Global, Opinion

Réimaginer l'Afrique

01.10.2021, Coopération internationale

Le monde est blasé par les multiples urgences planétaires qui s'abattent sur nous. Ces urgences sont aggravées par le manque fort répandu de direction au niveau tant du secteur public que du secteur privé.

Réimaginer l'Afrique

La co-présidente du Club de Rome et co-fondatrice de ReimagineSA explique dans ce texte sa vision de l'Afrique dans 50 ans.
© Mamphela Ramphele

Les connaissances scientifiques s'avèrent inadéquates quand il s'agit de faire en sorte que l'humanité réinvente de nouvelles manières d'être humaine. Réimaginer exige que l'on aille très loin au dedans de soi. Une telle réimagination exige de nous que nous soyons prêts à désapprendre nos systèmes de valeurs extractifs et à réapprendre de la nature que nous faisons partie d'un réseau de vie interconnecté et interdépendant. Comme nous l'enseignent des cultures indigènes de par le monde – nous devons redevenir indigènes et fonctionner au rythme de la sagesse naturelle. Redevenir indigène permettrait à l'humanité de sortir de ces urgences avec une nouvelle civilisation humaine qui soit en harmonie avec la nature.

Lentement mais sûrement, les jeunes du monde entier relèvent le défi de la direction face aux erreurs de leurs parents et dirigeants. Les mouvements mondiaux comme Fridays for Future, Extinction Rebellion, Rainbow Warriors et Avaaz ont pris sur eux de façonner l'avenir qu'ils souhaitent désespérément voir émerger.

En Afrique, les jeunes saisissent également les opportunités qui s'offrent à eux d'embrasser la sagesse de leurs ancêtres. La sagesse de l'Afrique est qu'il s'agit d'un pays d'abondance – il y en a assez pour tous si l'on partage équitablement. Le système de valeurs Ubuntu permet à tous de partager dans la prospérité qu'engendre un travail en collaboration. Il n'y a pas d'opportunisme en Ubuntu.

Une part considérable des plus de 600 millions d'Africains de 15 à 49 ans constitue des solutions innovantes pour venir à bout des multiples défis qu'ils ont à relever parmi une multitude de contextes. Ils transforment la pénurie des technologies aniciennes de télécommunications et de services financiers en opportunités en vue de créer l'abondance. Les téléphones mobiles et services financiers en ligne exploitent les flux annuels estimés des transferts de fonds (estimés à 44 milliards de dollars US) afin d'établir une connectivité meilleur marché et plus fiable entre la diaspora et le pays d'origine.

Lentement, l'Afrique est en train de démonter les modèles d'éducation coloniaux qui ont tenu sa jeune population prisonnière de systèmes d'éducation qui les éloignent de leur riche patrimoine culturel. Les modèles coloniaux d'éducation ont mentalement asservi les Africains durant des générations, faisant que beaucoup continuent à croire en une suprématie blanche et en une infériorité noire. C'est cet esclavage mental qui continue de saper la capacité de l'Afrique d'exploiter son abondance afin de générer une prospérité partagée.

Nous sommes témoins de la création de nouveaux modèles éducatifs comme les écoles Leap Math and Science Schools qui ont dix-sept ans d'existence en Afrique du Sud, qui aident les jeunes à se libérer de cet esclavage mental pour embrasser la sagesse d'Ubuntu. L'impact salutaire de l'interconnexion et de l'interdépendance engendre la confiance en soi et a rétabli dignité et amour-propre. Les résultats sont spectaculaires dans les bidonvilles les plus pauvres d'Afrique du Sud dont ils viennent. Les diplômés du Leap deviennent des dirigeants dans leurs communautés brisées comme professeurs, ingénieurs, société civile, politiques et bien d'autres professionnels. Ces résultats contredisent la pauvreté que le monde voit en Afrique. Les jeunes voient l'abondance, et sont eux-mêmes l'abondance de l'Afrique.

L'Afrique est le plus grand continent (masse continentale correspondant à celle de l'Europe, de la Chine et des USA combinés) et le plus riche en ressources (60% de terres arables; 90% de gisements minéraux, soleil et pluies en abondance; et population la plus jeune de 1,4 milliards). Elle a besoin de trouver un modèle de développement. Un tel modèle doit cadrer avec la philosophie Ubuntu afin de tirer parti de cette riche base de ressources par une action collective qui libère les talents et la créativité de sa jeune population.

Le monde ne peut que profiter d'une Afrique qui poursuive un modèle de développement socio-économique plus durable et régénératif. Une telle Afrique serait en mesure de partager son abondance d'une manière plus équitable. La jeune population africaine, une fois libérée de l'esclavage mental et affirmée comme composée de citoyens innovants et énergiques, fournirait les compétences critiques et la créativité sont aurait besoin la communauté mondiale vieillissante. Le monde a besoin de co-investir avec l'Afrique dans un développement socio-économique régénératif et accéléré qui partage la masse continentale de l'Afrique pour assurer l'approvisionnement en denrées alimentaires. En s'appuyant sur les connaissances indigènes de l'Afrique en matière d'agriculture organique et sur ses riches systèmes alimentaires marins, on garantirait une alimentation saine et sûre pour tous.

Les minéraux de l'Afrique qui alimentent l'économie mondiale, y compris les terres rares récemment découvertes et indispensables à l'électronique, doivent être exploités de manière durable. Les pratiques minières extractives ne font pas qu'endommager les paysages africains mais compromettent le bien-être de son peuple. La durabilité du flux des bénéfices de la richesse minérale pour l'ensemble de la communauté mondiale exige une transformation radicale des approches extractives en approches régénératrices.

Le monde doit saisir les crises existentielles de la pandémie du COVID et du changement climatique comme des chances de réapprendre à coopérer en tant que communauté mondiale. Cela permettrait de passer d'approches dégénératives à des approches régénératrices qui favorisent un bien-être durable pour tous. Il s'agit de changer les modes de consommation excessifs pour faire des choix plus judicieux qui nous permettent de rester dans les limites de la planète. Cela implique également que nous adoptions la sagesse de la nature selon laquelle il ne peut y avoir de Moi sans Nous. L'humanité est inextricablement liée et interdépendante.

L'Afrique que j'imagine dans 50 ans est un continent qui s'est réapproprié son héritage en tant que berceau de l'humanité et de la première civilisation humaine, en modélisant l'intelligence de la nature afin que chacun contribue de son mieux au bien-être de tous dans l'ensemble de l'écosystème. L'Afrique offrirait alors au monde un modèle de réapprentissage pour devenir pleinement humain.

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Opinion

Depuis 50 ans au service d’une Suisse solidaire

05.10.2021, Coopération internationale

Au cours de ces 50 années, Alliance Sud a souvent bousculé les milieux politiques et contribué à l’élargissement et au perfectionnement de la coopération au développement. Et elle a toujours œuvré pour une Suisse solidaire.

Depuis 50 ans au service d’une Suisse solidaire

Bernd Nilles, président d’Alliance Sud et directeur de l’Action de Carême
© Fastenopfer

Alliance Sud a 50 ans, la DDC 60, tout comme l’Action de Carême, et l'EPER souffle 75 bougies : voilà quelques décennies un vent de renouveau se levait pour une responsabilité mondiale. Y a-t-il une raison de faire la fête aujourd'hui, ou plutôt de ne pas la faire, vu les nombreux problèmes non résolus sur cette planète ? De nouveaux défis et crises apparaissent constamment – et c’est une véritable course contre la montre s’agissant de la crise climatique.

Lorsque nos pères et mères fondateurs ont créé la Communauté de travail Swissaid / Action de Carême / Pain pour le prochain / Helvetas en août 1971, peu après l'introduction du suffrage féminin, ils étaient sûrement loin de se douter que le périple allait durer cinq décennies. L’accent a d’abord été mis sur l'information de la population suisse sur la situation dans les pays en développement et sur les interdépendances mondiales ; ce n'est que plus tard, dans les années 1980, que les activités de politique de développement sont venues compléter le tableau. L'intuition précoce qu’un tournant à long terme ne pouvait être négocié que par des changements au Nord et au Sud était visionnaire, et c'est un succès historique d'Alliance Sud que d'avoir pu faire parler les œuvres suisses d’entraide d’une même voix crédible en matière de politique de développement.

Je profite de cette occasion pour remercier toutes celles et tous ceux qui ont contribué à écrire cette histoire et à la rendre possible. Au cours de ces 50 années, Alliance Sud a souvent bousculé les milieux politiques et contribué à l’élargissement et au perfectionnement de la coopération au développement. Et elle a toujours œuvré pour une Suisse solidaire.

Alliance Sud est également prête à poursuivre son développement. Elle s’est attelée à cette tâche en 2021 ; à l'avenir, elle concentrera donc davantage ses efforts sur les activités de plaidoyer pour déployer des effets ici. L’approche semble adéquate vu la persistance des défis et des injustices dans le monde, particulièrement là où la politique suisse porte une part de responsabilité. Le pouvoir et l'influence du secteur économique restent en outre disproportionnés et conduisent souvent à des décisions politiques prises au détriment des populations et de l'environnement. Dans ce contexte, il devrait être légitime de se demander pourquoi des conseillères et conseillers fédéraux appellent aujourd’hui à une implication politique accrue de l'économie, alors qu’en parallèle, on tente de rogner la marge de manœuvre de la société civile. Le Conseil fédéral et le Parlement ne devraient-ils pas veiller à ce que chacune et chacun, en Suisse, puisse et doive participer à la vie politique ?

Ce qui est bon pour l'économie ne l’est pas forcément pour la Suisse et le monde. Des décisions politiques judicieuses et durables dépendent aussi des voix des citoyens et de la société civile – nous n’avons eu cesse de le souligner au fil du demi-siècle passé. Grâce à notre expertise, au dialogue et au débat, nous voulons continuer à jouer un rôle actif à l’avenir, et à défendre la justice mondiale.

Global, Opinion

Changeons la façon de communiquer

06.10.2021, Coopération internationale

Les défis à venir exigent une remise en question radicale à l'échelle mondiale. Les organisations de développement doivent elles aussi relever ce défi : non seulement dans leurs programmes, mais aussi dans leur communication institutionnelle.

Changeons la façon de communiquer

L’ex-first lady des États-Unis Melania Trump au Kenya : des célébrités se mettent régulièrement au service de bonnes causes (et photos), en Suisse également. Une telle pratique renforce une compréhension paternaliste du développement.
© Saul Loeb/AFP

Texte de Jörg Arnold, qui a été responsable du marketing et de la collecte de fonds chez Caritas Suisse de 2002 à 2018. Il est cofondateur de Fairpicture (fairpicture.org).
 

« Nous devons apprendre à communiquer sur la coopération internationale d’aujourd’hui, qui est différente de celle qui était pratiquée il y a 30 ans. Le monde a changé et avec lui notre façon de communiquer. Aujourd’hui, nous disposons au niveau international d’un langage commun, celui de l’Agenda 2030 », constatait Patricia Danzi, directrice de la DDC, à l'occasion du soixantième anniversaire de l'organisation. Ces dernières années, les photos anonymes d'enfants émaciés ont largement disparu des mailings et des sites web des organisations d'entraide. Mais cette réalité a-t-elle également changé la façon dont les organisations occidentales de développement parlent du Sud?

En Suisse, plus d'une centaine d'organisations donatrices reconnues par la ZEWO s'engagent à rendre le monde meilleur pour tout un chacun. Des douzaines d'autres associations non certifiées viennent s'y ajouter. Elles souhaitent toutes soulager la détresse et créer un socle durable pour vaincre la pauvreté, la faim et l'injustice. Elles ont appris à communiquer sur le contenu de leurs activités et à le faire connaître au cercle de leurs donatrices et donateurs. Elles tentent de faire mieux comprendre la situation dans laquelle vivent les personnes en détresse, de renforcer l'engagement en faveur d'une aide concrète et de mettre ainsi leurs propres activités en exergue.

Grâce à leur communication, elles influencent considérablement l'opinion du public sur les sociétés des pays du Sud. Leurs campagnes de collecte de fonds à forte pénétration véhiculent des émotions qui convainquent les donateurs de mettre la main à la poche. Que ce soit sous forme de rapports réguliers adressés sélectivement ou de campagnes de marketing direct sophistiquées: elles façonnent la perception de l'injustice, de la pauvreté, de la détresse et de la violence sur le continent africain, en Amérique latine et en Asie avec des images appelant à agir d'urgence.

Un test décisif pour les organisations de développement

Le travail de communication des organisations de développement est exigeant. Elles doivent sans cesse légitimer leurs propres activités auprès des milieux politiques et de l'opinion publique, collecter des dons dans le cadre de ce processus et, composante clé de leur mission de société civile, effectuer également un travail de sensibilisation. Afin de répondre à toutes ces exigences, les organisations ont donc beaucoup investi dans leurs concepts de communication ces dernières années. Mais elles sont particulièrement mises au défi dans leurs récits sur les pays du Sud. C'est là qu'elles doivent passer l'épreuve décisive de leur crédibilité.

Les critiques auxquelles les organisations de développement occidentales sont confrontées sont multiples. On pense, par exemple, aux militantes et militants ougandais de nowhitesaviors.org : ils ont investi les médias pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme une représentation discriminatoire des personnes du continent africain dans la communication des ONG. Suite à un déchaînement de critiques virulentes, l'organisation britannique Comic Relief a mis fin à sa fructueuse campagne de collecte de fonds avec des célébrités en « visite de projets en Afrique » incitant à donner de l'argent. Les auteures et auteurs de peacedirect s'expriment sans ambages dans une étude de mai 2021 intitulée Time to Decolonise Aid. Ils affirment que de nombreuses pratiques et attitudes actuelles dans le système d'aide reflètent l'ère coloniale et en découlent, ce que la plupart des organisations et des donateurs du Nord rechignent encore à reconnaître. Selon eux toujours, certaines pratiques et normes modernes renforcent la dynamique et les croyances coloniales, comme l'idéologie du « sauveur blanc » qui transparaît dans le symbolisme des dons et de la communication utilisé par les ONG internationales.

Les stéréotypes sapent la coopération au développement

Une communication stéréotypée, calquée sur des modèles coloniaux: l'accusation contre la pratique des organisations de développement est sérieuse. Elle remet non seulement en question de manière critique la position éthique fondamentale des organisations, mais révèle encore une contradiction avec l'objectif de la société civile consistant à vouloir gommer les relations de pouvoir inégales.

Avec le Manifeste pour une communication responsable de la coopération internationale adopté à Berne le 10 septembre 2020, les organisations membres et partenaires d'Alliance Sud ont émis un signal très clair à cet égard. Les auteurs notent de manière autocritique dans l'introduction du manifeste: « Les populations du Sud sont souvent présentées comme des objets et des bénéficiaires de l'aide, tandis que les organisations de développement et leur personnel sont décrits comme des experts et des sujets actifs. (...). Des stéréotypes sont souvent reproduits dans ce contexte. Les images paternalistes du développement laissent entendre que les pays développés montrent aux pays sous-développés comment faire correctement les choses. »

Figer des continents entiers et leurs habitants dans des images de pauvreté et de dépendance est discriminatoire. Enfermer du même coup des personnes dans le rôle de bénéficiaires d'aide reconnaissants est dégradant. Il est grand temps que les organisations de développement se débarrassent d'une approche de collecte de fonds qui a été soigneusement cultivée pendant de nombreuses années, non sans succès. Que la communication prenne de plus en plus d'importance dans notre société mondialisée oblige également les organisations de développement à réfléchir davantage aux effets de leur propre communication et à ce qu'elle peut apporter à l'émergence d'une justice mondiale.

La communication est le programme

Crise climatique, migration, aide humanitaire: la communication des organisations de développement dans la société de l'information du XXIe siècle ne se limite pas à la communication institutionnelle et à la collecte de fonds. Par leurs récits, elles façonnent activement le changement social et des modes de pensée prégnants. Les organisations de développement doivent veiller à ce que leur communication corresponde aux réalités vécues et aux visions de la vie et aux objectifs des personnes représentées. Les unités organisationnelles opérationnelles, mais aussi les départements de communication, auraient donc intérêt à s'engager dans un processus de théorie du changement dans lequel ils développent une logique d'action orientée vers l'efficacité pour leurs activités, fondée sur une analyse de situation autoréflexive. Cette démarche est nécessaire pour obtenir les effets que l'organisation dans son ensemble cherche à atteindre. Pour maîtriser la complexité des problèmes – des personnes représentées aux destinataires de la communication –, les acteurs locaux, avec leurs différentes perspectives, leur expertise et leurs droits, doivent être intégrés dans ces processus. Le temps où les organisations de développement pouvaient se permettre de communiquer en faisant abstraction des personnes au centre de leur engagement dans la société civile est révolu.

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Opinion

Les «dettes» de la Suisse au Mozambique

06.12.2021, Coopération internationale

Le scandale des prêts favorisés par Credit Suisse au Mozambique a clairement montré à la population le rôle paradoxal que jouait la Suisse dans la perspective d’une réduction de la pauvreté et des inégalités.

Les «dettes» de la Suisse au Mozambique

Une femme vend du poisson séché au « Mercado central » de Maputo. Le scandale des prêts au Mozambique a notamment conduit à l'acquisition d'une flotte de pêche au thon aujourd'hui en piètre état. 19 accusés comparaissent actuellement devant un tribunal de Maputo. En Suisse également, le Ministère public de la Confédération a ouvert une procédure pénale.
© Alfredo D'Amato / Panos Pictures

Perspective Sud de Faizal Ibramugy, journaliste à Nampula, dans le nord du Mozambique, et opérateur médias

La Suisse coopère avec le Mozambique depuis 1979, et depuis 2012, l'année même où se sont déroulées les négociations sur les prêts des « dettes cachées » (« dívidas ocultas » ), la Direction du développement et de la coopération s’est fixé trois priorités en lien avec ce pays : le développement économique, la santé et la gouvernance. Un pays riche en ressources naturelles comme le Mozambique ne peut poursuivre son développement qu’en misant sur une bonne gouvernance et des investissements responsables. Le soutien de la Suisse dans ce domaine est donc le bienvenu. Mais le scandale des « dettes cachées » sape désormais tous les efforts engagés.

Depuis des années, les Mozambicaines et les Mozambicains ont appris comment gouverner, gérer les fonds publics, éviter les pratiques illégales et corrompues susceptibles de nuire à l'État, et agir en toute transparence. C'est cette bonne gouvernance que la Suisse a transmise au pays à travers ses diverses interventions en faveur du développement du pays. La population du Mozambique était loin d’imaginer que des représentants de l’économie d'un pays qui leur apprend à gérer durablement ses ressources économiques s'allieraient à son gouvernement corrompu. Dans ce scandale, les personnes impliquées ont escroqué l'État de plus d'un milliard de dollars, même si des études de faisabilité avaient montré que les prêts convenus n'étaient pas viables.

L’expression « Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! » est taillée sur mesure ici : les Mozambicaines et les Mozambicains étaient censés apprendre à ne pas se laisser corrompre, mais les employés helvétiques de Credit Suisse ont bien montré que la corruption comptait plus pour eux que la transparence mise en avant dans presque tous les projets et programmes financés par des capitaux suisses.

Remettre les dettes ne suffit pas

Maintenant que Credit Suisse doit assumer une partie de sa responsabilité en versant une pénalité de 475 millions de dollars aux États-Unis et au Royaume-Uni, et en allégeant de 200 millions de dollars la dette du Mozambique, la majorité des Mozambicains espèrent que le moment est venu de demander la remise totale de la dette devant les tribunaux.

J’estime que ce serait toutefois loin d'être suffisant. La Suisse officielle – qui soutient l’ambition du Mozambique de disposer d’institutions étatiques soucieuses d’une gestion décentralisée, équitable et transparente des ressources – devrait admettre que ses efforts de plus de 40 ans n'ont eu aucun effet. Malgré toute l’énergie consacrée, le Mozambique n'a pas été en mesure d'acquérir ces connaissances, tout comme les banquiers de Credit Suisse ont échoué à accorder un crédit en toute transparence.

Un nouveau b.a.-ba de la gouvernance

Aujourd'hui, les Mozambicaines et les Mozambicains font face à une dette qu’une association criminelle de banquiers et de dirigeants a contractée en usant de moyens frauduleux. Le Mozambique est confronté à une catastrophe sans précédent dont la résolution satisfaisante passe non seulement par le pardon mais aussi par une redéfinition de la stratégie d’encouragement de la bonne gouvernance.

Si ce scandale financier qui a ébranlé le Mozambique met en lumière ce que ce pays a appris de la Suisse en termes de bonne gouvernance et de gestion des affaires publiques ces dernières décennies, ma conclusion coule source : tout cela ne vaut rien. Il faut de toute urgence un nouveau b.a.-ba de la gouvernance, de la transparence et de l'intégrité qui fasse comprendre à la population mozambicaine qu'elle gouverne elle-même. Sinon la coopération qui reposait sur des bases solides entre la Suisse et le Mozambique n’ira de pair qu’avec un profond sentiment de honte : celui né des « dettes cachées ».

Opinion

La liberté d'expression, notre atout majeur

21.03.2022,

Le président de la Confédération Ignazio Cassis a indiqué aux organisations de développement ses trois critères de qualité majeurs pour la coopération internationale de la Suisse : fiabilité, confiance et prévisibilité... Tout juste !

La liberté d'expression, notre atout majeur

Markus Allemann, Président d'Alliance Sud et directeur de SWISSAID
© SWISSAID

L'Alliance Sud de demain est sur les bons rails :

Fiabilité : depuis janvier, Alliance Sud a reçu le renfort de deux autres noms prestigieux de la coopération au développement de la société civile. Nous accueillons Solidar Suisse et Terre des hommes en qualité de nouveaux membres ! Avec Helvetas, l'EPER, Action de Carême, Caritas et Swissaid, Alliance Sud est l'interlocuteur le plus fiable de la société civile lorsqu'il s'agit de créer un environnement propice durable pour les populations du Sud. Pour nous permettre de poursuivre notre croissance de manière ordonnée, nous nous sommes regroupés en une association depuis cette année et proposons une deuxième catégorie de membres : les organisations non gouvernementales, y compris celles actives dans les domaines des droits humains et de l'environnement, peuvent devenir membres associés et soutenir ainsi notre travail. Merci à la Croix-Rouge suisse d'avoir montré l'exemple en devenant déjà le premier membre associé.

Confiance : ce critère de qualité est moins facile à forger. La confiance exige de la fiabilité et ne se gagne qu'avec le temps. Depuis 50 ans, Alliance Sud est un acteur fiable - et compétent - vis-à-vis du Parlement, du gouvernement et de l'administration. Avec une marge de manœuvre politique enviable ! Contrairement à ses organisations membres, Alliance Sud ne reçoit pas de soutien de l'État et n'est donc pas liée par une clause contractuelle de confidentialité incluant l'échange d'informations avec le Département fédéral des affaires étrangères ainsi qu'avec d'autres offices de l'administration fédérale. Alliance Sud peut donc à tout moment faire jouer son expertise et s’exprimer. La liberté d'expression est son atout majeur.

Prévisibilité : le président de la Confédération Cassis a exprimé en ces mots ce qu’il entendait par là : « La Suisse fait ce qu'elle dit et dit ce qu'elle fait ». Ce qui est prévisible, c'est qu'Alliance Sud montrera sans compromis, mais de manière constructive, que la Suisse ne fait pas toujours ce qu'elle dit. La cohérence politique est notre pain quotidien, les objectifs de durabilité sont notre cadre de référence. Des conflits sont prévisibles dans ce processus de négociation, car il n'est pas rare que la Suisse officielle ait recours à d'autres principes.

Fiabilité, confiance, prévisibilité : nous sommes heureux d'avoir pu recruter à la tête d'Alliance Sud Andreas Missbach, nouveau directeur depuis janvier. Après un demi-siècle, Andreas insuffle un élan fort à l'équipe d'Alliance Sud et à ses membres.

Opinion

Un « oui » clair pour la justice climatique

19.06.2023, Justice climatique

Avec 59,1% d’avis favorables, les électrices et électeurs ont clairement donné au Conseil fédéral le mandat d'assumer davantage de responsabilités dans la mise en œuvre de l'accord de Paris.

Delia Berner
Delia Berner

Experte en politique climatique internationale

Un « oui » clair pour la justice climatique

© Verein Klimaschutz Schweiz

Enfin ! Le dimanche de la votation, Alliance Sud a également ressenti un grand soulagement lorsqu'il est apparu sans équivoque qu'une protection forte du climat était susceptible de réunir une majorité au sein de l'électorat suisse — en dépit d’une contre-campagne agressive. Le contre-projet indirect à l'initiative sur les glaciers a su convaincre, car une large majorité de la population estime qu'il est grand temps que notre pays assume davantage de responsabilités dans la protection du climat — tant dans son rôle international de pays prospère que vis-à-vis de sa propre population. Ainsi, la loi ne règle pas seulement les obligations de la Suisse en matière de réduction des émissions, mais aussi la responsabilité de la Confédération et des cantons de veiller à l'adaptation au changement climatique.

La nette approbation de la Loi Climat donne au Conseil fédéral et au Parlement le mandat explicite de décider dès à présent des mesures appropriées pour une réduction rapide des émissions suisses, notamment par des adaptations de la loi sur le CO2. L'objectif de réduction de moitié des émissions d'ici 2030 réclame déjà des efforts supplémentaires et constitue simultanément une condition clé pour atteindre l'objectif de l'accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. La loi sur la protection du climat prévoit que ces réductions doivent être atteintes « dans la mesure du possible » en Suisse. Les possibilités de la politique climatique helvétique sont loin d'être épuisées et vont bien au-delà de l'objectif déclaré du conseiller fédéral Rösti de veiller à ce qu'il y ait suffisamment d'électricité indigène. La première étape majeure sera l'adoption rapide par le Conseil fédéral de l'ordonnance relative à la loi sur la protection du climat.

La réduction rapide des émissions n'est qu'une partie de la responsabilité de la Suisse en matière de justice climatique. La loi exige de surcroît que les flux financiers soient respectueux du climat. La Confédération doit veiller à ce que la place financière suisse apporte sa contribution à la protection globale du climat. Il existe un retard important à combler à ce niveau et, dans le même temps, une énorme chance à saisir d'activer les leviers suisses pour la protection du climat partout sur la planète.

Avec le « oui » franc et massif des citoyennes et citoyens en âge de vote, la Suisse devrait dès à présent profiter de l'impulsion donnée pour mettre en œuvre l'accord de Paris en conformité avec ses responsabilités et à la grande flexibilité financière dont elle dispose en tant que pays riche. Parmi ces engagements figure une contribution équitable de notre pays au financement international dans le domaine du climat, qui ne doit pas se faire sur le dos de la coopération internationale. À l'avenir, la Suisse doit mobiliser des ressources financières additionnelles en faveur du Sud mondial moyennant des instruments de financement conformes au principe du pollueur-payeur.

Global, Opinion

«Les conflits avec la Chine seront plus nombreux»

21.06.2022, Coopération internationale

Selon le professeur Patrick Ziltener, la Chine remet en question la domination des valeurs occidentales et va transformer la mondialisation. Entretien avec Andreas Missbach.

«Les conflits avec la Chine seront plus nombreux»

Patrick Ziltener, professeur titulaire à l'université de Zurich, est sociologue et spécialiste de l'Asie orientale. Il fait de la « recherche à valeur utilitaire » et regrette que les universités suisses réunissent si peu de compétences sur la Chine : « Nous ne nous rendons absolument pas compte de la mesure dans laquelle la Chine change le monde. »

Viele sehen gegenwärtig das Ende der Globalisierung angebrochen: China ist seit den Neunzigerjahren rasant gewachsen. Erwarten Sie, dass China in Zukunft weniger auf die Globalisierung − verstanden als Weltmarktdynamik − zählen kann?

Patrick Ziltener: Alles deutet darauf hin, dass die Globalisierung fortgesetzt wird, aber nicht eins zu eins wie der Globalisierungsschub der letzten 40 Jahre. China macht auch explizit deutlich, dass es an einer Fortsetzung der Globalisierung interessiert ist, aber sie wird stärker chinesisch geprägt sein. Chinesische Regeln, Standards und Methoden werden verbreiteter sein und es wird nicht so sein, dass der Westen die Regeln weiterhin diktiert. Bei uns ist nicht auf dem Radar, dass Ostasien die Globalisierung fortgesetzt hat, als sie im Westen schon stagnierte: China hat das pazifische Projekt der Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) vorangetrieben, während Donald Trump die westlich dominierte Transpacific Partnership (TPP) beerdigt hat.

Das heisst, wir haben nicht mehr eine globale Globalisierung, sondern eine geteilte Globalisierung, wobei sich die Einflusssphären in unterschiedlicher Geschwindigkeit und Intensität globalisieren.

Ja, und zwar Vertiefung und Liberalisierung im Pazifischen Raum – und nichts im Westen. Die WTO ist weiterhin blockiert und China sieht das nicht als Hauptarena, sondern fokussiert auf die regionale Integration und natürlich auf die Neue Seidenstrasse. Früher war China ein «rule taker», jetzt ist China ein «rule maker». Aber wir dürfen nicht vergessen, dass China auf dem Weltmarkt überall kompetitiv schon drin ist. Wenn die Weltbank eine Ausschreibung macht für irgendwelche Projekte, dann gewinnen in 40% der Fälle chinesische Akteure.

China hat jedoch bei seinem Wachstum gerade nicht auf die Rezepte der Globalisierer, verkörpert durch den «Davos-Mann» und den Konsens von Washington, gesetzt. Was waren die Erfolgsfaktoren für den Aufstieg Chinas?

China hat alles studiert, es hat studiert wie Japan, Südkorea, Taiwan oder Singapur aufgestiegen sind und hat daraus gelernt, dass Weltmarktintegration möglich ist und eine sehr starke Dynamik entfalten kann, dass aber das Ganze gesteuert werden muss. Es werden Anreize gesetzt und Räume geöffnet, aber immer schrittweise und nie als «Big Bang» durch eine ideologische Wirtschaftspolitik, sondern ganz pragmatisch. Das fing an mit diesen Sonderwirtschaftszonen Shenzhen und in der Provinz Fujian, dann hat man diese Erfahrungen ausgewertet, man hat Gesetzgebung und Regulierungen angepasst und schrittweise auf andere Branchen ausgedehnt. Diese Kombination von Marktelementen und Steuerungselementen hat eine unglaubliche Dynamik angefacht, die vorbereitet und begleitet wurde durch eine staatliche Infrastrukturpolitik. Das Ganze war nie von der Idee der vollständigen Liberalisierung geleitet.

Und China hat auch den ausländischen Unternehmen nicht einfach freie Hand gegeben.

Es gibt immer rote Linien irgendwo am Horizont und der Spielraum der Unternehmen hängt ganz davon ab, wie sie in die chinesische Agenda passen: Entweder wird ihnen der rote Teppich ausgerollt oder sie sind dazu aufgefordert zu gehen. Deshalb sind die Erfahrungen von UnternehmerInnen so widersprüchlich. Eine Zeit lang sah es auch so aus, als würde der Einfluss der Staatsunternehmen schrittweise abgebaut und verschwinden. Das ist aber nicht mehr der Fall und es ist ganz klar, dass der staatlich kontrollierte Sektor eines der Standbeine ist und immer bleiben wird. Die autoritären Tendenzen zeigen sich auch in der Wirtschaft: In jedem Unternehmen müssen Parteigruppen gebildet werden, auch in ausländischen Unternehmen. Walmart in China hat also eine kommunistische Parteigruppe. In den meisten Fällen haben diese keinen direkten Einfluss auf die operative Tätigkeit der Unternehmen, aber sie sind eine Art Rückversicherung: Wenn irgendetwas nicht in die richtige Richtung läuft, dann gibt es dieses Instrument für Korrekturen im Sinne der Führung.


Wie definiert sich denn die richtige Richtung? Hat sich etwas geändert oder geht es einfach immer um Wachstum und wirtschaftliche Stärke?

Das absolut überragende Ziel ist politische Stabilität, also was man auf Englisch «regime survival» nennt. Danach kommt Wirtschaftswachstum, aber nicht einfach Wirtschaftswachstum, sondern die Herausbildung von weltmarkkonkurrenzfähigen chinesischen Unternehmen, so wie Huawei. Die Politik kommuniziert ganz offen, in welchen Bereichen die Prioritäten liegen, sei es in der Luftfahrt, in der Agrartechnik oder in der Robotik. Da wird es irgendwann Weltmarktkonkurrenz durch einige sehr grosse chinesische Unternehmen geben, die unserer ABB und unserer Novartis und irgendwann auch Nestlé das Fürchten lehren werden.

Zurück zur unmittelbaren Aktualität: Die chinesische Führung ist angesichts des Kriegs in der Ukraine in einem Dilemma: Einerseits möchte sie eine «eurasische» Allianz mit Russland gegen die USA, andererseits ist der Westen für die chinesische Wirtschaft viel wichtiger. Teilen Sie diese Einschätzung? Falls ja, wie wird die chinesische Führung in dieser Situation navigieren?

Das Ganze ist eine äusserst unangenehme Situation für China, das hat man auch in der ersten Pressekonferenz gesehen, als die Sprecherin des Aussenministeriums lavieren musste. Einerseits besteht China auf dem Prinzip der Nichteinmischung und des Nichteinsatzes kriegerischer Mittel. Andererseits, und das gilt auch für die Bevölkerung, gibt man weitgehend dem Westen die Schuld, mit dem Argument, dass die Osterweiterung der Nato und das Eindämmen von Russland die Hauptursachen für den Krieg seien. Eigentlich billigt China also das Verhalten Russlands nicht und das ist aus meiner Sicht die gute Nachricht: China wird aus grundsätzlicher Sicht nie zu einem solchen Mittel greifen, es wird zum Beispiel nie Taiwan ins Mutterland eingliedern, wie Russland das mit der Krim gemacht hat. Das wird hingegen ein strategisches Spiel werden, das bereits begann, als Xi Jinping sagte hat, das Problem Taiwan werde nicht an zukünftige Generationen übergeben.  

Aber wie wird das denn ohne militärische Mittel gehen, wenn es Taiwan nicht so toll findet, Teil Chinas zu werden?

Ich halte ein Szenario für am wahrscheinlichsten, das langfristig angelegt ist und schrittweise ein Eingrenzen und ein Abschnüren von Taiwan beinhaltet. Ein erster Zug könnte sein, dass China sagt, es halte die Versorgung Taiwans und den Schiffsverkehr nicht mehr für sicher. Was das an der Börse in Taiwan bewirken würde, ist völlig klar. Dank solchen Methoden, also indem Taiwan das Wasser abgegraben wird, soll es dann irgendwann China wie eine reife Frucht in den Schoss fallen.

Sie haben zur Neuen Seidenstrasse und zum Einfluss Chinas auf Afrika geforscht. Stimmt der oft gehörte Vorwurf, China sei einfach nur eine weitere koloniale Macht?

Meine Definition von Kolonialismus beinhaltet Zwangsmassnahmen, die unter Gewalteinsatz oder unter Androhung von Gewalt durchgesetzt werden. Das ist die berühmte Kanonenbootpolitik, die ich bei China nicht sehe. Jetzt kann man natürlich den Begriff des Neokolonialismus verwenden, also Dominanz und Manipulation durch nicht-militärische Mittel. Das findet teilweise statt, aber vor allem in der frühen Phase der Neuen Seidenstrasse sind die Chinesen gekommen und haben gefragt: «Was wollt ihr»? Und wenn der Präsident eines afrikanischen Landes gesagt hat, er wolle eine Autobahn, die in seine Heimatstadt oder sein Heimatdorf führt, dann wurde diese gebaut, und zwar ohne wirtschaftliche Überlegungen. Das hat sich ein bisschen geändert, die Projekte werden besser ausgesucht und umgesetzt. Das ist für mich sowieso das Bemerkenswerte: Das Ganze ist ein lernender Organismus, es wird ausgewertet, da werden Erfahrungen geteilt und dann werden neue Standards gesetzt, und zwar ständig.

Die Bevölkerung sieht das aber oft anders.

Es gibt erste Forschungsergebnisse, die zeigen, dass durch erfolgreiche Projekte, zum Beispiel eine neuen Eisenbahnlinie in Nigeria, die Haltung gegenüber China positiv beeinflusst wird. Aber in den meisten Ländern, die ich angeschaut habe, ist das Misstrauen in der Bevölkerung gegenüber der eigenen Regierung sehr gross und genauso gegenüber China. Was die dann zusammen unter nicht transparenten Bedingungen machen, stösst erst Recht auf grosses Misstrauen, im Sinne von «unsere korrupte Elite macht mit China gemeinsame Sache und fischt unsere Rohstoffe ab».

Also doch primär Rohstoffe, wie in der klassischen kolonialen Arbeitsteilung?

China ist interessiert an einer ununterbrochenen Zufuhr von Rohstoffen, die zentral sind für die chinesische Industrie, und zwar für fortgeschrittene Bereiche wie Informatik und Kommunikationstechnologien. Natürlich gibt es das grosse Wettrennen um Rohstoffe, zum Beispiel im Kongo oder in Sambia, und China ist da ebenfalls tätig, als ein Akteur unter anderen; gerade in der Schweiz beherbergen wir ja auch solche zentralen Akteure. Die Forschung zeigt aber einen Unterschied: Chinesische Unternehmen sind an der stetigen Zufuhr dieser Ressourcen nach China interessiert, unabhängig vom Weltmarktpreis, während westliche Unternehmen auf den Weltmarktpreis reagieren und dann die Förderung ausbauen oder zurückfahren, Leute einstellen oder feuern. China macht auch mit diesen Ressourcen sogenannte «Swap Deals», also bietet die Möglichkeit an, dass Infrastrukturprojekte mit Rohstoffen bezahlt werden können. Das ist nicht neu, das gab es schon lange vor China, und China hat das selber auch erlebt: Es gab japanische Infrastrukturprojekte in China, die mit chinesischen Ressourcen bezahlt wurden. China macht aber auch sehr viel mehr, als nur die Rohstoffprojekte zu sichern, nämlich Infrastrukturprojekte wie Staudämme, Sportstadien, Parlamentsgebäude oder das Hauptquartier der Afrikanischen Union. China verkauft das nicht als Entwicklungshilfe, sondern sieht es als «win-win» und ist dabei ganz selbstbewusst der Ansicht, es mache es besser als der Westen.

Und wo liegt hier tatsächlich der Unterschied zu vom Westen finanzierten Infrastrukturprojekten?

Es gibt keine Umweltverträglichkeitsprüfung, keine Sozialverträglichkeitsprüfungen, keine Bedingungen werden daran geknüpft; das macht es natürlich attraktiv für afrikanische PolitikerInnen. Es gibt auch keine Transparenzbestimmungen oder Korruptionsbekämpfung. Der zweite grosse Vorteil für afrikanische Regierungen ist das Tempo. China schafft es in zwei, drei oder vier Jahren, einen Flughafen hinzustellen und gerade dort, wo Wahlen gewonnen werden müssen, spielt das eine sehr grosse Rolle.

Also schwächt China die Demokratie in Afrika – auch so ein Topos – oder trägt sogar zu Autoritarismus bei?

Die selbst erklärte Absicht Chinas, sich nicht in innere Angelegenheiten anderer Länder einzumischen, ist durchaus glaubwürdig. Der Regimetyp spielt im Prinzip keine Rolle. Ob autoritäre Herrschaft, Diktatur oder Demokratie: Wenn es ein geeignetes Projekt gibt, dann machen sie das. Zweitens strebt China tatsächlich keinen Regime-Export an. China fördert aber die Stabilität dieser verschiedenen Regime, zumindest stellenweise durch Entwicklungserfolge, aber dann gibt es die autoritäre Seite. Was mir dabei besonders bedenklich erscheint: China exportiert auch Methoden zur Stabilisierung von Regimen in Form von Beeinflussung der Öffentlichkeit und durch Überwachungstechnologien. China bildet etwa Experten aus in Manipulationstechniken, die es selber anwendet, zum Beispiel auf den sozialen Medien. Hier liegt also schon die Gefahr des Autoritarismus und auch der Verstärkung autoritärer Tendenzen von Regierungen, die demokratisch an die Macht gekommen sind.  

Noch zu einem letzten Topos: China treibt mit seinen Investitionen und mit seinen Projekten Afrika in die Schuldknechtschaft.

Ja, das ist ein Trend, den es gab. Das hängt einerseits damit zusammen, dass China noch nicht so viel Erfahrung mit dem Schuldenmanagement hat und gerade jetzt erlebt, dass Überschuldung zu einem Problem werden kann. Die Forschung konnte aber nicht nachweisen, dass China eine aktive Verschuldungsstrategie verfolgt, damit Länder abhängig werden, ihre Schulden nicht mehr bedienen können und man dann irgendwelche Bedingungen diktieren kann. Es gibt einige wenige Länder, bei denen der Anteil der Schulden gegenüber China so dramatisch ist, dass man sagen muss, diese Länder sind faktisch abhängig von China, zum Beispiel Dschibuti. Die meisten Länder haben aber mehrere Standbeine.

China hat völlig andere wirtschaftliche und politische Ordnungsvorstellungen. Wenn es Alternativen zu den neoliberalen Rezepten des «Washington Consensus» formuliert, kann das positiv sein, aber was geschieht mit dem UNO-System, den Werten, die uns lieb sind: Menschenrechte, Minderheitenrechte, politische Partizipation der Zivilgesellschaft und so weiter?

Hier sollten bei uns die Alarmglocken läuten: China hat auch da ganz offensiv eine Ansage gemacht: «Wir werden dieses System verändern, es wird weniger westlich geprägt sein und es wird stärker asiatische und insbesondere chinesische Eigenschaften haben.» Was aus chinesischer Sicht eine Überbetonung individueller Freiheitsrechte ist, wird relativiert zugunsten von wirtschaftlichen und sozialen Rechten auf Entwicklung und Recht auf Sicherheit; das bedeutet dann eben aus unserer Sicht mehr autoritäre Elemente. Zum ersten Mal seit dem Ende des Kalten Krieges formuliert ein Akteur offen eine offensive Agenda, was die Dominanz westlicher Institutionen und westlicher Werte in Frage stellt. Das ist äusserst ernst zu nehmen. Was wir bis jetzt gesehen haben, sind symbolische Aktionen: Zum Beispiel mobilisiert China gegen den Vorwurf der Verschlechterung der Menschenrechtslage seine befreundeten Staaten. China macht dann in der UNO eine Show und sagt, okay, es sind 24 westliche Länder, die uns kritisieren, aber es sind 50 UNO-Mitglieder, die sich dagegen verwahren und sagen «das ist nicht gerechtfertigt». Solche Konflikte werden zunehmen, nicht nur auf symbolischer Ebene. Die UNO wird in vielerlei Hinsicht, und zwar bei den Massnahmen, die der Westen durchgesetzt hat, etwa Sanktionen oder Interventionen zum Schutz der Menschenrechte, weniger handlungsfähig werden.

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Global, Opinion

Voix en marge de la mondialisation

21.06.2022, Coopération internationale

Au cours des six dernières années, elle a été la voix de la radio suisse alémanique (SRF) depuis l'Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, Karin Wenger s’octroie un peu de répit et parle de ses nouveaux livres.

Voix en marge de la mondialisation

Être une femme journaliste permet d’avoir un meilleur accès à une grande partie de la population asiatique : Karin Wenger en discussion avec une femme indigène sur l’île de Bornéo, en Indonésie.
© zVg

Village global ou pas, ce sont finalement les habitants du Sud qui connaissent le mieux le double visage de la mondialisation. Leurs histoires sont souvent noyées dans le flot médiatique occidental, car les usines à informations qui tournent 24 heures sur 24 n’ont pas la place ni le temps d’offrir un accès au quotidien des personnes vivant en marge de la société. Ce n'est pas un hasard si, malgré la mondialisation, les médias suisses ont donné de moins en moins d’échos de sujets étrangers ces dernières années.

Les exceptions de qualité tombent d’autant plus à point nommé : sur les ondes de SRF, la journaliste Karin Wenger a toujours relaté des histoires qui, sinon, seraient passées inaperçues et a publié ce printemps trois livres aux multiples facettes, qu’il faut avoir lus et qui éclairent la marge (et pourtant le cœur) de la société (d'information) mondiale. Nous lui avons demandé ce qui motivait les personnes invisibles qui se débattent dans la mondialisation et quelles conséquences de ce phénomène elles ressentaient.

« Beaucoup ressentent directement ou indirectement la mondialisation en devenant le jouet des puissances et des querelles géopolitiques », explique Karin Wenger en réponse à nos questions. Par exemple, les répercussions des mégaprojets dans le cadre de la nouvelle route de la soie de la Chine au Laos ou au Cambodge ou le retrait des fonds occidentaux d'Afghanistan — une conséquence de l'intérêt décroissant de l'Occident. La mondialisation a des effets très directs sur les conditions de travail des ouvrières dans les usines textiles du Bangladesh ou du Vietnam, dans l’optique « du moins cher possible ». Ces conditions de travail sont toujours un sujet concret dans ses livres.

Une journaliste opiniâtre

Les troupes soviétiques ont envahi l'Afghanistan en 1979, année de naissance de Karin Wenger. Elles vont y rester une dizaine d'années, brisant tous les rêves, comme le feront plus tard les talibans. Ces dernières années, Karin Wenger n'a cessé de couvrir l’épuisante guerre et la lutte totale contre le terrorisme en Afghanistan. Elle y a rencontré Mina, une chanteuse courageuse, persécutée par les conservateurs, dont l'histoire fait l’objet du livre «Verbotene Lieder» (éd. Stämpfli). C'est une histoire saisissante et oppressante, sans issue heureuse, mais pas tout à fait sans espoir comme beaucoup d'autres racontées par Karin Wenger («Bis zum nächsten Monsun», éd. Stämpfli ; «Jacob der Gefangene. Eine Reise durch das indische Justizsystem», éd. Matthes et Seitz Berlin).

Seule une journaliste opiniâtre et sensible comme Karin Wenger et seul un livre peuvent décrire de tels environnements et situations extrêmes. Pendant des années, elle rencontre ses protagonistes, écoute leurs expériences, parle avec leurs proches et devient même une partie de leur histoire. Comme quand elle a aidé Mina à faire une demande de visa humanitaire auprès du consulat général suisse à Istanbul. Sans succès. « C'est une condamnation à mort », confie Mina lorsqu’elle apprend la décision négative : « Nous n'avons pas de papiers, pas d'identité, mon enfant ne peut pas aller à l'école. Le droit d'être un être humain nous a été retiré ».

Rozina, une couturière bangladaise dont Karin Wenger raconte l'histoire dans « Bis zum nächsten Monsum » (Jusqu’à la prochaine mousson), a elle aussi vécu une situation dramatique : elle travaillait dans le bâtiment du Rana Plaza, où des grands noms du prêt-à-porter font fabriquer leurs vêtements, lorsque l’immeuble s'est effondré le 24 avril 2013. 1’134 personnes sont mortes, plus de 2’500 ont été blessées. Rozina aimait pourtant son travail à l'usine, même si elle a perdu sa sœur et son bras dans l'effondrement. « Pour les femmes pauvres, comme moi, le travail en usine est un cadeau du ciel », avoue Rozina. « Le travail m’a libérée parce que j’ai pu gagner mon propre argent ».

La force des êtres humains

« À maintes reprises », écrit Karin Wenger dans la préface de l’ouvrage mentionné, « j'ai rencontré des personnes qui avaient survécu à des choses terribles, et à chaque fois je me suis demandé comment il était possible de continuer à vivre après une expérience aussi extrême. Où les gens trouvent-ils la force de continuer sans se briser, ni physiquement, ni psychiquement, alors qu'ils ont vécu des expériences cruelles? »

L'aspiration à moins de superficialité et de sobriété, ainsi que le désir d'accompagner les gens plus longtemps, au lieu de les laisser s'exprimer uniquement dans des flashs d'information, ont poussé Karin Wenger à rendre plusieurs fois visite à ses protagonistes au cours des années qui ont suivi les premières rencontres, et à finalement écrire à leur sujet. Il en résulte trois ouvrages palpitants et très bien écrits, qui en disent plus long sur les vaines promesses et les contradictions de la mondialisation que de nombreux essais scientifiques qui ne jonglent qu'avec des chiffres et des théories.

Karin Wenger

Karin Wenger a étudié les sciences des médias et de la communication, le journalisme et la politologie. Pendant ses études, elle a travaillé comme observatrice de la paix au Chiapas et a fait des recherches sur le conflit en Irlande du Nord à Belfast. Elle a passé sa dernière année d'études à l'université de Birseit, en Cisjordanie. Depuis 2009, elle a notamment couvert pour la radio suisse alémanique (SRF) la guerre en Afghanistan, les catastrophes naturelles au Pakistan et au Népal, la démocratie indienne aux multiples facettes ou le coup d'État militaire au Myanmar.

Pour en savoir plus sur Karin Wenger et ses livres : www.karinwenger.ch

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Opinion

Degel et recentrage pour sauver l’ONU

21.06.2022, Coopération internationale

La guerre en Ukraine a exacerbé une crise des valeurs liée à l'instrumentalisation politique de l'ONU. Les pays neutres comme la Suisse devraient s'engager davantage pour un monde meilleur, exige El Hadji Gorgui Wade Ndoye.

Degel et recentrage pour sauver l’ONU

El Hadji Gorgui Wade Ndoye, journaliste accrédité auprès des Nations Unies. Directeur du magazine panafricain ContinentPremier.Com et correspondant permanent du « Soleil » de Dakar.
© zVg

 

La crise majeure que traverse l’Organisation des Nations Unies est fondamentalement identitaire. Les valeurs universelles qui ont fait le ciment des nations se fissurent et craquellent, s’effaçant face à une logique devenue belliqueuse qui ne met pas l'emphase sur les valeurs de la paix, des droits humains etc. La crise actuelle en Ukraine le démontre à souhait. Il y a, d'une part, un État, membre permanent du Conseil de sécurité, qui – en plein XXIème siècle – agresse un autre État sous prétexte de dénazification. D'autre part, un bloc occidental qui fait de la surenchère verbale et s'engage de manière déterminée à armer densément l'État concerné.

Au-delà même de la catastrophe climatique, annoncée par le GIEC (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat), réaffirmée par le rapport de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) paru le 18 mai, des crises humanitaires et alimentaires gérées tant bien que mal par une Organisation des Nations Unies pauvre en moyens financiers, la guerre en Ukraine est venue exacerber une crise des valeurs liée à l'instrumentalisation politicienne de l'organisation mondiale. Le Conseil des droits de l’homme, héritier de la Commission éponyme dont le siège est à Genève, n'échappe pas toujours à cette instrumentalisation. L’ONU n'a pourtant pas été créée en 1945 sur les cendres de la société des nations (SdN), avec une vision manichéenne du « pour » ou du « contre ».

Professeur à la faculté de Droit de l'Université de Genève et membre de l'institut de droit international (IDI), Makane Moïse Mbengue propose justement un « recentrage de la rhétorique autour des valeurs, buts et principes fondateurs des Nations Unies ». Dans ce cadre, le continent africain a un rôle important à jouer, lui qui concentrait jusqu’à récemment près de 70 % du volume d’intervention de l’ONU. Le continent premier, qui n’est pas dans des blocs Est-Ouest, témoin d’un face-à-face qui malheureusement resurgit, sur fond de réchauffement de la guerre froide, pourrait apporter un « supplément d’âme » à la communauté internationale en tant qu’aîné des fils de la Terre. De même, des pays historiquement neutres devraient s’investir davantage pour un monde meilleur. C’est le cas, peut-être, de la Suisse qui vient d’intégrer l’un des plus importants des six organes des Nations Unies : le Conseil de sécurité. En effet, comme nous le souffle à l’oreille, le sociologue suisse, professeur Jean Ziegler : « L’ONU est la dernière tranchée avant le chaos. »

Quel rôle pour la Suisse ?

Ce mois de juin 2022 marque une date historique pour la Suisse qui sort de la liste des soixante-deux (62) pays qui n’ont jamais siégé au Conseil de sécurité. La Confédération suisse, devenue membre de l’ONU en 2002, pourrait désormais, avec la nouvelle confiance portée sur elle par l’Assemblée générale des Nations Unies, jouer un rôle de dégel au sein des relations entre les quinze États membres et notamment les cinq permanents (Chine, France, États-Unis, Fédération de Russie et Grande-Bretagne). Malgré les sanctions contre la Russie auxquelles elle a pris part, la crédibilité et la neutralité suisse peuvent encore servir pour bâtir des ponts entre les nations. La Confédération pourrait ainsi, avec d’autres pays comme ceux du continent africain et les pays latino-américains, pousser à un recentrage de la rhétorique au sein du Conseil de sécurité pour que celui-ci soit davantage conforme aux idéaux de la Charte des Nations Unies. La Suisse pourra se présenter comme une médiatrice dans la crise actuelle entre la Russie et l’Ukraine, n’étant membre ni de l'OTAN ni de l'Union européenne, si pendant les deux ans où elle siègera au Conseil, elle tisse sa toile médiatrice en insufflant à cet organe puissant ses valeurs de paix et de démocratie participative. Il sera difficile, voire impossible, d’éliminer le droit de veto inscrit dans la Charte des Nations Unies et qui a été accordé aux cinq membres permanents, en raison de leur rôle clé dans la création de l’Organisation.

La Suisse pourrait cependant, de concert avec d’autres États, s’inspirer de la résolution adoptée par consensus le mardi 26 avril 2022 par l’Assemblée générale. Tout recours au veto déclenchera désormais une réunion de l'Assemblée générale, au cours de laquelle tous les Etats membres des Nations Unies pourront examiner et commenter le veto. La résolution « Mandat permanent pour un débat de l'Assemblée générale lorsqu'un veto est opposé au Conseil de sécurité », adoptée sans vote, fait suite à l'utilisation par la Russie de son droit de veto au Conseil, le lendemain de son invasion de l'Ukraine, appelant à son retrait inconditionnel du pays. Une nouvelle brèche qui exige une plus grande responsabilité des États dotés du droit de veto. Les États membres ont confié au Conseil la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et ont convenu que lorsqu'il agit en leur nom, il convient que le Conseil fasse preuve de la plus grande responsabilité pour œuvrer à la réalisation « des buts et principes de la Charte des Nations Unies à tout moment ».

La neutralité est-elle compatible avec un siège au Conseil de sécurité ?

La Suisse, attachée aux idéaux exprimés dans la Charte des Nations Unies, doit donc inscrire sa présence au Conseil de sécurité dans la continuité logique de son engagement pour la paix et la sécurité dans le monde et au sein de l’organisation mondiale. L’objectif fondamental de la neutralité suisse coïncide avec celui de l’ONU, dans la mesure où celle-ci substitue, à la loi du plus fort et à la justice sommaire, un système basé sur le droit, pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». On peut en effet constater que les Etats dont l’indépendance et l’impartialité sont garanties par rapport à un conflit et qui n’ont pas d’intérêt national direct ou d’agenda caché dans le règlement de celui-ci, ont des prédispositions à jouer le rôle du médiateur de bonne foi (« honest broker »). Ce siège au Conseil de sécurité devrait lui offrir de nouvelles possibilités de contribuer à la paix, à la sécurité et à l’instauration d’un ordre international équitable. En définitive, même si l’ONU n’a pas réussi toutes ses missions, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle est « la dernière tranchée avant le chaos » pour paraphraser le Professeur Jean Ziegler.

Opinion

Un jour d'été dans le sud – et la guerre continue

05.07.2022, Coopération internationale

Il faut le reconnaître : Ignazio Cassis s'est donné à fond pour "sa" conférence de Lugano. Il est grand temps que le président de la Confédération fasse preuve de la même énergie pour lutter contre la crise alimentaire mondiale et pour l'Agenda 2030.

Marco Fähndrich
Marco Fähndrich

Responsable de la communication et des médias

Un jour d'été dans le sud – et la guerre continue
La "Déclaration de Lugano" n'est qu'un élément parmi d'autres pour promouvoir en Ukraine une société pacifique et inclusive pour un développement durable (objectif 16 de l'Agenda 2030).
© Alliance Sud

Après tout le battage effectué à l'occasion de la conférence sur l'Ukraine à Lugano, les diplomates suisses se taperont sans doute mutuellement dans le dos - même si les grands noms de la politique internationale ont finalement fait défaut. Rien d'étonnant à cela, puisque le ministre suisse des Affaires étrangères a lui aussi séché la conférence internationale sur la crise alimentaire à Berlin. Malgré tout, la "Déclaration de Lugano" a au moins atteint un objectif et fixé les conditions politiques pour la reconstruction démocratique en Ukraine, dans laquelle la société civile internationale et locale jouera un rôle central.

La fin de la guerre semble toutefois encore lointaine et d'ici là, la reconstruction ne pourra pas être entamée de manière globale et durable. Il faut continuer à atténuer autant que possible les conséquences dramatiques, en Ukraine comme à l'échelle mondiale. Et il y a aussi beaucoup à faire en Suisse, car sa place financière et son négoce de matières premières rendent souvent possible la conduite de la guerre et la corruption ailleurs. Justement aussi à Lugano, ce que Ignazio Cassis a brillamment occulté ces deux derniers jours.

La population veut plus de coopération internationale

La population suisse a fait preuve d'une grande solidarité envers l'Ukraine : jusqu'à présent, elle a mis à disposition près de 300 millions de francs suisses sous forme de dons aux organisations d'aide. La Suisse officielle a certes annoncé à Lugano qu'elle doublerait la coopération bilatérale pour la porter à 100 millions ; on ne comprend toutefois pas l'intention de prélever cet argent du budget actuel de la coopération internationale.  

Le Parlement suisse veut consacrer deux milliards supplémentaires par an à sa propre armée à partir de 2030 ; mais pour une politique de paix globale dans le monde entier, comme le souhaite une majorité de la population, les politiques ne sont pas prêts à mettre la main à la poche. Même si le soutien à la reconstruction et à la population civile en Ukraine est important - 50 "petits millions" supplémentaires ne sont certainement pas suffisants -, il est essentiel que cet argent soit alloué en plus et ne se fasse pas au détriment des tâches tout aussi urgentes dans d'autres pays.

Un agenda trop chargé pour l'Agenda 2030 ?

Le Forum politique de haut niveau sur la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (Agenda 2030) débute aujourd'hui à New York. Malheureusement, le président de la Confédération ne sera pas présent à cet événement important, car des choses apparemment plus importantes l'attendent. Espérons qu'il en profitera pour réfléchir à une politique de paix globale pour la Suisse et qu'il profitera de quelques jours d'été dans sa commune de résidence de Collina d'Oro, où le prix Nobel de littérature Hermann Hesse a également vécu et écrit peu après la Première Guerre mondiale :

« En temps de paix, lorsque nos compatriotes devenus riches pouvaient encore voyager sans entraves, on ne rencontrait aucun d'entre eux dans le sud en été. En été, selon une sombre rumeur, le sud était insupportablement chaud et rempli de fléaux fantastiques, et l'on préférait s'asseoir dans le nord ou passer l'été à geler dans un hôtel alpin à deux mille mètres d'altitude. Aujourd'hui, c'est différent, et ceux qui ont eu la chance d'exporter leur personne et leurs gains de guerre vers le sud y restent et profitent des bienfaits de cet été, sous le soleil de Dieu qui tolère tout. Nous, les vieux Allemands de l'étranger, sommes relégués à l'arrière-plan, et nous ne sommes pas vraiment présentables, même avec nos visages soucieux et les franges de nos pantalons. En revanche, notre peuple est brillamment représenté par ces mêmes messieurs qui ont acheté ici des maisons, des jardins et le droit de cité à l'aide de l'argent qu'ils ont emporté clandestinement à temps". (Extrait traduit de : Journée d'été dans le sud, Tessin, 1919).