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OMC : La Suisse peut souffler…. pour l’instant

29.11.2021, Commerce et investissements

La conférence ministérielle de l’OMC est ajournée sine die. La Suisse et l’UE sont de plus en plus isolées dans leur opposition à la levée des brevets sur les vaccins. Sans attendre la prochaine ministérielle, une décision peut et doit être prise.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

OMC : La Suisse peut souffler…. pour l’instant

Siège de l’OMC à Genève
© Isolda Agazzi

Medienmitteilung

Une nouvelle stratégie sans base légale

01.02.2022, Commerce et investissements

La Commission de politique extérieure du Conseil national (CPE-N) a tenu hier une consultation sur la nouvelle stratégie économique extérieure de la Suisse. Si Public Eye et Alliance Sud saluent cette démarche, elles regrettent le manque de base légale de cette stratégie. La Suisse doit se doter d’une loi efficace sur le commerce extérieur afin de donner une assise solide à ce domaine politique très important pour les droits humains et l’environnement.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Une nouvelle stratégie sans base légale

© Parlamentsdienste 3003 Bern

Article

Glencore vs Colombie à propos de la mine Cerrejón

22.03.2022, Commerce et investissements

Alors qu’elle affirme vouloir sortir des énergies fossiles, la multinationale suisse Glencore est devenue la seule propriétaire de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d’Amérique latine. Elle a même porté plainte contre la Colombie.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Glencore vs Colombie à propos de la mine Cerrejón

L'Arroyo Bruno, un affluent d'une rivière très importante de La Guajira, a été détourné pour augmenter l'extraction de charbon d'une carrière appelée La Puente.
© Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo (CAJAR)

Le 11 janvier, Glencore, le principal exportateur de charbon thermique au monde, annonçait le rachat des parts de BHP et Anglo American dans « Carbones » de Cerrejon, la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d’Amérique latine et l’une des plus grandes du monde. La multinationale suisse a fait une bonne affaire : en ne déboursant au final que 101 millions USD grâce à l’augmentation de la demande et donc du prix du charbon, elle est devenue l’unique propriétaire de Cerrejon. Les deux autres entreprises ont vendu leurs parts sur pression de leurs actionnaires, qui les incitent à abandonner l’énergie fossile la plus polluante pour lutter contre la crise climatique. Pourtant Glencore ne s’est pas fait de scrupules, alors même qu’elle s’est engagée à réduire son empreinte totale d'émissions de 15 % d'ici à 2026, de 50 % d'ici à 2035 et à atteindre des activités à émissions totales nulles d'ici à 2050.

Une mine responsable de graves violations des droits humains
« La mine de charbon de Cerrejon est exploitée depuis tellement d’années – cela a commencé en 1985 – que les abus de pouvoir et l’asymétrie qui existent entre les propriétaires, les communautés et l'État sont largement documentés. Ils se traduisent dans de graves violations des droits humains des communautés afro-indigènes, à commencer par les Wayuu » nous explique Rosa Maria Mateus de CAJAR, un collectif d’avocats colombiens qui défend les droits humains depuis quarante ans.  

« Carbones del Cerrejón a été déclarée responsable à de multiples reprises et a fait l’objet de plus de sept décisions judiciaires », continue-t-elle. Mais les peines ne sont jamais appliquées car elle profite de l'extrême pauvreté de ces communautés. La Guajira, où se trouve la mine, est le deuxième département le plus corrompu de Colombie. Les enfants meurent de faim et de soif et l'entreprise en profite pour offrir des compensations insuffisantes aux yeux des communautés. Nous devons changer le modèle économique et abandonner le charbon pour faire face à la crise climatique dont les habitants de La Guajira sont les premières victimes ».

Détournement de l’Arrojo Bruno condamné par la Cour constitutionnelle
L'un de ces arrêts concerne le cas de l'Arroyo Bruno, un affluent d'une rivière très importante de La Guajira qui a été détourné pour augmenter l'extraction de charbon d'une carrière appelée La Puente. Ce cours d'eau est entouré de la forêt tropicale sèche, un écosystème gravement menacé. En 2017, la Cour constitutionnelle colombienne a jugé qu'en autorisant cette expansion, d'importants impacts sociaux et environnementaux sur les droits des communautés locales n'avaient pas été pris en compte. Il s'agit notamment de la grande vulnérabilité au changement climatique de la région, qui souffre d’une grave pénurie d’eau.

La Cour a bloqué les travaux, ordonnant une nouvelle étude d’impact pour déterminer la viabilité de l'expansion minière en termes de protection des droits des communautés. En représailles, Glencore a porté plainte contre la Colombie auprès du CIRDI, le tribunal de la Banque mondiale, en invoquant le non-respect de l'accord de protection des investissements entre la Colombie et la Suisse. Dans son action en justice, la multinationale affirme que la décision du tribunal colombien concernant le cours de l'Arroyo Bruno, qui a empêché l'augmentation de l'exploitation minière, est une « mesure déraisonnable, incohérente et discriminatoire ». Pour l'instant, un arbitre a été nommé, mais on n'en sait pas plus, à commencer par les indemnités réclamées par Glencore.

« C'est un comble de vouloir être dédommagés pour les dégâts qu’on a causés ! »  S’indigne Rosa Maria Mateus. « L'entreprise prétend qu'elle a des politiques environnementales, qu'elle plante des arbres, mais nous avons constaté qu’elle ment. Elle ne respecte pas les standards environnementaux et ne parvient même pas à réparer un minimum des dommages causés. Nous avons pu prouver la pollution de l'eau et de l’air et l’impact négatif sur la santé de la population. C’est très grave, d’autant plus qu’en Europe on parle de décarbonation et de laisser le charbon dans le sol. »

Exploration des possibilités d’un Amicus curiae
Alors, que fait CAJAR ? Rosa Maria Mateus avoue que les possibilités d'action sont limitées. La seule est l'Amicus curiae, un exposé pour faire entendre la voix des communautés, mais il doit être autorisé par le tribunal d'investissement qui, selon elle, n'offre aucune garantie pour les victimes car il s'agit d'une sorte de justice privée créée pour protéger les grandes entreprises. « Mais nous allons essayer de le faire quand même et nous venons de commencer à recueillir les arguments des communautés. Ensuite, nous voulons transmettre l'Amicus curiae à des organisations amies telles qu'Alliance Sud, afin qu'elles nous aident à faire connaître la situation. Les entreprises ont un grand pouvoir médiatique, ce sont leurs vérités qui sont connues, pas les tragédies des victimes. Glencore a extrait beaucoup de ressources de Colombie, bien que l'économie du pays soit très faible. Elle représente une menace pour la souveraineté de l'État et surtout pour les tribunaux dont elle conteste la juridiction, reproduisant ainsi les pratiques coloniales. »

Troisième plainte de Glencore contre la Colombie

La Colombie fait face à un déferlement de 17 plaintes au bas mot selon la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), qui ne recense toutefois pas la dernière de Glencore. C’est la multinationale suisse qui a ouvert la voie en 2016, contestant un contrat relatif à la mine de charbon de Prodeco pour lequel elle a obtenu 19 millions USD de réparation.  
Ces plaintes sont jugées par un tribunal composé de trois arbitres – l’un nommé par la multinationale étrangère, l’autre par le pays attaqué et le troisième par les deux parties. Les tribunaux peuvent accepter des Amicus curiae, à savoir des soumissions le plus souvent écrites présentant habituellement les points de vue des communautés affectées et déposées par des ONG. A ce jour, 85 demandes d’Amicus curiae ont été présentées, dont 56 ont été acceptées. L’accord de protection des investissements avec la Colombie, sur lequel repose la plainte de Glencore, ne prévoit pas la possibilité d’un Amicus curiae. Cet accord va être renégocié et, même s’il ne constituera pas la base légale de cette plainte, Alliance Sud demande que cette possibilité y soit intégrée.

L'avocate Rosa Maria Mateus sera le 2 mai à Lausanne et le 3 mai à Genève pour parler de ce cas.

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© Rosa María Mateus
« Les enfants meurent de faim et de soif et l'entreprise en profite pour offrir des compensations insuffisantes aux yeux des communautés. Nous devons changer le modèle économique et abandonner le charbon pour faire face à la crise climatique dont les habitants de La Guajira sont les premières victimes. »

Medienmitteilung

La Suisse bloque la dérogation COVID-19

10.06.2022, Commerce et investissements

L’OMC se dirige vers un échec politique majeur dans sa réponse à la pandémie de coronavirus. Alors que sa 12ème Conférence ministérielle s’ouvre après-demain à Genève, les membres sont incapables de se mettre d’accord sur la demande de l’Inde et l’Afrique du Sud de suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins, tests et médicaments anti-covid. Par son blocage systématique, la Suisse est en première ligne de cet échec multilatéral qui n’offre aucune solution cohérente pour un accès équitable aux moyens de lutte lors de crises sanitaires.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
La Suisse bloque la dérogation COVID-19

© Patrick Gilliéron Lopreno

La semaine prochaine, la crédibilité de l’OMC et de sa directrice générale Ngozi Okonjo-Iweala se jouera à Genève. Parmi les sujets à l’ordre du jour de la 12ème Conférence ministérielle (MC12), qui se tiendra du 12 au 15 juin, figure la dérogation ADPIC (ou « TRIPS waiver »), du nom de la demande de suspension temporaire des droits de propriété intellectuelle de production et de commercialisation des vaccins, tests et médicaments anti-covid déposée par l’Inde et l’Afrique du Sud en octobre 2020. Celle-ci avait été soutenue par une centaine de pays ainsi que de nombreuses organisations et personnalités internationales, mais les États hébergeant les grandes firmes pharmaceutiques comme la Suisse ont systématiquement fait blocage.

Si la Conférence MC12 accouche finalement d’un accord, on sera très loin d’une suspension généralisée des droits de propriété intellectuelle, au vu des derniers textes rendus publics. La décision sera tout au plus un rappel d’instruments déjà existants, comme la licence obligatoire, permettant à un État d’autoriser la commercialisation de génériques malgré l’existence d’un brevet. Or, d’autres droits exclusifs, comme les secrets d’affaires ou la protection des données d’homologation, sont des obstacles avérés à un accès équitable et au transfert de technologies, contre lesquels une licence obligatoire ne pourra rien. De plus, il faudra procéder produit par produit, pays par pays, sans compter les pressions diplomatiques et commerciales accompagnant systématiquement ce type de démarches. La seule concession pouvant s’apparenter à une dérogation concerne la possibilité pour un pays éligible de réexporter un vaccin produit sous licence obligatoire, mais de manière très limitée.

Ce texte, présenté comme « compromis » entre les États membres, est en vérité imposé par les pays occidentaux, dont la Suisse. À moins d’un revirement lors de la MC12, il ne résoudra pas la répartition inéquitable des moyens de lutte contre le Covid-19. D’abord, il ne concerne que les vaccins, alors que l’accès aux traitements et aux tests diagnostiques est tout aussi inéquitable du fait des droits exclusifs détenus par Pfizer, Roche et consorts. Ensuite, il exclut de nombreux pays de la possibilité d’y recourir pour des motifs commerciaux ou géopolitiques, alors que les règles de l’OMC sont censées s’appliquer partout, sans discrimination. Enfin, il érige de nouveaux obstacles pour les pays éligibles souhaitant recourir à ce mécanisme, créant un dangereux précédent qui entravera aussi la réponse à de futures pandémies.

Un tel accord est indigne de pays occidentaux comme la Suisse se disant respectueux des droits humains, dont le droit à la santé. En tant que pays hôte de la MC12, assurant par ailleurs, depuis mars dernier, la présidence de l’organe de décision suprême de l’OMC, la Suisse disposait pourtant des leviers nécessaires pour influencer positivement le résultat final. Même (sur)approvisionnée en vaccins, traitements et tests, elle a préféré privilégier les intérêts des pharmas, qui pourront ainsi continuer à décider qui en reçoit combien, quand et à quel prix. Le Covid-19 a montré que l’OMC ne disposait pas de règles adaptées pour répondre efficacement à une crise sanitaire mondiale, et il n’a rien fait pour les mettre en place durant dix-huit longs mois.

Informations:
Isolda Agazzi, Alliance Sud, Experte Commerce et Investissements, isolda.agazzi@alliancesud.ch, +41 21 612 00 97
Patrick Durisch, Expert Politique Santé, Public Eye, patrick.durisch@publiceye.ch+41 21 620 03 06

Article, Global

Russie : les sanctions au banc d’essai

21.06.2022, Commerce et investissements

Considérées comme le seul moyen d’arrêter la guerre sans intervenir militairement, les sanctions contre la Russie soulèvent beaucoup de questions : quel est leur objectif ? Et leur efficacité ?

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Russie : les sanctions au banc d’essai

Des Ukrainiens aux Etats-Unis manifestent devant la Maison Blanche et demandent des sanctions peu après le début de l’invasion russe.
© Foto: JIM LO SCALZO / EPA / Keystone

Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février, les pays occidentaux ont adopté des sanctions sans précédent contre Moscou, qui ont reçu le soutien de 35 pays occidentaux – aucun pays en développement n’en a pris. La Suisse, qui s’est alignée sur les sanctions de l’Union européenne dans près de la moitié des cas au cours des vingt dernières années, a fini par les reprendre aussi car la pression internationale et interne devenait trop forte.

C’est la première fois que des sanctions ont même été prises contre la banque centrale d’un pays du G20, si bien qu’il est difficile pour l’heure de dire si elles vont fonctionner ou pas. Mais que veut dire « fonctionner » ? Quel est leur but ? Et l’impact sur la population, russe notamment ?

« Les sanctions ont un certain nombre d'objectifs qui se chevauchent et même les pays qui les adoptent ne savent pas toujours exactement lequel ils visent », relève Dmitry Grozoubinski, directeur exécutif de la Geneva Trade Platform. Pour la Russie, il y a quatre objectifs : le changement de régime ; le changement de politique ; l’asséchement financier de l’appareil militaire ; et l’expression du mécontentement de l’Occident. »

Changement de régime jamais atteint

L’ancien diplomate australien est catégorique : le premier objectif n’a jamais été atteint. Les sanctions n'ont jamais conduit à un changement de régime, sauf peut-être dans le cas de l'Afrique du Sud de l’apartheid. « Le peuple russe a l'habitude de se serrer la ceinture, surtout lorsqu'il se sent attaqué par des forces étrangères, souligne-t-il. Les sanctions financières pénalisent notamment les jeunes, les personnes instruites, la classe urbaine et beaucoup quittent le pays, alors même qu’ils seraient la meilleure chance de changer le régime. »
Quant au changement de comportement, il estime, tout comme Erica Moret, coordinatrice du Geneva International Sanction Network, que c’est plus compliqué : la Russie tient sans doute compte des sanctions, mais il est difficile de savoir si elles constituent un facteur déterminant pour décider de la poursuite de la guerre, l’ouverture de négociations diplomatiques, l’utilisation d’armes chimiques, le bombardement d’une école ou d’un hôpital.

En revanche, Dmitry Grozoubinski affirme qu’elles ont prouvé leur efficacité pour assécher les ressources militaires russes. Selon certains experts, les sanctions imposées à Moscou après l’annexion de la Crimée en 2014 expliquent son manque flagrant de technologie militaire de pointe : l’industrie de l’armement ne peut pas se procurer les composants sur les marchés occidentaux, notamment les semi-conducteurs, et il est peu probable que la Chine et l’Inde viennent combler ce vide.

Quant au côté symbolique des sanctions, l’expert relève que le signalement du désaccord des pays développés nécessite que les Européens acceptent d’en payer le prix - ce qui est en train de se passer, même s’ils ne sont pas prêts à couper complètement l’approvisionnement en gaz et en pétrole, pour l’instant du moins.

« L’économie russe est foutue »

Quant à l'impact sur la population russe, il serait assez sévère. Le Russe Maxim Mironov, qui est professeur à la IE Business School en Espagne, a tweeté que « l'économie russe est foutue ». Selon lui, la population va être particulièrement impactée par l’effondrement et le ralentissement de l’industrie manufacturière car les composants et les machines occidentales ne peuvent plus être importées. Ceci est vrai dans tous les domaines, 90% des semences de pommes de terre russes étant importées.

« L'un des défis du commerce est qu'une transaction internationale ne se résume pas à l'achat et à la vente : il faut des assurances, des finances, des sociétés de transport et la plupart ont arrêté les opérations par crainte des risques et du boycott, poursuit Dmitry Grozoubinski. De nombreux fabricants de médicaments continuent de vendre à la Russie, mais comment vont-ils faire s’il n’y a plus de navires, vu qu’aucun n’est prêt à embarquer une cargaison non assurée ? Et si les banques sont exclues du système Swift, les négociants basés à Genève se retrouvent face à des difficultés insurmontables. »

Sanctions de moins en moins ciblées

« Les sanctions sont de moins en moins ciblées, renchérit Erica Moret. Vers l’an 2000, après les crises humanitaires à Cuba, en Haïti, en Iraq et ailleurs, l’ONU et les différents gouvernements, dont les Etats-Unis, ont essayé d’adopter des sanctions ciblées – comme le gel des biens de plusieurs personnes ou sociétés, les restrictions de voyage, l’interdiction de vente et d’achat d’armes. Mais depuis vingt ans, on assiste de plus en plus à l’imposition de sanctions de facto exhaustives, qui portent sur des secteurs entiers, notamment les finances et l’énergie. Si sur le papier, elles restent ciblées, en pratique elles commencent à ressembler à un embargo sur un pays. On le voit avec l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, le Venezuela. Et les études montrent que les sanctions qui visent la banque centrale ou le secteur énergétique ont des impacts importants au niveau humanitaire, avec une hausse de l’inflation et du chômage. »

Selon la chercheuse, cependant, il est très difficile de mesurer l’impact des sanctions en les isolant des autres facteurs : corrélation ne veut pas dire cause. Au Soudan, au Venezuela et en Birmanie, par exemple, la situation humanitaire catastrophique ne peut pas être imputée seulement aux sanctions, mais aussi à l’oppression par le gouvernement, la corruption, la mauvaise gouvernance et les violations des droits humains. « C’est important de le souligner car le sujet est très politisé. Les sanctions sont toujours utilisées par les gouvernements comme argument pour dire qu’elles sont la cause de tous les problèmes, alors que d’autres facteurs entrent en jeu aussi. »

Problème d’overcompliance

Erica Moret souligne qu’en plus de l’élargissement des sanctions, l’entrée en vigueur d’autres règles anti-corruption et anti-blanchiment d’argent, que le secteur privé et les banques sont obligés de suivre, ajoute encore à la complexité. Elle relève « un problème de surconformité » (over compliance) par peur d’attraper des amendes qui peuvent atteindre des milliards, si bien que certaines banques préfèrent se retirer entièrement de pays comme la Syrie ou l’Iran. « L’overcompliance et le de-risking [le fait de minimiser les risques] sont souvent plus importants que les sanctions, car même les plus strictes prévoient des dérogations qui, en théorie, laissent passer le commerce de médicaments, de nourriture, etc., Mais la surconformité se retrouve dans toute la chaîne d’approvisionnement, dans l’assurance, le transport, la technologie... »

Pour Erica Moret, s’il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de ce phénomène sur la Russie, il est certain que le boycott des multinationales est lié aussi bien aux sanctions qu’à une question de réputation et de responsabilité sociale. D’un point de vue symbolique, il joue un rôle important car il montre à la population russe que la plupart des entreprises occidentales sont contre la guerre et cela aide à renforcer le message de la « communauté internationale. » Mais l’un des risques des sanctions larges est que la population soutienne encore plus le gouvernement, surtout dans les pays où les médias sont contrôlés. Si la fuite de produits de luxe n’a pas d’impact humanitaire, celle des entreprises de médicaments, de nourriture et de technologie essentielle peut en avoir un.

L’ONU dénonce l’impact des sanctions sur les droits humains

Le 25 mars 2022, huit experts de l’ONU – dont les rapporteurs spéciaux sur le droit à l’alimentation, à la santé et à l’eau potable – ont appelé les Etats à tenir compte de l’impact humanitaire lorsqu’ils imposent des sanctions.

Ils écrivent : « Les sanctions unilatérales qui visent les systèmes fiscaux, y compris les transferts de fonds ainsi que d'autres transactions financières internationales, et qui sont liées aux besoins fondamentaux d'une population, vont à l'encontre du principe fondamental des droits de l'homme qui consiste à "élever le niveau de vie". Elles sont inacceptables. [..] Les banques et les entreprises ne doivent pas empêcher ni être empêchées de commercer et de livrer de la nourriture, de l'eau, des équipements médicaux, des médicaments et des vaccins vitaux, des pièces de rechange, des équipements ou des réactifs nécessaires à la maintenance des infrastructures critiques, dans un esprit de diligence raisonnable et de responsabilité des entreprises pour protéger les droits de l'homme. »

Selon Erica Moret, les sanctions ne sont qu’un outil parmi d’autres, à côté de la diplomatie et des bons offices. Elles affectent plus un pays fortement intégré dans l’économie globale, comme la Russie, qu’un pays déjà isolé. Alliance Sud exhorte la Suisse et la communauté internationale à veiller à ce que les sanctions n’aient pas un impact démesuré et inutile sur la population.

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Communiqué

Une première pierre est posée

21.03.2023, Commerce et investissements

Lors de sa séance d'aujourd'hui, la Commission de politique extérieure du Conseil national (CPE-N) a adopté une initiative visant à réviser la « Loi fédérale sur les mesures économiques extérieures ».

L'initiative de commissioni demande au Conseil fédéral de modifier la loi afin de garantir la protection des droits humains et des standards environnementaux dans les accords commerciaux de la Suisse. Public Eye et Alliance Sud soutiennent cette première étape, mais demandent en même temps une loi complète sur l’économie extérieure. La guerre d’agression menée par la Russie en Ukraine et l’attitude agressive de la Chine vis-à-vis de Taïwan montrent que la Suisse doit asseoir sa politique économique extérieure sur une nouvelle base.

Public Eye et Alliance Sud critiquent depuis longtemps les lacunes de la base légale pour l'élaboration d'une politique économique extérieure suisse durable et équitable. La nécessité d'une meilleure prise en compte de l'impact des accords commerciaux sur les droits humains s'est récemment manifestée dans le cas de produits importés de la région chinoise du Xinjiang et soupçonnés d'être issus du travail forcé. La courte victoire dans la votation populaire sur l’accord de libre-échange avec l’Indonésie montre aussi clairement qu’une grande partie du peuple est favorable à une réorientation de la politique économique extérieure de la Suisse. Les deux organisations saluent donc l'orientation de l'initiative de commission adoptée aujourd’hui et la prise de conscience de la nécessité d'une plus grande transparence et participation parlementaire dans cet important domaine.

Pour sa légitimité démocratique, la politique économique extérieure a toutefois besoin de toute urgence d'une base juridique plus solide. C'est pourquoi Public Eye et Alliance Sud demandent une loi complète sur l'économie extérieure qui aille nettement plus loin que l'initiative de commission. La loi doit fixer un cadre clair pour les relations économiques avec des États totalitaires et définir des processus pour gérer les fréquents conflits d’objectifs de manière à promouvoir les intérêts économiques suisses à l’étranger en accord avec les objectifs de politique extérieure et les engagements internationaux de notre pays.

Plus d'informations auprès de :
Thomas Braunschweig, tel: 044 277 79 11
Andreas Missbach, tel: +41 31 390 93 30

Commerce international

Commerce international

La politique commerciale de la Suisse peut entraver la capacité des pays en développement à réguler dans l’intérêt public et à promouvoir le droit à la santé et à l’alimentation. Alliance Sud s’engage pour que la Suisse leur laisse la marge de manœuvre nécessaire à leur développement.

De quoi s’agit-il ?

Publikationstyp

De quoi s’agit-il ?

Alliance Sud a participé à toutes les conférences ministérielles de l’Organisation mondiale du commerce depuis sa création en 1995, exhortant la Suisse à ne pas contrer les intérêts des pays en développement Mais ceux-ci sont devenus plus puissants au sein de cette organisation et ne se laissent plus dicter leur volonté par les pays riches.

Alliance Sud continue à suivre les activités de la Suisse à l’OMC et à veiller à ce qu’elle ne participe pas à des initiatives pouvant nuire aux pays en développement, comme la question des vaccins anti-covid lors de la dernière ministérielle. Au niveau bilatéral, elle s’engage pour des études d’impact efficaces sur les droits humains et pour l’inclusion d’un chapitre sur le développement durable assorti de sanctions.

Article

OMC : un succès en trompe l’œil

20.06.2022, Commerce et investissements

La 12ème conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce a adopté une décision sur le covid qui ne résout pas le problème et n’a pas trouvé de solution permanente aux stocks obligatoires de denrées alimentaires.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

OMC : un succès en trompe l’œil

© Netzwerk OWINFS (Our World is Not for Sale)

Tout ça pour ça. L’Organisation mondiale du commerce (OMC), dont la 12ème conférence ministérielle était censée se terminer le 15 juin, aura eu besoin de deux nuits et un jour supplémentaire pour produire des documents finaux qui ne contribuent à résoudre ni la crise sanitaire, ni la crise alimentaire qui frappent le monde. Comme souvent dans ce genre de négociations, c’est parce que ces textes reflétaient un consensus qui ne satisfaisait véritablement personne qu’ils ont fini par être adoptés.

Sur la réponse au covid d’abord, les 164 membres se sont entendus au forceps sur une Décision sur l’accord sur les ADPIC qui est loin, très loin de la proposition présentée par l’Inde et l’Afrique du Sud en octobre 2020. Celle-ci demandait une dérogation temporaire de tous les droits de propriété intellectuelle – brevets, secrets des affaires et exclusivité des données – sur les vaccins, médicaments et tests anti-covid, afin d’en faciliter la production et commercialisation dans les pays en développement. Soutenue par une centaine de pays et par les ONG du monde entier, elle était farouchement combattue par la Suisse, l’Union européenne, les Etats-Unis et la Grande Bretagne.

Licence obligatoire très difficile à mettre en œuvre

La décision adoptée ne fait que répéter des dispositions déjà existantes à l’OMC, notamment la possibilité pour un pays en développement éligible – la Chine s’est engagée à ne pas en bénéficier – d’émettre des licences obligatoires sur les vaccins pendant cinq ans au moins, c’est-à-dire de commercialiser des génériques sans tenir compte des brevets. Les membres devront se retrouver d’ici à six mois au maximum pour décider s’ils étendent la décision aux médicaments et tests anti-covid. Cette disposition n’aide en rien à renforcer les capacités de production sur place : il est inutile de lever les brevets sans dévoiler les secrets de fabrication et transférer la technologie et le savoir- faire. Pourtant des pays comme l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Sénégal sont prêts à fabriquer des vaccins à l’ARN – Messager et les accords éventuels passés avec des entreprises pharmaceutiques, soumis au bon vouloir et aux conditions de ces dernières. ne résolvent pas fondamentalement le problème.

De plus, le mécanisme des licences obligatoires est très difficile et long à mettre en œuvre et, bien qu’existant depuis 2001, il a été utilisé très rarement. La Suisse en sait quelque chose, qui a fait pression sur la Colombie en 2015 pour qu’elle renonce à émettre une licence obligatoire du Glivec, un anti-cancéreux fabriqué par Novartis, ce qui aurait permis de faire baisser de 77% le prix d’un traitement estimé à 15’000 USD au bas mot par patient et par an.

Au vu de cette situation, les ONG dont Alliance Sud auraient préféré qu’il n’y ait pas d’accord du tout plutôt qu’un mauvais accord : les membres auraient été obligés de remettre l’ouvrage sur le métier et d’essayer de trouver une solution satisfaisante dans le cadre multilatéral.

Pas de solution permanente aux stocks obligatoires de denrées alimentaires

La réponse à la crise alimentaire qui menace les pays du Sud, à cause notamment de la guerre en Ukraine et de la crise climatique, n’est pas tellement meilleure. La principale mesure qui aurait permis aux pays en développement d’augmenter leur capacité de production n’a pas été adoptée.

Neuf ans. Cela fait presque une décennie que l’Inde et de nombreux pays en développement attendent une solution permanente à la question brûlante des stocks obligatoires. Ces programmes d’aide alimentaire leur permettent de soutenir les paysans et consommateurs pauvres sans risquer de faire l’objet d’une plainte devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Une « clause de paix » avait été décidée en ce sens à la ministérielle de Bali, en 2013, censée durer jusqu’à ce qu’une solution permanente soit trouvée. Elle prévoyait que l’OMC revoie ses règles sur l’agriculture pour permettre aux pays en développement de soutenir leurs paysans et consommateurs pauvres, comme les pays développés le font depuis longtemps – les Etats-Unis, pour ne mentionner qu’eux, à hauteur de 75 milliards USD par an, à l’époque. Les Etats-Unis et quelques autres pays ne voulaient pas en entendre parler, de peur que l’Inde exporte ses céréales subventionnées, mais une solution temporaire avait pu être trouvée, censée durer jusqu’à l’avènement d’une solution permanente.

Celle-ci a été repoussée sans cesse et même cette ministérielle n’aura pas permis de parvenir à un accord. Un projet de Décision finale sur la sécurité alimentaire visant une solution permanente d’ici à la prochaine ministérielle n’a finalement pas été adopté. Certains craignent qu’elle ne voie jamais le jour.

L’Inde devenue auto-suffisante sur le plan alimentaire

Pourtant la décision de Bali a permis à l’Inde de mettre en œuvre un programme d’aide alimentaire estimé à 20 milliards USD par an. Prenant la parole le 14 juin, le ministre indien du Commerce, Shri Piyush Goyal, a rappelé que l’Egypte et le Sri Lanka, particulièrement affectés par la crise alimentaire, avaient aussi demandé une solution permanente aux stocks obligatoires – comme beaucoup d’autres pays en développement. Car ces stocks fonctionnent : « L’Inde a fait l’expérience de passer d’une nation déficiente sur le plan alimentaire à une nation largement autosuffisante. Le soutien de l’État, sous la forme de subventions et d’autres interventions gouvernementales, a joué un rôle très important pour parvenir à cette autosuffisance. C’est pourquoi nous nous battons au nom de tous les pays en développement, y compris les Pays les moins avancés (PMA), en nous fondant collectivement sur notre propre parcours et notre expérience », a-t-il déclaré.

La difficulté est qu’une solution permanente nécessite une révision de l’Accord sur l’agriculture et là, c’est du donnant – donnant. Les pays développés, comme la Suisse, veulent lier la question des stocks obligatoires à d’autres sujets sensibles, comme les soutiens internes en agriculture. Ils veulent un programme de travail complet sur tous les piliers agricoles – soutiens internes, accès au marché, subventions aux exportations – et n’étaient pas favorables à un règlement définitif de la question des stocks obligatoires dans le cadre de cette conférence. Ils avaient des questions sur ces stocks, la façon dont ils fonctionnent et la revente éventuelle sur le marché international.

La canicule qui frappe Genève aurait pourtant dû rappeler aux délégués que le dérèglement climatique menace la planète entière, à commencer par la sécurité alimentaire des pays les plus pauvres. En agriculture comme en matière de propriété intellectuelle, les règles de l’OMC fixées il y a des décennies ont besoin d’une sérieuse mise à jour dans l’intérêt de tous.