Communiqué

La coopération internationale, une fois de plus instrumentalisée par la politique financière

08.12.2025, Financement du développement

Le Conseil national a approuvé hier soir des coupes budgétaires importantes dans le financement des organisations multilatérales et de la coopération au développement, ce qui aura de graves conséquences pour les populations les plus démunies de la planète. Ce faisant, le Con-seil national privilégie des considérations budgétaires à court terme au détriment du mandat constitutionnel de lutte contre la pauvreté et la misère dans le monde.

La coopération internationale, une fois de plus instrumentalisée par la politique financière

Le Palais fédéral dans un brouillard diffus pendant la session d'hiver des Chambres fédérales. © Keystone / Peter Schneider

Au moment même où débutaient les débats budgétaires du Conseil national, la Fondation Gates publiait un rapport de recherche prévoyant une hausse de la mortalité infantile à partir de 2025. Ce renversement de tendance est une conséquence directe du retrait de nombreux pays donateurs de la coopération internationale (CI) – en particulier dans le secteur de la santé. Et c’est précisément là que le Conseil national serre la bride : selon la décision budgétaire d'aujourd'hui, 30,5 millions de francs devraient être retirés en 2026 du budget de la coopération bilatérale au développement de la DDC et 28,2 millions de celui des organisations multilatérales. Cela s'ajoute aux 431 millions de francs que le Parlement avait déjà réduits l'an dernier pour la période 2025-2028.

Par cette décision, la Suisse contribue davantage à l'affaiblissement des organisations multilatérales et de la Genève internationale. Elle rejoint ainsi le cercle des pays donateurs qui financent le réarmement militaire au détriment de la CI. Le fait qu'aucun argument de fond n'ait été abordé lors du débat est particulièrement choquant – signe évident que la coopération internationale suisse est de plus en plus instrumentalisée par des considérations budgétaires à court terme.

« La Suisse doit s'engager dans la lutte mondiale contre la pauvreté et la misère, et en faveur d’un multilatéralisme fort. Il est par conséquent impératif d’empêcher toute nouvelle réduction de la coopération internationale », déclare Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, le centre de compétences pour la coopération internationale et la politique de développement.

Il appartient désormais au Conseil des États de s’en tenir à sa version du budget afin de stopper le démantèlement de la coopération internationale.

Pour de plus amples informations :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, tél. 079 847 86 48, andreas.missbach@alliancesud.ch

 

Communiqué

Le Soudan a besoin d'aide, et ce dès maintenant

26.11.2025, Financement du développement

Aujourd'hui, la Délégation des finances des Chambres fédérales a débloqué la moitié du crédit supplémentaire de 50 millions de francs demandé par le Conseil fédéral pour l'aide au Soudan. Alors que la population soudanaise a un besoin urgent d'aide, la seconde moitié de la contribution risque d'être affectée à la réduction de la dette de la Confédération.

Kristina Lanz
Kristina Lanz

Experte en coopération internationale

+41 31 390 93 40 kristina.lanz@alliancesud.ch
Le Soudan a besoin d'aide, et ce dès maintenant

Au Soudan, des millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays vivent dans la famine, la maladie et les combats incessants. Une femme et ses deux enfants marchent dans une rue jonchée de débris dans le quartier de Shuhada (marché de l'or) de la ville soudanaise d'Omdurman. © Simon Townsley/Panos Pictures

Après que le Conseil fédéral a décidé la semaine dernière de débloquer 50 millions de francs pour la population soudanaise victime de la guerre, la Délégation des finances des Chambres fédérales a réduit aujourd'hui à 25 millions le montant pouvant être débloqué immédiatement. Les 25 millions restants doivent donc d'abord être approuvés par les deux commissions financières et les deux Chambres fédérales ; s'ils ne le font pas, les fonds seront automatiquement affectés à la réduction de la dette.

Le Soudan est actuellement le théâtre de l'une des plus grandes catastrophes humanitaires de l'histoire récente. La population locale manque de tout : nourriture, eau et soins médicaux de base. Les coupes budgétaires dans la coopération au développement, notamment chez USAID, qui fournissait auparavant plus de 40 % de l'aide humanitaire, ont encore aggravé la situation des habitants.

Les pays voisins, qui ont accueilli plus de 4 millions de réfugiés soudanais, sont également débordés. L'Égypte à elle seule en accueille plus de 1,5 million, dont beaucoup sont affamés, blessés et profondément traumatisés. « La situation des réfugiés soudanais en Égypte est catastrophique », déclare Kristina Lanz, qui s'est récemment rendue dans ce pays dans le cadre d'un voyage organisé par la Commission consultative pour la coopération internationale. « Beaucoup de personnes survivent avec un seul repas par jour, la plupart des enfants souffrent de malnutrition aiguë. En raison des coupes budgétaires, le UNHCR a dû fermer deux des trois centres d'enregistrement des réfugiés dans le pays et supprimer des programmes d'aide financière vitaux. Actuellement, l'organisation dispose encore de 4 dollars par mois et par réfugié. »

Alors que la population souffre, le commerce de l'or soudanais est en plein essor et contribue au financement des deux parties belligérantes. L'or soudanais aboutit aussi bien en Égypte que dans les Émirats arabes unis, deux pays d'où la Suisse importe de l'or. Les importations d'or en provenance d'Égypte ont même plus que doublé depuis le début de la guerre. Il est plus que probable que l'or soudanais aboutisse également en Suisse. Entretemps, la Confédération annonce des recettes supplémentaires de plusieurs centaines de millions de francs, grâce au commerce des matières premières à Genève. Une raison de plus pour débloquer rapidement des fonds en faveur de la population soudanaise.

Pour plus d'informations :

Kristina Lanz, Experte en coopération internationale chez Alliance Sud, tél. 076 295 47 46, kristina.lanz@alliancesud.ch


 

Réarmement au lieu de développement

Une politique des hommes forts au détriment des plus faibles

30.09.2025, Financement du développement

Au lieu d'une planification à long terme et d'investissements dans la durabilité, on s'arme, et massivement. Quelles en sont les conséquences pour la lutte contre la pauvreté, le financement du climat et le développement durable ? Un état des lieux.

Kristina Lanz
Kristina Lanz

Experte en coopération internationale

Une politique des hommes forts au détriment des plus faibles

Instaurer la paix par les armes ? Au salon de l’armement Eurosatory, le porte-parole de Rheinmetall Philipp Freiherr von Brandenstein dévoile un nouveau char. © Keystone/laif/Meinrad Schade

La guerre en Ukraine a fortement ébranlé le sentiment de sécurité en Europe et en Suisse également — une invasion de l'Europe par la Russie semble possible. Alors que l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pouvait jusqu’à présent compter sur la puissance protectrice de l'Amérique, cette sécurité s’érode de plus en plus depuis l'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. En 2014, après l'invasion de la Crimée par la Russie, les pays de l'OTAN ont décidé de porter leurs dépenses militaires à 2 % du produit intérieur brut (PIB). En 2024, 23 des 32 pays membres de l'OTAN avaient atteint cet objectif (le total des dépenses militaires de l'OTAN s'élevait à 1 470 milliards de dollars, dont près des deux tiers pour les Etats-Unis). En juin dernier, l'OTAN a annoncé son intention de faire passer ses dépenses militaires à 5 % d'ici 2035, ce qui correspond à plus du double. Mais d'où doit provenir cet argent et le réarmement mondial peut-il vraiment garantir la paix ?

Une course à l'armement sur le dos des plus pauvres

Si l'objectif de 5 % est effectivement atteint d'ici 2035, la question se pose de savoir comment ces dépenses supplémentaires massives seront financées. La plupart des membres de l'OTAN ont actuellement une dette publique relativement élevée : alors que les Etats-Unis ont un taux d'endettement avoisinant 120 % de leur PIB, le taux d'endettement moyen dans l'UE est de 81,5 % du PIB. Plusieurs pays (dont les Etats-Unis, la France et l'Italie) ont déjà vu leur note abaissée par certaines agences de notation au cours des dernières années.

Alors que les dépenses militaires sont en hausse, plusieurs pays sont confrontés à des coupes budgétaires dans d'autres domaines, notamment la sécurité sociale, la protection du climat et la coopération internationale. Au cours de la période 2022-2023, 15 membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont réduit leurs fonds consacrés au développement, tout en augmentant simultanément leurs budgets militaires. De 2024 à mi-2025, huit autres pays membres du CAD ont décidé de réduire leurs dépenses de développement, invoquant en partie la nécessité de financer la hausse des dépenses militaires. Les premières estimations de l'OCDE suggèrent que les dépenses d’aide publique au développement pourraient chuter jusqu’à 17 % en 2025 et que cette tendance se poursuivra dans les années à venir. L'objectif convenu au niveau international de consacrer 0,7 % du revenu national brut (RNB) à la coopération au développement s'éloigne donc de plus en plus (en 2024, la moyenne de l'OCDE a chuté à 0,33 %, sans tenir compte des coûts d'asile au plan national, à seulement 0,29 % du RNB).

En parallèle, la crise climatique détruit les moyens de subsistance dans le monde entier, et l'Europe et les Etats-Unis sont eux aussi de plus en plus souvent victimes de phénomènes météorologiques extrêmes. Des milliards sont nécessaires pour lutter contre le changement climatique et s'y adapter. De plus, environ 123,2 millions de personnes sont en fuite dans le monde, 673 millions souffrent de la faim et près de 305 millions ont un besoin urgent d’aide humanitaire — les besoins augmentent alors que les fonds disponibles fondent. En Occident également, un nombre croissant de personnes n'ont plus les moyens de subvenir à leurs besoins et ont perdu confiance dans la politique, ce qui entraîne la montée en puissance des politiciennes et politiciens extrémistes, populistes et illibéraux.

Alors que la volonté politique de s'armer est clairement affichée, les scrupules à financer le renforcement de l'armée, du moins en partie, sur le dos de la sécurité sociale, de la lutte contre la pauvreté ou de la protection du climat diminuent.

 

 

Et que fait la Suisse ?

La tendance est similaire en Suisse. Fin 2024, le Parlement a décidé d'augmenter les dépenses militaires de 4 milliards de francs entre 2025 et 2028, portant ainsi les dépenses à 1 % du PIB d'ici 2032 (contre 0,7 % actuellement). Parallèlement, des coupes dans la CI, à hauteur de 110 millions de francs pour l'année 2025 et de 321 millions de francs pour la période 2026-28, ont été approuvées. Et le débat sur l’austérité n'est pas clos. D'autres mesures d'économie dans divers domaines sociaux et dans la protection du climat seront discutées cet automne dans le cadre du programme dit d’allègement budgétaire.

Si la pertinence d'un réarmement rapide peut être discutée en Suisse (d'autant plus qu'elle est entourée de pays membres de l'OTAN et que, dans le contexte actuel, une cyberattaque est bien plus probable qu'une attaque aérienne), notre pays n'a pas de problème d'endettement contrairement à de nombreux voisins européens. Son taux d'endettement actuel de 17,2 % est dérisoire au regard des normes internationales, et des mesures d'austérité sont absolument inutiles. Même l'Allemagne, avec un taux d'endettement nettement supérieur (62,5 %), a récemment décidé d'assouplir son frein à l'endettement, beaucoup moins rigoureux, afin de prendre en compte la hausse des dépenses militaires comme une mesure extraordinaire, tout en créant simultanément un fonds spécial de 500 milliards d'euros pour les infrastructures et la protection du climat. La Suisse disposerait ainsi d’une marge de manœuvre considérable pour investir tant dans le réarmement que dans une coopération internationale renforcée, la sécurité sociale et la protection du climat. Seule la volonté politique fait défaut.

Réarmement mondial — et après ?

La planète s'arme donc, et massivement. Le SIPRI, l’institut suédois dédié à la recherche sur les conflits, y voit un net revirement de tendance : le passage d’une conception de la sécurité dominante depuis la fin de la Guerre froide, fondée sur le contrôle des armements, les mesures de confiance et la transparence, à une conception de la sécurité étayée sur la puissance militaire et la dissuasion. Selon le SIPRI, ce réarmement massif peut certes avoir un effet dissuasif sur les agresseurs potentiels, mais il risque d'accélérer la course aux armements et de compromettre les efforts de dialogue, les mesures de confiance et d'éventuels nouveaux accords de contrôle des armements . Diverses voix s’élèvent également pour mettre en garde contre les risques élevés d'inefficacité des achats, de prix excessifs, d'abus ainsi que de contournement des mécanismes de contrôle. Comme on a pu le constater à maintes reprises ces dernières années, la Suisse a déjà d’une vaste expérience en la matière.

Le réarmement de l'Europe et de la Suisse peut sembler judicieux au vu des menaces actuelles, mais qu'adviendra-t-il à moyen et long terme de toutes les armes désormais produites (sans compter que l'industrie de l'armement est largement dépendante de l'industrie des énergies fossiles, qui connaît actuellement un regain d’activité) ? A quoi ressemblera notre monde dans dix ans si la protection du climat, la sécurité sociale et la coopération internationale sont rapidement démantelées pour favoriser la militarisation ?

Vers une compréhension globale de la sécurité

Il ne semble pas trop tard pour investir dans une compréhension globale et holistique de la sécurité, dans laquelle la sécurité militaire ne s’oppose pas à la sécurité sociale, à la coopération internationale ou au financement international dans le domaine du climat, mais est considérée comme une pierre angulaire tout aussi importante d'une politique de sécurité globale et à long terme.

Plusieurs experts en sécurité remettent en question la logique d'un réarmement rapide et affirment qu'une meilleure coordination et coopération intereuropéennes sont nécessaires. Le Premier ministre espagnol Sanchez l’a également déclaré en rejetant explicitement l’objectif des 5 % de l’OTAN, estimant qu'il était déraisonnable et contre-productif. Il a clairement indiqué que l'Espagne n'était pas prête à faire des économies sur le bien-être, la coopération internationale ou la transition énergétique pour se procurer à la hâte des équipements prêts à l’emploi à l'étranger, aggravant ainsi les problèmes de dépendance envers les États-Unis et d'interopérabilité du parc d’équipements européen.

Parallèlement, les responsables politiques nationaux doivent tout mettre en œuvre pour restaurer la confiance de la population dans la politique. Les investissements dans la prévoyance vieillesse, la sécurité sociale et la santé vont dans ce sens, tout comme la transition énergétique et la protection de l'environnement. En politique étrangère, l'engagement en faveur du multilatéralisme, de la diplomatie, du financement climatique et de la coopération internationale doit être renforcé, car la sécurité ne peut être garantie à long terme que par la coopération, le dialogue et le respect des obligations internationales en faveur du bien commun. L'Espagne montre qu'il est possible de penser la politique de sécurité de manière plus large et de ne pas l'opposer à d’autres domaines. La Suisse, pays riche et peu endetté, pourrait se permettre de suivre le mouvement et de faire figure de pionnier.

 

1 START, le dernier accord de contrôle des armements restant entre la Russie et les Etats-Unis pour limiter les forces nucléaires stratégiques, expire en 2026 ; actuellement, ni la Russie ni les Etats-Unis ne semblent intéressés par une prolongation de l'accord. De plus, en 2024, presque tous les neuf Etats dotés d'armes nucléaires ont poursuivi leurs programmes intensifs de modernisation nucléaire.

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Conférence de l’ONU sur le financement du développement

Séville : paix, joie et tortilla ?

26.09.2025, Financement du développement

Lors de la quatrième conférence de l'ONU sur le financement du développement (FfD4) à Séville, il était clair pour l’ensemble des participant·e·s qu'il convenait d’aller chercher plus d’argent là où il est disponible : auprès des entreprises et des gens très fortunés. Mais les avis étaient très partagés sur la façon de procéder.

Séville : paix, joie et tortilla ?

Contre le poids de la dette et le shrinking space : protestation de la société civile dans le bâtiment de la conférence FfD4 à Séville. © Jochen Wolf / Alliance Sud

La FfD4 du début juillet s'est tenue dans l'une des périodes les plus critiques de ces dernières années pour le développement mondial. Le financement public du développement devrait fondre de 17 % rien que pour l'année 2025. Et c'est encore pendant la conférence que le sort de l'USAID — autrefois le plus grand bailleur de fonds de la planète — a été définitivement scellé. Moins de cinq ans avant l'échéance, il manque chaque année plus de 4000 milliards de dollars pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) de l'ONU.

Non pas que l'argent manque fondamentalement : depuis la dernière conférence sur le financement du développement à Addis Abeba en 2015, le pour cent le plus riche de la population de la planète a augmenté sa fortune de plus de 33 900 milliards de dollars — 22 fois plus que ce qui serait nécessaire chaque année pour éradiquer la pauvreté absolue. Selon l'ONU commerce et développement (CNUCED), l'Afrique pourrait à elle seule récolter près de 89 milliards de dollars par an en limitant les flux financiers déloyaux. La moitié de cette somme provient de l'évasion fiscale des multinationales, et le secteur des matières premières est de loin la principale source de tels flux financiers. Ce qui devrait en fait intéresser la Suisse.

Des absents de marque (et d’autres moins notables)

Le document final non contraignant de la conférence, le Compromiso de Sevilla (l’Engagement de Séville), avait déjà été adopté à la quasi-unanimité le 17 juin à New York. Il n'y a donc plus eu de négociations dans la cité andalouse. Les Etats-Unis ont été largement responsables de l’édulcoration du texte, par exemple sur le thème du climat. Malgré cela, ils se sont retirés du processus deux semaines avant la conférence, devenant ainsi le seul pays à ne pas soutenir le document final et à rester à l'écart de Séville.

La conférence a néanmoins accueilli plus de 15 000 personnes, dont 60 cheffes et chefs d'Etat et de gouvernement, 80 ministres, le secrétaire général de l'ONU António Guterres, des représentations de haut niveau d'agences onusiennes et d'autres organisations internationales. La Suisse a toutefois renoncé à envoyer une délégation de haut rang. L'absence de ministre a eu pour conséquence que notre pays n'a pu s'exprimer qu'en toute fin de la partie officielle de la conférence. Et comme aucune conseillère fédérale et aucun conseiller fédéral n’ont fait le déplacement, la Suisse a manqué les échanges avec les 60 cheffes et chefs d'Etat et de gouvernement présents. Le trajet jusqu'à Séville est en effet plus long que celui jusqu'à Davos. De plus, il y faisait bien trop chaud.

Comme le processus de financement du développement va bien au-delà du financement du développement au sens de la coopération internationale (CI), plusieurs conseillères et conseillers fédéraux auraient pu y participer. Les mesures contre l'évasion fiscale et les flux financiers déloyaux figuraient en bonne place à l'ordre du jour, tout comme les thèmes de la dette et du désendettement, du commerce et du développement ou les questions systémiques de l'architecture financière internationale.

Un programme axé sur un thème avant tout

Un thème a dominé l'ordre du jour, la mobilisation des ressources domestiques, autrement dit la question de savoir comment inciter les entreprises et les investisseurs orientés vers le profit à combler le vide laissé par le manque de fonds publics. A Séville, on a pu entendre des expressions comme Accelerating the shift and private climate Investment at scale, Catalytic pathways to scale private investment, Unlocking ecosystems for inclusive private sector growth, Impact investing, from pioneering innovations to scalable solutions, et bien d’autres encore.

On pourrait penser que c’était dû au fait que les représentant·e·s des entreprises constituaient 40 % des personnes présentes et qu'il y avait un forum totalement consacré aux affaires. Mais le thème était tout aussi dominant dans la partie officielle, auprès des gouvernements (surtout du Nord) et des organisations internationales. Cela vaut aussi pour la Suisse. La majorité des événements qu'elle a organisés tournaient autour du sujet (notamment Accelerating SDG impact through outcomes-based financing).

 

Spaniens Ministerpräsident Pedro Sánchez geht auf UNO-Generalsekretär António Guterres und EU-Kommissionspräsidentin Ursula von der Leyen zu. Letztere zwei stehen dicht beisammen, alle drei lachen. Im Hintergrund ist eine grosse Plakatwand mit dem Logo der FfD4-Konferenz.

Secteur privé renforcé, mission accomplie ? Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez avec le Secrétaire général de l’ONU António Guterres et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. 
© Bianca Otero / ZUMA Press Wire

 

La société civile conteste

Heureusement, la société civile a également organisé nombre d’événements parallèles, où l'on a pu entendre qu'à Séville, on a pompé beaucoup de vin aigre dans de vieilles outres. Ainsi Daniela Gabor, économiste et membre du groupe d'experts de l'ONU sur le financement du développement, a rappelé qu'en 2015 déjà, la Banque mondiale avait promis de passer des « milliards aux milliers de milliards » (from billions to trillions) pour financer la mise en œuvre du Programme d’action d'Addis-Abeba (résultat de la 3e Conférence des Nations Unies sur le financement du développement). À l'époque, les partenariats public-privé et le de-risking (l’atténuation des risques) étaient déjà des piliers centraux de l'agenda. Il s'agissait (et il s'agit toujours) d'utiliser l'argent financé par les impôts dans les budgets de la coopération internationale du Nord global pour créer des projets rentables pour de grands investisseurs comme Blackrock ou des fonds de pension. Concrètement, des risques doivent être pris pour que ces investisseurs obtiennent des rendements ajustés au risque (risk-adjusted returns) intéressants pour leurs investissements dans des projets liés à l’eau, aux routes ou à l’énergie.

Cela n'a vraiment pas fonctionné et, selon Daniela Gabor toujours, pas parce qu'il n'y avait pas assez d'argent pour l’atténuation des risques de la part des banques de développement multilatérales, de l'UE ou du gouvernement Biden. Cela a capoté parce que même avec une prise de risque financée par l'impôt, les grands projets restaient beaucoup trop chers pour les pays du Sud global.

Entre-temps, il existe la version small is beautiful du de-risking, dans laquelle les investissements dits à impact pour la mise en œuvre de certains ODD doivent être encouragés, et pas seulement les grands projets d’infrastructure. Ils doivent atteindre directement les « bénéficiaires » dans le Sud global. Mais ces derniers doivent également payer, par exemple pour les énergies renouvelables, car il faut bien que les rendements viennent de quelque part. Malgré la terminologie de la CI, ces bénéficiaires sont donc en réalité tout simplement des clients et des emprunteurs. C'est cette version de l'agenda de de-risking qui est également prônée par la Suisse.

La société civile n'est pas la seule à s'y opposer : des représentant·e·s des gouvernements du Sud global ont aussi fait part de leur désaccord. Le ministre sud-africain de la planification, Maropene Ramokgopa, a par exemple appelé au réalisme et rappelé que le secteur privé ne joue un rôle que là où il peut faire des bénéfices et que le blending ne peut donc pas remplacer les fonds concessionnels, surtout dans la situation actuelle d'endettement. Et lors d'une manifestation des Petits Etats insulaires en développement, on a entendu parler de risques tout différents, qui devraient être au centre des préoccupations. Pas ceux pour les investisseurs, mais les risques encourus par les populations face à la montée du niveau de la mer. Dans ce domaine, il est nécessaire de procéder à une atténuation des risques.

It’s taxes, stupid !

Il est indéniable que le secteur dit privé et les gens très fortunés disposent de très nombreux moyens qui pourraient être utilisés pour atteindre les ODD et mettre en œuvre l’Engagement de Séville. Mais au lieu d'espérer pouvoir les attirer avec des ressources limitées de la CI ou de miser sur leur philanthropie, d’autres pistes peuvent être empruntées. Heureusement, on pouvait aussi l'entendre à Séville. Si on le voulait. La Suisse n'a pas voulu.

En effet, l'un des piliers centraux du Compromiso de Sevilla est aussi la mobilisation des ressources domestiques. Avec davantage de recettes fiscales, les pays du Sud global peuvent réduire leur dépendance vis-à-vis des fonds de développement et faire avancer leur économie et leur société de l'intérieur.

C'est ce que l'on aurait pu entendre de la bouche d'Aminata Touré, ancienne première ministre du Sénégal : « En matière fiscale, on constate une injustice permanente dont l'Afrique souffre depuis des siècles. (...) Nous avons des dettes résultant de la fraude et de l'évasion fiscales, (...) parce que les multinationales européennes exploitent nos matières premières sans payer d'impôts. (...) C'est pourquoi l'Union africaine s'est tant engagée en faveur d'une convention fiscale contraignante de l'ONU. Nous voulons une répartition équitable du droit d’imposition. Les impôts doivent être payés là où la richesse est créée. C'est difficile d'expliquer cela parce que c’est tellement simple. Tout écolier le comprend : plus on est riche, plus on paie d'impôts. »

Etonnamment, un représentant du ministère allemand des finances a tenu un discours similaire : « Si les fonds d'aide au développement sont de plus en plus rares, il faut d'autant plus prendre des mesures fermes contre les flux financiers déloyaux, ce pour quoi le gouvernement allemand s'engage depuis longtemps : les entreprises et les super-riches doivent payer leur juste part du gâteau fiscal mondial. »

Coalitions des volontaires

Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, a souligné un autre aspect clé de l'agenda fiscal : « Les Etats-Unis paient à présent le prix de l'inégalité, c'est pourquoi nous assistons à la mainmise de l'oligarchie technologique. Donald Trump veut mondialiser ses réductions d'impôts pour cette oligarchie. (...) Mais le monde ne peut pas être pris en otage, une coalition des volontaires est possible. (...) Inutile d’être lauréat d’un prix Nobel pour comprendre pourquoi il faut taxer les gens les plus fortunés. Nous avons créé les paradis fiscaux. Nous aurions pu les réglementer, mais nous les avons tolérés. Ils existent parce qu'ils profitent aux grandes fortunes. Nous avons besoin de normes mondiales, nous avons besoin de règles à l’échelle de la planète. »

On observait déjà de telles coalitions à Séville. L'Espagne et le Brésil ont annoncé une initiative commune pour une taxation mondiale des super-riches. Neuf pays — le Brésil, la France, le Kenya, la Barbade, l'Espagne, la Somalie, le Bénin, la Sierra Leone et Antigua-et-Barbuda — veulent s'engager à introduire une taxe de solidarité sur les billets d'avion de classe affaires et de première classe ainsi que sur les jets privés.

Ces initiatives, ainsi que 130 autres initiatives volontaires, figurent sur la Sevilla Platform for Action (SPA), qui vise à mettre en œuvre l'Engagement de Séville. Il y a certes une légère contradiction entre engagement et volontariat, mais vu l'état du multilatéralisme, une liste qui contient quelques bonnes propositions est déjà un progrès.
 

La Suisse : du SPA à la gym

Même si le Compromiso de Sevilla n'est pas contraignant, que la plateforme d’action est volontaire et que des thèmes importants font défaut, la conférence a montré qu'il existe diverses coalitions de pays européens, africains et latino-américains qui font avancer les solutions. Comme programme pragmatique minimal, la Suisse devrait tenir compte de la liste des tâches mentionnées ci-dessous : 

  • Créer une table ronde multipartite avec la participation des créanciers privés des pays surendettés du Sud global.
  • Ne plus entraver les négociations sur la convention fiscale de l'ONU, mais collaborer de manière constructive avec les pays du Sud global.
  • Prendre exemple sur l'Espagne, qui s'est engagée à Séville à atteindre d'ici 2030 l'objectif de l'ONU de 0,7% du revenu national brut pour le financement de la CI.

Si vous préférez une approche moins pragmatique, vous trouverez des propositions complètes pour résoudre les problèmes dans le dernier numéro de « global » (#98/Eté 2025, « Le nouveau deal »).

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Débat Nord-Sud lors de la conférence FFD4

Une dispute entre amis

30.09.2025, Financement du développement

Lors de la conférence de l'ONU sur le financement du développement de juillet dernier, une dispute entre amis s’est envenimée, un fait passé quasiment inaperçu en dehors de la salle. La joute verbale entre Gustavo et Emmanuel ne vaudrait pas la peine d’être mentionnée si leurs noms de famille n'étaient pas Petro et Macron.

Une dispute entre amis

Discours sans détours à Séville : après que le président colombien Gustavo Petro (à gauche) a évoqué la dette historique et l'exploitation continue, le président français Emmanuel Macron (à droite) s'est montré irrité. Entre eux, le président kenyan William Ruto. © Reuters / Jon Nazca

Le président colombien a replacé le sujet dans un contexte plus large (remontant à 20 000 ans avant Jésus-Christ) et a fustigé : « Les sociétés blanches et aryennes des Etats-Unis et d'Europe ne veulent pas vraiment reconnaître que l'existence et la vie sur cette planète supposent la transformation d'une économie basée sur les énergies fossiles, fondée sur la mort et le profit. »

Petro a déploré que la migration soit devenue un enjeu plus important pour le Nord global que la crise climatique : « On gagne aujourd'hui des voix en adoptant une attitude anti-immigration au Nord. (...) Pourquoi la migration est-elle un enjeu ? Parce que l'électorat des pays qui font partie du G20 et du Nord global, qui émettent beaucoup de CO₂, est majoritairement ‘aryen’. »

Mécontent (not pleased ; il s’exprimait en anglais !), Emmanuel a rétorqué en levant l'index : « C'est un peu étrange de se faire sermonner par quelqu'un du Sud simplement parce qu'il vient du Sud. Et j'exige le respect. (...) Je ne vois pas une seconde comment nous pourrions parvenir à un programme commun basé sur votre discours et votre paradigme. (...) Il y a des politiciens en Europe qui combattent avec acharnement l'extrême droite. »

Reste à espérer que les deux amis se sont réconciliés et surtout que cet épisode ne présage rien de pire. Ce serait une catastrophe géopolitique. Face au trio Kimxipu(tin), qui essaie de se faire passer pour le véritable porte-parole du Sud global, et aux Etats-Unis, qui restent au mieux une démocratie illibérale, l'Europe et les démocraties du Sud global doivent se serrer les coudes. Ce n'est que de cette manière qu'un multilatéralisme intégrant la démocratie, les droits humains et la cohabitation pacifique des peuples est concevable. Et de telles démocraties existent principalement en Amérique latine.

Mais pour cela, l'Europe, y compris la Suisse, doit tendre la main à ces pays. Par exemple sur les questions fiscales ou sur un sujet que le gouvernement de Gustavo Petro a inscrit à l’ordre du jour international : une convention de l'ONU sur les matières premières, indispensables à la transition énergétique. La Colombie prévoit de soumettre une résolution à l'Assemblée des Nations Unies pour l’environnement en décembre afin que les négociations sur un accord contraignant puissent débuter.

Comme l'a montré Alliance Sud dans son dernier numéro spécial sur le « nouveau deal » et comme le souligne également Emmanuel Mbolela dans le récent numéro de « global », il est absolument crucial pour la transition juste que la malédiction des matières premières ne se reproduise pas avec les minerais de la transition. C’est un sujet qui peut faire l’objet de vifs débats, mais un accord doit être trouvé.

 

Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud, était membre de la délégation officielle de la Suisse à la Conférence de l'ONU sur le financement du développement à Séville.

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Communiqué

La lutte mondiale contre la pauvreté prend de nouveau du plomb dans l’aile

21.08.2025, Financement du développement

Le Département des finances a présenté aujourd'hui le budget 2026 et le plan financier pour les années suivantes. La Confédération affûte à nouveau ses couteaux dans le domaine de la coopération internationale (CI), même par rapport au programme de réduction 2027 – 2028. Les victimes sont à nouveau les plus démunis de cette planète, qui se voient privés de ressources vitales. Il est particulièrement choquant que des entreprises suisses profitent à la place des maigres moyens de la CI.

 La lutte mondiale contre la pauvreté prend de nouveau du plomb dans l’aile

Une femme au Burkina Faso travaille dans le cadre d'un projet suisse.

© KEYSTONE/Alexandra Wey 

Ce n'est qu'en janvier que le Conseil fédéral avait mis en consultation son vaste programme d’austérité pour les années 2027 et 2028 (présenté sous couvert d’un « programme d’allégement »). Dans le message correspondant, il était question de coupes de 274 millions de francs dans la CI pour ces deux années. Aujourd'hui, 48 millions sont encore supprimés et les coupes seront également renforcées de 31,5 millions dans le budget 2026, soit 80 millions de moins au total. 

Les coupes les plus drastiques concernent la coopération bilatérale au développement, en Afrique subsaharienne surtout. 27 millions seront transférés de cette ligne budgétaire au Secrétariat d'État à l'économie (SECO). Et ce, non pas pour y renforcer la coopération économique, qui fait partie intégrante de la CI, mais pour financer la production et les exportations d'entreprises suisses vers l'Ukraine. « Au vu de l'état d'urgence mondial dû au démantèlement de l'USAID, autrefois le plus grand bailleur de fonds dans l'aide humanitaire et la coopération au développement, cette forme de promotion économique apparaît comme une véritable insulte », estime Andreas Missbach, directeur d'Alliance Sud. 

Enfin, un transfert insidieux a également lieu dans le budget de la CI – ainsi, à partir de l'année prochaine, 7,2 millions de francs par an seront transférés de la coopération bilatérale au développement vers un fonds destiné à la promotion des investissements. Cela correspond presque au triplement des moyens explicitement prévus pour réduire les risques (de-risking) des investissements privés. « La tendance à la privatisation de la CI se poursuit donc, même s’il s’avère depuis plus d’une décennie déjà que l'orientation vers le profit et la réduction de la pauvreté ne sont guère conciliables », déclare Missbach. « Les investisseurs et les entreprises privées à but lucratif ne sont tout simplement pas prêts à améliorer la vie des plus pauvres ou pas en mesure de le faire ». 

Pour de plus amples informations :
Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, +41 31 390 93 30

 

Annonce d’une table ronde :

Le mardi 26 août prochain, dès 12h15, une table ronde sur les coupes dans la coopération au développement aura lieu au Club Suisse de la Presse. Avec Andreas Missbach, directeur d’Alliance Sud, Frédéric Baldini, Helvetas, Mark Kessler, Caritas Suisse, et Daniel Suda-Lang, Handicap International Suisse. Les professionnels des médias sont cordialement invités à y participer.
Langues parlées à la table ronde : le français et l’anglais.

Cliquez ici pour vous inscrire. 

Article

Réforme de la Banque mondiale : retour vers le futur ?

05.07.2025, Financement du développement, Justice climatique

Lors de la conférence de l'ONU à Séville, l'orientation future des institutions financières internationales sera également au centre des discussions. L'évolution de la Banque mondiale reste toutefois loin de la révolution dont elle a tant besoin.

Kristina Lanz
Kristina Lanz

Experte en coopération internationale

Laurent Matile
Laurent Matile

Expert en entreprises et développement

Réforme de la Banque mondiale : retour vers le futur ?

L'idée d'attirer des capitaux privés à grande échelle pour financer des routes, des hôpitaux et d'autres projets d'infrastructure indispensables dans les pays pauvres s'est également révélée être une illusion pour la Banque mondiale. © Shutterstock

En 2015, la Banque mondiale a lancé une nouvelle stratégie et vision intitulée « Forward Look : Une vision pour le Groupe de la Banque mondiale à l’horizon 2030 ». Ce fut la naissance de l’approche « Maximiser les financements pour le développement », visant à accroître massivement les financements privés pour le développement à travers des réformes sectorielles et politiques, ainsi que l’utilisation de garanties et d’instruments de réduction des risques. Le slogan « des milliards aux billions » est alors devenu un mantra largement répété dans la communauté du développement.

Avançons jusqu’en 2023 : la Banque mondiale a lancé un processus stratégique appelé « Evolution Roadmap », censé lui permettre de mieux répondre aux défis contemporains du développement et de renouveler sa crédibilité. Bien que cette feuille de route modifie le mandat et la mission de la Banque pour inclure les grands enjeux mondiaux, notamment le changement climatique, sur le plan opérationnel et financier, elle représente davantage un approfondissement et une continuation de l’approche « Maximiser les financements pour le développement ». Et ce, malgré le fait que le slogan « des milliards aux billions » ait depuis été discrédité comme un mythe, y compris par des économistes renommés de la Banque mondiale.

Le rêve absurde continue

En effet, dix ans après le lancement du slogan « des milliards aux billions » – qualifié de « bien intentionné mais absurde » par Philippe Valahu, directeur général du Private Infrastructure Development Group (PIDG), récemment cité par le Financial Times – les progrès en matière de mobilisation de financements privés pour combler le déficit de financement toujours croissant (4 000 milliards de dollars par an pour les Objectifs de développement durable, sans même compter les besoins liés au climat) sont très décevants. L’idée de base consistait à utiliser des fonds publics pour attirer d’importantes sommes d’argent privé, notamment de la part des investisseurs institutionnels. Mais cela ne s’est pas concrétisé. L’espoir (trop) simpliste était que les fonds de pension et les compagnies d’assurance des pays riches se précipiteraient pour financer des routes, des hôpitaux et d’autres infrastructures de base, pourtant cruellement nécessaires dans les pays en développement.

À l’origine, lorsque le slogan « des milliards aux billions » a été lancé, l’hypothèse était que chaque dollar public pourrait mobiliser deux dollars ou plus du secteur privé. Un tel « effet de levier » n’est atteint que dans de rares cas. Une étude récente de l’ODI (Overseas Development Institute) montre que le financement mixte concessionnel – c’est-à-dire du capital public (principalement fourni par les banques multilatérales de développement) à des taux inférieurs au marché – a permis, en 2021, d’attirer, pour chaque dollar investi, environ 59 cents de cofinancement privé en Afrique subsaharienne - la région où les besoins sont les plus importants, et 70 cents dans les autres régions.

Les banques multilatérales de développement (BMD) et les institutions de financement du développement (IFD) ont été – et restent – à l’avant-garde de ces efforts de « mobilisation » de financements. En 2023, elles ont réussi à mobiliser ensemble environ 88 milliards de dollars de financements privés pour les pays à revenu intermédiaire et les pays à faible revenu (PRI et PFR), dont 51 milliards mobilisés par le Groupe de la Banque mondiale (y compris ses agences spécialisées dans la promotion du secteur privé, l’IFC et la MIGA), ce qui représente environ 60 % du total des financements privés mobilisés.

Cependant, seulement 20 milliards de dollars ont été mobilisés pour l’Afrique subsaharienne, et seule la moitié de ce montant a atteint les pays les plus pauvres (PFR). À titre de comparaison, la région a reçu 62 milliards de dollars d’aide publique au développement la même année.

Par ailleurs, plus de 50 % de ces financements privés ont été dirigés vers seulement deux secteurs : les services bancaires et aux entreprises, ainsi que l’énergie. En comparaison, l’éducation, la santé et la population réunies n’ont reçu moins de 1 % des financements totaux.

Bien que les faits soient manifestement décevants, le montant de financements que les banques multilatérales de développement (BMD) devraient être capables de « mobiliser » pour des projets de développement est devenu une idée fixe pour les bailleurs de fonds et autres parties prenantes. Ainsi, le rêve continue, et le niveau d’ambition a été considérablement relevé dans le cadre de la Evolution Roadmap.

Bien que l’actuel président de la Banque mondiale, Ajay Banga, ait reconnu que la formule « des milliards aux billions » est irréaliste, et que son économiste en chef, Indermit Gill, l’ait qualifiée de « fantasme », la Banque expérimente de nouveaux modèles de plus en plus sophistiqués, notamment la titrisation – une pratique qui consiste à regrouper des prêts dans des produits financiers ensuite vendus à des investisseurs privés, dans le but de libérer du capital pour émettre de nouveaux prêts.

De nouveaux instruments sont constamment développés et salués pour leur soi-disant potentiel à attirer des capitaux privés. L’idée est d’élargir l’utilisation des instruments de partage des risques (risk-sharing) tels que les garanties, les nouveaux véhicules d’investissement et les solutions d’assurance afin de mobiliser des capitaux privés. Parmi les produits les plus récents de la Banque mondiale figurent les obligations à résultats (outcome bonds), qui visent à mobiliser des financements auprès d’investisseurs privés pour des projets dans les économies en développement, en transférant les risques liés à la performance aux investisseurs, lesquels sont ensuite récompensés si les activités sous-jacentes réussissent.

Le financement climatique en voie de privatisation ?

Dans le cadre de sa feuille de route « Evolution Roadmap », la Banque mondiale a modifié sa vision en ajoutant l’objectif « pour une planète vivable » à ses deux objectifs historiques : éradiquer l’extrême pauvreté et favoriser une prospérité partagée. En cohérence avec cette nouvelle orientation, elle s’est positionnée comme un acteur clé dans la réalisation du nouvel objectif de financement climatique adopté lors de la COP29 à Bakou.

Selon une déclaration publiée avant la conférence, le « Groupe de la Banque mondiale est de loin le plus grand fournisseur de financement climatique aux pays en développement ». En 2024, elle aurait fourni 42,6 milliards de dollars en financement climatique, ce qui représente 44 % de l’ensemble de ses prêts. Bien qu’il existe également d’importants problèmes liés à la comptabilité et à la transparence du financement climatique de la Banque mondiale, cet article se concentre principalement sur le financement climatique en tant qu’élément d’un programme plus large de privatisation poursuivi par la Banque mondiale.

Alors que le monde se tourne de plus en plus vers les banques multilatérales de développement comme fournisseurs de financement climatique, l’attention se détourne des solutions de financement public pourtant essentielles. Une analyse récente du Bretton Woods Project met en lumière le fait que le financement climatique de la Banque mondiale est profondément ancré dans son programme plus large de privatisation.

Cela est particulièrement visible dans le financement à l’appui des politiques de développement (Development Policy financing / DPF) de la Banque mondiale, qui représentait en 2023 22 % du financement climatique de l’IDA et de la BIRD (les entités de la BM chargées d'accorder des prêts et des subventions aux pays pauvres et respectivement à revenu intermédiaire). Le DPF est une forme de soutien budgétaire non affecté et fongible, lié à des réformes politiques concrètes (appelées « actions préalables »).

La majorité de ces actions préalables étaient liées à des réformes fondées sur le marché, notamment des mesures de réduction des risques pour les investissements privés et la suppression des subventions à la consommation de combustibles fossiles, qui ont un impact particulièrement punitif sur les segments les plus pauvres de la population.

De plus, la majorité du financement climatique des banques multilatérales de développement (BMD) prend la forme de prêts, et non de dons, ce qui accroît le fardeau de la dette pour des pays déjà fortement endettés. En 2023, les prêts représentaient 89,9 % du financement climatique de la BIRD et de l’IDA (les deux principales institutions de la Banque mondiale en matière de financement climatique).

Le fait que ces prêts – qui, par définition, doivent être remboursés avec intérêts – soient également comptabilisés comme financement climatique des États membres de la Banque mondiale entre en contradiction flagrante avec le principe du « pollueur-payeur ».

Le grand retour en arrière ?

La feuille de route (Evolution Roadmap) de la Banque mondiale est donc loin d’être une révolution en ce qui concerne son agenda en faveur du secteur privé. Elle pourrait plutôt être qualifiée de « plus de la même chose, y compris pour le climat ». Cependant, l’expansion du financement climatique est désormais sérieusement remise en question par la nouvelle administration américaine.

Bien qu’ayant récemment réaffirmé son engagement envers la Banque mondiale (et le FMI), le Secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a appelé à un retour aux mandats fondamentaux de l’institution et à une réforme de ses programmes jugés « trop chers ». Selon lui, la Banque devrait soutenir une croissance économique riche en emplois, menée par le secteur privé, et s’éloigner de ses programmes sociaux ou climatiques.

M. Bessent a insisté sur le fait que la Banque devait être « neutre technologiquement » et donner la priorité à l’accessibilité des investissements énergétiques. Dans la plupart des cas, cela signifie « investir dans la production de gaz et d’autres combustibles fossiles ».

Afin de ne pas froisser la nouvelle administration américaine, la Banque est devenue plutôt silencieuse sur son agenda climatique. À la demande des États-Unis, elle a récemment décidé de mettre fin à son moratoire sur l’énergie nucléaire, et un vote sur la réintroduction du financement de l’exploration et l’extraction du gaz serait prévu prochainement.

Il reste à voir si l’administration américaine parviendra à forcer la Banque mondiale à revenir sur l’élargissement de sa vision et de son mandat, et à renoncer à son engagement d’alignement sur l’Accord de Paris, ou si les représentants européens seront en mesure de s’opposer à de telles décisions désastreuses. En tout état de cause, la Suisse, qui est à la tête d'un groupe de vote, devrait se joindre aux forces progressistes au sein de la Banque mondiale.

La révolution est reportée

Alors que la communauté du développement mondial se réunit à Séville pour discuter de l’avenir du financement du développement, certains points de friction devraient se clarifier. Une fois de plus, le « compromis de Séville » met en lumière l’énorme déficit de financement de 4 000 milliards de dollars nécessaires pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) d’ici 2030.

Bien que le document reconnaisse que « l’investissement privé dans le développement durable n’a pas répondu aux attentes, ni suffisamment priorisé l’impact sur le développement durable », il propose néanmoins un large éventail de mesures visant à « accroître la mobilisation des financements privés à partir de sources publiques, en renforçant l’utilisation des instruments de partage des risques et de financement mixte », avec un rôle central attribué aux banques multilatérales de développement (BMD).

Alors que la recherche effrénée de nouveaux instruments et de moyens pour rendre les projets de développement et climatiques « bancables » – donc plus attrayants pour les investisseurs privés – se poursuit, la crise de la dette s’aggrave, et le rôle du secteur public en tant que fournisseur essentiel de financements pour le développement et le climat continue de s’affaiblir.

Selon Indermit Gill, économiste en chef de la Banque mondiale, « depuis 2022, les créanciers privés étrangers ont perçu près de 141 milliards de dollars de plus en paiements de service de la dette par les pays en développement qu’ils n’ont accordé en nouveaux financements ». Aujourd’hui, plusieurs pays africains consacrent plus de la moitié de leurs ressources au remboursement de la dette ; Indermit admet même que certains pays utilisent les prêts de la Banque mondiale (qui ont une échéance plus longue) pour rembourser leurs créanciers privés, détournant ainsi des ressources rares au détriment de secteurs essentiels à la croissance et au développement à long terme, comme la santé et l’éducation.

Si le capital privé peut et doit jouer un rôle dans le développement durable et le financement climatique, il est temps d’abandonner les solutions simplistes et de s’attaquer aux causes profondes des multiples crises actuelles. Cela inclurait une réforme très attendue de la structure de gouvernance de la Banque mondiale afin de donner aux pays du Sud global un plus grand pouvoir de décision, ainsi qu’un vaste programme de restructuration et d’annulation de la dette, des investissements dans la mobilisation des ressources nationales, et la mise en place d’un système fiscal mondial plus équitable, dans le but de lutter contre les inégalités croissantes à l’échelle mondiale.

Il ne semble pas que Séville soit le lieu où commencera la révolution tant attendue — mais la lutte continue.

4ème Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement

Conférence FfD4 à Séville : un pas vers un monde plus juste ?

04.07.2025, Financement du développement

La 4e Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement (FfD4) s'est tenue à Séville du 30 juin au 3 juillet. Auparavent, les États s'étaient déjà mis d'accord sur une déclaration finale toutefois insuffisante. Des réponses aux innombrables crises n'étaient pas apportés : le Nord réduit ses aides au développement et continue de priver les pays du Sud global de ressources considérables, alors que ces derniers croulent sous le poids de la dette. Mais une société civile combative a exigé sur place des mesures contre les inégalités croissantes. Alliance Sud était présente à Séville et a donné un aperçu des débats et des luttes sur place.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

Jochen Wolf
Jochen Wolf

Collaborateur de la communication

Conférence FfD4 à Séville : un pas vers un monde plus juste ?

La veille de l'ouverture de la conférence, des manifestant.e.s déploient leurs revendications dans les rues brûlantes de Séville. © Marisol Ruiz / Society for International Development (SID)

Dernier jour de la conférence
« Nous déclarons ici la faillite de la politique de développement »

Les réponses apportées dans l’Engagement de Séville (Compromiso de Sevilla) à la situation dramatique de la dette dans de nombreux pays sont presque aussi amères qu'une confiture d'oranges andalouse. Lors de l'événement parallèle centré sur le multilatéralisme inclusif et l’architecture de la dette internationale (Inclusive Multilateralism and International Debt Architecture), l'économiste indienne Jayati Ghosh — qui a d’ailleurs préfacé le numéro spécial « Le nouveau deal » de « global », le magazine d’Alliance Sud — l’a rapidement fait comprendre. 2025 avait été prévue comme l'année de la remise de la dette. Cela ne s'est pas concrétisé. Quasiment toutes les revendications des pays surendettés du Sud ont été ignorées lors de la rédaction de la déclaration finale de la conférence. En premier lieu, celles qui demandaient la mise en place d'une convention des Nations Unies sur la dette, qui créerait un cadre pour le désendettement des États. Les intérêts des pays débiteurs et ceux des créanciers du Nord (États, créanciers privés, banques et négociants en matières premières) devaient y être représentés sur un pied d'égalité. Cette revendication principale du Sud global et de la société civile internationale a certes été entendue à Séville, principalement grâce à la société civile, mais elle n'a pas été reprise dans la déclaration finale de la conférence. Les divers projets lancés lors de celle-ci sur la question de la dette se présentent donc comme des maisons sans toit : habitables en soi, mais difficiles d'accès et mal reliées entre elles. Et ce, malgré une situation extrêmement dramatique : selon la CNUCED, l'Agence des Nations Unies pour le commerce et le développement, 68 pays en développement ont de graves problèmes d'endettement. 61 % de la dette totale de ces pays est détenue par des créanciers privés. Les taux d'intérêt que doivent payer les pays en développement sont beaucoup plus élevés qu'aux États-Unis et dans l'UE. Dans 48 pays du Sud global, où vivent 3,3 milliards de personnes, les paiements d'intérêts sont plus élevés que les dépenses consacrées à l'éducation ou à la santé. Le rapport 2025 sur la dette (Schuldenreport 2025) de l'ONG allemande erlassjahr.de, dont la conseillère politique Malina Stutz était assise à côté de Jayati Ghosh sur le podium, révèle des chiffres dramatiques à ce sujet : le Liban consacre 88 % de ses recettes publiques au service de sa dette, l'Angola 56 % et le Sénégal 32 %.

 

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L'économiste indienne Jayati Gosh critique la position de l'Occident face à la question de la dette.
© Alliance Sud

 

Jayati Ghosh a formulé cinq points qui seraient essentiels pour une bonne politique de la dette : 

  1. Les négociations sur l'allègement ou l'annulation de la dette devraient être clairement limitées dans le temps, à savoir trois à six mois, et reposer sur l'égalité de traitement des deux parties.
  2. Pendant cette période, un moratoire sur les paiements est nécessaire, ce qui signifie que le débiteur ne rembourse ni les intérêts ni les parts de la dette au créancier.
  3. Les annulations de dette ne doivent plus être utilisées pour renflouer des créanciers privés. C'est ce qui se produit lorsque les créanciers publics remboursent les créanciers privés. 
  4. Les États ne devraient plus être contraints de prendre des mesures d'austérité drastiques dans le cadre des procédures de désendettement, comme c'est le cas aujourd'hui sous le régime du Fonds monétaire international (FMI). Au contraire, le désendettement devrait s'accompagner d’énergiques programmes de croissance économique.
  5. Les pays surendettés doivent conserver leur accès au marché des capitaux. Le fait que ce soient précisément les pays qui connaissent déjà d'énormes problèmes de liquidités qui soient totalement exclus du marché des capitaux aggrave encore les inégalités extrêmes sur ce dernier.

Penelope Hawkins, économiste de la CNUCED, n'a pas explicitement soutenu les propositions de réforme en profondeur de Jayati Ghosh, mais a présenté un projet dans le cadre de la Sevilla Platform for Action (SPA) qui vise à créer un « club des emprunteurs » (borrowers club). En effet, il n'existe à ce jour aucun organe permanent réunissant les pays débiteurs et leur permettant de convenir d'une action commune dans le contexte de la gestion multilatérale de la dette du « cadre commun » du FMI. Ce club serait le pendant du Club de Paris, qui rassemble les pays créanciers, et renforcerait la représentation des intérêts des pays endettés auprès du FMI. « Jusqu'à présent, ces réunions de débiteurs n'ont lieu qu'en situation d'urgence. La question est de savoir comment nous pouvons pérenniser de tels forums », explique Penelope Hawkins. Après Séville, cela reste flou en effet. Mme Hawkins a donc été catégorique : « Nous déclarons ici la faillite de la politique de développement : contrairement au Programme d’action d’Addis-Abeba (Addis Ababa Action Agenda, AAAA) de 2015, la déclaration finale ne mentionne pas une seule fois les pays les plus pauvres. Nous n'avons pas de véritable mécanisme de rééchelonnement de la dette, mais tous les créanciers récupèrent néanmoins leur argent. » Les conséquences sont extrêmes. « Nous ne pouvons coopérer que si nous créons ce club des emprunteurs. »

Les déclarations de Robert Plachta, chef du département Restructuration de la dette et Club de Paris au ministère allemand des finances, ont clairement montré que les efforts déployés par le Sud global et la société civile internationale pour enfin définir des moyens de sortir du piège de la dette se heurteront à une forte opposition, même après la FfD4. Cette année, les créanciers se sont tout de même mis d’accord avec la Zambie et le Ghana sur la restructuration de leur dette. Cela a nécessité beaucoup de temps. Trop selon Mme Ghosh. Cela tient principalement aux créanciers privés, notamment en Suisse, où l'on trouve la grande banque UBS ou le négociant en matières premières Glencore. Robert Plachta a conclu par une déclaration qui pouvait être interprétée comme une menace : « Nous, les créanciers, devons récupérer notre argent. Si tel n'est pas le cas, il y aura des conséquences. Les prêts seront tout simplement moins nombreux. »

Ce qui a de nouveau fait réagir Jayati Ghosh : les recherches menées par Malina Stutz, chargée de mission chez erlassjahr.de, montreraient que les bénéfices réalisés par les créanciers privés grâce à leurs opérations de crédit sont bien supérieurs à ce qu'ils ont réellement investi. Au final, ces créanciers profiteraient de la détresse financière des pays surendettés. Mme Ghosh a déclaré, s'adressant directement à Robert Plachta, qu'elle attendait de l'Allemagne, aujourd'hui première économie européenne, qu'elle accorde aux autres pays ce qui lui a été consenti en 1954, à savoir la possibilité de sortir d'une situation extrêmement difficile et de retrouver la prospérité économique et sociale grâce à une remise de dette complète. M. Plachta n'a manifestement pas apprécié cette comparaison historique. 

Puis, Hod Anyigba, économiste syndical ghanéen de l’International Trade Union Confederation Africa (ITUC-Africa), a posé la question fondamentale : « Avez-vous déjà vu une mère se rendre à la banque pour pouvoir réparer son toit ? Le déséquilibre des pouvoirs est extrême. Il est temps que les travailleuses et travailleurs assument la responsabilité de ces choses. Qu'est-il advenu de l'idée de l'État aspirant au développement ? La dignité, les droits, une vie décente, où sont passées ces idées ? Quand je parle aux créanciers, je n'entends que profit, profit, profit. Frère Robert [Plachta] doit retourner à sa table à dessin ! » Chaque maison a une architecture, c'est tout à fait naturel. Pourquoi le système financier n'en a-t-il pas, a demandé Hod Anyigba, appelant à plus d'imagination dans la politique financière internationale : « Pourquoi les dogmes néolibéraux dominent-ils toujours ? Réfléchissez à des propositions hétérodoxes ! »

Cette architecture du système financier international pourrait notamment être développée dans le cadre d'une convention des Nations Unies sur la dette. Malina Stutz, de erlassjahr.de, l'a encore une fois clairement souligné : « La question de l'inclusion est vraiment centrale : par inclusivité, nous entendons que les pays débiteurs ne doivent pas simplement être invités à des événements où ils peuvent donner leur avis. Ce que nous voulons, c'est un organe décisionnel au sein duquel ils disposent des mêmes droits. » Ce serait sans doute la condition préalable pour que, comme le souligne Malina Stutz, ce qui a toujours été normal dans les relations de crédit ordinaires devienne également la norme dans le domaine de la dette publique : les remises de dette font partie intégrante de toute relation de crédit.

Pour finir, Jayati Ghosh a répliqué à la menace de Robert Plachta par un avertissement adressé à « l'Occident ». « Je ne pense pas que les pays du G7 réalisent à quel point ils ont perdu en crédibilité ces dernières années : pandémie, brevets sur les vaccins, extraction des matières premières. Dans tous ces domaines, l'Occident n'a pas fait de concessions au Sud. Mais l'UE a aussi besoin d'amis », a-t-elle déclaré, faisant allusion aux relations transatlantiques fortement perturbées par Trump. « Nous sommes confrontés à un véritable manque de conscience de nos propres intérêts. Si l'Occident ne bouge pas, le monde vous imposera des choses que vous n'aimerez pas, mais pour une fois, je m'en réjouirai. »

 

 

Jeudi 3 juillet : Pas dans le spa, mais sur la SPA – des impôts pour les super-riches

La Suisse est actuellement dirigée par une élue qui est également ministre des finances. La vice-présidente espagnole María Jesús Montero assume elle aussi le poste de ministre des finances. Mais les similitudes s'arrêtent là. María Jesús Montero ouvre un groupe de haut niveau sur la taxation des super-riches en posant un principe fondamental : des systèmes fiscaux équitables et progressifs sont le fondement de la démocratie, de l'État social et de l'égalité des chances. Les États plus égalitaires sont non seulement plus démocratiques, mais la santé mentale y est également meilleure.

En novembre 2024, l'Espagne, en collaboration avec le Brésil, qui présidait le G20 à l’époque, a mis la taxation des super-riches à l'ordre du jour à Rio de Janeiro. La manifestation de Séville s'inscrit dans le cadre de la Sevilla Platform for Action (dont l'abréviation « SPA » prête un peu à confusion). Ces initiatives, soutenues chacune par un groupe d'États, visent à faire progresser la mise en œuvre de la déclaration finale de Séville.

 

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L'économiste Joseph Stiglitz, l'ancienne Première ministre sénégalaise Aminata Touré et Susana Ruiz (Oxfam International) (de gauche à droite) critiquent la politique fiscale mondiale durant la FfD4. © Alliance Sud

 

Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie, professeur à Harvard et doyen de la critique avisée de la mondialisation, commence par une remarque d'actualité : «  Les États-Unis paient à présent le prix de l'inégalité, c'est pourquoi nous assistons à la mainmise de l'oligarchie technologique. Trump veut mondialiser ses réductions d'impôts pour cette oligarchie. Il est désespérant que le G7 ait cédé sur l'application de l'imposition minimale de l'OCDE aux entreprises américaines. En une heure, les résultats de 14 ans de négociations ont été réduits à néant. » En ce qui concerne l'Espagne, il rappelle que la majorité des pays européens ne sont pas représentés au G7. Une pression pourrait donc encore être exercée au sein de l'UE.

Le Canada a aussi cédé et abandonné sa taxe sur les services numériques. « C'est le premier pas vers le statut de 51e État des États-Unis », plaisante Stiglitz. « Les entreprises numériques ont amassé leur fortune grâce à l'évasion fiscale, en enregistrant leurs recettes publicitaires en Irlande. Comme leurs filiales y sont contrôlées depuis la Silicon Valley, elles ne versent quasiment pas d'impôts », précise Stiglitz. « Les instruments de destruction de la démocratie et du multilatéralisme sont la menace et la peur. Mais le monde ne peut pas être pris en otage, une coalition des volontaires est possible. La convention fiscale de l'ONU est la preuve qu'il y a aussi des progrès dans le domaine fiscal. »

Aminata Touré, ancienne première ministre du Sénégal, hausse le ton : «  En matière fiscale, on constate une injustice permanente dont l'Afrique souffre depuis des siècles. Nous aimerions taxer tout ce qui a été confisqué à nos pays. Nous avons des dettes résultant de la fraude et de l'évasion fiscales. Des dettes quatre fois plus chères que celles des pays européens. Pourquoi ? Parce que nous présentons un risque majeur aux yeux des investisseurs. Et pourquoi ce risque est-il très élevé ? Parce que les multinationales européennes exploitent nos matières premières sans payer d'impôts. Il nous manque donc l'argent nécessaire pour régler les énormes intérêts sur la dette extérieure. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire preuve de résilience et de nous défendre. C'est pourquoi l'Union africaine s'est tant engagée en faveur d'une convention fiscale contraignante de l'ONU. Nous voulons une répartition équitable du droit d'imposition. Les impôts doivent être payés là où la richesse est créée. C'est difficile à expliquer parce que c'est tellement simple. Tout écolier le comprend : plus on est riche, plus on paie d'impôts. » Aminata Touré critique l'absurdité des tax holidays accordées aux entreprises extractives, à savoir les exonérations fiscales dont elles bénéficient pendant des années. « Cela peut conduire les entreprises minières à ne commencer à payer que lorsque la mine est épuisée. »

Vítor Gaspar, directeur du Département des affaires fiscales du Fonds monétaire international (FMI), ajoute que la simplification des systèmes fiscaux est également nécessaire, car « la complexité est la meilleure alliée des fraudeurs et des évadés fiscaux ». Souvent, cette complexité a été conçue délibérément, dans ce but précis.

Joseph Stiglitz résume : « Inutile d’être lauréat d’un prix Nobel pour comprendre pourquoi il faut taxer les super-riches. Nous avons créé les paradis fiscaux. Nous aurions pu les réglementer, mais nous les avons tolérés. Ils existent parce qu'ils profitent aux super-riches. Nous avons besoin de normes mondiales, nous avons besoin de règles à l’échelle de la planète. La plateforme d'action contient les mesures nécessaires pour rendre la fraude fiscale plus difficile. » Et Aminata Touré de conclure : « La convention fiscale de l'ONU est un parfait exemple de multilatéralisme : elle débouche sur une situation où tout le monde gagne. Et cela exclut que je sois super-riche et que toi tu restes pauvre. »

 

 

Mercredi 2e juillet
Qui finance la mobilisation des ressources domestiques ?

La mobilisation des ressources domestiques (MRD) est un pilier de l’Engagement de Séville (Compromiso de Sevilla). Elle vise principalement à permettre aux pays du Sud global de générer davantage de recettes fiscales afin de réduire leur dépendance économique vis-à-vis des investissements directs étrangers des multinationales et de l'aide au développement des pays du Nord, et de faire progresser leur économie et leur société de l'intérieur. Les personnes participant à l'événement parallèle « Flux financiers illicites, espace budgétaire et fiscalité équitable : promouvoir la coopération Afrique-Europe pour une mesure unifiée et un programme de réforme des flux financiers illicites » (Illicit financial flows, fiscal space and fair taxation : advancing Africa-Europe cooperation for a unified measurement and reform agenda illicit financial flows) se sont accordées sur ce point. La MRD présente toutefois quelques inconvénients, comme l'ont montré divers événements parallèles organisés au Palacio de Congresos.

 

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Représentant·e·s d'Amérique latine lors d'une manifestation dans l'entrée du bâtiment où se tenait la conférence FfD4. © Alliance Sud

 

  1. Chennai Mukumba, directrice du Réseau pour la justice fiscale en Afrique (TJNA), a souligné qu'il fallait d'abord mettre fin aux transferts de bénéfices des multinationales et des fortunes privées hors des pays du Sud avant d'introduire de nouvelles taxes dans ces pays : « Nous devrions percevoir les impôts qui existent déjà avant d'en créer de nouveaux. » Pour ce projet, le TJNA mise pleinement sur la convention fiscale des Nations Unies. Les négociations sur sa forme entameront un nouveau cycle en août au siège de l'ONU à New York. 
  2. Les impôts ne sont pas sociaux en soi. Il ne s'agit pas seulement de savoir combien les États en perçoivent, mais aussi qui les paie : avec l'introduction d'une taxe sur la valeur ajoutée par exemple (que le Fonds monétaire international, l'OCDE ou la Banque mondiale recommandent volontiers aux pays pauvres), la classe moyenne et les pauvres paient proportionnellement beaucoup plus d'impôts que les riches, car ils doivent aussi consommer. En même temps, elle est relativement facile à mettre en œuvre pour des autorités fiscales sous-équipées. Il en va de même pour l'impôt sur la fortune : dans ce cas, ce sont les riches qui paient, mais sa mise en œuvre est très ardue, car dans le système financier actuel, les fortunes peuvent être transférées quasi sans restriction à travers le monde, de sorte qu'elles ne sont visibles que là où les riches ne paient pas ou très peu d'impôts. Dans ce contexte, il n'est guère surprenant que la Suisse ait été pointée comme mauvais exemple. À New York, elle a la possibilité (malheureusement théorique vu son orientation fiscale) de soutenir des règles mondiales contraignantes en matière de transparence fiscale et de lutte contre la fraude fiscale.

Giulia Mascagni, directrice du Centre international pour la fiscalité et le développement a également souligné que la lutte contre l'évasion fiscale des super-riches est loin d'être gagnée avec les réformes de l'OCDE des 15 dernières années : « L'échange automatique de renseignements (EAR) sur les clients des banques entre les pays a principalement profité au Nord global. » Pour remédier à ce déséquilibre planétaire en termes de transparence fiscale, Giulia Mascagni a plaidé pour un renforcement des capacités (capacity building), c'est-à-dire un soutien accru aux autorités fiscales du Sud global dans la mise en place des infrastructures et de l'expertise nécessaires. Mais les experts fiscaux de ces pays insistent désormais sur le fait qu'il n'est pas possible de se soustraire à des règles fiscales iniques au niveau mondial. Pour ceux qui sont défavorisés par un système, le fait de le comprendre dans les moindres détails ne changera rien. À cet égard, les propos du représentant du ministère allemand des finances sont encourageants : « Si les fonds d'aide au développement se font de plus en plus rares, il est d'autant plus nécessaire de prendre des mesures énergiques contre les flux financiers déloyaux, ce pour quoi le gouvernement allemand s'engage depuis longtemps : les multinationales et les super-riches doivent payer leur juste part du gâteau fiscal mondial. » Mais, et c'est là le dernier rebondissement de cette histoire, les représentants du gouvernement allemand aiment promettre à l'étranger des choses qu'ils ne peuvent pas tenir chez eux, et le passage de l'ancien ministre des finances Lindner, libertarien de droite, au social-démocrate de droite Klingbeil ne changera pas nécessairement la donne. C'est sans doute aussi pour cette raison que le représentant de l'Union africaine a réaffirmé pour conclure : « Nous avons absolument besoin d'une convention fiscale des Nations Unies ». Car contrairement à l'OCDE, les pays du Sud y sont majoritaires. Peu importe donc que les Allemands y montrent leur visage andalou ou berlinois.

 

 

Mercredi 2e juillet : L'éternel « toujours plus de la même chose »

« Accelerating the Shift and Private Climate Investment at Scale – Catalytic Pathways to Scale Private Investment – Financing the Missing Middle – Unlocking Ecosystems for Inclusive Private Sector Growth –  Impact Investing, from Pioneering Innovations to Scalable Solutions – The Timbuktoo Initiative: Building the Future of Engagement with the Private Sector – Unlocking Blended Finance – Global Partnerships for Unlocking Private Capital – Originate to Share Models to Crowd in Private Capital ».

Le de-risking (l’atténuation des risques en fait) est également omniprésent à la 4e Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4). Tirée de l’agenda de de-risking, la liste de mots-clés ci-dessus n'est qu'une sélection, liée uniquement à la matinée du 2 juillet. Il s'agit d'événements parallèles officiels, et non de conférences organisées dans le cadre du Business Forum. Mais on trouve aussi un forum tenu par la société civile avec Daniela Gabor, économiste et membre du groupe d'experts des Nations Unies sur le financement du développement, qui porte un regard critique sur l’agenda en question.

 

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L'économiste Daniela Gabor (à droite) s'exprime à Séville sur les promesses non tenues du secteur privé.
© Alliance Sud

 

Daniela Gabor rappelle d'emblée que les partenariats public-privé et le de-risking étaient déjà des piliers centraux du plan d’action qui voulait passer des « milliards aux milliers de milliards ». La Banque mondiale l'a lancé en 2015 afin de mettre en œuvre le Programme d'action d'Addis-Abeba (résultat de la 3e Conférence des Nations Unies sur le financement du développement) et de financer la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Comment les milliards auraient-ils pu se transformer en milliers de milliards ? Même s’il s’agit d'un slogan de la Banque mondiale, il n’englobait pas seulement des banques multilatérales de développement, mais aussi un projet visant à créer un de-risking state (un État qui réduit les risques) dans le Sud global. Il s'agissait et il s'agit toujours d'utiliser les fonds de la coopération internationale financés par les contribuables du Nord global pour créer des projets rentables pour de grands investisseurs tels que Blackrock ou des fonds de pension. Concrètement, cela signifie prendre des risques afin que ces investisseurs obtiennent des rendements « ajustés au risque » attractifs pour leurs investissements placés dans des projets liés à l'eau, aux routes ou à l'énergie.

Cela n'a clairement pas fonctionné : personne n’a vu les milliers de milliards promis. Pourtant, les mêmes concepts sont plus que dominants à Séville et la Direction du développement et de la coopération (DDC) chante de plus en plus fort les louanges du de-risking – tout comme le Secrétariat d’État à l’économie (seco) bien sûr. Selon Daniela Gabor, cela n'a pas fonctionné non pas parce que les banques multilatérales de développement, le Global Gateway Project de l'UE ou le gouvernement Biden n'ont pas alloué suffisamment de fonds au de-risking. Cela a capoté parce que, même avec des subventions financées par les impôts du Nord global, les grands projets ainsi financés restaient beaucoup trop coûteux pour les pays du Sud global.

Gabor donne un exemple concret, le projet de parc éolien du lac Turkan au Kenya, que l'administration Biden avait appuyé avec enthousiasme. Le directeur du Conseil économique national américain, Brian Deese, avait quitté la société BlackRock pour rejoindre le gouvernement, où il a supervisé en 2018 un nouveau partenariat de financement climatique entre BlackRock, les gouvernements français et allemand, la Fondation Hewlett et le Grantham Environmental Trust. Le fonds Climate Finance Partnership (CFP) était un instrument de finance mixte pour lequel les gouvernements et des philanthropes avaient mis 100 millions de dollars à la disposition de BlackRock afin de mobiliser des investissements climatiques dans le Sud global, en particulier la participation majoritaire dans le projet du lac Turkana. Mais les contrats d'achat à prix garanti ont mis sous pression l'État kenyan. Sa générosité envers Wall Street a finalement été si controversée que le gouvernement s'est vu contraint d'imposer un moratoire sur les accords d'achat d'électricité. Même les associations industrielles locales se sont plaintes que les coûts élevés de l'énergie sapaient les efforts d'industrialisation verte.

(Petite parenthèse : il existe désormais une version small is beautiful du de-risking, qui vise à promouvoir les investissements dits à impact pour la mise en œuvre de certains ODD, et non plus uniquement les grands projets d'infrastructure. Ceux-ci doivent bénéficier directement aux « bénéficiaires » dans le Sud global. Toutefois, ces derniers doivent également payer pour les énergies renouvelables, par exemple, car il faut bien que les rendements viennent de quelque part. Malgré la terminologie de la coopération internationale, ces bénéficiaires sont en fait simplement des clients et des emprunteurs. C'est cette version de l’agenda de de-risking qui est également préconisée par la Suisse.)

Daniela Gabor souligne que l'engouement persistant pour le de-risking est également très dangereux car il ignore la principale leçon tirée depuis 2008, à savoir que le modèle de développement chinois dirigé par l'État a connu un succès spectaculaire, tandis que les recettes du consensus ultralibéral de Washington ont lamentablement échoué. La recette du succès d'un État en développement, qui est également décisive pour l'Afrique, consiste à discipliner le capital privé, c'est-à-dire à faire en sorte qu’il respecte les plans et les priorités de l'État. Cela nécessite de la force de persuasion, des ressources publiques et du personnel. Autrement dit des bureaucrates et des technocrates. Mais il est difficile de discipliner le capital étranger, lointain et tout-puissant, et « l’État qui réduit les risques » est un État affaibli, et non pas un État en développement.

Daniela Gabor conclut en exprimant une certaine résignation. Elle ne comprend pas pourquoi l'agenda de réduction des risques cause encore plus de bruit à Séville qu'à Addis-Abeba. Et ce, non seulement au Business Forum, mais partout. Et cela vaut de plus en plus pour les organisations onusiennes telles que la CNUCED. Les partisans de l’agenda de de-risking « échouent vers le haut » : avec des concepts plus diversifiés (listés plus haut), des recettes adaptées au discours et de nouvelles promesses, l'agenda qui a échoué continue d'être prôné. « Pourquoi gagnent-ils toujours ? » reste une question en suspens.

Passons donc aux vainqueurs, à l'événement parallèle organisé par Morgan Stanley et le Boston Consulting Group ; le titre semble prometteur : Changements dans le paysage du financement du développement : faits et perspectives dans un monde réorganisé (Changes to the development financing landscape : facts and perspectives in a reordered world). Mais, petit hic, « sur invitation uniquement » ! Évidemment, les personnes qui réorganisent le monde préfèrent le faire à huis clos.

 

 

Mardi 1er juillet : Perles du Pacifique

Dans la folie générale d'une conférence incluant des centaines de plénières, tables rondes multipartites, annonces d'initiatives, événements spéciaux, événements parallèles et un forum international du commerce, il y a parfois aussi des perles à découvrir. Par exemple, un événement parallèle sur la « réinvention du financement du développement » avec des participant.e.s du groupe des petits États insulaires en développement (PEID) de la région Pacifique et des Caraïbes.

 

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Plantation de jeunes mangroves sur la côte de Kiribati. Sur les îles du Pacifique, elles protègent les habitats menacés par l'érosion. © Keystone/LAIF/Barbara Dombrowski

 

Ils échangent sur la Development Bank for Resilient Prosperity (DBRP) ou, plus joliment, sur la Nature Bank, une initiative des États insulaires lancée en 2023. Comparé au discours bien rodé autour de la mobilisation des ressources privées, de la finance mixte et de la réduction des risques (de-risking), on entend ici des choses inédites.

Hyginus Leon, directeur exécutif de la DBRP, dit sans détour : « Lors de cette conférence, nous répétons sans cesse les recettes qui nous ont conduits à cette crise multiple. C'est un signe de folie. Nous sommes partis du principe que la planète disposait de ressources infinies. Mais la nature est finie. On ne peut pas résoudre les problèmes sans réfléchir à leur origine. Il nous faut un changement de paradigme. »

Et Leon d’ajouter : « Il ne s'agit donc pas seulement d'une banque, mais plutôt d'un mouvement visant à sauver la civilisation. » La transition des actifs gris vers des solutions basées sur la nature est essentielle, car elle est non seulement bénéfique pour la planète, mais aussi économiquement viable. « Les mangroves ont la même valeur que les routes et les forêts ont la même valeur que le bois. Si nous considérons la nature comme un actif, nous pouvons obtenir plus de revenus et plus d'argent pour les PEID et les pays les moins avancés (PMA) », explique Leon.

Mais que sont donc ces revenus issus de la nature ? Voici quelques exemples qui sont déjà une réalité dans les pays des Caraïbes et du Pacifique, notamment grâce à des zones maritimes protégées : la récolte et la transformation d'algues, l'écotourisme, la pêche durable, la production alimentaire et pharmaceutique.
Il existe plus de 500 banques de développement dans le monde, pour la plupart nationales ou infranationales. Pourquoi une nouvelle banque est-elle donc nécessaire ? Adama Marinko, de Finance in Common, répond : « Nous avons besoin d'une banque entièrement repensée, qui ne se contente pas de se développer à partir de l'existant. Bien sûr, la création d'emplois serait également essentielle, mais il s'agit aussi de créer une nouvelle solidarité mondiale en renforçant la résilience. »

Les différences entre la « Banque de la nature », la Banque mondiale et les banques multilatérales de développement sont importantes, car leur vision « est toujours basée sur les risques, jamais sur les opportunités. C'est pourquoi le Sud global, et en particulier les PEID et les PMA, sont perdants, car les risques liés à ces pays sont jugés très élevés », explique Ritu Bharadwaj de l’International Institute for Environment and Development.

La DBRP a une conception tout à fait différente des risques. Il ne s'agit pas des risques pour les investisseurs, mais des risques pour les personnes. Il est crucial ici de réduire les risques. « Notre mesure des risques est la résilience. Il s'agit de la prospérité et du bien-être des personnes et des économies, des communautés et de la planète », souligne également Leon de la DPRB. « Nous devons financer la résilience, la restauration et la justice – le monde est prêt pour quelque chose de nouveau », ajoute Sergio Fernandes de Cordova, de la Public Foundation.

L’événement parallèle s'achève sur la conviction que la « Banque de la nature » passera du stade d'idée à celui d'instrument de mise en œuvre de l’Engagement de Séville. Ce serait en tout cas un grand succès pour les petits États insulaires.

 

 

Lundi 30 juin : début de la conférence

Nous avons malheureusement manqué l’allocution d'ouverture de Felipe VI d'Espagne. Afin d'assurer à Sa Majesté une arrivée en toute quiétude et une sécurité maximale, les autorités ont paralysé la circulation dans le centre-ville de Séville. Nombre de participantes et de participants à la conférence étaient coincés dans des embouteillages géants, tandis que nous nous occupions de nos badges. La ministre espagnole des affaires étrangères, Arancha González, s’est exprimée avant le roi. Alors qu'elle adressait ses salutations devant l'auditoire prestigieux du centre des congrès Fibes, nous tournions encore en rond dans le bus public, à la recherche d'un chemin pour nous y rendre. « Sevilla welcomes the world with open arms » avons-nous entendu Arancha González dire sur la web TV des Nations Unies. Eh bien oui, ici, ce ne sont pas seulement de nombreuses rues qui sont bouclées, mais aussi le texte final de la conférence. Du point de vue de la société civile du Nord et du Sud, il ne représente pas un progrès vers un financement suffisant du développement durable – pour en savoir plus, consultez notre document d’information pour les médias. Il n'y a plus rien à négocier ici. Cela rend peut-être un peu plus acceptable le fait que la société civile ait été majoritairement exclue des événements où les gouvernements dialoguent directement les uns avec les autres. Il n'en reste pas moins que c'est un signal extrêmement alarmant venant de l'ONU à un moment où la marge de manœuvre politique des ONG est limitée partout dans le monde, en partie via la politique financière nationale (comme les coupes dans la coopération internationale en Suisse), mais aussi, malheureusement, par la répression politique directe. Les États qui ont pris le cap de l’autoritarisme se sentent encouragés par ce manque d'engagement de l'ONU en faveur de procédures inclusives et démocratiques. Pour la société civile mondiale à Séville, il ne s'agit donc pas seulement de démontrer sa vigueur, qui reste intacte malgré toutes les résistances, mais aussi d'insister, dans les centaines d'événements parallèles à la conférence, sur les occasions manquées de la FfD4 et d'aborder les prochaines étapes vers le désendettement, un système fiscal et financier planétaire plus juste et des conditions strictes pour le secteur privé qui souhaite bénéficier des fonds publics destinés au développement – restez à l'écoute.

Communiqué

Pas de sieste de la Suisse à Séville

30.06.2025, Financement du développement

La quatrième Conférence internationale des Nations Unies sur le financement du développement (FfD4) s'ouvre aujourd'hui à Séville. Dimanche soir, des organisations de la société civile du monde entier ont manifesté pour un ordre économique plus juste. La déclaration finale est déjà prête et ne comprend aucune avancée décisive contre la crise mondiale multiple. Elle énonce toutefois des déclarations d'intention pertinentes en matière de politique fiscale et de désendettement, qui devraient également inciter la Suisse à agir.

Dominik Gross
Dominik Gross

Expert en politique fiscale et financière

+41 31 390 93 35 dominik.gross@alliancesud.ch
Marco Fähndrich
Marco Fähndrich

Responsable de la communication et des médias

+41 31 390 93 34 marco.faehndrich@alliancesud.ch
Pas de sieste de la Suisse à Séville

Cette conférence majeure de l'ONU est toutefois obscurcie par une dette publique record dans le Sud global, la non-participation des États-Unis et le démantèlement complet de l'agence américaine pour le développement international (USAID) annoncé pour le 1er juillet. Mais jusqu'à jeudi, les discussions à Séville porteront sur bien plus que le « financement du développement » au sens de la coopération internationale (aide publique au développement, APD). La question de savoir comment les pays pauvres peuvent mobiliser davantage de ressources propres est au cœur des débats. Les mesures contre l'évasion fiscale et les flux financiers illicites figurent donc en bonne place dans l'ordre du jour. Les thèmes de la dette et du désendettement, du commerce et du développement, des questions systémiques liées à l'architecture financière internationale et du rôle des entreprises et des aides publiques correspondantes occupent également une place centrale ; autant de thèmes qui interpellent tout particulièrement les pays riches comme la Suisse.

« Jusqu'ici, la Suisse officielle n’a pas brillé lorsqu’il s’agissait du soutien au multilatéralisme, à la coopération au développement et à la cohérence des politiques pour le développement durable », lance Dominik Gross, expert en politique fiscale et financière chez Alliance Sud. « Nous attendons de notre pays qu’il prenne au sérieux les discussions et les processus de l'ONU et qu'il y participe de manière constructive, au lieu de les bloquer ou de les ignorer par intérêt personnel », ajoute Dominik Gross.

Notre document d'information pour les médias vous indique les domaines dans lesquels la Suisse devrait de toute urgence assumer davantage de responsabilités.

« Le nouveau deal » : Le numéro spécial du magazine « global » esquisse ce à quoi pourrait ressembler une nouvelle Suisse pour un monde plus juste.

Pour tout complément d’information :
Sur place à Séville : Dominik Gross, expert en politique fiscale et financière chez Alliance Sud,
tél. +41 78 838 40 79, dominik.gross@allliancesud.ch

Pour des questions générales :
Marco Fähndrich, Responsable médias et communication chez Alliance Sud,
tél. 079 374 59 73, marco.faehndrich@alliancesud.ch

Publication

Les conséquences du démantèlement de l'USAID

26.06.2025, Coopération internationale, Financement du développement

La suppression d'une grande partie du financement américain au développement aura des répercussions considérables sur les populations les plus pauvres et les plus vulnérables de la planète, sur le système multilatéral, qui contribue de manière décisive à la paix et à la stabilité dans le monde, ainsi que sur les soins de santé à l'échelle planétaire. Pour en savoir plus sur les conséquences concrètes du démantèlement de l'USAID, consultez la fiche d'information d'Alliance Sud.

Kristina Lanz
Kristina Lanz

Experte en coopération internationale

Les conséquences du démantèlement de l'USAID

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