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Se serrer la ceinture, par passion

09.03.2023, Finances et fiscalité

Durant la pandémie, le frein à l'endettement a été déclaré sanctuaire national. Il était vu comme une condition de viabilité financière pour que la Suisse parvienne à surmonter la crise avec succès. Mais est-ce bien le cas ?

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Se serrer la ceinture, par passion

La conseillère féderale Karin Keller-Sutter.
© Raffael Waldner/13Photo

Lors d’une conférence de presse au cours de laquelle elle a présenté les comptes de la Confédération pour 2022 et évalué la situation budgétaire pour les prochaines années, la nouvelle ministre suisse des finances Karin Keller-Sutter a déclaré voilà quelques semaines que les finances fédérales étaient à la peine. L'an dernier, le découvert a été de 4,3 milliards de francs et des déficits importants sont également attendus ces prochaines années. Le Conseil fédéral veut donc faire des économies. Mais à examiner de près les finances fédérales des 20 dernières années et les règles du frein à l'endettement, on constate que c'est avant tout cet instrument qui est en proie à des difficultés.

Qu'est-ce que le frein à l'endettement ?

Il a été introduit en 2003. Conformément à la loi fédérale sur les finances de la Confédération, il vise à maintenir l'équilibre des recettes et des dépenses fédérales sur une période prolongée et à contrer ainsi un endettement croissant. L'Administration fédérale des finances (AFF) écrit : « La pièce maîtresse du frein à l'endettement est constituée par une règle simple : sur l’ensemble d’un cycle conjoncturel, le montant total des dépenses ne doit pas excéder celui des recettes ». Par cycle conjoncturel, on entend généralement une longue période au cours de laquelle une économie nationale passe par divers stades conjoncturels : essor, haute conjoncture, ralentissement, récession, reprise. On pourrait dès lors penser que l'équilibre des recettes et des dépenses doit s'établir sur un tel cycle. C'est en tout cas ce que semble indiquer la phrase susmentionnée de l'AFF. Cela voudrait dire que les années d'excédents, la Confédération verserait de l’argent dans une tirelire, et les années de déficits, elle retirerait les économies accumulées. Sur l'ensemble d'un cycle conjoncturel, le solde de la tirelire devrait alors être égal à zéro. Mais le frein à l'endettement n'est pas une tirelire. La règle des dépenses et les dispositions concrètes relatives au compte de compensation empêchent que ce soit le cas. Le diable des économies se cache dans les détails.

La règle des dépenses

La règle des dépenses incite la Confédération à réaliser des excédents budgétaires les années de forte croissance économique, lorsque les entreprises engrangent des bénéfices importants, que les salaires et la consommation augmentent et que l'État génère donc davantage de recettes fiscales. Dans les années de faible conjoncture, la Confédération peut en revanche enregistrer des déficits. Selon la règle des dépenses, il ne suffit toutefois pas que les excédents (somme positive des recettes moins les dépenses) et les déficits (somme négative des recettes moins les dépenses) s'équilibrent sur l'ensemble d'un cycle conjoncturel. Dans les années fastes, la règle des dépenses oblige à réaliser des excédents. Cela force la Confédération à faire des économies même les années « de vaches grasses » et limite grandement sa marge de manœuvre financière. Si vous pensez dès lors à l'écureuil qui, en été (années de conjoncture favorable), ne mange pas tous les glands qu'il ramasse afin de les réserver pour l'hiver (années de conjoncture morose), car la nourriture se fait alors rare, vous avez tout compris jusqu'ici. Mais il y a un hic : les excédents des années fastes ne doivent pas être mis dans le garde-manger pour être grignotés les mauvaises années, mais affectés à la réduction de la dette. « L’écureuil fédéral » doit donc, en quelque sorte, jeter les glands accumulés aux « sangliers » (les créanciers de la Confédération). Il se met donc au régime pendant les étés cléments, mais doit quand même souffrir de la faim dans les frimas de l’hiver — même si cela ne lui rapporte rien, comme on le verra plus loin.

Le compte de compensation

Le compte de compensation n'est pas un compte à proprement parler. C'est le carnet du lait de la Confédération, mais pas un porte-monnaie. On ne peut donc pas y déposer d'argent. L'Administration fédérale des finances l'appelle « statistique de contrôle comptable ». Les excédents et les déficits budgétaires y sont notés. Si les dépenses réelles à la clôture des comptes d'une année sont inférieures aux dépenses attendues lors de l'établissement du budget, la différence positive est « comptabilisée » sur le compte de compensation. On inscrit alors dans le carnet du lait combien d'argent excédentaire la Confédération a encaissé et consacré à la réduction de la dette. Si les dépenses sont supérieures à ce que l’on attendait, on l’inscrit dans le carnet du lait, si elles sont moins élevées que prévu, on le fait également. En cas de solde négatif des sommes inscrites, ce déficit doit être compensé les années suivantes (la durée précise est laissée ouverte). En d'autres termes, la Confédération doit dégager des excédents au cours des années qui suivent (via des recettes supplémentaires ou en réduisant les dépenses), qui permettront de remettre le compte de compensation à zéro. La réduction de la dette est alors également suspendue jusqu'à ce que le solde du compte en question soit à nouveau positif.

En 20 ans d'existence du frein à l'endettement, le compte de compensation n'a jamais été dans le rouge. La chance y est pour quelque chose : entre 2003 et 2019, l'économie suisse n'a connu que de bonnes, voire de très bonnes années, à l'exception d'une brève récession durant la crise financière de 2008/2009. Ainsi, le solde du compte de compensation était positif de 27,5 milliards de francs fin 2019. Mais justement, cet argent a déjà été entièrement consacré à la réduction de la dette et la tirelire est restée vide. Suite à la crise du coronavirus, le solde du compte de compensation s'est réduit à 21,9 milliards à fin 2022. Mais ce recul n'a pas de conséquences sur le budget fédéral, le solde étant toujours très élevé. En revanche, la dette de la Confédération en francs et en centimes a fondu au fil des vingt dernières années, passant d'un pic de 128 milliards en 2005 à 88 milliards en 2019. En raison du Covid-19, le niveau réel de la dette a de nouveau augmenté ces trois dernières années, mais il est déjà en train de baisser. Comme l'économie a aussi connu une forte croissance, le taux d'endettement (montant de la dette par rapport au PIB) a également baissé.

Depuis 2005, la dette est partie d'un niveau très bas. Selon le Fonds monétaire international (FMI), il est passé d'un peu plus de 30% à moins de 20% (les chiffres de la Confédération indiquent un endettement net encore inférieur). L’endettement actuel de la Suisse est ridiculement bas en comparaison avec ses voisins européens et d'autres puissances financières (cf. graphique).

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© Alliance Sud

Une réduction à un niveau aussi bas, même en comparaison internationale, est en fait totalement inutile en termes de politique financière et économique. Les obligations de la Confédération (les emprunts d'État suisses) sont trop convoitées par les caisses de pension, les fonds de placement et les institutions financières suisses. Inutile pour les investisseurs de craindre le moindre risque de défaut de crédit. Les intérêts débiteurs que la Confédération doit payer pour ses emprunts sont par conséquent très bas, et ce pour des décennies.

Mais du même coup, les règles du frein à l'endettement ont considérablement réduit la marge de manœuvre financière de la Confédération dans les années 2000 et 2010 : la réduction de la dette inscrite dans la loi l’empêchait de mettre de l'argent de côté pour le dépenser ensuite dans des périodes moins favorables (cela aurait constitué la tirelire). Mais ce n’est pas tout, car il existe aussi un compte d'amortissement.

Le compte d’amortissement

Il régit la gestion des recettes et des dépenses extraordinaires de la Confédération. Créé quelques années après l'introduction du frein à l'endettement moyennant une modification de la loi, il comptabilise les recettes et les dépenses extraordinaires, par exemple les recettes de la vente des licences G5 pour le réseau de téléphonie mobile ou les dépenses fédérales  extraordinaires très élevées pour faire face à la pandémie. Si le compte d'amortissement devient négatif, il doit être rétabli dans les six ans avec les excédents du budget ordinaire. Cela pose problème aujourd'hui — du fait des coûts liés au Covid-19 comptabilisés sur le compte d'amortissement —, même si cela semblait différent il y a trois ans. Au début de la crise du coronavirus, en mars 2020, le ministre des finances de l'époque, Ueli Maurer, avait en effet lancé une fable à succès sur la tirelire. Nous étions le 20 mars 2020 et la Suisse était confinée depuis une semaine.

Lors d'une conférence de presse qui fait date, le Conseil fédéral a informé sur la manière dont il entendait préserver l'économie suisse — en état de quasi-paralysie — de l'effondrement : Ueli Maurer a alors posé lui-même la première question (en substance) : « Oui, Mesdames et Messieurs, chers collègues, la Confédération peut-elle vraiment dépenser 42 000 millions, ces 42 milliards, c'est bien la première question à se poser ». Réponse : « Je peux vous assurer que la Confédération est à même de le faire, grâce à notre budget financier très solide, grâce au fait que nous avons réduit la dette ces dernières années, grâce aux excédents que nous avons dégagés, grâce au frein à l'endettement ». Bref, Maurer a affirmé au début de la pandémie que les mesures d'aide sur fond de crise du coronavirus étaient couvertes par des réserves. Le ministre des finances en personne a donc fait croire à l'opinion publique que le frein à l'endettement était une tirelire. Et on l’a cru : dans tout le pays, on a commencé à porter cet instrument aux nues. Les radins de la politique financière et les comptables idéologiques se sont vus confortés dans leur idée : « économise sur la durée et tu auras ce qu’il faut en cas de besoin ». En réalité, les fonds d’aide mobilisés dans la lutte contre la pandémie n'ont pu l’être que parce que la loi sur les finances de la Confédération permet de suspendre le frein à l'endettement en cas d’événements exceptionnels. Ces situations sont réglées dans une disposition d'exception.

La disposition d’exception

L'Administration fédérale des finances écrit : « Dans des situations exceptionnelles (par ex. catastrophes naturelles, graves récessions et autres événements exceptionnels), une dérogation à la règle de base [des dépenses] est possible. ». Et nous en sommes là aujourd'hui. La dette contractée lors de la crise du coronavirus doit être à nouveau réduite. De plus, de nouvelles dépenses supplémentaires ont été décidées (en partie par le Parlement) en raison de la guerre en Ukraine, de la lutte contre l'inflation et de la crise du pouvoir d'achat qui en découle. Si les 27,5 milliards avaient effectivement été glissés dans la tirelire (ou, mieux encore, investis et donc fortement amplifiés), le déficit de 32,8 milliards consécutif au Covid-19 aurait pu être facilement couvert par ce biais. Le taux d'endettement supérieur (qui se serait réduit de lui-même dans les années suivantes vu la croissance attendue du PIB) n'aurait pas eu de conséquences sur la politique financière.

Mais les règles du frein à l'endettement ne l’autorisent pas. Des interventions dans ce sens ont été présentées au Parlement : elles sont restées sans écho. Finalement, une majorité du Parlement a tout de même décidé de compenser la moitié des coûts des aides octroyées dans le contexte de la pandémie avec les excédents inscrits sur le compte de compensation des années précédentes et a prolongé le délai de cette réduction jusqu'en 2035. Les règles du frein à l'endettement empêcheraient en fait une telle compensation des dépenses extraordinaires avec le solde du compte de compensation. Mais en l’occurrence, cela n'a guère préoccupé les parlementaires et ils ont donc simplement formulé, sans hésiter, une exception dictée par la pandémie à la règle d'exception dans la loi sur les finances de la Confédération. Une tirelire partielle extraordinaire, exclusivement dédiée aux dettes liées au Covid-19, a été constituée.

La question de savoir si le frein à l'endettement déclenche une réelle pression pour des économies dépend donc surtout de ce que le Conseil fédéral et le Parlement veulent ou non noter dans leur carnet du lait du frein à l'endettement. Savoir ce qui serait réellement finançable est secondaire. En tout cas, il reste encore 16 milliards de dettes liées à la crise du coronavirus que la Confédération doit réduire d'ici 2035 grâce aux excédents du budget ordinaire. C'est pourquoi le Conseil fédéral n’entend pas délier les cordons de la bourse et veut économiser dans la formation, l'agriculture et la coopération au développement surtout. Autant de domaines hautement nécessaires pour rendre notre société plus écologique, plus sociale et plus sûre, et pour garantir une contribution adéquate de la Suisse à la gestion des crises à répétition dans le Sud mondial. Aujourd’hui, il y aurait effectivement des problèmes plus urgents à régler pour notre pays que de maintenir sa dette publique aussi basse qu'elle l'a été la dernière décennie. Si elle augmentait de 10% du PIB ou d'environ 50 milliards de francs, il n'en résulterait aucun dommage économique, tous les problèmes actuels de politique financière de la Confédération seraient résolus d'un coup et des investissements publics significatifs dans une Suisse sociale, durable et solidaire à l'échelle mondiale seraient sans peine possibles. L'argent serait là, il ne manque « plus que » la volonté politique de le mettre sur la table.

Article, Global

La malédiction du gaz au Mozambique

20.06.2023, Finances et fiscalité

En pleine crise climatique, des méga-projets gaziers sont développés au Mozambique par des grands groupes pétroliers dont TotalEnergies, dont la BNS est actionnaire. Ces projets attisent les conflits et ne bénéficient pas aux populations.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

La malédiction du gaz au Mozambique

Lignes électriques renversées à Macomia, dans le nord du Mozambique, après le passage du cyclone Kenneth en 2019.
© Tommy Trenchard/Panos Pictures

Après la découverte d'immenses réserves de gaz naturel en 2010 au large des côtes de la province de Cabo Delgado au nord du Mozambique, des multinationales du gaz et du pétrole ont échafaudé des projets massifs de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces projets figurent dans le rapport de l’OCDE sur les « financements privés mobilisés en faveur du développement » (vs. aussi global #87, Printemps 2023). Ils comprennent notamment l'extraction en haute-mer (avec un record à 2000 mètres de profondeur !), un gazoduc sous-marin et des usines de traitement à terre, ainsi qu’un terminal d’exportation de GNL. Deux des méga-projets (Rovuma LNG et Coral South FLNG Project) sont l’objet d’un joint-venture entre l'américaine ExxonMobil, l’italienne Eni et l’entreprise publique chinoise CNPC. Le Mozambique LNG Project a pour actionnaire principal et opérateur la société française TotalEnergies, aux côtés de Mitsui (Japon) et d’investisseurs mozambicains, indiens et thaïs. Pour rappel, la Banque national suisse (BNS) détient actuellement quelque USD 620 millions d’actions de TotalEnergies.

Financements publics-privés titanesques

Le montant total des investissements dans les projets GNL au Mozambique est estimé à environ 60 milliards de dollars, soit près de quatre fois plus que le PIB du Mozambique. Selon la Banque africaine de développement (BAD) – un des financiers publics du projet, aux côtés d’agences de crédits à l’exportation (ECA), notamment des Etats-Unis et du Royaume-Uni – ces projets constituent le plus grand investissement étranger direct (FDI) à ce jour et le plus grand financement de projet en Afrique. Ils devraient placer le Mozambique au 3ème rang des fournisseurs mondiaux de GNL et contribuer directement à plus de USD 67 milliards au PIB du Mozambique. Les projets fourniront du gaz pour l’exportation vers l’Europe et l’Asie (Inde et Chine, notamment), mais visent aussi à fournir du GNL pour le développement industriel du pays et de la région de l’Afrique australe.

Outre le Mozambique, le Nigeria, l’Egypte, l’Algérie, ainsi que le Sénégal et la Mauritanie ambitionnent d’augmenter leurs exportations de GLN, notamment vers l’Europe. Les défenseurs du GNL considèrent cette énergie comme essentielle pour permettre la transition énergétique, étant donné qu’il produit 50 % moins d’émission de CO2 que la production d’énergie à base de charbon. A l’inverse, dans son rapport Net Zero by 2050, publié en mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) appelait à mettre fin immédiatement aux investissements dans la production d’énergie fossile, pour permettre de ramener les émissions mondiales de dioxyde de carbone liées à l'énergie à un niveau net nul d'ici à 2050, afin de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C.

Insurrection islamiste et malédiction des ressources naturelles

La province de Cabo Delgado est l'une des régions les plus pauvres du pays. Touchée par des cyclones et des inondations qui ont encore aggravé la pauvreté et l'insécurité alimentaire, la région est en outre victime d’une insurrection contre le gouvernement mozambicain, aux causes multiples, mais qui peut être liée à l’extraction des ressources naturelles de la région. Les groupes armés, dont certains ont des liens à des organisations terroristes telles que l'État islamique, ont mené des attaques violentes contre les communautés locales, les forces de sécurité et les infrastructures gazières. Selon les estimations de l’ONU, plus de 700 000 personnes ont été déplacées dans la région depuis le début de l'insurrection.

Pour venir en aide aux populations touchées par le conflit, la communauté internationale a offert de l’assistance humanitaire. En février dernier, le président de la Confédération Alain Berset a visité avec son homologue mozambicain Filipe Jacinto Nyusi un camp de réfugiés et des projets de la DDC dans la province. Le Mozambique est un pays prioritaire de la coopération suisse depuis 1979.

De son côté, l'UE a notamment augmenté son soutien financier aux forces de défense du Rwanda présentes au Mozambique, pour s'assurer que les projets gaziers soient mis en service dès que possible, afin de réduire la dépendance de l’UE au gaz russe.

La Banque nationale suisse, actionnaire de TotalEnergies

Outre ses opérations au Mozambique, TotalEnergies prévoit de construire un oléoduc de plusde 1 400 km appelé EACOP à travers la Tanzanie et l’Ouganda, qui menace les moyens de subsistance de milliers de personnes ainsi que l’environnement. Lors de sa récente assemblée annuelle, l’Alliance climatique suisse, dont Alliance Sud est membre, a notamment demandé avec d’autres ONG regroupées au sein de la « coalition BNS » un désinvestissement de tous les actifs fossiles et que les politiques de placement, monétaire et de change de la BNS soient alignées sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Des représentants d’ONG tanzaniennes ont demandé à la direction de la BNS de vendre immédiatement sa participation dans TotalEnergies.

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Communiqué

Combattre efficacement la faim dans le monde

29.01.2016, Finances et fiscalité

Malgré une production suffisante de denrées alimentaires, 800 millions souffrent toujours et encore de la faim. L’initiative contre la spéculation alimentaire propose des mesures contre ce scandale.

Combattre efficacement la faim dans le monde

© Erich Westendarp / pixelio.de

Publication

Projet fiscal et financement de l’AVS (RFFA)

22.01.2019, Finances et fiscalité

Le 19 mai on votera sur la réforme de l'imposition des entreprises, que le Parlement a liée au financement supplémentaire de l'AVS. Du point de vue du développement, la proposition ne représente presque aucun pogrès par rapport à la RIE III.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Projet fiscal et financement de l’AVS (RFFA)

Le mélange par le Parlement de deux sujets sans rapport - la fiscalité des entreprises et le financement de l'AVS - est largement qualifié de marchandage.
© Pixabay

Après l’aboutissement du referendum contre la Réforme fiscale et le financement de l’AVS, les électeurs se prononceront à nouveau sur la réforme de l'imposition des entreprises, en suspens. L'analyse de la politique fiscale d'Alliance Sud montre que du point de vue du développement, la proposition n'apporte pas de progrès significatif par rapport à la réforme de l'imposition des entreprises III (RIE III), qui a été rejetée il y a deux ans. Une fois de plus, il est prévu de remplacer les anciens régimes fiscaux spéciaux, qui nuisent au développement, par de nouveaux.

La proposition actuelle vise à mettre l'imposition suisse des sociétés dans une forme internationalement acceptée et à abolir définitivement les anciens régimes fiscaux spéciaux, réservés exclusivement aux bénéfices des groupes étrangers imposés en Suisse. C'est une bonne chose du point de vue du développement. En même temps, cependant, elle crée de nouvelles possibilités pour les multinationales de transférer leurs profits. En déplaçant les bénéfices vers des pays à faible fiscalité comme la Suisse, les entreprises privent les pays en développement d'une assiette fiscale potentielle estimée à 200 milliards de dollars par an.

L'analyse détaillée par Alliance Sud du nouveau véhicule de dumping fiscal de la Réforme fiscale et financement de l’AVS montre que la nouvelle politique fiscale suisse envisagée n'est pas compatible avec les Objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 de l'ONU. En tant que pays ayant la plus forte densité de sièges sociaux des multinationales par habitant, la Suisse a une responsabilité particulière dans la lutte contre les inégalités sociales dans le monde et pour le financement adéquat de l'Agenda 2030.

En raison du dumping fiscal de juridictions à faible fiscalité comme la Suisse, l'impôt sur les sociétés est en baisse dans le monde entier depuis des décennies. Cela empêche de fournir les services publics de santé, d'éducation ou d'infrastructure les plus urgents aux groupes défavorisés de la population dans les pays en développement. La Suisse n'est pas un parasite dans le train qui entraîne dans l'abîme la fiscalité internationale des entreprises  - c'est plutôt l'une des locomotives et elle le restera avec la Réforme fiscale et financement de l’AVS.

Malgré les lacunes considérables de la partie fiscale du projet de loi, Alliance Sud s'abstient de donner des indications de vote sur la Réforme fiscale et le financement de l’AVS. La partie AVS du projet de loi porte sur une question de politique intérieure qui dépasse le mandat de politique de développement de l'organisation. En même temps, les membres d’Alliance Sud ont des avis divergents sur la question de savoir dans quelle mesure une réforme de l'imposition des entreprises qui soit juste du point de vue du développement est également possible au-delà de la proposition actuelle. Mais il est clair qu'une telle réforme reste nécessaire quel que soit le résultat du vote de mai.

Communiqué

RFFA: vieilles failles – nouvelles étiquettes

08.04.2019, Finances et fiscalité

Le 19 mai, les électeurs se prononcent sur la « réforme fiscale et financement de l’AVS » (RFFA). Le volet fiscal du projet de loi ne représente aucun progrès en matière de politique de développement par rapport à la RIE III.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

+41 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch
RFFA: vieilles failles – nouvelles étiquettes

Une affaire au détriment du Sud.
© Pixabay

La réforme de l'imposition des entreprises (RIE III) a été clairement rejetée en février 2017 grâce à la résistance des syndicats et des partis rouges-verts aux urnes. La partie fiscale de la RFFA – comme c'était déjà l'objectif de la RIE III – con­siste désormais à remplacer les anciens privilèges fiscaux spéciaux accordés aux entreprises des secteurs pharmaceutique, financier et des matières premières, qui doivent être abolis d'ici fin 2019, par de nouvelles incitations à la fraude fiscale. La boîte à brevets, l'impôt sur les bénéfices ajusté en fonction des intérêts ou l'indication des réserves latentes en cas d'immigration doivent être utilisés comme nouveaux instruments.

Dominik Gross, expert financier chez Alliance Sud, déclare : « Avec la RFFA, la Suisse veut continuer à importer des profits des multinationales étrangères. Les mécanismes correspondants recevront simplement de nouveaux noms. » Ce sont les pays en développement qui en subissent le plus les conséquences : les transferts de bénéfices des multinationales vers des juridictions à faible fiscalité comme la Suisse privent les communautés du monde entier de centaines de milliards de dollars de recettes fiscales potentielles chaque année. Dominik Gross : « C'est de l'argent qui serait nécessaire d'urgence pour lutter contre la pauvreté dans les pays du Sud ou pour la transition vers des infra­structures respectueuse du climat. »

Dans son document d’analyse détaillée sur la RFFA, Alliance Sud met en lumière les points suivants dans une perspective de développement :

  • Les anciens privilèges fiscaux accordés aux multinationales ne seront plus tolérés par l'UE et l'OCDE à partir de 2020. Ils devront être abolis d'ici la fin de l'année, quel que soit le résul­tat du vote sur la RFFA. Charles Juillard, président de la Conférence des directeurs financiers cantonaux, a déclaré à Radio RSF que le Département fédéral des finances l'avait récemment confirmé.
  • L'alternative la plus probable à la RFFA serait un mini-modèle sans nouveaux privilèges, comme le PDC l'avait déjà proposé lors de la consultation sur la proposition fiscale 17 de l'époque – avant de la lier au financement AVS.
  • Les nouvelles déductions fiscales sur les gains de brevets dans le cadre de la boîte à bre­vets sont difficiles à calculer. Selon les informations de l'administration fédérale, elles entraî­neront une réduction maximale de 70 % du bénéfice imposable et permettront ainsi d'atteindre un taux effectif d'imposition de seulement 9 %. La Suisse resterait ainsi une locomotive de la concur­rence fiscale internationale, ruineuse pour la population.
  • Le couplage de l'impôt sur le bénéfice ajusté en fonction des intérêts à un taux d'imposition minimum cantonal n'a aucun effet sur le développement. Pour les Etats dont les recettes fis­cales sont déduites, il importe peu que les bénéfices des sociétés correspondantes soient trans­férés dans différents cantons suisses ou qu'ils soient tous concentrés dans quelques cantons (pour l'instant, cela ne serait possible qu'à Zurich).
  • La nouvelle règle de remboursement en vertu du principe de l'apport en capital (PAC) ne s'applique pas lorsque les actionnaires concernés sont des personnes morales. Les réser­ves issues du capital d'une société qui s'installe en Suisse ou d'une filiale d'un groupe étranger après le 24 février 2008 (introduction de la PAC) sont également exemptées de la règle de rem­boursement. Dans tous ces cas, même après l'introduction de la RFFA, les sociétés peuvent ainsi rembourser à leurs actionnaires - en particulier aux actionnaires étrangers - leurs réserves de capi­taux à investir en toute exonération fiscale et continuer ainsi à éviter complètement l'imposition des dividendes en Suisse.
  • En augmentant sensiblement la part de l'impôt fédéral direct du canton, la Confédération subventionne des réductions d'impôts massives pour toutes les entreprises cantonales selon le principe de l'arrosoir. Cela donne un nouvel élan à la spirale descendante des taux d'imposition normaux dans la concurrence fiscale inter cantonale. Etant donné que les cantons sont également impliqués individuellement dans la « course internationale vers le bas », cette mesure est également préjudiciable à la politique de développement. En avril 2018, la Confédé­ration suisse des syndicats a supposé que le taux moyen de l'impôt cantonal sur les bénéfices serait réduit de 40 % à la suite de la proposition fiscale. La RFFA n'y change rien. La boîte à bre­vets et l'impôt sur les bénéfices ajusté en fonction des intérêts n'entravent pas cette spirale des­cendante – contrairement à ce que l'on prétend souvent. C'est ce que montrent les concepts de mise en œuvre de la RFFA de nombreux cantons.

Article

« Les inégalités sont enracinées dans le système »

21.06.2021, Finances et fiscalité, Agenda 2030

Stefano Zamagni, professeur d'économie italien et président de l'Académie pontificale des sciences sociales, explique dans une interview pourquoi un nouveau départ avec l'économie civile ne peut plus être reporté.

« Les inégalités sont enracinées dans le système »

En 2009, Stefano Zamagni (à droite) et plusieurs cardinaux présentent l'encyclique papale « Caritas in Veritate » : elle appelle les milieux économiques à prendre les besoins des plus pauvres en compte.
© Vincenzo Pinto / AFP210

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Sud global doit bénéficier des recettes fiscales

10.03.2022, Finances et fiscalité

Pour la Suisse, l’introduction de l'imposition minimale de l'OCDE engendrera des recettes fiscales supplémentaires sur les bénéfices des grandes entreprises multinationales (EMN). Une partie de ces bénéfices est générée dans des pays pauvres, mais imposée chez nous. Alliance Sud demande donc au Conseil fédéral et au Parlement de veiller à ce que notre pays reverse une partie de ces recettes aux pays producteurs pauvres où opèrent les EMN — sinon, Alliance Sud envisage de donner une consigne de vote négative lors du scrutin populaire de juin 2023.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Sud global doit bénéficier des recettes fiscales

Source : KPMG’s « Clarity on Swiss Taxes » report 2021
© Alliance Sud / global

Centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, Alliance Sud salue l'intention du Conseil fédéral de mettre en œuvre en Suisse la nouvelle imposition minimale de l'OCDE applicable aux EMN. Notre pays contribuerait ainsi à freiner la concurrence néfaste en matière d’imposition des EMN, tant au plan international qu'entre les cantons.

Comme le montre la prise de position d’Alliance Sud, les pays pauvres du Sud global ne profiteront pas de cette nouvelle donne. Pour les groupes suisses de matières premières en particulier, il restera intéressant, même avec l'imposition minimale, de pratiquer le dumping fiscal en Suisse sur le dos des plus pauvres de la planète. Pour deux raisons, selon Dominik Gross, expert en politique fiscale chez Alliance Sud : « Le taux d'imposition minimal de 15% est beaucoup trop bas. Les pays producteurs de matières premières du Sud global appliquent des taux d'imposition des bénéfices compris entre 25% et 35% ». Vu cette différence, les EMN continueront de ne pas déclarer leurs bénéfices là où elles extraient leur nickel ou produisent leur huile de palme, mais dans les cantons suisses à faible imposition, où réside leur management et où elles paient beaucoup moins d'impôts malgré l'imposition minimale. « Les pays en développement dans lesquels les EMN ont des filiales ne pourraient en outre profiter de l'imposition minimale que si les pays prospères comme la Suisse, dans lesquels elles ont leurs sociétés mères, y renoncent. Quelle discrimination flagrante ! », s’indigne Dominik Gross. L’introduction de l'impôt minimal fera que des cantons comme Zoug ou Genève généreront encore plus de recettes fiscales issues des bénéfices des EMN qui font leurs profits dans des pays ayant un urgent besoin de recettes fiscales additionnelles.

Des transferts de bénéfices sur le dos des plus pauvres

Dans un rapport publié en octobre dernier, Alliance Sud et d’autres ONG ont montré comment le groupe Socfin, producteur d'huile de palme et de caoutchouc, viole les droits du travail et les droits fonciers au Libéria et en Sierra Leone, comme à l'époque coloniale, tout en économisant des impôts à Fribourg. Récemment, le groupe minier Solway, dont le siège est implanté dans le paradis fiscal de Zoug, a fait la une des journaux pour avoir pollué l'eau et l'air autour de sa mine de nickel au Guatemala et pour avoir tenté de dissimuler l’impact de ces pollutions.

Conclusion de Dominik Gross : « Il est inacceptable que les cantons suisses perçoivent encore des recettes fiscales supplémentaires grâce à de telles sales affaires. Ces recettes appartiennent aux pays de production où opèrent les EMN, afin qu’ils puissent bâtir une économie plus sociale et plus écologique. »

Complément d’information :
Dominik Gross, expert en politique fiscale et financière chez Alliance Sud, tél. +41 78 838 40 79

Papier de position :
Mise en œuvre de l'imposition minimale de l'OCDE pour les grandes entreprises multinationales en Suisse : le point de vue d'Alliance Sud

Article

Crise de la dette : droit dans le mur

17.03.2022, Finances et fiscalité

La pandémie de coronavirus provoque une crise mondiale de la dette. Les pays pauvres du Sud sont particulièrement touchés. Leur situation ne cesse d’empirer en dépit des quelques efforts d’allègement multilatéraux.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Crise de la dette : droit dans le mur

© Philip Bürli

La pandémie de coronavirus provoque une crise mondiale de la dette. Les pays pauvres du Sud sont particulièrement touchés. Leur situation ne cesse d’empirer en dépit des quelques efforts d’allègement multilatéraux consentis au cours des deux dernières années. La Suisse doit elle aussi jouer un rôle actif dans la gestion de cette crise. Dominik Gross

L’apparition de la pandémie de coronavirus voilà deux ans a remis la question de l’endettement au centre des débats de politique de développement. Que cette question donne lieu à l’une des discussions politiques majeures dans la lutte contre les inégalités mondiales n'a toutefois rien de nouveau. Nul n’ignore non plus qu'un changement fondamental dans la gestion politique de la dette publique est nécessaire pour orienter les économies de la planète vers le développement de sociétés plus écologiques, plus sociales et plus démocratiques. Mais, comme souvent, une prise de conscience n'est pas une condition suffisante pour amener des changements pratiques : selon le rapport annuel sur l’endettement des pays du Sud des ONG allemandes Misereor et erlassjahr.de, 135 des 148 pays sous étude présentent aujourd'hui un endettement problématique. Trente-neuf d'entre eux sont gravement menacés de faillite. Parmi eux figurent des pays de tous les groupes de revenus et leur nombre a quadruplé depuis le début de la pandémie.

Contrairement aux nations prospères du Nord, qui s'endettent généralement dans leur propre monnaie et conservent une certaine flexibilité dans la gestion de leur dette via leurs institutions financières et fiscales (notamment les banques centrales), les pays pauvres s'endettent en général dans des devises étrangères comme le dollar américain ou le renminbi chinois. En raison de leurs économies plus faibles, les nations pauvres paient en outre des taux d'intérêt bien supérieurs sur les marchés financiers en comparaison avec les pays riches – près de 5% en général. En revanche, la Suisse ou l'Allemagne ont pu contracter de nouvelles dettes pratiquement sans frais ces dernières années.
Sans remises de dettes, les pays pauvres ne peuvent guère se sortir du piège de l'endettement. Mais il faut en amont se poser la question politique de savoir qui doit supporter les coûts des pertes de crédit correspondantes : la population qui, en raison des mesures d'austérité prises par l'État pour réduire la dette, est confrontée à une dégradation des systèmes publics de santé, d'éducation et d'infrastructure et a moins d'argent pour vivre, ou les créanciers contraints de renoncer à des rendements et d’accepter des pertes sur leurs fonds propres.

L'épée de Damoclès de la politique d'endettement n’est pas écartée

Dans le cas de la crise de la dette publique actuelle dans le Sud, les pays du G20, en collaboration avec le FMI et la Banque mondiale (BM), n'ont cessé de donner la même réponse au fil des dix-huit derniers mois : les sociétés des pays concernés doivent payer pour cette crise et non pas les bailleurs de fonds. Certes, plusieurs initiatives - notamment le Fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes (fonds fiduciaire ARC ; catastrophe containment and relief trust, CCRT) du FMI et l’Initiative de suspension du service de la dette (ISSD ; debt service suspension initiative, DSSI) des pays du G20 - ont été lancées dans le cadre de ces institutions multilatérales depuis l'éclatement de la crise du coronavirus, dont certaines ont permis de remédier un peu, à court terme, à la situation des États endettés. On ne peut toutefois pas véritablement parler d’issues à la crise de la dette.

Le FMI a créé le fonds fiduciaire ARC en 2010 et a réagi à la crise du coronavirus en l’étendant à 29 pays à faible revenu. Jusqu'en avril de cette année, le fonds fiduciaire ARC prend en charge tous les paiements dus par ces pays au FMI. L’ISSD a été créée par les pays du G20 après l'éclatement de la crise du coronavirus au printemps 2020. Elle offre un moratoire sur la dette aux 73 pays les plus pauvres de la planète qui remplissent les critères d'octroi de prêts de l'Association internationale de développement (l’AID, qui fait partie de la Banque mondiale) : les pays qui ont eu recours à l’ISSD ont pu suspendre leurs paiements aux créanciers bilatéraux (donc à d'autres États) en 2020 et 2021. Ils devront toutefois rattraper ces paiements entre 2023 et 2027. Alors que le fonds fiduciaire ARC n'englobe qu'un cercle très étroit de pays et n'apporte que très ponctuellement certains allègements de la dette vis-à-vis du FMI, l’ISSD ne fait que repousser le problème. Pour les pays concernés, elle a certes été utile pour gagner une certaine marge de manœuvre financière pour la gestion immédiate de la pandémie. Le problème est loin d'être résolu, comme le souligne le rapport sur l’endettement de Misereor et erlassjahr.de. On y apprend qu’en 2020, 58 pays à revenu national faible ou moyen ont payé plus d'intérêts et de principal à des créanciers privés à l'étranger qu'ils n'ont reçu de nouveaux crédits de ces derniers durant la même période.

La combinaison des moratoires sur les dettes publiques et multilatérales et le refus des créanciers privés, comme les banques et les négociants en matières premières, de participer à l'allègement de la dette ont pour effet de transférer les créances privées sur les budgets publics. Parallèlement, selon les auteurs du rapport en question, le répit offert par le moratoire sur la dette de l’ISSD du G20 et les aides massives en liquidités n'a pas été mis à profit pour entreprendre les réformes attendues de la structure de la dette.

Faillites d’États : avec « l’aide » de la Suisse

La Suisse a une responsabilité particulière dans la gestion de la crise de la dette comme le montre un coup de projecteur sur trois pays du Sud pour lesquels la faillite publique est déjà un fait. Ils ne peuvent plus assurer le service de leur dette avec les ressources de leur propre budget national et dépendent donc de l'aide du FMI ou de la BM, ou d’un renoncement des créanciers à leurs créances.

  • Au Tchad, le seul créancier privé s'appelle Glencore. Le groupe international spécialisé dans les matières premières effectue la plupart de ses transactions, dont les prêts adossés aux ressources naturelles (resource-backed loans, RBL), par l'intermédiaire du canton de Zoug. Dans le cas des RBL, les pays producteurs de matières premières promettent aux négociants des livraisons futures via des contrats à terme ; en contrepartie, ils reçoivent des négociants des paiements anticipés pour les quantités concernées, à un prix déterminé, sous forme de crédits. Même si David Malpass, le directeur de la BM, a lui-même appelé Glencore au printemps 2021 à accorder un allègement de la dette au Tchad, le groupe zougois n'a pas encore réagi.
  • Jusqu’ici, la Zambie faisait également partie des principaux sites d'extraction de matières premières de Glencore. Or on sait que l'évasion fiscale massive fait partie de ses activités, au détriment du budget de l'État zambien et au profit du fisc helvétique.
  • Au Mozambique, des opérations de crédit illégales avec Credit Suisse sont même les premières responsables de la faillite publique : destinés à la construction d'une flotte de pêche semi-publique, les crédits ont fini dans les poches des élites économiques et politiques locales.

Ces trois États sont des pays prioritaires de la Direction du développement et de la coopération (DDC). Les affaires de grandes multinationales suisses, avec lesquelles la Confédération collabore également à l'étranger dans le cadre de sa politique économique extérieure, sapent la crédibilité de l'engagement suisse en faveur du développement durable. La Confédération serait bien inspirée d’utiliser les bonnes relations qu'elle entretient sans doute avec ces entreprises pour les inciter à participer au désendettement nécessaire.

Publication

Imposition minimale : prendre pour recevoir

23.02.2023, Finances et fiscalité

L'OCDE entendait rendre le système fiscal international appliqué aux grandes entreprises multinationales (EMN) un peu plus équitable. Le Conseil national et le Conseil des États ont transformé cette intention en son contraire.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Imposition minimale : prendre pour recevoir

La mise en œuvre par la Suisse de l'imposition minimale de l'OCDE est dans l'intérêt des multinationales, mais pas dans celui des pays du Sud. Sur la photo : l'ancien conseiller fédéral Ueli Maurer, à droite, et le vice-chancelier Andre Simonazzi.
© ANTHONY ANEX / Keystone SDA

Techniquement, l'impôt minimal est sans aucun doute très complexe, mais d'un strict point de vue de politique intérieure, son calcul est des plus simples. L'ancien ministre suisse des finances Ueli Maurer avait d'ailleurs très vite fait ce calcul lorsque le Conseil fédéral avait présenté le projet d’application nationale de l'imposition minimale en juin dernier : « Si la Suisse ne prend pas l'argent supplémentaire, d'autres s’en saisiront », avait-il lâché. Ceux qui, comme Alliance Sud, s'engagent pour une plus grande justice fiscale planétaire, doivent toutefois faire le calcul tout à fait inverse : les pays du Sud global qui accueillent des filiales d'EMN suisses ne reçoivent l'argent supplémentaire que si la Suisse ne le prend pas.

La pièce maîtresse de la mise en œuvre de l'imposition minimale en Suisse est ce que l'on appelle un impôt national complémentaire (Domestic Minimum Top-up tax, DMTT, dans le jargon de l’OCDE). Celui-ci veille à ce que les EMN qui payaient jusqu'ici moins de 15% d'impôts sur leurs bénéfices comptabilisés en Suisse soient désormais soumises à des pourcentages d'imposition supplémentaires qui porteront à l'avenir les taux d'imposition effectifs au minimum de 15 % de l'OCDE. Un exemple : une EMN active dans les matières premières du canton de Zoug payait jusqu'à présent 11 % d'impôt sur le bénéfice. À l'avenir, elle devra verser la différence de 4 % en plus. Rien à redire jusque-là. Mais, du point de vue de la politique de développement, cet impôt national pose un gros problème : la totalité des recettes fiscales supplémentaires reste dans le canton de Zoug, où l’EMN en question a son siège.

Les pays du Sud global, où l’EMN exploite ses matières premières qu'elle négocie ensuite depuis Zoug, ne reçoivent rien. De façon injuste, car les bénéfices que les EMN imposent en Suisse n'ont souvent pas été réalisés ici, mais dans les pays producteurs du Sud mondial — par exemple, pour une EMN de matières premières, dans une mine de cuivre d'un pays africain. Les pays du Sud global dans lesquels les EMN suisses ont des filiales ne reçoivent l'argent de l'imposition minimale que si la Suisse ne le prend pas. Autrement dit, dans la mesure où la Suisse n'introduit pas l'impôt complémentaire national. Or la Suisse pourrait le faire sans problème, car à la différence de la dernière réforme internationale de l'imposition des entreprises, l'OCDE, le G20 et l'UE ne misent pas, cette fois-ci, sur des sanctions à l'encontre des pays qui ne suivent pas le mouvement, mais sur les incitations économiques qu'Ueli Maurer a si bien résumées dans la citation ci-dessus.

L’application faite par la Suisse ne contribue pas à une plus grande justice fiscale mondiale

Pour les pays économiquement défavorisés du Sud, dans lesquels opèrent des EMN helvétiques, l'imposition minimale ne constitue pas un progrès, mais plutôt un recul, pour les raisons suivantes :

a) Le taux d'imposition minimale est fixé bien trop bas: les taux d'imposition des bénéfices dans les pays producteurs du Sud global se situent en règle générale entre 25 % et 35 %. Bien plus bas, l’impôt minimal de 15 %, ne leur assure pas de recettes fiscales supplémentaires. Au printemps 2021, les États-Unis, sous la nouvelle houlette démocratique de Joe Biden, avaient encore exigé un taux d'imposition minimum de 21 %. Par la suite, la Suisse a négocié avec succès ce taux à la baisse avec d'autres pays fiscalement cléments comme l'Irlande et le Luxembourg. C'est ce que montre une lettre d'Ueli Maurer envoyée au secrétaire général de l'OCDE Mathias Cormann à l'automne 2021.

b) L'imposition minimale n'empêche pas les transferts de bénéfices: les EMN transfèrent les bénéfices qu'elles réalisent en produisant dans des pays à forte imposition vers des pays à faible imposition pratiquant des taux de taxation très cléments. Elles font ainsi de grosses économies d’impôts dans les pays de production, mais permettent en même temps aux cantons suisses de taxer à de faibles taux des bénéfices qui n'ont pas été réalisés en Suisse. C'est ce que montre par exemple le cas du négociant en matières premières agricoles helvético-luxembourgeois Socfin. En outre, des analyses d'économistes menées par le professeur Gabriel Zucman de Standford montrent que les EMN ont transféré 111 milliards de dollars de bénéfices en Suisse l’année dernière. 39 % des recettes totales de l'impôt sur les bénéfices dans notre pays, soit 22,7 milliards de dollars, proviennent de tels transferts. Et ce calcul n’inclut même pas les transferts de nombreux pays du Sud mondial, car les données nécessaires à de tels calculs font défaut. Des cas comme celui de Socfin à Fribourg, mentionné plus haut, montrent cependant qu'il est fort probable que les montants de ces transferts de bénéfices soient encore bien supérieurs. Il ressort d'une étude réalisée en 2019 par les économistes Petr Janský et Miroslav Palanský qu'au moins 80 milliards d'euros de bénéfices sont transférés chaque année des pays en développement vers des pays fiscalement cléments comme la Suisse. Il est toutefois impossible de dire à ce jour quelle part exacte de cet argent arrive en Suisse, en raison des problèmes de données mentionnés dans les pays d'origine et du manque de transparence des normes comptables helvétiques. Même avec l'introduction de l'imposition minimale, la Suisse reste aussi attractive que par le passé en tant que pays de destination des transferts de bénéfices en provenance des pays en développement.

c) L’imposition minimale réduit l'autonomie fiscale des pays du Sud: les pays du Sud qui introduisent l'imposition minimale sont limités dans l'élaboration de leurs propres lois fiscales. S'ils introduisent également l'imposition minimale, ils ne pourront plus appliquer de mesures unilatérales, comme une retenue à la source sur les paiements transfrontaliers intragroupes supérieure à 9% (c'est le seuil encore autorisé selon les nouvelles règles de l'OCDE). Les retenues à la source avec des taux d'imposition qui se situent dans la fourchette de l'imposition régulière des entreprises dans ces pays (en général plus de 20%) sont pourtant un moyen éprouvé de lutter contre les transferts de bénéfices. Si l’application de ces retenues est limitée, cela entraîne des pertes fiscales supplémentaires dans les pays concernés. En revanche, au cas où ces pays n'introduisent pas l'imposition minimale pour ces raisons, ils doivent accepter que la Suisse prélève la totalité du substrat fiscal supplémentaire découlant de l'imposition minimale. La pression sur ces pays augmente ainsi pour qu'ils abaissent les taux d'imposition qu’ils appliquent aux multinationales afin de réduire l'écart avec les taux d'imposition en Suisse, ainsi que dans d'autres pays fiscalement cléments, et de diminuer ainsi l'incitation à transférer des bénéfices : la « course vers le bas » se muerait en une « course vers le minimum ».
 

Mesures de promotion économique en faveur des EMN bénéficiant de recettes fiscales minimales

Selon la volonté du Parlement, seuls 25 % des recettes supplémentaires provenant de l'imposition minimale doivent rester à la Confédération. Les 75 % restants vont aux cantons. Ce sont surtout les deux juridictions à faible imposition de Zoug (négociants en matières premières) et de Bâle-Ville (industrie pharmaceutique) qui en profiteront. Le mode d’utilisation des recettes supplémentaires est déjà clair. Selon l'arrêté fédéral, les recettes de la Confédération doivent être explicitement utilisées pour des mesures de promotion économique. De nombreux cantons ont également déjà annoncé de telles mesures, probablement sous la forme d'une réduction des impôts sur le capital ou sur les personnes physiques à hauts revenus surtout, à savoir les managers d’EMN. On discute également de nouveaux arrangements spéciaux entre les autorités fiscales cantonales et les EMN, dans le cadre desquels l'État prend en charge une partie des frais d'exploitation de ces dernières, de mesures d'encouragement de la recherche pour les jeunes pousses (proches de l'industrie pharmaceutique, à Bâle) voire de subventions directes des salaires dans les EMN.

Pour résumer : en Suisse, les recettes supplémentaires issues de l'imposition minimale ne doivent pas être utilisées en faveur de la collectivité, comme le demandait la gauche au Parlement, mais reversées aux EMN. Des recettes supplémentaires, notons-le, qui résultent généralement de transferts de bénéfices des EMN depuis des pays où les taux d'imposition sont supérieurs à 20 ou 25 %. Du point de vue des EMN, le mode de faire est des plus rusés : les recettes fiscales que les EMN suisses subtilisent à d'autres pays en transférant leurs bénéfices dans nos frontières et en les y faisant imposer à des taux bien plus bas doivent désormais être réutilisées chez nous, au profit de ces EMN précisément. Il n'est donc pas étonnant que les regroupements d’entreprises comme Economiesuisse ou Swiss Holdings tiennent absolument à cette réforme, même si, à première vue, leurs membres doivent être davantage taxés qu'auparavant.

Des lacunes fiscales sapent encore davantage l'imposition minimale

Mais ce n'est pas tout : le concept d’application de l'imposition minimale, tel que le Conseil fédéral l'a présenté au Parlement, laisse aussi beaucoup de place aux échappatoires fiscales. Le Conseil national et le Conseil des États ne se sont pas non plus préoccupés de ces dernières au cours des derniers mois. Il existe donc un certain risque que, contre toute attente, l'imposition minimale n'entraîne pas de recettes supplémentaires significatives en Suisse. On peut donc soupçonner la majorité bourgeoise à Berne de vouloir introduire cette imposition avant tout pour protéger les EMN suisses d'une imposition supplémentaire dans d'autres pays.

En fin de compte, cette évolution se fait au détriment de la population suisse et de celle du monde entier : les EMN suisses dans les pays pauvres du Sud mondial ne font pas qu’exploiter la main-d'œuvre ou polluer l'environnement, elles empêchent encore la mise en place de systèmes d'éducation, de santé et d'infrastructure fonctionnels du fait du dumping fiscal qu'elles y pratiquent. Le droit suisse de la fiscalité des entreprises leur vient résolument en aide. Alliance Sud ne peut pas accepter une nouvelle réforme de l'imposition des EMN, qui en fin de compte profiterait surtout à ces dernières. Elle nuit directement aux pays en développement. La Suisse devrait bien plutôt renoncer à introduire l’imposition minimale, donnant ainsi aux pays producteurs où opèrent des EMN suisses la possibilité de les taxer comme ils l'entendent. Alliance Sud refuse donc la modification constitutionnelle correspondante, qui sera soumise au vote le 18 juin.

Article

Credit Suisse et les pays du Sud

24.03.2023, Finances et fiscalité

Quel est le rapport entre le Pakistan et une banque de la Silicon Valley qui investit les fonds à court terme de ses clients dans des titres à long terme dont la valeur baisse lorsque les taux d'intérêt augmentent ?

Credit Suisse et les pays du Sud

La presse mozambicaine s'est également fait l'écho de l'effondrement du CS. Au Mozambique, la banque suisse a causé de gros dégâts par le passé.
© O Pais

Quel est le lien entre la Bolivie et une banque en Suisse qui multiplie les scandales depuis plus d’une décennie ? Exact, il n’y en a aucun ! Mais ces deux pays souffrent quand même de ces réalités.

Credit Suisse s'est donc écroulé dans les bras d’UBS et la crise bancaire américaine et européenne marque une pause. Ses conséquences se feront sentir encore longtemps dans le Sud parce que les investisseurs du Nord évitent désormais les emprunts d'État des pays du Sud fortement endettés. Lorsque ça grince ou craque dans la charpente des marchés financiers mondiaux, il se passe toujours la même chose : les investisseurs s'étonnent de constater que des risques existent. Ils exigent des rendements supérieurs pour des placements plus à risques, qu'ils soient réels ou redoutés, ou font immédiatement la grève des achats. Un trader de Londres cité par Bloomberg a déclaré que l'appétit du risque pour les crédits en difficulté des marchés émergents s'était effondré, le marché les considérant comme les maillons les plus faibles et les plus susceptibles de subir un arrêt brutal (« Risk appetite for distressed emerging-market credit has collapsed as the market looks at these guys as the weakest links and highly susceptible to a sudden stop »). Cette réaction peut entraîner des faillites d'État. Ou alors, les pays doivent offrir des rendements supérieurs sur leurs obligations d'État pour trouver des acheteurs. Ils devront donc se saigner à blanc encore longtemps à l’avenir

Les banques comme Credit Suisse, qui poussent les pays en crise vers l'abîme, sont les mêmes qui, avec leur gestion de fortune, proposent aux prospères clients d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine des solutions sur mesure pour pratiquer l'évasion fiscale. Ironie de l'histoire : c'est précisément ce type de banque privée qui, au plus tard après l'effondrement de Credit Suisse, est à nouveau considéré comme la future voie royale pour la place financière suisse : « retour à la case départ » et « sortie du casino financier des banquiers d'investissement », telles sont les devises actuelles du nouveau mastodonte UBS, du moins vis-à-vis de l'extérieur. Pour les millionnaires des pays du Sud qui n'ont pas d'échange automatique de renseignements (EAR) avec la Suisse, la Paradeplatz reste un endroit à part. Pour eux, le bon vieux secret bancaire est toujours d'actualité.

Reste aussi à voir si UBS entend sérieusement sortir du casino et faire des affaires sans risque. Le Financial Times a ainsi rapporté qu’elle souhaitait revenir sur la vente, déjà décidée par Credit Suisse, de la banque d'investissement First Boston. D'une manière générale, le risque est toujours une question de point de vue. La banque d'investissement d'UBS au Brésil, gérée conjointement avec la banque publique Banco do Brasil, est très impliquée dans les affaires de l'industrie carnée et de l'agro-industrie. Pour les militants des droits de la terre, la biodiversité ou les paresseux, cette activité n'est certes pas « sans risque ».

Mais revenons à Credit Suisse : outre les dommages structurels qu'elle a contribué à causer dans le Sud, la banque a aussi directement détruit la vie et l'avenir des habitantes et habitants du Mozambique. Le scandale de Credit Suisse qui a fait le plus grand nombre de victimes est aussi celui dont on parle le moins actuellement. Pas étonnant, car les 470 millions de dollars que Credit Suisse a dû payer dans ce contexte, pour corruption, aux États-Unis, ne figurent qu'au 7e rang du classement des amendes américaines infligées à la banque à scandales. Et il ne s'agissait que de crédits corrompus d'un milliard de dollars — un dixième des affaires avec la société d'investissement criminelle Greensill Capital. Et au Mozambique, ce ne sont pas de riches clients de hedge funds qui ont perdu de l'argent, mais seulement un million de personnes qui ont sombré dans la pauvreté absolue parce que Credit Suisse avait conduit le pays à la faillite en 2016.

S’agissant des dommages directs, il n'y a malheureusement pas non plus de fin d'alerte après la fusion. UBS n'a certes pas été punie pour cela, mais sa banque d'investissement en Australie a causé des millions de dommages à ce pays pauvre qu’est la Papouasie-Nouvelle-Guinée, en raison d'opérations douteuses, voire criminelles. Au Sud, rien de nouveau, peut-on craindre pour le nouveau mastodonte.