des prêts à des conditions préférentielles, qui sont accordés à l'investisseur pour compenser certains coûts du projet ou via une participation au capital de l'investisseur (fonds propres) pour encourager les investisseurs privés à co-investir. Ou encore, par le biais de la fourniture d'une assistance technique pour réduire certains coûts de transaction (par exemple, sous la forme d’études de faisabilité).
Il est bon de rappeler que les deux approches – réduction des risques et amélioration du rendement – équivalent à des subventions d'investisseurs privés via l’utilisation de fonds de l’aide publique au développement.

3. Quel bénéfice pour les plus pauvres ?
C'est la question centrale. Pour rappel, selon la Loi fédérale sur la coopération au développement, cette dernière doit soutenir « en priorité les efforts des pays en développement, régions et groupes de population les plus défavorisés » (article 5/2). Or, la finance mixte n'a, à ce jour, guère bénéficié aux pays les plus pauvres.

Même si la finance mixte a connu une croissance rapide, elle a largement contourné les pays les moins avancés (PMA). La majorité des transactions de financement mixte ont lieu dans les pays à revenu intermédiaire (PRI) et, en termes de secteurs, principalement dans les secteurs où le retour sur investissement est plus sûr – tels que l'énergie, les services financiers et l’industrie, les mines ou la construction. Mais guère dans des secteurs comme l'éducation ou la santé (voir encadré p. xy).

4. Quels sont les risques ?
La finance mixte implique différents types de risques :

  • Premièrement, il faut garder à l'esprit que si l’enveloppe globale allouée à la coopération internationale de la Suisse reste au niveau actuel, le soutien accru aux financements mixtes entraînerait une réduction des ressources « classiques » de l'aide au développement (APD) ;
  • Deuxièmement, les montants en faveur de la coopération avec les PMA pourraient être mis sous pression, si des projets de financements mixtes sont mis en œuvre – principalement – dans les PRI.
  • Troisièmement, il existe un risque que les principes internationalement reconnus de l'efficacité de l'aide ne soient pas respectés ; ces principes exigent notamment que les priorités de développement soient fixées de manière inclusive, c'est-à-dire en consultation avec la population bénéficiaire.
  • Quatrièmement, le recours à de tels instruments financiers pourrait provoquer des distorsions des marchés dans les pays en développement et évincer (crowd-out) les entreprises et les investisseurs locaux.
  • Enfin, la finance mixte présente un risque pour le niveau d'endettement des pays en développement.

Alliance Sud a énuméré les autres risques dans son papier de position et formulé des recommandations à cet égard.

5. Quelles sont les alternatives ?
La question générale qui se pose est de savoir si le recours aux financements mixtes et aux partenariats entre acteurs publics de la coopération au développement et entreprises privées est à même – et à quelles conditions – de répondre aux attentes (élevées) formulées à leur égard. Dans ce contexte, il faut rappeler que l’Addis Ababa Action Agenda (AAAA) établit comme domaines d’intervention prioritaires pour assurer le financement du développement la mobilisation des ressources publiques intérieures et, qu’à cet égard, la lutte contre les flux financiers illicites est incontournable.

En outre, dans le cadre du développement du secteur privé (DSP), de nombreux efforts sont attendus en vue de développer le secteur privé local et les entreprises nationales, y compris les marchés financiers nationaux et les microentreprises ainsi que les petites et moyennes entreprises, avec un accent particulier sur les entreprises gérées par des femmes. La finance mixte n’équivaut en conséquence qu’à un moyen parmi d’autres de financement de l’Agenda 2030, respectivement de contribuer à atteindre les Objectifs de développement durable.

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Article, Global

Engagement du secteur privé: un chantier périlleux

22.03.2021, Coopération internationale, Financement du développement

Dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie de coopération internationale (CI) 2021-2024, la DDC entend intensifier son engagement avec le secteur privé, via des partenariats avec divers acteurs de l’économie privée.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Engagement du secteur privé: un chantier périlleux

Le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis visite un institut de formation dans le domaine du tourisme lors de son voyage en Afrique en février 2021.
© Foto: YEP Gambia

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Communiqué

SDG Impact Finance Initiative : impact pour qui ?

16.03.2022, Financement du développement

Une nouvelle initiative du SECO vise à mobiliser de capitaux privés pour les pays en développement. Elle soulève de nombreuses questions de gouvernance et d’impact sur le développement.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

+41 22 901 14 81 laurent.matile@alliancesud.ch
SDG Impact Finance Initiative : impact pour qui ?

Les deux facettes du secteur privé : transport des biens de première nécessité de Zurich au Venezuela. Dans le sens inverse, les banques suisses permettent aux élites de placer leur argent ici, comme l’ont montré les « Suisse Secrets ».
© KEYSTONE / POOL / Ennio Leanza

Papier d'analyse

Le secteur privé dans la CI de la Suisse

21.07.2023, Financement du développement

Dans les débats sur la coopération internationale (CI) de la Suisse, le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG) sont souvent mis en opposition. Cette analyse d'Alliance Sud offre une vision différenciée.

Le secteur privé dans la CI de la Suisse

Dans les discussions controversées sur la coopération internationale (CI) de la Suisse, et tout particu­lièrement dans le domaine de la coopération au développement, le secteur privé et les organisations non gouvernementales (ONG) sont souvent mis en opposition. Mais de qui parle-t-on précisément lorsqu'on évoque la participation du « secteur privé » dans la coopération au développement ? Ce document d'analyse doit ainsi contribuer à nuancer les débats souvent très réducteurs et idéologiques sur le rôle du secteur privé dans la coopération au développement. Il formule par ailleurs des recommandations sur le rôle futur du secteur privé dans la coopération au développement.

Secteur privé

Collaboration avec le secteur privé

Alliance Sud s'engage pour que les partenariats avec le secteur privé dans la coopération au développement poursuivent l’objectif de la lutte contre la pauvreté et soient soumis à des exigences élevées en matière de transparence et de mesure de l'efficacité.

De quoi s’agit-il ?

Publikationstyp

De quoi s’agit-il ?

Depuis l'adoption des Objectifs de développement durable (ODD) de l'ONU, des stratégies de « mobilisation » des ressources financières privées en faveur du développement durable ont été adoptées tant au niveau multilatéral (groupe de la Banque mondiale, OCDE, banques régionales de développement) que dans de nombreux pays, dans le but de combler le déficit de financement estimé à environ 2 500 milliards de dollars par an pour atteindre les ODD.

Un large éventail d’institutions et d'instruments a été encouragé ou créé à cet effet. Les ambitions sont souvent exagérées, tant pour ce qui est du montant du financement qui peut être levé de cette manière que s’agissant du potentiel et de la pertinence du financement du secteur privé pour la lutte contre la pauvreté.

Alliance Sud s'engage pour que les partenariats avec le secteur privé de la DDC et du SECO se fixent pour objectif la lutte contre la pauvreté et soient soumis à des exigences élevées en matière de transparence et de mesure de l‘efficacité.