Partager l'article

global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
PERSPECTIVE SUD
02.10.2025, Justice climatique
Il est temps de promouvoir des pratiques d’extraction responsable pour permettre à l’Afrique de maximiser les retombées de ses réserves stratégiques en minerais de transition. Et pour assurer l’amélioration des conditions de vie de ses citoyen·ne·s et la réduction des impacts sociaux et environnementaux. Par Emmanuel Mbolela.
A qui profite le coltan qui booste notre avenir ? Les mines de Rubaya sont au coeur de la guerre entre la milice du M23, le Congo et le Rwanda. © Eduardo Soteras Jalil / Panos Pictures
La transition énergétique mondiale se présente comme un impératif crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’avènement d’un avenir énergétique durable pour les générations futures. Elle s’impose depuis une dizaine d’année dans le débat politique et public des pays du Nord et du Sud. Dans ce débat, l’Afrique se présente comme un continent solution grâce à sa biodiversité exceptionnelle qui lui confère incontestablement le rôle clé de puits de carbone mondiale. Grâce aussi à son sous-sol contenant les différents minerais de transition (cuivre, cobalt, lithium, nickel, coltan, tantale) dont le monde a besoin pour la fabrication des batteries des véhicules électriques, le stockage d’énergies renouvelables ainsi que les technologies innovantes essentielles à la transition énergétique globale. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande de ces minerais augmentera de quatre à six fois d’ici 2040.
Cependant une question reste posée au sort réservé à ce continent producteur et fournisseur de ces matières premières stratégiques. L’Afrique sera-t-elle encore utilisée comme une simple vache à lait ou ce processus de transition énergétique contribuera-t-il à son émergence ?
Afrique a toujours été au centre des transformations majeures qui ont conduit à l’industrialisation des nations, et cela, en payant un prix fort.
Pour la petite histoire, l’Afrique, grâce à sa population et ses ressources naturelles, a toujours été au centre des transformations majeures qui ont conduit à l’industrialisation des nations, et cela, en payant un prix fort. C’est le cas de la traite des Noirs où les Africains ont été embarqués de force et transportés dans les bateaux dans des conditions inhumaines pour être vendus en Amérique afin de travailler dans les plantations de cannes à sucre et de coton. Nous citerons encore l’exemple du caoutchouc qui fut utilisé dans la fabrication de pneus gonflables, qui a révolutionné le domaine de l’industrie automobile mais dont l’extraction a laissé des souvenirs douloureux dans les pays africains producteurs. On n’oubliera jamais les violences physiques (mains coupées, prise d’otage des femmes et des enfants) instituées au Congo par le roi Léopold II de la Belgique pour pousser la population à extraire davantage cet or blanc dont la vente n’a servi qu’à l’enrichissement personnel du roi et au développement de son royaume de Belgique. La révolution industrielle du 20e siècle a été rendue possible grâce aux matières premières fournies par l’Afrique. Que dire de l’uranium extrait au sud de la République démocratique du Congo, qui fut utilisé dans la fabrication de la bombe atomique qui a permis de mettre fin à la deuxième guerre mondiale ? Pas plus que hier le développement des nouvelles technologies de la communication et de l’information de notre ère a fait encore recours à l’Afrique pour obtenir les matières premières, notamment le coltan qui est utilisé dans la fabrication des téléphones et des ordinateurs portables.
Paradoxalement, l’Afrique se retrouve au bas de l’échelle. Ses fils et filles sont poussés à l’errance, à la recherche d’un Eldorado. Ils meurent dans le désert et dans la mer sous le regard complice et coupable de ceux et celles qui ont les moyens de les sauver, mais qui refusent de le faire sous prétexte que cela provoquerait un appel d’air.
Emmanuel Mbolela est titulaire d’un diplôme de Master en Economie Appliquée, parcours « Nouveaux environnements économiques et entrepreneuriat éthique » de l’Université d’Angers en France.
Il est militant et défenseur des droits fondamentaux des migrants et l’auteur du livre « Réfugié : Une odyssée africaine ». Il est le fondateur de l’Association des réfugiés et des communautés migrantes et l’initiateur du projet de la maison d’hébergement qui offre un logement temporaire et d’urgence aux femmes migrantes et à leurs enfants.
Aujourd'hui, l'Afrique est à nouveau sollicitée : en tant que puits de carbone contre le réchauffement climatique et fournisseur de matières premières essentielles à la transition énergétique.
Aujourd’hui, l’Afrique est à nouveau sollicitée. Elle répond présente comme elle l’a toujours fait à tous les rendez-vous de l’histoire ayant marqué l’industrialisation des nations. Et cette fois-ci, elle se présente à nouveau comme continent solution en tant que puits de carbone contre le réchauffement climatique et fournisseur de matières premières essentielles à la transition énergétique.
Pourtant, si les révolutions industrielles antérieures ont contribué au développement des pays occidentaux et amélioré la qualité de vie de leurs populations, en Afrique, c’est le sang qui coule et des souvenirs douloureux. La République démocratique du Congo, par exemple, est plongée depuis 30 ans dans une guerre de dépeuplement et repeuplement dans sa partie est où l’on retrouve de gigantesques mines de minerais de transition. Ce conflit armé, bien que le pays ne dispose pas d’une usine d’armement, a déjà fait des millions de morts, des centaines de milliers de déplacés internes et de réfugiés. Le viol des femmes et des enfants est pratiqué à grande échelle et utilisé comme une arme de guerre dans le but de pousser la population à quitter les villes et les villages et à laisser leurs terres qui sont immédiatement récupérées pour l’exploitation de minerais.
La croissance exponentielle de la demande de ces minerais fait que nous assistons actuellement aux pratiques prédatrices et illicites dans leur exploitation : les enfants sont utilisés dans les mines, les conflits armés sont intelligemment provoqués, et les accords sont signés dans toute opacité non seulement par les entreprises multinationales, mais aussi par des Etats. Nous citerons l’accord signé en février 2024 par l’Union européenne et le Rwanda sur la commercialisation des matières premières critiques. Il intervient au moment où ce pays a envahi son voisin la RDC et que l’UE sait bien que le Rwanda ne dispose pas de mines de ces métaux et que les minerais qu’il offre sur le marché international proviennent de pillages opérés en RDC.
Minerai de cobalt provenant des mines congolaises de Shabara, où des milliers de personnes creusent dans des conditions déplorables dans une zone contrôlée par Glencore. © Pascal Maitre / Panos Pictures
Le 27 juin, un accord de paix entre la RDC et le Rwanda vient d’être signé à Washington sous la médiation de l’administration Trump. Cet accord qui a été précédé par des négociations entre les autorités américaines et congolaises sur l’exploitation de matières premières rares, s’inscrit dans la logique du président Trump d’échanger la paix contre les minerais stratégiques. C’est l’administration du businessman – le président Trump se dit prête à mettre fin à l’agression dont la RDC est l’objet de la part de son voisin le Rwanda à condition qu’elle coopère avec les Etats-Unis pour l’exploitation de ses ressources minières. L’on comprend dès lors qu’en réalité cet accord tant vanté par Donald Trump n’est qu’une ouverture des portes aux Etats-Unis pour accéder aux minerais essentiels pour la technologie mondiale.
Les multinationales sont animées par le crédo de maximisation du profit et elles ne sont pas intéressées à la création d‘emplois stables ni à des pratiques d’exploitation durables.
Inévitablement un tel accord conduira à la fois vers une paix sans pain et à l’éclatement d’un conflit entre les grandes puissances sur le sol africain. D’autant plus que les multinationales qui viendraient au Congo sont animées par le crédo de maximisation du profit, et dans ce sens, elles exploitent et emportent leurs produits qui sont transformés dans leurs pays respectifs. Elles ne sont pas intéressées à la création d‘emplois stables ni à des pratiques d’exploitation durables. En plus, il n’est pas exclu que cet accord conduise dans le futur à la guerre entre les grandes puissances, notamment l’Union européenne et les Etats-Unis sur le sol congolais, au risque de se retrouver dans la situation qui s’est produite dans les années 1997 au Congo Brazzaville. Dans ce dernier pays, un gouvernement démocratiquement élu a été renversé parce que le président Lissouba avait signé des accords sur l’exploitation du pétrole avec les entreprises américaines au détriment des entreprises françaises installées depuis des décennies. Ces dernières n’ont pas hésité à réarmer l’ancien président Sassou-Nguesso pour renverser Pascal Lissouba. La guerre, qui éclata et qui provoqua la mort de centaines de milliers de personnes, entraîna des centaines de milliers de déplacés internes et de réfugiés, et fut qualifiée par la suite de guerre ethnique.
A ces accords cités ci-dessus s’ajoute également le mégaprojet de construction de chemin de fer reliant la République démocratique du Congo et la Zambie jusqu’au port de Lobito en Angola, initié par les Etats-Unis et soutenu par l’UE. Ce projet, qui a été inauguré en Angola par l’ancien président américain Jo Biden juste aux derniers jours de la fin de son mandat, a pour objectif de raccourcir le transport des matières premières. Un tel projet nous ramène à ceux qui furent initiés du temps de la colonisation, où les routes et les chemins de fer ont été construits non pas dans la logique de désenclavement et de développement des colonies, mais pour relier les zones ou les régions d’exploitation minières avec les océans et mers afin de faciliter le transport des matières premières vers la métropole.
Des réformes profondes doivent mettre fin à l’exploitation prédatrice pour que ces minerais ne soient plus source de malédiction, mais puissent leur apporter le bonheur et l’envie de vivre.
Les jeunes Africains qui regardent chaque jour des milliers de containers transportant ces richesses quitter le continent vers les destinations lointaines (Europe, Etats-Unis, Canada, Chine…) réclament des réformes profondes. Celles-ci doivent mettre fin à l’exploitation prédatrice pour que ces minerais ne soient plus source de malédiction, mais puissent leur apporter le bonheur et l’envie de vivre.
Il convient notamment de maximiser les bénéfices tirés des réserves stratégiques en minerais de transition au profit des pays extracteurs afin d'améliorer les conditions de vie des citoyen·ne·s et de réduire les effets négatifs de l'exploitation minière.
Pour y parvenir, il est plus que temps d’activer et d’encourager l’application, de manières rigoureuses et audacieuses, des différentes politiques internationales qui trainent dans les tiroirs, telles que les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains, les principes de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et les principes directeurs du groupe d’experts du Secrétaire Général de l’ONU sur les minerais essentiels à la transition énergétique.
Si l’on veut que la transition énergétique soit juste et équitable, il serait juste d’appliquer le principe du pollueur-payeur et non du pollué payant.
Il est évident de soutenir des engagements tels que l'initiative pour des multinationales responsables en Suisse. Le succès de telles initiatives dépend notamment de la sensibilisation et l’information suffisante de la population aux drames humains et aux dommages environnementaux causés par le secteur minier en Afrique. De telles actions pourront soutenir le combat que mène la société civile des pays africains qui plaident nuit et jour pour le renforcement de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises opérant dans le secteur.
Ces entreprises multinationales se retrouvent en position de force notamment dans la conclusion des contrats miniers qui reste souvent opaque et inconnue des communautés locales. Elles utilisent leur position pour ignorer les droits des populations et les règles élémentaires d’exploitation. Leurs activités minières sont menées dans des conditions qui ne tiennent pas compte des règles élémentaires de santé publique ni du respect des droits de la population locale. Elles sont ainsi à la base de la pollution de l’air et de la contamination toxique de l’eau entraînant le développement de pathologies souvent inconnues de la population, qui tuent et aggravent la crise de santé publique.
Les populations africaines attendent encore que les pays du Nord reconnaissent le rôle que joue l’Afrique. Ce rôle mérite le financement climatique et de compensation pour les efforts qui sont demandés à sa population dans la préservation environnementale. Si l’on veut que la transition énergétique soit juste et équitable, il serait juste d’appliquer le principe du pollueur-payeur et non du pollué payant.
Partager l'article
global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.