FINANCEMENT CLIMATIQUE

Pour des flux financiers respectueux de l’environnement

20.03.2025, Justice climatique, Finances et fiscalité

La place financière suisse a montré qu'elle ne se retirait pas volontairement des activités liées à la destruction environnementale à l'étranger. L'initiative sur la place financière veut inscrire dans la Constitution l’interdiction des nouveaux investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz par des acteurs suisses du marché financier.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Pour des flux financiers respectueux de l’environnement

La forêt tropicale au Pará, au Brésil, est essentielle pour le climat et fait partie des terres autochtones. Les défrichages, les mines et les projets d'infrastructure la ravagent, souvent avec la complicité suisse.
© Lalo de Almeida / Panos Pictures

On sait depuis longtemps que détruire la forêt tropicale, c'est contribuer à la dégradation de l'environnement et au réchauffement climatique. Souvent, le défrichage illégal par le feu entraîne en outre une restriction des droits fonciers des communautés indigènes et une violation de leurs droits humains. La grande banque suisse UBS ne l’ignore pas non plus. Elle investit néanmoins dans des multinationales agricoles brésiliennes impliquées dans des défrichements illégaux en Amazonie, comme l’a révélé la Société pour les peuples menacés (SPM) voilà quelque temps.

Les banques et les assurances suisses financent ou assurent chaque année des opérations se chiffrant en milliards qui détruisent l'environnement et réchauffent le climat. Selon une étude de McKinsey, la place financière suisse génère jusqu’à 18 fois plus d'émissions de CO2 que la quantité de CO2 rejetée en Suisse. Voilà une décennie déjà, la communauté internationale inscrivait le rôle crucial du système financier dans la lutte contre la crise climatique à l'article 2.1c de l'Accord de Paris sur le climat. Cet article formule l’objectif d'harmoniser les flux financiers mondiaux « avec un profil d'évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». La Suisse a ratifié l'accord et elle est tenue par le droit international de contribuer à cet objectif. Approuvée à une écrasante majorité par les électeurs helvétiques, la loi sur la protection du climat oblige en outre la Confédération à veiller à ce que les flux financiers respectent le climat. Mais son application laisse à désirer.

« Volontaire » suppose une volonté

Pour la mise en œuvre, le Conseil fédéral préconise des mesures volontaires et l’autorégulation du secteur financier. En revanche, il rejette toute réglementation étatique supplémentaire. Il a toutefois soutenu une motion du conseiller national Gerhard Andrey (Les Verts) qui prévoyait des mesures plus contraignantes au cas où les mesures actuelles s’avéreraient inefficaces d'ici 2028. Mais le Parlement a rejeté la motion au printemps 2024, estimant qu'il n'était pas nécessaire de prendre d’autres mesures.

 

Les banques veulent donc continuer à financer la destruction de l'environnement si cela leur permet d’accroître leurs bénéfices.

 

Dès janvier 2025 au plus tard, il est devenu manifeste que les mesures volontaires et les promesses du secteur financier ne signifiaient pas grand-chose. Les six plus grandes banques américaines et le plus grand gestionnaire de fortune du monde, Blackrock, ont annulé les promesses climatiques qu'ils avaient faites seulement quatre ans auparavant. Dans une interview de la télévision suisse romande RTS, Florian Egli, professeur à l'Université technique de Munich, a noté : « Nous constatons actuellement que les promesses volontaires de ces banques ne suffisent pas. Elles sont revenues sur leurs engagements ». L'UBS examine également la possibilité de se retirer de la Net Zero Banking Alliance, dans laquelle de nombreuses banques s'étaient engagées depuis 2021 à atteindre un objectif de zéro émission nette pour 2050. Les banques veulent donc continuer à financer la destruction de l'environnement si cela leur permet d’accroître leurs bénéfices.

L'initiative sur la place financière est une nécessité

Miser sur des mesures volontaires revient à s'en remettre à la volonté du secteur financier, qui ne se réfère manifestement pas à la science du climat, mais à l'argent facile et aux courants politiques. On ne peut pas lutter contre la crise climatique de cette manière. Dans sa feuille de route pour la neutralité carbone (net zero roadmap), l'Agence internationale de l'énergie a clairement indiqué depuis longtemps que pour respecter les objectifs climatiques de Paris, toute nouvelle promotion des énergies fossiles est à proscrire.

C'est la raison pour laquelle, en collaboration avec le WWF, Greenpeace et des politiques de tous les partis fédéraux à l'exception de l'UDC, l’Alliance climatique suisse a lancé l'initiative sur la place financière fin 2024. Elle doit garantir que plus personne ne finance la destruction de l'environnement et le réchauffement climatique depuis la Suisse. Si le Conseil fédéral et le Parlement restent inactifs, les électeurs·trice·s ont le pouvoir d’inscrire dans la Constitution que le secteur financier suisse ne finance ni n'assure aucune extraction supplémentaire de charbon, de pétrole ou de gaz. Les mêmes règles s'appliquent ainsi à tous les protagonistes.

Alliance Sud soutient l'initiative populaire pour que la Suisse se serve enfin de son principal levier de protection mondiale du climat et mette pleinement en œuvre l'Accord de Paris.

 

 

Initiative populaire fédérale
« pour une place financière suisse durable et tournée vers l'avenir (initiative sur la place financière) »

Que veut l’initiative ?

  • Une orientation écologiquement durable de la place financière, en ce sens que les acteurs du marché financier orientent leurs activités commerciales à l'étranger vers les objectifs internationaux en matière de climat et d'environnement. Pour la mise en œuvre, des plans de transition contraignants des entreprises concernées sont envisagés.
  • Une interdiction de financer ou d'assurer l'extraction de nouveaux gisements d'énergie fossile ou l'extension de l'extraction de gisements existants.

Alliance Sud soutient l’initiative…

  • parce que la manière dont la Suisse réglemente le secteur financier ne lui permet pas de remplir suffisamment ses obligations au titre de l'Accord de Paris sur le climat ;
  • parce que la place financière assume la plus grande part de responsabilité en matière de climat parmi tous les acteurs sous influence suisse. Notre pays a donc en main son principal levier pour contribuer à la protection du climat sur la planète.

 

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Article, Global

La grande désillusion

21.06.2024, Finances et fiscalité

Pour s'aligner sur l'Accord de Paris, les banques ont mis en place et vanté les mérites d'alliances volontaires pour le climat. Une récente étude de la Banque centrale européenne démontre leur manque d’effets.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

La grande désillusion

D’énormes quantités de charbon alimentent de gigantesques usines d’aluminium au Kalimantan oriental, en Indonésie. Des banques suisses sont impliquées dans ces usines prétendument "verts".
© Dita Alangkara / Keystone / AP Photo

Janet L. Yellen, la secrétaire d'État américaine au Trésor, avait déclaré en novembre 2021 à la COP26 à Glasgow que « le secteur privé est prêt à fournir le financement nécessaire pour nous permettre d'éviter les pires effets du changement climatique ». Mis sous pression pour qu’ils soutiennent la transition de l’économique vers l’abandon des activités à haute intensité carbone – ou, en d’autres termes, qu’ils « s’alignent sur les objectifs climatiques » de l’Accord de Paris, les acteurs financiers du monde entier ont rejoint une série d'initiatives volontaires liées au climat, dont la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), dirigée par Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, et par Mike Bloomberg, le financier milliardaire.

Lors du lancement de la GFANZ à la COP26, une centaine de banques, assureurs et gestionnaires d’actifs s’étaient engagés à injecter 130 billions USD de capital pour réduire les émissions de CO2 et financer la transition énergétique.  Ces acteurs se sont également engagés à atteindre l'objectif « zéro net » d'ici 2050, c'est-à-dire qu'ils ne doivent pas produire plus d'émissions de CO2 dans l'ensemble de leurs activités que ce qu'elles retirent de l'atmosphère par des mesures techniques. Si l’on veut globalement atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), 2’000-2’800 milliards de dollars US devront être investis chaque année dans les énergies propres dans les seuls pays en développement et émergents. Les annonces faites à Glasgow par le secteur financier avaient dès lors éveillé de grandes attentes chez certains… et une bonne dose de scepticisme chez d’autres.

Or, dans une étude récente de la Banque centrale européenne (BCE), des chercheurs ont analysé l’impact des engagements climatiques volontaires des banques – principalement la Net Zero Banking Alliance – une des huit initiatives sectorielles qui font partie de la GFANZ – sur leur comportement en termes de prêts et sur l’impact climatique de ces pratiques sur les entreprises emprunteuses. Les résultats sont embarrassants pour les acteurs financiers concernés.

Profil des banques signataires

Les banques signataires de la NZBA (ci-après, banques NZBA) sont aussi des méga-banques qui financent davantage les secteurs « bruns », avec une part supérieure de leurs prêts dans le secteur minier (qui comprend le charbon, pétrole, et le gaz) et une part inférieure dans les secteurs définis comme « verts » par la taxonomie de l’UE. Les banques NZBA se sont fixées des objectifs en priorité concentrés sur la production d'électricité, le pétrole et le gaz, et les transports.1 En termes de motivation, l’étude démontre que les banques prennent des engagements climatiques volontaires pour améliorer leur rating ESG (Environmental, Social, Governance) et en tirer des bénéfices en termes de réputation et financiers, notamment auprès des investisseurs institutionnels.

Quel impact sur le désinvestissement ?

Les objectifs sectoriels constituent un engagement volontaire des banques à réduire les émissions financées d’ici 2030 et 2050 par rapport à un niveau de référence prédéfini. Si les banques choisissent d’atteindre leurs objectifs en désinvestissant, cela doit se traduire par une réduction du financement des secteurs ciblés.

L’étude constate que les banques NZBA ont réduit leurs prêts aux secteurs prioritaires d'environ 20 % ; ce semblerait – a priori- confirmer l'hypothèse selon laquelle les banques se désengagent des secteurs « bruns ». Mais cela n’est pas le cas. L’étude n’a en effet trouvé aucune preuve de désinvestissement des banques NZBA – supérieur à leurs concurrentes non-signataires – dans les secteurs prioritaires, ni dans d'autres entreprises à fortes émissions, telles que les entreprises du secteur minier ou les entreprises dont les activités ne sont pas définies par la taxonomie de l'UE comme « vertes ». Les banques NZBA n’ont pas non plus augmenté leurs prêts aux entreprises
« vertes » telles que définies par la taxonomie de l’UE, après avoir rejoint l’alliance. L’étude conclut que cela remet en question l’hypothèse selon laquelle les banques NZBA désinvestissent activement des secteurs « bruns » pour investir dans des secteurs « verts ».

Pas de malus pour les entreprises polluantes...

L’étude démontre en outre que les engagements climatiques des banques n’ont pas mené à des augmentations des taux d’intérêt pour financer les entreprises « brunes ». L’augmentation constatée ne dépasse en effet pas 0.25 % pour les secteurs prioritaires et 0.55 % pour le secteur minier. Les banques NZBA n’appliquent pas non plus des taux réduits aux entreprises « vertes » telles que définies par la taxonomie de l’UE. En d’autres termes les banques n’appliquent pas de malus aux mauvais élèves, ni de bonus aux bons !

...ni de levier sur les entreprises

L’étude de la BCE démontre l’absence d’effet de la NZBA en termes de levier sur les entreprises. En effet, plutôt que de désinvestir, les banques « alignées sur le climat » peuvent poursuivre une stratégie dite d’engagement, en faisant pression sur les entreprises emprunteuses pour qu’elles réduisent leurs émissions. En exigeant, pour commencer, que les entreprises auxquelles elles prêtent fixent leurs propres objectifs climatiques. En effet, si une entreprise s’engage à réduire ses émissions de carbone, la première étape consiste à se fixer un objectif de décarbonisation, qui précise de combien l’entreprise veut réduire ses émissions et quand elle veut atteindre cette réduction. Ou, en d’autres termes de définir un plan de transition climatique.

Or, bien que le nombre d’entreprises qui se sont fixés de tels objectifs a augmenté depuis 2018, celles qui empruntent auprès des banques NZBA n’ont pas plus tendance à se fixer des objectifs climatiques que les autres. En d’autres termes, les banques NZBA n’ont pas un levier climatique spécifique sur les entreprises au travers de leur engagement.

Pas d'impact des initiatives volontaires

Depuis la signature de l’accord de Paris, les institutions financières ont fait part – à grand renfort de communication – de leur intention d’intégrer des considérations climatiques dans leurs décisions de prêts et d’investissements. Les conclusions de l’étude de la BCE – première de ce type – jettent une lumière crue sur l’absence d’effets de la Net Zero Banking Initiative. Même si en termes de volumes, les banques NZBA ont réduit leurs prêts dans les secteurs à haute intensité d’émissions, le « désinvestissement » n’est pas supérieur à celui des banques non-signataires. En outre, l’étude est très claire en ce qui concerne les résultats atteints par le biais de stratégies d’engagement : les entreprises clientes des banques NZBA ne définissent pas plus activement des objectifs de décarbonisation que les autres. Les chercheurs de la BCE concluent par eux-mêmes que les résultats de leur étude ont des implications importantes dans le débat actuel sur le
« greenwashing » et sur la question de savoir si le rationnement du crédit par les banques peut aider l’économie mondiale à atteindre ses ambitions en matière d’émission nettes zéro. Frustration et perplexité restent donc pleinement justifiées.

Du volontaire au contraignant

Nous nous trouvons à une étape charnière de cette discussion. L’année 2024 sera décisive dans l’UE concernant les plans de transition climatiques que devraient – également – mettre sur pied les institutions financières : de tels plans de transition sont en effet au cœur d’une nouvelle architecture réglementaire européenne, dont les contours précis doivent encore être précisés, respectivement harmonisés.2 Pour être efficaces, ces plans de transition ne doivent pas suivre une approche étroite de gestion des risques climatiques à court et moyen terme, mais encourager les banques à réorienter leurs activités en faveur de la transition. Des pouvoirs doivent être accordés aux autorités de surveillance et des sanctions doivent être prévues en cas de non-respect. En Suisse, une première étape sera franchie avec la publication – dès 2025 – des premiers « rapports sur les questions climatiques », y compris par les banques, qui devraient également contenir des
« plans de transition comparables aux objectifs climatiques de la Suisse ». Malheureusement le cadre réglementaire reste imprécis et laisse une marge d’interprétation quant à ce qui est précisément exigé concernant les plans de transition climatiques. Il faudra donc passer au crible fin ces premiers rapports pour jauger de la pertinence (ou non) de cette nouvelle approche.

 

 

La Net Zero Banking Alliance

A ce jour, l’initiative volontaire climatique la plus importante prise par les banques est la Net Zero Banking Alliance (NZBA) – soutenue par l’ONU – qui regroupe 144 membres de 44 pays et qui représente quelque 40 % du total des actifs sous gestion. Plusieurs banques suisses en sont membres, notamment l’UBS (cofondatrice), la banque Raiffeisen, mais également des banques cantonales (Zürich, Berne et Bâle). Par leur signature, les banques s’engagent à aligner leurs portefeuilles de prêts d’investissements sur des émissions net nulles d’ici à 2050 (au plus tard), avec des objectifs intermédiaires pour 2030 ou plus tôt. Ces objectifs doivent faire référence aux secteurs que les banques ont ciblé comme prioritaires pour la décarbonisation, soit les secteurs dans leurs portefeuilles les plus intensifs en termes d’émission de gaz à effets de serre (GHG), sur lesquels les banques peuvent avoir un impact important. Les banques doivent en outre publier un plan de transition qui explique comment elles entendent atteindre leurs objectifs sectoriels. Bien qu’encore à un stade préliminaire, la combinaison comprenant la définition d’objectifs détaillés, un suivi de la part de l’ONU, et une validation externe fait de la NZBA une initiative climatique stricte, voire la plus stricte, pour les banques.

 

 

1 Trois ans après leur signature, les banques devront avoir fixé des objectifs pour les neuf secteurs définis par la NZBA, soit l’agriculture, l’aluminium, le ciment, le charbon, l’immobilier, la sidérurgie, le pétrole et le gaz, la production d’électricité et le transport.

2 Il s’agit d’assurer principalement la cohérence des approches entre la Capital Requirements Directive (RCD), la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) et la toute récente Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CSDDD).

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Communiqué

Le Conseil national refuse de mettre en œuvre la loi sur le climat pour la place financière

14.03.2024, Justice climatique, Finances et fiscalité

Le Conseil fédéral a recommandé aujourd’hui au Conseil national d'accepter une motion de Gerhard Andrey visant à renforcer la compatibilité climatique des flux financiers suisses. Mais le Conseil national n'a rien voulu savoir de cette motion, bien que, selon le Conseil fédéral, elle aurait servi à mettre en œuvre l'art. 9 de la loi sur le climat et aurait donc été conforme à la volonté populaire.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

+41 31 390 93 42 delia.berner@alliancesud.ch
Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

+41 22 901 14 81 laurent.matile@alliancesud.ch
Le Conseil national refuse de mettre en œuvre la loi sur le climat pour la place financière

Gerhard Andrey (à gauche) au Conseil national

© Services du Parlement, 3003 Berne

En juin 2023, le peuple suisse a accepté la loi sur la protection du climat avec 59,1 % de oui. L'article 9 fixe un objectif d'orientation des flux financiers compatible avec le climat. L'accord de Paris sur le climat oblige également la Suisse à poursuivre cet objectif. Au vu de cette situation juridique claire, le Conseil fédéral a proposé d'adopter la motion du Conseiller national Gerhard Andrey : « Compte tenu de ce mandat législatif et de la volonté populaire, le Conseil fédéral soutient la motion [...]. »

La motion respectait les efforts déployés jusqu'à présent par le secteur pour mettre les flux financiers sur la voie de la réduction des gaz à effet de serre conformément à l'accord de Paris, mais demandait à la Confédération, à titre subsidiaire, d'imposer au secteur financier des obligations plus contraignantes si, d'ici à 2028, moins de 80 % des flux financiers des établissements financiers suisses étaient en voie de mener à la réduction des gaz à effet de serre prévue par l'accord de Paris. Dans sa réponse, le Conseil fédéral a indiqué que lors de la mise en œuvre de la motion en tant que réglementation subsidiaire, il avait surtout en vue les bonnes pratiques en matière de transparence et de vérité des coûts – une mise en œuvre très favorable à l'économie avec une grande marge de manœuvre pour tous les participants.

Un refus absolument incompréhensible

Le refus du Conseil national est donc d'autant plus incompréhensible : « Le Conseil national fait fi de la volonté claire de la population en faveur de flux financiers respectueux du climat ; il ignore les bases légales et les engagements internationaux et n'accepte même pas la voie modérée du Conseil fédéral », souligne Laurent Matile, expert en entreprises et développement chez Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement. « Tout retard dans la protection du climat est ressenti le plus fortement par les habitants des pays les plus pauvres. »

L'orientation des flux financiers suisses en faveur du climat est le plus grand levier de protection du climat dont dispose la Suisse et qu'elle est tenue d'utiliser en tant que partie à l'Accord de Paris. En effet, selon une étude de McKinsey, les émissions liées à la place financière suisse sont 14 à 16 fois plus élevées que les émissions nationales suisses.

Manque de volonté également pour la loi sur le CO2

Les délibérations sur la loi sur le CO2, qui sera soumise au vote final demain, ont également montré un manque flagrant de volonté politique dans les deux chambres du Parlement, ce qui ignore également la large approbation de la loi sur la protection du climat. Les mesures de réduction des émis-sions de gaz à effet de serre à l'intérieur du pays ont été constamment affaiblies lors des délibérations, après un projet peu convaincant du Conseil fédéral. En conséquence, la Suisse devra acheter de plus en plus de certificats à l'étranger, qui ne remplaceront pas de manière équivalente les réductions effectuées dans le pays.

 

 

Article

Finances durables : le chantier d’une génération

06.12.2023, Justice climatique, Finances et fiscalité

En 2015, les Etats ont pris l’engagement de rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques de l’Accord de Paris : où en est la mise en œuvre de cet engagement ? Que fait la Suisse ? Etat des lieux.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Finances durables : le chantier d’une génération

L'engagement du secteur financier en faveur de la protection du climat est très contradictoire.

© Adeel Halim / Land Rover Our Panet

En signant l’Accord de Paris sur le climat en 2015, la communauté des Etats ne s’est pas seulement engagée à réduire massivement ses émissions de gaz à effet de serre et à soutenir les pays pauvres dans leurs efforts de réduction et d’adaptation aux effets du changement climatique ; les Etats ont en outre pris l’engagement d’orienter les flux financiers – publics et privés – vers une économie faible en carbone et un développement résilient aux changements climatiques. Dans le jargon, on parle « d’alignement sur Paris » (Paris alignment). C’est, en termes simples, ce que prévoit l’article 2.1.c) de l’Accord de Paris.

Les 3 et 4 octobre dernier, à Genève, en marge de la 3ème édition de Building Bridges, délégations, secteur privé et ONG ont exprimé leurs attentes et visions dans le cadre d’un workshop de deux jours – en vue du premier « bilan mondial » lors de la COP 28 – sur la portée de cet engagement et sa complémentarité avec l’article 9 du même accord de Paris. Pour rappel, cet article traite du financement climatique, soit des engagements pris par les pays développés en faveur des pays en développement. A cet égard, plusieurs délégués et ONG ont exprimé leur préoccupation que les pays développés mettent en avant leurs efforts pour « aligner » les financements (privés) et négligent leurs engagements de soutenir financièrement les pays en développement.  

A ce jour, les flux financiers (publics et privés) destinés à des activités économiques basées sur les combustibles fossiles sont encore et toujours plus importants que ceux destinés aux mesures d'atténuation et d'adaptation au changement climatique. Selon le dernier rapport de synthèse du GIEC, il y aurait suffisamment de capitaux au niveau global pour combler les déficits d'investissement climatiques mondiaux ; le problème n'est donc pas le manque de capitaux, mais la mauvaise gestion et la mauvaise répartition persistante des capitaux par rapport aux objectifs climatiques. Cela concerne aussi bien les flux de capitaux publics que privés. Orienter et réorienter les financements et les investissements vers l'action climatique – notamment dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables – n'est cependant pas une solution miracle. Le défis que représente une « transition juste » sont nombreux et les pays en développement attendent également à cet égard un soutien financier de la part des pays du Nord.

Responsabilité des Etats

Les instruments requis pour mettre en œuvre l’article 2.1.c) sont variés et doivent être déterminés au niveau national. C’est la responsabilité première des Etats de déterminer quels cadres réglementaires, quelles mesures, quels leviers et incitatifs, doivent être mis en place pour atteindre l’alignement en cause. Les entreprises, y compris celles du secteur financier ne sont pas liées par l’Accord de Paris. Les Etats doivent dès lors être transposer dans des lois internes leurs engagements climatiques pris dans ce cadre. De manière schématisée, pour les Etats, « l’alignement sur Paris » comprend l'engagement d’assurer que l’ensemble des flux financiers contribuent aux objectifs climatiques de l’accords de Paris. Pour ce faire, des mesures concrètes doivent être adoptées pour assurer des contributions tangibles – et mesurables - au niveau des entreprises et des établissements financiers individuels.

Et la Suisse ?

La Suisse s’est, elle aussi, engagée à rendre ses flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques en ratifiant l’Accord de Paris sur le climat. En outre, le Conseil fédéral, vise, d’entente avec la branche, à faire de la place financière un leader en termes de « finance durable ».  Mais pour ce faire, il mise, à ce jour, en premier lieu sur des mesures volontaires et l’auto-régulation.
Le peuple a néanmoins accepté en juin dernier la « Loi climat », qui prévoit que la Suisse atteindra la neutralité climatique d’ici à 2050 ; dans ce but, des objectifs intermédiaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre ont été définis, ainsi que des valeurs indicatives précises pour certains secteurs (bâtiments, transports et industries). De manière générale, toutes les entreprises devront avoir ramené leurs émissions à zéro net d’ici à 2050 au plus tard. En ce qui concerne spécifiquement l’objectif visant à rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques, la loi climat prévoit (article 9) que « la Confédération veille à ce que la place financière suisse apporte une contribution effective à un développement à faible émission capable de résister aux changements climatiques. Il s’agit notamment de prendre des mesures de réduction de l’effet climatique des flux financiers nationaux et internationaux. Dans ce but, le Conseil fédéral peut conclure, avec les secteurs financiers, des conventions visant à rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques. »

Rôle et responsabilité de la place financière suisse

Le volume des émissions de CO2 en lien avec les flux financiers de la Suisse (investissements sous formes d’actions, d’obligations et de prêts) est 14 à 18 fois supérieur au volume d’émissions produit en Suisse !   En d’autres termes, la place financière suisse est le principal « levier climatique » de la Suisse. Il semble dès lors évident qu’agir sur ces flux financiers devrait être la priorité du Conseil fédéral. Au vu de son importance – quelque 7’800 milliards d’actifs sous gestion - , la place financière suisse pourrait apporter une contribution centrale à la réalisation des objectifs climatiques. Pour ce faire, des mesures tangibles doivent être appliquées à l’économie réelle, afin d’induire une (ré-)orientation des flux financiers vers les objectifs climatiques. Devraient faire partie de ces mesures une tarification crédible du CO2 sur le plan national, ainsi qu’au niveau international (ce que l’on attend encore).

Rapport sur les questions climatiques : premières obligations

Dès janvier 2024, les grandes entreprises – y compris les banques et assurances – devront publier un rapport sur les questions climatiques qui devra présenter non seulement le risque financier que l'entreprise encourt en raison de ses activités liées au climat, mais également les effets de l'activité commerciale de l'entreprise sur le climat (« double matérialité »). De plus, ces rapports devront comprendre des plans de transition des entreprises comparables aux objectifs climatiques de la Suisse et, « si possible et approprié », les objectifs de réduction des émissions de CO2. De plus, le rapport devra décrire les objectifs de réduction des émissions de CO2 et des plans de transition des entreprises comparables aux objectifs climatiques de la Suisse. Ce n’est pas rien. L’Union européenne a introduit des obligations similaires, comme le Royaume-Uni et quelques autres pays. Pour une fois, la Suisse n’est pas en retard.

Test climatique PACTA

Tous les deux ans depuis 2017, le Conseil fédéral recommande à tous les acteurs du marché financier – banques, assurances, institutions de prévoyance et gestionnaires de fortune – de participer volontairement et gratuitement au « Test Climatique PACTA ».  Objectif : analyser dans quelle mesure le secteur financier suisse s’aligne sur l’objectif de température fixé dans l’Accord de Paris. Sont soumis au test, les portefeuilles d’actions et d’obligations d’entreprises cotées et les portefeuilles hypothécaires détenus par les acteurs financiers. Le test PACTA devrait montrer quel est le poids dans le portefeuille des entreprises actives dans les huit secteurs les plus intensifs en carbone, qui sont responsables ensemble de plus de 75% des émissions mondiales de CO2 (pétrole, gaz, électricité, voitures, ciment, aviation et acier).

La participation au tTest PACTA reste néanmoins facultative et les participants décident eux-mêmes des portefeuilles qu’ils souhaitent y soumettre. En outre, la publication des résultats des tests individuels n’est pas obligatoire (même) pour les institutions financières qui se sont fixés un objectif zéro net pour 2050. A cet égard, le Conseil fédéral s’opposent à introduire des mesures supplémentaires et propose de rejeter une motion qui demande des améliorations sur ces points, au motif que les instruments existants seraient suffisantes.  

Objectifs auto-proclamés de « Net Zero », mais pas d’accords sectoriels

De nombreux établissements financiers suisses se sont fixés – volontairement – des objectifs de neutralité climatique - « zéro net » - sous l’égide de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ). Une démarche recommandée par le Conseil fédéral. Ces démarches soulèvent néanmoins des questions centrales en termes de transparence et crédibilité. Pourcentage des établissements financiers qui ont défini des objectifs « net zero » ; part des avoirs, notamment des activités commerciales qui doivent effectivement atteindre l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050 ; comparabilité des informations, soit les objectifs finaux et intermédiaires, mesures et progrès réalisés par les établissements financiers. Pour accroître transparence et redevabilité, le Conseil fédéral avait proposé de conclure des accords sectoriels avec les acteurs financiers. Mais les associations sectorielles concernées s’y sont opposées. La loi sur le climat prévoit néanmoins la conclusion de telles conventions ; Le département fédéral des finances devrait soumettre un rapport sur ce point avant la fin de l’année.

Swiss Climate Scores

Alignés sur la GFANZ, les « Swiss Climate Scores » (SCC), développés par les autorités et l'industrie, ont été lancés par le Conseil fédéral en juin 2022. L'idée de base est de créer de la transparence dans l'orientation des investissements financiers en fonction du climat, dans le but d’encourager les décisions d'investissement qui contribuent à la réalisation des objectifs climatiques mondiaux. L’approche reste, ici aussi, volontaire pour les fournisseurs de services financiers.

Confirmant nos doutes exprimés après leur lancement, la directrice de BlackRock pour la Suisse regrettait dans le cadre de Building Bridges le faible niveau d’adoption des SCC par les gérants d’actifs alors que la NZZ – les (dis-)qualifiant de « label pour réfrigérateurs » pour produits financiers, en comparaison du cadre réglementaire sophistiqué de l’UE – constatait récemment également leur faible acceptation et des incohérences dans leur mise en œuvre par les instituts financiers.

Changer de paradigme

Mettre en œuvre l’article 2.1 c) de l’Accord de Paris sera donc un chantier majeur pour la Suisse également. L’éventail de mesures principalement volontaires adoptées à ce jour n’est clairement pas à la hauteur des engagements pris à Paris. Un changement de paradigme s’impose dès lors.

Le Conseil fédéral a récemment proposé d’adopter une motion qui demande la mise en place d'un « mécanisme de co-régulation » et un engagement pour que ce mécanisme ait un caractère contraignant si, d'ici à 2028, « moins de 80 % des flux financiers des établissements financiers suisses sont en voie de mener à la réduction des gaz à effet de serre prévue par l'accord de Paris ».

La balle est maintenant dans le camp du Parlement pour adopter les premières mesures pour s'attaquer à ce chantier d'une génération.

Article

Bientôt la fin de la grande nébuleuse ?

30.09.2022, Finances et fiscalité

Fin mai, les procureurs de Francfort ont perquisitionné les bureaux de la Deutsche Bank et de sa filiale de gestion d'actifs pour des activités présumées de « greenwashing ». Un signal qui annoncerait la fin du grand flou artistique en la matière ?

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Bientôt la fin de la grande nébuleuse ?

Des éoliennes près de la centrale nucléaire désaffectée de Grohnde, en Basse-Saxe. L’UE souhaite faire passer pour « verts » les investissements dans l’énergie nucléaire, un souhait critiqué par les organisations environnementales.
© Foto: KEYSTONE / DPA / Julian Stratenschulte

Communiqué

Place financière suisse : avec les bellicistes

17.05.2022, Finances et fiscalité

La Suisse est la place financière la plus opaque du monde, derrière les États-Unis. C'est ce que révèle le nouvel indice de l’opacité financière du réseau pour la justice fiscale (TJN).

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

+41 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch
Place financière suisse : avec les bellicistes

© Tax Justice Network

Gemäss den heute publizierten Berechnungen des TJN beherbergt die Schweiz einen der attraktivsten Finanzplätze für Steuerhinterzieherinnen, Geldwäscher, Terrorismusfinanziererinnen oder korrupte Politiker. Denn die Banken in der Schweiz verwalten nicht nur so viele ausländische Vermögen wie nirgends sonst in der Welt – gemäss der Schweizer Bankiervereinigung sind das aktuell über 3'600 Milliarden Franken  –; der Schweizer Finanzplatz gehört trotz aller Reformen der letzten zehn Jahre immer noch zu den undurchsichtigsten weltweit.

Mit Blick auf den russischen Angriffskrieg in der Ukraine ist dies aus zwei Gründen problematisch, sagt Dominik Gross, Finanzexperte bei Alliance Sud, dem Schweizer Kompetenzzentrum für internationale Zusammenarbeit und Entwicklungspolitik: «Erstens fehlen in der Schweiz die Gesetze, die den Behörden eine aktive Suche nach einem grossen Teil der sanktionierten Vermögen russischer Oligarchen ermöglichen würden. Das zeigen die Analysen des TJN deutlich.» Gemäss Staatssekretariat für Wirtschaft (SECO) sind aktuell nur 6,3 Milliarden Franken russischer Vermögen in der Schweiz gesperrt, seit April haben die Banken über eine Milliarde schon wieder freigegeben. Obwohl gemäss Bankiervereinigung insgesamt 150-200 Milliarden russischer Vermögen in der Schweiz liegen.

Dazu kommt: Da die Schweiz mit vielen Entwicklungsländern immer noch keinen automatischen Informationsaustausch (AIA) über Bankkundendaten unterhält, haben Steuerhinterzieher aus Nicht-AIA-Ländern auf Schweizer Banken nach wie vor kaum etwas zu befürchten. Gross: «Sie verstecken hier Geld vor dem Fiskus ihrer Heimatstaaten, die dieses dringend im Kampf gegen die Nahrungsmittelkrise bräuchten, die der Ukraine-Krieg ausgelöst hat.»

Parlament muss handeln

Trotz grossem Handlungsbedarf bleibt der Bundesrat untätig. National- und Ständerat könnten aber bald korrigieren:
•    Eine überparteiliche Motion im Nationalrat verlangt vom Bundesrat eine Gesetzesvorlage für mehr Transparenz, damit die wahren Besitzer von Briefkastenfirmen und Profiteure von Offshore-Konstrukten zumindest den Behörden bekannt werden.
•    Mit weiteren Vorstössen wollen Nationalrät- und StänderätInnen vom Bundesrat wissen, wie er sanktionierte Vermögen in Zukunft aufspüren und konfiszieren will, und verlangen die Schaffung einer Schweizer Task-Force bzw. den Beitritt der Schweiz zur internationalen Task-Force, die aktiv nach russischen Vermögen sucht.
•    Ein Postulat der aussenpolitischen Kommission des Nationalrates verlangt vom Bundesrat einen Bericht, worin er darlegt, wie er in Zukunft die Transparenz von Finanzflüssen erhöhen will, die in und durch die Schweiz fliessen.

Für weitere Informationen:
Dominik Gross, Experte für Finanzpolitik Alliance Sud: +4178 838 40 79; dominik.gross@alliancesud.ch

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La malédiction du gaz au Mozambique

20.06.2023, Finances et fiscalité

En pleine crise climatique, des méga-projets gaziers sont développés au Mozambique par des grands groupes pétroliers dont TotalEnergies, dont la BNS est actionnaire. Ces projets attisent les conflits et ne bénéficient pas aux populations.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

La malédiction du gaz au Mozambique

Lignes électriques renversées à Macomia, dans le nord du Mozambique, après le passage du cyclone Kenneth en 2019.
© Tommy Trenchard/Panos Pictures

Après la découverte d'immenses réserves de gaz naturel en 2010 au large des côtes de la province de Cabo Delgado au nord du Mozambique, des multinationales du gaz et du pétrole ont échafaudé des projets massifs de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces projets figurent dans le rapport de l’OCDE sur les « financements privés mobilisés en faveur du développement » (vs. aussi global #87, Printemps 2023). Ils comprennent notamment l'extraction en haute-mer (avec un record à 2000 mètres de profondeur !), un gazoduc sous-marin et des usines de traitement à terre, ainsi qu’un terminal d’exportation de GNL. Deux des méga-projets (Rovuma LNG et Coral South FLNG Project) sont l’objet d’un joint-venture entre l'américaine ExxonMobil, l’italienne Eni et l’entreprise publique chinoise CNPC. Le Mozambique LNG Project a pour actionnaire principal et opérateur la société française TotalEnergies, aux côtés de Mitsui (Japon) et d’investisseurs mozambicains, indiens et thaïs. Pour rappel, la Banque national suisse (BNS) détient actuellement quelque USD 620 millions d’actions de TotalEnergies.

Financements publics-privés titanesques

Le montant total des investissements dans les projets GNL au Mozambique est estimé à environ 60 milliards de dollars, soit près de quatre fois plus que le PIB du Mozambique. Selon la Banque africaine de développement (BAD) – un des financiers publics du projet, aux côtés d’agences de crédits à l’exportation (ECA), notamment des Etats-Unis et du Royaume-Uni – ces projets constituent le plus grand investissement étranger direct (FDI) à ce jour et le plus grand financement de projet en Afrique. Ils devraient placer le Mozambique au 3ème rang des fournisseurs mondiaux de GNL et contribuer directement à plus de USD 67 milliards au PIB du Mozambique. Les projets fourniront du gaz pour l’exportation vers l’Europe et l’Asie (Inde et Chine, notamment), mais visent aussi à fournir du GNL pour le développement industriel du pays et de la région de l’Afrique australe.

Outre le Mozambique, le Nigeria, l’Egypte, l’Algérie, ainsi que le Sénégal et la Mauritanie ambitionnent d’augmenter leurs exportations de GLN, notamment vers l’Europe. Les défenseurs du GNL considèrent cette énergie comme essentielle pour permettre la transition énergétique, étant donné qu’il produit 50 % moins d’émission de CO2 que la production d’énergie à base de charbon. A l’inverse, dans son rapport Net Zero by 2050, publié en mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) appelait à mettre fin immédiatement aux investissements dans la production d’énergie fossile, pour permettre de ramener les émissions mondiales de dioxyde de carbone liées à l'énergie à un niveau net nul d'ici à 2050, afin de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C.

Insurrection islamiste et malédiction des ressources naturelles

La province de Cabo Delgado est l'une des régions les plus pauvres du pays. Touchée par des cyclones et des inondations qui ont encore aggravé la pauvreté et l'insécurité alimentaire, la région est en outre victime d’une insurrection contre le gouvernement mozambicain, aux causes multiples, mais qui peut être liée à l’extraction des ressources naturelles de la région. Les groupes armés, dont certains ont des liens à des organisations terroristes telles que l'État islamique, ont mené des attaques violentes contre les communautés locales, les forces de sécurité et les infrastructures gazières. Selon les estimations de l’ONU, plus de 700 000 personnes ont été déplacées dans la région depuis le début de l'insurrection.

Pour venir en aide aux populations touchées par le conflit, la communauté internationale a offert de l’assistance humanitaire. En février dernier, le président de la Confédération Alain Berset a visité avec son homologue mozambicain Filipe Jacinto Nyusi un camp de réfugiés et des projets de la DDC dans la province. Le Mozambique est un pays prioritaire de la coopération suisse depuis 1979.

De son côté, l'UE a notamment augmenté son soutien financier aux forces de défense du Rwanda présentes au Mozambique, pour s'assurer que les projets gaziers soient mis en service dès que possible, afin de réduire la dépendance de l’UE au gaz russe.

La Banque nationale suisse, actionnaire de TotalEnergies

Outre ses opérations au Mozambique, TotalEnergies prévoit de construire un oléoduc de plusde 1 400 km appelé EACOP à travers la Tanzanie et l’Ouganda, qui menace les moyens de subsistance de milliers de personnes ainsi que l’environnement. Lors de sa récente assemblée annuelle, l’Alliance climatique suisse, dont Alliance Sud est membre, a notamment demandé avec d’autres ONG regroupées au sein de la « coalition BNS » un désinvestissement de tous les actifs fossiles et que les politiques de placement, monétaire et de change de la BNS soient alignées sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Des représentants d’ONG tanzaniennes ont demandé à la direction de la BNS de vendre immédiatement sa participation dans TotalEnergies.

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Communiqué

Combattre efficacement la faim dans le monde

29.01.2016, Finances et fiscalité

Malgré une production suffisante de denrées alimentaires, 800 millions souffrent toujours et encore de la faim. L’initiative contre la spéculation alimentaire propose des mesures contre ce scandale.

Combattre efficacement la faim dans le monde

© Erich Westendarp / pixelio.de

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Aligner les investissements sur le climat

06.12.2022, Finances et fiscalité

En signant l’Accord de Paris sur le climat, la communauté des Etats s’est (aussi) engagée à orienter les flux financiers vers une économie faible en carbone. La Suisse avance dans cette direction… mais à petits pas.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Aligner les investissements sur le climat

© House of Switzerland

On l’oublie parfois, l’Accord de Paris signé en 2015 engage également les Etats – outre à réduire leurs émissions de CO2 et assurer l’adaptation aux effets du changement climatique – à « rendre les flux financiers compatibles avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». Cet engagement enjoint notamment les Etats à prendre les mesures nécessaires pour assurer que les acteurs financiers – à travers leurs financements et investissements – contribuent à réorienter les capitaux vers des solutions concrètes d’atténuation et d’adaptation. On parle, de manière simplifiée, « d’aligner les investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris ».

Au vu de son importance sur le plan global – 24 % de la gestion de patrimoine transfrontalière est effectuée en Suisse – le secteur financier suisse serait à même de jouer un rôle de catalyseur de premier plan pour contribuer à cette réorientation. Or, si tout le monde est d’accord sur l’objectif, les avis divergent largement sur les mesures à prendre pour y parvenir.

Taxonomie de l’UE : définir, enfin, la « durabilité »

De son côté, l’UE a adopté en juin 2020 le règlement « Taxonomie » ; c’est la pièce maîtresse de son plan d’action pour financer une croissance durable. Un des objectifs centraux est de pouvoir identifier et favoriser les investissements vers les activités « durables » qui sont alignées avec l’objectif de l’UE d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Pour cela, il crée une classification (taxonomie) des activités économiques des entreprises selon leur potentiel de contribution aux six objectifs environnementaux de l’UE.  Plus de 70 activités issues des secteurs incluant l’énergie, les transports, la sylviculture et la construction sont concernées – selon différents niveaux   – représentant plus de 90% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Les grandes entreprises doivent identifier parmi leurs activités celles qui correspondent à la taxonomie et indiquer la part qu’elles représentent dans leur activité globale. Ces informations doivent permettre aux acteurs financiers de prioriser les financements aux projets et actifs reconnus comme contribuant le mieux à la trajectoire vers la neutralité climatique. A partir de 2023, les grandes entreprises devront également publier l’alignement de leurs activités à la taxonomie. Cette même obligation s’appliquera dès 2024 aux institutions financières.

Pour qu’une activité puisse bénéficier du label « vert » au sens de la taxonomie, elle doit contribuer de manière substantielle à au moins un des six objectifs environnementaux de l’UE, sans porter un préjudice significatif aux cinq autres, tout en respectant des garanties en matière de droits humains et de droit du travail. C’est la Commission européenne qui adopte les critères pour identifier les activités respectueuses de l'environnement. Un premier volet climatique – en vigueur depuis janvier 2022 –   intègre les activités qui contribuent aux deux premiers objectifs de la taxonomie (atténuation et adaptation au changement climatique).  Les critères pour les quatre autres objectifs (pollution, eau, économie circulaire et biodiversité) devraient être définis avant la fin de l’année. À l'avenir, des critères sociaux et des aspects de gouvernance supplémentaires seront également définis.

Et en Suisse : compétitivité et/ou durabilité ?

Le Conseil fédéral reconnaissait en 2020 dans son Rapport sur le développement durable dans le secteur financier suisse l’importance d’un système de classification uniforme des activités durables (taxonomie), en premier lieu « parce que des informations comparables sont synonymes de transparence pour les clients, les assurés, les investisseurs et le public » . Il a tout de même préféré – suite aux oppositions des acteurs de la branche et sur la base du sacro-saint principe de subsidiarité de l’action de l’Etat – suivre une approche volontaire et donc non réglementaire.

En juin 2022, il a adopté les Swiss Climate Scores (SCS), établis par un groupe de travail comprenant les acteurs de la branche, des représentants de la Confédération, des milieux académiques et des ONG.  Leur objectif : fournir aux investisseurs institutionnels ou privés des informations « fiables et comparables » sur le degré de compatibilité de leurs placements financiers avec les objectifs climatiques internationaux. Le CF recommande à tous les acteurs suisses du marché financier d’appliquer les Swiss Climate Scores aux placements financiers et aux portefeuilles des clients « lorsque cela s'avère judicieux ».

L’approche est-elle crédible ?

Afin de maintenir leur caractère de bonnes pratiques dans le domaine de la transparence climatique, il est prévu de réviser les SCS à intervalles réguliers et, « si nécessaire », de les adapter pour refléter les dernières connaissances. Département fédéral des finances (DFF) et Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), ont été chargés d'examiner – d'ici à la fin 2023 – l'état d'avancement de l'introduction – on le rappelle, volontaire – des « Swiss Climate Scores » par les acteurs suisses du marché financier. Il sera bon à cet égard de comparer les progrès atteints avec les avancées que la taxonomie et autres actes réglementaires auront permis d’atteindre au sein de l’UE.

A ce stade, les SCS suscitent plusieurs questions : Seront-ils effectivement appliqués au sein du secteur financier ? La (seule) pression des clients sur les institutions financières sera-t-elle suffisante pour assurer leur adoption ? Ou seules des mesures plus fortes, réglementaires, seront-elles à même d'induire un effet incitatif climatique élevé, pour assurer l'alignement des investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris auquel la Suisse s’est engagée.

Rendez-vous est pris en 2023.

Les 5 + 1 indicateurs des Swiss Climate Scores

Les SCC comprennent cinq indicateurs obligatoires et un optionnel. Trois indicateurs ont trait à l’état actuel des portefeuilles (émissions de gaz à effet de serre ; exposition aux combustibles fossiles ; dialogue crédible avec les entreprises sur le climat). Deux indicateurs sont « tournés vers l’avenir » (engagements vérifiés en faveur du net zéro ; gestion en faveur du net zéro). L’analyse du potentiel de réchauffement global – soit l‘ampleur du réchauffement climatique si l'économie mondiale agissait avec la même ambition que les entreprises du portefeuille – reste, à ce stade du moins, facultatif.

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Finances durables

Finances durables

Alliance Sud s'engage pour que la place financière suisse contribue de manière résolue et efficace à la réalisation des objectifs de développement durable de l'ONU et pour que ses activités commerciales respectent les objectifs de l'accord de Paris sur le climat.

De quoi s’agit-il ?

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De quoi s’agit-il ?

L'accord de Paris sur le climat oblige les pays à concilier les flux financiers avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résistant au changement climatique. Des objectifs similaires sont aussi prévus au niveau international dans le domaine de la biodiversité.

La Suisse est le premier centre mondial de gestion des actifs transfrontaliers et dispose d'un secteur de l'assurance qui couvre les risques planétaires. Elle a donc une responsabilité majeure dans la conciliation des flux financiers avec les objectifs de développement durable et de protection du climat et dans le fait que ces flux ne favorisent pas l’écoblanchiment.