Numéro spécial global
Le nouveau deal
Une nouvelle Suisse pour un monde plus juste

Préface
Le multilatéralisme peut encore être sauvé
Jayati Ghosh
Parmi les nombreuses manœuvres géopolitiques orchestrées par Donald Trump depuis son retour à la Maison Blanche, un vote à l'Assemblée générale des Nations Unies le 4 mars dernier a été particulièrement révélateur. Les États-Unis ont rejeté une résolution anodine visant à instaurer une « Journée internationale de la coexistence pacifique » et à réaffirmer l’Agenda 20230 pour le développement durable. L'administration Trump n'est pas seulement mécontente de certaines institutions internationales, elle refuse tout cadre multilatéral établissant ne serait-ce qu’une apparence d’égalité entre les pays et au sein de ceux-ci.
Paradoxalement, les mesures prises par Trump pourraient toutefois servir de catalyseur à une coopération internationale plus forte et inciter d'autres pays à collaborer plus étroitement. Heureusement, nombre de leaders politiques semblent l'avoir compris et restent attachés au multilatéralisme. Les négociations internationales sur la fiscalité, la protection du climat et le financement du développement avancent, même sans la participation de l’oncle Sam. Dans ce contexte d'incertitude et de bouleversements, le climat actuel pourrait offrir une occasion unique de bâtir un mouvement véritablement international en faveur d'un changement progressiste.
Ce numéro percutant et indispensable du magazine d’Alliance Sud montre comment un multilatéralisme renouvelé peut répondre à la polycrise actuelle. Il souligne la responsabilité qui incombe à la Suisse, pays riche et fortement globalisé, de renforcer le multilatéralisme par des réformes cohérentes au plan national. Car, comme le démontre Alliance Sud, la Suisse dispose des moyens financiers nécessaires pour apporter une contribution substantielle à un monde meilleur, qui lui serait également profitable.

Jayati Ghosh est une économiste indienne, professeure à l'Université du Massachusetts à Amherst et coprésidente de la Commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT), cofondée par Alliance Sud.
Points forts
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Tiens, tiens… le Monopoly, ce jeu ultra-capitaliste !? Non, mais cela cadre bien avec l'histoire de ce jeu. Il a en effet été inventé il y a 121 ans par Elizabeth « Lizzie » Magie sous le nom de « The Landlord's Game ». Cette quaker était une adepte de l'économiste et réformateur social Henry George, le plus influent défenseur d'un impôt unique sur la propriété foncière. Lizzie Magie voulait utiliser ce jeu de société pour illustrer son argument : les revenus des propriétaires fonciers créent la pauvreté et la misère. Le Monopoly original proposait donc un deuxième plateau de jeu : une « single tax » permettait d’y corriger cette injustice. Tout s’imbrique, non ?
Les enjeux
Avec Donald Trump, l'heure des négationnistes a sonné partout dans le monde. Crise climatique, inégalités mondiales, pauvreté et pays laissés pour compte : autant de sujets qui ne sont pas abordés, ou alors seulement pour servir de prétexte aux oligarques de la technologie pour coloniser Mars. Mais croire que la polycrise va simplement disparaître est aussi réaliste que d'imaginer des paysages fleuris sur Mars. Notre planète a besoin d'une transformation radicale et rapide de ses modes de production et de consommation afin que la crise climatique ne devienne pas incontrôlable. Pour que cette transition nécessaire hors des énergies fossiles soit équitable (cf. encadré « Transition juste »), il faut lutter contre la pauvreté mondiale et donner à toutes et à tous la possibilité de mener une vie dans la dignité.
Or, nous traversons la plus grave crise du multilatéralisme depuis la Seconde Guerre mondiale. Et les offensives contre les organisations multilatérales, les retraits de celles-ci et le gel des contributions financières à leur égard émanent du pouvoir qui a joué un rôle décisif dans la construction de l'architecture multilatérale. Ce système n'était certes pas parfait, loin s'en faut, mais comme l'a dit l'ancien secrétaire général de l'ONU Dag Hammarskjöld : « Les Nations Unies n'ont pas été créées pour nous emmener au paradis, mais pour nous sauver de l'enfer. ».
Aucun des problèmes mondiaux urgents ne peut être résolu, même partiellement, sans multilatéralisme, sans coopération entre les pays dans le respect mutuel et sur un pied d'égalité. C'est pourquoi, dans les heures les plus sombres du multilatéralisme, nous devons plus que jamais en parler.
Transition juste : sauver la planète, instaurer la justice
L’objectif de la transition juste est à la fois simple et ancien. Déjà dans le rapport de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (rapport Brundtland), adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1997, le « développement durable » est défini comme « un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. » Il précise que « la plus grande priorité doit être accordée aux besoins essentiels des plus démunis ». En bref : il faut sauver la planète et instaurer la justice.
L’expression « transition juste » (just transition) a été initialement utilisée par le mouvement syndical américain en réaction aux effets de la législation environnementale sur les industries polluantes et leurs emplois. Il ne fait plus aucun doute que la crise climatique menace tant les générations futures que l'existence même des plus démunis sur la planète. Aujourd'hui, la transition désigne donc le passage à une économie et à une société post-fossiles afin d'éviter la crise climatique. Mais elle doit être juste, comme le résume le Secrétariat d’ONU Climat : « Une transition juste signifie transformer l'économie et le système économique de manière à ce qu’ils soient aussi équitables et inclusifs que possible pour toutes les personnes concernées, en créant des opportunités de travail décent et en ne laissant personne de côté. » « Ne laisser personne de côté », le slogan ambitieux de l'Agenda 2030, exige non seulement de vaincre la pauvreté actuelle, mais aussi de prendre en charge les perdants de la transition. Cela vaut pour la main-d’œuvre des secteurs industriels qui doivent être démantelés, ainsi que pour des pays entiers qui dépendent des exportations de combustibles fossiles.
Pas d’autre monde sans une autre Suisse
Aujourd'hui, la Suisse ne s'engage en faveur du multilatéralisme, de la paix et des droits humains que lorsque ses intérêts économiques ne sont pas en jeu. Dès qu’il est question de réformes économiques mondiales qui affectent les avantages concurrentiels de la place financière et commerciale helvétique, la politique suisse fait obstacle à toute solution.
Notre pays vit en partie aux dépens d'autres États et d'autres gens. Il tire profit du transfert de bénéfices et de l'évasion fiscale, de sa place financière pour les personnes très fortunées, de son rôle de plaque tournante mondiale des matières premières et de son statut de siège de multinationales qui violent les droits humains et polluent l'environnement. De plus, son empreinte carbone est plusieurs fois supérieure à celle qu’autoriserait une répartition équitable du budget planétaire de CO2. La Suisse ne peut s'engager pour des solutions multilatérales en faveur d’une transition juste que si elle se transforme elle-même. Elle pourrait alors, avec l'UE et des pays du Sud global, défendre les valeurs démocratiques et le multilatéralisme. Et s'opposer à l'autoritarisme à l'Ouest comme à l'Est.
Un numéro de « global » porteur d’espoir
Dans ce texte – publié comme numéro spécial du magazine « global » –, l'équipe d'Alliance Sud esquisse le Green New Deal pour une transition juste. Elle montre quelles solutions multilatérales sont nécessaires pour résoudre les problèmes les plus urgents et montre comment la Suisse doit changer pour pouvoir encourager ces solutions de manière crédible. Les propositions formulées sont en partie tout à fait nouvelles (p. ex. une convention des Nations Unies sur les matières premières), certaines sont déjà discutées depuis longtemps dans le système multilatéral (comme le transfert de technologies) et d’autres encore sont déjà en cours de négociation (telle la convention fiscale des Nations Unies). Ce « global » n’est pas un plan détaillé pour une transition juste, mais se base sur les axes de travail d'Alliance Sud. Nous avons pour ambition de résoudre les problèmes et de ne pas nous laisser décourager par la morosité de la situation mondiale actuelle, ni par la realpolitik suisse tout aussi peu réjouissante.
En Suisse surtout, un argument massue est opposé à toute réforme ambitieuse : « c'est trop cher ». Mais dès que l'on sort du carcan étroit de la politique d'austérité et de l’obsession du frein à l'endettement, la situation apparaît tout autre. La Suisse a les moyens nécessaires pour financer les mesures indispensables tout en créant plus de justice sociale et une vie meilleure pour toutes et tous. Augmentation de l'imposition minimale des entreprises, impôt fédéral sur les très grosses fortunes, levée du secret bancaire national, suppression de l'exonération fiscale du kérosène et une taxe sur les billets d'avion. Toutes ces mesures proposées par Alliance Sud sont évidentes et sont expliquées dans cette édition de « global ». Cela permettrait de dégager chaque année 19,5 milliards de francs supplémentaires pour une Suisse respectueuse du monde. Une augmentation seulement modérée du taux d'endettement de la Suisse, beaucoup trop bas, créerait encore une marge de manœuvre financière supplémentaire. Il suffit d’une volonté politique pour ne pas jouer au Monopoly aux dépens de la planète, mais en investissant les ressources existantes de manière judicieuse et équitable dans l'avenir.
Avec ce numéro spécial de « global » publié en cette période particulière, l'équipe d'Alliance Sud apporte sa pierre à l'édifice. Nous n'avons qu'une seule condition pour toutes celles et tous ceux qui veulent prendre part à la discussion : nier les problèmes n’est pas une option !
On ne fait pas de transformations fondamentales sans un minimum de folie. Dans ce cas, cela devient du non-conformisme, le courage de tourner le dos aux formules connues, celui d’inventer l’avenir.
Thomas Sankara, premier président du Burkina Faso, dans un interview realisé en 1985 par le journaliste suisse Jean-Philippe Rapp.
Les habitant·e·s de Chabula, au Congo, fouillent les déchets miniers à la recherche de cuivre et de cobalt. © Pascal Maitre/Panos Pictures
Moins, c'est plus :
la transition énergétique et ses matières premières
L'exploitation des matières premières dans le Sud global a une histoire trouble et un présent sombre. Ces dernières sont un enjeu géopolitique et une source de profits pour les plus riches de la planète, mais souvent une malédiction pour les populations locales. La transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables et le développement de technologies respectueuses du climat entraînent une forte augmentation de la demande de certaines matières premières. Et celles-ci nécessitent la construction de nombreuses nouvelles mines. Ce changement est essentiel pour protéger le climat, et la Suisse doit elle aussi accélérer sa transition énergétique. Mais cette évolution doit aussi être mise à profit pour tirer les leçons du passé et rendre l'extraction des matières premières plus équitable. Compte tenu des limites planétaires, les « droits » à la consommation de ces matières doivent également être répartis de façon plus juste, en réduisant la surconsommation du Nord global et en laissant ainsi plus de place à la croissance d'une économie durable dans le Sud global. Acteur géopolitique mineur, la Suisse a le potentiel de lancer des réformes multilatérales visant à fixer des exigences minimales dans le secteur des matières premières.
L'exploitation des combustibles fossiles s'accompagne souvent d'une pollution grave de l'environnement et du déplacement de populations autochtones (et d'autres groupes pauvres). C'est le cas par exemple en Indonésie, où une entreprise de matières premières de Zoug exploite du charbon sur l'île de Bornéo en déboisant la forêt tropicale. La transition énergétique mettra fin à l'exploitation du charbon. Mais l'extraction des matières premières se poursuit. Pour que la planète puisse se passer des énergies fossiles d'ici 2050, nombre de nouvelles matières premières devront être extraites : lithium, nickel, cobalt, cuivre et terres rares, indispensables à la production et au stockage des énergies renouvelables.
L'Indonésie est le plus grand producteur mondial de nickel. Sur une autre île, Sulawesi, cette nouvelle matière première crée d’anciens problèmes, comme en atteste Solidar Suisse. La population locale fait état de destruction de l'environnement, de problèmes de santé et de violations du droit du travail. La transition énergétique est une chance de rendre le commerce des matières premières plus équitable, mais cela ne se fera pas tout seul. Il est crucial de surmonter la malédiction des matières premières dont souffrent jusqu'à présent des pays du Sud global dépendant de ces dernières. Cette malédiction ne doit pas se répéter, l'exploitation de nouvelles matières premières ne doit pas se faire sur le dos des populations du Sud global.
En tant que plaque tournante du commerce des matières premières, la Suisse est idéalement placée pour veiller à ce que les dommages environnementaux soient minimisés, que les besoins des populations locales soient pris en compte et les bénéfices tirés des matières premières répartis plus équitablement entre les pays producteurs et les entreprises étrangères.
Une cure d’amaigrissement s’impose
Afin de ne pas dépasser les limites planétaires et de minimiser les effets de l'extraction des matières premières sur l'être humain et l'environnement, il faut réduire la consommation globale des ressources. Comme les pays pauvres en auront un besoin accru à l'avenir pour sortir leurs populations de la pauvreté, les sociétés riches doivent réduire leur énorme utilisation de ressources proportionnellement à leur part dans la population mondiale, et ce à un niveau ne nécessitant qu'une seule planète Terre. Si tous les humains consommaient autant que les Helvètes aujourd'hui, il faudrait 2,8 planètes.
La transition exige non seulement le développement des énergies renouvelables, mais aussi une stratégie de sortie de la promotion et la combustion des énergies fossiles. Nombre de pays du Sud global dépendent des exportations de matières premières fossiles, notamment pour générer suffisamment de devises. Comme le soulignent d'autres chapitres de ce numéro, les réformes nécessaires pour mettre fin à la dépendance globale vis-à-vis du secteur des matières premières vont bien au-delà de ce dernier.
La Suisse doit promouvoir ces réformes au niveau international…
1. Viser un cadre onusien sur les rentes tirées des matières premières
Lorsqu'une entreprise extractive souhaite ouvrir et exploiter de nouvelles mines, elle doit négocier avec l'État dans lequel se trouvent les gisements concernés. L’enjeu porte sur les conditions d'octroi des licences d'exploitation exclusives, des impôts à payer et de la répartition des rentes des matières premières. Trop souvent, le pays producteur se trouve en position de faiblesse dans les négociations, car il dépend des exportations de matières premières, et l'entreprise extractive pourrait investir dans d'autres pays producteurs. Ainsi, les licences d'exploitation sont souvent accordées sans consultation de la population concernée, sans exigences environnementales suffisantes et à des conditions bien trop avantageuses. Cette course vers le bas résultant de la concurrence entre les pays les plus pauvres n’aurait pas lieu s'il existait des exigences minimales mondiales pour les licences d'exploitation, des directives sur le partage des revenus tirés des matières premières (royalties) et des règles fiscales équitables. La Suisse doit s'engager au plan international, avec des pays du Sud global, en faveur d'un nouveau cadre onusien garantissant de manière transparente aux pays producteurs de matières premières une part équitable des revenus tirés de leur exploitation. Un modèle fiscal équitable doit enfin être rendu possible par la convention fiscale de l'ONU (cf. chapitre « La convention fiscale de l’ONU et sa mise en Oeuvre au plan national »). En contrepartie, ces pays doivent associer les populations locales et autochtones au processus décisionnel et veiller à ce que ces recettes soient utilisées pour leur bien-être. Des normes sociales et environnementales strictes doivent de plus être imposées aux entreprises afin de minimiser les atteintes aux écosystèmes et aux moyens de subsistance des populations. Un cadre onusien serait également avantageux pour les entreprises responsables, car il créerait des conditions identiques pour tous.
2. Taxer correctement le kérosène dans le trafic aérien international
Les énergies fossiles sont massivement subventionnées dans le monde entier. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les subventions directes et indirectes accordées aux énergies fossiles ont atteint un niveau record de 7 000 milliards de dollars en 2022. Pour réussir la transition énergétique, ces subventions doivent être supprimées et, si besoin, remplacées par des programmes de politique sociale.
En 2023, la Suisse a subventionné les énergies fossiles à hauteur de 2,7 milliards de dollars, dont environ 1,5 milliard par le biais de l'exonération fiscale sur le kérosène. C'est en vertu d’un accord international conclu après la Deuxième Guerre mondiale que le kérosène est totalement exempté de la taxe sur la valeur ajoutée et de la taxe sur les huiles minérales. Cet accord doit être modifié afin qu’il soit taxé adéquatement à l'avenir. Chaque réduction des subventions accordées aux énergies fossiles libère des fonds qui peuvent être investis pour soutenir une transition équitable.
3. Diplomatie climatique – mise en œuvre mondiale de l'accord de Paris sur le climat
La Suisse doit jouer un rôle de médiateur dans la mise en œuvre de l'accord de Paris sur le climat et contribuer à identifier les obstacles et à trouver des solutions. Elle doit mettre toute sa force diplomatique au service de la protection internationale du climat lors de toutes les rencontres bilatérales et dans toutes les instances multilatérales afin de permettre le respect de l'objectif de 1,5 °C. Cela inclut également l'engagement en faveur des mesures nécessaires au financement climatique.
4. Traité sur la non-prolifération des combustibles fossiles
S'inspirant des traités de non-prolifération dans le domaine des armes, le Vanuatu et les Tuvalu, deux États insulaires du Pacifique, demandent à la communauté internationale de négocier un traité visant à la non-prolifération des combustibles fossiles. L’objectif est notamment d’empêcher de nouveaux investissements dans les énergies fossiles. Le traité vise à combler une lacune importante qui n'a pas été abordée dans l'accord de Paris. La Suisse soutient déjà le Vanuatu dans son travail souvent novateur au sein de l'ONU. En soutenant le traité, la Suisse pourrait lui donner un nouvel élan.
…et voici ce que la Suisse doit mettre en œuvre chez elle
1. Une supervision de la place commerciale suisse des matières premières
Sur le plan intérieur également, la Suisse dispose de leviers importants pour garantir une plus grande équité dans le secteur des matières premières, car elle peut réglementer les nombreuses entreprises qui les exploitent et les commercialisent. Leur extraction est sans aucun doute un secteur à haut risque en termes de destruction et de violations des droits humains. La liste des condamnations ou des aveux de culpabilité de groupes suisses actifs dans ce secteur ne cesse de s'allonger. Notre pays a donc besoin d'une autorité de surveillance publique qui prenne des mesures contre la malédiction des matières premières, notamment via des contrôles de diligence vis-à-vis de ses partenaires commerciaux. Cela permettrait d'empêcher les transactions illicites avec des personnes politiquement exposées qui s'enrichissent aux dépens de la population.
La Suisse est l'une des principales places de négoce du charbon et du pétrole. Elle devrait exiger des entreprises extractives qu'elles élaborent des plans de transition compatibles avec l'accord de Paris et l'objectif de 1,5 °C. Les nouveaux investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz seraient interdits. L'autorité de surveillance contrôlerait leur mise en œuvre.
2. Gérer les matières premières avec parcimonie
La Suisse doit élaborer une stratégie assortie de mesures sociales et environnementales afin de réduire sa consommation de ressources proportionnellement à la part de la population qui lui revient dans le bilan des ressources de la planète. À cette fin, il est indispensable d'améliorer l'efficacité énergétique et la consommation générale des ressources. Les progrès technologiques permettent de réaliser des économies en continu, mais pour qu'elles deviennent réalité, la Suisse doit se doter de normes minimales contraignantes et évolutives afin que seuls les produits les plus efficaces soient commercialisés. Cela inciterait les entreprises à développer des produits aussi efficaces que possible. Afin de promouvoir l'économie circulaire, les fabricants devraient garantir la durabilité et la facilité de réparation de leurs produits pour qu'ils puissent être vendus en Suisse.
3. Décarbonation de la Suisse
Afin d'apporter sa juste contribution à la réalisation des objectifs climatiques de Paris, il est indispensable que la Suisse accélère sa propre décarbonation. Dans son Plan directeur climat, l'Alliance climatique suisse montre comment la Suisse peut atteindre la neutralité carbone en l’espace d’une décennie.
Dans les Sundarbans, au Bangladesh, les besoins pour se protéger contre la catastrophe climatique sont énormes. © GMB Akash/Panos Pictures
Au-delà de l'aumône : soutenir une transition juste dans le Sud global
Dans notre système financier et économique actuel, les flux financiers du Sud global vers le Nord sont plus élevés que les fonds destinés au développement ou les transferts d’argent vers le Sud. La Suisse joue ici un rôle clé en tant que juridiction à faible fiscalité et bénéficiaire des transferts de bénéfices. Afin d'apporter une contribution équitable qui tienne compte de son empreinte climatique excessive et vu qu'elle fait partie des grands bénéficiaires de la mondialisation, la Suisse doit augmenter tant sa contribution au financement climatique international que celle à l’aide publique au développement.
L'augmentation des dépenses militaires, justifiée par la guerre en Ukraine, ainsi que la montée des courants nationalistes et populistes de droite ont affaibli la coopération internationale (CI) ces dernières années. Plusieurs pays, dont la Suisse, ont déjà fortement réduit leurs dépenses de développement afin d'investir dans l'armement. Depuis l'entrée en fonction de Donald Trump, la crise de la CI s'est encore aggravée. Les États-Unis, qui assuraient environ un tiers du financement international total du développement, ont non seulement quitté l'accord de Paris sur le climat, mais se sont aussi retirés quasi totalement de la coopération au développement.
Dans ce monde polarisé et de plus en plus axé sur les intérêts particuliers, la Suisse doit clairement prendre position et se ranger du côté de la démocratie, des droits humains et du multilatéralisme. Pays hôte d'organisations humanitaires multilatérales et comptant parmi les nations les plus prospères du monde, elle doit jouer un rôle de pionnier dans la CI et le financement climatique.
Financement climatique international pour l’atténuation des changements climatiques
Une transition à grande échelle dans le Sud global est dans l'intérêt de la Suisse. Mais elle ne pourra avoir lieu que si un financement international suffisant est mis à disposition en temps utile. Le secteur de l'énergie à lui seul nécessite d'importants investissements publics et privés pour stimuler la croissance économique grâce à l'énergie solaire et éolienne et à des solutions de stockage intelligentes, plutôt qu'à l'électricité supplémentaire venant du charbon. Il faut aussi commencer par fournir du courant aux couches les plus pauvres de la population, par exemple au moyen de mini-réseaux solaires décentralisés dans les zones rurales. Mais d'autres secteurs tels que la mobilité, le recyclage des déchets ou l'agriculture requièrent aussi un soutien financier pour se développer de manière respectueuse du climat. Les « coûts » de la transition sont compensés par les économies réalisées grâce à la prévention des dommages climatiques et contribuent en outre au développement durable.
Conformément à sa capacité économique, la Suisse doit apporter une contribution plus élevée au financement de l’atténuation, soit 3 milliards de dollars (2,6 mia. CHF), ce qui correspond à environ 1 % des besoins d’aide dans le Sud global.
Financement climatique international pour l’adaptation et les pertes et dommages
Le financement climatique international comprend également le soutien financier fourni aux pays du Sud global pour l’adaptation aux nouvelles conditions climatiques et la couverture des pertes et dommages liés au climat. Ce soutien se justifie par la responsabilité historique et actuelle des pays riches du Nord global dans l'origine de la crise climatique. Le financement de l'adaptation est également dans l'intérêt de la Suisse, car il peut atténuer les crises humanitaires, les conflits et les causes de migration. Selon le rapport de l’ONU sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière d’adaptation, chaque milliard investi dans l'adaptation permet d'éviter 14 milliards de dollars de dommages économiques. Selon ce rapport, il manquera environ 300 milliards de dollars par an d'ici 2030 pour financer les mesures d'adaptation dans le Sud global. Des études estimant les pertes et les dommages évoquent un besoin de financement additionnel de 400 milliards de dollars. Si la Suisse est responsable de 1 % des besoins de financement de 700 milliards de dollars, elle devrait contribuer à hauteur de 7 milliards (6,2 milliards de francs suisses) par an. Vu que l'objectif international de financement climatique de la COP29 à Bakou – 300 milliards de dollars par an pour l'atténuation et l'adaptation – est loin de couvrir les besoins financiers, la Suisse doit aligner sa contribution équitable sur les besoins financiers et non sur l'objectif de Bakou.
Fonds pour une transition juste
La sortie des énergies fossiles pose des défis de taille, mais très différents, aux pays du Sud global, pour lesquels il n'existe à ce jour aucun financement convenu au niveau international. La Suisse devrait donc s'engager au plan international en faveur d'un « fonds pour une transition juste » et mettre à disposition 1 milliard de francs à titre de financement initial. Ce fonds devrait financer des mesures supplémentaires afin que la transition ne se fasse pas sur le dos des plus pauvres. Il s’agirait des mesures suivantes :
- des paiements compensatoires pour les pays pauvres particulièrement dépendants de l'extraction et de l'exportation d’agents énergétiques fossiles. Ces pays doivent pouvoir générer des revenus et des devises en développant des secteurs économiques alternatifs ;
- des compensations financières pour les pays pauvres qui abritent des forêts cruciales pour le climat mondial, afin qu'ils ne les déboisent pas, ne les exploitent pas de manière intensive et ne les louent pas pour compenser leurs émissions de CO2, mais les protègent en accord avec leurs habitants ;
- des programmes sociaux dans les pays qui doivent restructurer leurs emplois du secteur des énergies fossiles vers d'autres secteurs. Ils sont souvent nécessaires dans les pays à revenu moyen, car si des investissements sont réalisés dans les énergies renouvelables, la sécurité sociale nécessaire à la sortie des énergies fossiles ne peut être financée, car elle ne génère pas de rendement.
Voix d’Ouganda
Le Nord global a toujours laissé tomber le Sud global : promesses vides, inaction, davantage d’extraction et d’exploitation, davantage d'exclusion des processus décisionnels. Les pays du Nord global devraient d'abord prouver au Sud global qu'ils ont respecté leurs engagements en matière de financement climatique. Sans la tenue des promesses de financement climatique passées, l'espoir d'un accord est très ténu. Une transition juste ne sera pas possible sans des paiements et une répartition correcte et juste du financement climatique pour l'atténuation, l'adaptation, les pertes et les dommages.
La Suisse devrait envisager de soutenir les mouvements issus de la population et veiller à ce qu'ils soient représentés là où les décisions mondiales sont prises, afin que leurs voix soient entendues et qu'ils puissent raconter leur histoire. La Suisse devrait devenir un centre névralgique pour des discussions efficaces sur le climat. Le Sud global doit être suffisamment associé à ces discussions, qui doivent déboucher sur des actions concrètes.

Evelyn Acham, activiste pour le climat
Renforcer l’aide publique au développement
Outre le financement climatique international, la transition équitable requiert également la poursuite de l’aide publique au développement (APD) afin de soutenir les pays du Sud global en situation d'urgence ou de conflit et de les aider à gérer leurs dépenses publiques. Cela vaut en particulier pour les pays qui, en raison notamment de l'évasion fiscale ne disposent pas de ressources suffisantes (mobilisation des ressources domestiques) pour financer leur développement, ont été écartés du système commercial mondialisé et croulent sous le poids de la dette.
Qui prend plus doit donner plus
La Suisse tire une grande partie de sa prospérité économique du Sud global. Elle se classe ainsi parmi les pires pays en termes de retombées négatives (effets d’externalité territoriale ou spillovers en anglais) sur d'autres pays, principalement en raison de sa place financière et de son rôle de plaque tournante du négoce des matières premières. Tant que cette situation n’est pas corrigée, elle doit faire preuve d'une solidarité particulière et contribuer à l'APD à hauteur de plus de 0,7 % du revenu national brut (RNB), comme convenu au niveau international. La Suisse devrait donc consacrer 1 % de son RNB (sans tenir compte des coûts liés à l'asile restant dans le pays) à l'APD. Pour 2024, cela aurait représenté environ 7,9 milliards de francs.
Les fonds mis à disposition doivent être concentrés sur les pays où la pauvreté et la détresse sont les plus grandes et les possibilités de mobiliser des fonds privés sont faibles. C'est pourquoi au moins 0,5 % du RNB doit être investi dans les pays les moins avancés (PMA). Parallèlement, les projets de coopération internationale dans les pays à revenu intermédiaire doivent également mettre l'accent sur les groupes de population les plus pauvres et les plus défavorisés. La conception et la mise en œuvre des projets doivent si possible être déléguées directement à des organisations locales.
Ensemble plutôt que seuls
La Suisse doit s'engager pour que le Sud global ait sa place à la table des discussions sur l'avenir de la CI. C'est pourquoi les forums de discussion et de décision sur l'organisation de la CI et de l’APD doivent être transférés de l'OCDE (le « donors club » exclusif) à l'ONU. Cela garantirait également que seuls les flux financiers concessionnels ayant un effet transfrontalier puissent être pris en compte dans les dépenses de développement. Les pays donateurs ne pourraient ainsi plus gonfler artificiellement leurs contributions par des pratiques comptables aussi sophistiquées que douteuses (comme la prise en compte des frais de l'asile dans leur budget national). Il est tout aussi important que la Suisse utilise son siège à la Banque mondiale et dans d'autres banques de développement pour faire basculer le rapport de force des pays donateurs vers les pays bénéficiaires et s'engager en faveur de mesures ciblées d'allègement de la dette ainsi que de normes sociales et environnementales strictes dans les divers modèles de financement (cf. chapitre « Le vaste domaine du financement du développement » ).
La mise en œuvre de toutes les mesures esquissées dans ce « global » permettrait de réduire considérablement les retombées négatives de la Suisse sur d'autres pays et conduirait à une plus grande justice mondiale. La coopération internationale serait alors moins nécessaire et l'on pourrait discuter à long terme d'une lente réduction de l‘APD.
Contribution équitable de la Suisse par an :
Financement climatique / atténuation | CHF 2,6 mia. |
Financement climatique / adaptation et pertes et dommages | CHF 6,2 mia. |
Fonds pour une transition juste | CHF 1 mia. |
APD (sans le financement climatique et hors prise en compte des frais d’asile en Suisse) | CHF 8 mia. |
Total (par an) : | CHF 17,8 mia. |
Des panneaux solaires alimentent en électricité le district rural de Munshiganj, au Bangladesh. © GMB Akash/Panos Pictures
Technologies pour une transition juste
La division coloniale du travail a confié à la plupart des pays du Sud global la seule tâche de fournir les matières premières, la transformation étant assurée dans les centres industriels du Nord. Sans technologie, pas d'industrialisation. C’est pourquoi, depuis la décolonisation, le transfert de technologie est une revendication récurrente des pays du Sud global. Le changement climatique exige une transformation rapide des systèmes énergétiques et de production à l'échelle planétaire. Du coup, le transfert de technologies n’est plus une exigence, mais il devient une nécessité, car les technologies susceptibles de contribuer à cette transformation doivent se répandre le plus vite possible partout dans le monde.
La Convention-cadre de 1992 sur les changements climatiques mentionne déjà l'objectif de promouvoir, faciliter et financer le transfert de technologies et de savoir-faire respectueux de l'environnement vers les pays en développement. Elle demande en outre le développement et le renforcement des capacités et des technologies existantes dans ces mêmes pays. Mais les pays industrialisés se sont contentés de reconnaître son importance et de promettre que les investissements directs du Nord conduiraient à la diffusion des technologies. Cela a fonctionné en Chine, mais uniquement parce qu’elle a simultanément mis en place une politique industrielle ambitieuse pour imposer le transfert. Cela ne fonctionne pas pour les pays qui ne reçoivent pratiquement pas d'investissements industriels étrangers ou qui ne sont pas assez robustes pour prendre des mesures de politique industrielle. Malgré plusieurs tentatives, aucun progrès n'a été réalisé, par exemple sur la question de l'assouplissement de la protection des brevets. Or, cette mesure est urgente, car 60 % des brevets sur les technologies vertes sont détenus par des entreprises de l'UE, des États-Unis, du Japon et de la Suisse. À l'exception de la Chine, il n'y a pratiquement pas de brevets provenant de pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI).
La crise de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) offre la possibilité de modifier les règles afin qu'elles soient plus favorables aux pays pauvres et contribuent à la diffusion des nouvelles technologies. La Suisse doit s'engager, avec des pays du Sud global, en faveur d'une réforme des règles et des accords concernés. Pour être crédible, elle doit aussi soutenir financièrement le transfert de technologies.
Ce qui est nécessaire au plan international :
1. Assouplir la protection des brevets
Dans le cadre de l'OMC, de nouvelles règles sont nécessaires pour que les pays en développement aient accès aux technologies indispensables à une industrialisation verte. Il faut donc établir une liste des technologies considérées comme des biens publics mondiaux. L'accord de l'OMC sur les ADPIC doit ensuite permettre un assouplissement visant à faciliter le transfert des technologies identifiées. L'objectif est de les rendre plus abordables, ce qui ne signifie pas nécessairement gratuites, mais moins chères pour les pays pauvres.
2. Financer le transfert de technologies
Dans le cadre de la CNUCED, l'organisation des Nations Unies pour le commerce et le développement, il faut créer un « Fonds d’investissement pour notre avenir à tous ». Son nom fait référence au titre du rapport novateur de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement de 1987 (Notre avenir à tous), qui a inscrit le « développement durable » à l'ordre du jour de la communauté internationale. Les droits de licence élevés que les pays en développement doivent payer pour utiliser les brevets constituent souvent un obstacle majeur au transfert de technologies. Le fonds en question servirait à coordonner le transfert de technologies et à garantir, via des paiements compensatoires, que les nouvelles technologies soient également accessibles aux pays les plus pauvres qui ne peuvent pas se les permettre. On éviterait ainsi que le transfert de technologies ne rende la recherche commerciale moins attractive. Enfin, ce fonds aiderait les pays du Sud global (PMA surtout) à développer les capacités techniques nécessaires à la mise en place d'infrastructures respectueuses du climat et à une industrialisation verte. L'argent serait versé aux gouvernements des pays en développement, aux jeunes pousses (start-ups) et entreprises locales, aux universités et aux instituts de recherche.
Voici ce que la Suisse peut encore faire :
- Dans le cadre de la promotion de la recherche, la Suisse doit mettre davantage l'accent sur les partenariats de recherche avec des scientifiques du Sud global qui exploitent des techniques traditionnelles et modernes pour la protection du climat et la promotion de l'agro-écologie.
- La Suisse doit veiller à ce que les connaissances et les technologies issues de la recherche publique dans les universités ne soient pas privatisées (p. ex. par les jeunes pousses créées par la recherche), mais soient mises à la disposition des pays du Sud global.
Cimetière du commerce mondial : les chantiers de démolition de porte-conteneurs dans le golfe du Bengale sont des lieux de travail mortels. © Keystone/Biosphoto/Pierre Torset
Règles commerciales pour une transition juste
Pour les pays pauvres du Sud global, le commerce peut être une chance de réaliser une transition juste. Mais le libre-échange effréné ne suffit pas. Ces pays ont besoin de règles flexibles pour établir une politique économique, technologique et financière autonome. Celles-ci favorisent une industrialisation verte, la production d'énergie propre et la création d'emplois dont ils ont urgemment besoin. Les pays du Sud global doivent aussi bénéficier d'une plus grande marge de manœuvre politique pour promouvoir leur propre production. Les règles commerciales devraient permettre aux pays les plus faibles de protéger les industries vertes émergentes par des droits de douane et des subventions, ainsi que de les promouvoir par l'octroi de marchés publics. Ces mesures ont aussi été appliquées par les pays industrialisés et le sont encore en partie. Parallèlement, les pays du Sud global ont besoin d'un accès préférentiel aux marchés des nations industrialisées pour leurs exportations. Tout le contraire de ce que fait l'administration Trump !
Pas de protectionnisme vert sur le dos du Sud global
Depuis 2023, un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est en vigueur dans l'Union européenne (UE). Il vise à empêcher, par la taxation à la frontière des importations polluantes, que les industries énergivores et à forte intensité de CO2 soumises à des plafonds d'émissions ne délocalisent vers des pays moins stricts en la matière. Il est fondamental que les entreprises les plus efficaces en matière d'énergie et de CO2 ne soient pas soumises à une concurrence déloyale, mais l'approche de l'UE est vivement critiquée par les pays du Sud global. La CNUCED a calculé que le MACF allait augmenter les revenus des nations industrialisées de 2,5 milliards de dollars et réduire ceux des pays en développement de 5,9 milliards. Les mesures comme le MACF devraient donc être conçues de sorte que les recettes soient intégralement reversées aux pays concernés et utilisées pour moderniser leurs infrastructures de production et énergétiques. Les remboursements aux pays les plus pauvres devraient être plus élevés. Le « fonds d'investissement pour notre avenir à tous » pourrait régler cette question.
Protéger la planète plutôt que les investissements
Les accords de protection des investissements (API) doivent aussi être réformés en profondeur, car ils offrent aujourd'hui aux entreprises nombre de possibilités de poursuivre les États en justice lorsqu'elles estiment que des mesures politiques réduisent leurs profits. Les recours devant les tribunaux arbitraux visent aussi les mesures de politique environnementale et climatique. Le groupe Glencore, par exemple, s'est appuyé sur l'API entre la Suisse et la Colombie pour intenter quatre actions en justice contre ce pays et réclamer des indemnisations. La troisième en date porte sur la décision de la Cour constitutionnelle colombienne de suspendre l'extension d’El Cerrejón, la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d'Amérique latine. Cette décision avait été motivée par le détournement d'un affluent du Rio Rancheria, qui avait eu de graves répercussions sur l'environnement et la population indigène. Glencore réclame 489,20 millions de dollars et la procédure est toujours en cours.
Voici ce que la Suisse doit faire :
- Même face à un ordre commercial mondial en ruines, la Suisse devrait s'engager, avec l'Europe, en faveur d'un ordre multilatéral qui profite également aux pays faibles et vulnérables.
- Dans les accords de libre-échange (ALE) qu'elle négocie avec les pays du Sud global, la Suisse doit promouvoir les droits humains et du travail ainsi que la protection de l'environnement. Il faut pour cela y inclure un chapitre ambitieux sur le développement durable, comprenant des possibilités de sanctions. Des évaluations des conséquences sur les droits humains doivent être réalisées en amont. S'il s'avère que l'expansion de l'agro-industrie ou de l'exploitation minière nuit au petit paysannat ou aux communautés autochtones, la Suisse doit renoncer à conclure tout ALE.
- La Suisse doit réformer ses API afin de les rendre compatibles avec l'environnement et le climat. Elle doit donc limiter les possibilités de recours. À l'instar de l'UE, elle doit dénoncer le Traité sur la Charte de l'énergie (TCE), qui prévoit des possibilités de recours étendues pour les investisseurs, y compris dans le domaine des énergies fossiles.
Promouvoir les secteurs fossiles aggrave les inégalités : le Nigeria veut attirer davantage d’investissements dans le gaz liquéfié et le pétrole. © George Osodi/Panos Pictures
Secteur privé : faux amis et voeux pieux
Le secteur privé (en clair, les entreprises à but lucratif) est souvent présenté comme la solution miracle aux problèmes du développement durable et du changement climatique. Cela concerne aussi bien le rôle général des entreprises dans une économie nationale que les flux de capitaux privés provenant des banques et des investisseurs pour le financement du climat et du développement. Dans ce contexte, le rôle que doivent jouer les gouvernements est souvent occulté. Nombre de défis pour une transition juste sont profondément systémiques et nécessitent des changements politiques et structurels de grande envergure. Les gouvernements doivent créer un cadre juridique pour les entreprises qui étaye la transition énergétique, protège les ressources naturelles et garantisse des conditions de travail équitables. Eux seuls sont en mesure d'imposer la transparence et la responsabilité, garantissant ainsi que les projets privés sont mis en œuvre de manière responsable et profitent à l'ensemble de la société, en particulier aux plus démunis.
Les institutions étatiques, parapubliques et communales jouent un rôle décisif dans la fourniture de biens et de services publics. En Suisse, par exemple, l'approvisionnement en eau est entièrement public et les pouvoirs publics occupent aussi une place prépondérante dans l'éducation, les transports, l'énergie et les infrastructures. C'est précisément dans ces secteurs que les besoins non satisfaits sont énormes dans les pays du Sud global. Les investissements publics dans le social, l'éducation et la santé sont essentiels pour une transition juste et la lutte contre la pauvreté. Miser sur des investissements à but lucratif dans ces domaines revient à ignorer qu'ils ne sont souvent pas rentables, ou seulement si l'on impose des prix et des taxes élevés, inabordables pour la grande majorité de la population. La contribution majeure des entreprises dans les secteurs de l'éducation et de la santé consiste donc à ce qu’elles paient leurs impôts, en clair à ce qu’elles renoncent à l'évasion fiscale, contribuant ainsi au financement des investissements publics. En se concentrant unilatéralement sur les entreprises à but lucratif, on ne reconnaît pas l'importance des institutions étatiques et le rôle que peuvent jouer les initiatives communautaires et la société civile.
Plus les caisses sont vides, plus les « donateurs » étatiques et multilatéraux attendent de la « mobilisation des ressources privées ». Souvent, aucune distinction n'est faite entre le secteur privé local et les multinationales étrangères. Alors que ces dernières bénéficient souvent d'un traitement de faveur grâce à diverses incitations (souvent sous la pression des institutions financières internationales), le secteur privé local, qui crée le plus d'emplois, reste structurellement défavorisé. En misant exclusivement sur les capitaux étrangers, on perd de vue les réformes nécessaires pour permettre aux pays du Sud global de générer eux-mêmes beaucoup plus de ressources.
Le rôle des flux financiers privés
Les besoins de financement pour une transition juste dans les pays du Sud global sont incontestablement énormes. Mais cela conduit souvent à cette simplification intellectuelle : capitaux privés étrangers = investissements = nouveaux emplois = lutte contre la pauvreté. En 2015, la Banque mondiale a lancé le mot d'ordre « de milliards à des milliers de milliards » pour « mobiliser » les capitaux privés afin de financer l'Agenda 2030. Pour les PMA, cela reste toutefois peu visible. Depuis 2015, les investissements directs dans les PMA ont reculé de 6 milliards de dollars, leur part dans les investissements directs étrangers dans l'ensemble des pays en développement reculant de 5,1 % à 3,6 %. Les fonds publics destinés au développement restent de loin la principale source de financement extérieur. Mais même pour les pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI), les envois de fonds des migrantes et des migrants sont désormais la source principale, comme le montre le graphique ci-dessous.
Tous les flux ne se valent pas
Les flux de capitaux privés sont très variés et ont également des effets négatifs. Les deux principales catégories sont les investissements de portefeuille et les investissements directs étrangers (IDE) :
Les investissements de portefeuille comprennent tous les placements en titres, c'est-à-dire en actions, en obligations d'entreprises et en emprunts d'État. Ils constituent le revers de la médaille de l'endettement. Ces investissements étrangers sont des alliés éphémères. En cas de crise nationale ou internationale, les capitaux sont très rapidement retirés. En 2023, par exemple, la hausse des taux d'intérêt et le remboursement des emprunts et des crédits ont fait sortir près de 200 milliards de dollars des pays en développement vers des créanciers privés. L'ancien économiste en chef de la Banque mondiale et ministre américain des Finances, Larry Summers, a donc conclu que « des milliards à des milliers de milliards » étaient devenus « des millions entrés, des milliards sortis ».
Les IDE, c'est-à-dire les investissements dans des entreprises ou des projets, sont considérés comme un capital moins coûteux et moins risqué que les investissements de portefeuille, plus volatils, mais leur importance est limitée pour les PMA (voir graphique ci-dessus). Les IDE entraînent toutefois également des sorties substantielles de devises sous forme de transferts de bénéfices par les entreprises. En particulier lorsque les investissements se concentrent sur des secteurs qui ne génèrent pas de recettes d'exportation directes en devises fortes – p. ex. le secteur énergétique orienté vers le marché intérieur –, ce transfert de bénéfices exerce une pression supplémentaire sur la balance des paiements des pays concernés. Le bénéfice net n'est pas toujours substantiel et peut même devenir négatif lorsque les entreprises étrangères pratiquent une évasion fiscale agressive. En matière d'emploi et de lutte contre la pauvreté, une approche nuancée s'impose. Les investissements des groupes étrangers peuvent aggraver les inégalités existantes s'ils créent principalement des emplois bien rémunérés pour la main-d’œuvre hautement qualifiée issue de la classe moyenne. Le secteur dans lequel les investissements sont réalisés est également déterminant. Les coûts et les avantages varient considérablement selon qu'il s'agit, par exemple, d'une nouvelle mine de charbon ou d'une jeune pousse dans le domaine des technologies propres.
L’honnêteté plutôt que des discours creux
Vu que les capitaux privés ne circulent pas comme souhaité, les banques multilatérales de développement et les institutions nationales de développement (dont la DDC et le SECO) misent sur l'utilisation des maigres fonds publics destinés au développement pour réduire les risques (de-risking) afin de « mobiliser » davantage de fonds privés. Mais les résultats sont décevants. Pour reprendre les termes de Larry Summers, qui a longtemps défendu cette approche : « Il y a beaucoup de bavardages de la part de gens qui veulent être ambitieux, mais qui n’ont pas de ressources publiques à leur disposition et veulent donc « catalyser le secteur privé » – avec le soutien d'acteurs du secteur privé qui devraient pourtant être mieux informés, mais qui désirent soit jouer les hommes d’État, soit obtenir des subventions substantielles pour leurs activités. Les chiffres souvent cités comme potentiel de mobilisation de capitaux verts sont à peu près aussi réalistes que si j'annonçais que j’allais courir 1,6 kilomètre en quatre minutes. » Larry Summers a 70 ans.
Réformes internationales pour une transition juste
Malgré toutes les relativisations mentionnées, il faudra également davantage de capitaux privés, en particulier pour financer la transition énergétique. Mais pas n'importe où et n'importe comment, plutôt de manière ciblée afin de garantir l'effet de levier positif nécessaire et d'éviter les conséquences négatives. Des réformes sont requises à l’échelle internationale afin que les entreprises puissent contribuer davantage à une transition juste. La Suisse devrait s'engager, avec des pays européens et des pays du Sud global, en faveur d'une convention-cadre des Nations Unies pour des investissements responsables. Celle-ci pourrait définir des critères permettant de garantir que les investissements privés contribuent effectivement à une transition juste, à la décarbonation de l'économie et à une lutte efficace contre la pauvreté. Elle devrait comporter les éléments suivants :
1. Décarbonation
En signant la convention, les États s'engagent à exiger de leurs entreprises des plans de transition contraignants, applicables à toutes les entreprises et assortis d’un mécanisme de surveillance et de sanction au niveau national.
2. Fixer des objectifs précis et mesurables
La convention établit une classification (taxonomie) harmonisée au plan international des secteurs etactivités dans lesquels il convient d'investir afin d'aligner les investissements privés sur les objectifs d'une transition juste. Elle fixe des normes de transparence et de responsabilité pour les investissements des entreprises dans ces secteurs.
3. Responsabiliser les entreprises
En signant la convention, les États s'engagent à adopter des obligations contraignantes en matière de droits humains et de normes environnementales, à définir des sanctions à l'encontre des entreprises qui les enfreignent et à permettre aux victimes d'obtenir réparation.
4. Fonds pour promouvoir les investissements privés en faveur d'une transition juste
La convention prévoit la création d'un fonds public-privé sous l'égide de l'ONU afin de mobiliser des ressources privées supplémentaires et de réduire les risques liés aux investissements dans des projets de transition. Les fonds publics destinés à cet effet s'ajoutent aux fonds de la CI et empêchent que les risques soient supportés par les deniers publics et les bénéfices privatisés.
Ces fonds ne doivent bénéficier qu'aux entreprises qui contribuent à une transition juste…
- en investissant dans la formation initiale et continue afin de préparer la main-d'œuvre aux emplois verts et aux nouvelles technologies ;
- en contribuant au transfert de technologies propres et durables vers des pays du Sud global par la coopération avec des entreprises locales ;
- en encourageant la recherche et le développement locaux dans les technologies vertes et durables par la commercialisation et la mise à l’échelle de leurs résultats ;
- en associant les communautés locales et les organisations de la société civile à la planification et à la mise en œuvre des projets et en les faisant participer aux bénéfices.
Enfin, les entreprises bénéficiaires doivent publier régulièrement des rapports sur les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs d'une transition juste. Ces rapports incluent des indicateurs de performance clés.
La Suisse doit d'ores et déjà mettre en œuvre les aspects de cette convention en exigeant des entreprises qu'elles établissent des plans de transition contraignants et en adoptant des obligations de diligence, de surveillance, de responsabilité et de réparation contraignantes, comme le prévoit l'initiative pour des multinationales responsables.
Le secteur de l’éducation n’offrant guère de perspectives de rendement, les investissements privés font défaut. École à Mekele, en Éthiopie. © Eduardo Soteras Jalil/Panos Pictures
Le Kenya consacre plus d’un quart de ses recettes au remboursement de ses dettes exorbitantes. © Keystone/AFP/Kabir Dhanji
Le vaste domaine du financement du développement
Le financement du développement ne se limite pas à l'octroi de fonds pour la coopération internationale et la lutte contre les changements climatiques. C’est ce que montrent les trois grandes conférences organisées jusqu'ici dans le cadre du processus de financement du développement des Nations Unies : Monterrey (2002), Doha (2008) et Addis-Abeba (2015). Elles se sont penchées (et se pencheront lors de la FfD4 à Séville, 2025) sur la réforme du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, sur la question de la dette et du désendettement, sur diverses questions commerciales et celle d’un nouveau régime fiscal. Au final, ce processus déterminera bien plus que l’augmentation (absolument nécessaire) des paiements provenant du Nord global et des moyens dont disposeront les pays du Sud global pour assurer une transition juste. Comme le dit en substance le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, l'architecture financière internationale n'a pas besoin d'une simple évolution, mais d'une transformation radicale et d’un nouvel engagement à placer les besoins énormes des pays en développement au centre de chaque décision et mécanisme du système financier mondial.
Réforme des institutions financières internationales
Les deux institutions clés de l'architecture financière internationale, le FMI et la Banque mondiale, ont été conçues pendant la Seconde Guerre mondiale. À l'exception de l'Amérique latine, les pays du Sud global étaient tous encore des colonies des puissances impériales. Les structures décisionnelles au FMI et à la Banque mondiale sont donc particulièrement inégales : traditionnellement, le président ou la présidente du FMI vient toujours de l'UE, tandis que la présidence de la Banque mondiale revient systématiquement aux États-Unis. Ces derniers et les pays de l'UE ont ensemble un droit de veto de facto sur les décisions importantes. À la Banque mondiale également, les droits de vote ne reflètent pas le poids économique.
Même si ces deux institutions ont évolué au fil du temps, renforcé leur engagement auprès de la société civile et accordé une plus grande importance au climat et à la durabilité, par exemple, elles continuent de contribuer à consolider des relations économiques internationales iniques et à accélérer le changement climatique. La nouvelle administration américaine a en outre annoncé son intention de ramener les deux institutions à leur mandat initial, en clair de ne plus soutenir les efforts en matière de financement climatique, d'égalité des sexes ou de réduction des inégalités.
Bien que la Banque mondiale ait considérablement augmenté sa part dans le financement climatique planétaire ces dernières années, elle continue de favoriser les investissements dans les énergies fossiles par des moyens détournés, par exemple via des services de conseil ou des prêts à des intermédiaires financiers. Dans le même temps, elle fait une grande place aux investissements privés, une tendance qui s'est encore renforcée sous la présidence actuelle d'Ajay Banga, ce qui contribue à accroître les inégalités et à privatiser des services publics essentiels tels que l'éducation et la santé.
Le FMI, qui a déjà contribué à accroître la pauvreté et les troubles politiques dans divers pays en raison de la politique d'austérité qu'il a imposée par le passé, continue d'assortir ses prêts de conditions strictes. Celles-ci affectent les plus pauvres, par exemple lorsque les taxes à la consommation sont revues à la hausse ou que les subventions ou les cotisations sociales sont réduites. Les banques de développement subordonnent elles aussi, parfois, l'octroi de crédits à des conditions problématiques.
Voici ce que la Suisse doit faire :
- Elle doit s'engager en faveur d'une réforme fondamentale des institutions financières internationales, à commencer par une nouvelle répartition des quotes-parts et des droits de vote au sein du FMI. Elle doit œuvrer pour que ces derniers reflètent le poids économique actuel des pays.
- Elle doit en outre s'engager à ce que les crédits du FMI ne soient plus accordés qu'à des conditions favorisant une transition juste. Les effets négatifs sur la population, la durabilité et la protection du climat doivent être examinés et, le cas échéant, les conditions qui nuisent aux plus pauvres abolies.
- La Suisse doit s’engager sur une toute autre voie que les États-Unis et plaider en faveur d'une interdiction générale des investissements dans les énergies fossiles et d'une amélioration qualitative et quantitative du financement multilatéral de la lutte contre le changement climatique par la Banque mondiale.
Affaibli, l’État kenyan se désengage des tâches sociales : bidonville de Mathare, à Nairobi. © Keystone/EPA/Kabir Dhanji
Désamorcer la bombe de la dette
Selon les données de l’UN Trade and Development (CNUCED), 68 pays en développement sont confrontés à de graves problèmes d'endettement. 61 % de la dette totale des pays en développement est détenue par des créanciers privés. Les taux d'intérêt que doivent payer les pays en développement sont beaucoup plus élevés que ceux des États-Unis et de l'UE. Dans 48 pays du Sud global hébergeant 3,3 milliards de personnes, les paiements d'intérêts sont plus élevés que les dépenses consacrées à l'éducation ou à la santé.
Sans un allègement de la dette, il ne peut y avoir de transition juste. Une convention-cadre des Nations Unies, telle que proposée par la société civile, pourrait y parvenir.
Voici ce que la Suisse doit faire :
- Avec des pays du Sud global, la Suisse doit s'engager en faveur d'une convention-cadre sur la dette et mettre en œuvre les lois nationales nécessaires.
- Elle doit mettre à la disposition des PMA, via des fonds multilatéraux, les droits de tirage spéciaux qu'elle a obtenus et continuera d'obtenir dans le cadre des versements du FMI.
- Elle doit obliger les créanciers privés de pays du Sud global (banques, gestionnaires de fortune, fonds spéculatifs, entreprises extractives) ayant leur siège en Suisse à accorder des allègements de dette importants en cas de surendettement d'un pays en développement. Le risque financier lié à ces crédits ne doit pas être transféré des créanciers au fisc suisse.
La convention fiscale de l’ONU et sa mise en œuvre au plan national
Contrairement aux autres conventions proposées dans ce numéro de « global », les négociations sur la convention fiscale de l'ONU sont déjà en cours. La Suisse doit s'engager en faveur de leur succès en faisant des concessions au Sud global. Un système fiscal international équitable sous l’égide de l'ONU doit s'accompagner de réformes fiscales appropriées au niveau national. Les réformes fiscales progressistes au plan national supposent l'existence de règles internationales appropriées afin d'entraîner effectivement une hausse des recettes fiscales nationales. Jusqu'à présent, la Suisse a misé sur une fiscalité clémente pour les multinationales et sur la gestion de fortune transfrontalière (offshore-banking) pour les personnes fortunées. Si la Suisse abandonne ce modèle économique, d'autres États risquent de s’engouffrer dans la brèche. D’où la nécessité de nouvelles règles multilatérales pour empêcher ces pratiques sur la scène internationale.
Convention fiscale de l’ONU | Réformes nationales |
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Imposition équitable des entreprises : répartition équitable des droits d’imposition (en fonction de la valeur ajoutée effective), transparence fiscale et augmentation de l’impôt minimum |
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Imposition mondiale effective des grosses fortunes privées |
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Lutte contre les flux financiers illicites |
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Les mesures fiscales contribuent à relever les défis écologiques |
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Transparence fiscale |
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La très controversée place financière suisse continue de priver le Sud global d’énormes revenus. Quartier des banques à Genève. © Mark Henley/Panos Pictures
Suffisamment pour tout le monde
Aujourd'hui, la Suisse se finance en grande partie grâce à des prestations économiques fournies à l'étranger. Lorsque des multinationales enregistrent en Suisse des bénéfices réalisés à l'étranger ou que de riches particuliers transfèrent leur fortune chez nous, notre pays perçoit des recettes fiscales qui reviennent en réalité à d'autres pays. Si la Suisse veut moins vivre aux dépens des autres à l'avenir, elle doit abandonner sa stratégie fiscale avantageuse et sa gestion de fortune transfrontalière pour clients privés. Elle deviendra alors moins attractive pour les exilées et exilés fiscaux étrangers et ses recettes fiscales reculeront. Elle doit donc, en parallèle, restructurer son modèle économique de manière à compenser la baisse des recettes fiscales par une meilleure imposition des sources nationales. Les mesures de financement suivantes montrent comment cette restructuration peut être financée et donc réalisée.
La Suisse broute sous la clôture
La Suisse profite largement des transferts de bénéfices des multinationales d’autres pays. Selon les calculs de l'économiste français Gabriel Zucman, la Confédération, les cantons et les communes perçoivent environ 9 milliards de francs par an grâce à l'imposition des bénéfices des multinationales transférés de l'étranger vers la Suisse. Ce chiffre repose sur plus de 110 milliards de francs de bénéfices réalisés par des entreprises attirées par le faible niveau d'imposition en Suisse. En raison de l'opacité extrême des flux financiers au sein des grands groupes, il est impossible de déterminer combien de bénéfices les entreprises transfèrent de pays du Sud global vers la Suisse. Mais ces derniers devraient toutefois être élevés, car dans le commerce des matières premières, une grande partie des bénéfices réalisés dans les pays producteurs sont transférés vers notre pays.
Harmonisation fiscale
Depuis des décennies, une concurrence fiscale acharnée fait rage entre les cantons suisses. Tant les taux d'imposition des bénéfices des entreprises que les taux d'imposition des revenus et de la fortune des personnes physiques ont considérablement baissé au fil des ans. Les cantons et les communes se disputent les entreprises et les « bons » contribuables, s'obligeant ainsi à réduire sans cesse leurs taux d'imposition. Au final, tout le monde y perd : une part croissante des salaires, de la fortune et des bénéfices est de moins en moins imposée partout en Suisse. Le fédéralisme helvétique est sacro-saint : il est vu comme l'une des grandes bénédictions de ce pays. Mais ce sont surtout les riches et les grandes entreprises qui profitent du fédéralisme fiscal. Il faut inverser la tendance par une harmonisation fiscale générale au plan national : les impôts sur les bénéfices, les revenus et la fortune doivent être harmonisés, et la chasse aux contribuables, dénuée de tout esprit de solidarité, doit être interdite.
Un impôt minimum contre le transfert de bénéfices
Afin de rendre la Suisse moins attractive pour le transfert de bénéfices depuis l'étranger, la Confédération doit fixer à l'échelle nationale (au niveau de la Confédération, des cantons et des communes) un taux d'imposition minimum effectif de 19 % pour taxer les bénéfices des entreprises, l'impôt fédéral direct pour celles-ci s'élevant à 15 %. Cela correspond à peu près à la moyenne actuelle dans les communes du canton de Zurich. Il applique aujourd'hui le deuxième taux d'imposition des bénéfices le plus élevé de Suisse, après Berne, tout en restant l'un des moteurs économiques du pays. Toutes les recettes issues de l'imposition des bénéfices doivent être versées au budget ordinaire de la Confédération, des cantons et des communes. Les mesures publiques de soutien aux grandes entreprises seraient interdites. Dans le cadre de l'imposition minimale de l'OCDE, elles ont pour seul but aujourd’hui de restituer des recettes fiscales aux grands groupes.
Bien sûr, cela générerait également des recettes supplémentaires considérables. En augmentant l'impôt fédéral direct sur les entreprises de 8,5 % aujourd'hui à 15 % et sur la base des recettes de 2024, les recettes de l'impôt sur les bénéfices de la Confédération bondiraient de 15,5 milliards de francs aujourd'hui à 27,35 milliards, soit environ 12 milliards de plus par an. Dans ce scénario, il faudrait toutefois déduire à nouveau les recettes perdues au niveau fédéral en raison des transferts de bénéfices. Celles-ci ne peuvent être qu'estimées, mais les 40 % calculés par Gabriel Zucman semblent réalistes dans ce cas aussi. Au final, il resterait donc des recettes supplémentaires de 7,2 milliards de francs.
Du paysage urbain à la politique fiscale avantageuse, les multinationales pharmaceutiques ont leur mot à dire à Bâle. Campus Novartis et tours Roche. © Keystone/Stefan Bohrer
Levée du secret bancaire national
L'économiste lausannois Marius Brülhart estime que 400 milliards de francs sont dissimulés au fisc. Cela représenterait environ 60 % du PIB de notre pays. Diverses autres études économiques corroborent cette estimation. Elles concluent également que les 0,1 % les plus riches en Suisse pourraient ne pas déclarer 25 % de leur fortune. Afin de permettre une imposition efficace des grosses fortunes et d'empêcher autant que possible l'évasion fiscale, le secret bancaire national doit être aboli. Les banques déclareraient ainsi les avoirs et les revenus à l'administration fiscale, comme c'est le cas aujourd'hui pour les salaires via le certificat de salaire. Tous les types de revenus seraient ainsi traités de manière égale. Selon Marius Brülhart, cette mesure permettrait à elle seule de générer des recettes supplémentaires d'au moins 2,5 milliards de francs pour la Confédération et les cantons.
Augmentation et harmonisation de l'impôt sur la fortune
L'introduction d'un impôt modéré sur la fortune des plus riches permettrait de générer des recettes supplémentaires encore plus importantes au niveau fédéral. Selon la littérature scientifique spécialisée, un taux d'imposition de 2,7 % pour les 0,1 % les plus riches serait idéal, car il représente le juste milieu entre le risque de fuite de ces fortunes (plus elles sont élevées, plus ce risque est grand) et l'utilisation efficace d'une ressource fiscale (qui, selon la littérature, n'est pas exploitée aujourd'hui avec un taux d'imposition cantonal moyen de 0,4 %). Sur la base des derniers chiffres disponibles concernant la fortune des 0,1 % les plus nantis, la Confédération peut ainsi espérer des recettes additionnelles excédant 10 milliards de francs par an. L'introduction d'un impôt fédéral sur la fortune, accompagnée de la levée du secret bancaire national, pourrait donc déjà compenser les pertes de recettes fiscales que subirait la Suisse si elle renonçait à son modèle fiscal avantageux pour les multinationales.
Sous le régime fiscal actuel, la suppression du secret bancaire national devrait générer environ 2,25 milliards de francs supplémentaires de recettes provenant des 25 % de fortune jusqu'ici non imposés. La Confédération indique pour 2024 des recettes fiscales provenant de la fortune des cantons et des communes à hauteur de 9 milliards. Avec un quart de plus, la somme mentionnée serait atteinte.
Le tableau suivant montre les recettes fiscales supplémentaires susceptibles d’être générées par certaines mesures. Il ne comprend que celles qui sont actuellement estimables. D'autres nouvelles mesures fiscales progressives, comme un impôt national sur les successions, la suppression des dividendes exonérés d'impôt, une imposition supplémentaire spécifique des bénéfices issus du négoce des matières premières fossiles ou une taxe sur les transactions financières, pourraient rapporter chaque année des milliards supplémentaires aux caisses publiques suisses.
Mesure | Recettes supplémentaires pour la Confédération (brutes en CHF par an) |
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Imposition minimale des entreprises de 19 % | 7,2 mia. |
Impôt fédéral sur les très grandes fortunes de 2,3 % et levée du secret bancaire national | 10 mia. (+ 2,25 mia. qui vont aux cantons et aux communes = 12,25 mia.) |
Suppression de l’exonération fiscale du kérosène | 1,5 mia. |
Taxe sur les billets d’avion | 800 mio. |
Total | 19,5 mia. (+2,25 mia. aux cantons et aux communes) |
Desserrer le frein qui entrave l’avenir
Bien sûr, une telle restructuration financière et économique ne peut se faire du jour au lendemain et elle pourrait aller de pair avec une baisse temporaire des recettes. C'est là qu'intervient notre meilleur allié, le frein à l’endettement. Il devient utile si on le relâche.
La Confédération dispose de l'un des freins à l'endettement les plus stricts au monde et, en parallèle, d'un taux d'endettement net extrêmement bas en comparaison internationale (17,2 % en 2024). En réalité, ce frein entrave l'avenir. Alliance Sud a élaboré divers scénarios qui montrent combien la Confédération gagnerait en marge de manœuvre financière en augmentant adéquatement le taux d'endettement et en stabilisant ensuite la dette publique à ce nouveau niveau plus élevé. Rien qu'en revenant au niveau d'endettement qui prévalait lors de l'introduction du frein à l'endettement en 2005, soit 24,9 %, la Confédération gagnerait une marge de manœuvre supplémentaire de 146,6 milliards de francs d’ici 2035. Ce serait donc environ 14,6 mia. par an. À l'époque, la stabilisation du taux d'endettement à ce niveau était l'objectif déclaré du Conseil fédéral, du Parlement et du peuple. Il n'était alors pas question d'une réduction automatique, comme le prévoit le mécanisme actuel. Si la Confédération augmentait son taux d'endettement jusqu'en 2035 pour atteindre les 60 % autorisés dans l'UE – que seuls 15 des 27 États membres respectent –, la marge de manœuvre en matière d'investissement passerait à 580 milliards de francs.
Mais il faut quand-même faire preuve de prudence. La politique de l’arrosoir reste interdite. La Confédération devrait limiter l'utilisation des nouveaux fonds à trois objectifs majeurs :
- Premièrement, elle peut compenser temporairement les pertes fiscales résultant de la suppression des transferts de bénéfices des multinationales en matière d’imposition des entreprises. Dès que les nouvelles taxes proposées ici entreront en vigueur et compenseront (avec un excédent) les pertes fiscales liées à la restructuration, la Confédération devra supprimer ces aides budgétaires.
- Deuxièmement, elle peut investir dans la création d'une économie verte. La Suisse devra investir dans l'industrie durable, le secteur des soins et l'industrie verte (exportatrice) afin de préserver sa base fiscale et ses emplois. Ainsi, dans le secteur des soins, des investissements massifs sont nécessaires pour rendre plus attrayantes les professions concernées ou la garde d'enfants. Pareil pour la filière verte afin de la rendre plus compétitive par rapport à l'économie fossile et stimuler la production correspondante en Suisse. Dès que les entreprises en question seront rentables, ces investissements financés par l'endettement généreront de nouvelles recettes fiscales provenant des entreprises, qui pourront compenser les coûts plus élevés du service de la dette fédérale.
- Troisièmement, une marge de manœuvre financière restera disponible pour des dépenses extraordinaires, par exemple en cas de catastrophes naturelles, de guerre ou d'autres événements exceptionnels similaires à la pandémie de coronavirus, sans que cela n'entraîne de mesures d'austérité dans le budget ordinaire de la Confédération, comme c'est le cas aujourd'hui.
Mission accomplie, problèmes résolus
Combien de fois avons-nous entendu ces derniers mois : « La Suisse n'a pas un problème de recettes, mais un problème de dépenses. » On ne pourrait être plus d'accord, comme le montrent nos calculs. Avec les réformes budgétaires esquissées, la Suisse engrange des recettes plus que suffisantes pour une transition également juste sur le plan international. Les 17,8 milliards de francs nécessaires au financement climatique et au développement peuvent ainsi être facilement couverts. Et la Suisse peut en parallèle abandonner son modèle économique préjudiciable aux pays du Sud global – ses retombées négatives appartiennent désormais au passé. Enfin, le grave problème des dépenses de la Suisse peut également être résolu : il réside en effet dans le fait que la Suisse investit beaucoup trop peu dans sa propre viabilité future. Ce qui est correct, équitable et durable profitera en fin de compte à l’ensemble de la population suisse.

Graphiques : Bodara GmbH, Büro für Gebrauchsgrafik, Zürich
Illustrations : Niels Blaesi
Photo de couverture : Abbie Trayler-Smith/Panos Pictures
Glossaire
- ADPIC : Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce / Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights, TRIPS : cet accord de l'OMC de 1995 oblige les États membres de l'OMC à protéger les brevets, notamment ceux portant sur les nouveaux médicaments.
- Aide publique au développement (APD) / Official development assistance (ODA) : mesure du financement public du développement (voir plus loin).
- UN Trade and Development (CNUCED) : l’organisation des Nations Unies pour le commerce et le développement défend les intérêts des pays en développement dans les questions économiques et commerciales. Avant 2024 elle s’appelait Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement.
- Droits de tirage spéciaux : réserves détenues auprès du FMI que les pays peuvent convertir en devises fortes en cas de besoin. En émettant de nouveaux droits (p. ex. pendant la crise du coronavirus), le FMI peut (co)gérer la liquidité du système financier.
- Financement public du développement : fonds qui a) sont accordés par des gouvernements nationaux ou locaux ; b) soutiennent les pays bénéficiaires dans leur développement social et économique et c) sont concessionnels.
- Flux financiers concessionnels : ressources financières accordées à des conditions préférentielles, à savoir sous forme de dons (grants) ou de crédits à des conditions préférentielles.
- Flux financiers illicites : mouvements transfrontaliers d'argent illégaux ou illégitimes, que ce soit dans leur origine (p. ex. corruption, contrebande), leur transfert (p. ex. évasion fiscale et blanchiment d'argent) ou leur utilisation (p. ex. financement du terrorisme).
- Fonds spéculatifs / Hedge Funds : ce sont des fonds d'investissement non réglementés qui recourent à diverses stratégies et sont principalement ouverts à des particuliers très fortunés. Ils visent à multiplier les rendements en contractant des emprunts.
- Gestion de fortune transfrontalière pour clients privés / Offshore Private Banking : gestion de fortune en dehors du pays d'origine des clients. La Suisse est leader mondial dans ce domaine, un cinquième de tous les actifs transfrontaliers (près de 2400 milliards de dollars) sont gérés ainsi.
- Licences d’exploitation : autorisation délivrée par une autorité publique (p. ex. le ministère des mines) pour exploiter des matières premières dans une zone déterminée et à certaines conditions. Elles font souvent suite à des licences d'exploration qui régissent la recherche de matières premières.
- Limites planétaires : limites écologiques de la Terre, dont le dépassement menace la stabilité de l'écosystème terrestre. Sur les neuf limites planétaires censées définir une marge de manœuvre sûre pour l'humanité, six ont été dépassées.
- Malédiction des matières primaires : effets négatifs sur les pays dépendant des matières premières, tels qu'une croissance économique plus faible, l'instabilité politique, la corruption et les conflits. Le comportement des entreprises étrangères est en partie responsable de cette malédiction.
- Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) / Carbon Border Adjustment Mechanism, CBAM) : mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, en vigueur depuis 2023. Il prévoit de taxer à la frontière l’importation de produits particulièrement polluants, à savoir, dans un premier temps, le fer et l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’hydrogène et l’électricité.
- Mobilisation des ressources domestiques / Domestic Resource Mobilisation : processus (recettes fiscales notamment) permettant à un pays de financer ses projets et programmes de développement en recourant davantage à ses propres ressources plutôt qu'à l'aide extérieure ou à des crédits.
- Pertes et dommages / Loss and Damage : pertes et dommages liés au climat. Alors que les dommages peuvent être réparés ou compensés, les pertes sont irrémédiables et sont également étroitement liées à la mise en danger de vies humaines.
- PMA : pays les moins avancés / Least Developed Countries, LDCs : soit les pays dont le revenu national brut est inférieur à 1 145 dollars par habitant (2023). Ce groupe comprend aujourd'hui 44 pays.
- PRFI : pays à revenu faible ou intermédiaire / Low- and Middle-Income Countries, LMICs : soit les pays dont le revenu national brut est inférieur à 14 005 dollars par habitant (2023) ; ce groupe comprend aujourd'hui 136 pays.
- Quote-part au FMI : chaque membre se voit attribuer une quote-part calculée en fonction de son PIB, de ses réserves monétaires et de son commerce extérieur. Elle détermine le droit de vote au sein des organes du FMI et l'attribution des droits de tirage spéciaux nouvellement créés.
- Rente des matières premières : soit la différence entre la valeur des matières premières dans le sol et les coûts d'extraction. Elle est partagée entre l'entreprise privée qui l'exploite et l'État et détermine ainsi la manière dont un pays riche en matières premières tire profit de ses ressources naturelles.
- Retombées négatives ou effets d’externalité territoriale / spillovers : activités dans un pays qui ont des répercussions négatives sur d'autres, p. ex. l'évasion fiscale vers la Suisse ou la pollution de l'environnement à l'étranger due à la production de biens et services consommés en Suisse.
- Revenu national brut (RNB) : le RNB englobe tous les revenus perçus sur le territoire national, qu'ils proviennent de l'étranger ou de l'intérieur du pays. C'est la principale différence avec le produit intérieur brut (PIB), plus courant.
- Royalties : redevances prélevées sur la quantité produite ou le prix des matières premières extraites. Contrairement aux impôts, les royalties sont liées aux matières premières, tandis que les impôts sont prélevés au niveau de l'entreprise.
- Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) / Energy Charter Treaty, ECT : entré en vigueur en 1998, il protège les investissements dans le domaine de l'énergie et permet à un investisseur de poursuivre un État signataire si la politique ou la réglementation de ce dernier change au détriment de l'investisseur.