Sahel

« Il vaut mieux rester engagé »

25.03.2025, Coopération internationale

Ibrahim Maïga est spécialiste du Sahel à l’International Crisis Group. Alliance Sud lui a demandé ce que les récents coups d’Etat au Mali, au Burkina Faso et au Niger impliquent pour la démocratie dans la région et la coopération au développement de la Suisse. Entretien d’Isolda Agazzi.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

« Il vaut mieux rester engagé »

Un travail de reconstruction commun malgré la situation fragile : pour que la Grande Mosquée de Djenné, au Mali, puisse résister à la saison des pluies, les habitants la recouvrent chaque année d’une couche d’argile.
© Keystone / AP / Moustapha Diallo

 

Selon l’analyste malien, qui partage son temps entre Dakar et Bamako, si le modèle de démocratie formelle a du plomb dans l’aile, les valeurs démocratiques emportent toujours l’adhésion de la population. Il est donc d’autant plus important que les partenaires occidentaux restent engagés dans des projets de développement, car les attentes vis-à-vis des Etats n’ont jamais été aussi élevées. Pourtant les régimes militaires en place se concentrent sur le volet sécuritaire et les « nouveaux acteurs » que sont la Chine, la Russie et la Turquie – qui en réalité ne sont pas nouveaux du tout – s’intéressent au business et à la coopération militaire, et peu à la lutte contre la pauvreté.

« global » : Pourquoi les coups d’Etat ont-ils repris au Sahel ?

On assiste à un retour de l’armée dans les trois pays – Mali, Burkina Faso et Niger – qui ont connu des coups d’Etat déjà entre 2010 et 2014. C’est-à-dire dans un passé pas si lointain, contrairement à d’autres pays d’Afrique où il n’y a pas eu de putsch depuis les années 1990. A cela s’ajoute la présence de conditions sécuritaires et politiques qui ont créé un terreau favorable à l’immixtion des militaires, qui se sont posés en sauveurs. Au Mali et au Burkina Faso, la situation n’a pas cessé de se dégrader depuis dix ans, malgré la présence d’un important dispositif international de stabilisation, composé par la force de l’ONU, les opérations militaires de la France et les missions de formation de l’Union européenne.

Cela a donné lieu à une double désillusion : d’une part, celle des militaires à l’égard des acteurs politiques parce que, malgré les investissements conséquents consentis par les régimes civils pour améliorer les capacités des forces de sécurité, celles-ci ne sont pas arrivées à contenir l’insécurité. Tout cela sur fond de corruption autour de l’acquisition d’équipements militaires. D’autre part, la désillusion de la population vis-à-vis des élites dirigeantes, perçues comme corrompues après la révélation de plusieurs affaires de malversation, dans un contexte marqué par des conditions socioéconomiques difficiles.

Le soutien populaire à ces régimes militaires n’est-il pas étonnant, après l’important mouvement de démocratisation qu’a connu l’Afrique de l’Ouest au début des années 1990 ?

En effet, le contraste est saisissant entre l’euphorie démocratique d’il y a trente ans et le soutien de la population aux militaires, aujourd’hui. Cela s’explique par l’essoufflement du modèle démocratique qui a vu le jour au début des années 1990, après les conférences nationales souveraines. Le régime qui associe liberté politique et développement économique n’a pas été au rendez-vous. Certes, le Mali des années 1990 ne ressemble pas à celui d’aujourd’hui, mais les progrès ont été insuffisants.

 

Ibrahim Maïga in einem hellblau-karierten Hemd mit dunkelblauem Sakko vor schwarzem Hintergrund.

Ibrahim Maïga

Ibrahim Maïga est actuellement Conseiller principal pour le Sahel à l’International Crisis Group. Auparavant, il a été Représentant régional pour le Sahel à l'Institut néerlandais pour la démocratie multipartite. Il a également occupé le poste de Conseiller spécial du Premier ministre du Mali, en charge des questions de sécurité, de gouvernance et de réformes politiques. De 2015 à 2020, il a successivement exercé plusieurs fonctions auprès de l’Institut d’études de sécurité, un think tank panafricain.

 

Est-ce l’échec du système libéral – tant du point de vue politique qu’économique ?

C’est en tout cas l’échec d’une façon de faire, d’un modèle de gouvernance basé sur une démocratie formelle avec des constitutions proclamatrices. Car la gestion des affaires publiques n’a pas toujours été démocratique, sur fond de recul de l’Etat de droit. Dans cette partie de l'Afrique, on s’est attachés à la construction de démocraties électorales, parfois au détriment de la consolidation de véritables Etats de droit. Tout cela interroge sur le statut démocratique de ces pays, notamment le Mali qui était la vitrine de la démocratie en Afrique de l’Ouest (avec le Sénégal et le Ghana) jusqu’à la descente aux enfers de 2012 (premier coup d’Etat).

 

Je ne crois pas que la population rejette totalement le modèle démocratique – dans les débats et les entretiens on y revient toujours.

 

Est-ce à dire que la population ne croit plus à la démocratie ?

Je ne crois pas qu’elle rejette totalement le modèle démocratique – dans les débats et les entretiens on y revient toujours. Mais la façon de faire la démocratie, avec un parti au pouvoir qui abuse des deniers publics, ne passe plus. En revanche, la majorité des gens tiennent au principe de la liberté d’expression et du choix souverain des populations. Cela explique que, malgré la situation de transition, la constitution adoptée en 2023 au Mali consacre la démocratie comme mode d’accession et de gestion du pouvoir.

Pourtant les élections ont été renvoyées aux calendes grecques….

Absolument, il y a une absence de visibilité et de clarté sur les calendriers de ces transitions, excepté peut-être au Burkina Faso où la période de transition devrait se terminer en 2027. Entre 2000 et 2020, les coups d’Etat dans ces pays ont été suivis de transitions démocratiques de courte durée. Au Mali elle a duré 16 mois, au Burkina Faso 14 mois et au Niger 15 mois.

Aujourd’hui ces transitions se revendiquent comme des « transitions de refondation » : elles visent à remettre à plat toute la gouvernance et la gestion « démocratique » du pays pour identifier ce qui a fonctionné ou non. L’exercice n’est pas inutile, mais les régimes sont peut-être en train de s’y perdre, avec toutes les dérives potentielles liées à un maintien prolongé au pouvoir. Ces transitions deviennent aussi de moins en moins inclusives de toutes les forces politiques et sociales. Au Niger et au Burkina Faso, les activités politiques ont été interdites, et là où elles sont encore autorisées, il y a une absence de dialogue. Au Mali, si la trajectoire n’est pas ajustée, la transition risque de déboucher sur une impasse politique.

 

 

Les populations adhèrent-elles à ces transitions ?

Sur le principe oui, il y a un véritable engouement porté par une profonde aspiration au changement. En 2020, j’ai participé aux concertations nationales au Mali, et les débats étaient animés, il y avait une réelle volonté de s’attaquer aux racines du problème. On pariait sur le fait qu’une autorité de transition, affranchie de certaines contraintes politiques et limitée dans le temps, peut entreprendre des réformes, contrairement à un pouvoir élu qui peut être tiraillé par les agendas parfois contradictoires et à court terme de ses animateurs. En pratique, cela s’est avéré plus difficile et complexe.

On attendait des militaires qu’ils renforcent la sécurité, or elle semble se détériorer.

Elle s’est améliorée par endroits, s’est dégradée à d’autres. Le nombre d’incidents a aussi augmenté, car les forces armées mènent davantage d’opérations. Elles disposent désormais d’équipements modernes qu’elles n’avaient pas auparavant, en partie grâce à des partenariats avec la Russie, la Chine et la Turquie – cette dernière étant le fournisseur exclusif de drones. Ces partenariats semblent satisfaire une grande partie des officiers et les régimes en place, car les livraisons ne sont pas soumises à des conditions spécifiques en matière de gouvernance et de droits humains. Cela donne des armées plus équipées, plus performantes, mais débouche aussi sur une autre réalité : une hausse des violences contre les civils et des risques plus élevés de victimes collatérales avec le recours aux drones.

 

Le renforcement de la sécurité a parfois éclipsé les enjeux liés à l’éducation, à la santé ou même à l’économie.

 

L’augmentation des budgets des armées et les réductions de la coopération dans les pays du Nord n’entraînent-ils pas un recul du développement ?

Les régimes militaires ont créé des attentes énormes vis-à-vis de l’Etat, qui avaient par endroits disparu. Elles sont alimentées par un discours souverainiste, qui met l’accent sur le rôle premier de l’Etat dans la construction des routes, des infrastructures et la fourniture d’énergie. Ce discours tend à faire croire que les Etats peuvent résoudre seuls ces besoins, alors même qu’ils ont moins d’argent en raison de la situation politique et des coupes dans la coopération au développement des pays du Nord et des institutions financières internationales. Au Mali, par exemple, l’électricité est un défi immense depuis deux ans. On vit au rythme des coupures et sans énergie, l’économie ne tourne pas. Le renforcement de la sécurité a parfois éclipsé les enjeux liés à l’éducation, à la santé ou même à l’économie.  

Est-ce qu’un petit pays comme la Suisse a encore un rôle à jouer dans la coopération au développement ?

Certes, la Suisse est un pays de petite taille, mais elle possède une tradition assez longue de soutien aux initiatives locales. Elle a encore bonne presse, ce qui n’est pas le cas d’autres pays dont le modèle de coopération est remis en cause. Cette relative bonne opinion et historicité permettent de promouvoir des projets d’accès à l’eau et à l’énergie et de soutenir la bonne gouvernance et la décentralisation, qui ont un impact direct sur la vie des populations. Ses liens avec d’autres acteurs que l’Etat – les organisations de la société civile, les organisations de jeunes et de femmes – est aussi un atout, même si ce n’est pas spécifique à la Suisse. Cela donne une forme de légitimité à sa présence dans la région.

Cependant, comme tous les acteurs, la Suisse fait face à un changement assez notable : on est passé d’une région où le dispositif international de stabilisation était important – avec une forte présence de l’ONU, l’Union africaine et d’autres partenaires, notamment la France – à un environnement où les chefs de file sont les Etats. On a d’abord pensé qu’on pouvait les contourner pour travailler uniquement avec les organisations de la société civile et les organisations non gouvernementales, mais ils restent incontournables. Ils sont revenus dans le « driving seat ».

 

Les bailleurs occidentaux comme la Suisse ont un rôle à jouer dans le plaidoyer, ils doivent continuer à soutenir le développement.

 

Les bailleurs étrangers doivent-ils travailler avec des régimes non démocratiques ?

C’est un dilemme difficile, mais on n’améliorera pas la situation sans des Etats efficaces. Il y a déjà de la collaboration avec les régimes militaires, même si c’est parfois à une échelle plus petite et sur des questions techniques. La question est donc plutôt de savoir jusqu’où la collaboration doit aller. Les bailleurs occidentaux comme la Suisse ont un rôle à jouer dans le plaidoyer, ils doivent continuer à soutenir le développement. Il vaut mieux rester engagé et saisir les opportunités et les ouvertures là où elles se présentent. On est peut-être en train de passer de moments assez durs dans la façon dont ces régimes ont mené leurs relations extérieures jusque-là, à une « Realpolitik » où ils se rendent compte qu’ils ont besoin de pays comme la Suisse, qui ont une longue tradition dans la réponse à des défis non sécuritaires. Il faut jouer la carte du long terme, c’est une façon de rester auprès des populations car leur mémoire est plus longue que celle des institutions. D’autant plus que le non-engagement a aussi un coût : celui de se faire évincer par des compétiteurs stratégiques.

Comment voyez-vous les relations avec la Chine, la Turquie et la Russie à long terme ?

On parle de nouveaux alliés, mais en réalité ils ne sont pas si nouveaux que cela. Ces pays ont des relations avec le Sahel de longue date – l’URSS au moins depuis les indépendances. La Chine aussi, du fait de son intérêt pour les terres rares ou de ses investissements dans le pétrole au Niger et le sucre au Mali, par exemple, et ça ne va pas faiblir. La Turquie a de nouvelles ambitions, elle ne se limite pas à vendre des drones aux armées. A Niamey, le nouvel aéroport et l’hôtel Radisson ont été construits par les Turcs ces dix dernières années. Ces projets s’inscrivent dans une perspective longue qui va probablement continuer, mais ces acteurs ne s’engagent pas, pour l’instant, dans les mêmes domaines que les Occidentaux, à commencer par l’aide au développement. C’est avant tout du business, avec l’achat d’équipements militaires payés comptant par les Sahéliens. Les plus gros contributeurs de la coopération au développement au Mali sont les Etats-Unis. Si le gel de 90 jours de l’aide américaine décrété par Donald Trump se poursuit, cela compliquera une situation déjà précaire. Et il est peu probable que les Européens remplacent les Américains dans ce domaine, et encore moins les Chinois ou les Turcs.

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L’avenir de la coopération au développement

Le démantèlement de l’USAID remet la politique de développement à l’ordre du jour

30.04.2025, Coopération internationale

À l’occasion d'un débat de fond organisé au Club suisse de la presse à Genève, des directeurs·trices et des expert·e·s d'Alliance Sud et de ses membres ont exposé les conséquences dramatiques du retrait des États-Unis et d'autres pays de la coopération au développement. À l'avenir, il faudra faire face à davantage de crises avec des moyens réduits : une mission impossible. Que faire pour sortir la coopération internationale de l'impasse ?

Marco Fähndrich
Marco Fähndrich

Responsable de la communication et des médias

Le démantèlement de l’USAID remet la politique de développement à l’ordre du jour

De gauche à droite : Karolina Frischkopf, directrice de l'EPER, Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, Isabelle Falconnier, directrice du Club suisse de la presse, et Barbara Hintermann, directrice de Terre des hommes. © Amandine Lacroix / Club suisse de la presse

En seulement 100 jours, le nouveau président américain Donald Trump a réduit à néant de nombreuses avancées réalisées ces dernières années dans la lutte contre la pauvreté dans le monde. « Il est encore difficile d'évaluer précisément ses décisions et de savoir dans quelle mesure certaines activités de l'USAID seront poursuivies par le State Department », a déclaré Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud. Mais il est d'ores et déjà clair que ces coupes radicales auront une incidence directe sur les programmes suisses et leurs partenaires, avec des conséquences désastreuses pour les populations des pays les plus pauvres.

« L'arrêt brutal du financement du plus grand donateur humanitaire de la planète a des effets désastreux sur le système humanitaire mondial. Dans les régions en crise, des millions de personnes dépendant d’une aide humanitaire urgente perdent un soutien vital », a lancé Karolina Frischkopf, directrice de l'EPER.

 

 

Même des organisations telles que Caritas Suisse, qui ne reçoivent pas de financement direct de l'USAID, en ressentent les conséquences : « Les coupes budgétaires drastiques imposées à l'USAID et à d'autres donateurs internationaux ont profondément perturbé les opérations humanitaires au Liban et en Syrie, aggravant les souffrances et affaiblissant les institutions. Les organisations de développement sont désormais contraintes de faire des choix difficiles pour répondre aux besoins croissants », a déploré Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban.

Dina Hajjar, Verantwortliche von Caritas Schweiz im Libanon

Les coupes budgétaires drastiques ont profondément perturbé les opérations humanitaires, aggravant les souffrances et affaiblissant les institutions.

Dina Hajjar, responsable du bureau de Caritas Suisse au Liban

 

Des coupes budgétaires qui affectent 3,7 millions de personnes

Selon une enquête menée par Alliance Sud auprès de 24 ONG, les États-Unis doivent près de 15 millions de dollars à sept organisations pour des projets déjà mis en œuvre. De plus, cinq organisations ne peuvent pas mener à bien des projets prévus pour un montant total de près de 25 millions de dollars. Les coupes budgétaires américaines aggravent encore les réductions décidées par les Chambres fédérales en décembre 2024 : « On estime que près de 3,7 millions de personnes dépendant d’une aide d’urgence ne pourront plus être soutenues, par exemple dans les domaines de la santé, de l’approvisionnement en eau ou de l’aide alimentaire », a indiqué Andreas Missbach, se basant sur l'enquête auprès des ONG.

La coopération suisse au développement est donc confrontée à d’énormes défis et doit faire face à un nombre croissant de crises avec des fonds publics réduits. « Cette situation n’est pas tenable », a martelé Andreas Missbach. Il est d’avis que le Conseil fédéral doit enfin en prendre conscience et s'engager résolument en faveur d'une coopération bilatérale et multilatérale forte dans le domaine du développement. Les coupes budgétaires décidées par le Parlement doivent être annulées par un crédit supplémentaire. Et, selon lui toujours, un plan d'action visant à soutenir le système multilatéral doit être proposé pour la Genève internationale.

La cohérence des politiques : plus cruciale que jamais

La question de savoir si les revers sans précédent subis par le financement du développement pourraient également constituer à long terme une chance pour le développement autonome des pays les plus pauvres, qui doivent désormais compter davantage sur leurs propres ressources, a également été soulevée lors de l’échange avec les médias. La directrice générale de Terre des hommes, Barbara Hintermann, n'a pas exclu cette possibilité a priori, mais a mis en garde contre des tensions et des difficultés sociales à court terme. Elle place plutôt ses espoirs dans la créativité, l'innovation et la flexibilité des ONG du Sud global et du Nord : « Il est temps de renforcer les alliances de la société civile, d'intensifier la coopération, par exemple dans le domaine de la logistique, et de réduire les nombreux doublons dans l'évaluation des projets de développement », a-t-elle déclaré.

Mais tout le monde s'accorde à dire que cela ne suffira pas à compenser la baisse du financement public du développement. Pour cela, il faut désormais la solidarité de la population, comme elle l’a régulièrement exprimée dans les sondages d'opinion. Et une cohérence politique globale en faveur du développement durable. Car le financement du développement signifie bien plus que l'argent consacré à la coopération internationale et au financement dans le domaine du climat, selon Andreas Missbach. C’est ce que reflète le processus global des Nations Unies sur le financement du développement, qui a donné lieu à trois grandes conférences depuis le début du siècle. Une quatrième se tiendra fin juin à Séville. « Il ne s'agit pas seulement du financement public du développement (APD) au sens strict », a encore expliqué Andreas Missbach, « mais aussi de réformes fondamentales qui, en fin de compte, auront une incidence bien plus forte sur les ressources dont disposent les pays du Sud global que l'aide publique au développement ne l'a jamais fait. »

À l’ordre du jour figurent notamment la réforme du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, la dette et son allègement, les questions commerciales et un nouveau système fiscal dans le cadre de l'ONU qui permettrait aux pays les plus pauvres d'utiliser leurs propres ressources au lieu de les voir partir vers les centres financiers du Nord. Les questions de cohérence des politiques deviennent encore plus cruciales face au recul des dépenses publiques consacrées au développement et doivent être sérieusement abordées, en particulier par les pays riches comme la Suisse.

 

Événement

L'avenir de la coopération au développement après le démantèlement de USAID

15.04.2025, Coopération internationale

Le mardi 29 avril, de 10h00 à 11h30, Alliance Sud organise un événement au Club Suisse de la Presse à Genève. Des directeurs-trices et des expert-e-s d'Alliance Sud et de ses membres discuteront des défis actuels de la coopération internationale.

 

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Marco Fähndrich
Marco Fähndrich

Responsable de la communication et des médias

L'avenir de la coopération au développement après le démantèlement de USAID

Jusqu'à présent, un tiers de l'ensemble des fonds de développement de tous les pays de l'OCDE a été fourni par USAID.

© Keystone / AP / Ben Curtis

Avec la décision abrupte de fermer la plus grande agence de développement du monde (voir notre analyse), les Etats-Unis réduisent à néant de nombreux succès de la coopération au développement et affaiblissent substantiellement le système déjà fragile de l'ONU, en particulier les agences onusiennes à Genève, qui sont pour la plupart actives dans les thèmes de l'approvisionnement de base et de l'aide humanitaire.

Les organisations partenaires et les projets de la coopération suisse au développement sont également directement touchés. A cela s'ajoutent des coupes dans la coopération internationale suisse, décidées en décembre par le Parlement en faveur de l’augmentation du budget de l'armée, et qui ont pour conséquence que différents programmes par pays de la Suisse ne peuvent plus être poursuivis.

Comment les organisations de développement font-elles face à ces énormes défis ? Quelles sont les conséquences à court terme ? Et y a-t-il des opportunités à long terme pour la coopération au développement et la politique de développement suisses ?

Deux mois avant la 4e Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tiendra du 30 juin au 3 juillet 2025 à Séville, des directeurs-trices et des expert-e-s d'Alliance Sud discuteront des moyens de sortir la coopération internationale de l'impasse.

Intervenant-e-s :

Karolina Frischkopf, directrice de l'EPER
Barbara Hintermann, directrice de Terre des hommes
Dina Hajjar, responsable pays de Caritas Suisse au Liban
Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud

L'événement se déroulera en français et en anglais. Une inscription est nécessaire.

La boule de démolition américaine et la Suisse

Le silence dans la tempête

20.03.2025, Coopération internationale

Le démantèlement de l'engagement global des Etats-Unis doit préoccuper la Suisse, écrit Andreas Missbach. Les conséquences pour le multilatéralisme et la coopération au développement, et donc surtout pour les pays les plus pauvres, sont graves. Dans ce contexte, le Conseil fédéral ne doit pas miser sur le business as usual.

Le silence dans la tempête

Les Etats-Unis se retirent, les bouleversements mondiaux sont immenses. A Berne, le Conseil fédéral s’est tu et l’indignation du monde politique ne s’est pas manifestée. © Keystone / Anthony Anex

Selon le Financial Times, « à part la révolution culturelle chinoise, il n’y a que peu de parallèles dans l'histoire avec l'attaque contre l'Etat du soi-disant département de l’efficacité gouvernementale ». Face à la mainmise sur le pouvoir aux Etats-Unis, les comparaisons appropriées font défaut. Et parfois même les mots. Tentons la référence à la culture pop : « I came in like a wrecking ball » (Miley Cyrus).

Il serait vain d'essayer de dresser un inventaire de tout ce qui a été réduit en miettes par cette boule de démolition (wrecking ball). Attardons-nous donc sur un sujet peu abordé en Suisse, même s’il peut avoir de grandes répercussions dans notre pays : la suspension du « Foreign Corrupt Practices Act », la législation américaine visant à lutter contre la corruption. Sans cette législation, nous ne saurions pas ce que signifie l'expression « argent liquide à Baar » ! En fait, jusqu’en 2016, le siège de Glencore à Baar proposait un guichet où le personnel pouvait récupérer les pots-de-vin. Et c'est grâce à l’application du « Foreign Corrupt Practices Act » que Glencore a dû s’acquitter d’une amende de plus de 1,1 milliard de dollars après avoir reconnu sa culpabilité. Si le « nouveau shérif en ville » ne brandit plus cette menace, la tentation est grande de revenir à des pratiques qui ont fait leurs preuves dans le commerce des matières premières. Avec des conséquences désastreuses pour les pays les plus pauvres et leurs populations.

Politique étrangère d'hier et « business as usual »

Pour rester dans la culture pop : on peut dire qu’en Suisse règne « le silence des agneaux » (film de Jonathan Demme). Ou plutôt des sept agneaux. Il a fallu attendre près de deux mois avant d'avoir des nouvelles de Berne : « Le Conseil fédéral prend la situation géopolitique au sérieux », mais « la politique étrangère helvétique n'a pas changé », a-t-on ajouté aussitôt. Selon les médias, le Conseil fédéral disposait d'un document de discussion qui traitait également du retrait des Etats-Unis de l'OMS, du Conseil des droits de l'homme des Nations unies et de l'accord de Paris sur le climat ; les conséquences du gel des paiements de l'USAID y auraient été également abordées. Mais pas un mot à ce sujet dans la communication officielle. Au lieu de cela, le Conseil fédéral fait comme si de rien n'était et tente la variante suisse de « l’art de la négociation » : « La stratégie de la Suisse doit être d'avoir les portes ouvertes à l'UE, aux Etats-Unis et à la Chine » (Helene Budliger Artieda, secrétaire d'Etat du SECO).

Le démantèlement de la plus grande agence de développement du monde est un ouragan dans les pays du Sud global et reste une tempête en Suisse. Et l'indignation des politiques alors ? Des projets vitaux d'une organisation suisse de développement, d'un montant de 100 millions de francs, ne peuvent plus être poursuivis. Rien ne sera plus comme avant : « Si c'est le début de la fin de l'aide au développement, nous devrions nous concentrer sur le changement structurel », avertit Heba Aly, ancienne directrice canado-égyptienne du portail en ligne The New Humanitarian. « Une politique commerciale, fiscale et de la dette plus juste peut lutter contre les causes de l'inégalité. » C'est de cela qu'il s'agit maintenant. Et pour la Suisse, cela signifie tout sauf « business as usual ».

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LIGNES DIRECTRICES NORD-SUD

Un regard visionnaire sur le passé

25.03.2025, Coopération internationale

Les gouvernements de droite coupent dans leurs budgets de développement, mettant ainsi en péril la coopération internationale et le multilatéralisme. La Suisse ne fait pas exception. Un bref retour dans les archives montre qu'il y a trente ans, des idées progressistes circulaient encore au sein de la Berne fédérale.

Laura Ebneter
Laura Ebneter

Experte en coopération internationale

Un regard visionnaire sur le passé

L’atmosphère de renouveau du Sommet de la Terre de 1992 a gagné la société civile et la Suisse officielle : des protestataires au Sommet de Rio, au Brésil. © Dylan Garcia Travel Images / Alamy Stock Photo

Les mots anglais « peak aid » ou « post-aid world » sont sur toutes les lèvres lorsqu'il est question de l'état actuel de la coopération au développement. La faim, la pauvreté et la crise climatique progressent, et la réponse des pays du Nord est le repli sur soi, le réarmement et les guerres commerciales. Au bout du compte, tout le monde est perdant. Pourtant, il existe d'autres approches qui favorisent le développement durable dans les pays du Sud global. En Suisse, ces dernières avaient même réussi jadis à rallier une majorité. Le moment est venu de se rappeler des idées visionnaires du passé. Nous avons interrogé les « Lignes directrices Nord-Sud » du Conseil fédéral qui ont 31 ans. Toutes les réponses sont des citations tirées de ces lignes directrices de 1994.

Tenue en 1992 à Rio de Janeiro, la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement a marqué un tournant dans la politique environnementale internationale. Pourquoi cette conférence était-elle si cruciale ?

La Conférence de Rio a montré à un vaste public la globalisation des problèmes de notre environnement naturel. Les pays en développement y jouent un rôle important. Ils détiennent une grande partie des ressources naturelles et sont bien plus menacés que les pays industrialisés par les conséquences de la désertification, l'élévation du niveau de la mer ou les changements climatiques. La pauvreté, l'industrialisation et la croissance démographique portent une atteinte supplémentaire à l'environnement. En outre, il est admis qu'une généralisation du mode de vie occidental actuel n'est en principe plus concevable écologiquement.

La Suisse a élaboré des Lignes directrices Nord-Sud dans ce contexte. Quel est le message clé de ces lignes directrices ?

Les lignes directrices exposent les problèmes principaux d'une politique de développement à l'heure actuelle. Elles en montrent les conséquences et les champs d'action et établissent les principes directeurs que suivra à l'avenir une politique suisse de développement. Ce n'est plus seulement la coopération au développement qui est concernée, mais bien l'ensemble des relations de la Suisse avec les pays en développement.

De quoi s’agit-il précisément ?

Les dichotomies traditionnelles entre politique de l'environnement et politique économique, entre politique économique et politique des migrations, entre politique commerciale et politique de coopération au développement, entre politique intérieure et politique extérieure ne permettent plus de répondre aux problèmes actuels. Ce qu'il faut, c'est « une politique cohérente envers le Sud ». Formuler une telle politique revient à montrer les contradictions éventuelles entre des intérêts nationaux à court terme et les buts de la politique suisse de développement, puis à les intégrer, de façon aussi transparente que possible, dans les processus de décisions politiques. Une telle politique ne peut être mise en œuvre que si la population suisse réalise que notre prospérité dépend à long terme du destin du Sud.

D'aucuns diraient : « La Suisse a suffisamment de problèmes. Nous devrions d'abord veiller au bien-être de notre propre population. » Que répondez-vous à cela ?

Il n'est pas question d'abandonner les intérêts suisses. Cependant, dans un monde que caractérisent l'interdépendance et la mutation, nous devons en permanence, dans une perspective à long terme et globalement, redéfinir les intérêts afin de mieux les préserver et déterminer les actions qui en découlent afin de mieux les conduire.

Est-ce que la coopération au développement devient obsolète dès lors qu'il existe une politique de développement cohérente ?

Avant d'atteindre une croissance économique durable, les pays les plus pauvres dépendront longtemps encore de l'aide extérieure. Dans nombre de domaines, les ressources humaines et financières leur manquent. Les pays à revenu moyen ont également besoin de notre soutien pour améliorer leurs infrastructures économiques et sociales et pour protéger efficacement leur environnement. Notre aide publique au développement doit donc encore augmenter quantitativement et qualitativement.

Merci beaucoup pour cet entretien. Nous espérons vivement que notre Conseil fédéral prendra connaissance de ces idées du passé et réalisera que les problèmes urgents du présent ne peuvent être résolus que par une politique de développement cohérente et clairvoyante.

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Analyse sur le démantèlement de l'USAID

La coopération au développement est d'importance systémique

17.02.2025, Coopération internationale

Le démantèlement pur et simple de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a récemment fait couler beaucoup d’encre. Il apparaît désormais clairement que non seulement la manière dont l'agence a été supprimée était antidémocratique et illégale, mais aussi que les conséquences de cette décision sont dramatiques partout sur la planète. Malgré sa tradition humanitaire volontiers louée et son engagement en faveur du multilatéralisme à travers la Genève internationale, la Suisse officielle continue s’illustrer par son silence.

Kristina Lanz
Kristina Lanz

Experte en coopération internationale

La coopération au développement est d'importance systémique

Des manifestant.e.s demandent au Congrès américain de sauver l'USAID. © KEYSTONE / CQ Roll Call / Newscom / Tom Williams 

C’est en 1961 que John F. Kennedy a fondé l’USAID. Depuis, elle est devenue la plus grande agence de développement au monde. Avec un budget annuel de 40 milliards de dollars (soit moins de 1 % des dépenses publiques américaines), elle dispose d'environ 40 % de l'ensemble des fonds publics de développement de tous les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et voilà qu'en quelques semaines, elle a été complètement réduite à l’impuissance. Elon Musk, l'homme le plus riche du monde, qui dirige sans mandat officiel un « ministère » créé par Trump visant à améliorer l’efficacité du gouvernement (Department of government efficiency, DOGE), mène la campagne contre l'USAID. Dans une série de tweets haineux, il a qualifié l'agence de développement de « pomme grouillante de vers », de « nid de vipères » ou encore d’« organisation criminelle » et a exigé qu'elle disparaisse. Peu de temps après, il aurait envoyé un courriel à l’ensemble du personnel l’exhortant à ne pas se rendre au travail. Puis les événements se sont précipités. Des cadres ont été licenciés ou mis en congé. Le site web de l'USAID, son compte X et les comptes de messagerie du personnel sont soudainement devenus inaccessibles. En outre, Musk a obtenu illégalement l'accès aux données sensibles de l'agence en faisant pénétrer un groupe de jeunes spécialistes en informatique (les Doge Kids) dans les bureaux de l'USAID, de manière agressive et contre les ordres du personnel de sécurité. De la même manière, les Doge Kids ont obtenu des données sensibles des ministères de la santé, de l'éducation et des finances. Le sénateur Chuck Schumer a qualifié le groupe de « gouvernement fantôme non élu... qui procède à une prise de contrôle hostile du gouvernement fédéral ».

Même si l'arrêt des programmes de développement n’est officiellement valable que pour 90 jours et même si les « programmes humanitaires vitaux » peuvent demander une dérogation, les décisions prises par Trump et Musk semblent indiquer que l'USAID ne sera plus réactivée. Ainsi, plusieurs organisations partenaires ont fait savoir qu'elles ne pouvaient pas poursuivre leurs programmes malgré l’autorisation exceptionnelle, car le système de paiement de l'ensemble de l'organisation a été paralysé par les Doge Kids de Musk. En outre, dans un nouveau décret gouvernemental, Trump a entre-temps demandé à l'agence de suspendre les autorisations exceptionnelles supplémentaires. De manière cynique, seule l'aide militaire à Israël et à l'Égypte se poursuit sans changement. Dans l’intervalle, l’ensemble du personnel a été prié de rentrer aux États-Unis, le logo « USAID » a été retiré des bureaux de New York et l'agence est désormais désignée dans les communications officielles comme « l'ancienne USAID ». Cette agence, créée par le Congrès américain et dont le budget est approuvé chaque année par le Congrès, a été « jetée dans la déchiqueteuse » (pour reprendre les mots de Musk) en quelques semaines par un représentant du gouvernement non élu. Même si plusieurs plaintes ont été déposées aux États-Unis contre les agissements de Trump et Musk, il n'est pas certain qu'elles aient un effet réel. D'une part, une grande partie du pouvoir judiciaire est dominée par les républicains et, d'autre part, les déclarations du président Trump et de son vice-président Vance suggèrent que tout jugement des tribunaux visant à réduire le pouvoir exécutif de Trump serait ignoré.

Des conséquences dévastatrices dans le monde entier

La fermeture de l'USAID n'est pas seulement fatale d'un point de vue démocratique, elle a également des conséquences majeures dans le monde entier. Comme l'USAID mène de nombreux projets en collaboration avec d'autres organisations, le système de développement international dans son ensemble s'en trouve considérablement ébranlé. Outre les quelque 10 000 employé.e.s de l'USAID qui ont perdu leur emploi du jour au lendemain, des milliers de postes ont déjà été supprimés dans les organisations partenaires qui mettent en œuvre les projets de l'USAID. Selon les estimations, plus de 50 000 emplois ont déjà été perdus et ce chiffre devrait dépasser les 100 000 dans les mois à venir. Plusieurs centaines d'employé.e.s locaux ont également été licenciés par diverses ONG suisses. De nombreuses petites organisations partenaires dans les pays du Sud ont déjà fermé leurs portes.

Il n'est pas exagéré de dire que la fermeture de l'USAID a des conséquences potentiellement mortelles pour des millions de personnes. Prenons l'exemple du secteur de la santé, dans lequel l'USAID joue un rôle de pionnier : en raison de sa disparition, des millions de gens ne pourront plus se procurer des médicaments vitaux. L'autorité sanitaire africaine CDC Africa estime que deux à quatre millions de personnes mourront chaque année à cause de cette situation.

La fermeture soudaine de l'USAID a notamment pour conséquence que des tonnes de nourriture pourrissent dans des entrepôts, tandis que des centaines de milliers d'enfants attendent leur repas scolaire ou que 11.7 millions de filles et de femmes n'ont pas accès à la contraception, ce qui augmente considérablement le risque de grossesses non désirées et de complications à l'accouchement.

La couverture médiatique indépendante souffrira également énormément dans de nombreux pays. En 2023, l'USAID a financé la formation et le soutien de 6 200 journalistes, a aidé 707 chaînes d'information non gouvernementales et 279 organisations de la société civile qui œuvrent au renforcement des médias indépendants dans plus de 30 pays, dont l'Iran, l'Afghanistan et la Russie.

Davantage de risques en termes de politique de sécurité

Il est clair que ni Trump ni Musk ne se soucient du sort des gens ou de la disparition de nombreuses ONG dans les pays du Sud global. En Suisse également, certaines personnes opposées à la coopération au développement se réjouissent déjà et souhaitent la suppression de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Mais la fermeture brutale de l'USAID comporte également des risques majeurs pour la politique de sécurité à moyen et long terme, et ce partout sur la planète.

Ainsi, l'USAID est en grande partie responsable de la surveillance et de l'endiguement du virus Ebola en Afrique de l'Ouest ainsi que de la surveillance de la grippe aviaire dans 48 pays. Avec le retrait des États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), cela a des conséquences fatales et les risques de pandémie augmentent dans le monde entier.

La suppression de l'aide d'urgence vitale dans les zones de guerre et de crise peut aussi rapidement entraîner de nouvelles vagues de migration. Plusieurs spécialistes mettent déjà en garde contre le fait que le vide créé par la dissolution de l'USAID profitera à des pays comme la Chine et la Russie, qui seront alors ravis de prendre le relais avec leur rhétorique anti-occidentale habituelle.

La crise comme une opportunité ?

Le démantèlement de l'USAID intervient à un moment où la crise climatique s'aggrave dans le monde entier et où la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) semble de plus en plus hors de portée. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime désormais à 6,4 trillions de dollars le déficit de financement nécessaire pour atteindre les ODD d'ici 2030. Parallèlement, plusieurs pays européens, dont la Suisse, ont déjà réduit les fonds qu’ils consacrent au développement ces dernières années, et le déficit de financement international de la lutte contre le changement climatique ne cesse de se creuser.

De plus en plus d'États se retranchent derrière des intérêts nationalistes et la propagande d'extrême droite semble à nouveau être tolérée en maints endroits. Outre les avancées majeures réalisées dans les domaines de la diversité, de l'égalité des sexes et de la lutte contre le racisme, cette situation affecte aussi fortement la coopération au développement.

Bien sûr, le système de développement mondial a besoin de réformes. Les acteurs locaux doivent par exemple être davantage associés à la conception et à la mise en œuvre des projets. Un débat ouvert sur l'avenir de la coopération au développement est le bienvenu. Mais c’est exactement le contraire qui se passe avec l’USAID. La politique radicale de Trump et de Musk montre clairement non seulement les conséquences fatales de la suppression brutale d'une agence de développement dans le monde, mais aussi la rapidité avec laquelle une démocratie peut s'effondrer et l'idéologie et la rhétorique d'extrême droite s'imposer.

Il semble d'autant plus urgent que des pays comme la Suisse, qui se font un point d’honneur de mettre en avant leur démocratie et leurs valeurs humanitaires, prennent maintenant clairement position et condamnent fermement le démantèlement antidémocratique de l'USAID. La Suisse, qui héberge avec la Genève internationale un centre névralgique de la coopération internationale, est de plus désormais appelée, avec d'autres pays donateurs, à compenser financièrement la perte de l'USAID et à se positionner à long terme en tant que fervente partisane du multilatéralisme et de la démocratie. Ce n'est que de cette manière que la crise dans laquelle Trump et ses sbires semblent plonger le monde entier peut encore représenter une chance.

 

 

Communiqué

Renouveler le financement de l’UNRWA pour pérenniser le cessez-le-feu

13.02.2025, Coopération internationale, Financement du développement

À quatre jours de la réunion de la Commission de politique extérieure du Conseil des États (CPE-E), une dizaine d’organisations réaffirment la nécessité absolue de maintenir le financement de l’UNRWA pour pérenniser l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Les organisations remettent une lettre à la CPE lors d'une action pour appeler la Suisse à demeurer fidèle à sa tradition humanitaire.

Laura Ebneter
Laura Ebneter

Experte en coopération internationale

+41 31 390 93 32 laura.ebneter@alliancesud.ch
Renouveler le financement de l’UNRWA pour pérenniser le cessez-le-feu

Remise de la lettre à la porte de la Chancellerie fédérale. © Luisa Baumgartner / Alliance Sud

L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a procédé dès la fin janvier à l’évacuation de son siège dans le quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, et au redéploiement temporaire de son personnel international en Jordanie. Cette mesure fait suite à l’adoption par le Parlement israélien d’une loi inédite et contraire au droit international, interdisant la présence de l’UNRWA en Israël, ainsi qu’à Jérusalem-Est, que le pays occupe depuis 1967.

« La loi israélienne entre en vigueur à un moment où l'aide humanitaire est plus que jamais nécessaire. La vie, la santé et le bien-être de millions de Palestinien·ne·s sont en danger. La Suisse doit demander au gouvernement israélien de permettre à l'UNRWA d'exercer sur l'ensemble du Territoire palestinien occupé, tout en poursuivant son soutien financier à l'agence onusienne », déclare Michael Ineichen, responsable de plaidoyer à Amnesty Suisse.

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu à Gaza, l’UNRWA a acheminé 60 % de toute l’aide humanitaire parvenue dans le Territoire palestinien occupé. Elle y demeure le plus important acteur humanitaire. Seule l’agence onusienne dispose du réseau nécessaire pour délivrer des services tels que des abris d’urgence, des infrastructures d’assainissement, des soins et du matériel médical, et assurer la distribution de nourriture et d’eau. Le succès du cessez-le-feu dépend de cette aide essentielle.

Depuis l’arrêt de la Cour internationale de justice de janvier 2024, la Suisse a plus particulièrement l'obligation de prendre des mesures pour éviter un génocide et assurer une aide humanitaire à la population civile de Gaza. En tant qu’État dépositaire des Conventions de Genève, elle organise en outre une conférence des États parties aux Conventions de Genève dans le but de renforcer la protection de la population palestinienne. Une raison de plus de s’engager pleinement en faveur des droits humains des Palestinien·ne·s, notamment en contribuant à la livraison de biens et services de première nécessité.

« Amnesty International appelle donc la CPE à autoriser la poursuite du soutien à l’UNRWA. Une interruption de son financement serait en contradiction avec les engagements internationaux de la Suisse et saperait les efforts de paix et de stabilité dans la région. Le soutien de notre pays est d'autant plus nécessaire après la décision du président américain Trump de mettre fin au financement de l’agence onusienne », conclut Michael Ineichen.

Les organisations suivantes ont signé la lettre ouverte à la CPE-E : Alliance Sud, Forum pour les droits humains en Israël/Palestine, Frieda – L’ONG féministe pour la paix, Association Suisse-Palestine, Groupe pour une Suisse sans armée GSsA, Ina autra senda - Swiss Friends of Combatants for Peace, Jüdische Stimme für Demokratie und Gerechtigkeit in Israel/Palästina JVJP, Médecins du Monde Suisse, medico international suisse, Palestine Solidarity Switzerland, Peace Watch Switzerland

En avril 2024 déjà, les organisations porteuses de la lettre remise aujourd’hui à la CPE ont déposé une pétition pour un cessez-le-feu et la poursuite du financement de l'UNRWA au Conseil fédéral et au Parlement munie de plus de 45 000 signatures. En octobre, certaines de ces organisations ont exposé les conséquences d'un retrait suisse du soutien à l'UNRWA dans une lettre ouverte à la même commission.

 

Communiqué

Coopération au développement : nul ne peut faire aussi bien avec moins

29.01.2025, Coopération internationale, Financement du développement

La DDC et le SECO ont fait savoir aujourd'hui comment ils allaient appliquer les coupes dans la coopération internationale décidées par le Parlement. Les conséquences dramatiques pour les populations dans les pays et les programmes concernés sont minimisées.

Coopération au développement : nul ne peut faire aussi bien avec moins

Malgré la situation politique incertaine et les inondations dangereuses, la suppression du programme de développement bilatéral au Bangladesh est notamment justifiée par les « besoins réels sur place ». © Keystone / EPA / STR

Pour éviter tout malentendu : la responsabilité des coupes de 110 millions de francs dans le budget 2025 et de 321 millions dans le plan financier des années à venir est entièrement imputable à la majorité bourgeoise du Parlement qui a pris ces décisions. En revanche, l'affirmation selon laquelle « en établis­sant des priorités de manière ciblée, il sera tout de même possible de maintenir dans une large mesure les effets attendus de la coopération internationale (CI) » donne un mauvais signal. La coopération au développement qui peut être menée malgré les restrictions budgétaires reste certes efficace. Mais il est tout aussi clair que l'on ne peut pas faire autant avec 110 millions de moins. Et il est évident que ce sont les populations du Sud global qui en subiront concrètement les conséquences si des projets à succès doivent être interrompus.

Les « besoins sur place » n'ont à coup sûr pas diminué au Bangladesh et en Zambie, deux pays dans lesquels les programmes de la DDC doivent être abandonnés. Le Bangladesh connaît une situation d'insécurité politique qui affecte l'industrie textile, centrale pour le pays. La Zambie souffre d'une crise de la dette. Selon le Fonds monétaire international, il existe toujours « (a) high risk of overall and external debt distress ». Cela s'explique aussi par le fait que le pays a souffert et souffre encore de l'évasion fiscale agressive de groupes étrangers. Glencore, par exemple, n'a jamais payé d'impôts sur les bénéfices en Zambie, même lorsque les prix du cuivre y atteignaient des sommets. Les deux pays sont en outre particulièrement touchés par la crise climatique, qui menace les avancées antérieures en matière de développement. Le Bangladesh à cause des tempêtes et de l'élévation du niveau de la mer et la Zambie parce que la production d'électricité a fortement reculé, le débit des rivières étant bien moindre.

Au plan multilatéral également, les réductions ne peuvent pas être ignorées sans conséquences. Les paiements à ONUSIDA sont par exemple suspendus. Or, le sida reste l'une des principales causes de mortalité en Afrique et près d'un cinquième des patientes et des patients africains atteints du VIH ne reçoivent toujours pas les médicaments qui pourraient les sauver. D’autres « coupes transversales » sont également prévues et les contributions de base des ONG sont concernées, même si le conseiller fédéral Cassis a déclaré l'été dernier au Parlement que ces organisations partenaires contribuent à la mise en œuvre de la stratégie de la CI à moindre coût. En clair, cela signifie concrètement que les familles paysannes n'ont pas d'approvisionnement en eau sûr pour lutter contre la crise climatique, que les jeunes n'ont pas de place de formation et que davantage d'enfants se couchent le ventre vide. Il ne s'agit pas de rassurer les responsables des coupes budgétaires, mais de les obliger à regarder cette réalité en face.

Pour plus d’informations :

Andreas Missbach, directeur, Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch

Tied Aid dans la CI

À qui profitent les fonds de développement suisses ?

29.11.2024, Coopération internationale

L'aide liée à des contreparties est mal vue depuis des décennies dans la coopération internationale. Mais cela ne semble guère déranger les pays donateurs. Bien au contraire. En Suisse aussi, l'aide liée redevient acceptable. Eclairage de Laura Ebneter

Laura Ebneter
Laura Ebneter

Experte en coopération internationale

À qui profitent les fonds de développement suisses ?

Pas encore d’aide économique pour les entreprises suisses : en mars 2022, après le début de la grande offensive russe contre l’Ukraine, la Suisse a livré des biens de secours humanitaires.
© Keystone / Michael Buholzer

 

« Lorsque nous coopérons au développement, nous voulons avant tout donner des mandats à l'économie locale. Mais ici, il s'agit de la reconstruction [de l'Ukraine]. Nous sommes donc dans une autre logique », a déclaré Helene Budliger-Artieda, directrice du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), lors d'une interview accordée à la Radio et Télévision Suisse alémanique (SRF) en été 2024. L'entretien portait sur les projets du Conseil fédéral en matière d’aide à l'Ukraine. Celui-ci prévoit de consacrer 1,5 milliard de francs au soutien de l'Ukraine au cours des quatre prochaines années. Sur cette somme, 500 millions devraient profiter à des entreprises suisses actives en Ukraine. Est-ce encore de la coopération au développement ou de la promotion des exportations ?

Il est ici question de la très décriée aide liée (tied aid), autrement dit de fonds de développement liés à la condition d'achat de biens et de services auprès des pays donateurs. C'est la raison pour laquelle on parle souvent de bons d'achat. Les pays partenaires n'ont pas d'autre choix : dans une situation d'urgence, on prend aussi les bons d'achat de la Migros, même si cela nuit au magasin de son propre village, qui serait bien plus crucial à moyen terme pour la population locale.

Mauvaise affaire pour le Sud global

Toutes les estimations disponibles aboutissent au même constat : lorsque les biens et les services doivent être achetés dans les pays donateurs, les projets coûtent 15 à 30 % de plus que si les pays pouvaient choisir un fournisseur. Mais la coopération sans contrepartie ne renforce pas seulement l'efficacité de l'utilisation des ressources et l'autodétermination des pays partenaires. En encourageant les entreprises et les marchés locaux, elle crée des incitations positives supplémentaires qui vont au-delà des résultats des projets. Si les fournisseurs locaux sont pris en compte, il y a en outre moins de problèmes pour l'acquisition de pièces de rechange, car les chaînes d'approvisionnement sont nettement plus courtes. Dans le cas contraire, les coûts de maintenance sont supérieurs et peuvent rendre un succès à long terme impossible si les fonds manquent une fois le projet mené à terme.

Les leçons de l'histoire ne nous ont-elles rien appris ?

L'aide liée s'inscrit dans un débat vieux de plusieurs décennies sur l'efficacité du financement du développement. Au fond, il est question de deux préoccupations étroitement liées : d’abord de celle d’une coopération internationale tournée vers l'avenir et basée sur des principes d'efficacité et d'efficience. Le débat sur l'aide non liée touche donc aussi à l'agenda de la décolonisation : les pays partenaires doivent pouvoir décider eux-mêmes de leur trajectoire de développement. Et ensuite de la préoccupation des effets de distorsion potentiels lors de l'attribution de fonds liés à l'exportation de biens et de services en provenance des pays donateurs.

Et il est aussi question de lutte à armes égales. En effet, les pays qui renoncent à la pratique de l'aide liée — c'est-à-dire qui font des appels d’offres internationaux — critiquent à juste titre le fait qu'ils seraient désavantagés si d'autres pays ne faisaient pas de même. Ainsi, les fournisseurs suisses n'ont qu'un accès limité à d'autres marchés, alors que les fournisseurs internationaux accèdent aisément aux marchés publics suisses.

En 2001, afin de procéder de manière coordonnée au niveau international, l'OCDE s'est mise d'accord sur la Recommandation sur le déliement de l'aide publique au développement (APD) [Recommendation on Untying Official Development Assistance (ODA)]. L'objectif de cet accord commun était (et reste) d'attribuer le plus possible de fonds de développement non liés et de renforcer ainsi l'efficacité et l'efficience de la coopération internationale. En effet, la communauté internationale s'accorde à dire que cette forme de financement public du développement est paternaliste, coûteuse et inefficace.

Des voies opaques mènent à l’intérieur du pays

En comparaison internationale, la Suisse fait jusqu'à présent bonne figure en termes de chiffres officiels de l'aide non liée. Selon une analyse de l’OCDE, notre pays a attribué 3 % de ses fonds de manière liée en 2021 et 2022. Cette analyse ne donne cependant qu'une image incomplète, car le nombre ne comprend que l'attribution de fonds clairement liés. Il existe également des moyens informels de donner la préférence aux fournisseurs nationaux. Le cercle des candidats peut par exemple être contrôlé par la langue de l'appel d'offres, l'ampleur financière des projets ou le choix du canal de communication.

Il n'existe pas de vue d'ensemble précise de l'ampleur de l'aide liée de manière informelle. Les statistiques d'adjudication permettent toutefois d'estimer la part des fonds ayant fait l’objet d’appels d’offres qui revient à des prestataires nationaux. En 2018 — on ne dispose pas de données plus récentes —, selon les évaluations du Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), 52 % de tous les fonds non liés ont été adjugés à des fournisseurs dans le pays même. La Suisse se situe dans la moyenne avec 51 %. Au total, seuls 11 % sont allés directement à des fournisseurs dans des pays partenaires.

En Suisse, l'aide non liée a longtemps fait l'unanimité. Dans le projet actuel de stratégie de coopération internationale (stratégie CI) 2025-2028, on peut lire en effet : « Elle [la CI] est cohérente avec le droit commercial international, qui vise à empêcher les subventions génératrices de distorsions commerciales en faveur des entreprises suisses. [...] La Suisse prend en compte les recommandations de l’OCDE « DAC Recommendation on Untying Official Development Assistance. » Cette profession de foi semble n'avoir servi que pour la galerie dans les décisions relatives aux fonds ukrainiens destinés aux entreprises suisses, puisque quelques semaines après la publication de la stratégie CI, le Conseil fédéral a écrit dans un communiqué de presse : « Un rôle de premier plan devrait être accordé au secteur privé suisse dans la reconstruction de l’Ukraine ». Avec une telle intention, la Suisse entend aussi réintroduire formellement l'aide liée (voir l'article de Laurent Matile, #global93).

Financement de base parfois controversé

Selon les directives de l'OCDE, le financement de base versé à des organisations non gouvernementales issues de pays donateurs n’est pas considéré comme de l'aide liée, car ces organisations travaillent dans l'intérêt public et n'agissent pas à des fins lucratives. Ce traitement de faveur est toutefois contesté au niveau international. Ces derniers mois, le mouvement international #ShiftThePower a exigé que davantage de fonds de développement soient versés directement à des organisations du Sud global. Aussi justifiée que soit cette revendication, il vaut la peine d'analyser de plus près la manière dont les fonds peuvent parvenir aux organisations partenaires dans le Sud global. Car le fait de procéder à des appels d’offres pour davantage de projets et de programmes au niveau international ne signifie pas automatiquement que les organisations du Sud global obtiennent le marché. C'est pourquoi il faut s'assurer que des processus d'adjudication soient mis en place pour permettre aux petites organisations du Sud global de recevoir un financement de base et de ne pas rester cantonnées au rôle de partenaires de mise en œuvre des projets. Les ONG suisses en particulier, qui ont toutes des partenariats solides et de confiance de longue date avec d'innombrables organisations du Sud mondial, jouent ici un rôle crucial de relais.

Vers un avenir sur un pied d’égalité ?

De nombreux pays ne cachent pas qu'ils lient leur financement du développement à des intérêts de politique étrangère. En 20222, Carsten Staur, le président danois du Comité d'aide au développement de l'OCDE, a déclaré dans une interview qu’il n'y avait jamais eu d'aide publique au développement dans l’histoire qui n’ait pas poursuivi d'une manière ou d'une autre des objectifs de politique étrangère et de sécurité.

Il est intéressant de noter que l'aide liée en Suisse est précisément réclamée par les partis politiques qui prônent par ailleurs des règles commerciales libérales. Dans le cas de la coopération internationale, celles-ci ne devraient soudain plus s'appliquer. Et les voix qui affirment qu’elle n’est pas efficace sont, avec de telles décisions politiques, coresponsables du fait que les moyens destinés à la CI peuvent être utilisés avec une efficacité moindre.

Pour pouvoir coopérer durablement, efficacement et sur un pied d'égalité, les pays partenaires doivent pouvoir définir eux-mêmes leurs propres trajectoires de développement. Le fait que nous devions définir en Suisse ce dont les pays partenaires « ont besoin » ne reflète pas les débats internationaux sur une coopération internationale en prise sur l'avenir. Il importe également de comprendre que l'aide liée est inefficace et coûteuse. Il est donc grand temps d’abandonner cette approche et d'investir dans des partenariats à long terme, d’égal à égal.

 

On parle d'aide liée (tied aid) lorsque l'octroi de fonds est soumis à la condition que les biens et les services soient achetés auprès de fournisseurs du pays donateur. Mais il existe également d'autres formes de conditionnalité, plus précisément lorsque les pays donateurs imposent des directives concernant des mesures anti-corruption, une politique de libre-échange et de libéralisation ou le respect des principes démocratiques. La conditionnalité des fonds de développement est également un instrument stratégique permettant d'atteindre des objectifs de politique étrangère dans les pays du Sud global. Mais cette méthode est rarement bien accueillie par les pays partenaires, car elle empiète sur le droit à l'autodétermination nationale. C'est entre autres pour cette raison que de nouveaux pays donateurs, comme la Chine, qui ne fixent que peu ou pas de conditions, sont des plus appréciés.

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Communiqué

Politique d'austérité sans projet : maintenant aussi au détriment de l'Ukraine

12.12.2024, Coopération internationale

Le Conseil des Etats et le Conseil national ont procédé jeudi à des coupes drastiques dans la coopération internationale. Selon le Conseil national la population ukrainienne victime de la guerre devrait également souffrir de ces mesures d'austérité. Le Parlement a perdu sa boussole humanitaire.

Politique d'austérité sans projet : maintenant aussi au détriment de l'Ukraine

Lors de la visite officielle du président ukrainien Volodymyr Selenskyj à Berne en janvier 2024, les parlementaires avaient encore réaffirmé la solidarité de la Suisse.

© Services du Parlement  / Monika Flückiger

 

Ce matin, deux décisions graves ont été prises : le Conseil des Etats veut économiser 71 millions de francs dans le budget de la coopération internationale (CI) pour l'année prochaine. Dans le même temps, le Conseil national a décidé, dans la procédure d'élimination des divergences sur la stratégie de coopération internationale 2025-2028, d'économiser au total 351 millions de francs dans la CI. Sur ce montant, 151 millions doivent être coupés dans la Direction du développement et de la coopération (DDC) et 200 millions dans l'aide à l'Ukraine. Concrètement, cela touche aussi l'aide humanitaire en Ukraine. Cette décision est d'autant plus choquante que le Conseil national veut exclure de l'exercice d'économie le soutien d'entreprises suisses à l'aide à l'Ukraine.

Pour Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, le Parlement a perdu toute perspective : « Le Conseil national préfère attribuer l'argent destiné à l'Ukraine à des entreprises suisses plutôt qu'accorder protection et aide à la population ukrainienne souffrant du froid ».

Alliance Sud demande au Parlement de revenir sur ces coupes dans la suite de l'élimination des divergences.

 

Pour plus d'informations :
Andreas Missbach, directeur, Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch