PROTECTION DES INVESTISSEMENTS

Adieu arbitrage : mécanisme unilatéral sous pression

30.09.2025, Commerce et investissements

Les Etats qui veulent réguler dans l’intérêt public doivent souvent faire face à des plaintes d’investisseurs étrangers, protégés par des accords d’un autre âge. Mais les plus récents commencent à exclure l’arbitrage. La Suisse serait bien inspirée de suivre le mouvement.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Adieu arbitrage : mécanisme unilatéral sous pression

Quand les entreprises réclament leurs investissements fossiles en pleine crise climatique : de la fumée s’échappe de la centrale à charbon Trianel dans la Ruhr. © Keystone / Westend61 / Wilfried Wirth

« De nombreux accords de protection des investissements sont très anciens et n’incluent aucune disposition relative au changement climatique et à l’environnement. Souvent, les pays veulent faire le nécessaire en termes de durabilité, mais ils sont traînés devant les tribunaux parce qu’ils vont à l’encontre des accords d’investissement et des règles établies il y a des années », lançait Rebeca Grynspan, secrétaire générale d’ONU commerce et développement (CNUCED), en présentant mi-juin à Genève le Rapport sur l’investissement dans le monde 2025.

Et d’ajouter : « Nous les aidons à renégocier ces accords pour arriver à des politiques gagnant-gagnant avec le secteur privé. Mais il y a souvent des contradictions entre les intérêts d’aujourd’hui et ce qui a été signé il y a 30 ans. Une nouvelle forme d’accord doit nécessairement réunir les intérêts privés et publics. »

La responsable onusienne faisait référence aux plaintes déposées devant les tribunaux arbitraux au titre du mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etat (ISDS). Celles-ci portent souvent sur des cas relatifs aux énergies fossiles, comme celle d’Azienda Elettrica Ticinese (AET), une entreprise publique du canton du Tessin qui a contesté à l’Allemagne sa décision de fermer la centrale à charbon de Lünen. Elle réclame une indemnisation de 85,5 millions d’euros plus intérêts. La plainte se base sur le Traité de la charte de l’énergie, adopté dans les années 1990 et qui protège les investissements étrangers dans les énergies, même fossiles, et retarde ainsi la transition énergétique.

 

Un traité controversé que la Suisse n’a pas l’intention de résilier

Le Traité sur la charte de l'énergie (TCE) est un accord multilatéral conclu dans les années 1990, qui protège les investisseurs contre l'intervention de l'Etat dans le secteur de l'énergie et leur garantit l'accès à des tribunaux d'arbitrage privés. Aucun autre traité n'a facilité autant que le TCE le nombre de poursuites intentées par des investisseurs contre des Etats.

Il y a quelques années encore, tous les Etats membres de l'UE, l'Union européenne et certains pays d'Europe de l'Est, d'Asie occidentale et centrale, ainsi que le Japon, étaient membres du traité. A la suite d'un processus de réforme inadéquat du TCE, certains pays ont décidé de se retirer du traité, notamment l'Allemagne, la France, la Pologne, le Luxembourg, la Slovénie, l'Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l'UE dans son ensemble. L’Italie était déjà sortie. Il existe une clause de caducité qui permet d'intenter une action en justice 20 ans après le retrait. Toutefois, celle-ci pourrait être considérablement atténuée par un accord supplémentaire déclarant la clause nulle entre les parties qui se retirent.

Contrairement à ses voisins européens, la Suisse n'a pas quitté le TCE et n’a aucune intention de le faire. Les investisseurs utilisent régulièrement les succursales suisses pour introduire des demandes d'arbitrage en vertu du TCE : au total, neuf demandes d'indemnisation ont été introduites depuis la Suisse, toutes à l'encontre des Etats membres de l'UE et de l'UE elle-même. Parmi celles-ci figure Nord Stream 2 SA, qui réclame à l'UE une indemnisation pouvant atteindre huit milliards d'euros pour la réglementation du réseau gazier devant un tribunal arbitral.

Fin 2024, la Suisse a accepté une version modernisée du TCE qui permet certes de mieux réguler dans l’intérêt public et mentionne explicitement l’Accord de Paris sur le climat, mais qui n’est pas suffisante. Celle-ci devrait être soumise au parlement prochainement et être accompagnée d’une procédure de consultation. Alliance Sud demande à la Suisse de refuser cette nouvelle version et de quitter le TCE.

 

52 plaintes d’investisseurs suisses

A ce jour, 52 plaintes connues ont été déposées par des multinationales suisses contre des pays tiers, presque toujours du Sud global. Parmi celles-ci, quatre l’ont été par Glencore contre la Colombie à propos des mines de charbon de Cerrejón et Prodeco et d’un port. Deux ont été décidées en faveur de l’investisseur – qui a touché 19 millions USD et 9 millions USD de dédommagement – et deux sont en cours.

Ces plaintes se basent sur l’accord de protection des investissements (API) Suisse – Colombie, qui remonte à 2006 et que les deux pays sont en train de mettre à jour, à la demande de la Colombie. Le but est de négocier un accord plus équilibré en faveur de l’Etat hôte – en l’occurrence la Colombie.

En effet, la CNUCED note quelques développements intéressants dans les API négociés depuis 2020. Le plus pertinent, du moins du point de vue d’Alliance Sud, est que près de la moitié d’entre eux excluent le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etat (ISDS). C’est le cas de l’API Brésil – Inde et de celui entre les Emirats arabes unis et l’Australie, par exemple. Souvent, ce mécanisme controversé est remplacé par un mécanisme de règlement des différends d’Etat à Etat et/ou par des mesures amicales de résolution des conflits comme la conciliation et la médiation.

Meilleure préservation du droit de réguler

Par ailleurs, pour éviter d’en arriver à la résolution de conflits, quelle qu’elle soit, les accords les plus récents préservent mieux le droit de réguler dans l’intérêt public. Pour ce faire, ils limitent drastiquement, ou définissent de façon plus précise, les clauses les plus souvent invoquées devant les tribunaux.

C’est le cas notamment du « traitement juste et équitable » (fair and equitable treatment, FET) qui permet aux entreprises étrangères de se prétendre discriminées de façon arbitraire; de « l’expropriation indirecte », souvent invoquée lorsque l’Etat hôte édicte de nouvelles mesures de protection de la santé publique ou de l’environnement susceptibles de faire perdre de l’argent aux investisseurs ; et de la « clause parapluie », qui permet de considérer comme protégées par le traité des obligations qui n’ont rien à voir.

C’était les principales clauses invoquées par Philip Morris dans sa plainte contre l’Uruguay, lorsque le pays latino-américain avait introduit une législation anti-tabac conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais jugée excessive par l’investisseur. Ses arguments avaient été balayés par les arbitres, qui avaient donné raison à l’Uruguay. C’était en 2010 après une intense campagne internationale – relayée en Suisse par Alliance Sud et ses partenaires sudaméricains.

Toujours presque aucun devoir aux investisseurs

Avec les nouveaux accords, une telle plainte serait probablement balayée plus vite, mais elle reste possible. Et cela sera le cas tant que les accords d’investissement continueront à exister et à conférer presque exclusivement des droits et aucune obligation aux investisseurs.

Car bien qu’un peu plus équilibrés, seuls 10 % des nouveaux accords incluent des obligations dans ce sens, notamment contre la corruption, en faveur d’une gouvernance transparente, pour protéger l’environnement, les droits syndicaux, les communautés locales et favoriser la taxation. Parmi ceux-ci, la CNUCED cite notamment l’accord entre la Suisse et l’Indonésie de 2022.

Un autre problème est que presque tous les accords conclus depuis 2020 continuent à couvrir tous les investissements, sans poser aucune condition de durabilité ni d’impact favorable sur le pays hôte et sa population.

En conclusion, bien qu’il y ait eu quelques améliorations depuis 4 – 5 ans, le chemin est encore long. Selon les dernières données disponibles, la Suisse est en train de (re)négocier des API avec dix pays, dont la Colombie, l’Inde, le Mexique et le Vietnam. C’est l’occasion de conclure des accords plus équilibrés en faveur des Etats hôte et de renoncer à l’ISDS.

Mais la Suisse n’en prend pas le chemin. L’API avec le Chili, dont la renégociation vient de se terminer, contient encore et toujours l’ISDS. Un investisseur étranger peut donc porter plainte contre l’Etat-hôte, mais l’inverse n’est pas possible lorsque l’entreprise pollue les sols et les rivières ou déplace des populations, par exemple.

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Article

Colombie: Glencore au défi de fermer la mine de Prodeco

13.06.2025, Commerce et investissements

Après que Glencore s’est retiré de Prodeco, le gouvernement colombien a décidé de fermer définitivement la mine de charbon. Les communautés locales exigent d’être associées au processus de fermeture. Elles sont soutenues par le Groupe de travail Suisse – Colombie, qui va bientôt arrêter ses activités, après presque 40 ans d’existence. Stephan Suhner, son secrétaire-général, a participé fin mai à l’assemblée des actionnaires de la multinationale suisse.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Colombie: Glencore au défi de fermer la mine de Prodeco

Mine de Glencore Prodeco en Colombie © Fundación Chasquis, Bogota

L’extraction de charbon a-t-elle forcément un impact négatif sur l’environnement et les communautés locales, ou cela dépend-il de la façon de faire ? A cette question épineuse le Groupe de travail Suisse – Colombie (ASK) apporte une réponse tout en nuance depuis sa création en 1987. Alliance Sud travaille étroitement avec cette association, qui s’apprête malheureusement à arrêter ses activités, faute de volontaires suffisants.

Stephan Suhner, son secrétaire-général, est en contact constant avec les communautés sur place, mais aussi avec Glencore en Suisse. Car la multinationale sise à Zoug possède trois mines de charbon en Colombie et pas moins de neuf filiales. Le dernier combat de l’infatigable militant, avant de prendre sa retraite, porte sur la fermeture de la mine de Prodeco, située dans le département du Cesar. En activité depuis 25 ans, elle était la propriété de la multinationale suisse. En 2021 Glencore a annoncé son intention de revendre ses parts à l’Etat colombien, avançant que l’extraction de charbon n’était plus rentable. Après trois ans d’incertitude, le gouvernement de Gustavo Petro a décidé de fermer définitivement la mine.

Glencore doit fermer la mine de Prodeco en consultation avec les communautés

ASK affirme que cette décision a entraîné une crise sociale sans précédent. Les habitants sont partagés entre ceux qui voyaient en la mine une source de revenu – les mineurs eux-mêmes, mais aussi celles et ceux qui exerçaient des emplois annexes, dont beaucoup de femmes – et ceux qui s’opposent à toute extraction minière. La violence a fortement augmenté et des protestations ont éclaté dans un climat explosif, matées par des groupes armés.

Les communautés et les syndicats se sont donc associés pour avoir leur mot à dire dans le processus de fermeture. Ils exigent qu’il se fasse en toute transparence et dans le respect des droits humains et que l’ex entreprise propriétaire Glencore, répare les dommages environnementaux qu’elle a causés.

Silence de Glencore sur la mine de Prodeco

« Lors de l’assemblée des actionnaires du 28 mai, j’ai demandé des nouvelles sur la consultation autour du plan de fermeture de la mine de Prodeco, car les communautés se sont beaucoup plaintes du silence total de l’entreprise, nous explique Stephan Suhner. Glencore m’a répondu que le processus est en cours, qu’ils ont consulté les communautés et qu’ils vont continuer à le faire. »

Cette explication fait suite à une plainte de l’ONG Tierra Digna accusant Glencore de non-respect des droits de participation des communautés. Elle a été favorablement accueillie par les tribunaux nationaux, jusqu’à la cour constitutionnelle, dans une sentence du 4 février 2025. Depuis lors, trois tours d’information ont eu lieu avec les trois municipalités impactées par la mine et Glencore a promis d’en tenir trente en tout dans chaque municipalité.

Plan de fermeture juste

Mais n’est-ce pas paradoxal de s’opposer à l’extraction minière et de se plaindre lorsqu’une mine ferme ? « Non, nous répond Stephan Suhner. ASK a toujours critiqué la façon dont Glencore opère en Colombie, non l’existence des mines en tant que telle. On n’a pas exigé par exemple qu’ils ferment Cerrejon, comme d’autres ONG nationales telles que le CAJAR. Nous avons demandé qu’ils consultent les communautés sur l’extension de la mine, mais n’avons jamais exigé que Glencore n’opère plus en Colombie. Nous avons aussi dit que la fermeture pose des problèmes sociaux et qu’il faut trouver un plan B, notamment d’autres sources de revenu. Comme nos partenaires sur place, nous exigeons que la fermeture de la mine se fasse de façon juste, transparente, participative et respectueuse des droits humains.»

Déplacement individuel contesté de trois villages

Un représentant de la Asemblea campesina del Cesar, invité par ASK, a porté à l’attention de l’assemblée des actionnaires de Glencore les problèmes relatifs au déplacement de trois villages. En 2010, le ministère colombien de l’Environnement a ordonné des déplacements collectifs en raison de la pollution causée par la mine. Tous les habitants devaient être relogés ensemble sur un terrain neuf, pourvu des services sociaux de base – école, médecin, etc. Au lieu de cela, des déplacements individuels ont été réalisés, qui ont mis à mal la cohésion du village et rendu beaucoup plus difficile la reprise d’une activité par les habitants, dont plusieurs ont été relogés dans la ville voisine de Santa Marta.

Glencore a déposé un nombre record de plaintes contre la Colombie

Les tribunaux colombiens se montrent souvent progressistes dans la défense de l’environnement et des droits humains, jusqu’à la cour constitutionnelle. Mais Glencore n’hésite pas à contester leurs sentences devant des tribunaux arbitraux, sur la base du traité de protection des investissements Suisse – Colombie. A ce jour la multinationale a déposé quatre plaintes connues, dont la dernière, en 2023, à propos de la mine de Prodeco. En raison de l’opacité qui entoure le système d’arbitrage international, on ne sait pas quel est son objet, ni le montant du dédommagement réclamé par Glencore à l’Etat colombien, mais il a certainement à voir avec la fermeture de la mine.

Alliance Sud demande des accords d’investissement qui permettent à l’Etat hôte de réguler dans l’intérêt public

En 2023, Alliance Sud a participé à une mission internationale en Colombie pour demander à l’Etat de résilier ses accords d’investissement, ou du moins d’en exclure le mécanisme de règlement des différends par voie d’arbitrage.

Lors de notre présence sur place, le gouvernement de Gustavo Petro a annoncé son intention de renégocier tous ses accords d’investissement, à commencer par celui avec la Suisse. Les négociations sont en cours et Alliance Sud continuera à faire pression pour que le nouvel accord, s’il voit le jour, permette à la Colombie d’adopter de nouvelles normes sociales et environnementales sans risquer une plainte devant un tribunal arbitral de la part d’une multinationale suisse.

Communiqué

Une entreprise suisse veut obtenir des millions pour la sortie du charbon en Allemagne

16.05.2025, Commerce et investissements

Un rapport publié aujourd'hui par plusieurs organisations non gouvernementales met en lumière les éléments qui ont conduit Azienda Elettrica Ticinese (AET) à saisir un tribunal arbitral pour contester la sortie du charbon de l'Allemagne. L'entreprise publique suisse réclame une indemnisation de 85,5 millions d’euros plus intérêts pour la fermeture d'une centrale à charbon située à Lünen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans laquelle elle détient une participation. Selon ses propres indications, AET a investi un peu plus de 23 millions d'euros dans le projet de centrale électrique.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Une entreprise suisse veut obtenir des millions pour la sortie du charbon en Allemagne

Déficitaire et polluante : la centrale à charbon Trianel de Lünen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, est en service depuis 2013. La société suisse AET est impliquée dans ce projet. © Keystone/DPA/Bernd Thissen

 

Communiqué de presse commun d'Alliance Sud, Réseau Commerce équitable, PowerShift, Institut pour l'environnement de Munich, WWF Suisse, Public Eye, Pro Natura

 

Un examen plus approfondi de la plainte révèle que :

  • La centrale à charbon a enregistré des pertes chaque année depuis sa construction. AET réclame donc une indemnisation pour une installation qui était déficitaire et qui devrait le rester ;
  • AET a été contrainte par référendum de se séparer de sa participation dans la centrale à charbon d'ici 2035 au plus tard. Elle souhaite néanmoins être indemnisée pour les gains hypothétiques de la centrale jusqu'en 2053.
  • Si AET obtenait gain de cause dans cette procédure, cela remettrait en question l'architecture de la sortie du charbon en Allemagne et pourrait entraîner d'autres recours devant des tribunaux arbitraux par des entreprises du secteur du charbon. Neuf autres centrales à charbon en Allemagne ont des actionnaires étrangers qui pourraient, en cas de succès d'AET, saisir un tribunal arbitral.

« Il est scandaleux qu'une entreprise publique recoure à des tribunaux arbitraux non démocratiques pour s'opposer à des mesures nécessaires à la protection du climat. Le fait que AET exige des indemnités pour une centrale électrique déficitaire et multiplie ainsi son investissement initial est un comble », déclare Fabian Flues, expert en commerce auprès de l'ONG PowerShift.

« Même avant la construction de la centrale à charbon de Lünen, le fiasco était prévisible. Le WWF avait clairement mis en garde AET et le canton du Tessin contre cette décision irrationnelle sur le plan économique et néfaste pour le climat. Au lieu d'assumer ses responsabilités, AET rejette désormais la responsabilité de son propre échec sur la politique climatique allemande et réclame des dommages et intérêts. Une telle attitude est indigne d'un organisme de droit public. Le canton du Tessin doit mettre fin à cette mascarade et demander des comptes aux responsables », déclare Francesco Maggi, directeur du WWF Suisse italienne.

« Contrairement à l'UE et à plusieurs pays européens, la Suisse n'a pas dénoncé le Traité sur la charte de l'énergie. Or, celui-ci ralentit la sortie des énergies fossiles et la rend plus difficile, comme le montre le recours de AET contre l'Allemagne. La Suisse doit suivre le mouvement et dénoncer ce traité anachronique », déclare Isolda Agazzi, experte en investissements chez Alliance Sud.

« En se retirant du Traité sur la charte de l'énergie, l'Allemagne a fait un pas important, mais elle n'en a pas tiré les leçons. Alors que les accords de protection des investissements continuent de saboter notre politique énergétique, le gouvernement fédéral poursuit la conclusion de nouveaux accords comportant les mêmes mécanismes d'arbitrage problématiques. »

 

Contexte

La procédure d'arbitrage engagée par AET relève du Traité sur la charte de l'énergie, un accord de protection des investissements conclu dans les années 1990. Le TCE permet aux investisseurs de saisir des tribunaux arbitraux pour contester des mesures énergétiques et climatiques qui limitent leurs profits. Aucun autre accord de protection des investissements n'a donné lieu à autant de procédures d'arbitrage que le TCE. L'Allemagne, l'UE et 10 autres pays ont quitté le TCE, car celui-ci limite fortement leur capacité d'action dans la crise climatique. La Suisse reste partie au TCE. Celui-ci comporte une clause de caducité qui permet d'intenter des actions pendant une période de 20 ans après le retrait. Les pays qui se retirent du TCE peuvent toutefois conclure un accord afin d'exclure toute action entre eux.

En outre, l'Allemagne est le pays qui a conclu le plus grand nombre d'accords bilatéraux de protection des investissements au monde, qui ont déjà donné lieu à 58 plaintes d'investisseurs. Le ministère fédéral allemand de l'Économie et de la Protection du climat a qualifié ces accords de « dépassés à bien des égards ». Néanmoins, le nouvel accord de coalition ne prévoit aucune mesure pour remédier à ces héritages du passé. La société civile allemande demande que ces accords soient dénoncés en concertation avec les pays partenaires.

Les organisations suisses de défense de l'environnement et du développement réclament depuis longtemps que la Suisse se retire du Traité sur la charte de l'énergie. Le Conseil fédéral n'a toutefois pas l'intention de le dénoncer. Bien au contraire, il a approuvé sa modernisation, telle que décidée lors de la conférence sur la Charte de l'énergie du 3 décembre 2024.

 

Lien vers le briefing (en anglais) :

https://power-shift.de/aet-briefing/

 

Pour plus d’informations :

Isolda Agazzi, responsable de la politique d’investissements chez Alliance Sud
isolda.agazzi@alliancesud.ch, +41 22 901 07 82

Communiqué

Revoir les accords d'investissements injustes

22.05.2023, Commerce et investissements

Alliance Sud fait partie d'une délégation d'ONG qui appelle en Colombie à dénoncer les accords de protection des investissements, y compris celui conclu avec la Suisse, et notamment à abandonner le mécanisme controversé de l'arbitrage.

Isolda Agazzi
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Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Revoir les accords d'investissements injustes

Communiqué

Obsolètes, unilatéraux, à réviser

25.02.2013, Commerce et investissements

Les 130 accords de protection des investissements de la Suisse couvrent unilatéralement les intérêts des investisseurs et limitent exagérément la marge de manœuvre politique des pays d’accueil. Il convient de revoir le nouvel accord avec la Tunisie.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Obsolètes, unilatéraux, à réviser

Communiqué

Colombie : rapport exige plan de fermeture pour mine de Glencore

05.12.2023, Commerce et investissements

Un nouveau rapport demande que Glencore retire la plainte contre la Colombie au sujet de la déviation de l’arroyo Bruno, qu’il présente un plan de fermeture responsable avec la participation des communautés et qu’il crée un fonds de réparation intégral de l’environnement. La pression augmente pour que l'accord de protection des investissements avec la Suisse soit également amélioré.

Isolda Agazzi
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Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

+41 22 901 07 82 isolda.agazzi@alliancesud.ch
Colombie : rapport exige plan de fermeture pour mine de Glencore

Isolda Agazzi avec une délégation d'ONG au Parlement colombien, 30 mai 2023.

© Alliance Sud

Communiqué de presse du 5 décembre d’Alliance Sud, ASK, Public Eye, CINEP, CENSAT Agua Viva/Amigos de la Tierra Colombia, Pro Natura/Friends of the Earth Switzerland

Trois représentantes d’ONG et de communautés colombiennes étaient de passage en Suisse la semaine dernière pour dénoncer les agissements de Glencore, propriétaire exclusif de la mine de charbon de Cerrejón, la plus grande exploitation à ciel ouvert d’Amérique latine. Carolina Matiz de CINEP, Tatiana Cuenca de Censat Agua Viva et Greylis Pinto, représentante de la communauté de Chancleta, vivant à proximité de la mine, terminaient ainsi un tour de trois semaines, qui les a menées en Suisse, Belgique, Allemagne, Pays-Bas et Danemark.

Elles ont présenté aux gouvernements, aux représentants de la société civile et des institutions financières un rapport intitulé «Does Cerrejón always win?», qui détaille la façon dont cette mine opère depuis 40 ans dans la Guajira, le département le plus pauvre de Colombie. Sur ces terres semi-désertiques, où vivent le peuple Wayuu, des afro-descendants et des petits paysans, l’activité minière a asséché 17 rivières, déplacé 25 communautés et provoqué la mort de 5'000 enfants wayuus de faim et de soif ces dix dernières années.

Greylis a raconté comment sa communauté afro-colombienne a été déplacée de force il y a 11 ans sans que soient respectés les standards internationaux en la matière. Elle vivait de l'agriculture, de l'élevage et de la chasse, mais dans son nouvel emplacement elle n'a pas de terre, ni d'eau et a perdu ses traditions et coutumes. Jusqu'à aujourd'hui, ses membres ne bénéficient pas de programmes sociaux, n’ont pas de revenus stables, ni de perspectives.

Douze sentences de la cour constitutionnelle, aucune appliquée

La cour constitutionnelle de Colombie a émis douze sentences en faveur des communautés, mais aucune d'entre elles n'a été pleinement respectée et l'une d'entre elles a fait l'objet de pressions pour obtenir des millions de dollars de compensation. La dernière de ces décisions, qui remonte à 2017, demande à Glencore de suspendre la déviation de l’arroyo Bruno, un affluent du rio Rancheria (le seul de la région) jusqu’à ce que des études d’impact environnemental sérieuses aient été menées et qu’il le retourne à son cours naturel. Pour s’opposer à cette sentence, Glencore a porté plainte contre la Colombie sur la base de l’accord de protection des investissements entre cette dernière et la Suisse. C’est la troisième plainte en cours de la multinationale basée à Zoug contre Bogota et le montant de l’indemnisation demandée n’est pas connu. Il y a quelques jours, on a appris que Glencore a déposé une quatrième plainte, probablement en relation avec la mine de Prodeco.

Le rapport des organisations colombiennes demande :

-    Que Glencore retire la plainte contre la Colombie pour la déviation de l’arroyo Bruno ;
-    Qu’il présente un plan de fermeture responsable avec la participation des communautés et qu’il crée un fonds pour la réparation intégrale du territoire, qui implique la restauration de l'écosystème, l'indemnisation des dommages subis par les victimes et la reconnaissance des dommages subis par ces dernières par le biais d'actions publiques. La concession actuelle expire en 2034 et la peur est grande de voir le géant minier se retirer précipitamment, comme il l’a fait de la mine de Prodeco, dans la région voisine de Cesar, laissant à l’Etat colombien le fardeau de dépolluer les lieux, dans un milieu devenu hautement conflictuel ;
-    Que les institutions financières arrêtent de financer les mines de charbon en Colombie, ou qu’elles exercent leur influence pour que ces dernières respectent les droits humains et l’environnement.

Lors de la mission internationale en Colombie de mai 2023, à laquelle a participé Alliance Sud, le gouvernement colombien a annoncé vouloir renégocier tous ses accords d’investissement, à commencer par celui avec la Suisse. La renégociation a déjà commencé. Les organisations signataires de ce communiqué demandent d’exclure de ce nouvel accord le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etat (ISDS), qui permet à une entreprise étrangère de porter plainte contre l’Etat hôte s’il adopte des règles de protection de l’environnement et des droits humains.

Faute de quoi, ce sont les entreprises qui risquent de gagner toujours, quoi qu’il arrive et quel que soit leur bilan environnemental et en termes de droits humains, comme c’est le cas de Glencore.

 

Pour plus d’informations :
Isolda Agazzi, responsable de la politique d’investissement, Alliance Sud, tél. 022 901 07 82, isolda.agazzi@alliancesud.ch
Stephan Suhner, directeur de l’Association Suisse – Colombie, stephan.suhner@askonline.ch, tél. 079 409 10 12
Carolina Matiz, CINEP, mmatiz@cinep.org.co

 

 

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Moteur du développement ou nouvelle colonisation ?Entwicklungsmotor, Neokolonialismus – oder beides?

09.12.2019, Commerce et investissements

Avec les Nouvelles routes de la Soie, la Chine marque le développement mondial d'une manière sans précédent. Mais à quel point est-ce durable ? La Suisse veut une part du gâteau et a signé un protocole d'entente avec la Chine.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Moteur du développement ou nouvelle colonisation ?Entwicklungsmotor, Neokolonialismus – oder beides?

Honneurs militaires pour le Premier ministre hongrois Viktor Orban lors du Belt and Road Forum 2017 devant le Grand Hall du peuple à Beijing, Chine.
© Andy Wong / AP / Keystone

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Le plus grand gisement de nickel au monde

19.03.2021, Commerce et investissements

Le gouvernement de la Tanzanie vient de signer un contrat avec une multinationale anglaise qui prévoit le partage des bénéfices et la fonte du nickel sur place. Une tendance à l’intervention de l’Etat qu’on observe aussi dans la Zambie voisine.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Le plus grand gisement de nickel au monde

Deux pêcheurs rament devant le pétrolier « Miracle », battant pavillon des îles Marshall, après son échouement dans l'embouchure du port de Dar Es Salam, le 13 février 2016.
© Daniel Hayduk / AFP

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Des progrès, mais on peut mieux faire

27.09.2022, Commerce et investissements

Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie permet à priori de réglementer dans l’intérêt public, mais il est assorti de dispositions qui pourraient réduire cette possibilité à néant.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

Des progrès, mais on peut mieux faire

Destruction de l’environnement sur les concessions de la plus grande entreprise indonésienne d’huile de palme à Kapuas Hulu, sur l’île de Bornéo.
© AFP PHOTO / ROMEO GACAD

L’Indonésie est l’un des rares pays à avoir dénoncé pratiquement tous ses accords de protection des investissements (API) - y compris celui avec la Suisse en 2016 - après avoir fait face à des arbitrages qui lui ont couté des millions de dollars. Mais dans les renégociations Djakarta fait face à l’opposition des pays industrialisés, sans compter que son nouveau modèle d’accord ne contient pas certaines des innovations fréquentes dans la pratique récente des traités d'investissement.

La Confédération aussi a renégocié un traité, mis en consultation pour la première fois à l’été 2022. « Le nouvel accord de protection des investissements entre la Suisse et l’Indonésie contient des innovations importantes et reprend de bonnes pratiques récentes. Par rapport à l’ancien, il constitue un progrès indéniable, mais pour un accord conclu en 2022, il était possible d’aller plus loin sur certaines aspects », nous déclare d’emblée Suzy Nikièma, la responsable des investissements durables à l’Institut international pour le développement durable (IISD), un Think Tank international qui fournit de l’assistance technique et des opportunités de collaboration, conduit des recherches et propose des solutions pour que les investissements soient des vecteurs du développement durable.

Traités ne promeuvent pas le développement durable

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde sur le fait que ces traités d’investissement posent un problème, mais quoi faire ? Comme le note Suzy Nikièma, « ils ont été conçu dans le contexte de la décolonisation et de la guerre froide pour protéger les droits des investisseurs opérant à l’étranger, à une époque où le développement durable n’était pas une préoccupation centrale. Il est donc crucial de repenser le rôle, la valeur ajoutée et le contenu de ces puissants instruments à l’aune des enjeux et des objectifs actuels ».   

Comme le note également Josef Ostřanský, Conseiller en droit et politique des investissements à IISD, le traité avec la Suisse a une définition large de l’investissement et ne fait pas de distinction entre investissement polluant à forte intensité de carbone et investissement à faibles émissions. Il s’agit là du principal problème de ce traité. En effet, il n’y a aucun moyen de filtrer les entreprises étrangères, donc le traité protégera même une entreprise minière suisse qui pollue en Indonésie. Il faut bien le reconnaître : cette distinction n’existe à ce jour dans aucun traité, mais la Suisse pourrait montrer la voie.  

Investisseurs mieux définis, mais avec très peu d’obligations
La définition de l’investisseur, en revanche, devenue plus précise, permet d’éviter le treaty-shopping, à savoir le fait d’utiliser un traité plus favorable conclu par un autre pays. Est défini comme investisseur toute personne physique détentrice de la nationalité ou toute personne morale qui mène des activités économiques substantielles dans le pays, y est immatriculée et y dispose d’un siège social.

En revanche, ces mêmes investisseurs sont soumis à très peu d’obligations : deux petits articles seulement sur 44 sont consacrés à la responsabilité sociale des entreprises et à la lutte contre la corruption, mais de façon purement exhortative. Ils ne précisent aucun mécanisme d’application ni aucune conséquence juridique de leur violation.

Des efforts ont été consentis pour clarifier le traitement juste et équitable, la clause de la nation la plus favorisée et le droit de réglementer. Mais ceux-ci pourraient être réduits à néant par un article étonnant (37) qui stipule que les investisseurs peuvent se prévaloir du régime juridique le plus favorable applicable entre les parties. Il s’agit de l’une des dispositions les plus problématiques de l’API et, pour Alliance Sud, il faut la supprimer.

Plainte pour licence obligatoire exclue de la portée de l’expropriation

En revanche, Alliance Sud salue le fait que l’API spécifie dans l’Annexe A que les mesures réglementaires d’intérêt public visant à protéger la santé publique, la sécurité et l’environnement ne puissent pas être considérées comme une expropriation indirecte et donner lieu à des compensations financières. Mais certaines formulations pourraient en réduire drastiquement l’impact, car il ajoute « sauf en de rares circonstances où l’impact d’une mesure ou d’une série de mesures est si grave au regard de leur but qu’elles semblent manifestement excessives ». Il faut donc supprimer cette partie de l’annexe A.

En revanche, l’art. 7 al. 6 est le bienvenu, car il prévoit que l’expropriation indirecte ne s’applique pas à la délivrance de licences obligatoires accordées conformément à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).  

Alliance Sud a dénoncé à maintes reprises la pression exercée par la Suisse sur la Colombie pour qu’elle renonce à émettre une licence obligatoire du Glivec (un anti-cancéreux fabriqué par Novartis), tout comme la menace de plainte de Novartis contre la Colombie sur la base de l’API Suisse – Colombie. Le nouvel article devrait rendre ce genre de plaintes impossibles.

ISDS toujours là

Finalement, l’un des principaux problèmes du nouveau traité est que le mécanisme de règlement des différends investisseur – Etat (ISDS) par voie d’arbitrage est toujours là. Il n’y a pas non plus d’obligation de recourir aux tribunaux nationaux, et encore moins d’épuiser au préalable les voies de recours internes. La participation de parties tierces au litige comme pour l’amicus curiae (amis de la cour) n’est pas prévue et la médiation, bien qu’envisagée, reste facultative.

Alliance Sud a pourtant travaillé avec Rambod Behboodi, un avocat de droit international, pour élaborer une proposition visant à renforcer et à promouvoir la conciliation et la médiation dans les plaintes commerciales et d'investissement. La proposition, élaborée principalement dans l'optique de l'OMC, comporte des éléments structurels et institutionnels transposables aux traités d’investissement, moyennant quelques adaptations.

Ne pas inclure l’ISDS dans un traité d’investissement est possible. Comme l’indique Abas Kinda, Conseiller en droit international à l’IISD, « le nouvel modèle d’accord du Brésil met l’accent sur la prévention, la médiation et le règlement des différends d’Etat à Etat et ne prévoit pas l’ISDS ».

Article

La Suisse doit résilier la Charte de l’énergie

05.12.2022, Commerce et investissements

De plus en plus de pays se retirent du Traité sur la Charte de l’Energie, qui protège les investissements dans les énergies, mêmes fossiles, et retarde la transition énergétique. Pour Alliance Sud, la Suisse aussi devrait le faire.

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

La Suisse doit résilier la Charte de l’énergie

La fuite du gazoduc Nord Stream dans la mer Baltique, photographiée par les satellites Pléiades Neo.
© AFP Photo / Airbus DS 2022 / Keystone

En 2019, le Nord Stream 2 a porté plainte contre l’UE, lui reprochant sa décision d’amender une nouvelle directive sur le gaz afin d’imposer les mêmes standards aux pipelines opérant à l’intérieur de son territoire qu’à ceux qui y entrent. L’entreprise affirme que ces dispositions violent, entre autres, les clauses du traitement juste et équitable, de la nation la plus favorisée et de l’expropriation indirecte contenues dans le Traité sur la Charte de l’Energie (TCE).

Or Nord Stream 2, censé transporter du gaz naturel de la Russie à l’Allemagne, était – elle a fait faillite au début de l’année – une entreprise suisse : bien qu’appartenant à la compagnie d’Etat russe Gazprom, son siège était à Zoug. Ceci dit, ce pipeline controversé n’est jamais entré en fonction, après que l’Allemagne a bloqué le projet le 22 février, suite à l’invasion russe de l’Ukraine.

Six plaintes d’investisseurs suisses sur la base de la Charte de l’Energie

Sur les 43 plaintes connues d’investisseurs suisses devant des tribunaux arbitraux, six reposent sur la Charte de l’Energie : trois contre l’Espagne (deux sont encore en cours et une a été remportée par l’investisseur, Operafund, qui reprochait à Madrid des réformes dans le secteur des énergies renouvelables, y compris une taxe de 7% sur les revenus et une réduction des subventions aux producteurs; une contre la Roumanie par Alpiq, qui a perdu ; et une contre la Pologne, perdue par l’investisseur suisse, Festorino).

L’Espagne doit faire face à un record de cinquante plaintes au bas mot sur la base de ce traité controversé, la plupart du temps pour avoir coupé les subventions aux énergies renouvelables. Selon les calculs du Transnational Institute, les dédommagements réclamés par les investisseurs étrangers dépasseraient les 7 milliards d’euros au moins ! Dès lors, ce n’est pas étonnant que Madrid ait décidé de résilier le traité, tout comme la France, la Pologne, les Pays-Bas et l’Allemagne.  La Belgique et d’autres pays européens sont en train d’y réfléchir. « Je regarde avec inquiétude revenir les hydrocarbures et les énergies fossiles les plus polluantes, a déclaré Emmanuel Macron, cité par « Le Monde ». La guerre sur le sol européen ne doit pas nous faire oublier nos exigences climatiques et notre impératif de réduction des émissions de CO2. Le fait de nous retirer de ce traité est un élément de cette stratégie. »

Selon les derniers chiffres publiés par le secrétariat de la Charte, 142 plaintes ont été déposées sur la base de ce traité, mais elles pourraient être beaucoup plus nombreuses car les Etats n’ont pas l’obligation de les notifier. C’est de loin le traité qui a donné lieu au plus grand nombre de plaintes.  L’Allemagne elle-même a été attaquée à deux reprises pour sa décision de sortir du nucléaire : dans le cas Vattenfall vs Germany I, le montant de la compensation versée par Berlin à l’entreprise suédoise n’est pas connu ; dans Vattenfall vs. Germany II, la compagnie suédoise a obtenu 1'721 milliards USD de dédommagement.

La Suisse, jamais attaquée, n’a pas l’intention de sortir

La Suisse, quant à elle, n’a jamais fait l’objet d’aucune plainte sur la base du TCE – en tout et pour tout, elle a fait l’objet d’une seule plainte de la part d’un investisseur des Seychelles, encore en cours. Dès lors, va-t-elle quitter le traité ? « Non », nous répond Jean-Christophe Füeg, chef des affaires internationales à l’Office fédéral de l’énergie, s’empressant d’ajouter que « les critiques de ce traité ignorent que celui-ci s’applique uniquement aux investissements étrangers. En d’autres termes, les investissements domestiques ou provenant de pays non-parties (Etats-Unis, Norvège, Chine, pays du Golfe, Australie, Canada…) ne sont pas couverts. »

Selon lui, la version modernisée de cette Charte, approuvée par le Conseil fédéral le 22 novembre, devrait permettre de réduire drastiquement les plaintes et de limiter la portée du traité : « L’UE comptera désormais comme une seule partie, ce qui veut dire que des plaintes d’investisseurs à l’intérieur de l’UE seront désormais exclues, ajoute-t-il. Cela réduit le TCE à un traité entre l’UE, la Grande-Bretagne, le Japon, la Turquie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Suisse, les autres parties n’ayant quasiment pas d’investisseurs. Or, plus de 95% des investissements fossiles au sein de l’UE sont soit intra-UE, soit de non-parties. Ceci permet p.ex. à certains Etats membres de l’UE de poursuivre gaiement l’exploration d’hydrocarbures (p.ex. Chypre, la Roumanie, la Grèce et même les Pays-Bas). Il est donc difficile d’adhérer à l’argument selon lequel il est vital pour le climat de viser moins de 5% des investissements fossiles par un retrait tout en épargnant les 95% restants »

Selon lui, ce traité est important pour protéger les intérêts des investisseurs étrangers en Suisse et vice versa : selon un sondage parmi les investisseurs suisses ayant des investissements dans l’UE, ceux-ci i affirment apprécier la protection juridique que l’ECT leur apporte. « Une sortie de la Suisse irait à l’encontre de leurs intérêts », conclue-t-il.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit sortir

Même la version modernisée de la Charte, pourtant insuffisante pour lutter contre le changement climatique, n’est pas près d’entrer en vigueur. Alors qu’elle devait être approuvée par les Etats parties lors d’une réunion le 22 novembre à Oulan Bator, en Mongolie, la modernisation a été retirée de l’agenda après que les Etats membres de l’UE ne sont pas arrivés à s’entendre.

Pour Alliance Sud, la Suisse doit se joindre aux autres pays européens qui ont déjà franchi le pas et quitter ce traité qui permet à un investisseur étranger de porter plainte contre un Etat hôte pour tout changement réglementaire – fermeture d’une centrale à charbon, sortie du nucléaire, changement de réglementation dans les énergies renouvelables, etc. – et donc freine la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique. Il n’est pas acceptable que les investisseurs étrangers dans les énergies fossiles soient au-dessus des lois nationales et qu’ils aient recours à une justice privée qui leur accorde trop souvent des millions, voire des milliards de dédommagement.

Un traité obsolète

Le Traité sur la Charte de l’énergie, en vigueur depuis 1998, protège les investissements dans l’énergie, dont les énergies fossiles. Il compte 53 Etats parties, pour la plupart des pays industrialisés, dont la Suisse et l’UE, mais pas seulement : l’Afghanistan, le Yémen, la Mongolie et les pays d’Asie centrale y ont adhéré aussi. Il permet à un investisseur d’un Etat partie de porter plainte contre un autre Etat partie pour tout changement de politique ou de réglementation qui nuirait à ses intérêts.

C’est de loin de le traité sur lequel repose le plus grand nombre de plaintes. Celles-ci sont jugées dans la plus grande opacité par un tribunal arbitral composé de trois arbitres, selon le mécanisme de règlement des différends investisseurs – Etats (ISDS) et sans l’obligation de passer au préalable devant les tribunaux internes. C’est un outil puissant aux mains des grandes sociétés gazières, pétrolières et du charbon pour dissuader les gouvernements d’effectuer la transition vers les énergies propres.