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À trop vouloir freiner, on finit par déraper

23.02.2023, Financement du développement

Les idéologies bardées d'intérêts sont malheureusement des plus résistantes aux faits simples. Le frein à l'endettement en est un exemple flagrant.

À trop vouloir freiner, on finit par déraper

Journée de collecte de fonds de la Chaîne du Bonheur à Berne, sur la Place fédérale.
© KEYSTONE/CHROMORANGE/Christian Ohde

En réaction à la guerre d'agression brutale de la Russie contre l'Ukraine et à la hausse précipitée du budget militaire, Alliance Sud écrivait que pour elle aussi, la sécurité était une préoccupation majeure ; mais il en va ici de la sécurité humaine dans le monde entier, qui ne s'arrête pas aux frontières nationales. La guerre, le terrorisme et l'instabilité ne sont souvent que les symptômes de crises politiques, économiques, sociales et écologiques plus profondes. Et dans un monde globalisé, on n’est en sécurité que si tout le monde est en sécurité.

La majorité du Parlement veut toutefois nous faire croire à une fausse sécurité en affectant des milliards au réarmement de notre armée. Le Conseil fédéral en a présenté la facture le 15.2.2023 : les dépenses non liées —la coopération internationale (CI) en fait partie — doivent être rognées de 2% en 2024, et d'autres coupes doivent suivre.

Ces réductions ne seraient pas nécessaires si une interprétation extrémiste du frein à l'endettement n’avait pas contaminé le Parlement et le Conseil fédéral. Au « mollah de l'austérité » Maurer succède la « renarde de l'austérité » Keller-Sutter. Et selon certains dictionnaires, peut être qualifiée de renard une personne [recourant à la ruse], particulièrement économe [et quasiment avare].

Les faits indiquent autre chose qu'une situation financière dramatique : ils montrent un frein à l'endettement qui a depuis longtemps perdu de vue son objectif, à savoir modérer la progression incontrôlée de l'endettement que l'on craignait dans les années 2000.

Graphique pour celles et ceux qui en douteraient :

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© Alliance Sud


Dette publique nette de la Suisse (Confédération uniquement)

Depuis 2005, la dette de la Confédération n'a pas seulement diminué en valeur absolue, elle a également fondu par rapport à la taille de l'économie suisse, c'est-à-dire par rapport au PIB. Du point de vue de la politique financière, le coronavirus n'était rien de plus qu'un petit « coup de mou ».

Et si nous levons les yeux du nombril helvétique, voici ce qu'on observe :

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© Alliance Sud

Les Pays-Bas et l'Allemagne ne sont pas non plus connus pour être particulièrement dépensiers.

Et ce qui importe, c'est que la dette publique vient certes un jour à échéance, mais elle ne doit pas être remboursée par le budget de l'État. Et elle ne le sera pas non plus, mais l'État contracte de nouveaux emprunts pour rembourser les anciens. Le jargon financier parle d’un « roll-over ». Le remboursement de la dette « à zéro net » n'est non seulement pas nécessaire, mais serait un cauchemar pour les marchés financiers. Ceux-ci dépendent en effet des obligations d'État comme ancrage à faible risque ou sans risque.

Un État n’est face à un problème que si les acteurs et actrices des marchés financiers perdent la foi en sa solvabilité et exigent donc des intérêts plus élevés pour les nouvelles dettes que pour les anciennes. Si, en plus, les taux d'intérêt sont supérieurs à la croissance du PIB, les choses sont mal emmanchées. Mais c'est un scénario pour les pays émergents ou régulièrement en défaut de paiement (serial defaulters), comme l'Argentine avec sa succession de faillites d'État. Il est exclu que la Suisse puisse un jour se retrouver dans une situation comparable, même si son taux d'endettement triplait.

Les idéologies bardées d'intérêts — comme le frein à l'endettement — sont malheureusement des plus résistantes aux simples faits. C'est pourquoi la Suisse renoncera pour l'instant à se procurer à bon compte les finances dont elle a un urgent besoin dans les tempêtes provoquées par les crises à répétition. Affaire à suivre…