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Opinion
Un jour d'été dans le sud – et la guerre continue
05.07.2022, Coopération internationale
Il faut le reconnaître : Ignazio Cassis s'est donné à fond pour "sa" conférence de Lugano. Il est grand temps que le président de la Confédération fasse preuve de la même énergie pour lutter contre la crise alimentaire mondiale et pour l'Agenda 2030.
Après tout le battage effectué à l'occasion de la conférence sur l'Ukraine à Lugano, les diplomates suisses se taperont sans doute mutuellement dans le dos - même si les grands noms de la politique internationale ont finalement fait défaut. Rien d'étonnant à cela, puisque le ministre suisse des Affaires étrangères a lui aussi séché la conférence internationale sur la crise alimentaire à Berlin. Malgré tout, la "Déclaration de Lugano" a au moins atteint un objectif et fixé les conditions politiques pour la reconstruction démocratique en Ukraine, dans laquelle la société civile internationale et locale jouera un rôle central.
La fin de la guerre semble toutefois encore lointaine et d'ici là, la reconstruction ne pourra pas être entamée de manière globale et durable. Il faut continuer à atténuer autant que possible les conséquences dramatiques, en Ukraine comme à l'échelle mondiale. Et il y a aussi beaucoup à faire en Suisse, car sa place financière et son négoce de matières premières rendent souvent possible la conduite de la guerre et la corruption ailleurs. Justement aussi à Lugano, ce que Ignazio Cassis a brillamment occulté ces deux derniers jours.
La population veut plus de coopération internationale
La population suisse a fait preuve d'une grande solidarité envers l'Ukraine : jusqu'à présent, elle a mis à disposition près de 300 millions de francs suisses sous forme de dons aux organisations d'aide. La Suisse officielle a certes annoncé à Lugano qu'elle doublerait la coopération bilatérale pour la porter à 100 millions ; on ne comprend toutefois pas l'intention de prélever cet argent du budget actuel de la coopération internationale.
Le Parlement suisse veut consacrer deux milliards supplémentaires par an à sa propre armée à partir de 2030 ; mais pour une politique de paix globale dans le monde entier, comme le souhaite une majorité de la population, les politiques ne sont pas prêts à mettre la main à la poche. Même si le soutien à la reconstruction et à la population civile en Ukraine est important - 50 "petits millions" supplémentaires ne sont certainement pas suffisants -, il est essentiel que cet argent soit alloué en plus et ne se fasse pas au détriment des tâches tout aussi urgentes dans d'autres pays.
Un agenda trop chargé pour l'Agenda 2030 ?
Le Forum politique de haut niveau sur la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (Agenda 2030) débute aujourd'hui à New York. Malheureusement, le président de la Confédération ne sera pas présent à cet événement important, car des choses apparemment plus importantes l'attendent. Espérons qu'il en profitera pour réfléchir à une politique de paix globale pour la Suisse et qu'il profitera de quelques jours d'été dans sa commune de résidence de Collina d'Oro, où le prix Nobel de littérature Hermann Hesse a également vécu et écrit peu après la Première Guerre mondiale :
« En temps de paix, lorsque nos compatriotes devenus riches pouvaient encore voyager sans entraves, on ne rencontrait aucun d'entre eux dans le sud en été. En été, selon une sombre rumeur, le sud était insupportablement chaud et rempli de fléaux fantastiques, et l'on préférait s'asseoir dans le nord ou passer l'été à geler dans un hôtel alpin à deux mille mètres d'altitude. Aujourd'hui, c'est différent, et ceux qui ont eu la chance d'exporter leur personne et leurs gains de guerre vers le sud y restent et profitent des bienfaits de cet été, sous le soleil de Dieu qui tolère tout. Nous, les vieux Allemands de l'étranger, sommes relégués à l'arrière-plan, et nous ne sommes pas vraiment présentables, même avec nos visages soucieux et les franges de nos pantalons. En revanche, notre peuple est brillamment représenté par ces mêmes messieurs qui ont acheté ici des maisons, des jardins et le droit de cité à l'aide de l'argent qu'ils ont emporté clandestinement à temps". (Extrait traduit de : Journée d'été dans le sud, Tessin, 1919).
Opinion
Le moment est venu d’un changement
03.10.2022, Coopération internationale
L'Amérique latine en a assez des inégalités, de l'injustice et de la corruption des gouvernements de droite qui font fi des besoins réels de leurs populations, écrit la journaliste guatémaltèque Mariela Castañón.
Couvre-feu après des manifestations contre un projet d'extraction de nickel, en octobre 2021. La police fouille un homme à un point de contrôle à El Estor, dans la province côtière septentrionale d'Izabal, au Guatemala.
© AP Photo/Moises Castillo
Ces dernières années, des gouvernements de gauche ont remporté les élections dans des pays comme le Mexique, la Bolivie, le Pérou, le Honduras, le Chili et la Colombie. Cette réalité reflète la revendication sans équivoque de la population de donner la priorité à la politique sociale.
On sent une évidente lassitude à l'égard des gouvernements de droite qui, non seulement n'ont rien laissé à leurs populations, mais ont au contraire pillé les caisses de l'État pour s'enrichir eux-mêmes. Même si chaque pays a ses propres raisons d'élire un nouveau gouvernement, les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont similaires. Il s'agit de la pauvreté, de l'extrême pauvreté et de l'inégalité.
La pandémie de coronavirus a exacerbé les problèmes contre lesquels nous nous battons depuis des décennies en Amérique latine. L'effondrement des systèmes de santé et d'éducation, le chômage, le manque de logements décents et la pénurie alimentaire sont autant d'éléments qui expliquent pourquoi les gouvernements de gauche doivent sans plus attendre apporter le changement.
Avec une régularité de métronome, la droite politique s'allie à l'élite privilégiée et corrompue, qui ne se préoccupe pas du bien-être des couches les plus pauvres de la population, mais s’attache plutôt à accumuler des richesses et à défendre ses propres intérêts et ceux de ses complices.
Il faut désormais veiller à ce que des changements dignes de ce nom se produisent et que les discours des représentantes et représentants de la gauche au gouvernement soient suivis d'actions — et non de populisme, de démagogie et d'autoritarisme, comme nous l'avons également vu —pour le bien de la population.
Le Nicaragua est un exemple de ces pays au régime autoritaire qui répondent à la critique par un arbitraire brutal. Aujourd'hui, il n'est plus un exemple parfait d'identification avec la gauche, comme ce fut le cas autrefois. D'innombrables personnes sont actuellement en prison au Nicaragua pour s'être rebellées contre le régime de Daniel Ortega et Rosario Murillo ; d'autres ont été contraintes à l'exil. L'oppression et la violence auxquelles sont confrontés nos frères et sœurs d'Amérique centrale sont sans limites. Les voir souffrir de la sorte nous remplit de douleur. De nombreux autres pays ont suivi une voie similaire.
Entre doute et espoir
Il est difficile de prédire ce que la gauche latino-américaine peut faire en général, car bien qu'un changement soit recherché, la politique n'est pas à l'abri d'événements inattendus. C'est à nous d'observer les dirigeantes et dirigeants que nous avons élus et d'agir en tant que citoyennes et citoyens engagés et responsables. Il n’est évidemment pas facile de s'engager en tant que citoyenne, activiste sociale ou journaliste dans des pays où l'oppression et la violence sont monnaie courante et où nos droits humains et les garanties constitutionnelles sont bafoués.
Dans mon pays par exemple, le Guatemala, une nation d'Amérique centrale de plus de 17 millions d'habitants, la peur nous accompagne en permanence lorsque nous critiquons les dirigeants corrompus ou que nous défendons les milieux de vie et les droits des communautés indigènes.
En mars 2022, nous avons appris l'existence des « Mining Secrets », un projet « Green Blood » coordonné par le réseau « Forbidden Stories » en collaboration avec 40 journalistes, hommes et femmes, du monde entier. Il a mis en lumière les scandales environnementaux des entreprises minières. Les journalistes qui relataient les protestations de la population contre une entreprise minière locale, filiale du groupe Solway, basé en Suisse et dirigé par des ressortissants russes et estoniens, ont été harcelés par les autorités guatémaltèques et des personnes liées à l'entreprise.
«Forbidden Stories» s'est vu remettre des centaines de documents par un collectif de pirates informatiques appelé Red Macaw, du nom d'une espèce de perroquet indigène. Ces documents provenaient apparemment de la filiale du groupe Solway et révélaient comment les journalistes qui informaient sur l'entreprise minière étaient fichés, surveillés et même suivis par les services de sécurité de celle-ci.
On s’est aperçu que l'entreprise avait budgété un montant pour la surveillance par drone de la population locale et des journalistes. La divulgation de ces informations brosse un tableau d'impunité et de protection des auteurs. Les abus commis contre la presse, l'environnement et la population guatémaltèque sont restés sans conséquences.
« Mining Secrets » a également découvert des études scientifiques et des amitiés achetées grâce aux « généreuses » donations de l'entreprise. Les stratégies utilisées par la mine pour expulser et stigmatiser des familles afin d'accéder aux gisements de ferronickel situés sous leurs maisons ont en outre été rendues publiques.
Il est certain que la crise environnementale et le réchauffement climatique nous obligent à changer notre mode de vie et à renoncer à la politique industrielle qui nuit à l'environnement et à la vie des populations, ainsi exposées à des risques. Mais le Guatemala semble n’avoir pas encore pris conscience de ces dommages et du fait que les gouvernements accordent des licences pour poursuivre des activités minières incontrôlées qui, tôt ou tard, entraîneront des coûts élevés.
L'intégrité et la vie des activistes sociaux, des citoyennes et citoyens engagés et des journalistes sont constamment en danger, car la dénonciation publique, l'activisme et les informations véridiques et actuelles dévoilent les agissements de puissantes entreprises, assez souvent protégées par l'État lui-même. Il en résulte une surveillance et des menaces, et il n'est pas rare que ces activistes, citoyens et journalistes paient leur engagement de leur vie.
Un véritable changement
Citoyen-ne-s du Sud global, nous avons la force de continuer à nous battre pour nos causes et nous ne perdons pas l'espoir de voir un jour arriver au pouvoir des gouvernements dont la politique sociale place l'être humain au centre. L’avènement de gouvernements de gauche reflète l'urgence et le désir de surmonter les inégalités et les injustices que les gouvernements de droite, tristement célèbres pour leur inaction et leur corruption, nous ont fait subir.
Reste à espérer que les gouvernements de gauche inverseront les politiques menées par leurs prédécesseurs, faute de quoi des millions de personnes sur le continent connaîtront de nouvelles désillusions. L'Amérique latine a besoin de dirigeants capables, porteurs de stratégies transparentes et légitimes pour transformer les systèmes de santé, d'éducation, d'alimentation, de sécurité et autres, afin que le changement soit fructueux.
© Mariela Castañón
La journaliste guatémaltèque Mariela Castañón est professeure de déontologie de la communication à l'Université Rafael Landívar et a participé cette année au programme d’échange de journalistes entre la Suisse et des pays d’Ailleurs (EQDA).
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Global, Opinion
Les « rois nus » du Sri Lanka
04.10.2022, Coopération internationale
Mi-juillet, le président Gotabaya Rajapaksa a fui le Sri Lanka comme un chien raqué. Début septembre, il est rentré d’exil. Pendant près de deux décennies, lui et ses frères avaient tenu d’une main de fer les rênes du pays, écrit Karin Wenger.
Manifestants dans la piscine du palais présidentiel à Colombo, après l'avoir pris d'assaut en juillet 2022.
© KEYSTONE-SDA/EPA/CHAMILA KARUNARATHNE
Ce sont des scènes de colère et de triomphe qui se déroulent ce 9 juillet 2022 dans la résidence du président sri-lankais Gotabaya Rajapaksa : des gens pataugent dans la piscine, d'autres dansent sur la pelouse devant la villa ou font la sieste dans le lit à baldaquin du président. Des milliers de personnes se sont introduites dans la résidence et réclament à cor et à cri la démission de Rajapaksa. Elles le tiennent, lui et sa famille, pour responsables de la crise économique la plus grave que le Sri Lanka ait connue depuis son indépendance en 1948.
En mai, lourdement endetté, le pays est devenu pour la première fois insolvable. Impossible donc pour le gouvernement de continuer à payer des importations majeures comme le carburant, les médicaments et le gaz de cuisson. Les gens ont dû cuisiner au bois et faire la queue pendant des heures pour acheter du carburant ou des médicaments essentiels — quand ils en trouvaient. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour manifester contre le gouvernement et ont pris la résidence présidentielle d’assaut. Peu après, à bord d’un avion de l’armée, le président a fui précipitamment vers les Maldives, puis à Singapour, où il a annoncé sa démission. C'était la fuite d'un homme et la chute d'une famille régnante qui a tenu les rênes du Sri Lanka pendant près de vingt ans comme s’il s’était agi d’une entreprise familiale.
La contestation bâillonnée
J'ai fait personnellement l'expérience de l’arrogance des Rajapaksa en 2010. À l'époque, connu pour ses crises de colère, Gotabaya était encore ministre de la défense, et son frère Mahinda était président depuis 2005. D'autres frères occupaient des postes en vue au sein du gouvernement. En mai 2009, les Rajapaksa avaient fait écraser les Tigres tamouls avec une extrême brutalité. Selon l'ONU, les troupes gouvernementales ont tué près de 40 000 civils tamouls au cours des derniers mois de la guerre. La majorité de la population du pays continuait toutefois à vénérer le président Mahinda et son frère Gotabaya, car ils avaient mis fin à la guerre civile qui durait depuis 26 ans. Tout le reste semblait anecdotique.
À l'époque, en janvier 2010, je m'étais rendue au Sri Lanka comme correspondante de la radio SRF pour l'Asie du Sud, afin de relater les élections présidentielles. La réélection de Mahinda Rajapaksa ne faisait quasiment plus aucun pli ; il réduisait pourtant au silence tous ceux qui le critiquaient : l'hôtel où se trouvait son opposant politique Sarath Fonseka a été encerclé par l'armée ; on n’a plus entendu les voix des journalistes critiques ; le ministre de la défense Gotabaya a menacé de brûler le bâtiment du journal d'opposition Lanka. Lorsque j'ai posé deux questions critiques lors d'une conférence de presse du gouvernement, on m’a fait remettre le soir même une lettre par un employé de l'hôtel et j’ai été expulsée du pays. Ce n'est que grâce à la pression des médias internationaux, qui ont rapporté cette expulsion, que le gouvernement a finalement fait volte-face. Mahinda Rajapaksa en personne m'a invitée à dîner.
Peu après les élections, je me suis donc retrouvée assise à une longue table blanche avec le président réélu Mahinda Rajapaksa. Il a siroté sa soupe et mastiqué bruyamment ses réponses au microphone. Il s’est jovialement moqué des questions sur les crimes contre les droits humains commis par son gouvernement et a déclaré à la place : « Je veux accélérer le développement de mon pays, c'est la priorité des priorités. J'ai demandé à tous les pays d'investir au Sri Lanka et je veux promouvoir le tourisme ». Mais de nombreux pays occidentaux étaient sceptiques et liaient leurs engagements au respect – si longtemps bafoué - des droits humains par le gouvernement sri-lankais. La Chine n'a pas posé de telles exigences et elle est donc devenue l'un des bailleurs de fonds majeurs du pays au cours des dernières années. Les crédits chinois ont permis de financer des projets onéreux qui ont peu profité au pays, mais beaucoup à l'ego des Rajapaksa.
Mauvais pour le Sri Lanka, bon pour la Chine
Grâce à un prêt chinois de plus d'un milliard de dollars, le gouvernement a par exemple fait construire un gigantesque port en eau profonde à Hambantota, la ville natale des Rajapaksa dans le sud du pays. Les puissances occidentales et l'Inde craignaient que la Chine ne renforce ainsi non seulement sa puissance économique, mais aussi sa force militaire dans l'océan Indien.
Une inquiétude qui s'est avérée fondée : en 2017, le Sri Lanka a dû louer le port à la Chine parce que le gouvernement n’était pas à même de rembourser le prêt de plusieurs milliards. À l'époque, Mahinda Rajapaksa n'était déjà plus président. Il avait perdu les élections de 2015. Mais en 2019, la famille Rajapaksa a fait son retour dans le jeu politique : Gotabaya a accédé à la présidence et son frère Mahinda est devenu premier ministre. En août, des semaines après que Gotabaya Rajakapsa avait fui le pays, le Yuang Wang 5, un navire de surveillance militaire chinois, a accosté dans le port de Hambantota. Le prêt avait été une bonne affaire pour la Chine, mais pas pour le Sri Lanka.
Le développement du Sri Lanka, dont Mahinda Rajapaksa avait fait sa priorité absolue lors de notre dîner voilà douze ans, se révèle rétrospectivement être une liquidation en règle du pays et un pillage perpétré par la famille Rajapaksa. Ils n'étaient pas des souverains pour tous, mais des « rois nus ».
Karin Wenger a été correspondante de la radio SRF pour l'Asie du Sud, basée à New Delhi, de 2009 à 2016, et correspondante pour l'Asie du Sud-Est, basée à Bangkok, de 2016 à 2022. Au printemps, elle a publié trois livres sur son séjour en Asie. Ces prochains mois, elle rédigera pour « global » des commentaires sur des conflits et des événements oubliés dans le Sud global. www.karinwenger.ch
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Opinion
Recherche Nord-Sud, une expédition coloniale ?
05.12.2022, Coopération internationale
En matière de collaboration de recherche Nord-Sud, les financements et la conceptualisation de la recherche viennent principalement des pays du Nord. La décolonisation requiert une correction des relations de pouvoir déséquilibrées.
L'autrice de ce texte, Ravaka Andriamihaja, est originaire de Madagascar. Elle est chercheuse au Centre pour le Développement et l'Environnement (CDE) de l'Université de Berne et post-doc à l'Ecole Supérieure des Sciences Agronomiques (ESSA) - Mention Foresterie et Environnement de l'Université d'Antananarivo.
© zVg
Les défis mondiaux actuels liés au développement durable nécessitent un partenariat global. Des collaborations de recherche, notamment Nord-Sud, informent les stratégies et politiques pour relever ces défis. Ces collaborations peuvent mettre ainsi en commun la diversité de ressources et de réseaux afin de bénéficier de multiples systèmes de connaissances. Cependant, les pratiques courantes des collaborations de recherche Nord-Sud souvent ne reconnaissent pas cette diversité. Cela limite les chercheurs à trouver des solutions adéquates à ces défis mondiaux.
Collaboration sous une forme de colonisation – dépendance et invisibilisation
Une collaboration de recherche Nord-Sud peut représenter une forme de colonisation si elle favorise une dépendance envers les collaborateurs du Nord. Cette dépendance, souvent accompagnée de relations de pouvoir déséquilibrées, commence par la source et la gestion du financement ainsi que la définition des thématiques et la conception des documents de projet par le Nord.
Dans une collaboration de recherche Nord-Sud, la promotion de l'invisibilisation de chercheurs du Sud et d'autres formes de connaissances par rapport à ceux autoritaires peut aussi s’apparenter à une forme de colonisation. Les formes de connaissance et les pratiques scientifiques faisant autorité sont à priori celles qui sont générées au Nord et sont considérées comme universellement acceptable.
Décoloniser les collaborations de recherche: comment s’y prendre?
Décoloniser la collaboration de recherche est un processus continu, concernant la collaboration mais aussi la production de connaissance. La décolonisation implique une élimination de tout type de discrimination en incorporant différentes perspectives et possibilités de contribution. Les approches de décolonisation consistent d'abord à comprendre les pratiques passées et courantes de colonisation. Ensuite, dans une collaboration décolonisée, il est nécessaire d’entretenir une bonne relation d’écoute, d’autoréflexion et de promotion d’accès aux opportunités avec les collaborateurs. Finalement, la décolonisation exige une réimagination d’un futur commun de collaboration.
Être conscient des privilèges et des barrières – une étape primordiale
Les chercheurs dans une collaboration de recherche Nord-Sud doivent être conscients de leurs privilèges et des barrières existantes. Des inégalités résident dans les relations de pouvoir en termes d'accès aux ressources, d'équité et de production de connaissance. Les chercheurs du Nord sont plus proches de la source et de la gestion des financements de recherche, ainsi que des entités de prise de décision. La majorité des collaborations de recherche Nord-Sud sert principalement à étudier le Sud par une équipe de recherche composée de chercheurs du Nord et du Sud. Les chercheurs du Nord ont ainsi le privilège de pouvoir faire des recherches dans et sur le Sud.
Cependant, les recherches dans et sur le Nord, sur des sujets qui affectent le Sud, sont menées principalement par des chercheurs du Nord. Ces recherches sont majoritairement effectuées sans collaboration avec des chercheurs du Sud. Même les chercheurs de provenance du Sud basés dans le Nord ont difficilement la responsabilité de ces recherches.
Une conscientisation sur ces privilèges permet d’y renoncer et de se débarrasser des obstacles structurels à l'égalité des chances, à l'accès aux ressources et à la prise de décision. Même si les collaborateurs partent de positions différentes, aucun collaborateur ne doit avoir l'impression d'être en position de demandeur et chaque collaborateur doit être responsable. Grâce aux négociations, à une co-production effective à tous les niveaux et au dévouement, les chercheurs du Nord et du Sud peuvent contribuer à une collaboration véritable et significative.
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Global, Opinion
Grenade dans la marmite épicée de la géopolitique
16.01.2023, Coopération internationale
Petite île des Caraïbes, la Grenade est également appelée l'île aux épices. Les Français et les Anglais se battaient autrefois pour la conquérir. Aujourd'hui, d'autres puissances luttent pour exercer davantage d'influence sur la Grenade.
« Carib's leap » ou « Leapers hill » : tels sont les noms donnés à la falaise au nord de la Grenade d'où les Caribes, les derniers autochtones, se sont jetés dans l'océan en 1651. Là où la jungle et la brousse devaient marquer le paysage à l'époque, se dressent aujourd'hui une église et une stèle commémorative. Cutty, un guide local, m'a conduite jusqu'ici. Scrutant la mer houleuse bien en dessous de nous, il explique : « Les Caribes préféraient une mort certaine plutôt que d’être capturés et asservis par les colonisateurs français. »
On comprend aisément la raison de ce saut fatal : alors que Christophe Colomb avait navigué à proximité de la Grenade en 1498, les Français ont reconnu les trésors de l'île et entendaient bien se les approprier. En échange de quelques couteaux, de perles de verre et d'alcool, ils achetèrent des terres aux Caribes. Mais peu après, les habitants de l'île regrettèrent la transaction, attaquèrent le fort français armés d’arcs et de flèches et tentèrent d'expulser les envahisseurs de leur île. Équipés de canons et dotés d’une puissance de feu, les Français repoussèrent les Caribes et les acculèrent à la mort jusqu'au nord, jusqu'au bord de la falaise.
Passé colonial
Aujourd'hui, pour de nombreux visiteurs, la petite île caribéenne de la Grenade n'est rien de plus qu'une excursion d'une journée au cours d’une croisière — on admire des cascades, on achète de la noix de muscade, de la vanille, de la cannelle et du rhum, puis on met le cap sur la prochaine destination ensoleillée. Oublié le passé colonial de la Grenade et des autres îles des Caraïbes. Oublié l'héritage sanglant des Européens, qui naguère étaient encore de grandes puissances qui se partageaient le monde. Ainsi, à la Grenade, Français et Britanniques se sont succédé au pouvoir. À la fin du 18e siècle, les Britanniques y ont fait venir un grand nombre d'esclaves d'Afrique et les ont contraints à travailler dans les plantations de canne à sucre. Plus de 80% de la population actuelle descend directement de ces esclaves. Ce sont également des commerçants britanniques qui, au milieu du 19e siècle, ont apporté des noix de muscade d'Indonésie à la Grenade et ont commencé à les cultiver sur ces terres.
De nos jours, la Grenade produit 20% de toutes les noix de muscade de la planète, ce qui en fait le deuxième producteur mondial après l'Indonésie. « Les Européens viennent aujourd'hui pour nos épices, nos noix de muscade. La domination coloniale européenne a pris fin depuis longtemps ; d'autres se battent désormais pour nous conquérir et tentent de nous coloniser », affirme Cutty en montrant le stade de cricket près duquel nous sommes arrivés et que des ouvriers chinois ont commencé à construire en 2005 avec des fonds chinois. « Nous appelons cela les pots-de-vin chinois. Des projets financés par l’empire du Milieu pour que nous votions pour la Chine et contre Taïwan aux Nations Unies. »
Guerre froide
Aujourd'hui, comme hier et avant-hier, la Grenade est au cœur des querelles géopolitiques et le jouet des grandes puissances. Ce ne sont plus la France et l'Angleterre à la manœuvre, mais la Chine et les États-Unis. Dans ce jeu, l’empire du Milieu s'aventure de plus en plus dans l'arrière-cour américaine, dont font partie plusieurs pays des Caraïbes, y compris la Grenade. Aujourd'hui encore, deux épaves d'avion sur l'ancien aéroport rappellent l'importance de la Grenade pour les États-Unis pendant la guerre froide. À l'époque, le 25 octobre 1983, une semaine après un coup d'État militaire sur l'île, Ronald Reagan a envoyé 8 000 de ses soldats sur l’île de la Grenade. Officiellement, ils devaient protéger les étudiants yankees de l'université Saint George, mais en fait, il s'agissait déjà d'autre chose à l'époque. On était en pleine guerre froide et Reagan craignait que les putschistes ne se rangent du côté de Cuba. Les soldats américains ont donc déposé les putschistes et un gouvernement civil, favorable aux États-Unis, a pris le pouvoir.
Vente à la Chine
La Chine n'a pas envoyé de soldats, mais de l'argent, des ouvriers et de prétendus diplomates. La construction du stade de cricket a été achevée en 2007. L'ambassadeur chinois s'est rendu à l'inauguration, mais au lieu de l'hymne national chinois, c’est l'orchestre de la police de la Grenade qu’il a entendu jouer l’hymne national taïwanais ! Une bourde et un faux pas politique qui a coûté son poste au chef de l'orchestre en question. Malgré une courte période de tensions politiques, la construction du stade a été suivie par d'autres projets chinois : logements et aide à l'agriculture, et la Grenade développe à l’heure actuelle son nouvel aéroport grâce à un crédit chinois de plus de 60 millions de dollars. Mon guide Cutty craint que la Chine ne s'approprie tout simplement le terrain ou l'aéroport si la Grenade ne parvient pas à rembourser le crédit — car la nation insulaire n'est pas riche.
Un diplomate au service de l’étranger
La Grenade est-elle en train de vendre son âme ? C'est l’impression qu’on avait jusqu'il y a peu. Ainsi, la Grenade fait notamment commerce de citoyennetés grenadiennes. Depuis 2016, grâce au « programme de citoyenneté par investissement à la Grenade », les étrangers peuvent acheter légalement la nationalité grenadienne pour 150 000 dollars au moins et sont par exemple ainsi habilités à entrer dans l'espace Schengen sans visa. C'est de cette manière que le Chinois Yuchen (Justin) Sun est lui aussi devenu citoyen grenadien — et plus encore. Cet entrepreneur d'origine chinoise mondialement connu dans le domaine de la cryptographie et de la « blockchain » a été nommé en décembre dernier par la Grenade ambassadeur et représentant permanent du pays auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Genève. Le fait que l'on ne sache jamais très bien quels intérêts il représente — ses propres intérêts commerciaux, ceux de la Chine ou de l'État grenadien — n'a pas semblé gêner le gouvernement de la Grenade. Pas plus que le fait que diverses plaintes soient pendantes aux États-Unis contre Sun, notamment pour blanchiment d'argent, violation des prescriptions de l'autorité boursière et des autorités fiscales. Depuis sa nomination comme représentant de la Grenade auprès de l'OMC, la Suisse refuse à Sun sa carte de légitimation au motif qu'il mêle affaires privées et diplomatie. Il perd ainsi son immunité diplomatique, son droit de séjour en Suisse et à l'achat éventuel d'une maison dans notre pays. Pourtant, Sun n'est pas un cas isolé dans le monde diplomatique de la Grenade : des dizaines de Chinois voyagent à travers le monde en qualité de diplomates du petit État insulaire — selon divers rapports de médias, ils ont tous acheté leur passeport diplomatique. En contrepartie, la Grenade se montre accommodante avec la Chine, s'est engagée dans la politique d'une Chine unique et a rompu ses relations avec Taiwan.
Nouveau gouvernement, nouvel espoir
À la Grenade, beaucoup semblent ne plus avoir envie que leur propre gouvernement vende leur petit État caribéen pour que les grandes puissances puissent faire de l’île l’objet de leur jeux géopolitiques. C'est sans doute pour cette raison que le Premier ministre Keith Mitchell a été évincé lors des élections de fin juin 2022. Ce politicien de 75 ans détenait les rênes du pouvoir depuis 23 ans et avait en outre gouverné la Grenade comme une entreprise familiale. Le principe selon lequel une personne détenant le pouvoir depuis trop longtemps devient cupide semble universel. Dickon Mitchell, le nouveau Premier ministre, a promis de lutter contre la corruption et annoncé qu'il mettrait fin à la vente de passeports diplomatiques aux étrangers. Mon guide Cutty s’en réjouit : « Mitchell est notre espoir et le meilleur défenseur de l'île ». Cet homme de 44 ans entend désormais défendre les intérêts de son pays et de tous ses habitants. Il a déjà fait savoir qu'il rappellerait tous les ambassadeurs et mettrait l'accent sur de nouvelles orientations politiques. Lors de son discours devant l'Assemblée générale de l'ONU en septembre, il a mis le changement climatique en tête de ses préoccupations. Les diplomates chinois, qui prétendaient jusqu'ici être au service de la Grenade, devront sans doute se mettre en quête d’une nouvelle mission.
Karin Wenger
L'autrice: Karin Wenger
Basée à New Delhi et à Bangkok, Karin Wenger a été correspondante de la radio SRF pour l'Asie du Sud et du Sud-Est de 2009 à 2022. Au printemps, elle a publié trois livres sur son séjour en Asie. Depuis l'été, elle navigue sur les mers du monde et écrit sur des événements politiques et des conflits oubliés dans le Sud global. Pour plus d’information : www.karinwenger.ch ou www.sailingmabul.com
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global
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Communiqué
Pas de sécurité sans solidarité
16.03.2023, Coopération internationale
L'étude « Sécurité 2023 » publiée aujourd'hui par l'EPFZ montre une fois de plus que la coopération internationale a la cote auprès de la population.
© Alliance Sud
De la gauche à la droite, une nette majorité est d'avis que « l'aide au développement » devrait être intensifiée. En revanche, le soutien à une hausse des dépenses consacrées à la défense marque un nouveau recul par rapport à juin 2022.
« En prévoyant des coupes dans la coopération internationale, le Conseil fédéral fait de la politique sans tenir compte du peuple », commente Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, à propos des résultats de ce sondage représentatif. « La population l'a compris depuis longtemps : face aux conflits et aux crises qui secouent le monde entier, il faut investir nettement plus dans le développement. Il est temps que la Suisse tienne enfin la promesse renouvelée par le président de la Confédération et soit présente partout où elle peut contribuer à la paix », ajoute Missbach.
Selon le sondage de l'EPFZ, près de la moitié (47%) des Suisses, hommes et femmes, estiment que le niveau des dépenses de défense est approprié. Une majorité (65%) est toutefois d’avis que la Suisse devrait consolider son aide au développement. « Le Conseil fédéral et le Parlement seraient donc bien inspirés d’écouter la voix du peuple et de renforcer d’abord la solidarité et non l'armée », conclut Missbach.
Davantage d’information sur la pauvreté dans le monde
Des efforts plus soutenus sont également nécessaires en matière d’information sur les dépenses publiques de la Suisse pour la coopération au développement. Selon une enquête du Centre pour le développement et la coopération (NADEL) de l'EPF de Zurich, publiée mercredi, la plupart des sondés estiment que les dépenses sont deux fois plus élevées qu'elles ne le sont en réalité.
Lorsque ces personnes sont informées des dépenses réelles (inférieures), le soutien à la coopération internationale se renforce encore. L'inquiétude concernant la pauvreté dans le monde augmente aussi lorsque des informations actuelles sont mises à disposition. Il est donc également nécessaire d'agir au niveau des médias, l'une des sources d'information préférées de la population sur les grandes questions mondiales.
Pour plus d’informations:
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch
Marco Fähndrich, responsable de la communication auprès d’Alliance Sud, tél. +41 79 374 59 71, marco.faehndrich@alliancesud.ch
Voir également : Le Conseil fédéral fait fi de la vox populi
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L’efficacité en point de mire
19.03.2023, Coopération internationale
La Suisse a assuré la coprésidence du Partenariat mondial pour une coopération efficace au service du développement (GPEDC) de 2019 à 2022. En point d'orgue, un Sommet international de haut niveau s'est tenu à Genève du 12 au 14 décembre 2022.
Le Partenariat mondial a vu le jour en 2011 à Busan (Corée du Sud) et a pour objectif de « maximiser l'efficacité de toutes les formes de coopération au développement pour le bénéfice partagé des populations, de la planète, de la prospérité et de la paix ». Sa structure est unique : alors que dans d'autres instances, ce sont surtout les représentant-e-s des pays qui discutent entre eux, le GPEDC réunit, outre des ministres, des parlementaires, des représentant-e-s des gouvernements locaux, de la société civile, du secteur privé, des fondations et des syndicats ainsi que des organisations de développement bilatérales et multilatérales de 161 pays au total. Ensemble, ils mènent un dialogue sur l'efficacité de la coopération au développement et rédigent des directives et des recommandations. Le GPEDC vérifie régulièrement que tous les partenaires respectent les principes d'une coopération au développement efficace.
Mais que fait réellement le Partenariat mondial ?
Alors que tous les participant-e-s à la réunion de haut rang de Genève semblaient s'accorder sur le fait que les principes convenus pour une coopération efficace au service du développement sont encore cruciaux aujourd'hui, la mise en œuvre peine à suivre malheureusement, comme l'ont souligné plusieurs intervenante-e-s au sommet. Raj Kumar, PDG du portail d'information Devex, a par exemple rappelé la première rencontre du GPEDC à Busan, qui visait une transformation complète du secteur du développement — d’une approche par le haut, basée sur des projets, à une approche par le bas et systémique — et a déploré le manque de progrès accomplis.
Selon le dernier cycle de suivi du GPEDC, la tendance est en effet à la baisse s’agissant du domaine clé de l'appropriation nationale ; alors que davantage de pays bénéficiaires ont défini leurs propres stratégies de développement et renforcé leurs systèmes administratifs pour atteindre leurs objectifs de développement, la prise en compte des systèmes nationaux par les pays donateurs marque un recul. De même, une analyse des données officielles du Comité d'aide au développement de l'OCDE (CAD de l’OCDE) montre qu'en 2020, seul un tiers environ de tous les fonds de développement était géré par des gouvernements, des entreprises privées ou des ONG des pays partenaires. Le reste l’était par des gouvernements, des ONG et des entreprises privées des pays donateurs, ainsi que par des institutions multilatérales.
Un autre défi concerne la fragmentation croissante du paysage du développement, dont témoigne une récente étude de la Banque mondiale, également présentée au sommet du GPEDC. Elle conclut qu'entre 2000 et 2020, le nombre d'acteurs officiels du développement (agences de développement bilatérales et multilatérales, banques de développement, etc.) est passé de 212 à 544, tandis que le volume financier des transactions individuelles a chuté d'un tiers. Cela signifie que les pays bénéficiaires sont aujourd'hui en contact avec 150 agences différentes en moyenne (même plus de 200 agences en Éthiopie). Cela constitue non seulement une lourde charge administrative pour les pays bénéficiaires (d'autant plus que la plupart des donateurs n'effectuent pas leurs transactions via les systèmes nationaux, mais ont leurs propres exigences administratives), mais aussi un gros problème de coordination pour les donateurs entre eux.
Alors que le paysage du développement continue de se fragmenter, l'un des acteurs les plus en vue d’un point de vue rhétorique — le secteur privé — semble toutefois être en grande partie absent. Raj Kumar a ainsi montré qu'en 2019, seuls 2% environ de tous les fonds de développement ont été alloués via des « instruments de financement nouveaux et innovants » pour la coopération avec le secteur privé. Et même à Genève, il n'y avait pratiquement aucun représentant de ce secteur. Les principes de Kampala élaborés par le GPEDC jetteraient les bases d'une coopération fructueuse avec le secteur privé.
Nouvelle impulsion ou paroles creuses ?
La conférence de Genève s'est terminée par l'adoption d'une déclaration de 15 pages bénéficiant d'un large soutien. Le document identifie non seulement les multiples crises globales auxquelles la planète est actuellement confrontée — de la crise climatique à la crise de la dette qui se dessine, en passant par l'autoritarisme croissant et l’espace civique toujours plus réduit (shrinking space) que cela signifie — mais aborde également la transformation et la fragmentation croissante du système de développement actuel. Parallèlement, diverses promesses internationales sont renouvelées — notamment celle de consacrer au moins 0,7% du revenu national brut (RNB) à la coopération internationale (CI) — et la déclaration est complétée par de nouvelles promesses ; avec l'ambition commune de lutter contre la corruption, les flux financiers déloyaux et l'espace toujours plus restreint, ou d'orienter davantage l'ensemble de la CI vers les groupes cibles les plus pauvres et les plus vulnérables (selon le principe de ne laisser personne de côté ; leave no-one behind).
Tout cela sonne merveilleusement bien, mais les belles paroles et les déclarations ne sont pas ce qui manque — Susanna Moorehead, présidente du Comité d'aide au développement de l'OCDE, l’a formulé de manière opportune en affirmant que faire preuve de sérieux au sujet d'une coopération au développement efficace passait par commencer à mettre en œuvre les propres recommandations. Le nouveau cadre de suivi (monitoring framework) également adopté lors du sommet du GPEDC est au moins un premier pas dans la bonne direction : il doit aider les pays bénéficiaires à mesurer plus clairement la mise en œuvre des principes d'efficacité. Parallèlement, des profils des pays donateurs seront désormais établis pour monter comment ils intègrent les principes dans leur CI. L'efficacité des instruments du secteur privé, de plus en plus utilisés dans la CI, doit aussi faire l’objet de davantage d’analyses (en conformité avec les principes de Kampala). Reste à voir quelle impulsion donneront ces nouveautés et si elles pourront contribuer à rendre l’actuelle CI plus efficace.
Une chance pour la Suisse ?
Malgré la présidence du GPEDC et la conférence de Genève, les principes d'efficacité semblent plutôt invisibles en Suisse également jusqu’ici. L’actuelle Stratégie de coopération internationale 2021-2024 de la Confédération ne mentionne ni le Partenariat mondial ni les principes de l'efficacité de la coopération au développement, et ils brillent également par leur absence dans la communication générale de la Direction du développement et de la coopération (DDC) et du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO). L'adoption prochaine de la nouvelle Stratégie de coopération internationale 2025-2028 offre une première occasion de traduire les belles paroles de Genève en actes concrets et d'aligner l'ensemble de la CI (nouveaux instruments du secteur privé compris) sur les principes d'efficacité et de mettre systématiquement les plus pauvres et les plus vulnérables sur le devant de la scène.
Les quatre principes d'une coopération au développement efficace
a) Responsabilité s’agissant des priorités de développement des pays bénéficiaires (appropriation nationale ; country ownership) : Chaque pays devrait définir ses propres priorités de développement, auxquelles toutes les organisations de développement devraient se conformer. Dans la mesure du possible, les organisations de développement utilisent des systèmes spécifiques à chaque pays pour la passation des marchés et la gestion des finances publiques. Les fonds de développement ne devraient pas être liés à des conditions favorisant les entreprises, les biens ou les services des pays donateurs (aide liée ; tied aid).
b) Approche axée sur les résultats : Toutes les activités de développement doivent contribuer à la réduction de la pauvreté, à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) et au renforcement des capacités des pays en développement. Pour ce faire, elles doivent être sous-tendues par des connaissances scientifiques et favoriser l’analyse régulière des effets, l'accès à des données de qualité jouant également un rôle clé.
c) Partenariats inclusifs pour le développement : La coopération au développement doit adopter une approche à l’échelle de l’ensemble de la société (whole-of-society) et, dans la mesure du possible, faire participer et rassembler divers acteurs (gouvernements, parlements, société civile, secteur privé, milieux scientifiques, etc.).
d) Transparence et redevabilité mutuelle : Tant les pays donateurs que les pays bénéficiaires s'engagent à communiquer en toute transparence sur les flux financiers et les résultats du développement, un rôle important revenant notamment aux parlements nationaux et à la participation de la société civile.
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