COMMERCE ET CLIMAT

La taxe carbone aux frontières pénalise les pays pauvres

03.12.2024, Justice climatique, Commerce et investissements

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM) prévoit de taxer les importations des produits les plus polluants. Alors même que les pays les plus pauvres vont être fortement pénalisés, aucune exception n’est prévue pour eux. Si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à rectifier le tir. Analyse de Isolda Agazzi

Isolda Agazzi
Isolda Agazzi

Experte en politique commerciale et d'investissement, responsable média pour la Suisse romande

La taxe carbone aux frontières pénalise les pays pauvres

L'une des plus grandes mines d'uranium du monde a fermé ses portes à Akokan, au Niger. Mais d'autres sont encore prévues dans le nord du pays en crise et jouent un rôle économique clé.
© Keystone / AFP / Olympia de Maismont

 

L’Union européenne (UE) prend ses engagements climatiques au sérieux. En 2019, elle a lancé le Pacte vert européen (Green Deal), qui vise à réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030 et à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

C’est un programme qui comprend plusieurs mesures de politique interne et externe, comme le Règlement européen sur la déforestation (EUDR, voir global #92). Un autre projet clé de la politique commerciale européenne est le CBAM, ou Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il vise à soumettre les industries importatrices aux mêmes règles que les entreprises européennes polluantes, qui sont astreintes à un plafond d’émissions, qu’elles peuvent par ailleurs échanger sur le « marché carbone » pour respecter les limites imposées. Le but de ces mesures est de rendre les investissements dans les énergies propres en Europe plus attrayants et moins chers. « Le CBAM encouragera l'industrie mondiale à adopter des technologies plus écologiques », a déclaré Paolo Gentiloni, le commissaire européen pour l’Economie.

Eviter les fuites de carbone

Pour éviter que la production se déplace vers des pays où le prix du carbone est inférieur à l’UE, voire nul (ce qu’on appelle « fuites de carbone » ou carbon leakages), ou de mettre les producteurs européens face à une concurrence déloyale, Bruxelles a adopté le CBAM. Ce mécanisme prévoit de taxer à la frontière l’importation de produits particulièrement polluants, à savoir, dans un premier temps, le fer et l’acier, le ciment, les engrais, l’aluminium, l’hydrogène et l’électricité.

En vigueur dans l’UE depuis le 1er octobre 2023, il est mis en œuvre par phases successives et sera entièrement en place à partir de 2026. A partir de 2031, il devrait s’appliquer à tous les produits importés.

Pays plus pauvres affectés

Toute la question est de savoir si la mesure est efficace. L’UE est optimiste : elle estime une réduction de ses émissions à 13,8 % d’ici 2030 et celles du reste du monde à 0,3 % par rapport à 1990.

Mais l’approche est très critiquée par les pays du Sud global, qui lui reprochent d’avoir un impact négatif sur leur développement. D’autres lui reprochent de ne pas prévoir d’exemption généralisée au moins pour les pays les plus pauvres. De surcroît, UN Trade and Development (ex UNCTAD) a calculé que l’impact sur le climat serait minime : le CBAM réduira les émissions globales de CO2 de 0,1 % seulement, tandis que les émissions de l’UE diminueront de 0,9 %. Mais il devrait augmenter le revenu des pays développés d'USD 2,5 milliards et réduire celui des pays en développement d'USD 5,9 milliards.

En 2022, les ministres du Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine ont appelé à éviter les mesures discriminatoires telles que la taxe carbone aux frontières.

Les pays les plus affectés par ce mécanisme sont les pays émergents qui sont les principaux exportateurs d’acier et d’aluminium vers l’Europe : Russie, Turquie, Chine, Inde, Afrique du Sud, Emirats arabes unis. Mais aussi des pays les moins avancés (PMA, catégorie établie par les Nation Unies) comme le Mozambique (aluminium) et le Niger (minerai d’uranium). Les pertes de bien-être pour les pays en développement comme l’Ukraine, l’Egypte, le Mozambique et la Turquie se situeraient entre 1 et 5 milliards d’euros, ce qui est considérable au vu de leur produit intérieur brut (PIB).

Prévoir une exception pour les PMA

Prenons l’Afrique, où se trouvent 33 des 46 PMA. Une récente étude de la London School of Economics arrive à la conclusion que si le CBAM était appliqué à tous les produits d’importation, le PIB de l’Afrique diminuerait de 1,12 % ou 25 milliards d’euros. Les exportations d’aluminium diminueraient de 13,9 % ; celles de fer et d’acier de 8,2 % ; celles de fertilisants de 3,9 % et celles de ciment de 3,1 %.

Alors, faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain et déclarer le CBAM contraire au développement ? Probablement pas. L’ONG belge 11.11.11. propose d’excepter les pays les moins avancés de ce mécanisme, au moins dans un premier temps, selon les règles de l’OMC ; ou alors de les taxer moins que les autres. Lorsque le CBAM était en discussion à Bruxelles, cette possibilité avait été envisagée par le Parlement, mais elle a été abandonnée, l’UE ayant préféré obtenir plus de recettes.

UN Trade and Development propose de rétrocéder les recettes issues du mécanisme aux PMA pour financer leur transition climatique. Pour l’UE les recettes escomptées sont de 2,1 milliards d’euros, et elles pourraient être convoyées de façon multilatérale via le Fonds vert pour le climat, qui est actuellement sous-financé.

Pas de CBAM en Suisse pour l’instant

En Suisse, rien de tel n’existe pour l’instant. Aujourd’hui les marchandises d’origine suisse exportées dans l’UE sont exemptées du CBAM en raison du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE), et le Conseil fédéral renonce à instaurer un tel mécanisme pour les produits importés en Suisse. Le SEQE représente le montant maximal d’émissions à disposition des industries d’une branche économique. Chaque participant se voit attribuer une certaine quantité de droits d’émissions. Si ses émissions restent en-deça, il peut vendre ses droits. Si elles dépassent cette limite, il peut en acquérir.

Une initiative parlementaire a été déposée en mars 2021 au Conseil national, qui demande à la Suisse d’adapter la loi sur le CO2 pour inclure un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, en tenant compte des évolutions dans l’UE. Actuellement cette initiative parlementaire est encore en cours de discussion dans les commissions.

Le CBAM peut être une mesure commerciale efficace pour réduire les émissions importées de CO2. Mais si la Suisse l’adopte un jour, elle devra veiller à ne pas pénaliser les pays les plus pauvres en leur accordant des exemptions et en rétrocédant une partie importante des recettes engrangées pour les aider à effectuer la transition énergétique.

 

Les émissions de gaz à effet de serre générées par la production et le transport de biens et de services exportés et importés représentent 27 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Selon l'OCDE, ces émissions proviennent de sept secteurs économiques : mines et production d'énergie, textiles et cuir, produits chimiques non métalliques et produits miniers, métaux de base, produits électroniques et électriques, machines, véhicules et semi-conducteurs.

Il est indéniable qu'il est nécessaire d'agir tant du côté du commerce que de la production – du côté de la production, par exemple, par la promotion des technologies vertes, le transfert de technologies et le financement climatique. Du côté du commerce, par d'autres mesures comme le CBAM, mais sans pénaliser les pays pauvres. Ces derniers doivent être aidés à gérer la transition écologique et à s'adapter aux nouvelles normes.

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Commentaire sur la COP29

Un certificat d’indigence pour la riche Suisse

29.11.2024, Justice climatique

Après la conférence sur le climat COP29 à Bakou, la société civile internationale et les pays les plus pauvres du Sud global sont déconcertés par le rejet brutal de la justice climatique par les pays du Nord global. Mais la crise climatique perdure et le débat sur les mesures à prendre en Suisse ne fait que commencer.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Un certificat d’indigence pour la riche Suisse

Des participant-e-s du Sud global ont protesté lors de la COP29 contre le financement insuffisant du climat, d'autres étaient tout simplement consternés par l'attitude d'obstruction de pays comme la Suisse. © Keystone / AP Photo / Rafiq Maqbool

Deux semaines durant, à Bakou, les pays du Sud global ont lutté pour un nouvel objectif de financement climatique qui répartirait équitablement les coûts liés à la crise climatique et assurerait un soutien financier approprié de la part du Nord global. Mais ils se sont heurtés à l'opposition des pays riches. La conférence était déjà en sursis lorsque les représentantes et représentants des pays les plus pauvres et des petits États insulaires ont exprimé leur désespoir et leur colère face au manque d’empressement du Nord global à augmenter ses contributions financières. Il faut dire que ces pays pauvres et États insulaires sont déjà confrontés à des menaces existentielles en raison de la montée du niveau de la mer et d'autres effets dévastateurs du réchauffement climatique. Quelques heures plus tard, ils ont été contraints d'accepter une proposition à peine meilleure s'ils entendaient obtenir une quelconque conclusion à la conférence sur le financement climatique.

Le constat de départ de la COP29 était tout simplement que le Sud global présentait un énorme déficit de financement non couvert qui l’empêchait de mettre en œuvre des contributions nationales adéquates pour atteindre l'objectif de 1,5 degré et des plans d'adaptation nationaux, ainsi que d’assumer les pertes et préjudices liés au climat. Des obstacles à l'accès au financement climatique déjà existant sont aussi une réalité. Alliance Sud avait réclamé un objectif de financement de 1000 milliards de dollars par an.

Le Sud global fait pression

De nombreuses études confirment que le déficit de financement ne peut être comblé par des investissements privés, en particulier pour l’adaptation, ainsi que pour l'ensemble des pays les plus pauvres et des petits États insulaires. Les investisseurs refusent en effet d’intervenir et les pays déjà fortement endettés ne peuvent pas se permettre d'investir des capitaux privés au prix demandé. C'est pourquoi les pays du Sud global et la société civile ont fait pression pour que le nouvel objectif de financement climatique comprenne bien plus de fonds publics sous forme de subventions (grants) et de crédits à taux fortement réduit.

En revanche, le positionnement des pays donateurs actuels a été perçu comme très injuste par la société civile, car ils n'ont fait aucune offre pour augmenter leurs propres contributions au financement climatique. Et ce, même si l'Accord de Paris les place clairement en position de leadership et de responsables. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le fort scepticisme d'une grande partie de la société civile à l'égard d'un élargissement de la base des donateurs, car cela a surtout été vu comme une façon pour les pays industrialisés de se détourner de leurs responsabilités.

La Suisse affaiblit le multilatéralisme

Alliance Sud a soutenu la demande de la Suisse d'inclure de nouveaux pays donateurs, mais a toujours attiré l'attention sur le fait que cela devait être lié à une augmentation de ses propres contributions. Or, certaines déclarations de la Suisse dans les médias pendant et après la COP ont malheureusement confirmé ce que les pays du Sud global soupçonnaient déjà : que les pays industrialisés veulent se soustraire à leurs propres responsabilités en utilisant l'argument de la base des donateurs. Par ce comportement, notre pays affaiblit en fin de compte le multilatéralisme, dont il dépend lui-même en tant que petit État.

La Suisse doit dès à présent mettre en œuvre le nouvel objectif de financement climatique et assumer sa juste part des coûts engendrés par la crise climatique, notamment dans les pays les plus pauvres du Sud global — et ce dans son propre intérêt. Cela permettra d'éviter de nouveaux dommages, de sauver des vies humaines et d'empêcher de nouvelles causes d'exode. Et seule une augmentation massive du financement climatique permettra de réussir la transition partout sur la planète, pour laquelle la Suisse s'engage au niveau international.

 

D'autres articles sur la COP29 à Baku

Pour les résultat de la COP29, voir ici.

Lisez également le commentaire d'Andreas Missbach sur les refus du Conseil fédéral vis-à-vis du Sud global lors de la COP29 et apprenez-en plus sur les compensations à l'étranger de la politique climatique suisse dans l'enquête de Delia Berner. Celle-ci montre qu'il existe de gros problèmes dans le projet au Ghana.

 

 

Delia Berner a représenté Alliance Sud au sein de la délégation suisse à la COP29. Ce commentaire a été rédigé en son nom propre et non au nom de la délégation.

Communiqué

Résultat décevant à la conférence sur le climat de Bakou

24.11.2024, Justice climatique

La conférence sur les changements climatiques (COP29) s'est achevée la nuit dernière à Bakou. Le résultat des négociations est une amère déception. L'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus de crédibilité dans le Sud global.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
Résultat décevant à la conférence sur le climat de Bakou

© OFEV

La situation géopolitique initiale était déjà délicate et la présidence azerbaïdjanaise s’est montrée peu efficace pour lancer des ponts entre les différentes positions. Mais l'attitude restrictive des pays industrialisés en matière de financement a particulièrement ébranlé les pays les plus pauvres et les petits États insulaires, dont l'existence est déjà menacée par la crise climatique. La confiance dans le Nord global vacille. Les pays riches comme la Suisse perdent ainsi encore plus d'influence et de crédibilité dans le Sud global.

Le financement climatique est notamment nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction des émissions fixés par l'accord de Paris. L'année dernière à Dubaï, la communauté internationale a décidé d'entamer une transition énergétique en se détournant des combustibles fossiles. À Bakou, les pays ne sont pas parvenus à donner une suite concrète à cette décision.

Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, déclare :

  • Le Conseil fédéral doit dès à présent montrer de manière crédible comment la Suisse peut accroître le financement climatique à long terme. De nouvelles sources de finan-cement selon le principe du pollueur-payeur sont nécessaires pour que notre pays puisse apporter sa contribution équitable à la lutte et à la gestion de la crise climatique dans le Sud global. Pour cela, les adaptations législatives nécessaires doivent être rapidement élaborées.
  • Le mécanisme de marché de l'accord de Paris fait face à un avenir incertain. Les problèmes et les incohérences s'enchaînent déjà dans la mise en œuvre des premiers projets de compensation suisses en Thaïlande et au Ghana. (pour des exemples actuels, lire le communiqué de presse d‘Alliance Sud du 21.11.24)

Bettina Dürr, experte climatique auprès d’Action de Carême et observatrice sur place, explique :

  • Dans de nombreux pays en développement, les communautés touchées par le changement climatique sont tributaires d'un soutien financier. Nous constatons actuellement aux Philippines que les typhons deviennent plus fréquents et plus destructeurs. Les gens affectés ne sont pas à l'origine de la crise climatique et n'ont pas les moyens d'en assumer eux-mêmes les coûts. C'est pourquoi le soutien à l'adaptation aux changements climatiques ou en cas de dommages climatiques doit prendre la forme de contributions à fonds perdu. Au lieu de cela, les pays industrialisés ont refusé d'inclure les dommages climatiques dans l'objectif de financement.

Christina Aebischer, experte en adaptation climatique chez Helvetas et observatrice sur place, ajoute :

  • L’adaptation doit être un engagement social et solidaire, financé par des fonds publics. L’insuffisance des nouveaux objectifs de financement en général et pour l'adaptation en particulier, ainsi que la définition très large des sources de contribution possibles, diluent cette réalité et compromettent une mise en place rapide des mesures urgentes nécessaires.

David Knecht, spécialiste des questions climatiques et énergétiques auprès d’Action de Carême et observateur sur place, dit :

  • La COP29 est un échec pour la transition énergétique. La communauté internationale n'a pas réussi à faire avancer la sortie des énergies fossiles décidée l'an dernier. Les nouveaux objectifs climatiques nationaux de tous les pays doivent dès à présent indiquer clairement comment réussir ce désengagement. J'attends de la Suisse qu'elle joue un rôle majeur à cet égard.

Pour de plus amples informations :

Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46 (par WhatsApp), delia.berner@alliancesud.ch

Alliance Sud, Marco Fähndrich, responsable média, tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@allliancesud.ch

Action de Carême, Bettina Dürr, experte en questions énergétiques et justice climatique, tél. 079 745 43 53 (via Signal ou WhatsApp), duerr@fastenaktion.ch

Action de Carême, David Knecht, expert en questions énergétiques et justice climatique, tél. 076 436 59 86 (via Signal ou WhatsApp), knecht@fastenaktion.ch

Helvetas, Christina Aebischer, experte en adaptation climatique, tél. 076 459 61 96, christina.aebischer@helvetas.org

 

 

Communiqué

De Bonn à Bakou : la Suisse n'a pas encore épuisé son potentiel

13.06.2024, Justice climatique

La conférence internationale de Bonn sur le climat a pris fin sans progrès significatif. Les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique n'avancent pas. D'ici la COP29 à Bakou, la Suisse doit utiliser sa marge de manœuvre pour que le nouvel objectif comble l'important déficit de financement de la protection du climat dans le Sud global. Et ce, dans l'intérêt de l’ensemble des États.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
De Bonn à Bakou : la Suisse n'a pas encore épuisé son potentiel

© Christoph Driessen / dpa

Après deux semaines de conférence sur le climat à Bonn, le résultat est décevant : il n'y a eu ni avancées visibles dans les négociations pour un nouvel objectif de financement climatique, ni de stratégie claire pour aborder la sortie des énergies fossiles décidée à Dubaï. Pour que la conférence des parties (COP29) à Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, puisse prendre des décisions ambitieuses, tous les pays devront intensifier leurs efforts dans les mois à venir. « Pour surmonter les profondes divergences d'opinion entre les grands groupes de négociation, la Suisse doit contribuer à renforcer la confiance entre le Sud global et le Nord global », explique Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, qui a suivi les négociations à Bonn pour le Centre de compétence pour la coopération internationale et la politique de développement.

Sortir des énergies fossiles — mais comment ?

L’an dernier, la COP28 a pris des décisions de principe importantes à Dubaï, à savoir l'abandon des énergies fossiles et le triplement des capacités en énergies renouvelables. Il s'agit désormais de concrétiser ces acquis. Il faut par exemple que les pays échangent leurs points de vue sur la manière d'organiser la sortie des combustibles fossiles. La Suisse a fait un pas important dans cette direction en disant un oui clair à la loi sur l'électricité dimanche dernier. À Bonn, les pays ne sont cependant pas parvenus à se mettre d’accord sur des précisions supplémentaires concernant les décisions prises à Dubaï.

David Knecht, expert en questions climatiques et énergétiques auprès de l'organisation de dévelop¬pement Action de Carême, déclare : « L'abandon des énergies fossiles est crucial pour les plus pauvres, car ils souffrent particulièrement des changements climatiques ». Et Bettina Dürr, spécialiste du climat chez Action de Carême, d’ajouter : « Dans le cadre de notre travail avec nos organisa¬tions partenaires, nous constatons que les communautés locales peuvent se développer grâce à la mise en place de systèmes de production d’énergie renouvelable. Nous nous engageons pour que ce moteur de développement soit une opportunité pour tous ». Il est donc essentiel que la question soit sérieusement abordée à Bakou, par exemple via le programme de « mitigation ». Dans ce contexte, la Suisse doit continuer à orienter les négociations vers le seuil de +1,5 °C en adoptant une position ambitieuse.

L'argent tarde à affluer

S’agissant de l'objectif de financement climatique à négocier, la Suisse a de nombreuses possibilités de s'investir de manière constructive dans le cadre de sa position de négociation. Alliance Sud a soumis à l'Office fédéral de l'environnement des recommandations sur les adaptations à apporter à la position suisse. Notre pays pourrait ainsi s'engager pour une définition des critères de qualité du financement climatique qu'elle remplit déjà elle-même, et soutenir ainsi les demandes du Sud global dans les négociations. La confiance s’en trouverait renforcée. « La Suisse n'octroie pas de prêts pour financer la protection du climat, mais soutient des projets dans le Sud global avec des contributions à fonds perdu. Elle devrait exiger que ce soit la norme pour le nouvel objectif de financement », suggère Delia Berner. Avant d’ajouter : « Si notre pays veut qu'un nouvel objectif de financement engage également de nouveaux pays donateurs, elle doit gagner la confiance et l'approbation des pays les plus pauvres. »

Le nouvel objectif de financement collectif sera plusieurs fois supérieur aux 100 milliards visés actuellement. La Suisse a donc besoin de sources de financement additionnelles, selon le principe de causalité. Établir la confiance avec le Sud global signifie aussi se rendre à Bakou avec une offre concrète et travailler dès à présent sur les moyens d’augmenter le financement au niveau national. Le Conseil fédéral a fait établir un état des lieux et a voulu décider de la manière de procéder avant la fin 2023 — rien ne s’est passé depuis lors. Le temps d’une clarification est venu.


Für weitere Informationen:
Fastenaktion, David Knecht, Klima- und Energieexperte
076 436 59 86, knecht@fastenaktion.ch

Alliance Sud, Delia Berner, Klimaexpertin
077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch

Communiqué

La conférence de Bonn sur le climat trace la voie pour Bakou

03.06.2024, Justice climatique

À Bonn, du 3 au 13 juin 2024, des décisions importantes seront prises en vue de la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP29) qui se tiendra en novembre à Bakou. Alliance Sud observe les négociations sur place et attend de la Suisse qu'elle s'engage pour des ambitions accrues en matière de protection du climat et pour un financement climatique international approprié.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
La conférence de Bonn sur le climat trace la voie pour Bakou

© Delia Berner

Afin de pouvoir prendre des décisions mûrement réfléchies lors de la Conférence annuelle des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques et à l’accord de Paris en novembre, les États négocient sur le plan technique tout au long de l’année. En juin, toutes les délégations nationales et les organisations observatrices de la société civile se réunissent à Bonn pour des négociations intensives en vue de préparer la COP. Cette année, la COP29 de Bakou sera l'occasion de prendre des décisions clés qui fixeront le cap des efforts mondiaux de protection du climat pour la prochaine décennie.

Des objectifs climatiques plus ambitieux sont impératifs – de la part de la Suisse également

Les efforts de protection du climat déployés jusqu'ici à l'échelle mondiale conduisent la planète vers un scénario catastrophique de réchauffement global de 2.5 à 2.9°C. Selon les scientifiques, pour atteindre le cap de 1,5 degré, il faudrait réduire les émissions de moins 60% d'ici 2035 par rapport à 2019. Or, les émissions ont augmenté de 2.3% comparativement à cette année-là. Selon David Knecht de l'organisation de développement Action de Carême, « il faut un revirement et fixer des objectifs climatiques nettement plus ambitieux pour tous les pays, en particulier les nations prospères comme la Suisse. Nous le devons aux plus pauvres de la planète, car ils souffrent particulièrement de la crise climatique ». D'ici début 2025, les pays doivent communiquer leurs nouveaux objectifs climatiques (CDN) revus à la hausse pour 2030 à 2035. Les négociations de Bonn devront créer le cadre nécessaire à cet effet. « Il faut que tous les pays sachent clairement ce que l'on attend d'eux. Nous devons éviter que les nouveaux CDN ne soient à nouveau insuffisants », souligne David Knecht.

Il faut bien plus de financement pour le climat

De nombreux pays du Sud global ne peuvent relever leurs ambitions en matière de protection climatique que s'ils reçoivent un soutien financier nettement supérieur. De plus, les coûts d'adaptation au changement climatique sont en constante augmentation. Les pertes et préjudices causés par la crise climatique sont financièrement dévastateurs et injustes pour le Sud global, surtout pour les pays les plus pauvres dont les émissions de gaz à effet de serre sont quasiment nulles à ce jour. Le Conseil fédéral parle d'un besoin de financement de 2‘400 milliards de dollars par an dans les pays du Sud global (Chine exclue).

« L'objectif actuel de 100 milliards pour soutenir les pays pauvres dans la protection du climat est loin d'être suffisant », souligne Delia Berner, experte en politique climatique internationale chez Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. « Un nouvel objectif de financement sera négocié cette année. Il faut enfin suffisamment de fonds pour que les pays du Sud global puissent se développer sans nuire au climat et faire face à la crise climatique qui ne cesse de s'aggraver ». Cela nécessite une hausse massive, avec des ressources financières nouvelles et additionnelles de la part des États riches comme la Suisse.

 

Pour de plus amples informations :
 

Sur place à Bonn : Action de Carême, David Knecht, Programme Énergie et justice climatique, 076 436 59 86 (par Whatsapp), knecht@fastenaktion.ch

Sur place à Bonn : Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, 077 432 57 46 (par Whatsapp), delia.berner@alliancesud.ch

 

Article, Global

La Suisse freine des quatre fers

21.03.2024, Justice climatique

La Suisse n'est pas préparée à répondre aux attentes en nette hausse relatives à sa future contribution au financement international dans le domaine du climat. De nouvelles sources de financement sont nécessaires pour débloquer des moyens supplémentaires pour la lutte contre le changement climatique et l'adaptation à ce dernier dans le Sud global.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

La Suisse freine des quatre fers

Extraction d’énérgie fossile à Bakersfield, aux Etats-Unis.   © Simon Townsley / Panos Pictures

En décembre dernier, lors de la conférence sur le climat à Dubaï, des journalistes ont demandé au conseiller fédéral Albert Rösti s'il se sentait à l'aise pour exiger l'abandon des énergies fossiles d'ici 2050. Il s'est montré rassurant. En plénière, il a ajouté que la planète devrait sortir du charbon d'ici 2040, conformément à la position helvétique. Ce qu'il n'a pas dit, c'est que pour abandonner le charbon, le pétrole et le gaz, il faut plusieurs centaines de milliards de dollars de financement climatique pour le Sud global, et cela chaque année. Et pour l'adaptation dans les pays pauvres, qui pour l’heure n'émettent quasiment pas de gaz à effet de serre mais qui sont toujours plus gravement touchés par la crise climatique, et pour l'indemnisation des personnes concernées, il faut encore une fois un montant de cet ordre. Cela représenterait un multiple de l'objectif de financement actuel de 100 milliards de dollars par an. Le déficit de financement pour les mesures de lutte contre le changement climatique dans les pays pauvres ne cesse de croître. Malgré cela, les ressources financières mises à disposition par les États responsables de la crise climatique, comme la Suisse, restent même en deçà des 100 milliards promis. À cela s'ajoutent la crise de la dette et d'autres facteurs qui restreignent grandement les propres possibilités de financement dans les pays les plus pauvres. Nombre de pays du Sud global se sentent lâchés par le Nord.

C'est dans ce contexte difficile qu'un nouvel objectif de financement sera négocié lors de la conférence sur le climat de cette année. Il sera jugé à l'aune de sa capacité à permettre aux pays du Sud global de mettre en œuvre des plans ambitieux de protection climatique et de s'adapter au mieux au réchauffement de la planète. Un nouvel objectif de financement ambitieux et crédible dans le domaine climatique est un préalable impérieux à la possibilité de soumission en 2025, par tous les États, de nouveaux plans climatiques quinquennaux répondant aux objectifs de l'accord de Paris. L’enjeu sera donc de taille lorsque les délégués prendront place à la table des négociations en novembre en Azerbaïdjan. Et les attentes envers les pays riches seront largement revues à la hausse. La Suisse devrait aussi s'engager avec cohérence pour que les pays pollueurs allouent bien davantage de fonds publics au financement climatique. Dans une tribune pour Climate Home News, le négociateur en chef du groupe des pays les plus pauvres, Evans Njewa du Malawi, demande aux délégations en charge des négociations pour le Nord global de ne plus se cacher derrière leurs parlements : « Ils disent qu'ils n'ont pas de mandat ou qu'ils ne sont pas en mesure d'augmenter les fonds, car leurs parlements ne les approuveront pas. Ils doivent d'autant plus agir maintenant, avant que ces derniers ne délibèrent sur leurs budgets  », tonne Njewa.

Le Conseil fédéral ne veut pas voir la nécessité d’agir

Ce schéma s’observe dans notre pays également. Dans les négociations sur le climat, la Suisse s'engage en faveur d’une sortie mondiale des énergies fossiles d'ici 2050, afin que les objectifs de l’accord de Paris puissent encore être atteints. Mais sur les questions de financement, elle freine des quatre fers, car elle ne peut pas présenter d'engagements de politique intérieure pour des contributions plus substantielles. Le Conseil fédéral ne tente même pas de demander des ressources additionnelles au Parlement. Pour quelle raison en est-on là ?

Pour l’heure, les contributions suisses au financement climatique proviennent essentiellement du budget de la coopération internationale (CI), qui reçoit déjà trop peu de moyens pour la lutte mondiale contre la pauvreté et qui est aujourd’hui menacé par un transfert massif de fonds en faveur de la reconstruction en Ukraine. Cela signifie que le financement actuel du climat est déjà compté deux fois avec les projets de lutte contre la pauvreté. En revanche, des ressources financières nouvelles et additionnelles sont nécessaires pour que le financement climatique suisse puisse contribuer efficacement au soutien des plans climatiques dans le Sud global. Le Conseil fédéral devrait élaborer des options de financement alternatives au niveau de la loi, afin que les fonds de la CI puissent continuer à être utilisés pour la lutte globale contre la pauvreté, le renforcement des services de base en matière d'éducation et de santé ainsi que pour ses autres tâches clés. Voilà un an, il a effectivement donné à l'administration le mandat d'élaborer des options pour que la Suisse puisse à l'avenir fournir davantage de financement dans le domaine du climat. À la fin de l'an dernier, une étude mandatée à l'extérieur a été publiée sans commentaire sur le site Internet de l'Office fédéral de l'environnement. Expertes et experts recommandent à notre pays de trouver des sources de financement additionnelles, par exemple les recettes du système d'échange de quotas d'émission. Mais depuis, rien n'a bougé au Conseil fédéral. Selon le nouveau programme de législature, il n'a pas l'intention de présenter au Parlement un dossier sur le financement climatique au cours des trois prochaines années. Il mise uniquement sur le nouveau crédit quadriennal pour la coopération internationale 2025 – 2028. Mais ce dernier n’offre aucune place pour un financement climatique supplémentaire.

Si le Conseil fédéral n'agit pas — ce qui est en l’occurrence irresponsable, car les négociations sur le climat relèvent de sa compétence —, le Parlement peut prendre l'initiative. Lors de la dernière session d'hiver, le conseiller national Marc Jost a déposé une initiative parlementaire pour l’élaboration au Parlement d’une loi sur le financement international dans le domaine du climat et de la biodiversité.

Pas d’action sans financement

La conférence de Bakou sur le climat se rapproche à grands pas. Que reste-t-il à faire d’ici là ? La Suisse doit reconsidérer sa position de négociation actuelle sur les questions de financement et s'engager en faveur d'un objectif ambitieux qui réponde aux besoins des populations du Sud global et répartisse équitablement les responsabilités financières entre les pays riches, à l’origine de la crise climatique. C'est la seule façon de parvenir à sortir du charbon d'ici 2040 et de toutes les énergies fossiles d'ici 2050. La pression internationale sera d'autant plus forte pour s'accorder sur un objectif ambitieux.

La pression sur la Suisse augmentera donc inévitablement pour qu'elle dope sa contribution. Afin qu’une hausse des ressources financières puisse avoir lieu suffisamment vite, elle doit sans attendre s’attaquer aux travaux législatifs et ouvrir des pistes de financement supplémentaires dans le domaine du climat.

Pour l’exprimer comme Evans Njewa : « Nous devons toujours nous rappeler que sans financement, il n'y a pas d'action, et sans action, nous ne parviendrons jamais à maîtriser la crise climatique . »

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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.

Medienmitteilung

La justice climatique au centre de la COP-22

27.10.2016, Justice climatique

A Marrakech tout tourne autour la question de la promesse des pays industrialisés. Comment augmenteront-ils leurs contributions aux pays en développement à 100 milliards USD par an d’ici 2020 ? Alliance Sud assistera à la conférence climatique.

La justice climatique au centre de la COP-22

Communiqué

COP28 : une étape sous-financée vers l'abandon des énergies fossiles

13.12.2023, Justice climatique

La conférence sur le climat de Dubaï s'est achevée aujourd'hui sur un accord. Alors que pour la première fois, tous les Etats sont appelés à contribuer à la transition vers l'abandon des énergies fossiles, le financement pour le Sud global reste totalement flou. Les Etats du Nord global ont l'obligation de mettre à disposition le financement nécessaire d'ici la COP29 à Bakou. Dans le cas contraire, la transition juste deviendra une illusion tragique.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
COP28 : une étape sous-financée vers l'abandon des énergies fossiles

La grande faiblesse de la décision de la conférence est l'absence d'amélioration dans le financement pour le Sud global.

© Action de Carême

 

 

 

 

Après deux ans de préparation, l'espoir d'un état des lieux mondial ambitieux était grand. Le président de la COP, Sultan Al Jaber, a également affirmé à plusieurs reprises qu'elle visait une conclusion ambitieuse. De grandes divergences sont apparues pendant la conférence, mais la pression s'est accrue pour que la sortie des énergies fossiles soit décidée en commun. Le texte final demande désormais pour la première fois aux Etats, outre le développement des énergies renouvelables, de contribuer à l'abandon des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques : un petit pas dans la bonne direction, mais rien de plus.

« L'élan pour exiger l'abandon des énergies fossiles a augmenté en raison de l'engagement d'innombrables communautés et organisations de la société civile du monde entier », soulignent David Knecht et Stefan Salzmann, experts d’Action de Carême et observateurs sur place. « Mais malheureusement, le texte final est loin de répondre à l'urgence de la crise climatique : les personnes les plus pauvres, qui souffrent déjà de la crise, doivent attendre encore une protection climatique ambitieuse. »

La loi sur le CO2 mise sur la compensation plutôt que sur la transition en Suisse

Le Conseiller fédéral Rösti a soutenu à Dubaï, au nom de la Suisse, l'exigence d'une sortie des énergies fossiles d'ici 2050. Le Conseil national doit joindre l'acte à la parole lors de l'examen de la loi sur le CO2 la semaine prochaine. Le projet de réaliser plus de la moitié des efforts supplémentaires d'ici 2030 en compensation à l'étranger n'est pas digne de la riche Suisse. En effet, les compensations à l'étranger ne remplacent pas la réduction des émissions à l'intérieur du pays, comme l'a démontré Alliance Sud cette semaine en prenant l'exemple du premier programme à Bangkok. Le Conseil national doit améliorer la loi et notamment donner au Conseil fédéral la possibilité d'adapter la taxe sur le CO2 à la hausse.

Financement insuffisant pour le Sud global

La grande faiblesse de la décision de la conférence est l'absence d'amélioration dans le financement pour le Sud global, afin que la transition juste puisse être poursuivi dans le monde entier. Un défi d'autant plus grand se pose donc pour la prochaine conférence, qui aura lieu en novembre 2024 en Azerbaïdjan : la négociation du prochain objectif financier collectif pour soutenir le Sud global dans la mise en œuvre de l'Accord de Paris.

« Le manque de financement est le plus grand obstacle pour les Etats du Sud global à entamer une transition juste et la plus grande injustice pour les personnes les plus pauvres, qui sont les plus touchées par la crise climatique, mais qui n'en sont en aucun cas responsables », explique Delia Berner, experte de politique climatique chez Alliance Sud, le Centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement.

L'adoption du nouveau fonds pour les dommages et les pertes au premier jour de la conférence n'y change pas grand-chose, car il est beaucoup trop peu contraignant pour les États pollueurs d'alimenter ce fonds. La Suisse est presque le seul pays industrialisé à ne pas lui avoir encore alloué un centime – tout en réclamant haut et fort que les autres paient davantage.

Des fonds supplémentaires sont également nécessaires pour l'adaptation au climat

Les résultats de la conférence sont également insuffisants en ce qui concerne l'adaptation aux effets du réchauffement climatique. « Pour que les pays les plus pauvres et les plus vulnérables puissent s'adapter aux conséquences négatives du réchauffement de la planète, le financement de l'adaptation par les pays industrialisés doit être doublé et le fonds d'adaptation renforcé », clarifie Christina Aebischer, experte d'Helvetas et observatrice sur place. Le financement de l'adaptation doit provenir de fonds publics et être basé sur des dons et non sur des crédits. Ces fonds devraient s'ajouter aux budgets de la coopération au développement des pays industrialisés. La Suisse est ici également sollicitée et devra augmenter ses contributions au plus tard lors de la prochaine COP.

 

Pour plus d’informations :

Alliance Sud, Delia Berner, experte de politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch
Action de Carême, David Knecht, responsable énergie et justice climatique, tél. 076 436 59 86, knecht@fastenaktion.ch
Action de Carême, Stefan Salzmann, responsable énergie et justice climatique, tél. 078 666 35 89, salzmann@fastenaktion.ch  
Helvetas, Aude Marcovitch Iorgulescu, Coordinator Media Relations Romandie, tél. +41 31 385 10 16, aude.marcovitch@helvetas.org

 

Communiqué

COP28 : un financement accru pour le Sud global

27.11.2023, Justice climatique

La COP28, la conférence de l'ONU sur le climat de cette année, se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre. Elle joue un rôle clé dans la réalisation des objectifs de l'accord de Paris sur le climat. Un développement respectueux du climat dans le Sud global dépend d’un soutien financier accru, également de la part de la Suisse.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
COP28 : un financement accru pour le Sud global

Éboulement au Pérou

© Alberto Orbegoso

Après les 12 mois les plus chauds depuis 125 000 ans, les attentes envers la communauté internationale lors de la COP28, la conférence de l’ONU sur le climat, sont énormes. « Un changement de cap rapide est nécessaire pour que l'objectif de l'accord de Paris de limiter le réchauffement global en dessous de 1,5°C puisse encore être atteint », lance Delia Berner, experte du climat chez Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. Elle ajoute : « Les personnes les plus pauvres souffrent le plus de chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire, alors que ce sont elles qui ont le moins contribué à la crise climatique. » Alliance Sud demande que la Suisse, dans les négociations, aligne sa position sur les besoins des plus pauvres dans le Sud global.

Trois ans après l’entrée en vigueur de l'accord de Paris, sur la base du mécanisme visant à renforcer l’ambition climatique, les États parties débattront pour la première fois à Dubaï du « Bilan mondial » sur la mise en œuvre des objectifs visés. « Le succès de la COP28 dépendra du fait que les décisions relatives à ce bilan traduisent ou non la réalité décevante selon laquelle les plans nationaux de lutte contre le changement climatique ne sont pas assez ambitieux pour atteindre les objectifs. Il faut absolument des plans concrets sur la manière de combler les lacunes et sur les processus prévus à cet effet », souligne Stefan Salzmann d'Action de Carême.

Un thème urgent est la transition énergétique et les acteurs de son financement. Les investissements du secteur privé ne sont pas une panacée à cet égard : à ce jour, ils sont bien en deçà des besoins des pays en développement pour financer leur transition énergétique, notamment à cause des risques élevés, réels ou perçus comme tels par les investisseurs. De plus, les financements privés alloués à l’adaptation dans les pays les plus pauvres sont quasi inexistants.

Pour une transition énergétique équitable …

La présidence de la COP28, les Émirats arabes unis, mise sur le développement des énergies renouvelables, sans pour autant s'engager à abandonner rapidement les énergies fossiles. Or, la transition nécessaire doit inclure les deux, car le développement des énergies renouvelables ne suffit pas à réduire les gaz à effet de serre.

« Malgré l'urgence des nouveaux investissements, il ne faut en aucun cas oublier les gens qui travaillent dans les usines et dans les champs. Nous devons garder à l'esprit leur bien-être pour un changement juste », souligne Cyrill Rogger de Solidar Suisse. Et Annette Mokler de terre des hommes Suisse renchérit : « Les groupes de population concernés et les communautés indigènes doivent être des acteurs directs des plans de changement équitable ». Une chose est d’ores et déjà claire : la transition vers les énergies renouvelables dans le Sud global ne peut réussir qu’à la condition d’un soutien financier nettement accru (financement climatique international).

… il faut davantage de financement climatique

Le financement ne manque pas seulement pour la décarbonisation : les lacunes en matière d'adaptation aux conditions climatiques changeantes dans le Sud global ne cessent de se creuser. Pourtant, selon le dernier rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière d'adaptation («Adaptation Gap Report 2023»), chaque milliard de dollars investi dans l'adaptation permettrait d'éviter 14 milliards de préjudices économiques. « Le financement climatique actuel des pays industrialisés permet de couvrir moins d'un dixième des besoins de financement de l'adaptation dans le Sud global. Cela pose problème, car cela va de pair avec des dommages toujours plus marqués et à des pertes plus élevées », avertit Christina Aebischer d'Helvetas.

Les questions de financement déterminent depuis des années l'agenda et les points de discorde lors de la conférence sur le climat. Ce n'est pas un hasard, car au moins 28 des pays du Sud global qui sont les plus touchés par les effets de la crise climatique souffrent en parallèle de graves problèmes d'endettement. Nombre de pays ne sont pas en mesure de financer des mesures de protection du climat sur leur propre budget, car ils doivent à la place honorer leurs dettes — un cercle vicieux.

Il faut alimenter le fonds « pertes et dommages »

Cette année, la communauté internationale entend adopter les modalités du fonds « pertes et dommages », décidé en 2022. Le texte de compromis existant, élaboré par 30 États, n'a que peu de valeur contraignante au niveau des contributions. Si on devait en rester là, il est d'autant plus crucial que les États pollueurs profitent de la conférence pour garantir la création et la reconstitution rapides du fonds. « Les pays industrialisés prétendent qu'ils sont sans le sou. Dans le même temps, les multinationales enregistrent des milliards de bénéfices provenant des énergies fossiles et des industries à forte intensité de CO2. Il est évident que ces multinationales doivent contribuer à la réparation des dommages qu'ils causent », martèle Cybèle Schneider de l'EPER.

« L'une des principales raisons pour lesquelles les négociations autour de l'aide financière au Sud global traînent autant est la perte de confiance des pays pauvres envers les nations prospères comme la Suisse », affirme Sonja Tschirren de SWISSAID. Il faut dire que les pays industrialisés ne règlent pas leur facture actuelle. Décision a été prise en 2009 d'allouer 100 milliards de dollars par an dès 2020 pour soutenir les plans de protection du climat et d'adaptation au changement climatique des pays du Sud global. Mais les derniers chiffres de l'OCDE montrent qu'en 2021 encore, plus de 10 milliards manquaient pour atteindre cet objectif.

« La Suisse et d'autres États ont recours à des astuces comptables pour enjoliver leur contribution au financement climatique », note Angela Lindt de Caritas Suisse : « Au lieu de mettre à disposition des ressources financières nouvelles et additionnelles, comme convenu au niveau international, des pays comme la Suisse recourent surtout à des fonds affectés à la lutte contre la pauvreté. Rien d’étonnant donc à ce que les négociations soulèvent une grande méfiance ». Alliance Sud demande depuis des années que la Suisse contribue chaque année à hauteur d'un milliard de dollars au financement de la lutte contre le changement climatique, sans pour autant grever le budget de la coopération internationale.

 

Pour de plus amples informations :
- Alliance Sud, Delia Berner, experte en politique climatique internationale, tél. 077 432 57 46, delia.berner@alliancesud.ch
- Action de Carême, Stefan Salzmann, responsable Énergie et justice climatique, tél. 041 227 59 53, salzmann@fastenaktion.ch. Stefan Salzmann est sur place à Dubaï en tant qu'observateur.
- Solidar Suisse, Cyrill Rogger, Desk Officer Europe du Sud-Est, tél. 044 444 19 87, cyrill.rogger@solidar.ch
- Terre des hommes Suisse, Annette Mokler, responsable de la politique de développement et de la coordination du programme Sahara occidental, tél. 061 335 91 53, annette.mokler@terredeshommes.ch
- Helvetas, Aude Marcovitch Iorgulescu, coordinatrice des relations avec les médias en Suisse romande, tél. 031 385 10 16, aude.marcovitch@helvetas.org. Christina Aebischer est sur place à Dubaï en tant qu'observatrice.
- EPER, Cybèle Schneider, spécialiste de la justice climatique, tél. 079 900 37 08, cybele.schneider@heks.ch
- SWISSAID, Sonja Tschirren, spécialiste du climat et de l’agriculture écologique, tél. 079 363 54 36, s.tschirren@swissaid.ch
- Caritas Suisse, Angela Lindt, responsable du service Politique du développement, tél. 041 419 23 95, alindt@caritas.ch

 

Article

Les dommages sont là, les financements pas encore

29.09.2023, Justice climatique

Le débat sur la question de savoir qui doit payer les pertes et les dommages imputables au réchauffement climatique dure depuis des décennies. Cette année, la conférence de l'ONU sur le climat à Dubaï négocie pour la première fois les modalités.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Les dommages sont là, les financements pas encore

Une catastrophe nationale : la sécheresse affecte régulièrement la vie des Kényanes et des Kényans.
© Ed Ram/Getty Images

« Dans mon pays, le Kenya, c'est déjà la sixième fois que la saison des pluies n'a pas eu lieu ». Ce soir du 22 juin 2023, sur le Champ de Mars à Paris, Elizabeth Wathuti crie au micro pour se faire entendre des milliers de personnes présentes. « Les récoltes ont été mauvaises, les sécheresses et l’insécurité alimentaire ont persisté. Les coûts pour nos agriculteurs ont très fortement augmenté ». Alors que la jeune activiste informe sur les effets de la crise climatique, avec la Tour Eiffel en toile de fond, et réclame une justice climatique avec d'autres oratrices et orateurs, le président français Emmanuel Macron convie ses hôtes du monde entier à un banquet dans un palais proche. Toute la journée, ils s'étaient déjà réunis à l'invitation de Macron dans le cadre d'un sommet international sur les défis lancés par le financement mondial du développement et les moyens de le renforcer.  

Le financement international dans le domaine du climat — pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l'adaptation au réchauffement climatique dans le Sud mondial — est depuis des années déjà lié à l'obligation de droit international pour les nations industrialisées de contribuer à l'objectif de financement commun de 100 milliards de dollars par an. Mais cette somme n'a jamais été réunie en raison d’un manque de volonté politique dans les pays responsables de la crise climatique.

Lors de la conférence des Nations Unies sur le climat de novembre 2022 (COP27) à Charm El-Cheikh, les pays du Sud global sont parvenus pour la première fois à négocier sur le financement des pertes et dommages (loss & damage) dus au changement climatique, notamment grâce au soutien apporté depuis des décennies par les organisations de la société civile du monde entier. Les pertes et les dommages se chiffrent en milliards depuis des années déjà — les estimations exactes dépendent de la définition de ces préjudices — et sont les plus considérables là où les gens ont le moins de moyens de s'y préparer ou de s'y adapter. Ils provoquent aussi un endettement supplémentaire dans les pays ployant déjà sous une lourde charge de dettes. L'Office fédéral de l'environnement (OFEV) fait la distinction entre les pertes et dommages résultant d'événements progressifs (p. ex. l'élévation du niveau de la mer) et ceux qui se produisent rapidement (p. ex. les tempêtes et les inondations). Par ailleurs, outre les préjudices économiquement quantifiables, il en existe de non quantifiables, causés aux biens culturels ou aux écosystèmes par exemple.

Lors de la COP28 de cette année à Dubaï, le financement des pertes et dommages sera l'un des sujets de négociation majeurs. En effet, les parties se sont voilà un an donné pour mission d'adopter en 2023 des dispositions plus détaillées sur les modalités de leur financement. La discussion se limite dans ce contexte aux pays particulièrement vulnérables aux effets de la crise climatique. Il est à cette fin prévu de créer un fonds de l'ONU auquel contribueront les pays responsables du réchauffement. Le débat porte ici sur des sources de financement mondiales innovantes, susceptibles de faire également passer les acteurs privés à la caisse en conformité avec le principe de causalité. « Si de telles propositions emportent l’adhésion, les entreprises à fort taux d'émission pourraient aussi contribuer au financement à l'échelle planétaire », écrit Robin Poëll, porte-parole de l'OFEV, suite à la demande d'Alliance Sud. Mais les chances d'une telle taxe globale pour le fonds de l'ONU devraient être pour l’heure plutôt minces. En attendant, la Suisse pourrait prendre les devants et envisager d'introduire une telle taxe, au moins pour les entreprises néfastes pour le climat en Suisse, afin de couvrir les pertes et les préjudices dans le Sud global .

La confiance perdue complique les négociations

La véritable pomme de discorde lors de la conférence sur le climat sera probablement de savoir quels États doivent contribuer au fonds et à quelles nations l'argent peut être versé. Il faut à cette fin définir ou négocier quels pays passent pour particulièrement vulnérables. Pour la question encore plus politique de savoir qui doit contribuer en tant qu'État pollueur, la responsabilité historique de la crise climatique, clairement imputable aux pays industrialisés, se heurte à la comparaison actuelle des émissions de gaz à effet de serre entre les pays ; celle-ci montre la part substantielle des grands pays émergents. Les pays donateurs actuellement responsables des objectifs de financement climatique ont été définis en 1992. La Suisse souhaite que davantage de nations contribuent désormais au fonds de l’ONU. Le porte-parole de l'OFEV, M. Poëll, explique : « La Suisse souhaite que les pays qui contribuent le plus au changement climatique et qui ont les capacités de le faire paient leur écot. Concrètement, cela signifie que les riches pays émergents gros émetteurs de gaz à effet de serre, ainsi que les acteurs privés, doivent aussi verser leur contribution ».

Mais face à la levée de boucliers du Sud mondial, la Suisse et d'autres pays donateurs du Nord mondial ont échoué jusqu’ici à faire passer cette idée. En effet, les pays industrialisés n'ont à ce jour pas tenu leurs promesses de financement et ne sont donc pas crédibles pour ce qui est de la justice climatique. La Suisse, par exemple, n'a pas calculé sa « part équitable » dans le financement climatique sur la base de son empreinte climatique totale, mais uniquement à partir de ses émissions domestiques moindres. Sans parler du fait qu'elle n'a pas atteint son objectif climatique de réduire ses émissions de 20 % d'ici 2020. La confiance perdue entre le Nord et le Sud complique finalement aussi les négociations pour des objectifs climatiques plus ambitieux et l'abandon des énergies fossiles. Or, les pays du Sud mondial doivent pouvoir assurer leur financement dans le domaine des énergies renouvelables afin de ne pas rester sur la touche à l’échelon planétaire.

La conception du nouveau fonds fait l’objet d’une proposition de compromis depuis le début novembre. Il est frappant de constater qu’il est hébergé par la Banque mondiale, qui n'est connue ni pour son rôle de pionnier dans la crise climatique ni pour une répartition équitable du pouvoir — pas étonnant dès lors que le fonds s’expose aux nombreuses critiques des pays du Sud mondial et des organisations de la société civile. Outre le fait que l'on attend clairement des pays industrialisés qu'ils contribuent à son financement, d'autres États sont également « encouragés » à y participer. La question de savoir quels pays sont considérés comme particulièrement vulnérables, et peuvent donc bénéficier des moyens financiers, devrait rester ouverte lors de la conférence ; elle doit être soumise au comité directeur du nouveau fonds pour décision. Cette instance sera composée de 26 membres issus de toutes les régions du monde (14 provenant de pays en développement), qui pourront prendre des décisions à la majorité des 4/5. Dans le pire des cas, cela risque d’entraver la mise en œuvre du fonds en question.

Le temps presse, les pertes et dommages sont déjà une réalité et ne cessent d’augmenter. Cela s'explique aussi par le fait que, selon le rapport mondial sur le climat, le déficit de financement pour l'adaptation au réchauffement climatique se creuse continuellement. Les populations ne peuvent cependant pas s'adapter à tous les changements. Le ministre des Affaires étrangères de l’archipel des Tuvalu dans le Pacifique, a marqué les esprits : en prélude à la conférence de l'ONU sur le climat tenue à Glasgow en 2021, il n’avait en effet pas hésité à mouiller les jambes de son pantalon et à placer son pupitre dans l’océan Pacifique pour attirer l'attention sur la montée des eaux.

À Glasgow, Elizabeth Wathuti avait prédit devant les gens venus des quatre coins du monde lors de l'ouverture de la conférence sur le climat : « D'ici 2025, la moitié de la population planétaire sera touchée par la pénurie d'eau. Et d'ici mes cinquante ans, la crise climatique aura déplacé 86 millions de personnes rien qu'en Afrique subsaharienne ». Aucune conférence ne peut mettre fin à cette crise du jour au lendemain. Mais couvrir financièrement les pertes et dommages déjà encourus est une nécessité absolue.

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© Karwai Tang

Elizabeth Wathuti est une jeune militante kenyane pour la protection du climat qui a fondé l’Initiative Green Generation et s’est fait connaître au niveau international entre autres à la Conférence des Nations Unies sur le climat à Glasgow en 2021 avec son appel à plus de solidarité.