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Projet fiscal et financement de l’AVS (RFFA)

22.01.2019, Finances et fiscalité

Le 19 mai on votera sur la réforme de l'imposition des entreprises, que le Parlement a liée au financement supplémentaire de l'AVS. Du point de vue du développement, la proposition ne représente presque aucun pogrès par rapport à la RIE III.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Projet fiscal et financement de l’AVS (RFFA)

Le mélange par le Parlement de deux sujets sans rapport - la fiscalité des entreprises et le financement de l'AVS - est largement qualifié de marchandage.
© Pixabay

Après l’aboutissement du referendum contre la Réforme fiscale et le financement de l’AVS, les électeurs se prononceront à nouveau sur la réforme de l'imposition des entreprises, en suspens. L'analyse de la politique fiscale d'Alliance Sud montre que du point de vue du développement, la proposition n'apporte pas de progrès significatif par rapport à la réforme de l'imposition des entreprises III (RIE III), qui a été rejetée il y a deux ans. Une fois de plus, il est prévu de remplacer les anciens régimes fiscaux spéciaux, qui nuisent au développement, par de nouveaux.

La proposition actuelle vise à mettre l'imposition suisse des sociétés dans une forme internationalement acceptée et à abolir définitivement les anciens régimes fiscaux spéciaux, réservés exclusivement aux bénéfices des groupes étrangers imposés en Suisse. C'est une bonne chose du point de vue du développement. En même temps, cependant, elle crée de nouvelles possibilités pour les multinationales de transférer leurs profits. En déplaçant les bénéfices vers des pays à faible fiscalité comme la Suisse, les entreprises privent les pays en développement d'une assiette fiscale potentielle estimée à 200 milliards de dollars par an.

L'analyse détaillée par Alliance Sud du nouveau véhicule de dumping fiscal de la Réforme fiscale et financement de l’AVS montre que la nouvelle politique fiscale suisse envisagée n'est pas compatible avec les Objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 de l'ONU. En tant que pays ayant la plus forte densité de sièges sociaux des multinationales par habitant, la Suisse a une responsabilité particulière dans la lutte contre les inégalités sociales dans le monde et pour le financement adéquat de l'Agenda 2030.

En raison du dumping fiscal de juridictions à faible fiscalité comme la Suisse, l'impôt sur les sociétés est en baisse dans le monde entier depuis des décennies. Cela empêche de fournir les services publics de santé, d'éducation ou d'infrastructure les plus urgents aux groupes défavorisés de la population dans les pays en développement. La Suisse n'est pas un parasite dans le train qui entraîne dans l'abîme la fiscalité internationale des entreprises  - c'est plutôt l'une des locomotives et elle le restera avec la Réforme fiscale et financement de l’AVS.

Malgré les lacunes considérables de la partie fiscale du projet de loi, Alliance Sud s'abstient de donner des indications de vote sur la Réforme fiscale et le financement de l’AVS. La partie AVS du projet de loi porte sur une question de politique intérieure qui dépasse le mandat de politique de développement de l'organisation. En même temps, les membres d’Alliance Sud ont des avis divergents sur la question de savoir dans quelle mesure une réforme de l'imposition des entreprises qui soit juste du point de vue du développement est également possible au-delà de la proposition actuelle. Mais il est clair qu'une telle réforme reste nécessaire quel que soit le résultat du vote de mai.

Communiqué

RFFA: vieilles failles – nouvelles étiquettes

08.04.2019, Finances et fiscalité

Le 19 mai, les électeurs se prononcent sur la « réforme fiscale et financement de l’AVS » (RFFA). Le volet fiscal du projet de loi ne représente aucun progrès en matière de politique de développement par rapport à la RIE III.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

+41 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch
RFFA: vieilles failles – nouvelles étiquettes

Une affaire au détriment du Sud.
© Pixabay

La réforme de l'imposition des entreprises (RIE III) a été clairement rejetée en février 2017 grâce à la résistance des syndicats et des partis rouges-verts aux urnes. La partie fiscale de la RFFA – comme c'était déjà l'objectif de la RIE III – con­siste désormais à remplacer les anciens privilèges fiscaux spéciaux accordés aux entreprises des secteurs pharmaceutique, financier et des matières premières, qui doivent être abolis d'ici fin 2019, par de nouvelles incitations à la fraude fiscale. La boîte à brevets, l'impôt sur les bénéfices ajusté en fonction des intérêts ou l'indication des réserves latentes en cas d'immigration doivent être utilisés comme nouveaux instruments.

Dominik Gross, expert financier chez Alliance Sud, déclare : « Avec la RFFA, la Suisse veut continuer à importer des profits des multinationales étrangères. Les mécanismes correspondants recevront simplement de nouveaux noms. » Ce sont les pays en développement qui en subissent le plus les conséquences : les transferts de bénéfices des multinationales vers des juridictions à faible fiscalité comme la Suisse privent les communautés du monde entier de centaines de milliards de dollars de recettes fiscales potentielles chaque année. Dominik Gross : « C'est de l'argent qui serait nécessaire d'urgence pour lutter contre la pauvreté dans les pays du Sud ou pour la transition vers des infra­structures respectueuse du climat. »

Dans son document d’analyse détaillée sur la RFFA, Alliance Sud met en lumière les points suivants dans une perspective de développement :

  • Les anciens privilèges fiscaux accordés aux multinationales ne seront plus tolérés par l'UE et l'OCDE à partir de 2020. Ils devront être abolis d'ici la fin de l'année, quel que soit le résul­tat du vote sur la RFFA. Charles Juillard, président de la Conférence des directeurs financiers cantonaux, a déclaré à Radio RSF que le Département fédéral des finances l'avait récemment confirmé.
  • L'alternative la plus probable à la RFFA serait un mini-modèle sans nouveaux privilèges, comme le PDC l'avait déjà proposé lors de la consultation sur la proposition fiscale 17 de l'époque – avant de la lier au financement AVS.
  • Les nouvelles déductions fiscales sur les gains de brevets dans le cadre de la boîte à bre­vets sont difficiles à calculer. Selon les informations de l'administration fédérale, elles entraî­neront une réduction maximale de 70 % du bénéfice imposable et permettront ainsi d'atteindre un taux effectif d'imposition de seulement 9 %. La Suisse resterait ainsi une locomotive de la concur­rence fiscale internationale, ruineuse pour la population.
  • Le couplage de l'impôt sur le bénéfice ajusté en fonction des intérêts à un taux d'imposition minimum cantonal n'a aucun effet sur le développement. Pour les Etats dont les recettes fis­cales sont déduites, il importe peu que les bénéfices des sociétés correspondantes soient trans­férés dans différents cantons suisses ou qu'ils soient tous concentrés dans quelques cantons (pour l'instant, cela ne serait possible qu'à Zurich).
  • La nouvelle règle de remboursement en vertu du principe de l'apport en capital (PAC) ne s'applique pas lorsque les actionnaires concernés sont des personnes morales. Les réser­ves issues du capital d'une société qui s'installe en Suisse ou d'une filiale d'un groupe étranger après le 24 février 2008 (introduction de la PAC) sont également exemptées de la règle de rem­boursement. Dans tous ces cas, même après l'introduction de la RFFA, les sociétés peuvent ainsi rembourser à leurs actionnaires - en particulier aux actionnaires étrangers - leurs réserves de capi­taux à investir en toute exonération fiscale et continuer ainsi à éviter complètement l'imposition des dividendes en Suisse.
  • En augmentant sensiblement la part de l'impôt fédéral direct du canton, la Confédération subventionne des réductions d'impôts massives pour toutes les entreprises cantonales selon le principe de l'arrosoir. Cela donne un nouvel élan à la spirale descendante des taux d'imposition normaux dans la concurrence fiscale inter cantonale. Etant donné que les cantons sont également impliqués individuellement dans la « course internationale vers le bas », cette mesure est également préjudiciable à la politique de développement. En avril 2018, la Confédé­ration suisse des syndicats a supposé que le taux moyen de l'impôt cantonal sur les bénéfices serait réduit de 40 % à la suite de la proposition fiscale. La RFFA n'y change rien. La boîte à bre­vets et l'impôt sur les bénéfices ajusté en fonction des intérêts n'entravent pas cette spirale des­cendante – contrairement à ce que l'on prétend souvent. C'est ce que montrent les concepts de mise en œuvre de la RFFA de nombreux cantons.

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Sud global doit bénéficier des recettes fiscales

10.03.2022, Finances et fiscalité

Pour la Suisse, l’introduction de l'imposition minimale de l'OCDE engendrera des recettes fiscales supplémentaires sur les bénéfices des grandes entreprises multinationales (EMN). Une partie de ces bénéfices est générée dans des pays pauvres, mais imposée chez nous. Alliance Sud demande donc au Conseil fédéral et au Parlement de veiller à ce que notre pays reverse une partie de ces recettes aux pays producteurs pauvres où opèrent les EMN — sinon, Alliance Sud envisage de donner une consigne de vote négative lors du scrutin populaire de juin 2023.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Sud global doit bénéficier des recettes fiscales

Source : KPMG’s « Clarity on Swiss Taxes » report 2021
© Alliance Sud / global

Centre de compétence suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, Alliance Sud salue l'intention du Conseil fédéral de mettre en œuvre en Suisse la nouvelle imposition minimale de l'OCDE applicable aux EMN. Notre pays contribuerait ainsi à freiner la concurrence néfaste en matière d’imposition des EMN, tant au plan international qu'entre les cantons.

Comme le montre la prise de position d’Alliance Sud, les pays pauvres du Sud global ne profiteront pas de cette nouvelle donne. Pour les groupes suisses de matières premières en particulier, il restera intéressant, même avec l'imposition minimale, de pratiquer le dumping fiscal en Suisse sur le dos des plus pauvres de la planète. Pour deux raisons, selon Dominik Gross, expert en politique fiscale chez Alliance Sud : « Le taux d'imposition minimal de 15% est beaucoup trop bas. Les pays producteurs de matières premières du Sud global appliquent des taux d'imposition des bénéfices compris entre 25% et 35% ». Vu cette différence, les EMN continueront de ne pas déclarer leurs bénéfices là où elles extraient leur nickel ou produisent leur huile de palme, mais dans les cantons suisses à faible imposition, où réside leur management et où elles paient beaucoup moins d'impôts malgré l'imposition minimale. « Les pays en développement dans lesquels les EMN ont des filiales ne pourraient en outre profiter de l'imposition minimale que si les pays prospères comme la Suisse, dans lesquels elles ont leurs sociétés mères, y renoncent. Quelle discrimination flagrante ! », s’indigne Dominik Gross. L’introduction de l'impôt minimal fera que des cantons comme Zoug ou Genève généreront encore plus de recettes fiscales issues des bénéfices des EMN qui font leurs profits dans des pays ayant un urgent besoin de recettes fiscales additionnelles.

Des transferts de bénéfices sur le dos des plus pauvres

Dans un rapport publié en octobre dernier, Alliance Sud et d’autres ONG ont montré comment le groupe Socfin, producteur d'huile de palme et de caoutchouc, viole les droits du travail et les droits fonciers au Libéria et en Sierra Leone, comme à l'époque coloniale, tout en économisant des impôts à Fribourg. Récemment, le groupe minier Solway, dont le siège est implanté dans le paradis fiscal de Zoug, a fait la une des journaux pour avoir pollué l'eau et l'air autour de sa mine de nickel au Guatemala et pour avoir tenté de dissimuler l’impact de ces pollutions.

Conclusion de Dominik Gross : « Il est inacceptable que les cantons suisses perçoivent encore des recettes fiscales supplémentaires grâce à de telles sales affaires. Ces recettes appartiennent aux pays de production où opèrent les EMN, afin qu’ils puissent bâtir une économie plus sociale et plus écologique. »

Complément d’information :
Dominik Gross, expert en politique fiscale et financière chez Alliance Sud, tél. +41 78 838 40 79

Papier de position :
Mise en œuvre de l'imposition minimale de l'OCDE pour les grandes entreprises multinationales en Suisse : le point de vue d'Alliance Sud

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Imposition minimale : prendre pour recevoir

23.02.2023, Finances et fiscalité

L'OCDE entendait rendre le système fiscal international appliqué aux grandes entreprises multinationales (EMN) un peu plus équitable. Le Conseil national et le Conseil des États ont transformé cette intention en son contraire.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Imposition minimale : prendre pour recevoir

La mise en œuvre par la Suisse de l'imposition minimale de l'OCDE est dans l'intérêt des multinationales, mais pas dans celui des pays du Sud. Sur la photo : l'ancien conseiller fédéral Ueli Maurer, à droite, et le vice-chancelier Andre Simonazzi.
© ANTHONY ANEX / Keystone SDA

Techniquement, l'impôt minimal est sans aucun doute très complexe, mais d'un strict point de vue de politique intérieure, son calcul est des plus simples. L'ancien ministre suisse des finances Ueli Maurer avait d'ailleurs très vite fait ce calcul lorsque le Conseil fédéral avait présenté le projet d’application nationale de l'imposition minimale en juin dernier : « Si la Suisse ne prend pas l'argent supplémentaire, d'autres s’en saisiront », avait-il lâché. Ceux qui, comme Alliance Sud, s'engagent pour une plus grande justice fiscale planétaire, doivent toutefois faire le calcul tout à fait inverse : les pays du Sud global qui accueillent des filiales d'EMN suisses ne reçoivent l'argent supplémentaire que si la Suisse ne le prend pas.

La pièce maîtresse de la mise en œuvre de l'imposition minimale en Suisse est ce que l'on appelle un impôt national complémentaire (Domestic Minimum Top-up tax, DMTT, dans le jargon de l’OCDE). Celui-ci veille à ce que les EMN qui payaient jusqu'ici moins de 15% d'impôts sur leurs bénéfices comptabilisés en Suisse soient désormais soumises à des pourcentages d'imposition supplémentaires qui porteront à l'avenir les taux d'imposition effectifs au minimum de 15 % de l'OCDE. Un exemple : une EMN active dans les matières premières du canton de Zoug payait jusqu'à présent 11 % d'impôt sur le bénéfice. À l'avenir, elle devra verser la différence de 4 % en plus. Rien à redire jusque-là. Mais, du point de vue de la politique de développement, cet impôt national pose un gros problème : la totalité des recettes fiscales supplémentaires reste dans le canton de Zoug, où l’EMN en question a son siège.

Les pays du Sud global, où l’EMN exploite ses matières premières qu'elle négocie ensuite depuis Zoug, ne reçoivent rien. De façon injuste, car les bénéfices que les EMN imposent en Suisse n'ont souvent pas été réalisés ici, mais dans les pays producteurs du Sud mondial — par exemple, pour une EMN de matières premières, dans une mine de cuivre d'un pays africain. Les pays du Sud global dans lesquels les EMN suisses ont des filiales ne reçoivent l'argent de l'imposition minimale que si la Suisse ne le prend pas. Autrement dit, dans la mesure où la Suisse n'introduit pas l'impôt complémentaire national. Or la Suisse pourrait le faire sans problème, car à la différence de la dernière réforme internationale de l'imposition des entreprises, l'OCDE, le G20 et l'UE ne misent pas, cette fois-ci, sur des sanctions à l'encontre des pays qui ne suivent pas le mouvement, mais sur les incitations économiques qu'Ueli Maurer a si bien résumées dans la citation ci-dessus.

L’application faite par la Suisse ne contribue pas à une plus grande justice fiscale mondiale

Pour les pays économiquement défavorisés du Sud, dans lesquels opèrent des EMN helvétiques, l'imposition minimale ne constitue pas un progrès, mais plutôt un recul, pour les raisons suivantes :

a) Le taux d'imposition minimale est fixé bien trop bas: les taux d'imposition des bénéfices dans les pays producteurs du Sud global se situent en règle générale entre 25 % et 35 %. Bien plus bas, l’impôt minimal de 15 %, ne leur assure pas de recettes fiscales supplémentaires. Au printemps 2021, les États-Unis, sous la nouvelle houlette démocratique de Joe Biden, avaient encore exigé un taux d'imposition minimum de 21 %. Par la suite, la Suisse a négocié avec succès ce taux à la baisse avec d'autres pays fiscalement cléments comme l'Irlande et le Luxembourg. C'est ce que montre une lettre d'Ueli Maurer envoyée au secrétaire général de l'OCDE Mathias Cormann à l'automne 2021.

b) L'imposition minimale n'empêche pas les transferts de bénéfices: les EMN transfèrent les bénéfices qu'elles réalisent en produisant dans des pays à forte imposition vers des pays à faible imposition pratiquant des taux de taxation très cléments. Elles font ainsi de grosses économies d’impôts dans les pays de production, mais permettent en même temps aux cantons suisses de taxer à de faibles taux des bénéfices qui n'ont pas été réalisés en Suisse. C'est ce que montre par exemple le cas du négociant en matières premières agricoles helvético-luxembourgeois Socfin. En outre, des analyses d'économistes menées par le professeur Gabriel Zucman de Standford montrent que les EMN ont transféré 111 milliards de dollars de bénéfices en Suisse l’année dernière. 39 % des recettes totales de l'impôt sur les bénéfices dans notre pays, soit 22,7 milliards de dollars, proviennent de tels transferts. Et ce calcul n’inclut même pas les transferts de nombreux pays du Sud mondial, car les données nécessaires à de tels calculs font défaut. Des cas comme celui de Socfin à Fribourg, mentionné plus haut, montrent cependant qu'il est fort probable que les montants de ces transferts de bénéfices soient encore bien supérieurs. Il ressort d'une étude réalisée en 2019 par les économistes Petr Janský et Miroslav Palanský qu'au moins 80 milliards d'euros de bénéfices sont transférés chaque année des pays en développement vers des pays fiscalement cléments comme la Suisse. Il est toutefois impossible de dire à ce jour quelle part exacte de cet argent arrive en Suisse, en raison des problèmes de données mentionnés dans les pays d'origine et du manque de transparence des normes comptables helvétiques. Même avec l'introduction de l'imposition minimale, la Suisse reste aussi attractive que par le passé en tant que pays de destination des transferts de bénéfices en provenance des pays en développement.

c) L’imposition minimale réduit l'autonomie fiscale des pays du Sud: les pays du Sud qui introduisent l'imposition minimale sont limités dans l'élaboration de leurs propres lois fiscales. S'ils introduisent également l'imposition minimale, ils ne pourront plus appliquer de mesures unilatérales, comme une retenue à la source sur les paiements transfrontaliers intragroupes supérieure à 9% (c'est le seuil encore autorisé selon les nouvelles règles de l'OCDE). Les retenues à la source avec des taux d'imposition qui se situent dans la fourchette de l'imposition régulière des entreprises dans ces pays (en général plus de 20%) sont pourtant un moyen éprouvé de lutter contre les transferts de bénéfices. Si l’application de ces retenues est limitée, cela entraîne des pertes fiscales supplémentaires dans les pays concernés. En revanche, au cas où ces pays n'introduisent pas l'imposition minimale pour ces raisons, ils doivent accepter que la Suisse prélève la totalité du substrat fiscal supplémentaire découlant de l'imposition minimale. La pression sur ces pays augmente ainsi pour qu'ils abaissent les taux d'imposition qu’ils appliquent aux multinationales afin de réduire l'écart avec les taux d'imposition en Suisse, ainsi que dans d'autres pays fiscalement cléments, et de diminuer ainsi l'incitation à transférer des bénéfices : la « course vers le bas » se muerait en une « course vers le minimum ».
 

Mesures de promotion économique en faveur des EMN bénéficiant de recettes fiscales minimales

Selon la volonté du Parlement, seuls 25 % des recettes supplémentaires provenant de l'imposition minimale doivent rester à la Confédération. Les 75 % restants vont aux cantons. Ce sont surtout les deux juridictions à faible imposition de Zoug (négociants en matières premières) et de Bâle-Ville (industrie pharmaceutique) qui en profiteront. Le mode d’utilisation des recettes supplémentaires est déjà clair. Selon l'arrêté fédéral, les recettes de la Confédération doivent être explicitement utilisées pour des mesures de promotion économique. De nombreux cantons ont également déjà annoncé de telles mesures, probablement sous la forme d'une réduction des impôts sur le capital ou sur les personnes physiques à hauts revenus surtout, à savoir les managers d’EMN. On discute également de nouveaux arrangements spéciaux entre les autorités fiscales cantonales et les EMN, dans le cadre desquels l'État prend en charge une partie des frais d'exploitation de ces dernières, de mesures d'encouragement de la recherche pour les jeunes pousses (proches de l'industrie pharmaceutique, à Bâle) voire de subventions directes des salaires dans les EMN.

Pour résumer : en Suisse, les recettes supplémentaires issues de l'imposition minimale ne doivent pas être utilisées en faveur de la collectivité, comme le demandait la gauche au Parlement, mais reversées aux EMN. Des recettes supplémentaires, notons-le, qui résultent généralement de transferts de bénéfices des EMN depuis des pays où les taux d'imposition sont supérieurs à 20 ou 25 %. Du point de vue des EMN, le mode de faire est des plus rusés : les recettes fiscales que les EMN suisses subtilisent à d'autres pays en transférant leurs bénéfices dans nos frontières et en les y faisant imposer à des taux bien plus bas doivent désormais être réutilisées chez nous, au profit de ces EMN précisément. Il n'est donc pas étonnant que les regroupements d’entreprises comme Economiesuisse ou Swiss Holdings tiennent absolument à cette réforme, même si, à première vue, leurs membres doivent être davantage taxés qu'auparavant.

Des lacunes fiscales sapent encore davantage l'imposition minimale

Mais ce n'est pas tout : le concept d’application de l'imposition minimale, tel que le Conseil fédéral l'a présenté au Parlement, laisse aussi beaucoup de place aux échappatoires fiscales. Le Conseil national et le Conseil des États ne se sont pas non plus préoccupés de ces dernières au cours des derniers mois. Il existe donc un certain risque que, contre toute attente, l'imposition minimale n'entraîne pas de recettes supplémentaires significatives en Suisse. On peut donc soupçonner la majorité bourgeoise à Berne de vouloir introduire cette imposition avant tout pour protéger les EMN suisses d'une imposition supplémentaire dans d'autres pays.

En fin de compte, cette évolution se fait au détriment de la population suisse et de celle du monde entier : les EMN suisses dans les pays pauvres du Sud mondial ne font pas qu’exploiter la main-d'œuvre ou polluer l'environnement, elles empêchent encore la mise en place de systèmes d'éducation, de santé et d'infrastructure fonctionnels du fait du dumping fiscal qu'elles y pratiquent. Le droit suisse de la fiscalité des entreprises leur vient résolument en aide. Alliance Sud ne peut pas accepter une nouvelle réforme de l'imposition des EMN, qui en fin de compte profiterait surtout à ces dernières. Elle nuit directement aux pays en développement. La Suisse devrait bien plutôt renoncer à introduire l’imposition minimale, donnant ainsi aux pays producteurs où opèrent des EMN suisses la possibilité de les taxer comme ils l'entendent. Alliance Sud refuse donc la modification constitutionnelle correspondante, qui sera soumise au vote le 18 juin.

Article, Global

New York plutôt que Paris !

18.06.2023, Finances et fiscalité

En 2016, l'OCDE promettait une réforme fiscal international qui tiendrait également compte des intérêts des pays du Sud mondial. Sept ans plus tard, il apparaît clairement que l'OCDE a échoué dans ses ambitions. L'heure de l'ONU pourrait sonner.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

New York plutôt que Paris !

Une rue devant le bâtiment des Nations Unies à New York le 24 mars 2022.
© Ed JONES / AFP / Keystone

« Pour que l'argent reste en Suisse ». C'est ce que l'on pouvait lire sur les affiches des partisans de l'introduction de l'imposition minimale de l'OCDE dans notre pays. Avec ce simple slogan, les associations de multinationales d'economiesuisse et de SwissHoldings ont gagné la votation du 18 juin, avec l'aide bienveillante des partis bourgeois. Le Conseil fédéral pourra mettre l’impôt minimum en œuvre à compter du 1er janvier 2024. S’il génère effectivement des recettes supplémentaires substantielles en Suisse, elles serviront à promouvoir notre propre place économique. Ainsi, dans notre pays, les recettes supplémentaires seront précisément reversées aux entreprises multinationales (EMN) qui privent chaque année d'autres pays de plus de 100 milliards de dollars de substance fiscale et garantissent aux cantons suisses fiscalement cléments, comme Zoug et Bâle-Ville, de substantielles recettes d’impôts sur les bénéfices. Le simple fait qu'une telle mise en œuvre de l'imposition minimale soit possible le montre : l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont le siège est à Paris, a échoué dans ses efforts d’une décennie pour rendre le système fiscal mondial un peu plus équitable. Rien de très surprenant à cela. En effet, même si plus de 140 pays, dont certains pays émergents et en développement, ont participé aux négociations sur cette « réforme », ce sont une fois de plus les intérêts des pays riches du Nord global qui l’ont emporté.

L’égalité des chances ? À l’ONU seulement !

Cette réalité va aussi de pair avec l'histoire de ce « cadre inclusif » (inclusive framework), créé en 2016 par l'OCDE. La promesse de l'époque était de mettre tous les pays sur un pied d'égalité. Mais la condition d’adhésion à ce cadre est l’adoption des règles contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (base erosion and profit shifting, BEPS) que les 39 pays membres de l'OCDE (essentiellement les États riches du Nord mondial) avaient seuls élaborées les années précédentes. Une centaine de pays en développement ont été exclus du processus. Les règles en question sont donc taillées sur mesure pour les pays prospères du Nord. Le prix de l'adhésion au « cadre inclusif » est par conséquent élevé pour les nations en développement. Les pays du Sud mondial, qui hébergent une grande partie de la production dans l'économie mondiale actuelle, ne bénéficieront guère des quelque 250 milliards de recettes supplémentaires que l'OCDE escompte à l’échelle de la planète grâce à l'introduction de l'imposition minimale.

Il faut désormais trouver une alternative. Or, elle est en train de voir le jour à New York: à la fin de l'an dernier, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté, à l'initiative du groupe des pays africains et du G-77 (le groupe de tous les pays en développement), une résolution qui donne le branle à un projet de convention fiscale de l'ONU. À l'instar de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques par exemple, qui marque le rythme et trace l’orientation de la politique climatique mondiale depuis 1992, cette convention créerait un cadre multilatéral véritablement inclusif pour la politique fiscale internationale. Une telle approche offrirait l’opportunité d'élaborer et de négocier des principes de politique fiscale susceptibles de remédier au déséquilibre fondamental entre le Nord et le Sud dans le système fiscal mondial actuel.

Une convention fiscale de l'ONU permettrait de créer des règles multilatérales pour un système fiscal enraciné au niveau transnational et non plus basé sur des accords bilatéraux. Dans le système actuel, quelques accords multilatéraux complètent certes les règles inscrites dans les conventions bilatérales en matière de double imposition (CDI), mais ce sont en fin de compte ces dernières qui déterminent la manière dont les pays se répartissent la substance fiscale issue des flux financiers transfrontaliers dans l'économie mondiale. Cela se fait souvent au détriment des pays en développement qui, vu leur puissance économique moindre, sont régulièrement perdants dans les négociations bilatérales sur les CDI avec les pays du Nord.

L’heure d'une imposition globale est venue

Une convention-cadre de l'ONU en matière de politique fiscale serait également la condition préalable à la mise en place d'une imposition globale des EMN. Dans le système fiscal établi, les différentes sociétés nationales des EMN sont traitées comme des entreprises individuelles. Les EMN devraient donc être imposées dans chaque pays en fonction des bénéfices qu'elles réalisent dans un pays donné. Depuis des décennies, les transferts de bénéfices sont toutefois un problème majeur pour les pays pratiquant des taux d'imposition relativement élevés. En imposant leurs bénéfices non pas là où la valeur ajoutée est créée, mais là où les bénéfices sont les plus bas, les EMN privent chaque année de nombreux pays de milliards de recettes fiscales. Les imposer globalement rendrait les transferts de bénéfices obsolètes, car les diverses sociétés d'une EMN ne seraient plus taxées par pays et les EMN ne seraient donc plus incitées à comptabiliser leurs bénéfices là où les taux d'imposition sont les plus bas. Au lieu de cela, tous les bénéfices de tous les pays dans lesquels l’EMN est active seraient additionnés et l'assiette de l'impôt sur les bénéfices attribuée à chaque pays selon une formule tenant compte du nombre d’employés par pays, du chiffre d'affaires et des valeurs physiques (les usines par exemple). Chaque pays impose ensuite ces bénéfices selon ses propres règles fiscales.

Le bureau du secrétaire général de l'ONU António Guterres est en train de rédiger un rapport sur la création d'une convention fiscale qui sera présenté en septembre à New York après consultation des États membres de l'ONU et des parties concernées. L’Alliance mondiale pour la justice fiscale (Global Alliance for Tax Justice, GATJ) et le Réseau européen sur la dette et le développement (Eurodad), dont Alliance Sud est membre, sont très impliqués dans ce processus.

La Suisse dit non

La Suisse a certes approuvé la résolution à l'Assemblée générale. Mais dans une réponse à une interpellation du conseiller national socialiste et coprésident de Swissaid Fabian Molina, qui s'interrogeait sur la position du Conseil fédéral sur la question d'une convention fiscale de l'ONU, le Conseil fédéral souligne qu'il soutient certes « un état des lieux du cadre institutionnel de la coopération internationale en matière fiscale » à l'ONU, mais qu'il refuse la création d'une convention fiscale onusienne. Il semble convaincu de savoir mieux que les pays en développement ce qui est bon pour eux. Non sans relents coloniaux et paternalistes, il écrit : « Néanmoins, le Conseil fédéral juge discutable l'utilité d'une convention fiscale des Nations Unies pour défendre la position des pays en développement. »

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Imposition des entreprises

Imposition des entreprises

La Suisse est l'un des sites mondiaux majeurs pour les multinationales et, vu son très faible taux d'imposition des bénéfices, elle est une destination privilégiée pour les transferts de bénéfices. 

De quoi s’agit-il ?

De quoi s’agit-il ?

Les multinationales suisses transfèrent chaque année des bénéfices pour un montant excédant 100 milliards de dollars vers la Suisse, pays fiscalement clément. Dans les cantons de Zoug, Bâle-Ville, Vaud ou Genève, cette pratique gonfle les recettes fiscales. Dans les pays qui ne peuvent pas se permettre d'encourager l'évasion fiscale agressive, elles baissent de manière dramatique. Les bénéfices ne sont pas imposés là où ils ont été gé-nérés, mais là où les multinationales paient le moins d'impôts.

Depuis 2016, la Suisse a réformé plusieurs fois son droit de la fiscalité des entreprises. Mais les possibilités de transfert de bénéfices des multinationales n'ont guère été restreintes. Elles privent les pays du Sud mondial surtout d'un substrat fiscal substantiel. Alliance Sud s'engage pour que davantage de transparence et une meilleure coopération, en particulier avec les pays du Sud, permettent de mettre fin à cette évasion fiscale.