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Développement par bonds dans le solaire
29.11.2025, Justice climatique
Dans la lutte géopolitique pour la suprématie technologique, Trump veut freiner l'ascension de la Chine. Mais sous la présidence de ce climatosceptique notoire, les États-Unis sont déjà à la traîne dans le domaine crucial de la technologie solaire. La Chine, en revanche, équipe assidûment l'Afrique de panneaux solaires – le continent qui a le plus besoin d'électricité produite à partir d'énergies renouvelables.
Sur le continent africain, les besoins en électricité fiable sont énormes. Un homme présente un panneau solaire à vendre dans un magasin à Abuja, au Nigeria. © Keystone/AP/Olamikan Gbemiga
Le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, a également pris la parole lors de la COP30 à Belém. Il a déploré que Trump relègue les États-Unis au second plan en matière de politique climatique. Le scientifique et activiste écologiste kényan Mohamed Adow a déclaré à la BBC qu’il s’agissait d’un « acte d'autosabotage », car cela conduirait finalement les États-Unis à « passer à côté de l’énergie du futur ».
En effet, alors que les États-Unis se perçoivent comme engagés dans une course technologique avec la Chine dans d’innombrables domaines, une course qu'ils souhaitent ardemment remporter, la partie est jouée sur le plan de la technologie solaire. Les trois quarts des panneaux solaires produits depuis 2010 proviennent de Chine, et cette part a considérablement augmenté ces dernières années. Cela a été rendu possible par la volonté affichée des dirigeants chinois de décarboner le pays (à moyen terme ; pendant longtemps, la production d'électricité à partir du charbon a été développée en parallèle). Et ce, avec des technologies et des équipements fabriqués dans le pays.
Le succès de cette stratégie pose problème aux milieux qui, pour des raisons idéologiques, rejettent par principe la politique industrielle en général, et, a fortiori, la politique industrielle dite verte. Ces milieux sont particulièrement influents en Suisse, des facultés d’économie à la NZZ, en passant par le SECO. La surproduction actuelle en Chine est alors volontiers pointée du doigt. Or, cette surproduction est relative au regard des énormes besoins non satisfaits en électricité abordable et fiable. 800 millions de personnes, majoritairement en Afrique, n'ont toujours pas accès au courant électrique.
Mais quelque chose se produit actuellement en Afrique, ce que le groupe de réflexion énergétique à but non lucratif Ember qualifie de « décollage africain du solaire ». Ember le prouve avec des chiffres saisissants, et la Chine, bien sûr, joue un rôle central dans ce contexte. Ces deux dernières années, les importations de panneaux solaires en provenance de l’empire du Milieu (hors Afrique du Sud) ont presque triplé. Ce bond a été observé dans toute l'Afrique. 20 pays ont établi de nouveaux records d'importation de modules solaires au cours des douze mois précédant juin 2025. 25 pays ont importé des quantités considérables (plus de 100 mégawatts). En Sierra Leone, par exemple, les modules importés en un an peuvent couvrir 61 % de la production d'électricité du pays (2023).
Dans une grande partie de l'Afrique, la technologie de la téléphonie mobile a pu s'affranchir de l'étape qu'a représentée le développement de l'infrastructure téléphonique fixe dans les pays du Nord global. L'énergie solaire a le même potentiel de développement par bonds (leap-frogging). Au lieu d'une production d'énergie centralisée et à grande échelle en un seul lieu, l'énergie solaire permet une production décentralisée, au plus près des populations qui ont besoin d'électricité. Le potentiel de l'énergie solaire pour le développement de l'Afrique serait encore plus grand si son utilisation ne dépendait pas uniquement des importations en provenance de Chine. De premières approches timides de production locale sont à signaler en Égypte, au Maroc, au Nigéria et en Afrique du Sud.
Communiqué
COP30: bilan mitigé à Belém
22.11.2025, Justice climatique
La COP30 s'est achevée aujourd'hui à Belém sur un bilan mitigé, après d'âpres négociations visant à faire progresser la justice sociale et à assurer une transition équitable vers l'abandon des énergies fossiles. La Suisse s'est engagée en faveur d'objectifs ambitieux, mais elle est elle-même à la traîne en matière de protection du climat sur son territoire et de financement de la lutte contre le changement climatique à l'étranger.
© Alliance Sud
En ce qui concerne la sortie des énergies fossiles, le résultat est décevant ; il reflète la situation internationale difficile avec le renforcement des défenseurs de ces énergies. Le déficit de financement considérable dans les pays du Sud reste un obstacle majeur à la conclusion d'accords sur des plans de sortie plus ambitieux. Ce déficit est lié à l'injustice résultant du fait que les 10 % les plus riches de la population mondiale sont responsables de 48 % des émissions, tandis que la moitié la plus pauvre n'émet que 12 % de celles-ci, mais est la plus touchée par la crise climatique.
Grâce notamment au travail acharné de nombreux pays du Sud et de la société civile, la COP30 a toutefois réussi à adopter un mécanisme de « transition juste » visant à garantir la justice sociale dans les mesures de protection du climat. Il s'agit là d'un élément important pour rendre ces mesures socialement justes et équitables dans les années à venir. Ce mécanisme vise à soutenir les travailleurs et travailleuses, les communautés et les pays dans leurs efforts, par exemple en améliorant la coopération internationale et le partage des connaissances.
Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, déclare :
- « Il ne suffit pas de s'engager une fois par an à la COP en faveur de la sortie des énergies fossiles. Le Conseil fédéral doit donner la priorité à la protection du climat tout au long de l'année : dans le cadre de la décarbonisation de la Suisse, mais aussi dans les nombreux contacts diplomatiques avec les grands émetteurs. »
- « L'accord prévoit clairement de tripler le soutien apporté aux pays du Sud pour leur adaptation au changement climatique. Pour cela, la Suisse doit mobiliser davantage de fonds publics – elle devrait de toute urgence réserver les montants correspondants provenant des recettes du système d'échange de quotas d'émission. »
Bettina Dürr, experte climat chez Action de Carême et observatrice sur place, déclare :
- « La COP30 n'a pas réussi à concrétiser la mise en œuvre de l'objectif de financement climatique de Bakou, à savoir 300 milliards de dollars par an d'ici 2035. Les pays industrialisés n'ont pas de plan pour augmenter le financement international de la lutte contre le changement climatique, alors qu'ils en ont la responsabilité en vertu de l'accord de Paris. »
- « La Suisse affiche certes de grandes ambitions en matière de protection du climat, mais elle occulte chaque année le fait que cela nécessite également des moyens financiers. Le Conseil fédéral s'est rendu à Belém sans avoir pris de décision sur la manière dont l'objectif financier de Bakou devait être mis en œuvre en Suisse. Nous demandons que la Suisse contribue à hauteur d'au moins 1 % aux 300 milliards de dollars par an. ».
David Knecht, expert climat et énergie chez Action de Carême et observateur sur place, déclare :
- « Les mesures de protection du climat doivent être centrées sur les personnes. La COP30 nous rapproche de cet objectif grâce au mécanisme de transition juste. Nous devons nous en réjouir ! Dans le même temps, la communauté internationale n'a pas réussi à combler le fossé flagrant entre l'objectif de l'accord de Paris et les ambitions climatiques des États. La COP30 ne fournit pas de plan global sur la manière dont les États peuvent accélérer la mise en œuvre de mesures de protection du climat socialement équitables et financées. C'est du temps perdu. »
- La Suisse doit désormais redoubler d'efforts pour faire avancer la mise en œuvre au niveau national afin de pouvoir envoyer des signaux positifs lors des prochaines négociations. Cela signifie également qu’elle ne doit pas compter sur les compensations à l'étranger pour réduire ses émissions nationales. Nous devons de toute urgence exploiter le potentiel de réduction au niveau national afin de faire progresser la protection du climat.
Pour plus d’informations :
Alliance Sud, Delia Berner, Experte en politique climatique internationale, tél. +41 77 432 57 46 (par WhatsApp), delia.berner@alliancesud.ch
Marco Fähndrich, Responsable médias Alliance Sud, tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@allliancesud.ch
Action de Carême, Bettina Dürr, Responsable du programme justice climatique, tél. +41 79 745 43 53 (par Signal ou WhatsApp), duerr@fastenaktion.ch
Action de Carême, David Knecht, Responsable du programme justice climatique, tél. +41 76 436 59 86 (par Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch
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Communiqué
COP30 : la Suisse doit accélérer la protection du climat au lieu de la déléguer à l'étranger
06.11.2025, Justice climatique
La Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP30) s’ouvre le 10 novembre à Belém. Les nouveaux plans climatiques de la communauté internationale montrent que, dix ans après la signature de l'accord de Paris, les efforts mondiaux de protection du climat et le soutien financier aux pays les plus pauvres restent insuffisants. La Suisse doit elle aussi faire beaucoup plus à l'intérieur de ses frontières pour accélérer une transition énergétique juste et socialement responsable.
Conférence à proximité de la catastrophe : dans les environs de la COP30, les forêts tropicales, les territoires autochtones et les localités côtières souffrent depuis longtemps de la crise climatique. Affiche publicitaire pour la conférence à Belém, au Brésil. © Keystone/AP Photo/Jorge Saenz
Les données scientifiques sont sans équivoque : nous ne sommes pas sur la bonne voie. Même les objectifs climatiques nationaux récemment soumis sont insuffisants pour limiter le réchauffement global à 1,5°C. « La Conférence de l'ONU sur le climat au Brésil doit donc envoyer un signal clair : la communauté internationale est prête à changer de cap. Cela exige une sortie rapide et la plus équitable possible des énergies fossiles », affirme Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud.
Il faut abandonner rapidement les énergies fossiles pour freiner le réchauffement climatique et éviter des conséquences et des dommages encore plus graves. La transition énergétique doit être juste, car c'est la seule façon de garantir sa durabilité. « Elle exige l’implication des partenaires sociaux pour fermer les centrales à charbon, tout comme elle exige des partenariats avec les communautés autochtones pour protéger les forêts tropicales », explique Andreas Missbach. « Elle requiert aussi un système économique et financier plus équitable afin que davantage de pays puissent investir dans les infrastructures nécessaires ». L’expression « just transition » s'est imposée en anglais pour désigner cette transition.
Revendications d’Alliance Sud
- La Suisse doit œuvrer à l’adoption d’un plan pour accélérer l’action climatique lors de la COP30. Elle doit inciter tous les pays à renforcer les plans climatiques qu’ils ont soumis cette année afin que les efforts planétaires soient suffisants.
- La Suisse doit se fixer des objectifs plus ambitieux et prendre les mesures nécessaires pour les atteindre.
- La Suisse doit plaider pour une clarification des modalités de réalisation des objectifs de financement convenus lors de la COP29. Pour parvenir à sa juste part du financement international dans le domaine du climat, la Suisse doit contribuer à hauteur de trois milliards de dollars par an d'ici 2030.
- Lors de la COP30, la Suisse doit également s'engager en faveur d'un solide Mécanisme d’action de Belém (Belém Action Mechanism) afin de garantir que les plans et mesures climatiques soient justes et socialement responsables.
Le commerce du CO2 n’est pas la solution
Dans une nouvelle analyse, Alliance Sud et Action de Carême montrent que la compensation carbone à l’étranger pratiquée par la Suisse ne contribue pas à une meilleure protection du climat, alors même que cela constitue une condition pour le commerce du CO2 dans le cadre de l'accord de Paris. « La politique suisse veut faire des économies et externalise une partie importante de ses réductions d’émissions au lieu d’utiliser l'article 6 pour renforcer la protection du climat et promouvoir des projets technologiquement transformateurs », explique David Knecht, responsable du programme Justice climatique chez Action de Carême et co-coordinateur du groupe de travail « Ambition » auprès du Climate Action Network International. La politique et la société sont influencées par le lobby pétrolier qui utilise les fonds des compagnies pétrolières internationales pour freiner la transition énergétique en Suisse. Notre pays fait ainsi fi du sens et de l’objectif des mécanismes du marché de Paris.
--> Note : Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, est membre de la délégation suisse officielle de négociation en tant que représentante de la société civile. Elle sera à Belém dès le 10 novembre.
Pour tout complément d’information :
Alliance Sud, Marco Fähndrich, responsable des médias,
tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@alliancesud.ch
Action de Carême, Bettina Dürr, experte en justice climatique,
tél. +41 79 745 43 53 (via Signal, WhatsApp ou Threema), duerr@fastenaktion.ch
--> Bettina Dürr suit les négociations sur le bilan mondial, la transition juste et le financement climatique sur place à Belém dès le 7 novembre.
Action de Carême, David Knecht, expert en justice climatique,
tél. +41 76 436 59 86 (via Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch
--> David Knecht suit les négociations sur l'atténuation, les CDN et les mécanismes de compensation des émissions de CO2 sur place à Belém dès le 7 novembre.
Qu’attendent nos membres de la COP30 ?
Sonja Tschirren, experte du climat chez SWISSAID
« Lors de la COP30, où les systèmes alimentaires sont au cœur des débats, il est essentiel de ne pas ignorer les populations rurales du Sud global. Elles ont besoin d’un financement climatique adéquat de la Suisse et d’un soutien pour compenser les pertes et les préjudices. C'est la seule façon de réussir la transition vers des systèmes de production agroécologiques adaptés au changement climatique. Les multinationales opérant localement doivent aussi être mises à contribution ; les marchés volontaires du carbone ne résoudront pas le problème ».
Bettina Dürr, responsable du programme Justice climatique auprès de l’Action de Carême et membre du comité de l'Alliance climatique
« Lors de la COP28 à Dubaï, les pays se sont engagés à opérer une transition énergétique pour abandonner les énergies fossiles. Or, les plans climatiques récemment soumis montrent que la sortie des énergies fossiles n'est pas encore suffisamment clairement définie. La Suisse devrait se fixer une date butoir pour la mise en œuvre de la décision de Dubaï. »
Christina Aebischer, experte du climat chez Helvetas
« Nous attendons du gouvernement suisse qu'il utilise tous les moyens à sa disposition et qu’il plaide avec conviction pour le respect de l'accord de Paris et contre l'affaiblissement de la coopération multilatérale. Il y a d'innombrables Blatten sur la planète. Notre solidarité avec les personnes qui perdent tout à cause du changement climatique et de la recrudescence des risques naturels, et qui doivent s'adapter à une nouvelle réalité, ne doit pas s'arrêter aux frontières nationales. »
Sarah Steinegger, responsable du service Politique de développement
et climat chez Caritas Suisse
« En tant que l'un des pays les plus riches, la Suisse ne peut plus se décharger de sa responsabilité climatique sur les pays pauvres et les générations futures – elle doit agir maintenant. »
Johannes Wendland, conseiller en justice climatique chez EPER
« Dans les négociations sur le financement climatique, il ne s’agit pas de générosité – mais de responsabilité. Les coûts de la crise climatique doivent être supportés par les gros pollueurs, et non par les personnes qui ont le moins contribué au problème. »
Klaus Thieme, responsable des programmes internationaux chez Solidar Suisse
« Dans le Sud global, la crise climatique exacerbe la pauvreté et la précarité. Les travailleuses et travailleurs pauvres sont particulièrement touchés par les inondations, la destruction de leurs moyens de subsistance et la précarité de l’emploi. Nous avons besoin d'emplois d’avenir, durables et décents, offrant de réelles perspectives. La Suisse doit apporter sa juste contribution afin que la protection du climat ne crée pas de nouvelles inégalités. »
Júlia Garcia, Coordination nationale Brésil, terre des hommes suisse
« La jeunesse joue un rôle central dans le développement de solutions face à la crise climatique. Cela inclut les jeunes autochtones, car ils sont les gardien·ne·s des forêts détruites par le Nord global. La voix de ces jeunes doit être entendue et intégrée dans les négociations. »
Maritz Fegert, responsable de programme Policy & Advocacy chez Biovision
« La COP30 à Belém représente une occasion importante de renforcer l’agroécologie, une approche qui a le potentiel de transformer en profondeur les systèmes alimentaires et l’agriculture. Grâce à des changements politiques adéquats, les systèmes alimentaires, actuellement responsables d'une part considérable de gaz à effet de serre, pourraient apporter des solutions efficaces pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ces conséquences. »
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PERSPECTIVE SUD
L’Afrique au rendez-vous de la transition énergétique
02.10.2025, Justice climatique
Il est temps de promouvoir des pratiques d’extraction responsable pour permettre à l’Afrique de maximiser les retombées de ses réserves stratégiques en minerais de transition. Et pour assurer l’amélioration des conditions de vie de ses citoyen·ne·s et la réduction des impacts sociaux et environnementaux. Par Emmanuel Mbolela.
A qui profite le coltan qui booste notre avenir ? Les mines de Rubaya sont au coeur de la guerre entre la milice du M23, le Congo et le Rwanda. © Eduardo Soteras Jalil / Panos Pictures
La transition énergétique mondiale se présente comme un impératif crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’avènement d’un avenir énergétique durable pour les générations futures. Elle s’impose depuis une dizaine d’année dans le débat politique et public des pays du Nord et du Sud. Dans ce débat, l’Afrique se présente comme un continent solution grâce à sa biodiversité exceptionnelle qui lui confère incontestablement le rôle clé de puits de carbone mondiale. Grâce aussi à son sous-sol contenant les différents minerais de transition (cuivre, cobalt, lithium, nickel, coltan, tantale) dont le monde a besoin pour la fabrication des batteries des véhicules électriques, le stockage d’énergies renouvelables ainsi que les technologies innovantes essentielles à la transition énergétique globale. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande de ces minerais augmentera de quatre à six fois d’ici 2040.
Cependant une question reste posée au sort réservé à ce continent producteur et fournisseur de ces matières premières stratégiques. L’Afrique sera-t-elle encore utilisée comme une simple vache à lait ou ce processus de transition énergétique contribuera-t-il à son émergence ?
Afrique a toujours été au centre des transformations majeures qui ont conduit à l’industrialisation des nations, et cela, en payant un prix fort.
L’histoire se répète
Pour la petite histoire, l’Afrique, grâce à sa population et ses ressources naturelles, a toujours été au centre des transformations majeures qui ont conduit à l’industrialisation des nations, et cela, en payant un prix fort. C’est le cas de la traite des Noirs où les Africains ont été embarqués de force et transportés dans les bateaux dans des conditions inhumaines pour être vendus en Amérique afin de travailler dans les plantations de cannes à sucre et de coton. Nous citerons encore l’exemple du caoutchouc qui fut utilisé dans la fabrication de pneus gonflables, qui a révolutionné le domaine de l’industrie automobile mais dont l’extraction a laissé des souvenirs douloureux dans les pays africains producteurs. On n’oubliera jamais les violences physiques (mains coupées, prise d’otage des femmes et des enfants) instituées au Congo par le roi Léopold II de la Belgique pour pousser la population à extraire davantage cet or blanc dont la vente n’a servi qu’à l’enrichissement personnel du roi et au développement de son royaume de Belgique. La révolution industrielle du 20e siècle a été rendue possible grâce aux matières premières fournies par l’Afrique. Que dire de l’uranium extrait au sud de la République démocratique du Congo, qui fut utilisé dans la fabrication de la bombe atomique qui a permis de mettre fin à la deuxième guerre mondiale ? Pas plus que hier le développement des nouvelles technologies de la communication et de l’information de notre ère a fait encore recours à l’Afrique pour obtenir les matières premières, notamment le coltan qui est utilisé dans la fabrication des téléphones et des ordinateurs portables.
Paradoxalement, l’Afrique se retrouve au bas de l’échelle. Ses fils et filles sont poussés à l’errance, à la recherche d’un Eldorado. Ils meurent dans le désert et dans la mer sous le regard complice et coupable de ceux et celles qui ont les moyens de les sauver, mais qui refusent de le faire sous prétexte que cela provoquerait un appel d’air.
Emmanuel Mbolela est titulaire d’un diplôme de Master en Economie Appliquée, parcours « Nouveaux environnements économiques et entrepreneuriat éthique » de l’Université d’Angers en France.
Il est militant et défenseur des droits fondamentaux des migrants et l’auteur du livre « Réfugié : Une odyssée africaine ». Il est le fondateur de l’Association des réfugiés et des communautés migrantes et l’initiateur du projet de la maison d’hébergement qui offre un logement temporaire et d’urgence aux femmes migrantes et à leurs enfants.
Aujourd'hui, l'Afrique est à nouveau sollicitée : en tant que puits de carbone contre le réchauffement climatique et fournisseur de matières premières essentielles à la transition énergétique.
Aujourd’hui, l’Afrique est à nouveau sollicitée. Elle répond présente comme elle l’a toujours fait à tous les rendez-vous de l’histoire ayant marqué l’industrialisation des nations. Et cette fois-ci, elle se présente à nouveau comme continent solution en tant que puits de carbone contre le réchauffement climatique et fournisseur de matières premières essentielles à la transition énergétique.
Pourtant, si les révolutions industrielles antérieures ont contribué au développement des pays occidentaux et amélioré la qualité de vie de leurs populations, en Afrique, c’est le sang qui coule et des souvenirs douloureux. La République démocratique du Congo, par exemple, est plongée depuis 30 ans dans une guerre de dépeuplement et repeuplement dans sa partie est où l’on retrouve de gigantesques mines de minerais de transition. Ce conflit armé, bien que le pays ne dispose pas d’une usine d’armement, a déjà fait des millions de morts, des centaines de milliers de déplacés internes et de réfugiés. Le viol des femmes et des enfants est pratiqué à grande échelle et utilisé comme une arme de guerre dans le but de pousser la population à quitter les villes et les villages et à laisser leurs terres qui sont immédiatement récupérées pour l’exploitation de minerais.
La croissance exponentielle de la demande de ces minerais fait que nous assistons actuellement aux pratiques prédatrices et illicites dans leur exploitation : les enfants sont utilisés dans les mines, les conflits armés sont intelligemment provoqués, et les accords sont signés dans toute opacité non seulement par les entreprises multinationales, mais aussi par des Etats. Nous citerons l’accord signé en février 2024 par l’Union européenne et le Rwanda sur la commercialisation des matières premières critiques. Il intervient au moment où ce pays a envahi son voisin la RDC et que l’UE sait bien que le Rwanda ne dispose pas de mines de ces métaux et que les minerais qu’il offre sur le marché international proviennent de pillages opérés en RDC.
Minerai de cobalt provenant des mines congolaises de Shabara, où des milliers de personnes creusent dans des conditions déplorables dans une zone contrôlée par Glencore. © Pascal Maitre / Panos Pictures
Le 27 juin, un accord de paix entre la RDC et le Rwanda vient d’être signé à Washington sous la médiation de l’administration Trump. Cet accord qui a été précédé par des négociations entre les autorités américaines et congolaises sur l’exploitation de matières premières rares, s’inscrit dans la logique du président Trump d’échanger la paix contre les minerais stratégiques. C’est l’administration du businessman – le président Trump se dit prête à mettre fin à l’agression dont la RDC est l’objet de la part de son voisin le Rwanda à condition qu’elle coopère avec les Etats-Unis pour l’exploitation de ses ressources minières. L’on comprend dès lors qu’en réalité cet accord tant vanté par Donald Trump n’est qu’une ouverture des portes aux Etats-Unis pour accéder aux minerais essentiels pour la technologie mondiale.
Les multinationales sont animées par le crédo de maximisation du profit et elles ne sont pas intéressées à la création d‘emplois stables ni à des pratiques d’exploitation durables.
Inévitablement un tel accord conduira à la fois vers une paix sans pain et à l’éclatement d’un conflit entre les grandes puissances sur le sol africain. D’autant plus que les multinationales qui viendraient au Congo sont animées par le crédo de maximisation du profit, et dans ce sens, elles exploitent et emportent leurs produits qui sont transformés dans leurs pays respectifs. Elles ne sont pas intéressées à la création d‘emplois stables ni à des pratiques d’exploitation durables. En plus, il n’est pas exclu que cet accord conduise dans le futur à la guerre entre les grandes puissances, notamment l’Union européenne et les Etats-Unis sur le sol congolais, au risque de se retrouver dans la situation qui s’est produite dans les années 1997 au Congo Brazzaville. Dans ce dernier pays, un gouvernement démocratiquement élu a été renversé parce que le président Lissouba avait signé des accords sur l’exploitation du pétrole avec les entreprises américaines au détriment des entreprises françaises installées depuis des décennies. Ces dernières n’ont pas hésité à réarmer l’ancien président Sassou-Nguesso pour renverser Pascal Lissouba. La guerre, qui éclata et qui provoqua la mort de centaines de milliers de personnes, entraîna des centaines de milliers de déplacés internes et de réfugiés, et fut qualifiée par la suite de guerre ethnique.
A ces accords cités ci-dessus s’ajoute également le mégaprojet de construction de chemin de fer reliant la République démocratique du Congo et la Zambie jusqu’au port de Lobito en Angola, initié par les Etats-Unis et soutenu par l’UE. Ce projet, qui a été inauguré en Angola par l’ancien président américain Jo Biden juste aux derniers jours de la fin de son mandat, a pour objectif de raccourcir le transport des matières premières. Un tel projet nous ramène à ceux qui furent initiés du temps de la colonisation, où les routes et les chemins de fer ont été construits non pas dans la logique de désenclavement et de développement des colonies, mais pour relier les zones ou les régions d’exploitation minières avec les océans et mers afin de faciliter le transport des matières premières vers la métropole.
Des réformes profondes doivent mettre fin à l’exploitation prédatrice pour que ces minerais ne soient plus source de malédiction, mais puissent leur apporter le bonheur et l’envie de vivre.
Les jeunes Africains qui regardent chaque jour des milliers de containers transportant ces richesses quitter le continent vers les destinations lointaines (Europe, Etats-Unis, Canada, Chine…) réclament des réformes profondes. Celles-ci doivent mettre fin à l’exploitation prédatrice pour que ces minerais ne soient plus source de malédiction, mais puissent leur apporter le bonheur et l’envie de vivre.
Il convient notamment de maximiser les bénéfices tirés des réserves stratégiques en minerais de transition au profit des pays extracteurs afin d'améliorer les conditions de vie des citoyen·ne·s et de réduire les effets négatifs de l'exploitation minière.
Responsabilisation des entreprises
Pour y parvenir, il est plus que temps d’activer et d’encourager l’application, de manières rigoureuses et audacieuses, des différentes politiques internationales qui trainent dans les tiroirs, telles que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains, les principes de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et les principes directeurs du groupe d’experts du Secrétaire Général de l’ONU sur les minerais essentiels à la transition énergétique.
Si l’on veut que la transition énergétique soit juste et équitable, il serait juste d’appliquer le principe du pollueur-payeur et non du pollué payant.
Il est évident de soutenir des engagements tels que l'initiative pour des multinationales responsables en Suisse. Le succès de telles initiatives dépend notamment de la sensibilisation et l’information suffisante de la population aux drames humains et aux dommages environnementaux causés par le secteur minier en Afrique. De telles actions pourront soutenir le combat que mène la société civile des pays africains qui plaident nuit et jour pour le renforcement de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises opérant dans le secteur.
Ces entreprises multinationales se retrouvent en position de force notamment dans la conclusion des contrats miniers qui reste souvent opaque et inconnue des communautés locales. Elles utilisent leur position pour ignorer les droits des populations et les règles élémentaires d’exploitation. Leurs activités minières sont menées dans des conditions qui ne tiennent pas compte des règles élémentaires de santé publique ni du respect des droits de la population locale. Elles sont ainsi à la base de la pollution de l’air et de la contamination toxique de l’eau entraînant le développement de pathologies souvent inconnues de la population, qui tuent et aggravent la crise de santé publique.
Les populations africaines attendent encore que les pays du Nord reconnaissent le rôle que joue l’Afrique. Ce rôle mérite le financement climatique et de compensation pour les efforts qui sont demandés à sa population dans la préservation environnementale. Si l’on veut que la transition énergétique soit juste et équitable, il serait juste d’appliquer le principe du pollueur-payeur et non du pollué payant.
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global
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COMMERCE ET CLIMAT
La taxe carbone aux frontières pénalise les pays pauvres
03.12.2024, Justice climatique, Commerce et investissements
Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM) prévoit de taxer les importations des produits les plus polluants. Alors même que les pays les plus pauvres vont être fortement pénalisés, aucune exception n’est prévue pour eux. Si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à rectifier le tir. Analyse de Isolda Agazzi
L'une des plus grandes mines d'uranium du monde a fermé ses portes à Akokan, au Niger. Mais d'autres sont encore prévues dans le nord du pays en crise et jouent un rôle économique clé.
© Keystone / AFP / Olympia de Maismont
L’Union européenne (UE) prend ses engagements climatiques au sérieux. En 2019, elle a lancé le Pacte vert européen (Green Deal), qui vise à réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
C’est un programme qui comprend plusieurs mesures de politique interne et externe, comme le Règlement européen sur la déforestation (EUDR, voir global #92). Un autre projet clé de la politique commerciale européenne est le CBAM, ou Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il vise à soumettre les industries importatrices aux mêmes règles que les entreprises européennes polluantes, qui sont astreintes à un plafond d’émissions, qu’elles peuvent par ailleurs échanger sur le « marché carbone » pour respecter les limites imposées. Le but de ces mesures est de rendre les investissements dans les énergies propres en Europe plus attrayants et moins chers. « Le CBAM encouragera l'industrie mondiale à adopter des technologies plus écologiques », a déclaré Paolo Gentiloni, le commissaire européen pour l’Economie.
Eviter les fuites de carbone
Pour éviter que la production se déplace vers des pays où le prix du carbone est inférieur à l’UE, voire nul (ce qu’on appelle « fuites de carbone » ou carbon leakages), ou de mettre les producteurs européens face à une concurrence déloyale, Bruxelles a adopté le CBAM. Ce mécanisme prévoit de taxer à la frontière l’importation de produits particulièrement polluants, à savoir, dans un premier temps, le fer et l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’hydrogène et l’électricité.
En vigueur dans l’UE depuis le 1er octobre 2023, il est mis en œuvre par phases successives et sera entièrement en place à partir de 2026. A partir de 2031, il devrait s’appliquer à tous les produits importés.
Pays plus pauvres affectés
Toute la question est de savoir si la mesure est efficace. L’UE est optimiste : elle estime une réduction de ses émissions à 13,8 % d’ici 2030 et celles du reste du monde à 0,3 % par rapport à 1990.
Mais l’approche est très critiquée par les pays du Sud global, qui lui reprochent d’avoir un impact négatif sur leur développement. D’autres lui reprochent de ne pas prévoir d’exemption généralisée au moins pour les pays les plus pauvres. De surcroît, UN Trade and Development (ex UNCTAD) a calculé que l’impact sur le climat serait minime : le CBAM réduira les émissions globales de CO2 de 0,1 % seulement, tandis que les émissions de l’UE diminueront de 0,9 %. Mais il devrait augmenter le revenu des pays développés d'USD 2,5 milliards et réduire celui des pays en développement d'USD 5,9 milliards.
En 2022, les ministres du Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine ont appelé à éviter les mesures discriminatoires telles que la taxe carbone aux frontières.
Les pays les plus affectés par ce mécanisme sont les pays émergents qui sont les principaux exportateurs d’acier et d’aluminium vers l’Europe : Russie, Turquie, Chine, Inde, Afrique du Sud, Emirats arabes unis. Mais aussi des pays les moins avancés (PMA, catégorie établie par les Nation Unies) comme le Mozambique (aluminium) et le Niger (minerai d’uranium). Les pertes de bien-être pour les pays en développement comme l’Ukraine, l’Egypte, le Mozambique et la Turquie se situeraient entre 1 et 5 milliards d’euros, ce qui est considérable au vu de leur produit intérieur brut (PIB).
Prévoir une exception pour les PMA
Prenons l’Afrique, où se trouvent 33 des 46 PMA. Une récente étude de la London School of Economics arrive à la conclusion que si le CBAM était appliqué à tous les produits d’importation, le PIB de l’Afrique diminuerait de 1,12 % ou 25 milliards d’euros. Les exportations d’aluminium diminueraient de 13,9 % ; celles de fer et d’acier de 8,2 % ; celles de fertilisants de 3,9 % et celles de ciment de 3,1 %.
Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain et déclarer le CBAM contraire au développement ? Probablement pas. L’ONG belge 11.11.11. propose d’excepter les pays les moins avancés de ce mécanisme, au moins dans un premier temps, selon les règles de l’OMC ; ou alors de les taxer moins que les autres. Lorsque le CBAM était en discussion à Bruxelles, cette possibilité avait été envisagée par le Parlement, mais elle a été abandonnée, l’UE ayant préféré obtenir plus de recettes.
UN Trade and Development propose de rétrocéder les recettes issues du mécanisme aux PMA pour financer leur transition climatique. Pour l’UE les recettes escomptées sont de 2,1 milliards d’euros, et elles pourraient être convoyées de façon multilatérale via le Fonds vert pour le climat, qui est actuellement sous-financé.
Pas de CBAM en Suisse pour l’instant
En Suisse, rien de tel n’existe pour l’instant. Aujourd’hui les marchandises d’origine suisse exportées dans l’UE sont exemptées du CBAM en raison du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE), et le Conseil fédéral renonce à instaurer un tel mécanisme pour les produits importés en Suisse. Le SEQE représente le montant maximal d’émissions à disposition des industries d’une branche économique. Chaque participant se voit attribuer une certaine quantité de droits d’émissions. Si ses émissions restent en-deça, il peut vendre ses droits. Si elles dépassent cette limite, il peut en acquérir.
Une initiative parlementaire a été déposée en mars 2021 au Conseil national, qui demande à la Suisse d’adapter la loi sur le CO2 pour inclure un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, en tenant compte des évolutions dans l’UE. Actuellement cette initiative parlementaire est encore en cours de discussion dans les commissions.
Le CBAM peut être une mesure commerciale efficace pour réduire les émissions importées de CO2. Mais si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à ne pas pénaliser les pays les plus pauvres en leur accordant des exemptions et en rétrocédant une partie importante des recettes engrangées pour les aider à effectuer la transition énergétique.
Les émissions de gaz à effet de serre générées par la production et le transport de biens et de services exportés et importés représentent 27 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Selon l'OCDE, ces émissions proviennent de sept secteurs économiques : mines et production d'énergie, textiles et cuir, produits chimiques non métalliques et produits miniers, métaux de base, produits électroniques et électriques, machines, véhicules et semi-conducteurs.
Il est indéniable qu'il est nécessaire d'agir tant du côté du commerce que de la production – du côté de la production, par exemple, par la promotion des technologies vertes, le transfert de technologies et le financement climatique. Du côté du commerce, par d'autres mesures comme le CBAM, mais sans pénaliser les pays pauvres. Ces derniers doivent être aidés à gérer la transition écologique et à s'adapter aux nouvelles normes.
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Commentaire sur la COP29
Un certificat d’indigence pour la riche Suisse
29.11.2024, Justice climatique
Après la conférence sur le climat COP29 à Bakou, la société civile internationale et les pays les plus pauvres du Sud global sont déconcertés par le rejet brutal de la justice climatique par les pays du Nord global. Mais la crise climatique perdure et le débat sur les mesures à prendre en Suisse ne fait que commencer.
Des participant-e-s du Sud global ont protesté lors de la COP29 contre le financement insuffisant du climat, d'autres étaient tout simplement consternés par l'attitude d'obstruction de pays comme la Suisse. © Keystone / AP Photo / Rafiq Maqbool
Deux semaines durant, à Bakou, les pays du Sud global ont lutté pour un nouvel objectif de financement climatique qui répartirait équitablement les coûts liés à la crise climatique et assurerait un soutien financier approprié de la part du Nord global. Mais ils se sont heurtés à l'opposition des pays riches. La conférence était déjà en sursis lorsque les représentantes et représentants des pays les plus pauvres et des petits États insulaires ont exprimé leur désespoir et leur colère face au manque d’empressement du Nord global à augmenter ses contributions financières. Il faut dire que ces pays pauvres et États insulaires sont déjà confrontés à des menaces existentielles en raison de la montée du niveau de la mer et d'autres effets dévastateurs du réchauffement climatique. Quelques heures plus tard, ils ont été contraints d'accepter une proposition à peine meilleure s'ils entendaient obtenir une quelconque conclusion à la conférence sur le financement climatique.
Le constat de départ de la COP29 était tout simplement que le Sud global présentait un énorme déficit de financement non couvert qui l’empêchait de mettre en œuvre des contributions nationales adéquates pour atteindre l'objectif de 1,5 degré et des plans d'adaptation nationaux, ainsi que d’assumer les pertes et préjudices liés au climat. Des obstacles à l'accès au financement climatique déjà existant sont aussi une réalité. Alliance Sud avait réclamé un objectif de financement de 1000 milliards de dollars par an.
Le Sud global fait pression
De nombreuses études confirment que le déficit de financement ne peut être comblé par des investissements privés, en particulier pour l’adaptation, ainsi que pour l'ensemble des pays les plus pauvres et des petits États insulaires. Les investisseurs refusent en effet d’intervenir et les pays déjà fortement endettés ne peuvent pas se permettre d'investir des capitaux privés au prix demandé. C'est pourquoi les pays du Sud global et la société civile ont fait pression pour que le nouvel objectif de financement climatique comprenne bien plus de fonds publics sous forme de subventions (grants) et de crédits à taux fortement réduit.
En revanche, le positionnement des pays donateurs actuels a été perçu comme très injuste par la société civile, car ils n'ont fait aucune offre pour augmenter leurs propres contributions au financement climatique. Et ce, même si l'Accord de Paris les place clairement en position de leadership et de responsables. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le fort scepticisme d'une grande partie de la société civile à l'égard d'un élargissement de la base des donateurs, car cela a surtout été vu comme une façon pour les pays industrialisés de se détourner de leurs responsabilités.
La Suisse affaiblit le multilatéralisme
Alliance Sud a soutenu la demande de la Suisse d'inclure de nouveaux pays donateurs, mais a toujours attiré l'attention sur le fait que cela devait être lié à une augmentation de ses propres contributions. Or, certaines déclarations de la Suisse dans les médias pendant et après la COP ont malheureusement confirmé ce que les pays du Sud global soupçonnaient déjà : que les pays industrialisés veulent se soustraire à leurs propres responsabilités en utilisant l'argument de la base des donateurs. Par ce comportement, notre pays affaiblit en fin de compte le multilatéralisme, dont il dépend lui-même en tant que petit État.
La Suisse doit dès à présent mettre en œuvre le nouvel objectif de financement climatique et assumer sa juste part des coûts engendrés par la crise climatique, notamment dans les pays les plus pauvres du Sud global — et ce dans son propre intérêt. Cela permettra d'éviter de nouveaux dommages, de sauver des vies humaines et d'empêcher de nouvelles causes d'exode. Et seule une augmentation massive du financement climatique permettra de réussir la transition partout sur la planète, pour laquelle la Suisse s'engage au niveau international.
D'autres articles sur la COP29 à Baku
Pour les résultat de la COP29, voir ici.
Lisez également le commentaire d'Andreas Missbach sur les refus du Conseil fédéral vis-à-vis du Sud global lors de la COP29 et apprenez-en plus sur les compensations à l'étranger de la politique climatique suisse dans l'enquête de Delia Berner. Celle-ci montre qu'il existe de gros problèmes dans le projet au Ghana.
Delia Berner a représenté Alliance Sud au sein de la délégation suisse à la COP29. Ce commentaire a été rédigé en son nom propre et non au nom de la délégation.
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Communiqué
Résultat décevant à la conférence sur le climat de Bakou
24.11.2024, Justice climatique
La conférence sur les changements climatiques (COP29) s'est achevée la nuit dernière à Bakou. Le résultat des négociations est une amère déception. L'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus de crédibilité dans le Sud global.
© OFEV
La situation géopolitique initiale était déjà délicate et la présidence azerbaïdjanaise s’est montrée peu efficace pour lancer des ponts entre les différentes positions. Mais l'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires, dont l'existence est déjà menacée par la crise climatique. La confiance dans le Nord global vacille. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus d'influence et de crédibilité dans le Sud global.
Le financement climatique est notamment nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés par l'accord de Paris. L'année dernière à Dubaï, la communauté internationale a décidé d'entamer une transition énergétique en se détournant des combustibles fossiles. À Bakou, les pays ne sont pas parvenus à donner une suite concrète à cette décision.
Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, déclare :
- Le Conseil fédéral doit dès à présent montrer de manière crédible comment la Suisse peut accroître le financement climatique à long terme. De nouvelles sources de finan-cement selon le principe du pollueur-payeur sont nécessaires pour que notre pays puisse apporter sa contribution équitable à la lutte et à la gestion de la crise climatique dans le Sud global. Pour cela, les adaptations législatives nécessaires doivent être rapidement élaborées.
- Le mécanisme de marché de l'accord de Paris fait face à un avenir incertain. Les problèmes et les incohérences s'enchaînent déjà dans la mise en œuvre des premiers projets de compensation suisses en Thaïlande et au Ghana. (pour des exemples actuels, lire le communiqué de presse d‘Alliance Sud du 21.11.24)
Bettina Dürr, experte climatique auprès d’Action de Carême et observatrice sur place, explique :
- Dans de nombreux pays en développement, les communautés touchées par le changement climatique sont tributaires d'un soutien financier. Nous constatons actuellement aux Philippines que les typhons deviennent plus fréquents et plus destructeurs. Les gens affectés ne sont pas à l'origine de la crise climatique et n'ont pas les moyens d'en assumer eux-mêmes les coûts. C'est pourquoi le soutien à l'adaptation aux changements climatiques ou en cas de dommages climatiques doit prendre la forme de contributions à fonds perdu. Au lieu de cela, les pays industrialisés ont refusé d'inclure les dommages climatiques dans l'objectif de financement.
Christina Aebischer, experte en adaptation climatique chez Helvetas et observatrice sur place, ajoute :
- L’adaptation doit être un engagement social et solidaire, financé par des fonds publics. L’insuffisance des nouveaux objectifs de financement en général et pour l'adaptation en particulier, ainsi que la définition très large des sources de contribution possibles, diluent cette réalité et compromettent une mise en place rapide des mesures urgentes nécessaires.
David Knecht, spécialiste des questions climatiques et énergétiques auprès d’Action de Carême et observateur sur place, dit :
- La COP29 est un échec pour la transition énergétique. La communauté internationale n'a pas réussi à faire avancer la sortie des énergies fossiles décidée l'an dernier. Les nouveaux objectifs climatiques nationaux de tous les pays doivent dès à présent indiquer clairement comment réussir ce désengagement. J'attends de la Suisse qu'elle joue un rôle majeur à cet égard.
Pour de plus amples informations :
Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46 (par WhatsApp), delia.berner@alliancesud.ch
Alliance Sud, Marco Fähndrich, responsable média, tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@allliancesud.ch
Action de Carême, Bettina Dürr, experte en questions énergétiques et justice climatique, tél. 079 745 43 53 (via Signal ou WhatsApp), duerr@fastenaktion.ch
Action de Carême, David Knecht, expert en questions énergétiques et justice climatique, tél. 076 436 59 86 (via Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch
Helvetas, Christina Aebischer, experte en adaptation climatique, tél. 076 459 61 96, christina.aebischer@helvetas.org
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Communiqué
De Bonn à Bakou : la Suisse n'a pas encore épuisé son potentiel
13.06.2024, Justice climatique
La conférence internationale de Bonn sur le climat a pris fin sans progrès significatif. Les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique n'avancent pas. D'ici la COP29 à Bakou, la Suisse doit utiliser sa marge de manœuvre pour que le nouvel objectif comble l'important déficit de financement de la protection du climat dans le Sud global. Et ce, dans l'intérêt de l’ensemble des États.
© Christoph Driessen / dpa
Après deux semaines de conférence sur le climat à Bonn, le résultat est décevant : il n'y a eu ni avancées visibles dans les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique, ni de stratégie claire pour aborder la sortie des énergies fossiles décidée à Dubaï. Pour que la conférence des parties (COP29) à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, puisse prendre des décisions ambitieuses, tous les pays devront intensifier leurs efforts dans les mois à venir. « Pour surmonter les profondes divergences d'opinion entre les grands groupes de négociation, la Suisse doit contribuer à renforcer la confiance entre le Sud global et le Nord global », explique Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, qui a suivi les négociations à Bonn pour le Centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement.
Sortir des énergies fossiles — mais comment ?
L’an dernier, la COP28 a pris des décisions de principe importantes à Dubaï, à savoir l'abandon des énergies fossiles et le triplement des capacités en énergies renouvelables. Il s'agit désormais de concrétiser ces acquis. Il faut par exemple que les pays échangent leurs points de vue sur la manière d'organiser la sortie des combustibles fossiles. La Suisse a fait un pas important dans cette direction en disant un oui clair à la loi sur l'électricité dimanche dernier. À Bonn, les pays ne sont cependant pas parvenus à se mettre d’accord sur des précisions supplémentaires concernant les décisions prises à Dubaï.
David Knecht, expert en questions climatiques et énergétiques auprès de l'organisation de dévelop¬pement Action de Carême, déclare : « L'abandon des énergies fossiles est crucial pour les plus pauvres, car ils souffrent particulièrement des changements climatiques ». Et Bettina Dürr, spécialiste du climat chez Action de Carême, d’ajouter : « Dans le cadre de notre travail avec nos organisa¬tions partenaires, nous constatons que les communautés locales peuvent se développer grâce à la mise en place de systèmes de production d’énergie renouvelable. Nous nous engageons pour que ce moteur de développement soit une opportunité pour tous ». Il est donc essentiel que la question soit sérieusement abordée à Bakou, par exemple via le programme de « mitigation ». Dans ce contexte, la Suisse doit continuer à orienter les négociations vers le seuil de +1,5 °C en adoptant une position ambitieuse.
L'argent tarde à affluer
S’agissant de l'objectif de financement climatique à négocier, la Suisse a de nombreuses possibilités de s'investir de manière constructive dans le cadre de sa position de négociation. Alliance Sud a soumis à l'Office fédéral de l'environnement des recommandations sur les adaptations à apporter à la position suisse. Notre pays pourrait ainsi s'engager pour une définition des critères de qualité du financement climatique qu'elle remplit déjà elle-même, et soutenir ainsi les demandes du Sud global dans les négociations. La confiance s’en trouverait renforcée. « La Suisse n'octroie pas de prêts pour financer la protection du climat, mais soutient des projets dans le Sud global avec des contributions à fonds perdu. Elle devrait exiger que ce soit la norme pour le nouvel objectif de financement », suggère Delia Berner. Avant d’ajouter : « Si notre pays veut qu'un nouvel objectif de financement engage également de nouveaux pays donateurs, elle doit gagner la confiance et l'approbation des pays les plus pauvres. »
Le nouvel objectif de financement collectif sera plusieurs fois supérieur aux 100 milliards visés actuellement. La Suisse a donc besoin de sources de financement additionnelles, selon le principe de causalité. Établir la confiance avec le Sud global signifie aussi se rendre à Bakou avec une offre concrète et travailler dès à présent sur les moyens d’augmenter le financement au niveau national. Le Conseil fédéral a fait établir un état des lieux et a voulu décider de la manière de procéder avant la fin 2023 — rien ne s’est passé depuis lors. Le temps d’une clarification est venu.
Für weitere Informationen:
Fastenaktion, David Knecht, Klima- und Energieexperte
076 436 59 86, knecht@fastenaktion.ch
Alliance Sud, Delia Berner, Klimaexpertin
077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch
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Communiqué
La conférence de Bonn sur le climat trace la voie pour Bakou
03.06.2024, Justice climatique
À Bonn, du 3 au 13 juin 2024, des décisions importantes seront prises en vue de la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP29) qui se tiendra en novembre à Bakou. Alliance Sud observe les négociations sur place et attend de la Suisse qu'elle s'engage pour des ambitions accrues en matière de protection du climat et pour un financement climatique international approprié.
© Delia Berner
Afin de pouvoir prendre des décisions mûrement réfléchies lors de la Conférence annuelle des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques et à l’accord de Paris en novembre, les États négocient sur le plan technique tout au long de l’année. En juin, toutes les délégations nationales et les organisations observatrices de la société civile se réunissent à Bonn pour des négociations intensives en vue de préparer la COP. Cette année, la COP29 de Bakou sera l'occasion de prendre des décisions clés qui fixeront le cap des efforts mondiaux de protection du climat pour la prochaine décennie.
Des objectifs climatiques plus ambitieux sont impératifs – de la part de la Suisse également
Les efforts de protection du climat déployés jusqu'ici à l'échelle mondiale conduisent la planète vers un scénario catastrophique de réchauffement global de 2.5 à 2.9°C. Selon les scientifiques, pour atteindre le cap de 1,5 degré, il faudrait réduire les émissions de moins 60% d'ici 2035 par rapport à 2019. Or, les émissions ont augmenté de 2.3% comparativement à cette année-là. Selon David Knecht de l'organisation de développement Action de Carême, « il faut un revirement et fixer des objectifs climatiques nettement plus ambitieux pour tous les pays, en particulier les nations prospères comme la Suisse. Nous le devons aux plus pauvres de la planète, car ils souffrent particulièrement de la crise climatique ». D'ici début 2025, les pays doivent communiquer leurs nouveaux objectifs climatiques (CDN) revus à la hausse pour 2030 à 2035. Les négociations de Bonn devront créer le cadre nécessaire à cet effet. « Il faut que tous les pays sachent clairement ce que l'on attend d'eux. Nous devons éviter que les nouveaux CDN ne soient à nouveau insuffisants », souligne David Knecht.
Il faut bien plus de financement pour le climat
De nombreux pays du Sud global ne peuvent relever leurs ambitions en matière de protection climatique que s'ils reçoivent un soutien financier nettement supérieur. De plus, les coûts d'adaptation au changement climatique sont en constante augmentation. Les pertes et préjudices causés par la crise climatique sont financièrement dévastateurs et injustes pour le Sud global, surtout pour les pays les plus pauvres dont les émissions de gaz à effet de serre sont quasiment nulles à ce jour. Le Conseil fédéral parle d'un besoin de financement de 2‘400 milliards de dollars par an dans les pays du Sud global (Chine exclue).
« L'objectif actuel de 100 milliards pour soutenir les pays pauvres dans la protection du climat est loin d'être suffisant », souligne Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. « Un nouvel objectif de financement sera négocié cette année. Il faut enfin suffisamment de fonds pour que les pays du Sud global puissent se développer sans nuire au climat et faire face à la crise climatique qui ne cesse de s'aggraver ». Cela nécessite une hausse massive, avec des ressources financières nouvelles et additionnelles de la part des États riches comme la Suisse.
Pour de plus amples informations :
Sur place à Bonn : Action de Carême, David Knecht, Programme Énergie et justice climatique, 076 436 59 86 (par Whatsapp), knecht@fastenaktion.ch
Sur place à Bonn : Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, 077 432 57 46 (par Whatsapp), delia.berner@alliancesud.ch
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Article, Global
La Suisse freine des quatre fers
21.03.2024, Justice climatique
La Suisse n'est pas préparée à répondre aux attentes en nette hausse relatives à sa future contribution au financement international dans le domaine du climat. De nouvelles sources de financement sont nécessaires pour débloquer des moyens supplémentaires pour la lutte contre le changement climatique et l'adaptation à ce dernier dans le Sud global.
Extraction d’énérgie fossile à Bakersfield, aux Etats-Unis. © Simon Townsley / Panos Pictures
En décembre dernier, lors de la conférence sur le climat à Dubaï, des journalistes ont demandé au conseiller fédéral Albert Rösti s'il se sentait à l'aise pour exiger l'abandon des énergies fossiles d'ici 2050. Il s'est montré rassurant. En plénière, il a ajouté que la planète devrait sortir du charbon d'ici 2040, conformément à la position helvétique. Ce qu'il n'a pas dit, c'est que pour abandonner le charbon, le pétrole et le gaz, il faut plusieurs centaines de milliards de dollars de financement climatique pour le Sud global, et cela chaque année. Et pour l'adaptation dans les pays pauvres, qui pour l’heure n'émettent quasiment pas de gaz à effet de serre mais qui sont toujours plus gravement touchés par la crise climatique, et pour l'indemnisation des personnes concernées, il faut encore une fois un montant de cet ordre. Cela représenterait un multiple de l'objectif de financement actuel de 100 milliards de dollars par an. Le déficit de financement pour les mesures de lutte contre le changement climatique dans les pays pauvres ne cesse de croître. Malgré cela, les ressources financières mises à disposition par les États responsables de la crise climatique, comme la Suisse, restent même en deçà des 100 milliards promis. À cela s'ajoutent la crise de la dette et d'autres facteurs qui restreignent grandement les propres possibilités de financement dans les pays les plus pauvres. Nombre de pays du Sud global se sentent lâchés par le Nord.
C'est dans ce contexte difficile qu'un nouvel objectif de financement sera négocié lors de la conférence sur le climat de cette année. Il sera jugé à l'aune de sa capacité à permettre aux pays du Sud global de mettre en œuvre des plans ambitieux de protection climatique et de s'adapter au mieux au réchauffement de la planète. Un nouvel objectif de financement ambitieux et crédible dans le domaine climatique est un préalable impérieux à la possibilité de soumission en 2025, par tous les États, de nouveaux plans climatiques quinquennaux répondant aux objectifs de l'accord de Paris. L’enjeu sera donc de taille lorsque les délégués prendront place à la table des négociations en novembre en Azerbaïdjan. Et les attentes envers les pays riches seront largement revues à la hausse. La Suisse devrait aussi s'engager avec cohérence pour que les pays pollueurs allouent bien davantage de fonds publics au financement climatique. Dans une tribune pour Climate Home News, le négociateur en chef du groupe des pays les plus pauvres, Evans Njewa du Malawi, demande aux délégations en charge des négociations pour le Nord global de ne plus se cacher derrière leurs parlements : « Ils disent qu'ils n'ont pas de mandat ou qu'ils ne sont pas en mesure d'augmenter les fonds, car leurs parlements ne les approuveront pas. Ils doivent d'autant plus agir maintenant, avant que ces derniers ne délibèrent sur leurs budgets », tonne Njewa.
Le Conseil fédéral ne veut pas voir la nécessité d’agir
Ce schéma s’observe dans notre pays également. Dans les négociations sur le climat, la Suisse s'engage en faveur d’une sortie mondiale des énergies fossiles d'ici 2050, afin que les objectifs de l’accord de Paris puissent encore être atteints. Mais sur les questions de financement, elle freine des quatre fers, car elle ne peut pas présenter d'engagements de politique intérieure pour des contributions plus substantielles. Le Conseil fédéral ne tente même pas de demander des ressources additionnelles au Parlement. Pour quelle raison en est-on là ?
Pour l’heure, les contributions suisses au financement climatique proviennent essentiellement du budget de la coopération internationale (CI), qui reçoit déjà trop peu de moyens pour la lutte mondiale contre la pauvreté et qui est aujourd’hui menacé par un transfert massif de fonds en faveur de la reconstruction en Ukraine. Cela signifie que le financement actuel du climat est déjà compté deux fois avec les projets de lutte contre la pauvreté. En revanche, des ressources financières nouvelles et additionnelles sont nécessaires pour que le financement climatique suisse puisse contribuer efficacement au soutien des plans climatiques dans le Sud global. Le Conseil fédéral devrait élaborer des options de financement alternatives au niveau de la loi, afin que les fonds de la CI puissent continuer à être utilisés pour la lutte globale contre la pauvreté, le renforcement des services de base en matière d'éducation et de santé ainsi que pour ses autres tâches clés. Voilà un an, il a effectivement donné à l'administration le mandat d'élaborer des options pour que la Suisse puisse à l'avenir fournir davantage de financement dans le domaine du climat. À la fin de l'an dernier, une étude mandatée à l'extérieur a été publiée sans commentaire sur le site Internet de l'Office fédéral de l'environnement. Expertes et experts recommandent à notre pays de trouver des sources de financement additionnelles, par exemple les recettes du système d'échange de quotas d'émission. Mais depuis, rien n'a bougé au Conseil fédéral. Selon le nouveau programme de législature, il n'a pas l'intention de présenter au Parlement un dossier sur le financement climatique au cours des trois prochaines années. Il mise uniquement sur le nouveau crédit quadriennal pour la coopération internationale 2025 – 2028. Mais ce dernier n’offre aucune place pour un financement climatique supplémentaire.
Si le Conseil fédéral n'agit pas — ce qui est en l’occurrence irresponsable, car les négociations sur le climat relèvent de sa compétence —, le Parlement peut prendre l'initiative. Lors de la dernière session d'hiver, le conseiller national Marc Jost a déposé une initiative parlementaire pour l’élaboration au Parlement d’une loi sur le financement international dans le domaine du climat et de la biodiversité.
Pas d’action sans financement
La conférence de Bakou sur le climat se rapproche à grands pas. Que reste-t-il à faire d’ici là ? La Suisse doit reconsidérer sa position de négociation actuelle sur les questions de financement et s'engager en faveur d'un objectif ambitieux qui réponde aux besoins des populations du Sud global et répartisse équitablement les responsabilités financières entre les pays riches, à l’origine de la crise climatique. C'est la seule façon de parvenir à sortir du charbon d'ici 2040 et de toutes les énergies fossiles d'ici 2050. La pression internationale sera d'autant plus forte pour s'accorder sur un objectif ambitieux.
La pression sur la Suisse augmentera donc inévitablement pour qu'elle dope sa contribution. Afin qu’une hausse des ressources financières puisse avoir lieu suffisamment vite, elle doit sans attendre s’attaquer aux travaux législatifs et ouvrir des pistes de financement supplémentaires dans le domaine du climat.
Pour l’exprimer comme Evans Njewa : « Nous devons toujours nous rappeler que sans financement, il n'y a pas d'action, et sans action, nous ne parviendrons jamais à maîtriser la crise climatique . »
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