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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Global, Opinion
06.10.2021, Coopération internationale
Les défis à venir exigent une remise en question radicale à l'échelle mondiale. Les organisations de développement doivent elles aussi relever ce défi : non seulement dans leurs programmes, mais aussi dans leur communication institutionnelle.
L’ex-first lady des États-Unis Melania Trump au Kenya : des célébrités se mettent régulièrement au service de bonnes causes (et photos), en Suisse également. Une telle pratique renforce une compréhension paternaliste du développement.
© Saul Loeb/AFP
Texte de Jörg Arnold, qui a été responsable du marketing et de la collecte de fonds chez Caritas Suisse de 2002 à 2018. Il est cofondateur de Fairpicture (fairpicture.org).
« Nous devons apprendre à communiquer sur la coopération internationale d’aujourd’hui, qui est différente de celle qui était pratiquée il y a 30 ans. Le monde a changé et avec lui notre façon de communiquer. Aujourd’hui, nous disposons au niveau international d’un langage commun, celui de l’Agenda 2030 », constatait Patricia Danzi, directrice de la DDC, à l'occasion du soixantième anniversaire de l'organisation. Ces dernières années, les photos anonymes d'enfants émaciés ont largement disparu des mailings et des sites web des organisations d'entraide. Mais cette réalité a-t-elle également changé la façon dont les organisations occidentales de développement parlent du Sud?
En Suisse, plus d'une centaine d'organisations donatrices reconnues par la ZEWO s'engagent à rendre le monde meilleur pour tout un chacun. Des douzaines d'autres associations non certifiées viennent s'y ajouter. Elles souhaitent toutes soulager la détresse et créer un socle durable pour vaincre la pauvreté, la faim et l'injustice. Elles ont appris à communiquer sur le contenu de leurs activités et à le faire connaître au cercle de leurs donatrices et donateurs. Elles tentent de faire mieux comprendre la situation dans laquelle vivent les personnes en détresse, de renforcer l'engagement en faveur d'une aide concrète et de mettre ainsi leurs propres activités en exergue.
Grâce à leur communication, elles influencent considérablement l'opinion du public sur les sociétés des pays du Sud. Leurs campagnes de collecte de fonds à forte pénétration véhiculent des émotions qui convainquent les donateurs de mettre la main à la poche. Que ce soit sous forme de rapports réguliers adressés sélectivement ou de campagnes de marketing direct sophistiquées: elles façonnent la perception de l'injustice, de la pauvreté, de la détresse et de la violence sur le continent africain, en Amérique latine et en Asie avec des images appelant à agir d'urgence.
Le travail de communication des organisations de développement est exigeant. Elles doivent sans cesse légitimer leurs propres activités auprès des milieux politiques et de l'opinion publique, collecter des dons dans le cadre de ce processus et, composante clé de leur mission de société civile, effectuer également un travail de sensibilisation. Afin de répondre à toutes ces exigences, les organisations ont donc beaucoup investi dans leurs concepts de communication ces dernières années. Mais elles sont particulièrement mises au défi dans leurs récits sur les pays du Sud. C'est là qu'elles doivent passer l'épreuve décisive de leur crédibilité.
Les critiques auxquelles les organisations de développement occidentales sont confrontées sont multiples. On pense, par exemple, aux militantes et militants ougandais de nowhitesaviors.org : ils ont investi les médias pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une représentation discriminatoire des personnes du continent africain dans la communication des ONG. Suite à un déchaînement de critiques virulentes, l'organisation britannique Comic Relief a mis fin à sa fructueuse campagne de collecte de fonds avec des célébrités en « visite de projets en Afrique » incitant à donner de l'argent. Les auteures et auteurs de peacedirect s'expriment sans ambages dans une étude de mai 2021 intitulée Time to Decolonise Aid. Ils affirment que de nombreuses pratiques et attitudes actuelles dans le système d'aide reflètent l'ère coloniale et en découlent, ce que la plupart des organisations et des donateurs du Nord rechignent encore à reconnaître. Selon eux toujours, certaines pratiques et normes modernes renforcent la dynamique et les croyances coloniales, comme l'idéologie du « sauveur blanc » qui transparaît dans le symbolisme des dons et de la communication utilisé par les ONG internationales.
Une communication stéréotypée, calquée sur des modèles coloniaux: l'accusation contre la pratique des organisations de développement est sérieuse. Elle remet non seulement en question de manière critique la position éthique fondamentale des organisations, mais révèle encore une contradiction avec l'objectif de la société civile consistant à vouloir gommer les relations de pouvoir inégales.
Avec le Manifeste pour une communication responsable de la coopération internationale adopté à Berne le 10 septembre 2020, les organisations membres et partenaires d'Alliance Sud ont émis un signal très clair à cet égard. Les auteurs notent de manière autocritique dans l'introduction du manifeste: « Les populations du Sud sont souvent présentées comme des objets et des bénéficiaires de l'aide, tandis que les organisations de développement et leur personnel sont décrits comme des experts et des sujets actifs. (...). Des stéréotypes sont souvent reproduits dans ce contexte. Les images paternalistes du développement laissent entendre que les pays développés montrent aux pays sous-développés comment faire correctement les choses. »
Figer des continents entiers et leurs habitants dans des images de pauvreté et de dépendance est discriminatoire. Enfermer du même coup des personnes dans le rôle de bénéficiaires d'aide reconnaissants est dégradant. Il est grand temps que les organisations de développement se débarrassent d'une approche de collecte de fonds qui a été soigneusement cultivée pendant de nombreuses années, non sans succès. Que la communication prenne de plus en plus d'importance dans notre société mondialisée oblige également les organisations de développement à réfléchir davantage aux effets de leur propre communication et à ce qu'elle peut apporter à l'émergence d'une justice mondiale.
Crise climatique, migration, aide humanitaire: la communication des organisations de développement dans la société de l'information du XXIe siècle ne se limite pas à la communication institutionnelle et à la collecte de fonds. Par leurs récits, elles façonnent activement le changement social et des modes de pensée prégnants. Les organisations de développement doivent veiller à ce que leur communication corresponde aux réalités vécues et aux visions de la vie et aux objectifs des personnes représentées. Les unités organisationnelles opérationnelles, mais aussi les départements de communication, auraient donc intérêt à s'engager dans un processus de théorie du changement dans lequel ils développent une logique d'action orientée vers l'efficacité pour leurs activités, fondée sur une analyse de situation autoréflexive. Cette démarche est nécessaire pour obtenir les effets que l'organisation dans son ensemble cherche à atteindre. Pour maîtriser la complexité des problèmes – des personnes représentées aux destinataires de la communication –, les acteurs locaux, avec leurs différentes perspectives, leur expertise et leurs droits, doivent être intégrés dans ces processus. Le temps où les organisations de développement pouvaient se permettre de communiquer en faisant abstraction des personnes au centre de leur engagement dans la société civile est révolu.
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Opinion
06.12.2021, Coopération internationale
Le scandale des prêts favorisés par Credit Suisse au Mozambique a clairement montré à la population le rôle paradoxal que jouait la Suisse dans la perspective d’une réduction de la pauvreté et des inégalités.
Une femme vend du poisson séché au « Mercado central » de Maputo. Le scandale des prêts au Mozambique a notamment conduit à l'acquisition d'une flotte de pêche au thon aujourd'hui en piètre état. 19 accusés comparaissent actuellement devant un tribunal de Maputo. En Suisse également, le Ministère public de la Confédération a ouvert une procédure pénale.
© Alfredo D'Amato / Panos Pictures
Perspective Sud de Faizal Ibramugy, journaliste à Nampula, dans le nord du Mozambique, et opérateur médias
La Suisse coopère avec le Mozambique depuis 1979, et depuis 2012, l'année même où se sont déroulées les négociations sur les prêts des « dettes cachées » (« dívidas ocultas » ), la Direction du développement et de la coopération s’est fixé trois priorités en lien avec ce pays : le développement économique, la santé et la gouvernance. Un pays riche en ressources naturelles comme le Mozambique ne peut poursuivre son développement qu’en misant sur une bonne gouvernance et des investissements responsables. Le soutien de la Suisse dans ce domaine est donc le bienvenu. Mais le scandale des « dettes cachées » sape désormais tous les efforts engagés.
Depuis des années, les Mozambicaines et les Mozambicains ont appris comment gouverner, gérer les fonds publics, éviter les pratiques illégales et corrompues susceptibles de nuire à l'État, et agir en toute transparence. C'est cette bonne gouvernance que la Suisse a transmise au pays à travers ses diverses interventions en faveur du développement du pays. La population du Mozambique était loin d’imaginer que des représentants de l’économie d'un pays qui leur apprend à gérer durablement ses ressources économiques s'allieraient à son gouvernement corrompu. Dans ce scandale, les personnes impliquées ont escroqué l'État de plus d'un milliard de dollars, même si des études de faisabilité avaient montré que les prêts convenus n'étaient pas viables.
L’expression « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » est taillée sur mesure ici : les Mozambicaines et les Mozambicains étaient censés apprendre à ne pas se laisser corrompre, mais les employés helvétiques de Credit Suisse ont bien montré que la corruption comptait plus pour eux que la transparence mise en avant dans presque tous les projets et programmes financés par des capitaux suisses.
Maintenant que Credit Suisse doit assumer une partie de sa responsabilité en versant une pénalité de 475 millions de dollars aux États-Unis et au Royaume-Uni, et en allégeant de 200 millions de dollars la dette du Mozambique, la majorité des Mozambicains espèrent que le moment est venu de demander la remise totale de la dette devant les tribunaux.
J’estime que ce serait toutefois loin d'être suffisant. La Suisse officielle – qui soutient l’ambition du Mozambique de disposer d’institutions étatiques soucieuses d’une gestion décentralisée, équitable et transparente des ressources – devrait admettre que ses efforts de plus de 40 ans n'ont eu aucun effet. Malgré toute l’énergie consacrée, le Mozambique n'a pas été en mesure d'acquérir ces connaissances, tout comme les banquiers de Credit Suisse ont échoué à accorder un crédit en toute transparence.
Aujourd'hui, les Mozambicaines et les Mozambicains font face à une dette qu’une association criminelle de banquiers et de dirigeants a contractée en usant de moyens frauduleux. Le Mozambique est confronté à une catastrophe sans précédent dont la résolution satisfaisante passe non seulement par le pardon mais aussi par une redéfinition de la stratégie d’encouragement de la bonne gouvernance.
Si ce scandale financier qui a ébranlé le Mozambique met en lumière ce que ce pays a appris de la Suisse en termes de bonne gouvernance et de gestion des affaires publiques ces dernières décennies, ma conclusion coule source : tout cela ne vaut rien. Il faut de toute urgence un nouveau b.a.-ba de la gouvernance, de la transparence et de l'intégrité qui fasse comprendre à la population mozambicaine qu'elle gouverne elle-même. Sinon la coopération qui reposait sur des bases solides entre la Suisse et le Mozambique n’ira de pair qu’avec un profond sentiment de honte : celui né des « dettes cachées ».
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Communiqué
24.01.2022, Coopération internationale
Avec de nouveaux membres, un nouveau directeur et une nouvelle présidence, une nouvelle ère s'ouvre dans l'histoire cinquantenaire d'Alliance Sud. Face aux inégalités croissantes et à une société civile de plus en plus sous pression dans le monde, une voix forte en matière de politique de développement est plus importante que jamais en Suisse.
« Nous sommes très heureux que Solidar Suisse et Terre des hommes, deux nouveaux membres, soutiennent avec force notre travail commun en matière de politique de développement », déclare Markus Allemann, président d'Alliance Sud et directeur de Swissaid. « Nous intensifions ainsi la coordination entre les principales organisations de politique de développement et renforçons la voix du Sud global dans la politique suisse. »
Avec la fusion de l'Eper et de Pain pour le prochain, réalisée au début de l'année, Swissaid, Action de Carême, Helvetas, Caritas, Eper, Solidar Suisse et Terre des hommes sont désormais les organisations membres d'Alliance Sud. La Croix-Rouge suisse est en outre un membre associé de l'association, dont le siège est à Berne.
Le nouveau directeur, Andreas Missbach, posera lui aussi de nouveaux jalons et mettra sa longue expérience au service du développement de l'organisation : « Alliance Sud est bien plus qu'une organisation de lobbying ou un groupe d'intérêt : nous sommes un centre de compétences pour les questions de coopération internationale et nous engageons pour que la Suisse devienne responsable vis-à-vis du monde. Sans une économie qui respecte les écosystèmes et ménage le système climatique, il n'y a pas de monde dans lequel nous pouvons vivre ; sans justice globale, il n'y a pas de monde dans lequel nous voulons vivre. »
Alliance Sud représente ses organisations membres au Parlement et auprès de l'administration fédérale. Les journalistes trouvent chez Alliance Sud des spécialistes compétents qui peuvent donner des renseignements fouillés et différenciés sur des thèmes tels que le développement durable, la politique fiscale et financière internationale, la politique commerciale et climatique ainsi que la responsabilité des entreprises. Avec son magazine « global », Alliance Sud fournit des informations de fond et des analyses sur la politique étrangère et de développement de la Suisse.
Pour plus d’informations :
Markus Allemann, président d’Alliance Sud et directeur de Swissaid, tél. +41 79 833 15 69
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30
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Communiqué
26.01.2022, Coopération internationale
Le Conseil fédéral a publié aujourd'hui son rapport sur la politique économique extérieure 2021. Les conséquences dramatiques de la pandémie de Covid-19 sur les pays en développement et émergents y occupent une place importante. Mais il reste muet sur les occasions ratées de soutenir les populations les plus pauvres grâce à des financements innovants et à l'assouplissement des règles en matière de brevets. La Suisse doit enfin en faire plus.
© «Parlamentsdienste 3003 Bern»
Le rapport mentionne l'importance centrale des fonds publics dans la coopération internationale (CI). Bien que ceux-ci aient globalement augmenté de 3,5 %, cela ne suffit de loin pas à compenser ne serait-ce que le recul des envois de fonds des migrants vers leur pays d'origine à cause de la pandémie. Avec 0,48% du revenu national brut, la CI suisse est loin de l'objectif de 0,7 % convenu au niveau international.
Le Conseil fédéral passe complètement sous silence une possibilité simple d'aider financièrement les pays en développement et émergents : En août 2021, le Fonds monétaire international (FMI) a attribué à ses membres des droits de tirage spéciaux (DTS) nouvellement créés pour un montant total de 650 milliards de dollars américains. Ceux-ci permettent d'acheter d'autres monnaies dans certaines limites, mais les pays les plus pauvres n'en ont reçu qu'une infime partie. « La Suisse n'a jamais besoin de réserves supplémentaires, elle devrait donc mettre les 5,5 milliards de dollars reçus à la disposition des pays les plus pauvres », réclame Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud.
La Suisse abrite la septième plus grande place financière au monde et elle est la principale plaque tournante du commerce mondial des matières premières. Les banques suisses et les négociants en matières premières sont des créanciers privés essentiels des pays en développement. Le Conseil fédéral constate à juste titre que la crise de la dette dans le Sud s'aggrave en raison du coronavirus et du revirement attendu des taux d'intérêt aux Etats-Unis.
Pourtant l'année dernière, il ne s'est pas efforcé d'inciter les banques suisses et les négociants en matières premières à plus de transparence dans leurs relations de crédit avec les pays du Sud. Une grave omission, selon Missbach : « Sans la participation des créanciers privés, la crise de la dette dans le Sud ne pourra pas être désamorcée. La transparence est à cet égard une condition préalable pour trouver des solutions. La Suisse doit impérativement rattraper son retard dans ce domaine. »
Le Conseil fédéral écrit à juste titre qu'une avancée rapide des campagnes de vaccination dans les pays en développement et émergents est cruciale pour la santé globale et la reprise économique mondiale ; mais dans les faits, il torpille des efforts importants pour faciliter l'accès aux vaccins aussi dans les pays du Sud.
A l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la Suisse est l'un des rares pays à s'opposer à la levée temporaire de la protection de la propriété intellectuelle sur les vaccins, les tests et les traitements anti covid. « La Suisse doit enfin cesser de bloquer ces négociations, d'autant plus qu'elle présidera à partir de juillet le Conseil général, un organe qui a le pouvoir de prendre des décisions, sans attendre une hypothétique conférence ministérielle qui pourrait être reportée sine die en raison de la pandémie », déclare Missbach.
Le contre-projet indirect édenté à l'initiative pour des multinationales responsables est également une occasion ratée de garantir le plein respect des droits humains et de la protection de l'environnement par les entreprises suisses. Il est grand temps d'adopter une législation qui améliore la résilience des chaînes de valeur mondiales, notamment en renforçant les droits des travailleurs ainsi que la protection de l'environnement. « Le Conseil fédéral doit élaborer au plus vite un projet de loi harmonisé avec les normes internationales et les lois déjà adoptées par plusieurs pays de l'UE », déclare Missbach.
En ce qui concerne la contribution à la lutte contre la crise climatique, Alliance Sud salue l'augmentation de la contribution annuelle pour la CI, mais compte tenu de son importance économique, la Suisse doit contribuer au moins à hauteur de 1 % – soit 1 milliard de francs par an – au financement international de la lutte contre le changement climatique, sans pour autant grever la coopération au développement existante.
Pour plus d’informations :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, Tél. +41 31 390 93 30
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Article
08.03.2022, Coopération internationale
Même si nous sommes encore sous le choc de la guerre en Ukraine, de graves conséquences se dessinent déjà pour les pays en développement et émergents.
Le ministre ukrainien de l'Agriculture, Oleg Ustenko, dans le "Financial Times" : « Nos tracteurs devraient labourer les champs et nourrir le monde, mais au lieu de cela, trop d'entre eux passent leur temps à remorquer du matériel de guerre russe cassé. »
© uschi dreiucker / pixelio.de
En gros, le Sud se divise une fois de plus en deux : les exportateurs de pétrole et les importateurs de denrées alimentaires. Les pays en développement qui exportent du pétrole ou des matières premières métalliques profitent de la flambée des prix. Certains producteurs de pétrole africains, qui étaient au bord de la faillite à cause du Covid, peuvent peut-être encore l'éviter.
Si l’augmentation du prix du pétrole touche bien sûr aussi de nombreux pays en développement qui dépendent des importations d'énergie, l’augmentation du prix des denrées alimentaires est beaucoup plus immédiate et grave. L'Ukraine est - ou plutôt était - le cinquième plus grand exportateur de céréales – 80% des importations de maïs de Chine venaient de ce pays. Dès maintenant et jusqu'à fin avril, il faudrait semer, mais les champs sont bombardés et, comme l'a écrit le ministre ukrainien de l'Agriculture, Oleg Ustenko, dans le "Financial Times" : "Nos tracteurs devraient labourer les champs et nourrir le monde, mais au lieu de cela, trop d'entre eux passent leur temps à remorquer du matériel de guerre russe cassé. »
La perte de la récolte ukrainienne est une chose ; l'autre, c'est l'augmentation prochaine des coûts de production agricole dans le monde ou la diminution des rendements, car les prix des engrais flambent. La Russie est le premier exportateur mondial d'azote et de potasse (avec la Biélorussie) et le deuxième producteur de phosphore. L'azote peut certes être extrait de l'air partout, mais il faut pour cela de grandes quantités de gaz naturel. L'année dernière déjà, la production européenne d'engrais azotés a baissé de 40% en raison de la hausse des prix du gaz. Si les prix du gaz naturel explosent, l'engrais azoté deviendra inabordable.
Ainsi, même les grands producteurs agricoles comme le Brésil ne pourraient pas profiter de la hausse des prix, car les dollars qu'ils gagnent grâce à leurs exportations de maïs et de soja sont engloutis par des coûts d'importation devenus beaucoup plus élevés - le Brésil importe des engrais principalement de Russie. La guerre en Ukraine rend plus urgent que jamais non seulement l'abandon des énergies fossiles, qui est nécessaire en termes de politique climatique, mais aussi le dépassement de l'agriculture industrielle, tout aussi nécessaire.
En raison des effets de la pandémie, 100 millions de personnes supplémentaires se couchent le ventre vide. La situation est particulièrement explosive au Proche-Orient et en Égypte, dont la population dépend en grande partie de l'importation de céréales. Pour rappel, la hausse spéculative des prix des céréales après de mauvaises récoltes en Ukraine et en Russie en 2011 a été l'un des éléments déclencheurs des guerres civiles en Libye et en Syrie. Les guerres engendrent les guerres.
La guerre montre très directement à quel point la société civile est importante pour apporter rapidement de l'aide et canaliser raisonnablement la grande générosité de la population en Europe. Les membres d'Alliance Sud apportent une contribution importante à l'aide d'urgence en Ukraine et à l'encadrement des réfugiés dans les pays voisins et en Suisse. Quant à la Russie, elle montre de manière dramatique les conséquences d'une société civile réduite au silence depuis des années, alors qu'il ne reste qu'une poignée de manifestants qui finissent en prison ou sont obligés de fuir.
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Communiqué
09.05.2022, Coopération internationale
Ce n'est pas la sécurité territoriale de la Suisse qui est menacée, mais la sécurité humaine dans le monde entier. Et celle-ci exige une politique de paix globale plutôt qu'un débat absurde sur le réarmement.
© KEYSTONE/Michael Buholzer
Le Conseil national traite aujourd'hui une motion de sa Commission de la politique de sécurité visant à augmenter les dépenses militaires. Pour Alliance Sud, il s'agit de la mauvaise réponse à la mauvaise question : ce n'est pas la sécurité territoriale de la Suisse qui est menacée, mais la sécurité humaine dans le monde entier. Et celle-ci exige une politique de paix globale plutôt qu'un débat absurde sur le réarmement.
Peu après l'invasion russe de l'Ukraine, les politiciens bourgeois avaient déjà réclamé deux milliards de francs supplémentaires par an pour l'armée. C'est beaucoup d'argent, surtout si on le compare aux 53 millions supplémentaires mis à disposition à ce jour par la Confédération pour l'aide humanitaire de la Suisse en Ukraine. Et de l'argent mal investi si l'on considère l'inutilité de l'armée suisse face aux conséquences globales de la guerre.
La position ci-jointe d'Alliance Sud - le centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement - esquisse les 12 points les plus importants pour une politique de paix globale de la Suisse : une coopération internationale efficace, un système économique équitable et une démocratie forte sont des conditions indispensables pour la sécurité humaine dans le monde entier.
Dans le cadre des débats parlementaires en cours et à la veille de la conférence sur l'Ukraine prévue à Lugano, Alliance Sud appelle les politiciens suisses à faire preuve de plus de clairvoyance et de cohérence que par le passé dans leur approche des crises mondiales et à rejeter les réponses simples, mais inutiles, aux nouveaux risques sécuritaires. "La coopération internationale est la meilleure prévention des crises et la sécurité de la Suisse ne dépend pas de plus d'armes, mais de notre solidarité et de notre compatibilité avec le monde", déclare Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud.
Pour plus d’informations:
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, tél. +41 31 390 93 30, andreas.missbach@alliancesud.ch
Isolda Agazzi, responsable de politique de développement, Alliance Sud, tél +41 79 434 45 60, isolda.agazzi@alliancesud.ch
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Global, Opinion
21.06.2022, Coopération internationale
Au cours des six dernières années, elle a été la voix de la radio suisse alémanique (SRF) depuis l'Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, Karin Wenger s’octroie un peu de répit et parle de ses nouveaux livres.
Être une femme journaliste permet d’avoir un meilleur accès à une grande partie de la population asiatique : Karin Wenger en discussion avec une femme indigène sur l’île de Bornéo, en Indonésie.
© zVg
Village global ou pas, ce sont finalement les habitants du Sud qui connaissent le mieux le double visage de la mondialisation. Leurs histoires sont souvent noyées dans le flot médiatique occidental, car les usines à informations qui tournent 24 heures sur 24 n’ont pas la place ni le temps d’offrir un accès au quotidien des personnes vivant en marge de la société. Ce n'est pas un hasard si, malgré la mondialisation, les médias suisses ont donné de moins en moins d’échos de sujets étrangers ces dernières années.
Les exceptions de qualité tombent d’autant plus à point nommé : sur les ondes de SRF, la journaliste Karin Wenger a toujours relaté des histoires qui, sinon, seraient passées inaperçues et a publié ce printemps trois livres aux multiples facettes, qu’il faut avoir lus et qui éclairent la marge (et pourtant le cœur) de la société (d'information) mondiale. Nous lui avons demandé ce qui motivait les personnes invisibles qui se débattent dans la mondialisation et quelles conséquences de ce phénomène elles ressentaient.
« Beaucoup ressentent directement ou indirectement la mondialisation en devenant le jouet des puissances et des querelles géopolitiques », explique Karin Wenger en réponse à nos questions. Par exemple, les répercussions des mégaprojets dans le cadre de la nouvelle route de la soie de la Chine au Laos ou au Cambodge ou le retrait des fonds occidentaux d'Afghanistan — une conséquence de l'intérêt décroissant de l'Occident. La mondialisation a des effets très directs sur les conditions de travail des ouvrières dans les usines textiles du Bangladesh ou du Vietnam, dans l’optique « du moins cher possible ». Ces conditions de travail sont toujours un sujet concret dans ses livres.
Les troupes soviétiques ont envahi l'Afghanistan en 1979, année de naissance de Karin Wenger. Elles vont y rester une dizaine d'années, brisant tous les rêves, comme le feront plus tard les talibans. Ces dernières années, Karin Wenger n'a cessé de couvrir l’épuisante guerre et la lutte totale contre le terrorisme en Afghanistan. Elle y a rencontré Mina, une chanteuse courageuse, persécutée par les conservateurs, dont l'histoire fait l’objet du livre «Verbotene Lieder» (éd. Stämpfli). C'est une histoire saisissante et oppressante, sans issue heureuse, mais pas tout à fait sans espoir comme beaucoup d'autres racontées par Karin Wenger («Bis zum nächsten Monsun», éd. Stämpfli ; «Jacob der Gefangene. Eine Reise durch das indische Justizsystem», éd. Matthes et Seitz Berlin).
Seule une journaliste opiniâtre et sensible comme Karin Wenger et seul un livre peuvent décrire de tels environnements et situations extrêmes. Pendant des années, elle rencontre ses protagonistes, écoute leurs expériences, parle avec leurs proches et devient même une partie de leur histoire. Comme quand elle a aidé Mina à faire une demande de visa humanitaire auprès du consulat général suisse à Istanbul. Sans succès. « C'est une condamnation à mort », confie Mina lorsqu’elle apprend la décision négative : « Nous n'avons pas de papiers, pas d'identité, mon enfant ne peut pas aller à l'école. Le droit d'être un être humain nous a été retiré ».
Rozina, une couturière bangladaise dont Karin Wenger raconte l'histoire dans « Bis zum nächsten Monsum » (Jusqu’à la prochaine mousson), a elle aussi vécu une situation dramatique : elle travaillait dans le bâtiment du Rana Plaza, où des grands noms du prêt-à-porter font fabriquer leurs vêtements, lorsque l’immeuble s'est effondré le 24 avril 2013. 1’134 personnes sont mortes, plus de 2’500 ont été blessées. Rozina aimait pourtant son travail à l'usine, même si elle a perdu sa sœur et son bras dans l'effondrement. « Pour les femmes pauvres, comme moi, le travail en usine est un cadeau du ciel », avoue Rozina. « Le travail m’a libérée parce que j’ai pu gagner mon propre argent ».
« À maintes reprises », écrit Karin Wenger dans la préface de l’ouvrage mentionné, « j'ai rencontré des personnes qui avaient survécu à des choses terribles, et à chaque fois je me suis demandé comment il était possible de continuer à vivre après une expérience aussi extrême. Où les gens trouvent-ils la force de continuer sans se briser, ni physiquement, ni psychiquement, alors qu'ils ont vécu des expériences cruelles? »
L'aspiration à moins de superficialité et de sobriété, ainsi que le désir d'accompagner les gens plus longtemps, au lieu de les laisser s'exprimer uniquement dans des flashs d'information, ont poussé Karin Wenger à rendre plusieurs fois visite à ses protagonistes au cours des années qui ont suivi les premières rencontres, et à finalement écrire à leur sujet. Il en résulte trois ouvrages palpitants et très bien écrits, qui en disent plus long sur les vaines promesses et les contradictions de la mondialisation que de nombreux essais scientifiques qui ne jonglent qu'avec des chiffres et des théories.
Karin Wenger a étudié les sciences des médias et de la communication, le journalisme et la politologie. Pendant ses études, elle a travaillé comme observatrice de la paix au Chiapas et a fait des recherches sur le conflit en Irlande du Nord à Belfast. Elle a passé sa dernière année d'études à l'université de Birseit, en Cisjordanie. Depuis 2009, elle a notamment couvert pour la radio suisse alémanique (SRF) la guerre en Afghanistan, les catastrophes naturelles au Pakistan et au Népal, la démocratie indienne aux multiples facettes ou le coup d'État militaire au Myanmar.
Pour en savoir plus sur Karin Wenger et ses livres : www.karinwenger.ch
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Opinion
21.06.2022, Coopération internationale
La guerre en Ukraine a exacerbé une crise des valeurs liée à l'instrumentalisation politique de l'ONU. Les pays neutres comme la Suisse devraient s'engager davantage pour un monde meilleur, exige El Hadji Gorgui Wade Ndoye.
El Hadji Gorgui Wade Ndoye, journaliste accrédité auprès des Nations Unies. Directeur du magazine panafricain ContinentPremier.Com et correspondant permanent du « Soleil » de Dakar.
© zVg
La crise majeure que traverse l’Organisation des Nations Unies est fondamentalement identitaire. Les valeurs universelles qui ont fait le ciment des nations se fissurent et craquellent, s’effaçant face à une logique devenue belliqueuse qui ne met pas l'emphase sur les valeurs de la paix, des droits humains etc. La crise actuelle en Ukraine le démontre à souhait. Il y a, d'une part, un État, membre permanent du Conseil de sécurité, qui – en plein XXIème siècle – agresse un autre État sous prétexte de dénazification. D'autre part, un bloc occidental qui fait de la surenchère verbale et s'engage de manière déterminée à armer densément l'État concerné.
Au-delà même de la catastrophe climatique, annoncée par le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), réaffirmée par le rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) paru le 18 mai, des crises humanitaires et alimentaires gérées tant bien que mal par une Organisation des Nations Unies pauvre en moyens financiers, la guerre en Ukraine est venue exacerber une crise des valeurs liée à l'instrumentalisation politicienne de l'organisation mondiale. Le Conseil des droits de l’homme, héritier de la Commission éponyme dont le siège est à Genève, n'échappe pas toujours à cette instrumentalisation. L’ONU n'a pourtant pas été créée en 1945 sur les cendres de la société des nations (SdN), avec une vision manichéenne du « pour » ou du « contre ».
Professeur à la faculté de Droit de l'Université de Genève et membre de l'institut de droit international (IDI), Makane Moïse Mbengue propose justement un « recentrage de la rhétorique autour des valeurs, buts et principes fondateurs des Nations Unies ». Dans ce cadre, le continent africain a un rôle important à jouer, lui qui concentrait jusqu’à récemment près de 70 % du volume d’intervention de l’ONU. Le continent premier, qui n’est pas dans des blocs Est-Ouest, témoin d’un face-à-face qui malheureusement resurgit, sur fond de réchauffement de la guerre froide, pourrait apporter un « supplément d’âme » à la communauté internationale en tant qu’aîné des fils de la Terre. De même, des pays historiquement neutres devraient s’investir davantage pour un monde meilleur. C’est le cas, peut-être, de la Suisse qui vient d’intégrer l’un des plus importants des six organes des Nations Unies : le Conseil de sécurité. En effet, comme nous le souffle à l’oreille, le sociologue suisse, professeur Jean Ziegler : « L’ONU est la dernière tranchée avant le chaos. »
Ce mois de juin 2022 marque une date historique pour la Suisse qui sort de la liste des soixante-deux (62) pays qui n’ont jamais siégé au Conseil de sécurité. La Confédération suisse, devenue membre de l’ONU en 2002, pourrait désormais, avec la nouvelle confiance portée sur elle par l’Assemblée générale des Nations Unies, jouer un rôle de dégel au sein des relations entre les quinze États membres et notamment les cinq permanents (Chine, France, États-Unis, Fédération de Russie et Grande-Bretagne). Malgré les sanctions contre la Russie auxquelles elle a pris part, la crédibilité et la neutralité suisse peuvent encore servir pour bâtir des ponts entre les nations. La Confédération pourrait ainsi, avec d’autres pays comme ceux du continent africain et les pays latino-américains, pousser à un recentrage de la rhétorique au sein du Conseil de sécurité pour que celui-ci soit davantage conforme aux idéaux de la Charte des Nations Unies. La Suisse pourra se présenter comme une médiatrice dans la crise actuelle entre la Russie et l’Ukraine, n’étant membre ni de l'OTAN ni de l'Union européenne, si pendant les deux ans où elle siègera au Conseil, elle tisse sa toile médiatrice en insufflant à cet organe puissant ses valeurs de paix et de démocratie participative. Il sera difficile, voire impossible, d’éliminer le droit de veto inscrit dans la Charte des Nations Unies et qui a été accordé aux cinq membres permanents, en raison de leur rôle clé dans la création de l’Organisation.
La Suisse pourrait cependant, de concert avec d’autres États, s’inspirer de la résolution adoptée par consensus le mardi 26 avril 2022 par l’Assemblée générale. Tout recours au veto déclenchera désormais une réunion de l'Assemblée générale, au cours de laquelle tous les Etats membres des Nations Unies pourront examiner et commenter le veto. La résolution « Mandat permanent pour un débat de l'Assemblée générale lorsqu'un veto est opposé au Conseil de sécurité », adoptée sans vote, fait suite à l'utilisation par la Russie de son droit de veto au Conseil, le lendemain de son invasion de l'Ukraine, appelant à son retrait inconditionnel du pays. Une nouvelle brèche qui exige une plus grande responsabilité des États dotés du droit de veto. Les États membres ont confié au Conseil la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et ont convenu que lorsqu'il agit en leur nom, il convient que le Conseil fasse preuve de la plus grande responsabilité pour œuvrer à la réalisation « des buts et principes de la Charte des Nations Unies à tout moment ».
La Suisse, attachée aux idéaux exprimés dans la Charte des Nations Unies, doit donc inscrire sa présence au Conseil de sécurité dans la continuité logique de son engagement pour la paix et la sécurité dans le monde et au sein de l’organisation mondiale. L’objectif fondamental de la neutralité suisse coïncide avec celui de l’ONU, dans la mesure où celle-ci substitue, à la loi du plus fort et à la justice sommaire, un système basé sur le droit, pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». On peut en effet constater que les Etats dont l’indépendance et l’impartialité sont garanties par rapport à un conflit et qui n’ont pas d’intérêt national direct ou d’agenda caché dans le règlement de celui-ci, ont des prédispositions à jouer le rôle du médiateur de bonne foi (« honest broker »). Ce siège au Conseil de sécurité devrait lui offrir de nouvelles possibilités de contribuer à la paix, à la sécurité et à l’instauration d’un ordre international équitable. En définitive, même si l’ONU n’a pas réussi toutes ses missions, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle est « la dernière tranchée avant le chaos » pour paraphraser le Professeur Jean Ziegler.
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Article, Global
21.06.2022, Coopération internationale
Pour faire face aux multiples crises du Sud mondial, la Suisse devrait enfin apporter une contribution adéquate à leur lutte. Au lieu de augmenter progressivement les dépenses militaires, notre pays devrait investir dans la sécurité de la planète.
© Parlamentsdienste 3003 Bern
Le Parlement veut augmenter progressivement les dépenses militaires à partir de 2023 pour atteindre 1% du produit intérieur brut. Cela représenterait alors en 2030 trois milliards de francs suisses de plus que ce qui est dépensé aujourd'hui pour l'armée. Une décision prise à la va-vite. Selon les sondages, les Suisses voient ce réarmement d'un œil critique et même la NZZ se demande si « c'est vraiment nécessaire ». Pälvi Pulli, chef de la politique de sécurité du Département de la défense, a déclaré à « Republik » que « la Suisse n'est pas beaucoup plus menacée qu'avant la guerre ».
En revanche, il ne fait plus aucun doute que la guerre qui se poursuit en Ukraine a des conséquences dramatiques pour les pays du Sud. Sur le marché international, les prix des denrées alimentaires et des engrais à forte consommation d'énergie étaient déjà élevés avant la guerre. Puis est arrivée l'invasion, qui a entraîné une explosion des prix d'abord purement spéculative. Pourtant, le monde continue de produire suffisamment de nourriture. En mettre moins dans la mangeoire, à la poubelle et dans le réservoir des véhicules suffirait à compenser largement la perte de la récolte ukrainienne. Néanmoins, à court terme, il faut une augmentation massive de l'aide alimentaire et plus d'argent pour empêcher les gens de mourir de faim et pour prévenir les émeutes.
De même, les effets de la guerre viennent s'ajouter à l'endettement de nombreux pays du Sud, qui avait déjà fortement augmenté suite à la crise du coronavirus. Pour éviter des crises de la dette aux conséquences dramatiques pour la population, il faut à court terme un moratoire sur les paiements, puis l'implication des créanciers − y compris les banques suisses et les négociants en matières premières − dans une remise de la dette. De même, la Suisse doit céder aux pays endettés les moyens dont elle a bénéficié du Fonds monétaire international et qu'elle n'a pas utilisés (les « droits de tirage spéciaux »).
Peu après le début de la guerre, le secrétaire général de l'ONU António Guterres a lancé un avertissement : « Si notre attention collective se concentre sur le conflit, il y a un grand risque que nous négligions d'autres crises qui ne disparaîtront pas. Ce serait une tragédie si les donateurs augmentaient leurs dépenses militaires au détriment de l'aide publique au développement et de la protection du climat ».
Pour faire face aux multiples crises du Sud mondial, la Suisse devrait enfin apporter une contribution adéquate à leur lutte. Notre pays devrait investir trois milliards de francs supplémentaires par an dans la sécurité de la planète. Cela permettrait d'atteindre enfin l'objectif de financement de l'ONU pour la coopération internationale (0,7% du revenu national brut). De plus, la Suisse pourrait contribuer au financement mondial du climat à hauteur de 1%, sans double comptage, ce qui correspond à sa juste part. Ce serait un Agenda 2030 audacieux pour la Suisse, car quelle que soit sa propension aux armes, le monde ne s'arrête pas aux frontières suisses.
Prise de position d'Alliance Sud : 12 points dans la guerre pour la paix
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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
Article
29.06.2022, Coopération internationale
Le soutien de la population suisse à la coopération internationale et à la lutte contre la pauvreté est important - même en temps de crise et lorsque le budget de l'Etat est sous pression. C'est ce que montre un sondage publié par L'EPF de Zurich.
© ETH Zürich / NADEL
Selon le premier sondage national "Swiss Panel Global Cooperation", 55% des personnes interrogées estiment qu'il faudrait augmenter les dépenses de la coopération suisse au développement. La plupart surestiment toutefois le montant actuel des dépenses ; si elles étaient informées des dépenses réelles (inférieures), le soutien, déjà important, augmenterait encore nettement (à 71%).
Les principales raisons invoquées pour la coopération internationale sont le maintien de la paix dans le monde (79%), la réduction des conséquences du changement climatique (79%) et la solidarité (77%). L'enquête confirme donc la demande d'Alliance Sud d’une politique de paix globale ayant pour objectif la sécurité humaine à l'échelle mondiale.
Le sondage représentatif a été réalisé fin 2021 auprès d'environ 2800 personnes dans toute la Suisse. Elle donne un bon aperçu de l'opinion publique et on peut supposer que la guerre en Ukraine a encore renforcé le soutien à la coopération internationale. La population suisse est nettement plus critique à l'égard de l'armée : selon une enquête de l'institut de sondage Gallup, seules 38% des personnes interrogées sont favorables à une augmentation des dépenses militaires, telle qu'elle a été décidée à la hâte par le Parlement lors de la session d'été.
Diverses mesures de politique de développement, qu'Alliance Sud a toujours proposées, sont également soutenues par la population : 70% des personnes interrogées sont favorables à un renoncement aux droits de propriété intellectuelle pour les vaccins Covid-19 (ce que l'on appelle le "Trips Waiver"), et pas moins de 90% à des mesures visant à éviter les violations des droits humains et la pollution de l'environnement par les entreprises suisses. Trois quarts des personnes interrogées estiment en outre qu'il est important de prendre des mesures pour réduire l'empreinte carbone de la Suisse et pour empêcher les multinationales de transférer en Suisse, pour des raisons fiscales, des bénéfices provenant de pays à revenus faibles ou moyens. Ainsi, les questions de justice globale jouent un rôle plus important que les intérêts économiques : La population suisse est prête à soutenir des mesures politiques qui impliquent des coûts potentiels pour elle-même.
D'autres résultats de l'enquête, concernant le niveau de connaissance de la population sur la coopération internationale, donnent à réfléchir : près d'un tiers des personnes interrogées indiquent qu'elles ne se sentent pas bien informées et souhaiteraient en savoir plus sur la pauvreté et les inégalités mondiales. 88% n'ont pas ou très peu entendu parler des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies : un constat d'échec pour la Suisse et en particulier pour l'administration fédérale qui, malgré deux délégués, n'a toujours pas réussi à faire passer l'Agenda 2030 auprès du public. Le manque d'information de la population devrait également faire réfléchir le Département fédéral des affaires étrangères : fin 2020, il a empêché les organisations de développement d'utiliser les contributions de programme pour le travail d'éducation et de sensibilisation en Suisse. Selon le Contrôle fédéral des finances, cette interdiction a également eu un impact négatif sur la qualité des relations entre certaines ONG et la DDC.
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