Communiqué

Revoir les accords d'investissements injustes

22.05.2023, Commerce et investissements

Alliance Sud fait partie d'une délégation d'ONG qui appelle en Colombie à dénoncer les accords de protection des investissements, y compris celui conclu avec la Suisse, et notamment à abandonner le mécanisme controversé de l'arbitrage.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Revoir les accords d'investissements injustes

Communiqué

Obsolètes, unilatéraux, à réviser

25.02.2013, Commerce et investissements

Les 130 accords de protection des investissements de la Suisse couvrent unilatéralement les intérêts des investisseurs et limitent exagérément la marge de manœuvre politique des pays d’accueil. Il convient de revoir le nouvel accord avec la Tunisie.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

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Obsolètes, unilatéraux, à réviser

Communiqué

Colombie : rapport exige plan de fermeture pour mine de Glencore

05.12.2023, Commerce et investissements

Un nouveau rapport demande que Glencore retire la plainte contre la Colombie au sujet de la déviation de l’arroyo Bruno, qu’il présente un plan de fermeture responsable avec la participation des communautés et qu’il crée un fonds de réparation intégral de l’environnement. La pression augmente pour que l'accord de protection des investissements avec la Suisse soit également amélioré.

Isolda Agazzi
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Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Colombie : rapport exige plan de fermeture pour mine de Glencore

Isolda Agazzi avec une délégation d'ONG au Parlement colombien, 30 mai 2023.

© Alliance Sud

Communiqué de presse du 5 décembre d’Alliance Sud, ASK, Public Eye, CINEP, CENSAT Agua Viva/Amigos de la Tierra Colombia, Pro Natura/Friends of the Earth Switzerland

Trois représentantes d’ONG et de communautés colombiennes étaient de passage en Suisse la semaine dernière pour dénoncer les agissements de Glencore, propriétaire exclusif de la mine de charbon de Cerrejón, la plus grande exploitation à ciel ouvert d’Amérique latine. Carolina Matiz de CINEP, Tatiana Cuenca de Censat Agua Viva et Greylis Pinto, représentante de la communauté de Chancleta, vivant à proximité de la mine, terminaient ainsi un tour de trois semaines, qui les a menées en Suisse, Belgique, Allemagne, Pays-Bas et Danemark.

Elles ont présenté aux gouvernements, aux représentants de la société civile et des institutions financières un rapport intitulé «Does Cerrejón always win?», qui détaille la façon dont cette mine opère depuis 40 ans dans la Guajira, le département le plus pauvre de Colombie. Sur ces terres semi-désertiques, où vivent le peuple Wayuu, des afro-descendants et des petits paysans, l’activité minière a asséché 17 rivières, déplacé 25 communautés et provoqué la mort de 5'000 enfants wayuus de faim et de soif ces dix dernières années.

Greylis a raconté comment sa communauté afro-colombienne a été déplacée de force il y a 11 ans sans que soient respectés les standards internationaux en la matière. Elle vivait de l'agriculture, de l'élevage et de la chasse, mais dans son nouvel emplacement elle n'a pas de terre, ni d'eau et a perdu ses traditions et coutumes. Jusqu'à aujourd'hui, ses membres ne bénéficient pas de programmes sociaux, n’ont pas de revenus stables, ni de perspectives.

Douze sentences de la cour constitutionnelle, aucune appliquée

La cour constitutionnelle de Colombie a émis douze sentences en faveur des communautés, mais aucune d'entre elles n'a été pleinement respectée et l'une d'entre elles a fait l'objet de pressions pour obtenir des millions de dollars de compensation. La dernière de ces décisions, qui remonte à 2017, demande à Glencore de suspendre la déviation de l’arroyo Bruno, un affluent du rio Rancheria (le seul de la région) jusqu’à ce que des études d’impact environnemental sérieuses aient été menées et qu’il le retourne à son cours naturel. Pour s’opposer à cette sentence, Glencore a porté plainte contre la Colombie sur la base de l’accord de protection des investissements entre cette dernière et la Suisse. C’est la troisième plainte en cours de la multinationale basée à Zoug contre Bogota et le montant de l’indemnisation demandée n’est pas connu. Il y a quelques jours, on a appris que Glencore a déposé une quatrième plainte, probablement en relation avec la mine de Prodeco.

Le rapport des organisations colombiennes demande :

-    Que Glencore retire la plainte contre la Colombie pour la déviation de l’arroyo Bruno ;
-    Qu’il présente un plan de fermeture responsable avec la participation des communautés et qu’il crée un fonds pour la réparation intégrale du territoire, qui implique la restauration de l'écosystème, l'indemnisation des dommages subis par les victimes et la reconnaissance des dommages subis par ces dernières par le biais d'actions publiques. La concession actuelle expire en 2034 et la peur est grande de voir le géant minier se retirer précipitamment, comme il l’a fait de la mine de Prodeco, dans la région voisine de Cesar, laissant à l’Etat colombien le fardeau de dépolluer les lieux, dans un milieu devenu hautement conflictuel ;
-    Que les institutions financières arrêtent de financer les mines de charbon en Colombie, ou qu’elles exercent leur influence pour que ces dernières respectent les droits humains et l’environnement.

Lors de la mission internationale en Colombie de mai 2023, à laquelle a participé Alliance Sud, le gouvernement colombien a annoncé vouloir renégocier tous ses accords d’investissement, à commencer par celui avec la Suisse. La renégociation a déjà commencé. Les organisations signataires de ce communiqué demandent d’exclure de ce nouvel accord le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etat (ISDS), qui permet à une entreprise étrangère de porter plainte contre l’Etat hôte s’il adopte des règles de protection de l’environnement et des droits humains.

Faute de quoi, ce sont les entreprises qui risquent de gagner toujours, quoi qu’il arrive et quel que soit leur bilan environnemental et en termes de droits humains, comme c’est le cas de Glencore.

 

Pour plus d’informations :
Isolda Agazzi, responsable de la politique d’investissement, Alliance Sud, tél. 022 901 07 82, isolda.agazzi@alliancesud.ch
Stephan Suhner, directeur de l’Association Suisse – Colombie, stephan.suhner@askonline.ch, tél. 079 409 10 12
Carolina Matiz, CINEP, mmatiz@cinep.org.co

 

 

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Moteur du développement ou nouvelle colonisation ?Entwicklungsmotor, Neokolonialismus – oder beides?

09.12.2019, Commerce et investissements

Avec les Nouvelles routes de la Soie, la Chine marque le développement mondial d'une manière sans précédent. Mais à quel point est-ce durable ? La Suisse veut une part du gâteau et a signé un protocole d'entente avec la Chine.

Isolda Agazzi
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Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Moteur du développement ou nouvelle colonisation ?Entwicklungsmotor, Neokolonialismus – oder beides?

Honneurs militaires pour le Premier ministre hongrois Viktor Orban lors du Belt and Road Forum 2017 devant le Grand Hall du peuple à Beijing, Chine.
© Andy Wong / AP / Keystone

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Le plus grand gisement de nickel au monde

19.03.2021, Commerce et investissements

Le gouvernement de la Tanzanie vient de signer un contrat avec une multinationale anglaise qui prévoit le partage des bénéfices et la fonte du nickel sur place. Une tendance à l’intervention de l’Etat qu’on observe aussi dans la Zambie voisine.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Le plus grand gisement de nickel au monde

Deux pêcheurs rament devant le pétrolier « Miracle », battant pavillon des îles Marshall, après son échouement dans l'embouchure du port de Dar Es Salam, le 13 février 2016.
© Daniel Hayduk / AFP

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Des progrès, mais on peut mieux faire

27.09.2022, Commerce et investissements

Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie permet à priori de réglementer dans l’intérêt public, mais il est assorti de dispositions qui pourraient réduire cette possibilité à néant.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Des progrès, mais on peut mieux faire

Destruction de l’environnement sur les concessions de la plus grande entreprise indonésienne d’huile de palme à Kapuas Hulu, sur l’île de Bornéo.
© AFP PHOTO / ROMEO GACAD

L’Indonésie est l’un des rares pays à avoir dénoncé pratiquement tous ses accords de protection des investissements (API) - y compris celui avec la Suisse en 2016 - après avoir fait face à des arbitrages qui lui ont couté des millions de dollars. Mais dans les renégociations Djakarta fait face à l’opposition des pays industrialisés, sans compter que son nouveau modèle d’accord ne contient pas certaines des innovations fréquentes dans la pratique récente des traités d'investissement.

La Confédération aussi a renégocié un traité, mis en consultation pour la première fois à l’été 2022. « Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie contient des innovations importantes et reprend de bonnes pratiques récentes. Par rapport à l’ancien, il constitue un progrès indéniable, mais pour un accord conclu en 2022, il était possible d’aller plus loin sur certaines aspects », nous déclare d’emblée Suzy Nikièma, la responsable des investissements durables à l’Institut international pour le développement durable (IISD), un Think Tank international qui fournit de l’assistance technique et des opportunités de collaboration, conduit des recherches et propose des solutions pour que les investissements soient des vecteurs du développement durable.

Traités ne promeuvent pas le développement durable

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur le fait que ces traités d’investissement posent un problème, mais quoi faire ? Comme le note Suzy Nikièma, « ils ont été conçu dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide pour protéger les droits des investisseurs opérant à l’étranger, à une époque où le développement durable n’était pas une préoccupation centrale. Il est donc crucial de repenser le rôle, la valeur ajoutée et le contenu de ces puissants instruments à l’aune des enjeux et des objectifs actuels ».   

Comme le note également Josef Ostřanský, Conseiller en droit et politique des investissements à IISD, le traité avec la Suisse a une définition large de l’investissement et ne fait pas de distinction entre investissement polluant à forte intensité de carbone et investissement à faibles émissions. Il s’agit là du principal problème de ce traité. En effet, il n’y a aucun moyen de filtrer les entreprises étrangères, donc le traité protégera même une entreprise minière suisse qui pollue en Indonésie. Il faut bien le reconnaître : cette distinction n’existe à ce jour dans aucun traité, mais la Suisse pourrait montrer la voie.  

Investisseurs mieux définis, mais avec très peu d’obligations
La définition de l’investisseur, en revanche, devenue plus précise, permet d’éviter le treaty-shopping, à savoir le fait d’utiliser un traité plus favorable conclu par un autre pays. Est défini comme investisseur toute personne physique détentrice de la nationalité ou toute personne morale qui mène des activités économiques substantielles dans le pays, y est immatriculée et y dispose d’un siège social.

En revanche, ces mêmes investisseurs sont soumis à très peu d’obligations : deux petits articles seulement sur 44 sont consacrés à la responsabilité sociale des entreprises et à la lutte contre la corruption, mais de façon purement exhortative. Ils ne précisent aucun mécanisme d’application ni aucune conséquence juridique de leur violation.

Des efforts ont été consentis pour clarifier le traitement juste et équitable, la clause de la nation la plus favorisée et le droit de réglementer. Mais ceux-ci pourraient être réduits à néant par un article étonnant (37) qui stipule que les investisseurs peuvent se prévaloir du régime juridique le plus favorable applicable entre les parties. Il s’agit de l’une des dispositions les plus problématiques de l’API et, pour Alliance Sud, il faut la supprimer.

Plainte pour licence obligatoire exclue de la portée de l’expropriation

En revanche, Alliance Sud salue le fait que l’API spécifie dans l’Annexe A que les mesures réglementaires d’intérêt public visant à protéger la santé publique, la sécurité et l’environnement ne puissent pas être considérées comme une expropriation indirecte et donner lieu à des compensations financières. Mais certaines formulations pourraient en réduire drastiquement l’impact, car il ajoute « sauf en de rares circonstances où l’impact d’une mesure ou d’une série de mesures est si grave au regard de leur but qu’elles semblent manifestement excessives ». Il faut donc supprimer cette partie de l’annexe A.

En revanche, l’art. 7 al. 6 est le bienvenu, car il prévoit que l’expropriation indirecte ne s’applique pas à la délivrance de licences obligatoires accordées conformément à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).  

Alliance Sud a dénoncé à maintes reprises la pression exercée par la Suisse sur la Colombie pour qu’elle renonce à émettre une licence obligatoire du Glivec (un anti-cancéreux fabriqué par Novartis), tout comme la menace de plainte de Novartis contre la Colombie sur la base de l’API Suisse – Colombie. Le nouvel article devrait rendre ce genre de plaintes impossibles.

ISDS toujours là

Finalement, l’un des principaux problèmes du nouveau traité est que le mécanisme de règlement des différends investisseur – Etat (ISDS) par voie d’arbitrage est toujours là. Il n’y a pas non plus d’obligation de recourir aux tribunaux nationaux, et encore moins d’épuiser au préalable les voies de recours internes. La participation de parties tierces au litige comme pour l’amicus curiae (amis de la cour) n’est pas prévue et la médiation, bien qu’envisagée, reste facultative.

Alliance Sud a pourtant travaillé avec Rambod Behboodi, un avocat de droit international, pour élaborer une proposition visant à renforcer et à promouvoir la conciliation et la médiation dans les plaintes commerciales et d'investissement. La proposition, élaborée principalement dans l'optique de l'OMC, comporte des éléments structurels et institutionnels transposables aux traités d’investissement, moyennant quelques adaptations.

Ne pas inclure l’ISDS dans un traité d’investissement est possible. Comme l’indique Abas Kinda, Conseiller en droit international à l’IISD, « le nouvel modèle d’accord du Brésil met l’accent sur la prévention, la médiation et le règlement des différends d’Etat à Etat et ne prévoit pas l’ISDS ».

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La Suisse doit résilier la Charte de l’énergie

05.12.2022, Commerce et investissements

De plus en plus de pays se retirent du Traité sur la Charte de l’Energie, qui protège les investissements dans les énergies, mêmes fossiles, et retarde la transition énergétique. Pour Alliance Sud, la Suisse aussi devrait le faire.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

La Suisse doit résilier la Charte de l’énergie

La fuite du gazoduc Nord Stream dans la mer Baltique, photographiée par les satellites Pléiades Neo.
© AFP Photo / Airbus DS 2022 / Keystone

En 2019, le Nord Stream 2 a porté plainte contre l’UE, lui reprochant sa décision d’amender une nouvelle directive sur le gaz afin d’imposer les mêmes standards aux pipelines opérant à l’intérieur de son territoire qu’à ceux qui y entrent. L’entreprise affirme que ces dispositions violent, entre autres, les clauses du traitement juste et équitable, de la nation la plus favorisée et de l’expropriation indirecte contenues dans le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE).

Or Nord Stream 2, censé transporter du gaz naturel de la Russie à l’Allemagne, était – elle a fait faillite au début de l’année – une entreprise suisse : bien qu’appartenant à la compagnie d’Etat russe Gazprom, son siège était à Zoug. Ceci dit, ce pipeline controversé n’est jamais entré en fonction, après que l’Allemagne a bloqué le projet le 22 février, suite à l’invasion russe de l’Ukraine.

Six plaintes d’investisseurs suisses sur la base de la Charte de l’Energie

Sur les 43 plaintes connues d’investisseurs suisses devant des tribunaux arbitraux, six reposent sur la Charte de l’Energie : trois contre l’Espagne (deux sont encore en cours et une a été remportée par l’investisseur, Operafund, qui reprochait à Madrid des réformes dans le secteur des énergies renouvelables, y compris une taxe de 7% sur les revenus et une réduction des subventions aux producteurs; une contre la Roumanie par Alpiq, qui a perdu ; et une contre la Pologne, perdue par l’investisseur suisse, Festorino).

L’Espagne doit faire face à un record de cinquante plaintes au bas mot sur la base de ce traité controversé, la plupart du temps pour avoir coupé les subventions aux énergies renouvelables. Selon les calculs du Transnational Institute, les dédommagements réclamés par les investisseurs étrangers dépasseraient les 7 milliards d’euros au moins ! Dès lors, ce n’est pas étonnant que Madrid ait décidé de résilier le traité, tout comme la France, la Pologne, les Pays-Bas et l’Allemagne.  La Belgique et d’autres pays européens sont en train d’y réfléchir. « Je regarde avec inquiétude revenir les hydrocarbures et les énergies fossiles les plus polluantes, a déclaré Emmanuel Macron, cité par « Le Monde ». La guerre sur le sol européen ne doit pas nous faire oublier nos exigences climatiques et notre impératif de réduction des émissions de CO2. Le fait de nous retirer de ce traité est un élément de cette stratégie. »

Selon les derniers chiffres publiés par le secrétariat de la Charte, 142 plaintes ont été déposées sur la base de ce traité, mais elles pourraient être beaucoup plus nombreuses car les Etats n’ont pas l’obligation de les notifier. C’est de loin le traité qui a donné lieu au plus grand nombre de plaintes.  L’Allemagne elle-même a été attaquée à deux reprises pour sa décision de sortir du nucléaire : dans le cas Vattenfall vs Germany I, le montant de la compensation versée par Berlin à l’entreprise suédoise n’est pas connu ; dans Vattenfall vs. Germany II, la compagnie suédoise a obtenu 1'721 milliards USD de dédommagement.

La Suisse, jamais attaquée, n’a pas l’intention de sortir

La Suisse, quant à elle, n’a jamais fait l’objet d’aucune plainte sur la base du TCE – en tout et pour tout, elle a fait l’objet d’une seule plainte de la part d’un investisseur des Seychelles, encore en cours. Dès lors, va-t-elle quitter le traité ? « Non », nous répond Jean-Christophe Füeg, chef des affaires internationales à l’Office fédéral de l’énergie, s’empressant d’ajouter que « les critiques de ce traité ignorent que celui-ci s’applique uniquement aux investissements étrangers. En d’autres termes, les investissements domestiques ou provenant de pays non-parties (Etats-Unis, Norvège, Chine, pays du Golfe, Australie, Canada…) ne sont pas couverts. »

Selon lui, la version modernisée de cette Charte, approuvée par le Conseil fédéral le 22 novembre, devrait permettre de réduire drastiquement les plaintes et de limiter la portée du traité : « L’UE comptera désormais comme une seule partie, ce qui veut dire que des plaintes d’investisseurs à l’intérieur de l’UE seront désormais exclues, ajoute-t-il. Cela réduit le TCE à un traité entre l’UE, la Grande-Bretagne, le Japon, la Turquie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Suisse, les autres parties n’ayant quasiment pas d’investisseurs. Or, plus de 95% des investissements fossiles au sein de l’UE sont soit intra-UE, soit de non-parties. Ceci permet p.ex. à certains Etats membres de l’UE de poursuivre gaiement l’exploration d’hydrocarbures (p.ex. Chypre, la Roumanie, la Grèce et même les Pays-Bas). Il est donc difficile d’adhérer à l’argument selon lequel il est vital pour le climat de viser moins de 5% des investissements fossiles par un retrait tout en épargnant les 95% restants »

Selon lui, ce traité est important pour protéger les intérêts des investisseurs étrangers en Suisse et vice versa : selon un sondage parmi les investisseurs suisses ayant des investissements dans l’UE, ceux-ci i affirment apprécier la protection juridique que l’ECT leur apporte. « Une sortie de la Suisse irait à l’encontre de leurs intérêts », conclue-t-il.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit sortir

Même la version modernisée de la Charte, pourtant insuffisante pour lutter contre le changement climatique, n’est pas près d’entrer en vigueur. Alors qu’elle devait être approuvée par les Etats parties lors d’une réunion le 22 novembre à Oulan Bator, en Mongolie, la modernisation a été retirée de l’agenda après que les Etats membres de l’UE ne sont pas arrivés à s’entendre.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit se joindre aux autres pays européens qui ont déjà franchi le pas et quitter ce traité qui permet à un investisseur étranger de porter plainte contre un Etat hôte pour tout changement réglementaire – fermeture d’une centrale à charbon, sortie du nucléaire, changement de réglementation dans les énergies renouvelables, etc. – et donc freine la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique. Il n’est pas acceptable que les investisseurs étrangers dans les énergies fossiles soient au-dessus des lois nationales et qu’ils aient recours à une justice privée qui leur accorde trop souvent des millions, voire des milliards de dédommagement.

Un traité obsolète

Le Traité sur la Charte de l’énergie, en vigueur depuis 1998, protège les investissements dans l’énergie, dont les énergies fossiles. Il compte 53 Etats parties, pour la plupart des pays industrialisés, dont la Suisse et l’UE, mais pas seulement : l’Afghanistan, le Yémen, la Mongolie et les pays d’Asie centrale y ont adhéré aussi. Il permet à un investisseur d’un Etat partie de porter plainte contre un autre Etat partie pour tout changement de politique ou de réglementation qui nuirait à ses intérêts.

C’est de loin de le traité sur lequel repose le plus grand nombre de plaintes. Celles-ci sont jugées dans la plus grande opacité par un tribunal arbitral composé de trois arbitres, selon le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etats (ISDS) et sans l’obligation de passer au préalable devant les tribunaux internes. C’est un outil puissant aux mains des grandes sociétés gazières, pétrolières et du charbon pour dissuader les gouvernements d’effectuer la transition vers les énergies propres.

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La Suisse tirée devant un tribunal arbitral

25.08.2020, Commerce et investissements

La Suisse n’est pas à l’abri de l’arbitrage international: pour la première fois une plainte a été déposée contre elle. C'est une occasion en or pour rééquilibrer les accords de protection des investissements en faveur des pays d’accueil.

Isolda Agazzi
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Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

La Suisse tirée devant un tribunal arbitral

© Isolda Agazzi / Alliance Sud

Une entité juridique basée aux Seychelles reproche à la Suisse un acte législatif vieux de 30 ans, qui interdit de revendre temporairement des immeubles non agricoles. Jusqu’à présent surtout des pays en développement étaient cibles de ce genre de plainte.

Tôt ou tard, cela devait arriver. Pour la première fois de son histoire, la Suisse fait l’objet d’une plainte devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), le tribunal arbitral de la Banque mondial qui statue sur les différends liés aux accords de protection des investissements. Ironie du sort, c’est un paradis tropical qui pourrait mener la Suisse en enfer: une entité juridique domiciliée aux Seychelles et contrôlée par un citoyen helvétique, qui prétend agir au nom de trois Italiens qui auraient essuyé des pertes en raison d’un arrêté fédéral urgent de 1989, qui interdit de revendre des immeubles non agricoles pendant cinq ans. Un document tellement vieux qu’on ne le trouve même pas sur internet… Le plaignant se base sur l’accord de protection des investissements (API) Suisse – Hongrie et réclame 300 millions de CHF de dédommagement. Sans surprise la Suisse conteste tout en bloc.

37 plaintes d’entreprises suisses contre des Etats

Aussi loufoque que paraisse cette affaire, elle montre que la Suisse n’est pas à l’abri de ce mécanisme décrié de l’arbitrage international, qui permet à un investisseur étranger de porter plainte contre l’Etat hôte – mais pas l’inverse – si ce dernier adopte une nouvelle réglementation pour protéger l’environnement, la santé, les droits des travailleurs, ou l’intérêt public.

Jusqu’à présent, Berne avait réussi l’exploit presque unique au monde d’y échapper, alors que 37 plaintes d’entreprises suisses (ou prétendument telles) ont été recensées à ce jour par la CNUCED. La dernière en date concerne Chevron contre les Philippines, sur la base du traité de protection des investissements Suisse – Philippines. Un cas sur lequel on ne sait presque rien, si ce n’est que l’affaire porte sur un gisement de gaz offshore. Chevron, entreprise suisse ? A priori, pas vraiment, mais la multinationale américaine a dû faire du «treaty-shopping » comme on dit dans le jargon, trouver que l’API Suisse – Philippines servait le mieux ses intérêts et réussi à se  faire passer pour une entreprise helvétique. Ce alors même qu’elle est empêtré dans des affaires judiciaires en Equateur depuis des décennies pour avoir pollué l’Amazonie.

Supprimer l’ISDS

Cela fait des années qu’Alliance Sud demande à la Suisse de rééquilibrer les accords de protection des investissements avec les pays d’accueil (115 à ce jour, exclusivement des pays en développement) afin de mieux garantir leurs droits. Dernièrement, l’Afrique du Sud, la Bolivie, l’Equateur, l’Inde, l’Indonésie et Malte ont dénoncé les leurs et veulent en négocier de plus équilibrés, voire n’en veulent plus du tout. L’élément le plus contesté est précisément ce mécanisme de justice privée par voie d’arbitrage (ISDS) qui prévoit que l’investisseur choisit un arbitre, l’Etat accusé un autre et les deux se mettent d’accord sur un troisième. Trois juges qui peuvent condamner l’Etat à payer des compensations pouvant se chiffrer en centaines de millions de dollars. Alliance Sud demande de renoncer complètement à l’ISDS ou, au pire, de l’utiliser seulement en dernier ressort, après avoir épuisé les voies de recours internes.

Les Etats devraient pouvoir déposer une contre-plainte pour violation des droits humains

Si les accords de protection des investissements ne protègent que les droits des investisseurs étrangers, une première brèche en faveur du droit à la santé a été ouverte par la sentence de Philip Morris contre l’Uruguay (juillet 2016) qui a débouté le fabricant suisse de cigarettes sur toute la ligne. Une deuxième lueur d’espoir a jailli fin 2016, lorsqu’un tribunal arbitral a donné tort à Urbaser, une entreprise espagnole gérant la fourniture d’eau à Buenos Aires et qui avait fait faillite après la crise financière de 2001 – 2002. Les arbitres ont affirmé qu’un investisseur doit respecter les droits humains aussi. Pour la première fois, ils ont aussi accepté le principe de la « contre-plainte » de l’Argentine contre Urbaser pour violation du droit à l’eau de la population… sauf finir par statuer que, sur le fond, Urbaser n’avait pas violé le droit à l’eau( !) Ils ont considéré que la contre-plainte était recevable car l’accord de protection des investissements (API) Argentine – Espagne permet aux «deux parties» de porter plainte en cas de différend.

Secouer le cocotier

Ce n’est malheureusement pas le cas des API suisses, qui permettent seulement à l’investisseur de porter plainte et non aux deux parties[1]. La mise à jour des accords en cours, ou la négociation de nouveaux, est l’occasion d’introduire cette modification. Celle-ci reste cependant modeste puisque la plainte initiale est seulement du ressort de l’investisseur : des victimes de violation du droit à l’eau, à la santé, ou des droits syndicaux ne peuvent pas porter plainte contre des multinationales étrangères en premier. Ils ne peuvent, dans le meilleur des cas, que répondre à la leur.

Maintenant qu’un investisseur des Seychelles a secoué le cocotier, et quelle que soit l’issue de cette plainte, nous espérons que la Suisse fera des efforts sérieux pour rééquilibrer ses accords d’investissement. Désormais, c’est clairement dans son intérêt aussi.

[1] Cf. par exemple l’art. 10.2 de l’API avec la Géorgie, le plus récent API suisse.

Ce texte a été d'abord publié sur de blog de Isolda Agazzi «Lignes d'horizon» du Temps.

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Menace de plaintes en cascade contre les États

05.10.2020, Commerce et investissements

Le Pérou, le Mexique et l’Argentine sont menacés de plaintes par des multinationales pour des mesures adoptées pendant la crise. Le nombre de cas basés sur de traités helvétiques s’élève désormais à 37.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Menace de plaintes en cascade contre les États

Pause déjeuner à l'entreprise K.P. Textil à San Miguel Petapa au Guatemala. Après l'éruption du Covid 19, des panneaux de plexiglas ont été installés pour se protéger de l'infection.
© Moises Castillo / AP / Keystone

On le redoutait, c’est arrivé. Comme le révèle le Transnational Institute, trois Etats latino-américains au moins sont menacés de plaintes devant des tribunaux arbitraux pour des mesures adoptées pour faire face à la pandémie. Début avril, le parlement péruvien a promulgué une loi qui prévoit la suspension du péage autoroutier pour faciliter le transport de biens et de travailleurs, alors que beaucoup de Péruviens ont perdu leur emploi. La réponse ne s’est pas fait attendre. Dès juin, plusieurs concessionnaires autoroutiers étrangers ont annoncé leur intention de traîner le Pérou devant des tribunaux arbitraux. Effrayée, la ministre de l’Economie a lancé un processus pour contourner la loi et conserver le paiement des péages, mais il pourrait être contraire à la constitution. On appelle cela le «chilling effect»: un gouvernement renonce à adopter une mesure d’intérêt public par peur de devoir payer des compensations très élevées à l’investisseur étranger, auxquelles s’ajoutent les frais de justice. La cour constitutionnelle péruvienne doit se prononcer sur la légalité de la mesure prise par l’exécutif et, en fonction de la sentence, les multinationales vont décider si déposer les plaintes ou pas.

Le Mexique et l’Argentine sur la sellette

Peu après, c’était au tour du Mexique de fâcher les investisseurs étrangers pour avoir imposé des restrictions à la production d’énergies renouvelables en raison de la baisse de la consommation d’électricité. Ni une, ni deux: des cabinets d’avocats spécialisés dans l’arbitrage international ont exhorté les multinationales à porter plainte contre Mexico. Des entreprises espagnoles et canadiennes ont expressément menacé de le faire.

C’était ensuite au tour de l’Argentine, qui s’enfonce toujours plus dans une crise sans fin. Le 22 mai le gouvernement a déclaré qu’il ne pouvait pas rembourser la dette envers les porteurs d’obligations étrangers, dont l’américaine BlackRock, la plus grande société de gestion de portefeuilles au monde. Au même moment, d’âpres négociations étaient en cours pour restructurer 66 milliards USD de dette publique, une mesure considérée comme nécessaire même par le FMI. Pourtant, le 4 août, l’Argentine a accepté de payer 54.8 USD pour chaque 100 USD de dette, un montant très proche des 56 USD demandés par BlackRock, alors que le gouvernement avait proposé d’en payer 39 USD.

Cette capitulation n’est pas due au hasard: le 17 juin, White and Case, le cabinet juridique de BlackRock, a menacé de considérer tous les moyens à sa disposition – une référence à peine voilée à l’arbitrage international – si l’Argentine n’acceptait pas les conditions de ses clients. C’est cette étude d’avocats qui avait permis à 60'000 créanciers italiens de gagner contre l’Argentine en 2016 (cas Abaclat), après qu’ils avaient refusé la restructuration de la dette proposée par le gouvernement pour faire face à la crise économique de 2001. Ils avaient empoché 1.35 milliards USD.

Lorsque les multinationales font du treaty-shopping

En Amérique latine toujours, la Bolivie a demandé de suspendre temporairement les processus d’arbitrage en cours dans deux litiges qui portent sur l’extraction minière, dont celui qui l’oppose à la multinationale suisse Glencore. La pandémie l’empêchant de fournir les documents requis, La Paz invoque un cas de force majeure. En vain. Cette plainte ne repose pas sur l’accord de protection des investissements (API) avec la Suisse, que la Bolivie avait déjà dénoncé, mais sur celui avec la Grande-Bretagne, la multinationale suisse étant arrivée à se faire passer pour anglaise.

Une autre entreprise qui pratique à son avantage le « treaty-shopping », à savoir la capacité de dénicher l’accord de protection des investissements le plus favorable et de se faire passer pour une entreprise du pays, via l’une de ses nombreuses filiales, est Chevron. La multinationale américaine, empêtrée dans une bataille juridique avec l’Equateur depuis trente ans pour pollution de l’Amazonie, a porté plainte contre les Philippines pour une affaire de plateforme de gaz offshore, sur la base de l’API Suisse – Philippines, visiblement plus favorable.

Ceci porte à 37 le nombre de plaintes basés sur des API suisses. L’année passée, Glencore a déposé une deuxième plainte contre la Colombie, après en avoir gagné une autre et touché plus de 19 millions USD de compensation.

La bonne nouvelle est que les menaces de plaintes contre des Etats qui ont adopté en désespoir de cause des mesures pour affronter la pandémie pourraient les convaincre de renoncer une fois pour toutes à ces accords, qui n’ont pas attiré autant d’investissements qu’ils l’espéraient. Ou du moins à exclure l’arbitrage international en tant que mécanisme de règlement des différends et à le remplacer par le recours aux tribunaux internes.

La réforme constitutionnelle du Chili menacée par des plaintes

Ces cas montrent aussi la nécessité de permettre aux Etats de porter plainte à leur tour contre les investisseurs étrangers qui violent les droits humains. C’est prévu dans quelques très rares API, mais pas dans ceux de la Suisse. C’est plutôt le contraire qui se passe: le groupe français Suez a menacé de plainte le Chili s’il re-municipalise la gestion de l’eau, comme souhaité par les habitants de la ville d’Osorno, dans le sud du pays. En cause : une coupure d’eau de dix jours survenue l’année passée, après que 2'000 litres de pétrole avaient été déversés dans l’usine d’eau potable gérée par la filiale de la multinationale française.

Les habitants s’étaient pourtant exprimés dans le cadre de la consultation sur la réforme constitutionnelle, dont le vote devrait avoir lieu le 25 octobre, si la crise du coronavirus le permet. Le plebiscito pourrait déclencher à son tour une avalanche de plaintes si la volonté populaire contredit les intérêts des investisseurs étrangers, très présents au Chili dans tous les secteurs, à commencer par les services publics. IA

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Soudan du Sud contre une compagnie libanaise

06.02.2023, Commerce et investissements

Un tribunal arbitral a condamné Juba à payer 1 milliard USD à une compagnie de téléphonie mobile libanaise. Le Soudan du Sud veut faire appel devant un tribunal suisse.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Soudan du Sud contre une compagnie libanaise

Bergers au Soudan du Sud
© Sonia Shah

Un tribunal arbitral a condamné Juba à payer 1 milliard USD à Vivacell, une compagnie de téléphonie mobile libanaise dont il avait suspendu la licence d’exploitation pour non-paiement d’une redevance de 66 millions. Le siège juridique de l’arbitrage semble être en Suisse et le gouvernement veut faire appel devant un tribunal suisse.

Alors que le Soudan du Sud suscite l’intérêt des médias à cause de la visite du pape François, une autre actualité, toute aussi cruciale pour le pays le plus jeune et l’un des plus pauvres du monde, est en train de passer largement inaperçue. Fin janvier, Juba a été condamnée par la Cour internationale d’arbitrage à verser 1 milliard USD à Vivacell, une entreprise de téléphonie mobile appartenant au groupe libanais Al Fattouch. En cause : la suspension de sa licence d’exploitation en 2018, par suite de son refus de s’acquitter d’une redevance et de taxes s’élevant à 66 millions USD.

Un milliard USD, c’est une somme exorbitante, surtout en comparaison du PNB de ce pays d’Afrique, estimé par la Banque mondiale à moins de 12 milliards USD en 2015 (mais qui pourrait être beaucoup plus bas aujourd’hui en raison du covid) et dont le PNB par habitant de 791 USD est l’avant-dernier du monde.

Comment en est-on arrivés là ? Le ministre de l’Information et des services postaux, Michael Makuei Lueth, a expliqué à la presse locale que Vivacell avait obtenu sa licence en 2008 de New Sudan, une entité créée par le Sudan People’s Libération Movement (SPLM) de John Garang pendant la guerre civile. Selon les termes de la licence, d’une durée de dix ans, Vivacell était exemptée du paiement de toute taxe et redevance. Mais les choses ont changé en 2011, lorsque le Soudan du Sud est devenu un Etat indépendant. En 2018, le ministre affirme avoir demandé à l’entreprise libanaise de renégocier la licence et de s’acquitter de la redevance, ce qu’elle a refusé de faire.

Même si le contrat avait été conclu entre une entité non souveraine et le prestataire du service avant l’indépendance du Soudan du Sud, Vivacell veut continuer à opérer dans les conditions que lui avaient accordées New Sudan.

Appel en Suisse

« Nous sommes en train de faire appel devant un tribunal suisse, qui est le centre d’arbitrage », a déclaré Makuei à la presse locale, ajoutant que le gouvernement avait débloqué 4,5 millions USD pour payer les frais de justice et engager des avocats, suisses et internationaux. Le délai était le 16 janvier, mais le gouvernement aurait demandé une prolongation.

Le jugement n’étant pas publié par la Cour internationale d’arbitrage et la Mission du Soudan du Sud à Genève n’ayant pas répondu à nos questions, il est difficile d’en savoir plus. Rambod Behboodi, un spécialiste de l’arbitrage international basé à Genève, a accepté de nous donner son avis, à condition de spécifier qu’il se base uniquement sur les articles de presse.

« Bien que la Cour internationale d’arbitrage soit basée à Paris, les parties d’un contrat peuvent définir un siège juridique différent pour une dispute, comme cela semble être la Suisse dans ce cas, explique l’avocat. Cependant lorsqu’une sentence arbitrale est rendue en Suisse, l’appel auprès du Tribunal fédéral est très limité : ce dernier ne peut pas s’exprimer sur le fond de l’affaire, mais seulement sur le non-respect de la procédure ou l’excès de juridiction. »

Si le Soudan du Sud perd en appel, que se passe-t-il s’il ne paie pas le milliard ? « Vivacell peut essayer de faire exécuter la sentence arbitrale par les tribunaux suisses si le Soudan du Sud a des actifs dans ce pays, nous répond-il. Elle peut aussi essayer de la faire exécuter dans tout autre pays où Juba a des actifs. Mais elle doit faire face à des problèmes d’immunité souveraine en dehors du Soudan du Sud : vous ne pouvez pas faire exécuter une action privée contre un État souverain dans un pays tiers, sauf dans des circonstances spécifiques. »

Bien qu’on ne connaisse pas les détails de cette affaire en raison de l’opacité qui caractérise l’arbitrage international, pour Alliance Sud elle montre toute l’absurdité de cette forme de justice privée. Un arbitre a le pouvoir de condamner l’un des pays les plus pauvres du monde à verser l’équivalent d’un dixième ou plus de sa richesse nationale à un investisseur étranger qui refusait de s’acquitter d’une redevance de quelques dizaines de millions.

« C’est le cas typique où les deux parties auraient tout intérêt à avoir recours à une procédure de médiation et conciliation, plutôt que de s’écharper devant les tribunaux », conclut Rambod Behboodi, qui est en train de mettre sur pied une telle instance à Genève.