Partager l'article
4ème Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement
Conférence FfD4 à Séville : un pas vers un monde plus juste ?
04.07.2025, Financement du développement
La 4e Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement (FfD4) s'est tenue à Séville du 30 juin au 3 juillet. Auparavent, les États s'étaient déjà mis d'accord sur une déclaration finale toutefois insuffisante. Des réponses aux innombrables crises n'étaient pas apportés : le Nord réduit ses aides au développement et continue de priver les pays du Sud global de ressources considérables, alors que ces derniers croulent sous le poids de la dette. Mais une société civile combative a exigé sur place des mesures contre les inégalités croissantes. Alliance Sud était présente à Séville et a donné un aperçu des débats et des luttes sur place.

La veille de l'ouverture de la conférence, des manifestant.e.s déploient leurs revendications dans les rues brûlantes de Séville. © Marisol Ruiz / Society for International Development (SID)
Dernier jour de la conférence
« Nous déclarons ici la faillite de la politique de développement »
Les réponses apportées dans l’Engagement de Séville (Compromiso de Sevilla) à la situation dramatique de la dette dans de nombreux pays sont presque aussi amères qu'une confiture d'oranges andalouse. Lors de l'événement parallèle centré sur le multilatéralisme inclusif et l’architecture de la dette internationale (Inclusive Multilateralism and International Debt Architecture), l'économiste indienne Jayati Ghosh — qui a d’ailleurs préfacé le numéro spécial « Le nouveau deal » de « global », le magazine d’Alliance Sud — l’a rapidement fait comprendre. 2025 avait été prévue comme l'année de la remise de la dette. Cela ne s'est pas concrétisé. Quasiment toutes les revendications des pays surendettés du Sud ont été ignorées lors de la rédaction de la déclaration finale de la conférence. En premier lieu, celles qui demandaient la mise en place d'une convention des Nations Unies sur la dette, qui créerait un cadre pour le désendettement des États. Les intérêts des pays débiteurs et ceux des créanciers du Nord (États, créanciers privés, banques et négociants en matières premières) devaient y être représentés sur un pied d'égalité. Cette revendication principale du Sud global et de la société civile internationale a certes été entendue à Séville, principalement grâce à la société civile, mais elle n'a pas été reprise dans la déclaration finale de la conférence. Les divers projets lancés lors de celle-ci sur la question de la dette se présentent donc comme des maisons sans toit : habitables en soi, mais difficiles d'accès et mal reliées entre elles. Et ce, malgré une situation extrêmement dramatique : selon la CNUCED, l'Agence des Nations Unies pour le commerce et le développement, 68 pays en développement ont de graves problèmes d'endettement. 61 % de la dette totale de ces pays est détenue par des créanciers privés. Les taux d'intérêt que doivent payer les pays en développement sont beaucoup plus élevés qu'aux États-Unis et dans l'UE. Dans 48 pays du Sud global, où vivent 3,3 milliards de personnes, les paiements d'intérêts sont plus élevés que les dépenses consacrées à l'éducation ou à la santé. Le rapport 2025 sur la dette (Schuldenreport 2025) de l'ONG allemande erlassjahr.de, dont la conseillère politique Malina Stutz était assise à côté de Jayati Ghosh sur le podium, révèle des chiffres dramatiques à ce sujet : le Liban consacre 88 % de ses recettes publiques au service de sa dette, l'Angola 56 % et le Sénégal 32 %.
L'économiste indienne Jayati Gosh critique la position de l'Occident face à la question de la dette.
© Alliance Sud
Jayati Ghosh a formulé cinq points qui seraient essentiels pour une bonne politique de la dette :
- Les négociations sur l'allègement ou l'annulation de la dette devraient être clairement limitées dans le temps, à savoir trois à six mois, et reposer sur l'égalité de traitement des deux parties.
- Pendant cette période, un moratoire sur les paiements est nécessaire, ce qui signifie que le débiteur ne rembourse ni les intérêts ni les parts de la dette au créancier.
- Les annulations de dette ne doivent plus être utilisées pour renflouer des créanciers privés. C'est ce qui se produit lorsque les créanciers publics remboursent les créanciers privés.
- Les États ne devraient plus être contraints de prendre des mesures d'austérité drastiques dans le cadre des procédures de désendettement, comme c'est le cas aujourd'hui sous le régime du Fonds monétaire international (FMI). Au contraire, le désendettement devrait s'accompagner d’énergiques programmes de croissance économique.
- Les pays surendettés doivent conserver leur accès au marché des capitaux. Le fait que ce soient précisément les pays qui connaissent déjà d'énormes problèmes de liquidités qui soient totalement exclus du marché des capitaux aggrave encore les inégalités extrêmes sur ce dernier.
Penelope Hawkins, économiste de la CNUCED, n'a pas explicitement soutenu les propositions de réforme en profondeur de Jayati Ghosh, mais a présenté un projet dans le cadre de la Sevilla Platform for Action (SPA) qui vise à créer un « club des emprunteurs » (borrowers club). En effet, il n'existe à ce jour aucun organe permanent réunissant les pays débiteurs et leur permettant de convenir d'une action commune dans le contexte de la gestion multilatérale de la dette du « cadre commun » du FMI. Ce club serait le pendant du Club de Paris, qui rassemble les pays créanciers, et renforcerait la représentation des intérêts des pays endettés auprès du FMI. « Jusqu'à présent, ces réunions de débiteurs n'ont lieu qu'en situation d'urgence. La question est de savoir comment nous pouvons pérenniser de tels forums », explique Penelope Hawkins. Après Séville, cela reste flou en effet. Mme Hawkins a donc été catégorique : « Nous déclarons ici la faillite de la politique de développement : contrairement au Programme d’action d’Addis-Abeba (Addis Ababa Action Agenda, AAAA) de 2015, la déclaration finale ne mentionne pas une seule fois les pays les plus pauvres. Nous n'avons pas de véritable mécanisme de rééchelonnement de la dette, mais tous les créanciers récupèrent néanmoins leur argent. » Les conséquences sont extrêmes. « Nous ne pouvons coopérer que si nous créons ce club des emprunteurs. »
Les déclarations de Robert Plachta, chef du département Restructuration de la dette et Club de Paris au ministère allemand des finances, ont clairement montré que les efforts déployés par le Sud global et la société civile internationale pour enfin définir des moyens de sortir du piège de la dette se heurteront à une forte opposition, même après la FfD4. Cette année, les créanciers se sont tout de même mis d’accord avec la Zambie et le Ghana sur la restructuration de leur dette. Cela a nécessité beaucoup de temps. Trop selon Mme Ghosh. Cela tient principalement aux créanciers privés, notamment en Suisse, où l'on trouve la grande banque UBS ou le négociant en matières premières Glencore. Robert Plachta a conclu par une déclaration qui pouvait être interprétée comme une menace : « Nous, les créanciers, devons récupérer notre argent. Si tel n'est pas le cas, il y aura des conséquences. Les prêts seront tout simplement moins nombreux. »
Ce qui a de nouveau fait réagir Jayati Ghosh : les recherches menées par Malina Stutz, chargée de mission chez erlassjahr.de, montreraient que les bénéfices réalisés par les créanciers privés grâce à leurs opérations de crédit sont bien supérieurs à ce qu'ils ont réellement investi. Au final, ces créanciers profiteraient de la détresse financière des pays surendettés. Mme Ghosh a déclaré, s'adressant directement à Robert Plachta, qu'elle attendait de l'Allemagne, aujourd'hui première économie européenne, qu'elle accorde aux autres pays ce qui lui a été consenti en 1954, à savoir la possibilité de sortir d'une situation extrêmement difficile et de retrouver la prospérité économique et sociale grâce à une remise de dette complète. M. Plachta n'a manifestement pas apprécié cette comparaison historique.
Puis, Hod Anyigba, économiste syndical ghanéen de l’International Trade Union Confederation Africa (ITUC-Africa), a posé la question fondamentale : « Avez-vous déjà vu une mère se rendre à la banque pour pouvoir réparer son toit ? Le déséquilibre des pouvoirs est extrême. Il est temps que les travailleuses et travailleurs assument la responsabilité de ces choses. Qu'est-il advenu de l'idée de l'État aspirant au développement ? La dignité, les droits, une vie décente, où sont passées ces idées ? Quand je parle aux créanciers, je n'entends que profit, profit, profit. Frère Robert [Plachta] doit retourner à sa table à dessin ! » Chaque maison a une architecture, c'est tout à fait naturel. Pourquoi le système financier n'en a-t-il pas, a demandé Hod Anyigba, appelant à plus d'imagination dans la politique financière internationale : « Pourquoi les dogmes néolibéraux dominent-ils toujours ? Réfléchissez à des propositions hétérodoxes ! »
Cette architecture du système financier international pourrait notamment être développée dans le cadre d'une convention des Nations Unies sur la dette. Malina Stutz, de erlassjahr.de, l'a encore une fois clairement souligné : « La question de l'inclusion est vraiment centrale : par inclusivité, nous entendons que les pays débiteurs ne doivent pas simplement être invités à des événements où ils peuvent donner leur avis. Ce que nous voulons, c'est un organe décisionnel au sein duquel ils disposent des mêmes droits. » Ce serait sans doute la condition préalable pour que, comme le souligne Malina Stutz, ce qui a toujours été normal dans les relations de crédit ordinaires devienne également la norme dans le domaine de la dette publique : les remises de dette font partie intégrante de toute relation de crédit.
Pour finir, Jayati Ghosh a répliqué à la menace de Robert Plachta par un avertissement adressé à « l'Occident ». « Je ne pense pas que les pays du G7 réalisent à quel point ils ont perdu en crédibilité ces dernières années : pandémie, brevets sur les vaccins, extraction des matières premières. Dans tous ces domaines, l'Occident n'a pas fait de concessions au Sud. Mais l'UE a aussi besoin d'amis », a-t-elle déclaré, faisant allusion aux relations transatlantiques fortement perturbées par Trump. « Nous sommes confrontés à un véritable manque de conscience de nos propres intérêts. Si l'Occident ne bouge pas, le monde vous imposera des choses que vous n'aimerez pas, mais pour une fois, je m'en réjouirai. »
Jeudi 3 juillet : Pas dans le spa, mais sur la SPA – des impôts pour les super-riches
La Suisse est actuellement dirigée par une élue qui est également ministre des finances. La vice-présidente espagnole María Jesús Montero assume elle aussi le poste de ministre des finances. Mais les similitudes s'arrêtent là. María Jesús Montero ouvre un groupe de haut niveau sur la taxation des super-riches en posant un principe fondamental : des systèmes fiscaux équitables et progressifs sont le fondement de la démocratie, de l'État social et de l'égalité des chances. Les États plus égalitaires sont non seulement plus démocratiques, mais la santé mentale y est également meilleure.
En novembre 2024, l'Espagne, en collaboration avec le Brésil, qui présidait le G20 à l’époque, a mis la taxation des super-riches à l'ordre du jour à Rio de Janeiro. La manifestation de Séville s'inscrit dans le cadre de la Sevilla Platform for Action (dont l'abréviation « SPA » prête un peu à confusion). Ces initiatives, soutenues chacune par un groupe d'États, visent à faire progresser la mise en œuvre de la déclaration finale de Séville.
L'économiste Joseph Stiglitz, l'ancienne Première ministre sénégalaise Aminata Touré et Susana Ruiz (Oxfam International) (de gauche à droite) critiquent la politique fiscale mondiale durant la FfD4. © Alliance Sud
Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, professeur à Harvard et doyen de la critique avisée de la mondialisation, commence par une remarque d'actualité : « Les États-Unis paient à présent le prix de l'inégalité, c'est pourquoi nous assistons à la mainmise de l'oligarchie technologique. Trump veut mondialiser ses réductions d'impôts pour cette oligarchie. Il est désespérant que le G7 ait cédé sur l'application de l'imposition minimale de l'OCDE aux entreprises américaines. En une heure, les résultats de 14 ans de négociations ont été réduits à néant. » En ce qui concerne l'Espagne, il rappelle que la majorité des pays européens ne sont pas représentés au G7. Une pression pourrait donc encore être exercée au sein de l'UE.
Le Canada a aussi cédé et abandonné sa taxe sur les services numériques. « C'est le premier pas vers le statut de 51e État des États-Unis », plaisante Stiglitz. « Les entreprises numériques ont amassé leur fortune grâce à l'évasion fiscale, en enregistrant leurs recettes publicitaires en Irlande. Comme leurs filiales y sont contrôlées depuis la Silicon Valley, elles ne versent quasiment pas d'impôts », précise Stiglitz. « Les instruments de destruction de la démocratie et du multilatéralisme sont la menace et la peur. Mais le monde ne peut pas être pris en otage, une coalition des volontaires est possible. La convention fiscale de l'ONU est la preuve qu'il y a aussi des progrès dans le domaine fiscal. »
Aminata Touré, ancienne première ministre du Sénégal, hausse le ton : « En matière fiscale, on constate une injustice permanente dont l'Afrique souffre depuis des siècles. Nous aimerions taxer tout ce qui a été confisqué à nos pays. Nous avons des dettes résultant de la fraude et de l'évasion fiscales. Des dettes quatre fois plus chères que celles des pays européens. Pourquoi ? Parce que nous présentons un risque majeur aux yeux des investisseurs. Et pourquoi ce risque est-il très élevé ? Parce que les multinationales européennes exploitent nos matières premières sans payer d'impôts. Il nous manque donc l'argent nécessaire pour régler les énormes intérêts sur la dette extérieure. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire preuve de résilience et de nous défendre. C'est pourquoi l'Union africaine s'est tant engagée en faveur d'une convention fiscale contraignante de l'ONU. Nous voulons une répartition équitable du droit d'imposition. Les impôts doivent être payés là où la richesse est créée. C'est difficile à expliquer parce que c'est tellement simple. Tout écolier le comprend : plus on est riche, plus on paie d'impôts. » Aminata Touré critique l'absurdité des tax holidays accordées aux entreprises extractives, à savoir les exonérations fiscales dont elles bénéficient pendant des années. « Cela peut conduire les entreprises minières à ne commencer à payer que lorsque la mine est épuisée. »
Vítor Gaspar, directeur du Département des affaires fiscales du Fonds monétaire international (FMI), ajoute que la simplification des systèmes fiscaux est également nécessaire, car « la complexité est la meilleure alliée des fraudeurs et des évadés fiscaux ». Souvent, cette complexité a été conçue délibérément, dans ce but précis.
Joseph Stiglitz résume : « Inutile d’être lauréat d’un prix Nobel pour comprendre pourquoi il faut taxer les super-riches. Nous avons créé les paradis fiscaux. Nous aurions pu les réglementer, mais nous les avons tolérés. Ils existent parce qu'ils profitent aux super-riches. Nous avons besoin de normes mondiales, nous avons besoin de règles à l’échelle de la planète. La plateforme d'action contient les mesures nécessaires pour rendre la fraude fiscale plus difficile. » Et Aminata Touré de conclure : « La convention fiscale de l'ONU est un parfait exemple de multilatéralisme : elle débouche sur une situation où tout le monde gagne. Et cela exclut que je sois super-riche et que toi tu restes pauvre. »
Mercredi 2e juillet
Qui finance la mobilisation des ressources domestiques ?
La mobilisation des ressources domestiques (MRD) est un pilier de l’Engagement de Séville (Compromiso de Sevilla). Elle vise principalement à permettre aux pays du Sud global de générer davantage de recettes fiscales afin de réduire leur dépendance économique vis-à-vis des investissements directs étrangers des multinationales et de l'aide au développement des pays du Nord, et de faire progresser leur économie et leur société de l'intérieur. Les personnes participant à l'événement parallèle « Flux financiers illicites, espace budgétaire et fiscalité équitable : promouvoir la coopération Afrique-Europe pour une mesure unifiée et un programme de réforme des flux financiers illicites » (Illicit financial flows, fiscal space and fair taxation : advancing Africa-Europe cooperation for a unified measurement and reform agenda illicit financial flows) se sont accordées sur ce point. La MRD présente toutefois quelques inconvénients, comme l'ont montré divers événements parallèles organisés au Palacio de Congresos.

Représentant·e·s d'Amérique latine lors d'une manifestation dans l'entrée du bâtiment où se tenait la conférence FfD4. © Alliance Sud
- Chennai Mukumba, directrice du Réseau pour la justice fiscale en Afrique (TJNA), a souligné qu'il fallait d'abord mettre fin aux transferts de bénéfices des multinationales et des fortunes privées hors des pays du Sud avant d'introduire de nouvelles taxes dans ces pays : « Nous devrions percevoir les impôts qui existent déjà avant d'en créer de nouveaux. » Pour ce projet, le TJNA mise pleinement sur la convention fiscale des Nations Unies. Les négociations sur sa forme entameront un nouveau cycle en août au siège de l'ONU à New York.
- Les impôts ne sont pas sociaux en soi. Il ne s'agit pas seulement de savoir combien les États en perçoivent, mais aussi qui les paie : avec l'introduction d'une taxe sur la valeur ajoutée par exemple (que le Fonds monétaire international, l'OCDE ou la Banque mondiale recommandent volontiers aux pays pauvres), la classe moyenne et les pauvres paient proportionnellement beaucoup plus d'impôts que les riches, car ils doivent aussi consommer. En même temps, elle est relativement facile à mettre en œuvre pour des autorités fiscales sous-équipées. Il en va de même pour l'impôt sur la fortune : dans ce cas, ce sont les riches qui paient, mais sa mise en œuvre est très ardue, car dans le système financier actuel, les fortunes peuvent être transférées quasi sans restriction à travers le monde, de sorte qu'elles ne sont visibles que là où les riches ne paient pas ou très peu d'impôts. Dans ce contexte, il n'est guère surprenant que la Suisse ait été pointée comme mauvais exemple. À New York, elle a la possibilité (malheureusement théorique vu son orientation fiscale) de soutenir des règles mondiales contraignantes en matière de transparence fiscale et de lutte contre la fraude fiscale.
Giulia Mascagni, directrice du Centre international pour la fiscalité et le développement a également souligné que la lutte contre l'évasion fiscale des super-riches est loin d'être gagnée avec les réformes de l'OCDE des 15 dernières années : « L'échange automatique de renseignements (EAR) sur les clients des banques entre les pays a principalement profité au Nord global. » Pour remédier à ce déséquilibre planétaire en termes de transparence fiscale, Giulia Mascagni a plaidé pour un renforcement des capacités (capacity building), c'est-à-dire un soutien accru aux autorités fiscales du Sud global dans la mise en place des infrastructures et de l'expertise nécessaires. Mais les experts fiscaux de ces pays insistent désormais sur le fait qu'il n'est pas possible de se soustraire à des règles fiscales iniques au niveau mondial. Pour ceux qui sont défavorisés par un système, le fait de le comprendre dans les moindres détails ne changera rien. À cet égard, les propos du représentant du ministère allemand des finances sont encourageants : « Si les fonds d'aide au développement se font de plus en plus rares, il est d'autant plus nécessaire de prendre des mesures énergiques contre les flux financiers déloyaux, ce pour quoi le gouvernement allemand s'engage depuis longtemps : les multinationales et les super-riches doivent payer leur juste part du gâteau fiscal mondial. » Mais, et c'est là le dernier rebondissement de cette histoire, les représentants du gouvernement allemand aiment promettre à l'étranger des choses qu'ils ne peuvent pas tenir chez eux, et le passage de l'ancien ministre des finances Lindner, libertarien de droite, au social-démocrate de droite Klingbeil ne changera pas nécessairement la donne. C'est sans doute aussi pour cette raison que le représentant de l'Union africaine a réaffirmé pour conclure : « Nous avons absolument besoin d'une convention fiscale des Nations Unies ». Car contrairement à l'OCDE, les pays du Sud y sont majoritaires. Peu importe donc que les Allemands y montrent leur visage andalou ou berlinois.
Mercredi 2e juillet : L'éternel « toujours plus de la même chose »
« Accelerating the Shift and Private Climate Investment at Scale – Catalytic Pathways to Scale Private Investment – Financing the Missing Middle – Unlocking Ecosystems for Inclusive Private Sector Growth – Impact Investing, from Pioneering Innovations to Scalable Solutions – The Timbuktoo Initiative: Building the Future of Engagement with the Private Sector – Unlocking Blended Finance – Global Partnerships for Unlocking Private Capital – Originate to Share Models to Crowd in Private Capital ».
Le de-risking (l’atténuation des risques en fait) est également omniprésent à la 4e Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4). Tirée de l’agenda de de-risking, la liste de mots-clés ci-dessus n'est qu'une sélection, liée uniquement à la matinée du 2 juillet. Il s'agit d'événements parallèles officiels, et non de conférences organisées dans le cadre du Business Forum. Mais on trouve aussi un forum tenu par la société civile avec Daniela Gabor, économiste et membre du groupe d'experts des Nations Unies sur le financement du développement, qui porte un regard critique sur l’agenda en question.

L'économiste Daniela Gabor (à droite) s'exprime à Séville sur les promesses non tenues du secteur privé.
© Alliance Sud
Daniela Gabor rappelle d'emblée que les partenariats public-privé et le de-risking étaient déjà des piliers centraux du plan d’action qui voulait passer des « milliards aux milliers de milliards ». La Banque mondiale l'a lancé en 2015 afin de mettre en œuvre le Programme d'action d'Addis-Abeba (résultat de la 3e Conférence des Nations Unies sur le financement du développement) et de financer la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Comment les milliards auraient-ils pu se transformer en milliers de milliards ? Même s’il s’agit d'un slogan de la Banque mondiale, il n’englobait pas seulement des banques multilatérales de développement, mais aussi un projet visant à créer un de-risking state (un État qui réduit les risques) dans le Sud global. Il s'agissait et il s'agit toujours d'utiliser les fonds de la coopération internationale financés par les contribuables du Nord global pour créer des projets rentables pour de grands investisseurs tels que Blackrock ou des fonds de pension. Concrètement, cela signifie prendre des risques afin que ces investisseurs obtiennent des rendements « ajustés au risque » attractifs pour leurs investissements placés dans des projets liés à l'eau, aux routes ou à l'énergie.
Cela n'a clairement pas fonctionné : personne n’a vu les milliers de milliards promis. Pourtant, les mêmes concepts sont plus que dominants à Séville et la Direction du développement et de la coopération (DDC) chante de plus en plus fort les louanges du de-risking – tout comme le Secrétariat d’État à l’économie (seco) bien sûr. Selon Daniela Gabor, cela n'a pas fonctionné non pas parce que les banques multilatérales de développement, le Global Gateway Project de l'UE ou le gouvernement Biden n'ont pas alloué suffisamment de fonds au de-risking. Cela a capoté parce que, même avec des subventions financées par les impôts du Nord global, les grands projets ainsi financés restaient beaucoup trop coûteux pour les pays du Sud global.
Gabor donne un exemple concret, le projet de parc éolien du lac Turkan au Kenya, que l'administration Biden avait appuyé avec enthousiasme. Le directeur du Conseil économique national américain, Brian Deese, avait quitté la société BlackRock pour rejoindre le gouvernement, où il a supervisé en 2018 un nouveau partenariat de financement climatique entre BlackRock, les gouvernements français et allemand, la Fondation Hewlett et le Grantham Environmental Trust. Le fonds Climate Finance Partnership (CFP) était un instrument de finance mixte pour lequel les gouvernements et des philanthropes avaient mis 100 millions de dollars à la disposition de BlackRock afin de mobiliser des investissements climatiques dans le Sud global, en particulier la participation majoritaire dans le projet du lac Turkana. Mais les contrats d'achat à prix garanti ont mis sous pression l'État kenyan. Sa générosité envers Wall Street a finalement été si controversée que le gouvernement s'est vu contraint d'imposer un moratoire sur les accords d'achat d'électricité. Même les associations industrielles locales se sont plaintes que les coûts élevés de l'énergie sapaient les efforts d'industrialisation verte.
(Petite parenthèse : il existe désormais une version small is beautiful du de-risking, qui vise à promouvoir les investissements dits à impact pour la mise en œuvre de certains ODD, et non plus uniquement les grands projets d'infrastructure. Ceux-ci doivent bénéficier directement aux « bénéficiaires » dans le Sud global. Toutefois, ces derniers doivent également payer pour les énergies renouvelables, par exemple, car il faut bien que les rendements viennent de quelque part. Malgré la terminologie de la coopération internationale, ces bénéficiaires sont en fait simplement des clients et des emprunteurs. C'est cette version de l’agenda de de-risking qui est également préconisée par la Suisse.)
Daniela Gabor souligne que l'engouement persistant pour le de-risking est également très dangereux car il ignore la principale leçon tirée depuis 2008, à savoir que le modèle de développement chinois dirigé par l'État a connu un succès spectaculaire, tandis que les recettes du consensus ultralibéral de Washington ont lamentablement échoué. La recette du succès d'un État en développement, qui est également décisive pour l'Afrique, consiste à discipliner le capital privé, c'est-à-dire à faire en sorte qu’il respecte les plans et les priorités de l'État. Cela nécessite de la force de persuasion, des ressources publiques et du personnel. Autrement dit des bureaucrates et des technocrates. Mais il est difficile de discipliner le capital étranger, lointain et tout-puissant, et « l’État qui réduit les risques » est un État affaibli, et non pas un État en développement.
Daniela Gabor conclut en exprimant une certaine résignation. Elle ne comprend pas pourquoi l'agenda de réduction des risques cause encore plus de bruit à Séville qu'à Addis-Abeba. Et ce, non seulement au Business Forum, mais partout. Et cela vaut de plus en plus pour les organisations onusiennes telles que la CNUCED. Les partisans de l’agenda de de-risking « échouent vers le haut » : avec des concepts plus diversifiés (listés plus haut), des recettes adaptées au discours et de nouvelles promesses, l'agenda qui a échoué continue d'être prôné. « Pourquoi gagnent-ils toujours ? » reste une question en suspens.
Passons donc aux vainqueurs, à l'événement parallèle organisé par Morgan Stanley et le Boston Consulting Group ; le titre semble prometteur : Changements dans le paysage du financement du développement : faits et perspectives dans un monde réorganisé (Changes to the development financing landscape : facts and perspectives in a reordered world). Mais, petit hic, « sur invitation uniquement » ! Évidemment, les personnes qui réorganisent le monde préfèrent le faire à huis clos.
Mardi 1er juillet : Perles du Pacifique
Dans la folie générale d'une conférence incluant des centaines de plénières, tables rondes multipartites, annonces d'initiatives, événements spéciaux, événements parallèles et un forum international du commerce, il y a parfois aussi des perles à découvrir. Par exemple, un événement parallèle sur la « réinvention du financement du développement » avec des participant.e.s du groupe des petits États insulaires en développement (PEID) de la région Pacifique et des Caraïbes.

Plantation de jeunes mangroves sur la côte de Kiribati. Sur les îles du Pacifique, elles protègent les habitats menacés par l'érosion. © Keystone/LAIF/Barbara Dombrowski
Ils échangent sur la Development Bank for Resilient Prosperity (DBRP) ou, plus joliment, sur la Nature Bank, une initiative des États insulaires lancée en 2023. Comparé au discours bien rodé autour de la mobilisation des ressources privées, de la finance mixte et de la réduction des risques (de-risking), on entend ici des choses inédites.
Hyginus Leon, directeur exécutif de la DBRP, dit sans détour : « Lors de cette conférence, nous répétons sans cesse les recettes qui nous ont conduits à cette crise multiple. C'est un signe de folie. Nous sommes partis du principe que la planète disposait de ressources infinies. Mais la nature est finie. On ne peut pas résoudre les problèmes sans réfléchir à leur origine. Il nous faut un changement de paradigme. »
Et Leon d’ajouter : « Il ne s'agit donc pas seulement d'une banque, mais plutôt d'un mouvement visant à sauver la civilisation. » La transition des actifs gris vers des solutions basées sur la nature est essentielle, car elle est non seulement bénéfique pour la planète, mais aussi économiquement viable. « Les mangroves ont la même valeur que les routes et les forêts ont la même valeur que le bois. Si nous considérons la nature comme un actif, nous pouvons obtenir plus de revenus et plus d'argent pour les PEID et les pays les moins avancés (PMA) », explique Leon.
Mais que sont donc ces revenus issus de la nature ? Voici quelques exemples qui sont déjà une réalité dans les pays des Caraïbes et du Pacifique, notamment grâce à des zones maritimes protégées : la récolte et la transformation d'algues, l'écotourisme, la pêche durable, la production alimentaire et pharmaceutique.
Il existe plus de 500 banques de développement dans le monde, pour la plupart nationales ou infranationales. Pourquoi une nouvelle banque est-elle donc nécessaire ? Adama Marinko, de Finance in Common, répond : « Nous avons besoin d'une banque entièrement repensée, qui ne se contente pas de se développer à partir de l'existant. Bien sûr, la création d'emplois serait également essentielle, mais il s'agit aussi de créer une nouvelle solidarité mondiale en renforçant la résilience. »
Les différences entre la « Banque de la nature », la Banque mondiale et les banques multilatérales de développement sont importantes, car leur vision « est toujours basée sur les risques, jamais sur les opportunités. C'est pourquoi le Sud global, et en particulier les PEID et les PMA, sont perdants, car les risques liés à ces pays sont jugés très élevés », explique Ritu Bharadwaj de l’International Institute for Environment and Development.
La DBRP a une conception tout à fait différente des risques. Il ne s'agit pas des risques pour les investisseurs, mais des risques pour les personnes. Il est crucial ici de réduire les risques. « Notre mesure des risques est la résilience. Il s'agit de la prospérité et du bien-être des personnes et des économies, des communautés et de la planète », souligne également Leon de la DPRB. « Nous devons financer la résilience, la restauration et la justice – le monde est prêt pour quelque chose de nouveau », ajoute Sergio Fernandes de Cordova, de la Public Foundation.
L’événement parallèle s'achève sur la conviction que la « Banque de la nature » passera du stade d'idée à celui d'instrument de mise en œuvre de l’Engagement de Séville. Ce serait en tout cas un grand succès pour les petits États insulaires.
Lundi 30 juin : début de la conférence
Nous avons malheureusement manqué l’allocution d'ouverture de Felipe VI d'Espagne. Afin d'assurer à Sa Majesté une arrivée en toute quiétude et une sécurité maximale, les autorités ont paralysé la circulation dans le centre-ville de Séville. Nombre de participantes et de participants à la conférence étaient coincés dans des embouteillages géants, tandis que nous nous occupions de nos badges. La ministre espagnole des affaires étrangères, Arancha González, s’est exprimée avant le roi. Alors qu'elle adressait ses salutations devant l'auditoire prestigieux du centre des congrès Fibes, nous tournions encore en rond dans le bus public, à la recherche d'un chemin pour nous y rendre. « Sevilla welcomes the world with open arms » avons-nous entendu Arancha González dire sur la web TV des Nations Unies. Eh bien oui, ici, ce ne sont pas seulement de nombreuses rues qui sont bouclées, mais aussi le texte final de la conférence. Du point de vue de la société civile du Nord et du Sud, il ne représente pas un progrès vers un financement suffisant du développement durable – pour en savoir plus, consultez notre document d’information pour les médias. Il n'y a plus rien à négocier ici. Cela rend peut-être un peu plus acceptable le fait que la société civile ait été majoritairement exclue des événements où les gouvernements dialoguent directement les uns avec les autres. Il n'en reste pas moins que c'est un signal extrêmement alarmant venant de l'ONU à un moment où la marge de manœuvre politique des ONG est limitée partout dans le monde, en partie via la politique financière nationale (comme les coupes dans la coopération internationale en Suisse), mais aussi, malheureusement, par la répression politique directe. Les États qui ont pris le cap de l’autoritarisme se sentent encouragés par ce manque d'engagement de l'ONU en faveur de procédures inclusives et démocratiques. Pour la société civile mondiale à Séville, il ne s'agit donc pas seulement de démontrer sa vigueur, qui reste intacte malgré toutes les résistances, mais aussi d'insister, dans les centaines d'événements parallèles à la conférence, sur les occasions manquées de la FfD4 et d'aborder les prochaines étapes vers le désendettement, un système fiscal et financier planétaire plus juste et des conditions strictes pour le secteur privé qui souhaite bénéficier des fonds publics destinés au développement – restez à l'écoute.