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New York plutôt que Paris !

18.06.2023, Finances et fiscalité

En 2016, l'OCDE promettait une réforme fiscal international qui tiendrait également compte des intérêts des pays du Sud mondial. Sept ans plus tard, il apparaît clairement que l'OCDE a échoué dans ses ambitions. L'heure de l'ONU pourrait sonner.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

New York plutôt que Paris !

Une rue devant le bâtiment des Nations Unies à New York le 24 mars 2022.
© Ed JONES / AFP / Keystone

« Pour que l'argent reste en Suisse ». C'est ce que l'on pouvait lire sur les affiches des partisans de l'introduction de l'imposition minimale de l'OCDE dans notre pays. Avec ce simple slogan, les associations de multinationales d'economiesuisse et de SwissHoldings ont gagné la votation du 18 juin, avec l'aide bienveillante des partis bourgeois. Le Conseil fédéral pourra mettre l’impôt minimum en œuvre à compter du 1er janvier 2024. S’il génère effectivement des recettes supplémentaires substantielles en Suisse, elles serviront à promouvoir notre propre place économique. Ainsi, dans notre pays, les recettes supplémentaires seront précisément reversées aux entreprises multinationales (EMN) qui privent chaque année d'autres pays de plus de 100 milliards de dollars de substance fiscale et garantissent aux cantons suisses fiscalement cléments, comme Zoug et Bâle-Ville, de substantielles recettes d’impôts sur les bénéfices. Le simple fait qu'une telle mise en œuvre de l'imposition minimale soit possible le montre : l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le siège est à Paris, a échoué dans ses efforts d’une décennie pour rendre le système fiscal mondial un peu plus équitable. Rien de très surprenant à cela. En effet, même si plus de 140 pays, dont certains pays émergents et en développement, ont participé aux négociations sur cette « réforme », ce sont une fois de plus les intérêts des pays riches du Nord global qui l’ont emporté.

L’égalité des chances ? À l’ONU seulement !

Cette réalité va aussi de pair avec l'histoire de ce « cadre inclusif » (inclusive framework), créé en 2016 par l'OCDE. La promesse de l'époque était de mettre tous les pays sur un pied d'égalité. Mais la condition d’adhésion à ce cadre est l’adoption des règles contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (base erosion and profit shifting, BEPS) que les 39 pays membres de l'OCDE (essentiellement les États riches du Nord mondial) avaient seuls élaborées les années précédentes. Une centaine de pays en développement ont été exclus du processus. Les règles en question sont donc taillées sur mesure pour les pays prospères du Nord. Le prix de l'adhésion au « cadre inclusif » est par conséquent élevé pour les nations en développement. Les pays du Sud mondial, qui hébergent une grande partie de la production dans l'économie mondiale actuelle, ne bénéficieront guère des quelque 250 milliards de recettes supplémentaires que l'OCDE escompte à l’échelle de la planète grâce à l'introduction de l'imposition minimale.

Il faut désormais trouver une alternative. Or, elle est en train de voir le jour à New York: à la fin de l'an dernier, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté, à l'initiative du groupe des pays africains et du G-77 (le groupe de tous les pays en développement), une résolution qui donne le branle à un projet de convention fiscale de l'ONU. À l'instar de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques par exemple, qui marque le rythme et trace l’orientation de la politique climatique mondiale depuis 1992, cette convention créerait un cadre multilatéral véritablement inclusif pour la politique fiscale internationale. Une telle approche offrirait l’opportunité d'élaborer et de négocier des principes de politique fiscale susceptibles de remédier au déséquilibre fondamental entre le Nord et le Sud dans le système fiscal mondial actuel.

Une convention fiscale de l'ONU permettrait de créer des règles multilatérales pour un système fiscal enraciné au niveau transnational et non plus basé sur des accords bilatéraux. Dans le système actuel, quelques accords multilatéraux complètent certes les règles inscrites dans les conventions bilatérales en matière de double imposition (CDI), mais ce sont en fin de compte ces dernières qui déterminent la manière dont les pays se répartissent la substance fiscale issue des flux financiers transfrontaliers dans l'économie mondiale. Cela se fait souvent au détriment des pays en développement qui, vu leur puissance économique moindre, sont régulièrement perdants dans les négociations bilatérales sur les CDI avec les pays du Nord.

L’heure d'une imposition globale est venue

Une convention-cadre de l'ONU en matière de politique fiscale serait également la condition préalable à la mise en place d'une imposition globale des EMN. Dans le système fiscal établi, les différentes sociétés nationales des EMN sont traitées comme des entreprises individuelles. Les EMN devraient donc être imposées dans chaque pays en fonction des bénéfices qu'elles réalisent dans un pays donné. Depuis des décennies, les transferts de bénéfices sont toutefois un problème majeur pour les pays pratiquant des taux d'imposition relativement élevés. En imposant leurs bénéfices non pas là où la valeur ajoutée est créée, mais là où les bénéfices sont les plus bas, les EMN privent chaque année de nombreux pays de milliards de recettes fiscales. Les imposer globalement rendrait les transferts de bénéfices obsolètes, car les diverses sociétés d'une EMN ne seraient plus taxées par pays et les EMN ne seraient donc plus incitées à comptabiliser leurs bénéfices là où les taux d'imposition sont les plus bas. Au lieu de cela, tous les bénéfices de tous les pays dans lesquels l’EMN est active seraient additionnés et l'assiette de l'impôt sur les bénéfices attribuée à chaque pays selon une formule tenant compte du nombre d’employés par pays, du chiffre d'affaires et des valeurs physiques (les usines par exemple). Chaque pays impose ensuite ces bénéfices selon ses propres règles fiscales.

Le bureau du secrétaire général de l'ONU António Guterres est en train de rédiger un rapport sur la création d'une convention fiscale qui sera présenté en septembre à New York après consultation des États membres de l'ONU et des parties concernées. L’Alliance mondiale pour la justice fiscale (Global Alliance for Tax Justice, GATJ) et le Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), dont Alliance Sud est membre, sont très impliqués dans ce processus.

La Suisse dit non

La Suisse a certes approuvé la résolution à l'Assemblée générale. Mais dans une réponse à une interpellation du conseiller national socialiste et coprésident de Swissaid Fabian Molina, qui s'interrogeait sur la position du Conseil fédéral sur la question d'une convention fiscale de l'ONU, le Conseil fédéral souligne qu'il soutient certes « un état des lieux du cadre institutionnel de la coopération internationale en matière fiscale » à l'ONU, mais qu'il refuse la création d'une convention fiscale onusienne. Il semble convaincu de savoir mieux que les pays en développement ce qui est bon pour eux. Non sans relents coloniaux et paternalistes, il écrit : « Néanmoins, le Conseil fédéral juge discutable l'utilité d'une convention fiscale des Nations Unies pour défendre la position des pays en développement. »

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Hors-bords, yachts et affaires juteuses

19.06.2023, Finances et fiscalité

Les Îles Vierges britanniques sont connues pour être un paradis pour les plaisanciers et les fraudeurs fiscaux. Ainsi qu’un point de transit pour le trafic de drogue. Coup de projecteur. Karin Wenger

Hors-bords, yachts et affaires juteuses

© Karin Wenger

Jusqu’ici, je connaissais les Îles Vierges britanniques uniquement parce qu'on les mentionne en général en même temps que les sociétés boîtes aux lettres et les fraudeurs fiscaux. Lors de notre périple en bateau dans les Caraïbes, je les ai vues de mes propres yeux : un chapelet de petites îles arides sur 150 kilomètres carrés, baignant dans une mer d’huile. Sur ces eaux calmes tanguent des flottes entières de catamarans de location. On peut louer un catamaran de 44 pieds — skipper, cuisinier, tout compris — pour 30 000 dollars par semaine, un catamaran de 60 pieds pour six personnes équipé de la même manière coûte 80 000 dollars. Entre les catamarans, qui se rassemblent généralement le soir dans les baies où flottent des bouées et où un bar attend les passagers, les énormes yachts promènent leurs joujoux dans les baies — canots, hélicoptères et jet-skis. On s’aperçoit donc rapidement que même si ces îlots n'ont rien d'autre à offrir que des terres désolées et poussiéreuses et quelques plages blanches, il y a ici de l'argent, beaucoup d'argent, plein d’argent blanchi.

Haut lieu du blanchiment d’argent

Les Îles Vierges britanniques ont un secteur financier largement surdimensionné par rapport à leur taille et la plupart de leur clientèle n’est pas locale. Les caisses publiques de ce centre financier offshore sont alimentées à 60% par les recettes des prestations financières, le tourisme fournissant le reste. L'organisation anti-corruption Transparency International a publié un rapport sur ce coin de terre en avril 2022. On y apprend que 1 201 entreprises enregistrées dans les territoires d'outre-mer britanniques ont été impliquées dans 237 grands scandales de corruption et de blanchiment d'argent. Plus de 90% de ces sociétés sont enregistrées dans les British Virgin Islands (BVI), comme les anglophones appellent l’archipel. En 2019, le Fonds monétaire international a également qualifié ces îles de haut lieu des investissements fantômes et des sociétés écrans (shell companies), autrement dit des sociétés n'exerçant aucune activité économique réelle et dont le seul but est de faciliter l’évasion fiscale.

Comme les BVI sont un territoire britannique d’outre-mer, la Grande-Bretagne ne semble pas totalement indifférente à ces critiques. Depuis 1967, l’archipel jouit certes d'une plus grande autonomie et d'un système juridique indépendant. De plus, il est largement autogéré, si l’on excepte la politique étrangère et la défense. Mais la Couronne britannique est et reste aujourd'hui encore l'autorité exécutive suprême. Elle y envoie donc des spécialistes pour instaurer davantage de transparence dans le secteur financier.

Menacée et poursuivie

J'ai fait la connaissance d'une spécialiste de la finance lors d'un déjeuner à Road Town, la capitale de l’archipel britannique. Cette Anglaise enseigne la conformité financière (financial compliance) aux jeunes fonctionnaires. En clair, elle leur explique comment procéder à des transactions financières propres. Cela comporte certains risques dans un pays dont le financement repose en grande partie sur des opérations financières douteuses. Rien d’étonnant donc à ce que cette personne ait été menacée et poursuivie — et a presque fait ses valises —, car certains fonctionnaires et politiques estiment que leurs affaires seraient menacées si elles étaient moins problématiques et moins opaques. L’experte en question ne sort plus seule de chez elle la nuit et demande toujours à son mari de venir la chercher au travail. Depuis que la Russie est entrée en guerre contre l'Ukraine, de nombreux Russes ont rejoint la clientèle, explique l'Anglaise, qui ne veut voir son nom apparaître nulle part pour des raisons de sécurité.

Vols de nuit sur des eaux troubles

Mais, dans ces îles paradisiaques, il n'y a pas que l'argent étranger qui est blanchi, contre paiement de fortes taxes, et qui remplit les caisses de l'État ainsi que les poches de quelques fonctionnaires. On aperçoit toute une flotte de petits bateaux équipés de moteurs d’une puissance allant jusqu'à mille chevaux faire des allers-retours entre les îlots. « Les Îles Vierges britanniques sont une plaque tournante bien connue pour la contrebande de drogue de Colombie et du Mexique vers les États-Unis », explique une autre Anglaise qui vit ici depuis des décennies, dont une longue période sur l'île nord d'Anegada. Selon elle, de petits avions y atterrissaient souvent la nuit et repartaient peu après pour larguer leur cargaison — des paquets étanches bourrés de cocaïne et munis de balises — au-dessus de la mer. Des hors-bords venaient les récupérer pour les transporter plus loin. Des femmes et des hommes politiques, ainsi que des fonctionnaires de haut rang, auraient été impliqués.

En avril 2022, il est devenu évident ce genre d’histoires n’appartenait pas au passé. À l'époque, Andrew Fahie, alors Premier ministre des BVI, et Oleanvine Maynard, directrice de l'autorité portuaire, ont été arrêtés à l'aéroport de Miami pour trafic de drogue et blanchiment d'argent. Ils avaient fait le déplacement de Miami en avion privé pour jeter un œil aux 700 000 dollars de pots-de-vin, emballés dans des sacs de marque. De l'argent qui leur avait été promis s'ils facilitaient un transport de cocaïne de plusieurs millions de dollars de la Colombie vers Miami et New York via Îles Vierges britanniques. Malheureusement pour nos deux fonctionnaires de haut rang, les prétendus trafiquants de drogue mexicains étaient des agents infiltrés de l'agence anti-drogue américaine. Ils ont été immédiatement arrêtés et attendent désormais d’être jugés aux États-Unis.

Après l'arrestation de Fahie et de Maynard, une commission d'enquête britannique indépendante a publié un rapport signalant que les fonctionnaires élus pouvaient prendre et prenaient à leur guise des décisions engloutissant d'énormes sommes d'argent public et influençant la vie de tous les habitants, sans appliquer de critères objectifs, sans donner de raisons et sans craindre de conséquences. Les principes de bonne gouvernance, tels que la transparence, l'ouverture et l'État de droit, seraient ignorés dans les îles Vierges britanniques. C'est pourquoi la commission a conseillé de placer l'archipel sous le contrôle direct du gouverneur John Rankin, plus précisément sous le contrôle direct de la Grande-Bretagne, pendant deux ans.

Moins de hors-bords, davantage de yachts

Tel n'a pas été le cas. Natalio Dixon Wheatley, qui a repris le flambeau de Fahie, s'y est opposé. Il est le nouveau Premier ministre aujourd’hui. L'Anglaise, qui enseigne depuis trois ans à une nouvelle génération de fonctionnaires les rouages de la transparence dans le secteur de la finance, doute que Natalio Wheatley apporte les changements dont le petit État insulaire aurait besoin non seulement pour faire toute la lumière sur la provenance de son argent mais encore polir son image. Elle pense qu'il faudra encore au moins une génération, avec une nouvelle élite de fonctionnaires bien formés, une véritable prise de conscience et davantage de contrôles, pour que les choses changent. Depuis l'arrestation de l'ancien Premier ministre Fahie, une chose au moins a changé aux dires de l’autre Anglaise. Elle entend moins souvent les hors-bords fendre les vagues à pleine vitesse la nuit. L’arrestation de Fahie a effrayé beaucoup de gens.

Les affaires les plus juteuses ne se concluent toutefois pas sur de petits hors-bords dans l'obscurité de la nuit, mais en plein jour, sur le pont de yachts valant une petite fortune — dont un grand nombre continue de naviguer sur les eaux étales des Îles Vierges britanniques.

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© Karin Wenger

Karin Wenger
Basée de 2009 à 2022 à New Delhi et à Bangkok, Karin Wenger a été correspondante de la radio SRF pour l'Asie du Sud et du Sud-Est. Au printemps, elle a publié trois ouvrages sur son séjour en Asie. Depuis l'été, elle navigue avec son partenaire dans les Caraïbes et rédige des commentaires sur des conflits et des événements oubliés dans les pays du Sud. Plus d’informations ici : www.karinwenger.ch et www.sailingmabul.com

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Aligner les investissements sur le climat

06.12.2022, Finances et fiscalité

En signant l’Accord de Paris sur le climat, la communauté des Etats s’est (aussi) engagée à orienter les flux financiers vers une économie faible en carbone. La Suisse avance dans cette direction… mais à petits pas.

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Aligner les investissements sur le climat

© House of Switzerland

On l’oublie parfois, l’Accord de Paris signé en 2015 engage également les Etats – outre à réduire leurs émissions de CO2 et assurer l’adaptation aux effets du changement climatique – à « rendre les flux financiers compatibles avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». Cet engagement enjoint notamment les Etats à prendre les mesures nécessaires pour assurer que les acteurs financiers – à travers leurs financements et investissements – contribuent à réorienter les capitaux vers des solutions concrètes d’atténuation et d’adaptation. On parle, de manière simplifiée, « d’aligner les investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris ».

Au vu de son importance sur le plan global – 24 % de la gestion de patrimoine transfrontalière est effectuée en Suisse – le secteur financier suisse serait à même de jouer un rôle de catalyseur de premier plan pour contribuer à cette réorientation. Or, si tout le monde est d’accord sur l’objectif, les avis divergent largement sur les mesures à prendre pour y parvenir.

Taxonomie de l’UE : définir, enfin, la « durabilité »

De son côté, l’UE a adopté en juin 2020 le règlement « Taxonomie » ; c’est la pièce maîtresse de son plan d’action pour financer une croissance durable. Un des objectifs centraux est de pouvoir identifier et favoriser les investissements vers les activités « durables » qui sont alignées avec l’objectif de l’UE d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Pour cela, il crée une classification (taxonomie) des activités économiques des entreprises selon leur potentiel de contribution aux six objectifs environnementaux de l’UE.  Plus de 70 activités issues des secteurs incluant l’énergie, les transports, la sylviculture et la construction sont concernées – selon différents niveaux   – représentant plus de 90% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Les grandes entreprises doivent identifier parmi leurs activités celles qui correspondent à la taxonomie et indiquer la part qu’elles représentent dans leur activité globale. Ces informations doivent permettre aux acteurs financiers de prioriser les financements aux projets et actifs reconnus comme contribuant le mieux à la trajectoire vers la neutralité climatique. A partir de 2023, les grandes entreprises devront également publier l’alignement de leurs activités à la taxonomie. Cette même obligation s’appliquera dès 2024 aux institutions financières.

Pour qu’une activité puisse bénéficier du label « vert » au sens de la taxonomie, elle doit contribuer de manière substantielle à au moins un des six objectifs environnementaux de l’UE, sans porter un préjudice significatif aux cinq autres, tout en respectant des garanties en matière de droits humains et de droit du travail. C’est la Commission européenne qui adopte les critères pour identifier les activités respectueuses de l'environnement. Un premier volet climatique – en vigueur depuis janvier 2022 –   intègre les activités qui contribuent aux deux premiers objectifs de la taxonomie (atténuation et adaptation au changement climatique).  Les critères pour les quatre autres objectifs (pollution, eau, économie circulaire et biodiversité) devraient être définis avant la fin de l’année. À l'avenir, des critères sociaux et des aspects de gouvernance supplémentaires seront également définis.

Et en Suisse : compétitivité et/ou durabilité ?

Le Conseil fédéral reconnaissait en 2020 dans son Rapport sur le développement durable dans le secteur financier suisse l’importance d’un système de classification uniforme des activités durables (taxonomie), en premier lieu « parce que des informations comparables sont synonymes de transparence pour les clients, les assurés, les investisseurs et le public » . Il a tout de même préféré – suite aux oppositions des acteurs de la branche et sur la base du sacro-saint principe de subsidiarité de l’action de l’Etat – suivre une approche volontaire et donc non réglementaire.

En juin 2022, il a adopté les Swiss Climate Scores (SCS), établis par un groupe de travail comprenant les acteurs de la branche, des représentants de la Confédération, des milieux académiques et des ONG.  Leur objectif : fournir aux investisseurs institutionnels ou privés des informations « fiables et comparables » sur le degré de compatibilité de leurs placements financiers avec les objectifs climatiques internationaux. Le CF recommande à tous les acteurs suisses du marché financier d’appliquer les Swiss Climate Scores aux placements financiers et aux portefeuilles des clients « lorsque cela s'avère judicieux ».

L’approche est-elle crédible ?

Afin de maintenir leur caractère de bonnes pratiques dans le domaine de la transparence climatique, il est prévu de réviser les SCS à intervalles réguliers et, « si nécessaire », de les adapter pour refléter les dernières connaissances. Département fédéral des finances (DFF) et Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), ont été chargés d'examiner – d'ici à la fin 2023 – l'état d'avancement de l'introduction – on le rappelle, volontaire – des « Swiss Climate Scores » par les acteurs suisses du marché financier. Il sera bon à cet égard de comparer les progrès atteints avec les avancées que la taxonomie et autres actes réglementaires auront permis d’atteindre au sein de l’UE.

A ce stade, les SCS suscitent plusieurs questions : Seront-ils effectivement appliqués au sein du secteur financier ? La (seule) pression des clients sur les institutions financières sera-t-elle suffisante pour assurer leur adoption ? Ou seules des mesures plus fortes, réglementaires, seront-elles à même d'induire un effet incitatif climatique élevé, pour assurer l'alignement des investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris auquel la Suisse s’est engagée.

Rendez-vous est pris en 2023.

Les 5 + 1 indicateurs des Swiss Climate Scores

Les SCC comprennent cinq indicateurs obligatoires et un optionnel. Trois indicateurs ont trait à l’état actuel des portefeuilles (émissions de gaz à effet de serre ; exposition aux combustibles fossiles ; dialogue crédible avec les entreprises sur le climat). Deux indicateurs sont « tournés vers l’avenir » (engagements vérifiés en faveur du net zéro ; gestion en faveur du net zéro). L’analyse du potentiel de réchauffement global – soit l‘ampleur du réchauffement climatique si l'économie mondiale agissait avec la même ambition que les entreprises du portefeuille – reste, à ce stade du moins, facultatif.

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Finances fédérales

Finances de la Confédération

La Suisse a un endettement public extrêmement faible en comparaison internationale. Elle doit utiliser son excellente situation financière pour cofinancer de façon substantielle une transformation écologique équitable à l'échelle mondiale, en Suisse et à l'étranger.

De quoi s’agit-il ?

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De quoi s’agit-il ?

Depuis 2003, la Suisse dispose d'un frein à l'endettement : il est aujourd'hui conçu très rigoureusement et appliqué de manière encore plus ex-trême. Cela conduit à une réduction automatique de la dette même si la Suisse présente depuis longtemps un faible endettement public en comparaison internationale.

La politique d'austérité que la Suisse s’impose a pour conséquence de limiter inutilement la marge de manœuvre financière de la Confédération en matière d'investissements dans le développement durable. De plus, cette politique met constamment à mal le budget de la coopération internationale (CI), car la CI est, avec l'agriculture, l'armée et certains domaines de la culture, l'un des rares postes de dépenses non liés du budget fédéral.

C'est pourquoi le Parlement, dominé par les partis bourgeois, a une grande influence sur la politique financière. En ces temps de crises multiples, cette politique financière n'est plus opportune. La politique financière suisse a besoin d'un changement radical qui libère les moyens financiers pour faire face aux immenses défis sociaux en Suisse et à l'étranger.

Finances durables

Finances durables

Alliance Sud s'engage pour que la place financière suisse contribue de manière résolue et efficace à la réalisation des objectifs de développement durable de l'ONU et pour que ses activités commerciales respectent les objectifs de l'accord de Paris sur le climat.

De quoi s’agit-il ?

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De quoi s’agit-il ?

L'accord de Paris sur le climat oblige les pays à concilier les flux financiers avec un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résistant au changement climatique. Des objectifs similaires sont aussi prévus au niveau international dans le domaine de la biodiversité.

La Suisse est le premier centre mondial de gestion des actifs transfrontaliers et dispose d'un secteur de l'assurance qui couvre les risques planétaires. Elle a donc une responsabilité majeure dans la conciliation des flux financiers avec les objectifs de développement durable et de protection du climat et dans le fait que ces flux ne favorisent pas l’écoblanchiment.

Désendettement

Désendettement

Depuis quelques années, l'endettement des pays du Sud mondial aug-mente à nouveau. La crise climatique, la guerre et les conséquences éco-nomiques de la pandémie aiguisent le problème. Les prêteurs suisses doivent participer activement aux procédures de désendettement.

De quoi s’agit-il ?

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De quoi s’agit-il ?

Le surendettement de nombreux pays du Sud mondial est un obstacle majeur au financement de nouveaux investissements générateurs de croissance. L'argent qu'ils doivent utiliser pour le service de la dette en faveur de leurs créanciers du Nord fait alors défaut pour les dépenses nécessaires et urgentes de développement.

En Suisse, les banques et les négociants en matières premières font office de prêteurs. Vu le rôle de la Suisse en tant que pays de résidence d'importants créanciers privés, il ne suffit pas dans leur cas d’allouer de modestes contributions aux programmes d'allègement de la dette du FMI (Fonds monétaire international) ou de la Banque mondiale. Une très grande opacité règne par ailleurs dans ce domaine : on ignore quelles banques et quels négociants en matières premières ont accordé des crédits ou souscrit des emprunts, et où.

Alliance Sud veut davantage de transparence dans ce domaine et une Confédération active qui incite les créanciers privés en Suisse à participer à des programmes de désendettement substantiels pour les pays du Sud.

Imposition des entreprises

Imposition des entreprises

La Suisse est l'un des sites mondiaux majeurs pour les multinationales et, vu son très faible taux d'imposition des bénéfices, elle est une destination privilégiée pour les transferts de bénéfices. 

De quoi s’agit-il ?

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De quoi s’agit-il ?

Les multinationales suisses transfèrent chaque année des bénéfices pour un montant excédant 100 milliards de dollars vers la Suisse, pays fiscalement clément. Dans les cantons de Zoug, Bâle-Ville, Vaud ou Genève, cette pratique gonfle les recettes fiscales. Dans les pays qui ne peuvent pas se permettre d'encourager l'évasion fiscale agressive, elles baissent de manière dramatique. Les bénéfices ne sont pas imposés là où ils ont été gé-nérés, mais là où les multinationales paient le moins d'impôts.

Depuis 2016, la Suisse a réformé plusieurs fois son droit de la fiscalité des entreprises. Mais les possibilités de transfert de bénéfices des multinationales n'ont guère été restreintes. Elles privent les pays du Sud mondial surtout d'un substrat fiscal substantiel. Alliance Sud s'engage pour que davantage de transparence et une meilleure coopération, en particulier avec les pays du Sud, permettent de mettre fin à cette évasion fiscale.

Place financière suisse

Place financière suisse

Malgré toutes les réformes de ces 15 dernières années, la place financière suisse reste un repaire privilégié pour les fraudeurs fiscaux, les blanchis-seurs d'argent et les corrompus du monde entier. Alliance Sud s'engage pour que cela change enfin.

De quoi s’agit-il ?

Publikationstyp

De quoi s’agit-il ?

En 2017, la Suisse a introduit l'échange automatique de renseignements (EAR) pour les données des clients bancaires ; entre-temps, elle le pratique avec une centaine d’États. L'opinion publique suisse l’interprète souvent comme une abolition du secret bancaire suisse. En réalité, l'introduction de l'EAR est une étape clé pour une meilleure identification des personnes fortunées qui se soustraient au fisc avec l'aide des banques en Suisse et d'autres intermédiaires financiers.

Mais l'EAR n'a pas mis fin au secret bancaire. Il est toujours enraciné tel quel dans les lois qui s’y rattachent. De plus, de nombreux pays du Sud mondial ne bénéficient toujours pas de cet EAR avec la Suisse. Comme le secret bancaire reste intact dans le pays, les clients étrangers des banques suisses sont par ailleurs fortement incités à transférer leur domicile en Suisse afin de contourner l'EAR avec leur pays d'origine. Alliance Sud travaille à des réformes pour y remédier.

Finances et fiscalité

Finances et fiscalité

Alliance Sud s'engage pour que la Suisse, en tant que place financière mondiale et site d'implantation de nombreuses multinationales, mène une politique financière et fiscale équitable. Celle-ci ne doit pas se faire au détriment des pays du Sud et doit soutenir un développement durable à l'échelle planétaire.

De quoi s’agit-il ?

© Lupo / pixelio.de

Imposition des entreprises

© KEYSTONE / Michael Buholzer

Place financière suisse

© Keystone / VWPics

Convention fiscale de l'ONU

© Services du Parlement 3003 Berne / Béatrice Devènes

Finances fédérales

© Panos / Jason Iarkin

Désentettement

© Alliance Climatique

Finances durables

De quoi s’agit-il ?

Malgré toutes les réformes de ces 15 dernières années, la Suisse reste la plus grande place financière offshore du monde : un quart des avoirs transfrontaliers sont gérés par des banques en Suisse. Notre pays est aussi l'un des principaux sites d'implantation des multinationales et le centre de négoce de référence pour les matières premières.

D’où une responsabilité planétaire de la Suisse en tant que place économique. Elle dispose de puissants leviers pour contribuer à mettre le monde sur la voie d'un développement durable et équitable. Alliance Sud s'engage pour que la poli-tique suisse définisse les bases légales propres à utiliser correctement ces leviers.

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Taxer les « potes » des potentats

23.02.2023, Financement du développement, Finances et fiscalité

La reconstruction de l'Ukraine exige des sommes importantes qui ne peuvent pas être prélevées sur le budget de la coopération internationale. Les attentes envers la Suisse sont énormes.

Taxer les « potes » des potentats
Kurakhove, Ukraine.
© KEYSTONE/AP Photo/Nariman El-Mofty

La semaine dernière, le Conseil fédéral a décidé qu'il n'y avait pas de base juridique pour confisquer les fonds bloqués des oligarques ou même de tous les Russes en Suisse. En effet, il est impossible de les confisquer sans violer les principes de l'État de droit et des droits humains, aussi peu sympathiques que soient leurs propriétaires. Même avec une interprétation innovante de la loi ou des changements législatifs, il faudrait examiner chaque cas d’espèce pour prouver la complicité dans la guerre. Et cela prendrait beaucoup trop de temps avec les possibilités de recours qu’offre la Suisse.

Les pays européens ont également du mal à respecter l'État de droit en cas de confiscation, raison pour laquelle les 300 milliards de dollars de réserves monétaires de la banque centrale russe, également bloqués, focalisent toujours plus l’attention. La Suisse ne doit en aucun cas se montrer réticente dans ce contexte ; selon le Secrétariat d'État aux questions financières internationales (SFI), jusqu'à 6 milliards de dollars se trouvent dans notre pays.

Mais la Suisse a encore une autre carte en main. Certes, les groupes helvétiques actifs dans le négoce de matières premières n'ont pas non plus de responsabilité directe dans la guerre, mais ils ont souvent des liens très étroits avec la Russie de Poutine. Selon des estimations, les trois quarts du pétrole russe ont été négociés via des entreprises suisses ces deux dernières décennies (les chiffres ne sont pas fiables dans ce secteur notoirement opaque).

Des profiteurs de guerre en Suisse

Les relations tissées étaient parfois carrément amicales. Deux exemples : l'un des deux fondateurs du négociant en matières premières genevois Gunvor était Guennadi Timtchenko. Il était ami avec Poutine, s'entraînait avec lui à Saint-Pétersbourg dans le même club de judo et possédait un labrador nommé Rommie, dont la mère était le chien de Poutine, Connie. Pendant des années, Gunvor a été le premier client de la compagnie pétrolière Rosneft, dont la majorité des parts est aux mains de l'État. Après la conquête de la Crimée, Timtchenko a été inscrit sur la liste des sanctions dressée par les États-Unis et Gunvor s'est séparée de lui.

Deuxième exemple : le directeur général de Glencore, Yvan Glasenberg, a reçu une médaille de Poutine en lien avec la participation de Glencore dans Rosneft. En 2017, Glencore a vendu 14,16 % de Rosneft pour 9,1 milliards de dollars, mais détient encore aujourd'hui une maigre participation. Via EN+, Glencore détient une participation dans Rusal et a pris, ou prend, une part importante de sa production d'aluminium. Rusal est majoritairement détenue par Oleg Deripaska, qui était considéré comme l'un des principaux soutiens de Vladimir Poutine. Et Glencore détient un quart de Norilsk Nickel de l'oligarque Vladimir Potanin. Le nickel est un métal stratégique pour l'industrie de l'armement. Et la liste des « potes » est loin d’être exhaustive.

Toutes les entreprises suisses de négoce de matières premières profitent de la guerre, peu importe qu'elles aient fait ou non des affaires directement avec la Russie. Leurs bénéfices record (triplés p. ex. pour Glencore) ne sont qu’une conséquence de la guerre et des perturbations qu'elle a provoquées sur les marchés des matières premières. Ce sont des bénéfices de guerre illégitimes. Un impôt sur les bénéfices excédentaires, comme l’ont introduit d’autres pays, apporterait les sommes nécessaires à la participation suisse à la reconstruction de l'Ukraine. Cela requiert une loi spéciale, mais c'est faisable et elle pourrait être sous toit à temps. Seule la volonté politique d'aider l'Ukraine est nécessaire. Sinon, la Suisse sera une fois de plus — et à juste titre — soumise à une forte pression internationale.