Conférence de l’ONU sur le financement du développement
Séville : paix, joie et tortilla ?
26.09.2025,
Financement du développement
Lors de la quatrième conférence de l'ONU sur le financement du développement (FfD4) à Séville, il était clair pour l’ensemble des participant·e·s qu'il convenait d’aller chercher plus d’argent là où il est disponible : auprès des entreprises et des gens très fortunés. Mais les avis étaient très partagés sur la façon de procéder.
La FfD4 du début juillet s'est tenue dans l'une des périodes les plus critiques de ces dernières années pour le développement mondial. Le financement public du développement devrait fondre de 17 % rien que pour l'année 2025. Et c'est encore pendant la conférence que le sort de l'USAID — autrefois le plus grand bailleur de fonds de la planète — a été définitivement scellé. Moins de cinq ans avant l'échéance, il manque chaque année plus de 4000 milliards de dollars pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) de l'ONU.
Non pas que l'argent manque fondamentalement : depuis la dernière conférence sur le financement du développement à Addis Abeba en 2015, le pour cent le plus riche de la population de la planète a augmenté sa fortune de plus de 33 900 milliards de dollars — 22 fois plus que ce qui serait nécessaire chaque année pour éradiquer la pauvreté absolue. Selon l'ONU commerce et développement (CNUCED), l'Afrique pourrait à elle seule récolter près de 89 milliards de dollars par an en limitant les flux financiers déloyaux. La moitié de cette somme provient de l'évasion fiscale des multinationales, et le secteur des matières premières est de loin la principale source de tels flux financiers. Ce qui devrait en fait intéresser la Suisse.
Des absents de marque (et d’autres moins notables)
Le document final non contraignant de la conférence, le Compromiso de Sevilla (l’Engagement de Séville), avait déjà été adopté à la quasi-unanimité le 17 juin à New York. Il n'y a donc plus eu de négociations dans la cité andalouse. Les Etats-Unis ont été largement responsables de l’édulcoration du texte, par exemple sur le thème du climat. Malgré cela, ils se sont retirés du processus deux semaines avant la conférence, devenant ainsi le seul pays à ne pas soutenir le document final et à rester à l'écart de Séville.
La conférence a néanmoins accueilli plus de 15 000 personnes, dont 60 cheffes et chefs d'Etat et de gouvernement, 80 ministres, le secrétaire général de l'ONU António Guterres, des représentations de haut niveau d'agences onusiennes et d'autres organisations internationales. La Suisse a toutefois renoncé à envoyer une délégation de haut rang. L'absence de ministre a eu pour conséquence que notre pays n'a pu s'exprimer qu'en toute fin de la partie officielle de la conférence. Et comme aucune conseillère fédérale et aucun conseiller fédéral n’ont fait le déplacement, la Suisse a manqué les échanges avec les 60 cheffes et chefs d'Etat et de gouvernement présents. Le trajet jusqu'à Séville est en effet plus long que celui jusqu'à Davos. De plus, il y faisait bien trop chaud.
Comme le processus de financement du développement va bien au-delà du financement du développement au sens de la coopération internationale (CI), plusieurs conseillères et conseillers fédéraux auraient pu y participer. Les mesures contre l'évasion fiscale et les flux financiers déloyaux figuraient en bonne place à l'ordre du jour, tout comme les thèmes de la dette et du désendettement, du commerce et du développement ou les questions systémiques de l'architecture financière internationale.
Un programme axé sur un thème avant tout
Un thème a dominé l'ordre du jour, la mobilisation des ressources domestiques, autrement dit la question de savoir comment inciter les entreprises et les investisseurs orientés vers le profit à combler le vide laissé par le manque de fonds publics. A Séville, on a pu entendre des expressions comme Accelerating the shift and private climate Investment at scale, Catalytic pathways to scale private investment, Unlocking ecosystems for inclusive private sector growth, Impact investing, from pioneering innovations to scalable solutions, et bien d’autres encore.
On pourrait penser que c’était dû au fait que les représentant·e·s des entreprises constituaient 40 % des personnes présentes et qu'il y avait un forum totalement consacré aux affaires. Mais le thème était tout aussi dominant dans la partie officielle, auprès des gouvernements (surtout du Nord) et des organisations internationales. Cela vaut aussi pour la Suisse. La majorité des événements qu'elle a organisés tournaient autour du sujet (notamment Accelerating SDG impact through outcomes-based financing).
Heureusement, la société civile a également organisé nombre d’événements parallèles, où l'on a pu entendre qu'à Séville, on a pompé beaucoup de vin aigre dans de vieilles outres. Ainsi Daniela Gabor, économiste et membre du groupe d'experts de l'ONU sur le financement du développement, a rappelé qu'en 2015 déjà, la Banque mondiale avait promis de passer des « milliards aux milliers de milliards » (from billions to trillions) pour financer la mise en œuvre du Programme d’action d'Addis-Abeba (résultat de la 3e Conférence des Nations Unies sur le financement du développement). À l'époque, les partenariats public-privé et le de-risking (l’atténuation des risques) étaient déjà des piliers centraux de l'agenda. Il s'agissait (et il s'agit toujours) d'utiliser l'argent financé par les impôts dans les budgets de la coopération internationale du Nord global pour créer des projets rentables pour de grands investisseurs comme Blackrock ou des fonds de pension. Concrètement, des risques doivent être pris pour que ces investisseurs obtiennent des rendements ajustés au risque (risk-adjusted returns) intéressants pour leurs investissements dans des projets liés à l’eau, aux routes ou à l’énergie.
Cela n'a vraiment pas fonctionné et, selon Daniela Gabor toujours, pas parce qu'il n'y avait pas assez d'argent pour l’atténuation des risques de la part des banques de développement multilatérales, de l'UE ou du gouvernement Biden. Cela a capoté parce que même avec une prise de risque financée par l'impôt, les grands projets restaient beaucoup trop chers pour les pays du Sud global.
Entre-temps, il existe la version small is beautiful du de-risking, dans laquelle les investissements dits à impact pour la mise en œuvre de certains ODD doivent être encouragés, et pas seulement les grands projets d’infrastructure. Ils doivent atteindre directement les « bénéficiaires » dans le Sud global. Mais ces derniers doivent également payer, par exemple pour les énergies renouvelables, car il faut bien que les rendements viennent de quelque part. Malgré la terminologie de la CI, ces bénéficiaires sont donc en réalité tout simplement des clients et des emprunteurs. C'est cette version de l'agenda de de-risking qui est également prônée par la Suisse.
La société civile n'est pas la seule à s'y opposer : des représentant·e·s des gouvernements du Sud global ont aussi fait part de leur désaccord. Le ministre sud-africain de la planification, Maropene Ramokgopa, a par exemple appelé au réalisme et rappelé que le secteur privé ne joue un rôle que là où il peut faire des bénéfices et que le blending ne peut donc pas remplacer les fonds concessionnels, surtout dans la situation actuelle d'endettement. Et lors d'une manifestation des Petits Etats insulaires en développement, on a entendu parler de risques tout différents, qui devraient être au centre des préoccupations. Pas ceux pour les investisseurs, mais les risques encourus par les populations face à la montée du niveau de la mer. Dans ce domaine, il est nécessaire de procéder à une atténuation des risques.
It’s taxes, stupid !
Il est indéniable que le secteur dit privé et les gens très fortunés disposent de très nombreux moyens qui pourraient être utilisés pour atteindre les ODD et mettre en œuvre l’Engagement de Séville. Mais au lieu d'espérer pouvoir les attirer avec des ressources limitées de la CI ou de miser sur leur philanthropie, d’autres pistes peuvent être empruntées. Heureusement, on pouvait aussi l'entendre à Séville. Si on le voulait. La Suisse n'a pas voulu.
En effet, l'un des piliers centraux du Compromiso de Sevilla est aussi la mobilisation des ressources domestiques. Avec davantage de recettes fiscales, les pays du Sud global peuvent réduire leur dépendance vis-à-vis des fonds de développement et faire avancer leur économie et leur société de l'intérieur.
C'est ce que l'on aurait pu entendre de la bouche d'Aminata Touré, ancienne première ministre du Sénégal : « En matière fiscale, on constate une injustice permanente dont l'Afrique souffre depuis des siècles. (...) Nous avons des dettes résultant de la fraude et de l'évasion fiscales, (...) parce que les multinationales européennes exploitent nos matières premières sans payer d'impôts. (...) C'est pourquoi l'Union africaine s'est tant engagée en faveur d'une convention fiscale contraignante de l'ONU. Nous voulons une répartition équitable du droit d’imposition. Les impôts doivent être payés là où la richesse est créée. C'est difficile d'expliquer cela parce que c’est tellement simple. Tout écolier le comprend : plus on est riche, plus on paie d'impôts. »
Etonnamment, un représentant du ministère allemand des finances a tenu un discours similaire : « Si les fonds d'aide au développement sont de plus en plus rares, il faut d'autant plus prendre des mesures fermes contre les flux financiers déloyaux, ce pour quoi le gouvernement allemand s'engage depuis longtemps : les entreprises et les super-riches doivent payer leur juste part du gâteau fiscal mondial. »
Coalitions des volontaires
Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, a souligné un autre aspect clé de l'agenda fiscal : « Les Etats-Unis paient à présent le prix de l'inégalité, c'est pourquoi nous assistons à la mainmise de l'oligarchie technologique. Donald Trump veut mondialiser ses réductions d'impôts pour cette oligarchie. (...) Mais le monde ne peut pas être pris en otage, une coalition des volontaires est possible. (...) Inutile d’être lauréat d’un prix Nobel pour comprendre pourquoi il faut taxer les gens les plus fortunés. Nous avons créé les paradis fiscaux. Nous aurions pu les réglementer, mais nous les avons tolérés. Ils existent parce qu'ils profitent aux grandes fortunes. Nous avons besoin de normes mondiales, nous avons besoin de règles à l’échelle de la planète. »
On observait déjà de telles coalitions à Séville. L'Espagne et le Brésil ont annoncé une initiative commune pour une taxation mondiale des super-riches. Neuf pays — le Brésil, la France, le Kenya, la Barbade, l'Espagne, la Somalie, le Bénin, la Sierra Leone et Antigua-et-Barbuda — veulent s'engager à introduire une taxe de solidarité sur les billets d'avion de classe affaires et de première classe ainsi que sur les jets privés.
Ces initiatives, ainsi que 130 autres initiatives volontaires, figurent sur la Sevilla Platform for Action (SPA), qui vise à mettre en œuvre l'Engagement de Séville. Il y a certes une légère contradiction entre engagement et volontariat, mais vu l'état du multilatéralisme, une liste qui contient quelques bonnes propositions est déjà un progrès.
La Suisse : du SPA à la gym
Même si le Compromiso de Sevilla n'est pas contraignant, que la plateforme d’action est volontaire et que des thèmes importants font défaut, la conférence a montré qu'il existe diverses coalitions de pays européens, africains et latino-américains qui font avancer les solutions. Comme programme pragmatique minimal, la Suisse devrait tenir compte de la liste des tâches mentionnées ci-dessous :
Créer une table ronde multipartite avec la participation des créanciers privés des pays surendettés du Sud global.
Ne plus entraver les négociations sur la convention fiscale de l'ONU, mais collaborer de manière constructive avec les pays du Sud global.
Prendre exemple sur l'Espagne, qui s'est engagée à Séville à atteindre d'ici 2030 l'objectif de l'ONU de 0,7% du revenu national brut pour le financement de la CI.
Si vous préférez une approche moins pragmatique, vous trouverez des propositions complètes pour résoudre les problèmes dans le dernier numéro de « global » (#98/Eté 2025, « Le nouveau deal »).
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global
Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.
4ème Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement
Conférence FfD4 à Séville : un pas vers un monde plus juste ?
04.07.2025,
Financement du développement
La 4e Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement (FfD4) s'est tenue à Séville du 30 juin au 3 juillet. Auparavent, les États s'étaient déjà mis d'accord sur une déclaration finale toutefois insuffisante. Des réponses aux innombrables crises n'étaient pas apportés : le Nord réduit ses aides au développement et continue de priver les pays du Sud global de ressources considérables, alors que ces derniers croulent sous le poids de la dette. Mais une société civile combative a exigé sur place des mesures contre les inégalités croissantes. Alliance Sud était présente à Séville et a donné un aperçu des débats et des luttes sur place.
Dernier jour de la conférence
« Nous déclarons ici la faillite de la politique de développement »
Les réponses apportées dans l’Engagement de Séville (Compromiso de Sevilla) à la situation dramatique de la dette dans de nombreux pays sont presque aussi amères qu'une confiture d'oranges andalouse. Lors de l'événement parallèle centré sur le multilatéralisme inclusif et l’architecture de la dette internationale (Inclusive Multilateralism and International Debt Architecture), l'économiste indienne Jayati Ghosh — qui a d’ailleurs préfacé le numéro spécial « Le nouveau deal » de « global », le magazine d’Alliance Sud — l’a rapidement fait comprendre. 2025 avait été prévue comme l'année de la remise de la dette. Cela ne s'est pas concrétisé. Quasiment toutes les revendications des pays surendettés du Sud ont été ignorées lors de la rédaction de la déclaration finale de la conférence. En premier lieu, celles qui demandaient la mise en place d'une convention des Nations Unies sur la dette, qui créerait un cadre pour le désendettement des États. Les intérêts des pays débiteurs et ceux des créanciers du Nord (États, créanciers privés, banques et négociants en matières premières) devaient y être représentés sur un pied d'égalité. Cette revendication principale du Sud global et de la société civile internationale a certes été entendue à Séville, principalement grâce à la société civile, mais elle n'a pas été reprise dans la déclaration finale de la conférence. Les divers projets lancés lors de celle-ci sur la question de la dette se présentent donc comme des maisons sans toit : habitables en soi, mais difficiles d'accès et mal reliées entre elles. Et ce, malgré une situation extrêmement dramatique : selon la CNUCED, l'Agence des Nations Unies pour le commerce et le développement, 68 pays en développement ont de graves problèmes d'endettement. 61 % de la dette totale de ces pays est détenue par des créanciers privés. Les taux d'intérêt que doivent payer les pays en développement sont beaucoup plus élevés qu'aux États-Unis et dans l'UE. Dans 48 pays du Sud global, où vivent 3,3 milliards de personnes, les paiements d'intérêts sont plus élevés que les dépenses consacrées à l'éducation ou à la santé. Le rapport 2025 sur la dette (Schuldenreport 2025) de l'ONG allemande erlassjahr.de, dont la conseillère politique Malina Stutz était assise à côté de Jayati Ghosh sur le podium, révèle des chiffres dramatiques à ce sujet : le Liban consacre 88 % de ses recettes publiques au service de sa dette, l'Angola 56 % et le Sénégal 32 %.
Jayati Ghosh a formulé cinq points qui seraient essentiels pour une bonne politique de la dette :
Les négociations sur l'allègement ou l'annulation de la dette devraient être clairement limitées dans le temps, à savoir trois à six mois, et reposer sur l'égalité de traitement des deux parties.
Pendant cette période, un moratoire sur les paiements est nécessaire, ce qui signifie que le débiteur ne rembourse ni les intérêts ni les parts de la dette au créancier.
Les annulations de dette ne doivent plus être utilisées pour renflouer des créanciers privés. C'est ce qui se produit lorsque les créanciers publics remboursent les créanciers privés.
Les États ne devraient plus être contraints de prendre des mesures d'austérité drastiques dans le cadre des procédures de désendettement, comme c'est le cas aujourd'hui sous le régime du Fonds monétaire international (FMI). Au contraire, le désendettement devrait s'accompagner d’énergiques programmes de croissance économique.
Les pays surendettés doivent conserver leur accès au marché des capitaux. Le fait que ce soient précisément les pays qui connaissent déjà d'énormes problèmes de liquidités qui soient totalement exclus du marché des capitaux aggrave encore les inégalités extrêmes sur ce dernier.
Penelope Hawkins, économiste de la CNUCED, n'a pas explicitement soutenu les propositions de réforme en profondeur de Jayati Ghosh, mais a présenté un projet dans le cadre de la Sevilla Platform for Action(SPA) qui vise à créer un « club des emprunteurs » (borrowers club). En effet, il n'existe à ce jour aucun organe permanent réunissant les pays débiteurs et leur permettant de convenir d'une action commune dans le contexte de la gestion multilatérale de la dette du « cadre commun » du FMI. Ce club serait le pendant du Club de Paris, qui rassemble les pays créanciers, et renforcerait la représentation des intérêts des pays endettés auprès du FMI. « Jusqu'à présent, ces réunions de débiteurs n'ont lieu qu'en situation d'urgence. La question est de savoir comment nous pouvons pérenniser de tels forums », explique Penelope Hawkins. Après Séville, cela reste flou en effet. Mme Hawkins a donc été catégorique : « Nous déclarons ici la faillite de la politique de développement : contrairement au Programme d’action d’Addis-Abeba (Addis Ababa Action Agenda, AAAA) de 2015, la déclaration finale ne mentionne pas une seule fois les pays les plus pauvres. Nous n'avons pas de véritable mécanisme de rééchelonnement de la dette, mais tous les créanciers récupèrent néanmoins leur argent. » Les conséquences sont extrêmes. « Nous ne pouvons coopérer que si nous créons ce club des emprunteurs. »
Les déclarations de Robert Plachta, chef du département Restructuration de la dette et Club de Paris au ministère allemand des finances, ont clairement montré que les efforts déployés par le Sud global et la société civile internationale pour enfin définir des moyens de sortir du piège de la dette se heurteront à une forte opposition, même après la FfD4. Cette année, les créanciers se sont tout de même mis d’accord avec la Zambie et le Ghana sur la restructuration de leur dette. Cela a nécessité beaucoup de temps. Trop selon Mme Ghosh. Cela tient principalement aux créanciers privés, notamment en Suisse, où l'on trouve la grande banque UBS ou le négociant en matières premières Glencore. Robert Plachta a conclu par une déclaration qui pouvait être interprétée comme une menace : « Nous, les créanciers, devons récupérer notre argent. Si tel n'est pas le cas, il y aura des conséquences. Les prêts seront tout simplement moins nombreux. »
Ce qui a de nouveau fait réagir Jayati Ghosh : les recherches menées par Malina Stutz, chargée de mission chez erlassjahr.de, montreraient que les bénéfices réalisés par les créanciers privés grâce à leurs opérations de crédit sont bien supérieurs à ce qu'ils ont réellement investi. Au final, ces créanciers profiteraient de la détresse financière des pays surendettés. Mme Ghosh a déclaré, s'adressant directement à Robert Plachta, qu'elle attendait de l'Allemagne, aujourd'hui première économie européenne, qu'elle accorde aux autres pays ce qui lui a été consenti en 1954, à savoir la possibilité de sortir d'une situation extrêmement difficile et de retrouver la prospérité économique et sociale grâce à une remise de dette complète. M. Plachta n'a manifestement pas apprécié cette comparaison historique.
Puis, Hod Anyigba, économiste syndical ghanéen de l’International Trade Union Confederation Africa (ITUC-Africa), a posé la question fondamentale : « Avez-vous déjà vu une mère se rendre à la banque pour pouvoir réparer son toit ? Le déséquilibre des pouvoirs est extrême. Il est temps que les travailleuses et travailleurs assument la responsabilité de ces choses. Qu'est-il advenu de l'idée de l'État aspirant au développement ? La dignité, les droits, une vie décente, où sont passées ces idées ? Quand je parle aux créanciers, je n'entends que profit, profit, profit. Frère Robert [Plachta] doit retourner à sa table à dessin ! » Chaque maison a une architecture, c'est tout à fait naturel. Pourquoi le système financier n'en a-t-il pas, a demandé Hod Anyigba, appelant à plus d'imagination dans la politique financière internationale : « Pourquoi les dogmes néolibéraux dominent-ils toujours ? Réfléchissez à des propositions hétérodoxes ! »
Cette architecture du système financier international pourrait notamment être développée dans le cadre d'une convention des Nations Unies sur la dette. Malina Stutz, de erlassjahr.de, l'a encore une fois clairement souligné : « La question de l'inclusion est vraiment centrale : par inclusivité, nous entendons que les pays débiteurs ne doivent pas simplement être invités à des événements où ils peuvent donner leur avis. Ce que nous voulons, c'est un organe décisionnel au sein duquel ils disposent des mêmes droits. » Ce serait sans doute la condition préalable pour que, comme le souligne Malina Stutz, ce qui a toujours été normal dans les relations de crédit ordinaires devienne également la norme dans le domaine de la dette publique : les remises de dette font partie intégrante de toute relation de crédit.
Pour finir, Jayati Ghosh a répliqué à la menace de Robert Plachta par un avertissement adressé à « l'Occident ». « Je ne pense pas que les pays du G7 réalisent à quel point ils ont perdu en crédibilité ces dernières années : pandémie, brevets sur les vaccins, extraction des matières premières. Dans tous ces domaines, l'Occident n'a pas fait de concessions au Sud. Mais l'UE a aussi besoin d'amis », a-t-elle déclaré, faisant allusion aux relations transatlantiques fortement perturbées par Trump. « Nous sommes confrontés à un véritable manque de conscience de nos propres intérêts. Si l'Occident ne bouge pas, le monde vous imposera des choses que vous n'aimerez pas, mais pour une fois, je m'en réjouirai. »
Jeudi 3 juillet : Pas dans le spa, mais sur la SPA – des impôts pour les super-riches
La Suisse est actuellement dirigée par une élue qui est également ministre des finances. La vice-présidente espagnole María Jesús Montero assume elle aussi le poste de ministre des finances. Mais les similitudes s'arrêtent là. María Jesús Montero ouvre un groupe de haut niveau sur la taxation des super-riches en posant un principe fondamental : des systèmes fiscaux équitables et progressifs sont le fondement de la démocratie, de l'État social et de l'égalité des chances. Les États plus égalitaires sont non seulement plus démocratiques, mais la santé mentale y est également meilleure.
En novembre 2024, l'Espagne, en collaboration avec le Brésil, qui présidait le G20 à l’époque, a mis la taxation des super-riches à l'ordre du jour à Rio de Janeiro. La manifestation de Séville s'inscrit dans le cadre de la Sevilla Platform for Action (dont l'abréviation « SPA » prête un peu à confusion). Ces initiatives, soutenues chacune par un groupe d'États, visent à faire progresser la mise en œuvre de la déclaration finale de Séville.
Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, professeur à Harvard et doyen de la critique avisée de la mondialisation, commence par une remarque d'actualité : « Les États-Unis paient à présent le prix de l'inégalité, c'est pourquoi nous assistons à la mainmise de l'oligarchie technologique. Trump veut mondialiser ses réductions d'impôts pour cette oligarchie. Il est désespérant que le G7 ait cédé sur l'application de l'imposition minimale de l'OCDE aux entreprises américaines. En une heure, les résultats de 14 ans de négociations ont été réduits à néant. » En ce qui concerne l'Espagne, il rappelle que la majorité des pays européens ne sont pas représentés au G7. Une pression pourrait donc encore être exercée au sein de l'UE.
Le Canada a aussi cédé et abandonné sa taxe sur les services numériques. « C'est le premier pas vers le statut de 51e État des États-Unis », plaisante Stiglitz. « Les entreprises numériques ont amassé leur fortune grâce à l'évasion fiscale, en enregistrant leurs recettes publicitaires en Irlande. Comme leurs filiales y sont contrôlées depuis la Silicon Valley, elles ne versent quasiment pas d'impôts », précise Stiglitz. « Les instruments de destruction de la démocratie et du multilatéralisme sont la menace et la peur. Mais le monde ne peut pas être pris en otage, une coalition des volontaires est possible. La convention fiscale de l'ONU est la preuve qu'il y a aussi des progrès dans le domaine fiscal. »
Aminata Touré, ancienne première ministre du Sénégal, hausse le ton : « En matière fiscale, on constate une injustice permanente dont l'Afrique souffre depuis des siècles. Nous aimerions taxer tout ce qui a été confisqué à nos pays. Nous avons des dettes résultant de la fraude et de l'évasion fiscales. Des dettes quatre fois plus chères que celles des pays européens. Pourquoi ? Parce que nous présentons un risque majeur aux yeux des investisseurs. Et pourquoi ce risque est-il très élevé ? Parce que les multinationales européennes exploitent nos matières premières sans payer d'impôts. Il nous manque donc l'argent nécessaire pour régler les énormes intérêts sur la dette extérieure. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire preuve de résilience et de nous défendre. C'est pourquoi l'Union africaine s'est tant engagée en faveur d'une convention fiscale contraignante de l'ONU. Nous voulons une répartition équitable du droit d'imposition. Les impôts doivent être payés là où la richesse est créée. C'est difficile à expliquer parce que c'est tellement simple. Tout écolier le comprend : plus on est riche, plus on paie d'impôts. » Aminata Touré critique l'absurdité des tax holidays accordées aux entreprises extractives, à savoir les exonérations fiscales dont elles bénéficient pendant des années. « Cela peut conduire les entreprises minières à ne commencer à payer que lorsque la mine est épuisée. »
Vítor Gaspar, directeur du Département des affaires fiscales du Fonds monétaire international (FMI), ajoute que la simplification des systèmes fiscaux est également nécessaire, car « la complexité est la meilleure alliée des fraudeurs et des évadés fiscaux ». Souvent, cette complexité a été conçue délibérément, dans ce but précis.
Joseph Stiglitz résume : « Inutile d’être lauréat d’un prix Nobel pour comprendre pourquoi il faut taxer les super-riches. Nous avons créé les paradis fiscaux. Nous aurions pu les réglementer, mais nous les avons tolérés. Ils existent parce qu'ils profitent aux super-riches. Nous avons besoin de normes mondiales, nous avons besoin de règles à l’échelle de la planète. La plateforme d'action contient les mesures nécessaires pour rendre la fraude fiscale plus difficile. » Et Aminata Touré de conclure : « La convention fiscale de l'ONU est un parfait exemple de multilatéralisme : elle débouche sur une situation où tout le monde gagne. Et cela exclut que je sois super-riche et que toi tu restes pauvre. »
Mercredi 2e juillet
Qui finance la mobilisation des ressources domestiques ?
La mobilisation des ressources domestiques (MRD) est un pilier de l’Engagement de Séville (Compromiso de Sevilla). Elle vise principalement à permettre aux pays du Sud global de générer davantage de recettes fiscales afin de réduire leur dépendance économique vis-à-vis des investissements directs étrangers des multinationales et de l'aide au développement des pays du Nord, et de faire progresser leur économie et leur société de l'intérieur. Les personnes participant à l'événement parallèle « Flux financiers illicites, espace budgétaire et fiscalité équitable : promouvoir la coopération Afrique-Europe pour une mesure unifiée et un programme de réforme des flux financiers illicites » (Illicit financial flows, fiscal space and fair taxation : advancing Africa-Europe cooperation for a unified measurement and reform agenda illicit financial flows) se sont accordées sur ce point. La MRD présente toutefois quelques inconvénients, comme l'ont montré divers événements parallèles organisés au Palacio de Congresos.
Chennai Mukumba, directrice du Réseau pour la justice fiscale en Afrique (TJNA), a souligné qu'il fallait d'abord mettre fin aux transferts de bénéfices des multinationales et des fortunes privées hors des pays du Sud avant d'introduire de nouvelles taxes dans ces pays : « Nous devrions percevoir les impôts qui existent déjà avant d'en créer de nouveaux. » Pour ce projet, le TJNA mise pleinement sur la convention fiscale des Nations Unies. Les négociations sur sa forme entameront un nouveau cycle en août au siège de l'ONU à New York.
Les impôts ne sont pas sociaux en soi. Il ne s'agit pas seulement de savoir combien les États en perçoivent, mais aussi qui les paie : avec l'introduction d'une taxe sur la valeur ajoutée par exemple (que le Fonds monétaire international, l'OCDE ou la Banque mondiale recommandent volontiers aux pays pauvres), la classe moyenne et les pauvres paient proportionnellement beaucoup plus d'impôts que les riches, car ils doivent aussi consommer. En même temps, elle est relativement facile à mettre en œuvre pour des autorités fiscales sous-équipées. Il en va de même pour l'impôt sur la fortune : dans ce cas, ce sont les riches qui paient, mais sa mise en œuvre est très ardue, car dans le système financier actuel, les fortunes peuvent être transférées quasi sans restriction à travers le monde, de sorte qu'elles ne sont visibles que là où les riches ne paient pas ou très peu d'impôts. Dans ce contexte, il n'est guère surprenant que la Suisse ait été pointée comme mauvais exemple. À New York, elle a la possibilité (malheureusement théorique vu son orientation fiscale) de soutenir des règles mondiales contraignantes en matière de transparence fiscale et de lutte contre la fraude fiscale.
Giulia Mascagni, directrice du Centre international pour la fiscalité et le développement a également souligné que la lutte contre l'évasion fiscale des super-riches est loin d'être gagnée avec les réformes de l'OCDE des 15 dernières années : « L'échange automatique de renseignements (EAR) sur les clients des banques entre les pays a principalement profité au Nord global. » Pour remédier à ce déséquilibre planétaire en termes de transparence fiscale, Giulia Mascagni a plaidé pour un renforcement des capacités (capacity building), c'est-à-dire un soutien accru aux autorités fiscales du Sud global dans la mise en place des infrastructures et de l'expertise nécessaires. Mais les experts fiscaux de ces pays insistent désormais sur le fait qu'il n'est pas possible de se soustraire à des règles fiscales iniques au niveau mondial. Pour ceux qui sont défavorisés par un système, le fait de le comprendre dans les moindres détails ne changera rien. À cet égard, les propos du représentant du ministère allemand des finances sont encourageants : « Si les fonds d'aide au développement se font de plus en plus rares, il est d'autant plus nécessaire de prendre des mesures énergiques contre les flux financiers déloyaux, ce pour quoi le gouvernement allemand s'engage depuis longtemps : les multinationales et les super-riches doivent payer leur juste part du gâteau fiscal mondial. » Mais, et c'est là le dernier rebondissement de cette histoire, les représentants du gouvernement allemand aiment promettre à l'étranger des choses qu'ils ne peuvent pas tenir chez eux, et le passage de l'ancien ministre des finances Lindner, libertarien de droite, au social-démocrate de droite Klingbeil ne changera pas nécessairement la donne. C'est sans doute aussi pour cette raison que le représentant de l'Union africaine a réaffirmé pour conclure : « Nous avons absolument besoin d'une convention fiscale des Nations Unies ». Car contrairement à l'OCDE, les pays du Sud y sont majoritaires. Peu importe donc que les Allemands y montrent leur visage andalou ou berlinois.
Mercredi 2e juillet : L'éternel « toujours plus de la même chose »
« Accelerating the Shift and Private Climate Investment at Scale – Catalytic Pathways to Scale Private Investment – Financing the Missing Middle – Unlocking Ecosystems for Inclusive Private Sector Growth – Impact Investing, from Pioneering Innovations to Scalable Solutions – The Timbuktoo Initiative: Building the Future of Engagement with the Private Sector – Unlocking Blended Finance – Global Partnerships for Unlocking Private Capital – Originate to Share Models to Crowd in Private Capital ».
Le de-risking (l’atténuation des risques en fait) est également omniprésent à la 4e Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4). Tirée de l’agenda de de-risking, la liste de mots-clés ci-dessus n'est qu'une sélection, liée uniquement à la matinée du 2 juillet. Il s'agit d'événements parallèles officiels, et non de conférences organisées dans le cadre du Business Forum. Mais on trouve aussi un forum tenu par la société civile avec Daniela Gabor, économiste et membre du groupe d'experts des Nations Unies sur le financement du développement, qui porte un regard critique sur l’agenda en question.
Daniela Gabor rappelle d'emblée que les partenariats public-privé et le de-risking étaient déjà des piliers centraux du plan d’action qui voulait passer des « milliards aux milliers de milliards ». La Banque mondiale l'a lancé en 2015 afin de mettre en œuvre le Programme d'action d'Addis-Abeba (résultat de la 3e Conférence des Nations Unies sur le financement du développement) et de financer la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Comment les milliards auraient-ils pu se transformer en milliers de milliards ? Même s’il s’agit d'un slogan de la Banque mondiale, il n’englobait pas seulement des banques multilatérales de développement, mais aussi un projet visant à créer un de-risking state (un État qui réduit les risques) dans le Sud global. Il s'agissait et il s'agit toujours d'utiliser les fonds de la coopération internationale financés par les contribuables du Nord global pour créer des projets rentables pour de grands investisseurs tels que Blackrock ou des fonds de pension. Concrètement, cela signifie prendre des risques afin que ces investisseurs obtiennent des rendements « ajustés au risque » attractifs pour leurs investissements placés dans des projets liés à l'eau, aux routes ou à l'énergie.
Cela n'a clairement pas fonctionné : personne n’a vu les milliers de milliards promis. Pourtant, les mêmes concepts sont plus que dominants à Séville et la Direction du développement et de la coopération (DDC) chante de plus en plus fort les louanges du de-risking – tout comme le Secrétariat d’État à l’économie (seco) bien sûr. Selon Daniela Gabor, cela n'a pas fonctionné non pas parce que les banques multilatérales de développement, le Global Gateway Project de l'UE ou le gouvernement Biden n'ont pas alloué suffisamment de fonds au de-risking. Cela a capoté parce que, même avec des subventions financées par les impôts du Nord global, les grands projets ainsi financés restaient beaucoup trop coûteux pour les pays du Sud global.
Gabor donne un exemple concret, le projet de parc éolien du lac Turkan au Kenya, que l'administration Biden avait appuyé avec enthousiasme. Le directeur du Conseil économique national américain, Brian Deese, avait quitté la société BlackRock pour rejoindre le gouvernement, où il a supervisé en 2018 un nouveau partenariat de financement climatique entre BlackRock, les gouvernements français et allemand, la Fondation Hewlett et le Grantham Environmental Trust. Le fonds Climate Finance Partnership (CFP) était un instrument de finance mixte pour lequel les gouvernements et des philanthropes avaient mis 100 millions de dollars à la disposition de BlackRock afin de mobiliser des investissements climatiques dans le Sud global, en particulier la participation majoritaire dans le projet du lac Turkana. Mais les contrats d'achat à prix garanti ont mis sous pression l'État kenyan. Sa générosité envers Wall Street a finalement été si controversée que le gouvernement s'est vu contraint d'imposer un moratoire sur les accords d'achat d'électricité. Même les associations industrielles locales se sont plaintes que les coûts élevés de l'énergie sapaient les efforts d'industrialisation verte.
(Petite parenthèse : il existe désormais une version small is beautiful du de-risking, qui vise à promouvoir les investissements dits à impact pour la mise en œuvre de certains ODD, et non plus uniquement les grands projets d'infrastructure. Ceux-ci doivent bénéficier directement aux « bénéficiaires » dans le Sud global. Toutefois, ces derniers doivent également payer pour les énergies renouvelables, par exemple, car il faut bien que les rendements viennent de quelque part. Malgré la terminologie de la coopération internationale, ces bénéficiaires sont en fait simplement des clients et des emprunteurs. C'est cette version de l’agenda de de-risking qui est également préconisée par la Suisse.)
Daniela Gabor souligne que l'engouement persistant pour le de-risking est également très dangereux car il ignore la principale leçon tirée depuis 2008, à savoir que le modèle de développement chinois dirigé par l'État a connu un succès spectaculaire, tandis que les recettes du consensus ultralibéral de Washington ont lamentablement échoué. La recette du succès d'un État en développement, qui est également décisive pour l'Afrique, consiste à discipliner le capital privé, c'est-à-dire à faire en sorte qu’il respecte les plans et les priorités de l'État. Cela nécessite de la force de persuasion, des ressources publiques et du personnel. Autrement dit des bureaucrates et des technocrates. Mais il est difficile de discipliner le capital étranger, lointain et tout-puissant, et « l’État qui réduit les risques » est un État affaibli, et non pas un État en développement.
Daniela Gabor conclut en exprimant une certaine résignation. Elle ne comprend pas pourquoi l'agenda de réduction des risques cause encore plus de bruit à Séville qu'à Addis-Abeba. Et ce, non seulement au Business Forum, mais partout. Et cela vaut de plus en plus pour les organisations onusiennes telles que la CNUCED. Les partisans de l’agenda de de-risking « échouent vers le haut » : avec des concepts plus diversifiés (listés plus haut), des recettes adaptées au discours et de nouvelles promesses, l'agenda qui a échoué continue d'être prôné. « Pourquoi gagnent-ils toujours ? » reste une question en suspens.
Passons donc aux vainqueurs, à l'événement parallèle organisé par Morgan Stanley et le Boston Consulting Group ; le titre semble prometteur : Changements dans le paysage du financement du développement : faits et perspectives dans un monde réorganisé (Changes to the development financing landscape : facts and perspectives in a reordered world). Mais, petit hic, « sur invitation uniquement » ! Évidemment, les personnes qui réorganisent le monde préfèrent le faire à huis clos.
Mardi 1er juillet : Perles du Pacifique
Dans la folie générale d'une conférence incluant des centaines de plénières, tables rondes multipartites, annonces d'initiatives, événements spéciaux, événements parallèles et un forum international du commerce, il y a parfois aussi des perles à découvrir. Par exemple, un événement parallèle sur la « réinvention du financement du développement » avec des participant.e.s du groupe des petits États insulaires en développement (PEID) de la région Pacifique et des Caraïbes.
Ils échangent sur la Development Bank for Resilient Prosperity (DBRP) ou, plus joliment, sur la Nature Bank, une initiative des États insulaires lancée en 2023. Comparé au discours bien rodé autour de la mobilisation des ressources privées, de la finance mixte et de la réduction des risques (de-risking), on entend ici des choses inédites.
Hyginus Leon, directeur exécutif de la DBRP, dit sans détour : « Lors de cette conférence, nous répétons sans cesse les recettes qui nous ont conduits à cette crise multiple. C'est un signe de folie. Nous sommes partis du principe que la planète disposait de ressources infinies. Mais la nature est finie. On ne peut pas résoudre les problèmes sans réfléchir à leur origine. Il nous faut un changement de paradigme. »
Et Leon d’ajouter : « Il ne s'agit donc pas seulement d'une banque, mais plutôt d'un mouvement visant à sauver la civilisation. » La transition des actifs gris vers des solutions basées sur la nature est essentielle, car elle est non seulement bénéfique pour la planète, mais aussi économiquement viable. « Les mangroves ont la même valeur que les routes et les forêts ont la même valeur que le bois. Si nous considérons la nature comme un actif, nous pouvons obtenir plus de revenus et plus d'argent pour les PEID et les pays les moins avancés (PMA) », explique Leon.
Mais que sont donc ces revenus issus de la nature ? Voici quelques exemples qui sont déjà une réalité dans les pays des Caraïbes et du Pacifique, notamment grâce à des zones maritimes protégées : la récolte et la transformation d'algues, l'écotourisme, la pêche durable, la production alimentaire et pharmaceutique.
Il existe plus de 500 banques de développement dans le monde, pour la plupart nationales ou infranationales. Pourquoi une nouvelle banque est-elle donc nécessaire ? Adama Marinko, de Finance in Common, répond : « Nous avons besoin d'une banque entièrement repensée, qui ne se contente pas de se développer à partir de l'existant. Bien sûr, la création d'emplois serait également essentielle, mais il s'agit aussi de créer une nouvelle solidarité mondiale en renforçant la résilience. »
Les différences entre la « Banque de la nature », la Banque mondiale et les banques multilatérales de développement sont importantes, car leur vision « est toujours basée sur les risques, jamais sur les opportunités. C'est pourquoi le Sud global, et en particulier les PEID et les PMA, sont perdants, car les risques liés à ces pays sont jugés très élevés », explique Ritu Bharadwaj de l’International Institute for Environment and Development.
La DBRP a une conception tout à fait différente des risques. Il ne s'agit pas des risques pour les investisseurs, mais des risques pour les personnes. Il est crucial ici de réduire les risques. « Notre mesure des risques est la résilience. Il s'agit de la prospérité et du bien-être des personnes et des économies, des communautés et de la planète », souligne également Leon de la DPRB. « Nous devons financer la résilience, la restauration et la justice – le monde est prêt pour quelque chose de nouveau », ajoute Sergio Fernandes de Cordova, de la Public Foundation.
L’événement parallèle s'achève sur la conviction que la « Banque de la nature » passera du stade d'idée à celui d'instrument de mise en œuvre de l’Engagement de Séville. Ce serait en tout cas un grand succès pour les petits États insulaires.
Lundi 30 juin : début de la conférence
Nous avons malheureusement manqué l’allocution d'ouverture de Felipe VI d'Espagne. Afin d'assurer à Sa Majesté une arrivée en toute quiétude et une sécurité maximale, les autorités ont paralysé la circulation dans le centre-ville de Séville. Nombre de participantes et de participants à la conférence étaient coincés dans des embouteillages géants, tandis que nous nous occupions de nos badges. La ministre espagnole des affaires étrangères, Arancha González, s’est exprimée avant le roi. Alors qu'elle adressait ses salutations devant l'auditoire prestigieux du centre des congrès Fibes, nous tournions encore en rond dans le bus public, à la recherche d'un chemin pour nous y rendre. « Sevilla welcomes the world with open arms » avons-nous entendu Arancha González dire sur la web TV des Nations Unies. Eh bien oui, ici, ce ne sont pas seulement de nombreuses rues qui sont bouclées, mais aussi le texte final de la conférence. Du point de vue de la société civile du Nord et du Sud, il ne représente pas un progrès vers un financement suffisant du développement durable – pour en savoir plus, consultez notre document d’information pour les médias. Il n'y a plus rien à négocier ici. Cela rend peut-être un peu plus acceptable le fait que la société civile ait été majoritairement exclue des événements où les gouvernements dialoguent directement les uns avec les autres. Il n'en reste pas moins que c'est un signal extrêmement alarmant venant de l'ONU à un moment où la marge de manœuvre politique des ONG est limitée partout dans le monde, en partie via la politique financière nationale (comme les coupes dans la coopération internationale en Suisse), mais aussi, malheureusement, par la répression politique directe. Les États qui ont pris le cap de l’autoritarisme se sentent encouragés par ce manque d'engagement de l'ONU en faveur de procédures inclusives et démocratiques. Pour la société civile mondiale à Séville, il ne s'agit donc pas seulement de démontrer sa vigueur, qui reste intacte malgré toutes les résistances, mais aussi d'insister, dans les centaines d'événements parallèles à la conférence, sur les occasions manquées de la FfD4 et d'aborder les prochaines étapes vers le désendettement, un système fiscal et financier planétaire plus juste et des conditions strictes pour le secteur privé qui souhaite bénéficier des fonds publics destinés au développement – restez à l'écoute.
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Communiqué
Pas de sieste de la Suisse à Séville
30.06.2025,
Financement du développement
La quatrième Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement (FfD4) s'ouvre aujourd'hui à Séville. Dimanche soir, des organisations de la société civile du monde entier ont manifesté pour un ordre économique plus juste. La déclaration finale est déjà prête et ne comprend aucune avancée décisive contre la crise mondiale multiple. Elle énonce toutefois des déclarations d'intention pertinentes en matière de politique fiscale et de désendettement, qui devraient également inciter la Suisse à agir.
Cette conférence majeure de l'ONU est toutefois obscurcie par une dette publique record dans le Sud global, la non-participation des États-Unis et le démantèlement complet de l'agence américaine pour le développement international (USAID) annoncé pour le 1er juillet. Mais jusqu'à jeudi, les discussions à Séville porteront sur bien plus que le « financement du développement » au sens de la coopération internationale (aide publique au développement, APD). La question de savoir comment les pays pauvres peuvent mobiliser davantage de ressources propres est au cœur des débats. Les mesures contre l'évasion fiscale et les flux financiers illicites figurent donc en bonne place dans l'ordre du jour. Les thèmes de la dette et du désendettement, du commerce et du développement, des questions systémiques liées à l'architecture financière internationale et du rôle des entreprises et des aides publiques correspondantes occupent également une place centrale ; autant de thèmes qui interpellent tout particulièrement les pays riches comme la Suisse.
« Jusqu'ici, la Suisse officielle n’a pas brillé lorsqu’il s’agissait du soutien au multilatéralisme, à la coopération au développement et à la cohérence des politiques pour le développement durable », lance Dominik Gross, expert en politique fiscale et financière chez Alliance Sud. « Nous attendons de notre pays qu’il prenne au sérieux les discussions et les processus de l'ONU et qu'il y participe de manière constructive, au lieu de les bloquer ou de les ignorer par intérêt personnel », ajoute Dominik Gross.
Notre document d'information pour les médias vous indique les domaines dans lesquels la Suisse devrait de toute urgence assumer davantage de responsabilités.
« Le nouveau deal » : Le numéro spécial du magazine « global » esquisse ce à quoi pourrait ressembler une nouvelle Suisse pour un monde plus juste.
Pour tout complément d’information :
Sur place à Séville : Dominik Gross, expert en politique fiscale et financière chez Alliance Sud,
tél. +41 78 838 40 79, dominik.gross@allliancesud.ch
Pour des questions générales :
Marco Fähndrich, Responsable médias et communication chez Alliance Sud,
tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@alliancesud.ch
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Medienmitteilung
Addis Abeba a raté sa chance
16.08.2015,
Financement du développement
L’agenda d’Addis Abeba est sous toit. Pendant que les diplomates fêtent le prétendu succès des négociations, la société civile critique le résultat comme insuffisant pour assurer un développement durable.
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Medienmitteilung
Bras de fer sur le financement du développement
13.07.2015,
Financement du développement
Aujourd’hui commencent à Addis Abeba les négociations d’un cadre de financement pour le développement durable. Une déclaration des ONG exhorte la communauté internationale à donner un signal fort.
Alliance Sud soutient les efforts internationaux en faveur d'une plus grande transparence et d'une meilleure réglementation de la concurrence fiscale mondiale, afin que les bénéfices soient imposés là où ils sont générés et que les pays du Sud mondial disposent de leurs propres ressources pour le développement durable.
La mobilisation des ressources domestiques (domestic resource mobilisation, DRM) dans les pays en développement eux-mêmes est un élément clé du financement international du développement. Les recettes fiscales sont nettement moindres dans les pays du Sud global que dans la plupart des pays de l'OCDE ; ceci en grande partie en raison de l'évasion fiscale et du transfert des bénéfices vers des paradis fiscaux comme la Suisse. Alliance Sud critique le rôle néfaste de notre pays qui peut se permettre un régime de dumping fiscal sur le dos des plus pauvres, régime qui ne fonctionne que parce qu'il attire le substrat fiscal du monde entier.
C'est pourquoi Alliance Sud soutient les efforts internationaux en faveur d'une plus grande transparence et d'une meilleure réglementation du système offshore mondial et veille à ce que l'administration et le Parlement ne puissent pas simplement ignorer les développements positifs comme les négociations en vue d'une convention fiscale de l'ONU ou la tendance internationale visant à rendre publics les registres des ayants droit économiques (propriétaires) des entreprises.
Article,Global
Le Fonds afghan n’a pas encore rendu un centime
27.03.2023,
Financement du développement
Créée en septembre pour gérer 3,5 milliards de la Banque centrale d’Afghanistan, cette fondation sise à Genève n’a pas encore agi, visant une sécurité maximale. La Suisse semble s’aligner sur la position américaine.
Le 14 septembre, à la surprise générale, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) annonçait la création, à Genève, d’une fondation « Fund for Afghan People », avec le soutien des Etats-Unis et de la Suisse. Si le nom porte quelque peu à confusion, il s’agit bien d’une fondation de droit suisse censée gérer 3,5 milliards USD de la Banque centrale d’Afghanistan (BCA) gelés aux Etats-Unis. Lors de la reprise de Kaboul par les talibans, en août 2021, Washington a bloqué les 7 milliards USD de ladite banque déposés sur son territoire, en vertu d’une loi adoptée par le Congrès qui permet de geler les fonds d’Etats soutenant le terrorisme. La moitié a été réclamée par les familles des victimes du 11 septembre et si, à ce jour, il n’est pas sûr qu’elles pourront l’utiliser car le lien avec les talibans n’est pas prouvé, cet argent est indisponible.
Restent donc les 3,5 milliards qui, à long terme, doivent être rendus à la BCA. Pour l’heure, ils dorment sur un compte de la Banque des règlements internationaux, sise à Bâle. La fondation, plus connue comme « Fonds afghan », a l’intention de les rendre au compte-gouttes. Leur but n’est pas de financer une quelconque aide humanitaire, mais de contribuer à la stabilité macroéconomique de l’Afghanistan, à réimprimer des billets de banque et à payer les arriérés lui permettant de conserver son siège dans les institutions financières internationales pour recevoir de l’aide humanitaire, voire de payer l’importation d’électricité.
Véto américain possible
Le Conseil de fondation est composé de quatre personnes : côté suisse, l’ambassadrice Alexandra Baumann, cheffe de la Division Prospérité et durabilité du DFAE ; côté afghan, deux économistes, Anwar-ul-Haq Ahady, ancien directeur de la BCA et ancien ministre des Finances et Shah Merhabi, professeur au Montgomery College ; côté américain, un représentant du Trésor, Andrew Baukol. Les décisions se prennent à l’unanimité, ce qui veut dire que si l’un des quatre membres s’oppose, rien ne se fait.
Car le temps passe et l’Afghanistan n’a toujours pas vu un centime. Le conseil de fondation a tenu la première réunion le 21 novembre à Genève, où il a décidé de recruter un cabinet d’audit externe et d’engager un secrétaire exécutif, mais aucune décision de déboursement n’a été prise, ni ne va probablement l’être de sitôt. Une deuxième réunion a eu lieu virtuellement le 16 février, où aucune décision de déboursement n’a été prise. Le fonds a décidé de chercher des financements externes pour couvrir les coûts opérationnels, ce qui nous semble être la moindre des choses.
Le Dr. Merhabi, le professeur d’économie, commence à s’impatienter. Il a déclaré au journal en ligne « In These Times » qu’au vu de la situation catastrophique en Afghanistan, il faut débourser urgemment au moins une centaine de millions USD par mois, afin de limiter l’inflation, stabiliser le taux de change et payer les importations. Mais les Etats-Unis demandent des garanties très strictes : que la BCA prouve son indépendance par rapport aux instances politiques ; qu’elle ait mis en place des contrôles adéquats contre le blanchiment d’argent et la lutte contre le terrorisme et qu’il y ait un contrôle extérieur.
Suisse alignée sur les Etats-Unis
Qu’en pense la Suisse ? Lors d’une réunion avec Alliance Sud en septembre, le DFAE avait assuré que la fondation serait gérée de manière totalement transparente. Contactée récemment, Alexandra Baumann assure qu’il est prévu de publier les procès-verbaux des séances et qu’un site Internet est en construction.
Quant à la question de savoir si le Fonds ne devrait pas commencer à rendre l’argent, l’ambassadrice s’aligne entièrement sur la position officielle du Fonds – et donc des Etats-Unis, nous semble-t-il. « Le conseil de fondation travaille selon l'objectif de la fondation, qui est de reprendre une partie des fonds de la BCA actuellement bloqués aux États-Unis, de les protéger, de les préserver pour l'avenir et de les dépenser en partie. L'objectif à long terme est de transférer les fonds non utilisés à la BCA », nous déclare-t-elle. Ajoutant que cela ne sera le cas que si celle-ci peut démontrer de manière crédible qu’elle est indépendante et a mis en place des contrôles adéquats. « La fondation et son conseil de fondation agissent de manière indépendante conformément au droit suisse. Je peux confirmer que je m'engage en faveur des objectifs susmentionnés », conclut Alexandra Baumann.
Saisie « immorale »
Pourtant le sujet commence à agiter la société civile. « Il est très préoccupant que le Fonds afghan ne soit pas très actif, ni semble-t-il, intéressé à recapitaliser la BCA, nous déclare Norah Niland, présidente de l’Afghanistan Task Team de United Against Inhumanity (UAI), un mouvement international de personnalités qui luttent contre les atrocités de la guerre. La BCA doit être en mesure de fonctionner pour résoudre les problèmes de liquidités et aider à ressusciter l'économie et le système bancaire qui se sont effondrés. Nous sommes d'accord avec le Dr Mehrabi pour dire qu'un montant mensuel relativement faible, tel que 150 millions USD, devrait être débloqué de manière contrôlée, car la Banque est en mesure de répondre aux préoccupations en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et de financement du terrorisme. »
Cette humanitaire expérimentée, qui a travaillé en Afghanistan, ajoute que l'action humanitaire, aussi efficace soit-elle, ne peut pas se substituer à une économie qui fonctionne. Et que « l'immoralité » de la saisie des réserves extérieures afghanes ignore la punition collective qu’elle impose aux Afghanes et aux Afghans qui ne sont pas responsables du retour des talibans à Kaboul. « L’UAI est très préoccupé par la pauvreté croissante, l'endettement, la perte des moyens de subsistance, la faim et l'hiver très rigoureux qui ajoutent à la misère du peuple afghan et le poussent vers des mécanismes d'adaptation qui vont à l'encontre de son bien-être ».
La Suisse doit s’engager pour commencer à restituer les fonds
Cette déclaration rejoint Unfreeze Afghanistan, une campagne internationale de femmes qui appellent le président Joe Biden à dégeler les fonds afghans détenus aux Etats-Unis. Pour Alliance Sud, essayer de mettre au moins une partie des fonds « en sécurité » est une bonne chose, mais seulement s'ils peuvent être utilisés dans l'intérêt de la population afghane. Or, comme les conditions de restitution sont presque impossibles à réaliser – la BCA n’a jamais été indépendante du pouvoir, même avant les talibans –, il faut de la flexibilité dans les négociations avec le gouvernement afghan. Alliance Sud demande à la Suisse de s’engager pour commencer à rendre, avec les précautions nécessaires, suffisamment d'argent à l’Afghanistan pour que l'économie puisse redémarrer dans l'intérêt de la population.
« L’Afghanistan ne s’en sortira pas par l’aide humanitaire seule »
Erhard Bauer s’est rendu en Afghanistan a plusieurs reprises pendant 14 ans, entre autres sous le premier gouvernement taliban. Aujourd’hui il représente la Fondation Terre des hommes sur place. Celle-ci continue à employer des femmes dans la santé et l’éducation et fait de son mieux pour réintégrer l’ensemble de son personnel féminin. Entretien avec Isolda Agazzi.
Comment a évolué la situation depuis le changement de régime en août 2021 ?
Le régime s’était déjà effondré avant que les Etats-Unis quittent le pays. En 2001 ils étaient partis du mauvais pied car ils avaient exclu de larges parties de la société afghane, une erreur qui n'a jamais été corrigée et qui, même aujourd'hui, est à peine admise ouvertement. En regardant la situation catastrophique actuelle, il faut trouver un coupable et il est très facile de pointer du doigt un mouvement islamiste qui a pris le pouvoir. Mais la plupart des choses allaient déjà mal avant août 2021. Ensuite, les sanctions occidentales et l'arrêt du versement des fonds étrangers au gouvernement ont causé l’effondrement du système financier et d’une grande partie des services gouvernementaux. Nous-mêmes, organisations humanitaires, n'étions plus en mesure de transférer de l'argent du fait l'Afghanistan a été déconnecté du système Swift. Nous faisons donc entrer les fonds par, un système bancaire « non officiel » qui sert à transférer de l'argent d'un pays à l’autre.
Le soutien de l’Occident à l’Afghanistan a pourtant été important…
Avant le départ des Etats-Unis, les talibans contrôlaient déjà plus de la moitié du territoire. Le « succès » de l'Afghanistan, la création de la société civile, ne se sont produits que dans une partie du pays. Aujourd’hui, avec l’effondrement de l’économie, les habitant-e-s dans des villes comme Kaboul et Herat se retrouvent dans la même situation qu'une grande partie de la population au cours des vingt dernières années. Tous les progrès réalisés pour la population urbaine et les membres de la classe moyenne ont été réduits à néant.
Comment améliorer la situation ?
Les besoins sont tellement immenses que même si l'aide humanitaire était augmentée, nous ne pourrions répondre qu'aux besoins les plus urgents d’une partie de la population. L’Afghanistan ne sortira pas de cette crise économique majeure uniquement par l'aide humanitaire. Il a besoin d'un processus dans lequel toutes les forces politiques travaillent ensemble. Que nous aimions ou non ce gouvernement, que nous le reconnaissions ou non en tant qu'État, il doit y avoir une forme de dialogue pour sortir de cette situation, dans l'intérêt de la population.
Les sanctions jouent-elles un rôle ?
Ce qui a permis à ce pays de fonctionner, c'est qu'il y a encore un secteur privé, une agriculture, une petite production, des importations et des exportations. Lorsque vous coupez le système bancaire, cela n’affecte pas seulement les talibans, mais toute la population. Les sanctions ont créé aussi une inflation importante. Beaucoup de choses seraient plus faciles si elles n'étaient pas en place. Après le départ des Etats-Unis, beaucoup de gens ont quitté le pays. Les talibans n'ont pas une grande expertise en matière d'administration et de gestion et cette fuite des cerveaux renforce l’effondrement de certaines structures. Lors du premier gouvernement taliban (1996 – 2001), beaucoup de choses fonctionnaient car l'administration s'est davantage appuyée sur les fonctionnaires qui étaient encore disponibles.
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Le magazine d'Alliance Sud analyse et commente la politique étrangère et de développement de la Suisse. « global » paraît quatre fois par an et l'abonnement est gratuit.